« Les
hommes s'usent vite en temps de révolution ».
Rossel
J'ai
lu avec intérêt vos propositions d'orientation « aux
grévistes » impliqués dans cette longue grève hétéroclite
et fondamentalement corporatiste (mais pourquoi aux seuls grévistes?). L'esprit de révolte m'a bien plu
de prime abord. Il sort du ronron syndical et gauchiste qui se
contente d'appeler au « retrait du projet Macron ». Il
apparaît en effet qu'il n'y a « rien à négocier avec nos
bourreaux », que misère et inégalités explosent, et surtout
que « les syndicats réformistes ou de lutte sont incapables de
faire reculer le gouvernement ! » et qu'au demeurant « ce
n'est pas leur grève qui le permettra ». J'ai apprécié ce
« leur grève », car, la compréhension que cette grève
a été ficelée dès le départ par le gouvernement et ses valets
syndicaux est rare, voire masquée par la réelle colère de la
majorité de la population. J'ai également apprécié l'esprit
contenu dans vos propositions, c'est à dire se donner les moyens non
pas en faisant du chiqué comme les gauchistes – en criant à
tue-tête : « faut foutre en l'air le capitalisme »
- et en restant sur le strict terrain économique et syndical, mais
en posant la nécessité de se baser sur un « programme »,
ce que sont en quelque sorte vos « propositions d'orientation
aux grévistes ». En résumé votre appel est positif au sens
où il en appelle à l'action politique et non pas au ronron
néo-réformiste et au foutage de gueule que représente le bla-bla
creux des élites politiques et syndicales, enfin qui se démarquait
de prime abord de cette grève filoutée « uniquement sur les
retraites ».
Il
n'en va pas de même concernant vos propositions concrètes pourtant
sur lesquelles je suis en désaccord de A à Z. Arrêtons-nous un
instant sur une autre question pertinente que vous posez et qui vient
déranger le ronron des négociations-pièges-à-con : « De
quels modes d'organisations, d'actions et d'objectifs sociaux
avons-nous besoin pour gagner ? ». Et vous répondez
d'ailleurs immédiatement à l'échelle historique : « Seul
le peuple renouant avec la révolution comme en 1793 et 1871,
organisé et coordonné en commune révolutionnaire peut en finir
avec le capitalisme. Tout le pouvoir au peuple travailleur, par le
peuple et pour le peuple ! ».
L'évocation
de deux dates marquées par terreur et massacres en masse, qui font
clairement figure de repoussoirs anti-révolution que vous le vouliez
ou non depuis un siècle, va vous faire prendre aussitôt pour de
doux rigolos ayant quitté récemment le lycée, mais j'y reviendrai
plus précisément. Idem pour la notion de peuple, terme banal et
éculé utilisé depuis toujours par toute la racaille des
politiciens, des staliniens aux identitaires et des populistes aux
fascistes. Enfin le nouveau néologisme gimmick idéologique du
gauchisme impénitent, il faut le déplorer, est venu vous habiter
l'esprit comme la recette « insurrectionnelle » :
« La seule issue est la gilet-jaunisation de toutes les
luttes » !? De tout cela je vous reparlerai un peu plus
tard.
AVANT
DE BALANCER L'IMAGERIE ABSTRAITE DE LA REVOLUTION SANGLANTE...
qui
certes montre bien la colère qui vous habite, qui nous habite, et
comme si ce n'était qu'une question de « construire la grève
générale » (concept de recruteur syndicalo-trotskien) il faut
produire une analyse sur le rapport des forces : par suite à la
morgue puante des dominants, la servilité de leurs journalistes et
la perversité des chefs syndicaux, le peuple ou plutôt le
prolétariat a-t-il pour autant envie et les moyens d'en finir avec
le capitalisme ? L'idée la plus répandue, la plus commune, la
plus « populaire », mais en même temps la plus utopique
et fausse est « bloquons tout », « grève générale
totale ». Cet avis est de l'ordre de l'impulsif social et de
plus, vous le savez bien, irréaliste au moment où cette grève,
complètement fabriquée et contrôlée par les mafias syndicales,
part en vrille sous les clameurs ministérielles et des méchants
syndicats collabos, aux cris de « prenez vos responsabilités,
reprenez le travail, même si nous faisons semblant de retirer nos
attaques et qu'on fera passer le truc par ordonnance ». Le
gouvernement se paye même le luxe d'humilier les syndicats qui n'ont
pas été capables de « faire leur preuve de capacité à
encadrer et à éteindre l'incendie » aussi rapidement que le
souhaitait l'appareil d'Etat ; il les ridiculise un peu plus en
les convoquant pour dans quatre mois à une conférence sur le
financement (réel problème dénié par la gauche bourgeoise en
jupons), comme si ces mercenaires d'Etat pouvaient reverser une
partie de leur solde au « peuple bourgeois », les
« riches » et « milliardaires » qui sont
selon vous nos principaux ennemis.
