"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 15 janvier 2020

REPONSE AUX APPROXIMATIONS POLITIQUES D'UN COMITE DE GILETS JAUNES DE POITIERS



« Les hommes s'usent vite en temps de révolution ».
Rossel

J'ai lu avec intérêt vos propositions d'orientation « aux grévistes » impliqués dans cette longue grève hétéroclite et fondamentalement corporatiste (mais pourquoi aux seuls grévistes?). L'esprit de révolte m'a bien plu de prime abord. Il sort du ronron syndical et gauchiste qui se contente d'appeler au « retrait du projet Macron ». Il apparaît en effet qu'il n'y a « rien à négocier avec nos bourreaux », que misère et inégalités explosent, et surtout que « les syndicats réformistes ou de lutte sont incapables de faire reculer le gouvernement ! » et qu'au demeurant « ce n'est pas leur grève qui le permettra ». J'ai apprécié ce « leur grève », car, la compréhension que cette grève a été ficelée dès le départ par le gouvernement et ses valets syndicaux est rare, voire masquée par la réelle colère de la majorité de la population. J'ai également apprécié l'esprit contenu dans vos propositions, c'est à dire se donner les moyens non pas en faisant du chiqué comme les gauchistes – en criant à tue-tête : « faut foutre en l'air le capitalisme » - et en restant sur le strict terrain économique et syndical, mais en posant la nécessité de se baser sur un « programme », ce que sont en quelque sorte vos « propositions d'orientation aux grévistes ». En résumé votre appel est positif au sens où il en appelle à l'action politique et non pas au ronron néo-réformiste et au foutage de gueule que représente le bla-bla creux des élites politiques et syndicales, enfin qui se démarquait de prime abord de cette grève filoutée « uniquement sur les retraites ».

Il n'en va pas de même concernant vos propositions concrètes pourtant sur lesquelles je suis en désaccord de A à Z. Arrêtons-nous un instant sur une autre question pertinente que vous posez et qui vient déranger le ronron des négociations-pièges-à-con : « De quels modes d'organisations, d'actions et d'objectifs sociaux avons-nous besoin pour gagner ? ». Et vous répondez d'ailleurs immédiatement à l'échelle historique : « Seul le peuple renouant avec la révolution comme en 1793 et 1871, organisé et coordonné en commune révolutionnaire peut en finir avec le capitalisme. Tout le pouvoir au peuple travailleur, par le peuple et pour le peuple ! ».

L'évocation de deux dates marquées par terreur et massacres en masse, qui font clairement figure de repoussoirs anti-révolution que vous le vouliez ou non depuis un siècle, va vous faire prendre aussitôt pour de doux rigolos ayant quitté récemment le lycée, mais j'y reviendrai plus précisément. Idem pour la notion de peuple, terme banal et éculé utilisé depuis toujours par toute la racaille des politiciens, des staliniens aux identitaires et des populistes aux fascistes. Enfin le nouveau néologisme gimmick idéologique du gauchisme impénitent, il faut le déplorer, est venu vous habiter l'esprit comme la recette « insurrectionnelle » : « La seule issue est la gilet-jaunisation de toutes les luttes » !? De tout cela je vous reparlerai un peu plus tard.

AVANT DE BALANCER L'IMAGERIE ABSTRAITE DE LA REVOLUTION SANGLANTE...

qui certes montre bien la colère qui vous habite, qui nous habite, et comme si ce n'était qu'une question de « construire la grève générale » (concept de recruteur syndicalo-trotskien) il faut produire une analyse sur le rapport des forces : par suite à la morgue puante des dominants, la servilité de leurs journalistes et la perversité des chefs syndicaux, le peuple ou plutôt le prolétariat a-t-il pour autant envie et les moyens d'en finir avec le capitalisme ? L'idée la plus répandue, la plus commune, la plus « populaire », mais en même temps la plus utopique et fausse est « bloquons tout », « grève générale totale ». Cet avis est de l'ordre de l'impulsif social et de plus, vous le savez bien, irréaliste au moment où cette grève, complètement fabriquée et contrôlée par les mafias syndicales, part en vrille sous les clameurs ministérielles et des méchants syndicats collabos, aux cris de « prenez vos responsabilités, reprenez le travail, même si nous faisons semblant de retirer nos attaques et qu'on fera passer le truc par ordonnance ». Le gouvernement se paye même le luxe d'humilier les syndicats qui n'ont pas été capables de « faire leur preuve de capacité à encadrer et à éteindre l'incendie » aussi rapidement que le souhaitait l'appareil d'Etat ; il les ridiculise un peu plus en les convoquant pour dans quatre mois à une conférence sur le financement (réel problème dénié par la gauche bourgeoise en jupons), comme si ces mercenaires d'Etat pouvaient reverser une partie de leur solde au « peuple bourgeois », les « riches » et « milliardaires » qui sont selon vous nos principaux ennemis.
Il y a une part de vérité dans la définition statique de R.Aron : « Le prolétariat au repos, comme être objectif, n’est lui aussi que pluralité, dispersion, conflits internes, asservissement des libres praxis non pas seulement au patronat mais à l’ensemble pratico-inerte dans lequel s’insèrent inévitablement les innombrables individus qui le composent (…) Ce n’est que dans une entreprise commune que les praxis individuelles parviennent à surmonter leur isolement, leurs rivalités… » (cf. Marxismes imaginaires, p.165, folio). L’ouvrier, travesti en « peuple » selon vous « dans le besoin » (non pas frugal mais endetté ou envieux) peut fort bien produire la pire crapule prête à tout pour assouvir son besoin grossier et égoïste, le besoin bien particulier de dominer ses semblables par exemple. Les partis et syndicats staliniens ont été peuplés de ce genre d’individus ; il y en eu pléthore durant la Commune de Paris aussi bavards qu'ambitieux. Dans ce sens, des anarchistes rejoignirent le parti nazi qui distribuait des médailles assez largement et flattait l’individualisme égalitaire, typique de l’idéologie nazie où l’individu absolu est figuré dans le culte du chef. L’auteur anarchiste Alain Soral a tout naturellement rejoint le FN (non fasciste), dans la mesure où on lui avait promis de le bombarder conseiller du chef Le Pen, promotion qui lui était refusée dans les médias ; mauvaise pioche avec le recul électoral de ce parti archaïque.
Les « radicaux », les CGT, Sud et Suzie, qui restent « intraitables », sont-ils les amis des prolétaires en grève et de ces millions qui comprennent la grève comme protestation contre un gouvernement qui veut déshabiller Paul tout en laissant Pierre nu ?
Vous ne les dénoncez nulle part. Pourtant ce sont bien nos pires ennemis, champions de la division de tout mouvement social du prolétariat et pas du peuple. Dans le jeu de rôle où un majoritaire comme le CFDT pose au pompier « qui prend ses responsabilités », personne ne nous fera croire que les SUD et CGT, en bataille permanente pour obtenir les subventions gouvernementales ne cherchent pas à faire monter les enchères pour leur boutique, en gros pour prouver qu'ils resteront les meilleurs pour calmer les troupes !
Avant de parler d'insurrection, n'eût-il pas été plus prudent de se demander dans quel état d'épuisement, de dispersion et de déroute politique est jetée la classe ouvrière après ce mouvement bizarre, ultra-corporatiste et sans AG véritables de travailleurs ? Tous les syndicats ont systématiquement laissé enfermés les ouvriers dans chacune de leurs corporations. Avez-vous vu les manifs, avec les wagons des diverses entreprises, surtout du public, séparés en banderoles et ballons de carnaval ; closes au terme du défilé par quatre à cinq malheureux pékins de la CNT psalmodiant « tous ensemble, tous ensemble ». Avez-vous vu les « insoumises » groupies de Mélenchon, Autain et Aubry, venues soutenir les « guerrières de la RATP », féministes bourgeoises venues, non pas combattre les clans islamistes qui refusent de se salir la main sur les femmes, mais dénoncer ce monde social du travail marqué par « la domination masculine » où comme en 36, les mecs font grève sur le tas et les nanas obligées de leur porter à bouffer, « oubli ordinaire du mouvement ouvrier » et scandaleuse invisibilité des femmes dans les meetings et à la télé !
Le véritable leurre de ce long mouvement déprimant n'aura pas été l'âge pivot mais les multiples divisions et inventions, et promesses ridicules que l'extrême gauche bourgeoise aura balancé dans les pieds des grévistes et des non grévistes .