Il y a une part de
vérité dans la définition statique de R.Aron : « Le
prolétariat au repos, comme être objectif, n’est lui aussi que
pluralité, dispersion, conflits internes, asservissement des libres
praxis non pas seulement au patronat mais à l’ensemble
pratico-inerte dans lequel s’insèrent inévitablement les
innombrables individus qui le composent (…) Ce n’est que dans une
entreprise commune que les praxis individuelles parviennent à
surmonter leur isolement, leurs rivalités… » (cf. Marxismes
imaginaires, p.165, folio). L’ouvrier, travesti en « peuple »
selon vous « dans le besoin » (non pas frugal mais
endetté ou envieux) peut fort bien produire la pire crapule prête à
tout pour assouvir son besoin grossier et égoïste, le besoin bien
particulier de dominer ses semblables par exemple. Les partis et
syndicats staliniens ont été peuplés de ce genre d’individus ;
il y en eu pléthore durant la Commune de Paris aussi bavards
qu'ambitieux. Dans ce sens, des anarchistes rejoignirent le parti
nazi qui distribuait des médailles assez largement et flattait
l’individualisme égalitaire, typique de l’idéologie nazie où
l’individu absolu est figuré dans le culte du chef. L’auteur
anarchiste Alain Soral a tout naturellement rejoint le FN (non
fasciste), dans la mesure où on lui avait promis de le bombarder
conseiller du chef Le Pen, promotion qui lui était refusée dans les
médias ; mauvaise pioche avec le recul électoral de ce parti
archaïque.
Les
« radicaux », les CGT, Sud et Suzie, qui restent
« intraitables », sont-ils les amis des prolétaires en
grève et de ces millions qui comprennent la grève comme
protestation contre un gouvernement qui veut déshabiller Paul tout
en laissant Pierre nu ?
Vous
ne les dénoncez nulle part. Pourtant ce sont bien nos pires ennemis,
champions de la division de tout mouvement social du prolétariat et
pas du peuple. Dans le jeu de rôle où un majoritaire comme le CFDT
pose au pompier « qui prend ses responsabilités »,
personne ne nous fera croire que les SUD et CGT, en bataille
permanente pour obtenir les subventions gouvernementales ne cherchent
pas à faire monter les enchères pour leur boutique, en gros pour
prouver qu'ils resteront les meilleurs pour calmer les troupes !
Avant
de parler d'insurrection, n'eût-il pas été plus prudent de se
demander dans quel état d'épuisement, de dispersion et de déroute
politique est jetée la classe ouvrière après ce mouvement bizarre,
ultra-corporatiste et sans AG véritables de travailleurs ? Tous
les syndicats ont systématiquement laissé enfermés les ouvriers
dans chacune de leurs corporations. Avez-vous vu les manifs, avec les
wagons des diverses entreprises, surtout du public, séparés en
banderoles et ballons de carnaval ; closes au terme du défilé
par quatre à cinq malheureux pékins de la CNT psalmodiant « tous
ensemble, tous ensemble ». Avez-vous vu les « insoumises »
groupies de Mélenchon, Autain et Aubry, venues soutenir les
« guerrières de la RATP », féministes bourgeoises
venues, non pas combattre les clans islamistes qui refusent de se
salir la main sur les femmes, mais dénoncer ce monde social du
travail marqué par « la domination masculine » où comme
en 36, les mecs font grève sur le tas et les nanas obligées de leur
porter à bouffer, « oubli ordinaire du mouvement ouvrier »
et scandaleuse invisibilité des femmes dans les meetings et à la
télé !
Le
véritable leurre de ce long mouvement déprimant n'aura pas été
l'âge pivot mais les multiples divisions et inventions, et promesses
ridicules que l'extrême gauche bourgeoise aura balancé dans les
pieds des grévistes et des non grévistes .
Toutes
les fractions de gauche du capital se sont liguées pour faire croire
à un victoire « contre les politiques de régressions sociales
(sic au pluriel) » et « ouvrir la possibilité d'une
contre-offensive des classes populaires pour construire une autre
société » (NPA). Comme la notion vague de peuple, celle de
« classes populaires » confirme le ralliement au
populisme (de gauche) et la sauce « interclassiste »
(donc confusément républicaine et anti-ouvrière) de ces rackets
politiques. Ils reprennent tous le vieux langage de petit vieux PCF,
parti électoral dégénéré des « masses populaires »,
qui propose à tous les « français » la bonne retraite à
60 ans, un SMIC à 1500 euros, et plus chic 20% de hausse immédiate
dudit SMIC et des salaires, égalité de salaires hommes-femmes,
voire la suppression du chômage. On ne lui souhaite pas un nouvel
accidentel genre mai 81 qui a déshabillé toutes ces belles
promesses tartuffes depuis l'opposition. Mélenchon as de la
surenchère, et qui ne perd rien en terme de salaire, appelle celles
et ceux qui tirent la langue après un mois et demi de grève à
« tenir bon ». Avec la grâce du bon dieu ! Même le
remboursement de l'abonnement au métro par une dame patronnesse de
la droite déconfite vise à faire admettre sans douleur une grève
salopée et bradée.
Les
Pinocchio du gouvernement espère aussi faire oublier la violence des
flics contre les grévistes en s'apitoyant sur la veuve du livreur
assassiné par trois flics zélés et syndiqués. La journaliste
Apolonie de Malherbe sur la chaîne d'Etat BFM analyse que c'est une
victoire « politique » du gouvernement, quand ses
compères font défiler une noria de sous-fifres LRM qui ont le culot
d'appeler les grévistes « à la responsabilité » et à
cesser « une grève désormais sans objet » face au
bonneteau gouvernemental.
ET
ON PASSE A DES PROPOSITIONS RINGARDES ET NATIONALES DE LA VIEILLE
GAUCHE BOURGEOISE
Si
nous pouvons ressentir la même colère face au mépris et à
l'arrogance des puissants, nous n'avons pas la même vision de
l'oppression du système. Votre vision est assez maoïste, avec leurs
slogans vieillots « nous voulons tout » et le dérisoire
« A bas les riches » dites vous en permanence comme si le
capitalisme n'était qu'une structure de possédants
« milliardaires », de « voleurs » et non pas
un système ramifié en rapport social complexe, et gouvernant via
une noria d'officines et de réseaux, syndicats et partis. Vision
simpliste et binaire que celle qui oppose un « peuple
bourgeois » à des « classes populaires ». Il
suffirait de faire fuir les riches (comme en 1793 et dans une seule
ville en 1871) pour que commence une révolution sociale, dont la clé
serait une vague insurrection après usage de la bonne vieille
recette anarchiste jamais réalisée (ringarde et irréalisable) la
grève générale ad hoc pour grand soir automatique. On rase gratis
partout. Le « peuple » gouverne, mais on ne sait pas trop
comment. Ah si avec des recettes d'éligibilité inventée par le
mouvement ouvrier, révocabilité et contrôle, par une lénifiante :
« ...direction démocratique de la lutte : AG souveraine
(on discute de tout et on décide de tout), on vote l'orientation du
mouvement de lutte, comité de grève ou de lutte élus et révocable,
coordination des AG (comme avec l'Assemblée des assemblées des
gilets jaunes) ».
Cette
remise en cause de « l'ordre des milliardaires »
ressemble pourtant peu à une révolution mais à une caricature
typiquement anarchiste. Que les anarchistes soient infra-politiques
on le savait déjà mais que certains, dont vous, nous plante le
décor d'une révolution comme une simple extension de grèves et le
régentement de la société future comme l'affaire de gentils
délégués des personnels, certes élus et révocables, relève de
la farce... stalinienne ; c'est à croire que la société ne
serait composée que d'ouvriers et de milliardaires ! Et que le
renversement du capitalisme serait une affaire... nationale, voire
zemmouriste. Toutes vos proposition d'orientation prennent pour base
la France, le cadre national. Or aucune révolution n'est plus
possible ni dans une seule ville, ni dans un seul cadre national, ni
dans toutes les fermes de France. Pire toutes les propositions que
vous avancez – nationalisations, économie nationalisée (!?)
empêcher la fuite des capitaux (!?), planification, développement
de l'économie nationale, collectivisation du système de crédit,
etc. - sont celles, ringardes et dépassées, des programme du
stalinisme et du trotskisme.