Toutes les fractions de gauche du capital se sont liguées pour faire croire à un victoire « contre les politiques de régressions sociales (sic au pluriel) » et « ouvrir la possibilité d'une contre-offensive des classes populaires pour construire une autre société » (NPA). Comme la notion vague de peuple, celle de « classes populaires » confirme le ralliement au populisme (de gauche) et la sauce « interclassiste » (donc confusément républicaine et anti-ouvrière) de ces rackets politiques. Ils reprennent tous le vieux langage de petit vieux PCF, parti électoral dégénéré des « masses populaires », qui propose à tous les « français » la bonne retraite à 60 ans, un SMIC à 1500 euros, et plus chic 20% de hausse immédiate dudit SMIC et des salaires, égalité de salaires hommes-femmes, voire la suppression du chômage. On ne lui souhaite pas un nouvel accidentel genre mai 81 qui a déshabillé toutes ces belles promesses tartuffes depuis l'opposition. Mélenchon as de la surenchère, et qui ne perd rien en terme de salaire, appelle celles et ceux qui tirent la langue après un mois et demi de grève à « tenir bon ». Avec la grâce du bon dieu ! Même le remboursement de l'abonnement au métro par une dame patronnesse de la droite déconfite vise à faire admettre sans douleur une grève salopée et bradée.
Les Pinocchio du gouvernement espère aussi faire oublier la violence des flics contre les grévistes en s'apitoyant sur la veuve du livreur assassiné par trois flics zélés et syndiqués. La journaliste Apolonie de Malherbe sur la chaîne d'Etat BFM analyse que c'est une victoire « politique » du gouvernement, quand ses compères font défiler une noria de sous-fifres LRM qui ont le culot d'appeler les grévistes « à la responsabilité » et à cesser « une grève désormais sans objet » face au bonneteau gouvernemental.

ET ON PASSE A DES PROPOSITIONS RINGARDES ET NATIONALES DE LA VIEILLE GAUCHE BOURGEOISE

Si nous pouvons ressentir la même colère face au mépris et à l'arrogance des puissants, nous n'avons pas la même vision de l'oppression du système. Votre vision est assez maoïste, avec leurs slogans vieillots « nous voulons tout » et le dérisoire « A bas les riches » dites vous en permanence comme si le capitalisme n'était qu'une structure de possédants « milliardaires », de « voleurs » et non pas un système ramifié en rapport social complexe, et gouvernant via une noria d'officines et de réseaux, syndicats et partis. Vision simpliste et binaire que celle qui oppose un « peuple bourgeois » à des « classes populaires ». Il suffirait de faire fuir les riches (comme en 1793 et dans une seule ville en 1871) pour que commence une révolution sociale, dont la clé serait une vague insurrection après usage de la bonne vieille recette anarchiste jamais réalisée (ringarde et irréalisable) la grève générale ad hoc pour grand soir automatique. On rase gratis partout. Le « peuple » gouverne, mais on ne sait pas trop comment. Ah si avec des recettes d'éligibilité inventée par le mouvement ouvrier, révocabilité et contrôle, par une lénifiante : « ...direction démocratique de la lutte : AG souveraine (on discute de tout et on décide de tout), on vote l'orientation du mouvement de lutte, comité de grève ou de lutte élus et révocable, coordination des AG (comme avec l'Assemblée des assemblées des gilets jaunes) ».

Cette remise en cause de « l'ordre des milliardaires » ressemble pourtant peu à une révolution mais à une caricature typiquement anarchiste. Que les anarchistes soient infra-politiques on le savait déjà mais que certains, dont vous, nous plante le décor d'une révolution comme une simple extension de grèves et le régentement de la société future comme l'affaire de gentils délégués des personnels, certes élus et révocables, relève de la farce... stalinienne ; c'est à croire que la société ne serait composée que d'ouvriers et de milliardaires ! Et que le renversement du capitalisme serait une affaire... nationale, voire zemmouriste. Toutes vos proposition d'orientation prennent pour base la France, le cadre national. Or aucune révolution n'est plus possible ni dans une seule ville, ni dans un seul cadre national, ni dans toutes les fermes de France. Pire toutes les propositions que vous avancez – nationalisations, économie nationalisée (!?) empêcher la fuite des capitaux (!?), planification, développement de l'économie nationale, collectivisation du système de crédit, etc. - sont celles, ringardes et dépassées, des programme du stalinisme et du trotskisme.

L'IGNORANCE EN VESTE JAUNE ET LA CENSURE DE LA GAUCHE BOURGEOISE SUR LES VERITABLES LECONS DE LA COMMUNE DE 1871

La Commune de paris, fantasmée est idéalisée comme 1789 (mais pas 93),  devenue mythe fondateur du bolchevisme où l'insurrection doit d'abord certes renverser l'Etat bourgeois avec le risque d'en recréer un autre du même type, puis sorte de Lourdes ou Fatima stalinien, elle reste le lieu saint imaginaire de toutes les gauches électorales ou anarchistes. Elle demeure l'événement historique idéal pour l'« imaginaire » insurrectionnaliste de tout militant de gauche si l'on suit une certaine Kritin Ross aux éditions du caténaire La Fabrique-Hachette : « L'imaginaire de la Commune » (janvier 2015).C'est ce qu'on peut nommer fabrique et trafic de l'idéologie de gauche bourgeoise, qui refont l'histoire au gré des rêveries des bobos et de l'imaginaire gauchiste, tous des bâtards du stalinisme en somme. Nos amis en vestes jaunes de Poitiers font la référence à cette Commune imaginaire, subsumée et glorifiée hors de propos, laissant de côté des expériences modernes bien plus importantes et significatives tel Octobre 17, et Allemagne 18. Cela révèle l'ignorance politique considérable de ces révoltés et l'insignifiance de leur exaltation d'une révolte petite bourgeoise dans le microcosme national, et totalement creuse politiquement. J'ai d'ailleurs analysé dans plusieurs articles les dérives et incongruités politiques de ce mouvement après avoir tenté d'y participer au début (cf. Giletjaunisme : Rebel without a cause, sur mon blog leprolétariatuniversel). Je ne renie pas ce que j'écrivais sous le titre suivant au moment où on nous fît croire que les petits canards jaunes allaient être capables de lancer une insurrection :

LA CULTURE de l'ignorance en gilets jaunes

... Traditionnellement le putschisme est l'action de fractions de droite ou de factions d'extrême droite pour empêcher ou suppléer l'action de masse. Il se confirme bien que le corpus politique dans lequel la queue du mouvement de protestation s'est enferré provient bien de l'idéologie d'extrême droite. Cette idéologie ne vise pas à renverser le capitalisme mais à le pérenniser de manière autoritaire et en flattant l'impossible et fumeux égalitarisme, même à l'état de promesse électorale. La « lutte contre Macron » se résume sommairement en deux slogans imbéciles : la justice fiscale et le RIC. La « justice fiscale » dans un monde dominé par la finance corrompue est aussi saugrenue que loufoque. Le RIC, produit des marges de l'extrême droite, est un gadget hyper-démocratique grotesque qui ignore la vraie critique du parlementarisme par le communisme historique et vante un totalitarisme politique permanent alors que justement le prolétariat peut se passer de politique au quotidien, et que la délégation sert à cela... mais pas dans une permanente paranoïa du contrôle des délégués...1

Le délire des grandeurs a beau s'emparer d'une foule de Narcisses – entre radicalisation putschiste et aventure électoraliste - on en rigole dans les chaumières prolétariennes ou en s'en fiche tellement ils sont cons ces agitateurs de bistrot « jaune » (la couleur des traîtres en général ou des cocus). Flatter un mouvement moribond depuis des mois ne réussit pas plus aux prêcheurs en eau trouble. On n'a pas oublié non plus les Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, membre du nouveau parti anticapitaliste (NPA, tendance fémino-écolo), qui avaient eu beau faire savoir qu'ils soutenaient l'appel à une «grève générale illimitée» lancé par le brave Eric Drouet... personne n'a envie de suivre un ignare et deux de ses admirateurs béats... de jalousie2.

L'idée de référendum d'initiative populaire date des années 1980 et fit les beaux jours de Pasqua à Le Pen, les Bachaud et Chouard ont repris le filon qui s'est imposé sans objection dans la guimauve gilet jaune.
En fait il y en a eu deux, l'autre, qui comportait un laïus destiné à culpabiliser les masses qui n'ont plus envie de suivre une bande de rigolos ou de se faire crever un oeil par les flics, puis une injonction au tous ensemble même avec les syndicats véreux, a disparu de la circulation. Elle était plus perverse que le lourdingue appel au « colonel ».
Pantalonnade sans mémoire encore. L’annonce du recours à l'armée par Macron et sa mise en scène par le gouvernement, vieille habitude cyclique dans la lutte des classes en France, avait immédiatement enflammé l’opposition, de gauche comme de droite. Les réactions critiques s'étaient multipliées. La myriade des « gilets jaunes » s'était émue de l’annonce sur les réseaux sociaux, y voyant une nouvelle atteinte aux libertés. « Jamais de la vie un soldat français ira tirer sur un civil français sur le sol français [car] les militaires français sont pour la plupart des enfants de “gilets jaunes” » avait assuré casquette à l'envers. L’utilisation de l’armée lors d’un conflit social n’était pourtant pas une première. En 1992, Pierre Bérégovoy, alors premier ministre, avait fait appel aux militaires pour dégager des axes routiers bloqués par des camionneurs qui protestaient contre l’instauration du permis à points. Plus de cinq cents soldats, des blindés légers et un char AMX-30 avaient notamment été envoyés sur l’autoroute du Nord, près de Phalempin, afin de libérer l’axe Paris-Lille. L'ex-militaire Benjamin Cauchy lui a carrément rejoint de camp des souverainistes, adieu Berthe en jaune !
Casquette à l'envers, Maxime Nicolle, a dénoncé à sa façon les factions du compromis électoraliste, aussi ignare que son pote Drouet : "La politique, c'est de la connerie, ça tue l'humain. Vous n'avez rien compris, et en plus vous prenez les gens pour des cons."