L'IGNORANCE
EN VESTE JAUNE ET LA CENSURE DE LA GAUCHE BOURGEOISE SUR LES
VERITABLES LECONS DE LA COMMUNE DE 1871
La
Commune de paris, fantasmée est idéalisée comme 1789 (mais pas
93), devenue mythe fondateur du bolchevisme où l'insurrection
doit d'abord certes renverser l'Etat bourgeois avec le risque d'en
recréer un autre du même type, puis sorte de Lourdes ou Fatima
stalinien, elle reste le lieu saint imaginaire de toutes les gauches
électorales ou anarchistes. Elle demeure l'événement historique
idéal pour l'« imaginaire » insurrectionnaliste de tout
militant de gauche si l'on suit une certaine Kritin Ross aux éditions
du caténaire La Fabrique-Hachette : « L'imaginaire de la
Commune » (janvier 2015).C'est ce qu'on peut nommer fabrique
et trafic de l'idéologie de gauche bourgeoise, qui refont l'histoire
au gré des rêveries des bobos et de l'imaginaire gauchiste, tous
des bâtards du stalinisme en somme. Nos amis en vestes jaunes de
Poitiers font la référence à cette Commune imaginaire, subsumée
et glorifiée hors de propos, laissant de côté des expériences
modernes bien plus importantes et significatives tel Octobre 17, et
Allemagne 18. Cela révèle l'ignorance politique considérable de
ces révoltés et l'insignifiance de leur exaltation d'une révolte
petite bourgeoise dans le microcosme national, et totalement creuse
politiquement. J'ai d'ailleurs analysé dans plusieurs articles les
dérives et incongruités politiques de ce mouvement après avoir
tenté d'y participer au début (cf. Giletjaunisme
: Rebel without a cause, sur mon blog leprolétariatuniversel). Je
ne renie pas ce que j'écrivais sous le titre suivant au moment où
on nous fît croire que les petits canards jaunes allaient être
capables de lancer une insurrection :
LA
CULTURE de l'ignorance en gilets jaunes
...
Traditionnellement le putschisme est l'action de fractions de droite
ou de factions d'extrême droite pour empêcher ou suppléer l'action
de masse. Il se confirme bien que le corpus politique dans lequel la
queue du mouvement de protestation s'est enferré provient bien de
l'idéologie d'extrême droite. Cette idéologie ne vise pas à
renverser le capitalisme mais à le pérenniser de manière
autoritaire et en flattant l'impossible et fumeux égalitarisme, même
à l'état de promesse électorale. La « lutte contre Macron »
se résume sommairement en deux slogans imbéciles : la justice
fiscale et le RIC. La « justice fiscale » dans un monde
dominé par la finance corrompue est aussi saugrenue que loufoque. Le
RIC, produit des marges de l'extrême droite, est un gadget
hyper-démocratique grotesque qui ignore la vraie critique du
parlementarisme par le communisme historique et vante un
totalitarisme politique permanent alors que justement le prolétariat
peut se passer de politique au quotidien, et que la délégation sert
à cela... mais pas dans une permanente paranoïa du contrôle des
délégués...1
Le
délire des grandeurs a beau s'emparer d'une foule de Narcisses –
entre radicalisation putschiste et aventure électoraliste - on en
rigole dans les chaumières prolétariennes ou en s'en fiche
tellement ils sont cons ces agitateurs de bistrot « jaune »
(la couleur des traîtres en général ou des cocus). Flatter un
mouvement moribond depuis des mois ne réussit pas plus aux prêcheurs
en eau trouble. On n'a pas oublié non plus les Jean-Luc
Mélenchon et Olivier Besancenot, membre du nouveau parti
anticapitaliste (NPA, tendance fémino-écolo), qui avaient eu beau
faire savoir qu'ils soutenaient l'appel à une «grève générale
illimitée» lancé par le brave Eric Drouet... personne n'a envie de
suivre un ignare et deux de ses admirateurs béats... de jalousie2.
L'idée
de référendum d'initiative populaire date des années 1980 et fit
les beaux jours de Pasqua à Le Pen, les Bachaud et Chouard ont
repris le filon qui s'est imposé sans objection dans la guimauve
gilet jaune.
En
fait il y en a eu deux, l'autre, qui comportait un laïus destiné à
culpabiliser les masses qui n'ont plus envie de suivre une bande de
rigolos ou de se faire crever un oeil par les flics, puis une
injonction au tous ensemble même avec les syndicats véreux, a
disparu de la circulation. Elle était plus perverse que le
lourdingue appel au « colonel ».