UNE COMMUNE PAS SI REVOLUTIONNAIRE QU'ON VEUT NOUS LE FAIRE CROIRE ...


La Commune est d'abord un accident de l'histoire, elle est même prématurée pour Marx, plus critique comme Elysée Reclus une fois le temps écoulé. Elysée Reclus fût certes un extraordinaire savant et militant, mais sa conception du communisme anarchiste, avec ses trois piliers : la commune, le syndicat et l'association comme piliers de la société libérée, prête à sourire, moins quand on voit nos vestes jaunes ressortir ces vieilleries. Contrairement à ce que lui fait dire Ross, pour Reclus c'est la ville qui est historiquement un lieu de liberté. Il ne s'emballe pas non plus comme Kropotkine pour l'exemplarité communarde, d'autant qu'il y était présent lui comme simple garde. Vingt ans après la Commune Reclus se montre très sceptique devant l'idéologie anarchiste, voire hostile, vis à vis des tentatives individualistes et volontaristes visant à constituer des micro-sociétés anarchistes, des « milieux libres ». Cette position contredit toutes les affabulations de Ross avec sa théorie campagnarde. Les communautés anarchistes d'époque étaient fondées à la campagne et véhiculaient par conséquent une idéologie anti-urbaine. Reclus contribue d'ailleurs sur le sujet dans la revue de Jean Grave - « Temps nouveaux » (1895-1914) – où il rejette toute tentative de se situer en marge pour privilégier l'action dans la société réelle : « En un mot, les anarchistes se créeront des Icaries en dehors du monde bourgeois ? Je ne le pense ni le désire (…) Dans notre plan d'existence et de lutte, ce n'est pas la petite chapelle des compagnons qui nous intéressent, c'est le monde entier ». Pierre Kropotkine porta un jugement tout aussi sévère sur l'impasse de ces « communes volontaires » et c'est la position adoptée par le congrès anarchiste de Londres en 1896 où sont présents Reclus et Kropotkine.

J'ai dit dans mon blog que l'écrit tape à l'oeil, artistique et trafiqué de Kristin Ross ne doit pas effacer les nécessaires critiques du camp révolutionnaire maximaliste à une expérience, certes riche théoriquement, mais qui a pris un coup de vieux face aux exigences d'une révolution moderne, et qui, tout en respectant nos morts, ne doivent pas zigouiller une énième fois cette expérience en la réduisant à un culte religieux, à l'aide de quelques graffitis anarchistes creux
La Commune de Paris, vantée par tant d’acteurs de cette révolution, n’en déplaise à Engels et à Lénine, n’est plus exemplaire. Si je l’écris au XXIe siècle, je ne cache toujours pas que j’aurais combattu jusqu’au bout avec les Fédérés si j’avais été de leur temps. Le soulèvement était aussi inattendu qu’il aurait pu tout aussi bien ne pas se produire. C’est autre chose d’assurer qu’on peut imiter ou reproduire un tel événement en assurant qu’après la grève générale fantasmatique on appellera à « l’insurrection » communarde aussi fantasmatique. L’appel à la « guerre civile » est le credo de tous les apôtres inconscients de la « guerre révolutionnaire ». Nulle concession au pacifisme ici car il faut s’interroger sur pourquoi les révolutions n’ont jamais vaincu une fois plongées dans des guerres civiles. Pourquoi dès que la « guerre civile » pointe son nez la révolution est-elle perdue ? (cf. Commune de 1871, Russie 1918, Espagne 1936). Cela n’excuse en rien la bourgeoisie qui, comme le montre le livre de Lecaillon, n’hésite pas à massacrer sans vergogne. La question qui continue à être posée est que la révolution ne doit pas faciliter la tâche sanglante de la bourgeoisie, qu’elle doit disposer d’orientations politiques qui lui évite de commettre elle aussi des atrocités. Qui peut décréter qu’une révolution moderne ne peut gagner autrement que par les armes face à la faillite du capitalisme et à ses horreurs ? La Commune, n’est pas une sainte Bible montmartroise pour anarchiste romantique ou marxiste bègue, ramenée à ses justes proportions elle ne doit pas être oubliée parce que trop lointaine, dans son chaos dégoulinant d’hémoglobine. Elle reste un événement moderne qui montre trois claires leçons :
1. la tentative du prolétariat (aussi diffus dans le « peuple » qu’aujourd’hui dans cette grande ville petite bourgeoise) de changer et contrôler le pouvoir, sans être encore constitué et mature pour l’exercer ;
2. la quasi inutilité de penser que la révolution pourrait l’emporter sous forme de « guerre (de tranchée) révolutionnaire ». A ce compte la Commune ressemble plus à Verdun 1916 qu’à Petrograd 1917 ;
    1. la capacité de déchaînement automatique de la pire des barbaries de la part de la bourgeoisie si la confrontation se passe sur le terrain strictement militaire. (j'analyse longuement cette expérience dans mon article LA COMMUNE ET SES PETITS BRANLEURS.

Je recommande particulièrement la lutte contre l'ignorance en vous conviant à lire les 5 ouvrages suivant, surtout celui de Riviale, boycotté par la gauche néo-stalinienne et les anars à sa suite.


- La Commune au jour le jour par Elysée Reclus, 1908 (lisible sur le site de la BNF)
- La Commune de Paris par William Serman (Fayard)
- "Paris, Bivouac des révolutions", par Robert Tombs (ed Libertalia, 2016).
- Sur la Commune, cerise de sang de Philippe Riviale, L'Harmattan, 2003.
- Jean-François Lecaillon, Le souvenir de 1870, histoire d’une mémoire Bernard Giovanangeli éditeur, 2011.
En 2010 sur le blog : De l'intérêt du témoignage multiple et mon livre : « Dans quel Etat est la révolution ? »,


UNE REVOLUTION PARTIELLE et datée


Dans son passionnant témoignage « La Commune de Paris au jour le jour », Elysée Reclus se moque des fantasmes bourgeois pour une ville débarrassée de la police :
« ...Arrêtons-nous un instant et constatons le fait : il en vaut bien la peine, il est peut-être unique dans l'histoire. C'est la plus sérieuse réalisation de l'anarchie qu'utopiste ait jamais pu rêver. Légalement, nous n'avons plus de gouvernement, plus de police ni de policiers, plus de magistrats ni de procès, plus d'huissiers ni de préfets, les propriétaires s'enfuient en foule abandonnant les immeubles aux locataires, plus de soldats ni de généraux, plus de lettres ni de télégrammes, plus de douaniers, de gabelous et de percepteurs. Plus d'Académie ni d'Institut, les grands professeurs, médecins et chirurgiens sont partis. Emigration en masse du « Parti de l'Ordre et des Honnêtes gens », les mouchards et les prostituées ont suivi. Paris, l'immense Paris est abandonné aux orgies de la vile multitude, aux frénésies de la masse impure. Paris est devenu la chose des pillards, des athées, des assassins, des communistes et démagogues. Les amis du Gouvernement lui reprochent d'avoir manqué de fermeté. Je crois plutôt que le petit Thiers a fait un coup d'audace. Sûr et certain que les révolutionnaires n'auraient rien de plus pressé que de s'entre-dévorer et s'entre-déchirer ».

LE SUFFRAGE UNIVERSEL « armé » de la Commune pas très démocratique...

Elysée Reclus émet des doutes que l'on peut lire dans son livre publié en 1908 (trois ans après sa mort) sur le fonctionnement qui se met en place ; les choses sont plus compliquées que les admirateurs romantiques modernes ne l'imaginent:
« De fait ce Comité central est presque tout de droit... Or, nous sommes en révolution, alors que le fait révolutionnaire se substitue à la légalité antérieure, alors que le droit nouveau prend la place du droit ancien, les hommes du Comité central sont des hommes nouveaux : c'est parce qu'ils sont des hommes nouveaux, c'est pour faire des choses nouvelles qu'on les a fait monter à l'Hôtel de ville. Ils doivent innover, c'est entendu, mais que doivent-ils innover, combien doivent-ils innover, là est l'immense difficulté. Pour préciser la réponse, il faudrait un instinct des plus délicats, un tact suprême ou bien une analyse des plus savantes. Comment les demander à ces braves gens dans une occurrence soudaine, dans une crise bizarre et fantastique ? Fallait-il que le Comité central s'arrogeât immédiatement tous les pouvoirs ? Faut-il encore que le Comité central rende à Versailles le coup que Versailles a voulu porter à Paris ? Parce que Versailles a raté son coup contre Paris, faut-il que Paris essaie à son tour un coup d'Etat contre Versailles, sauf à le rater aussi ?
En dernière analyse, le Comité central, personnification de la garde nationale, n'est autre chose que le suffrage universel armé, mais il y a suffrage universel et suffrage universel. Il y a le suffrage universel en matière civile, ce sont les municipalités , les mairies des vingt arrondissements de Paris ; il y a encore le suffrage universel en matière politique, ce sont les représentants de Paris, lesquels députés ne sont eux-mêmes qu'une fraction de l'Assemblée Nationale. Il y a donc trois expressions du suffrage universel, qui formulées en des moments différents, ont des significations différentes, qu'il est impossible de réduire à une même formule... ».
Sur ses vieux jours, le géographe révolutionnaire est plus sévère sur l'expérience de la Commune parisienne:  « On avait eu le ferme vouloir de transformer le monde, et tout bonnement on se transforme en simple épicier ». Reclus témoigne de son vécu pendant la Commune : « Il n'est pas de fonctionnaire de village qui ne se prenne pour un petit empereur ».

Enfin la Commune n'a pas été provoquée par une grève générale ! Ni non plus la plupart des révolutions prolétariennes au début du Xxe siècle ! Imaginaire anarchiste quand tu nous tiens ! La vieille mafia CGT adore ces anars qui viennent roucouler sur son épaule avec une larme pour les vieilleries du syndicalisme révolutionnaire évaporé dans les années 1910. Et lorsque vous vous exaltez avec l'imaginaire de la grève générale, c'est comme si la société n'était qu'une grande corporation industrielle, que, pour parodier ce pauvre Lénine, n'importe quelle femme de chambre pouvait sans avoir fait l'ENA et les cours supérieurs des bonzes CGT, gérer les affaires d'une société donnée, par exemple la France avec ses élus de n'importe qui et n'importe quoi, certes révocables mais pour un programme national néo-stalinien. L'étroitesse de cette vision corporative, régionale et nationale de la révolution montre que vous êtes aussi ignare et bête que Drouet qui étale ses fautes d'orthographes comme des médailles de général d'armée. Il faut, pour les plus lucides et ouverts d'entre-vous rester modeste, étudier les programmes et critique du mouvement maximaliste prolétarien, sinon passez votre chemin et occupez-vous de picoler aux ronds-points pour meubler votre vacuité. Une révolution moderne c'est compliqué, même pour moi, qui y fait quoi ? La révolution en 1905 et en 1917 est prolétarienne ; pourtant le premier porte-parole du premier Conseil ouvrier est un avocat. Le génie, certes décrédibilisé, de la problématique d'une société transitoire, Lénine, était lui aussi avocat... Toutes les professions ont leurs Conseils à côté de syndicats qui continuent à exister, pourtant ce sont les Conseils ouvriers qui auront le plus de poids politique, avant de se faire bouffer par le parti.