Pantalonnade
sans mémoire encore. L’annonce
du recours à l'armée par Macron et sa mise en scène par le
gouvernement, vieille habitude cyclique dans la lutte des classes en
France, avait immédiatement enflammé l’opposition, de
gauche comme de droite. Les réactions critiques s'étaient
multipliées. La myriade des « gilets jaunes » s'était
émue de l’annonce sur les réseaux sociaux, y voyant une nouvelle
atteinte aux libertés. « Jamais
de la vie un soldat français ira tirer sur un civil français sur
le sol français [car] les militaires français sont pour la plupart
des enfants de “gilets jaunes” » avait
assuré casquette à l'envers. L’utilisation
de l’armée lors d’un conflit social n’était pourtant pas une
première. En 1992, Pierre Bérégovoy, alors premier ministre,
avait fait appel aux militaires pour dégager des axes routiers
bloqués par des camionneurs qui protestaient contre l’instauration
du permis à points. Plus de cinq cents soldats, des blindés
légers et un char AMX-30 avaient notamment été envoyés sur
l’autoroute du Nord, près de Phalempin, afin de libérer l’axe
Paris-Lille. L'ex-militaire Benjamin Cauchy lui a carrément rejoint
de camp des souverainistes, adieu Berthe en jaune !
Casquette
à l'envers, Maxime Nicolle, a dénoncé à sa façon les factions
du compromis électoraliste, aussi ignare que son pote Drouet :
"La politique, c'est de la connerie, ça tue l'humain. Vous
n'avez rien compris, et en plus vous prenez les gens pour des cons."
UNE
COMMUNE PAS SI REVOLUTIONNAIRE QU'ON VEUT NOUS LE FAIRE CROIRE ...
La
Commune est d'abord un accident de l'histoire, elle est même
prématurée pour Marx, plus critique comme Elysée Reclus une fois
le temps écoulé. Elysée Reclus fût certes un extraordinaire
savant et militant, mais sa conception du communisme anarchiste, avec
ses trois piliers : la commune, le syndicat et l'association
comme piliers de la société libérée, prête à sourire, moins
quand on voit nos vestes jaunes ressortir ces vieilleries.
Contrairement à ce que lui fait dire Ross, pour Reclus c'est la
ville qui est historiquement un lieu de liberté. Il ne s'emballe pas
non plus comme Kropotkine pour l'exemplarité communarde, d'autant
qu'il y était présent lui comme simple garde. Vingt ans après la
Commune Reclus se montre très sceptique devant l'idéologie
anarchiste, voire hostile, vis à vis des tentatives individualistes
et volontaristes visant à constituer des micro-sociétés
anarchistes, des « milieux libres ». Cette position
contredit toutes les affabulations de Ross avec sa théorie
campagnarde. Les communautés anarchistes d'époque étaient fondées
à la campagne et véhiculaient par conséquent une idéologie
anti-urbaine. Reclus contribue d'ailleurs sur le sujet
dans la revue de Jean Grave - « Temps nouveaux »
(1895-1914) – où il rejette toute tentative de se situer en marge
pour privilégier l'action dans la société réelle : « En
un mot, les anarchistes se créeront des Icaries en dehors du monde
bourgeois ? Je ne le pense ni le désire (…) Dans notre plan
d'existence et de lutte, ce n'est pas la petite chapelle des
compagnons qui nous intéressent, c'est le monde entier ».
Pierre Kropotkine porta un jugement tout aussi sévère sur l'impasse
de ces « communes volontaires » et c'est la position
adoptée par le congrès anarchiste de Londres en 1896 où sont
présents Reclus et Kropotkine.
J'ai
dit dans mon blog que l'écrit tape à l'oeil, artistique et trafiqué
de Kristin Ross ne doit pas effacer les nécessaires critiques du
camp révolutionnaire maximaliste à une expérience, certes riche
théoriquement, mais qui a pris un coup de vieux face aux exigences
d'une révolution moderne, et qui, tout en respectant nos morts, ne
doivent pas zigouiller une énième fois cette expérience en la
réduisant à un culte religieux, à l'aide de quelques graffitis
anarchistes creux
La
Commune de Paris, vantée par tant d’acteurs de cette révolution,
n’en déplaise à Engels et à Lénine, n’est plus exemplaire. Si
je l’écris au XXIe siècle, je ne cache toujours pas que j’aurais
combattu jusqu’au bout avec les Fédérés si j’avais été de
leur temps. Le soulèvement était aussi inattendu qu’il aurait pu
tout aussi bien ne pas se produire. C’est autre chose d’assurer
qu’on peut imiter ou reproduire un tel événement en assurant
qu’après la grève générale fantasmatique on appellera à
« l’insurrection » communarde aussi fantasmatique.