L’exaltation aléatoire et bovine de la grève générale.
Lorsqu’on relit Sorel aujourd’hui, on s’aperçoit non seulement qu’il est au fond, lui, pacifiste, et brouillon mais qu’il discute de la catégorie « violence » non pas politiquement et en lien avec l’événement clé sur la question – la Commune de Paris – mais dans les catégories éthérées d’une philosophie bergsonienne. Il ne s’agit que d’une apologie symbolique de la violence. De ce qu'il consacre tout un chapitre de ses Réflexions à la « moralité de la violence », il ne s'ensuit pas qu'il souhaite qu'entre la bourgeoisie et le prolétariat se livrent des combats sanguinaires. Sorel n'appelle et n'approuve la violence que d'une manière en quelque sorte virtuelle, en tant qu'elle marque la volonté d'intransigeance et d’affirmation du prolétariat. Si cette volonté existe, il suffira de quelques manifestations concrètes pour la renforcer de temps en temps. Sorel déclare qu'on peut concevoir « que le socialisme soit parfaitement révolutionnaire, encore qu'il n'y ait que des conflits courts et peu nombreux ». Peu explicite. Avec l'idée de grève générale, Sorel se moque de ses lecteurs intellectuels anarchistes puisqu’il l’envisage comme un mythe (qu’elle fut et est toujours effectivement) qui vaut moins comme anticipation du futur que comme image capable d'exciter les énergies et d'entretenir l'ardeur combative. Sorel donne l'exemple des premiers chrétiens, qui attendaient pour une date très prochaine le retour du Christ. Le mythe apocalyptique joua un rôle capital dans l'histoire de l'Église, puisqu'il entretint l'exaltation des croyants, soutint leur énergie, et contribua finalement d'une façon efficace à l'essor du christianisme. De même le mythe de la grève générale n'est peut-être point destiné à durer mille ans mais était supposé permettre la transsubstantiation du socialisme. Puis cette vogue d’un syndicalisme radical improbable et inutile au renforcement de l’Etat libérale moderne, s’évanouissant dans les charmes vénéneux de la Belle époque et les fusillades de Clemenceau, Georges Sorel fit ses adieux au syndicalisme révolutionnaire pour s’amouracher le temps d’un été du bolchevisme.
Le temps des révolutions du XIXe siècle est passé, se revendiquer de la Commune n’est plus qu’un anachronisme sentimental pour anarchiste pratiquant. Il n’y aura plus de leader de la taille d’un Blanqui en France mais de petits politiciens du rigide Guesde au brave républicain Jaurès. L’anarcho-syndicalisme s’installe dans le paysage corporatif en refusant la lutte pour le pouvoir politique. Le syndicalisme révolutionnaire lui a succédé peu de temps avant de s’effondrer face au fracas des bombes artisanales et les lois scélérates, à la veille de la vague révolutionnaire du début du XXe siècle. Le syndicalisme révolutionnaire fut en crise en 1908-09, avec la grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges, violemment réprimée par Clemenceau. Plusieurs grévistes sont tués, à bout portant, par l'armée. Clemenceau fait arrêter les principaux cadres de la CGT, absents lors du Congrès de Marseille d'octobre 1908. Avec l'adhésion de l'importante Fédération des métallurgistes, plus modérée et pragmatique, les syndicalistes révolutionnaires perdent insensiblement du terrain, ce que les bordiguistes ont assez bien restitué : « Formé dans une société au passé rempli de luttes politiques, le prolétariat français s’est donc épuisé dans des révoltes sanglantes en vue d’abolir le capitalisme avant que le développement de ce capitalisme lui en ait fourni la force. S’il a ainsi écrit les premières pages glorieuses du mouvement qui devait conduire à la victoire prolétarienne de l’Octobre russe, s’il a tracé avec son sang les lignes immuables du programme révolutionnaire de sa classe, il y a perdu une énergie historique qu’il ne devait plus jamais reconquérir, même quand l’industrialisation capitaliste fût venue grossir ses rangs de centaines de milliers d’hommes, et qu’il eut assimilé les principes fondamentaux du socialisme moderne ».

L’écrasement puis l’amnistie de la Commune n’ont-ils pas préparé les esprits à l’Union nationale patriotique de 14-18, plus qu’aux révolutions russes de 1905 et 1917 ? En France, le poison nationaliste réactivé avec l’affaire Dreyfus gomme la lutte des classes sociales et l’horreur répressive de la bourgeoisie versaillaise et rurale pour ne retenir que la « division des français » qui aurait permis la victoire allemande et la perte des deux provinces de l’Est. Ni communiste ni terroriste, la Commune de Paris avait posé plus de questions qu’elle n’avait pu en résoudre. Elle avait montré que les conditions de la guerre civile étaient un des meilleurs moyens pour liquider la révolution, ce que les jeunes socialistes italiens comprenaient un demi-siècle plus tard :
« La révolution contrainte à la guerre : c’est le triomphe commun des tendances contre-révolutionnaires tant des Empires centraux que de l’Entente. La guerre est la fin certaine d’une révolution ouvrière parce qu’elle tue le contenu vital de la politique socialiste et asphyxie son économie politique ».

On peut lire avec grand intérêt les commentaires parcimonieux de l'auteur Lecaillon, qui ressort des trésors malgré tout de l'expérience malheureuse des communards. Cette parcimonie me plaît bien. Les intellectuels adorent étaler leurs connaissances rébarbatives et noyer sous leurs langues de bois, citations et annotations, le ressenti historique dont nous avons besoin nous les simples prolétaires du « grand public ». Le lecteur pourra comprendre mieux que dans tant de catéchismes révolutionnaires qu’une révolution met en jeu des classes et qu’il ne s’agit pas de se dire « j’appartiens à la bonne classe donc j’en suis » ; l’événement est révolutionnaire justement en ce qu’il brise les classes, et inévitablement en faveur à terme de la classe la plus exploitée : « Ainsi, le 17 mars, les ressentiments accumulés contre Thiers s’avérèrent-ils plus forts que les différences de classe » (p.28). La révolution n’est pas folie furieuse ni guerre civile aveugle : « Les témoignages font apparaître une troisième explication, moins visible mais peut-être plus décisive : la persistance d’un esprit de modération dans une partie étendue de la population. Malgré les affirmations de quelques-uns, la terreur ne règne pas vraiment et les Parisiens étonnés « flânent » dans Paris ! Ils vont aux remparts comme au spectacle ! En toute civilité, ils se joignent « aux groupes qui discutent » sur les boulevards ; les plus réactionnaires reconnaissent eux-mêmes que les fédérés « ne sont pas tous des canailles ». Il ne faut pas croire les racontars qui circulent en province, ces rumeurs qui ne peuvent profiter qu’aux extrêmes (…) Au final, l’analyse attentive des témoignages montre qu’il n’y a pas d’un côté les ouvriers émeutiers et de l’autre les bourgeois réactionnaires. Entre Belleville et Versailles la réalité sociale est tout en nuances, faisant apparaître des bourgeois modérés d’une part, des gardes nationaux dont les motivations n’ont rien de révolutionnaires d’autre part ! Dans les rangs des fédérés se rencontrent des hommes, qui n’adhèrent pas aux idées de la Commune ; ceux qui dénoncent les réformes n’applaudissent pas pour autant aux objectifs ou méthodes de Versailles » (p.86). Dans le mouvement actuel contre la retraite à la carte, il y a tout de même malgré les cloisonnements les linéaments d'une société civile qui s'insurge, certes en cordons séparés, contre un Etat cynique, où avocats et médecins peuvent avancer dans une manifestation de prolétaires, mais une seule classe possède, encore confusément, la capacité, par sa nature même, de poser la question politique essentielle et du comment changer de système, mais à l'échelle internationale.

Merci à Jean-François Lecaillon pour ce travail d’exhumation, non pas impartial – l’impartialité est impossible face aux crimes sans nom des « versaillais » - mais pour nous rappeler qu’une révolution se nourrit surtout des débats, des ressentiments et des sentiments dans l’ensemble de la population, et que si elle doit vaincre c’est surtout par l’adhésion consciente de l’ensemble aux orientations politiques qui se fixent la sauvegarde, ou plutôt la restauration de l’humanité. Merci aussi de nous ramener dans les lieux terribles, après vous avoir lu je ne me promène plus de la même façon dans les jardins du Luxembourg en pensant à ce qui remplissait le bassin ni place d’Italie…



Les anarchistes qui, en général, se revendiquent aussi de la Commune de Paris en 1871, ignorent ou oublient qu’elle n’a jamais eu pour guide le militarisme à tout crin, qu’elle sût composer aussi comme Lénine plus tard, dans un rapport de forces défavorable. Le 22 mars, par la voix de son délégué aux affaires extérieures, P.Grousset, le Comité central faisait savoir : « que la révolution accomplie à Paris (…), n’est en aucune façon agressive contre les armées allemandes » et qu’eux-mêmes n’ont point « qualité pour discuter les préliminaires de la paix votés par l’Assemblée de Bordeaux » (cf .William Serman, p.221 et surtout p.453).


Contre ce contenu nocif de la bureaucratisation, Lénine reprit les enseignements de Marx tirés de la Commune de Paris :
  • révocabilité de tous les élus,
  • suppression de la hiérarchie (Marx ne pouvait utiliser le mot hiérarchie à son sens moderne) ; Lénine lui n’hésite pas à indiquer, parmi les premières mesures socialistes, qu’il faut enlever aux fonctions de l’Etat « tout caractère privilégié, hiérarchique » (il faut le noter précieusement car il dira tout le contraire au faîte du pouvoir).
La Commune de Paris de 1871 ne supprime pas la hiérarchie des salaires même si elle écrête les plus élevés à la Préfecture de police. La course aux places dans la nouvelle administration y révèle aussi la contradiction entre spécialistes et arrivistes. Des places sont acquises en fonction des opinions politiques plus que des capacités techniques des impétrants.


L’ouvrier moyen n’est pas une garantie en soi d’absence de carriérisme ou de visée césariste3. Bien souvent, les bolcheviks eurent raison de nommer à des postes de responsabilités des éléments « bien nés » et de ce fait désintéressés et dévoués sans arrière pensée. Nombre de futurs bureaucrates profiteurs du nouvel Etat russe avaient été ouvriers et se la coulèrent douce quand nombre d’anciens étudiants idéalistes et généreux finirent dans les geôles de Staline.
Rosa Luxemburg ne traitait pas le prolétariat comme une masse informe. Dans ses premières phases, et on peut même préciser à chaque époque, la classe ouvrière est encore « un conglomérat mécanique des différents groupes de prolétaires ayant des intérêts identiques mais des aspirations parallèles ». Au cours des luttes politiques et économiques subséquentes, la classe ouvrière devient « une totalité organique, une classe politique animée d’une volonté commune et d’une conscience commune ». Cette évolution vers une conscience humaine unifiée dépend également du stade atteint par le capitalisme qui s’opère : « non selon une belle ligne droite, mais avec de brusques zigzags, semblables à ceux de l’éclair. De la même façon que les différents pays capitalistes présentent les stades de développement les plus différents, de même dans chaque pays on voit s’établir une différenciation entre les diverses couches de la classe ouvrière. Mais l’histoire n’attend pas, patiemment, que les couches et les pays les plus arriérés aient rejoint les plus avancés pour que l’ensemble puisse poursuivre symétriquement comme une colonne de soldats prussiens. L’histoire produit des explosions aux points les plus avancés, dès que les conditions sont mûres pour cela, et dans la tourmente révolutionnaire les retards sont ensuite récupérés en quelques jours ou en quelques mois, les différences sont nivelées, tout le grès social est parcouru en un moment au pas de charge »4.
Dès 1905, contre tous les trade-unionistes anarcho-syndicalistes d'hier et d’aujourd’hui, Rosa fait sortir les prolétaires du lieu de travail mais véhicule encore des illusions anarchistes sur la grève générale mythique et les barricades du XIX e siècle
« Le prolétariat industriel des villes est actuellement l’âme de la révolution en Russie. Mais, pour réaliser comme masse, n’importe quelle action politique directe, il faut que le prolétariat commence par se rassembler en masse et, pour cela, il faut avant tout qu’il sorte des usines et des ateliers, des puits et des hauts-fourneaux, il faut qu’il triomphe de la dissémination, de la pulvérisation par atelier, à laquelle le condamne le joug quotidien du capital. La grève en masse est ainsi la première forme naturelle, impulsive de toute grande action révolutionnaire du prolétariat. Et plus l’industrie devient la forme prédominante de l’économie sociale, plus se fait important le rôle du prolétariat dans la révolution, plus se développe l’opposition entre capital et travail, plus aussi les grèves générales doivent devenir puissantes et décisives. La forme autrefois principale des révolutions bourgeoises, le combat de barricades, la rencontre ouverte avec la force armée de l’Etat, n’est dans la révolution d’aujourd’hui qu’un point culminant, qu’un moment dans toute la suite de la lutte prolétarienne en masse »5.
Avec l’éclatement de la guerre de 1914, Rosa a constaté amèrement la marée du chauvinisme qui n’a pas épargné la classe ouvrière en Allemagne, nulle grève générale ni barricades non plus ne l'ont empêché. L’individu comme les masses peuvent se tromper. Qu’on ne compte pas sur une croyance mystique en la classe ouvrière ni en son infaillibilité historique. Il ne faut jamais être « déçu » par le prolétariat pourtant :
« Etre déçu par les masses »… pour un dirigeant politique, c’est toujours donner la preuve de son incapacité . Un dirigeant de grande envergure ne fonde pas sa tactique sur l’humeur momentanée des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il s’en tient à sa tactique en dépit de toutes les déceptions et, pour le reste, laisse tranquillement l’histoire mener son œuvre à maturité ». Par conséquent, un « dirigeant de grande envergure » n’est pas automatiquement destiné à tomber au niveau des exécutants opportunistes…
STRUCTURE DE PARTI ET STRUCTURE DE L'ETAT (ou ce à quoi vous n'avez pu penser)
Parlons-en enfin des dirigeants (chez les milliardaires comme chez les prolétaires). Les soviets russes eurent un aspect indéniable d'informes parlements ouvriers. Comme dans toute révolution – on imagine sans mal l'ambiance des assemblées des cordeliers et des jacobins grâce au film d'Abel Gance – on se trouve face à la cohue, beaucoup de gesticulations et des décisions qui traînent en longueur. Quiconque de sensé ne peut reprocher aux bolcheviks de lutter pour mettre fin au chaos en s’élevant au-dessus de la mêlée d’assemblées informes où les avis s’enchevêtrent sans qu’aucune décision ne puisse être prise. On ne peut pas toujours leur reprocher de s’être laissé enfermer dans la logique étatique, il faut aussi peser pour un ordre nouveau qui devienne agora où s’expriment les désaccords mais se prennent les décisions. Contrairement au syndicaliste qui se cache derrière tout anarchiste moyen, les bolcheviks ne cantonnent pas l’action de l’ouvrier consigné à un rôle de décision économique dans l’usine, mais invoquent sa nécessaire action politique hors de l’usine, même si celle-ci est subordonnée de plus en plus non à la défense de la perspective du communisme, mais à la priorité de la construction de l’Etat national.
En 1923, dans « Cours nouveau », alors que les carottes sont cuites en particulier parce qu’il a lambiné lui-même aux basques du « patriotisme de parti », Trotski établit une curieuse déduction sur le parti dirigeant et l’Etat présumé dirigé par le parti:
« Le prolétariat réalise sa dictature par l'Etat soviétique. Le parti communiste est le parti dirigeant du prolétariat et par suite de son Etat. Toute la question est de réaliser cette direction sans se fondre dans l'appareil bureaucratique ».
Bernique, et ils sont encore des milliers, et parmi vous vestes jaunes certainement rédacteurs de vos fumeuses propositions, adorateurs du docteur d'Etat Trotski !
Enfin, c’est une vieillerie, de type blanquiste fier à bras ou anarchiste radical, largement répandue que de faire l’apologie de la « guerre civile » chez tout marxiste moderniste orthodoxe, comme si elle était inévitable. On lit les termes contradictoires chez Mitchell dans son article de la revue Bilan (« l’épanouissement de la guerre civile »). La guerre civile (qui signifie guerre entre civils), si elle a lieu (si elle n’est pas limitée), n’est pas un épanouissement, mais bien un des plus sûrs chemins vers l’échec de la révolution. La Commune de Paris n’est pas une guerre civile, bien que Marx ait repris laconiquement le terme à la bourgeoisie, c’est une guerre de civils prolétaires contre une armée versaillaise. La Garde nationale, composée surtout de prolétaires pauvres, ne devînt jamais une véritable armée contre l’armada versaillaise. La plupart des prolétaires en armes restèrent allergiques au commandement de chefs hiérarchiques, voire à l’obéissance à des matamores improvisés. Contrairement aux supputations d’époque et aux délires ultérieurs d’un Trotsky, la Commune n’avait aucune chance de s’imposer militairement. La fable de l’isolement et de la préservation de la Banque de France sert ici aussi à voiler le fond de la question de l’extension sociale de la révolution.

Merci à ceux qui m'auront lu jusqu'au bout, et au plaisir de vous confronter (j'emmerde les jusqu'auboutistes). L'heure n'est vraiment pas ni à une révolution encore moins à une quelconque insurrection, mais à la réflexion sans concession.

« Le plus ignoble mensonge est de dire que l'heure est à la guerre révolutionnaire, tandis que c'est à l'extermination de tous ceux qui résisteront, ou bien qui auront « mauvaise allure ».

Philippe Riviale (Sur la Commune)

4 Masses et chefs, Cahiers Spartacus.
5 Grève générale, parti et syndicats (Cahiers Spartacus 1947).

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