L’appel à la « guerre civile » est le credo de tous les apôtres
inconscients de la « guerre révolutionnaire ». Nulle concession au
pacifisme ici car il faut s’interroger sur pourquoi les révolutions
n’ont jamais vaincu une fois plongées dans des guerres civiles.
Pourquoi dès que la « guerre civile » pointe son nez la révolution
est-elle perdue ? (cf. Commune de 1871, Russie 1918, Espagne
1936). Cela n’excuse en rien la bourgeoisie qui, comme le montre le
livre de Lecaillon, n’hésite pas à massacrer sans vergogne. La
question qui continue à être posée est que la révolution ne doit
pas faciliter la tâche sanglante de la bourgeoisie, qu’elle doit
disposer d’orientations politiques qui lui évite de commettre elle
aussi des atrocités. Qui peut décréter qu’une révolution
moderne ne peut gagner autrement que par les armes face à la
faillite du capitalisme et à ses horreurs ? La Commune, n’est
pas une sainte Bible montmartroise
pour anarchiste romantique ou marxiste bègue, ramenée à ses justes
proportions elle ne doit pas être oubliée parce que trop lointaine,
dans son chaos dégoulinant d’hémoglobine. Elle reste un événement
moderne qui montre trois claires leçons :
1.
la tentative du prolétariat (aussi diffus dans le « peuple »
qu’aujourd’hui dans cette grande ville petite bourgeoise) de
changer et contrôler le pouvoir, sans être encore constitué et
mature pour l’exercer ;
2.
la quasi inutilité de penser que la révolution pourrait l’emporter
sous forme de « guerre (de tranchée) révolutionnaire ». A ce
compte la Commune ressemble plus à Verdun 1916 qu’à Petrograd
1917 ;
- la capacité de déchaînement automatique de la pire des barbaries de la part de la bourgeoisie si la confrontation se passe sur le terrain strictement militaire. (j'analyse longuement cette expérience dans mon article LA COMMUNE ET SES PETITS BRANLEURS.
Je
recommande particulièrement la lutte contre l'ignorance en vous
conviant à lire les 5 ouvrages suivant, surtout celui de Riviale,
boycotté par la gauche néo-stalinienne et les anars à sa suite.
-
La Commune au jour le jour par Elysée Reclus, 1908 (lisible sur le
site de la BNF)
-
La Commune de Paris par William Serman (Fayard)
-
"Paris, Bivouac des révolutions", par Robert Tombs (ed
Libertalia, 2016).
-
Sur la Commune, cerise de sang de Philippe Riviale, L'Harmattan,
2003.
-
Jean-François Lecaillon, Le
souvenir de 1870, histoire d’une mémoire Bernard
Giovanangeli éditeur, 2011.
Et
aussi mon texte de 2013 : LES
COMMUNARDS EN EXIL : DES HERITIERS OU DES VAINCUS marginalisés?
En
2010 sur le blog :
De
l'intérêt du témoignage multiple et
mon livre : « Dans quel Etat est la révolution ? »,
UNE
REVOLUTION PARTIELLE et datée
Dans
son passionnant témoignage « La Commune de Paris au jour le
jour », Elysée Reclus se moque des fantasmes bourgeois pour
une ville débarrassée de la police :
« ...Arrêtons-nous
un instant et constatons le fait : il en vaut bien la peine, il
est peut-être unique dans l'histoire. C'est la plus sérieuse
réalisation de l'anarchie qu'utopiste ait jamais pu rêver.
Légalement, nous n'avons plus de gouvernement, plus de police ni de
policiers, plus de magistrats ni de procès, plus d'huissiers ni de
préfets, les propriétaires s'enfuient en foule abandonnant les
immeubles aux locataires, plus de soldats ni de généraux, plus de
lettres ni de télégrammes, plus de douaniers, de gabelous et de
percepteurs. Plus d'Académie ni d'Institut, les grands professeurs,
médecins et chirurgiens sont partis. Emigration en masse du « Parti
de l'Ordre et des Honnêtes gens », les mouchards et les
prostituées ont suivi. Paris, l'immense Paris est abandonné aux
orgies de la vile multitude, aux frénésies de la masse impure.
Paris est devenu la chose des pillards, des athées, des assassins,
des communistes et démagogues. Les amis du Gouvernement lui
reprochent d'avoir manqué de fermeté. Je crois plutôt que le petit
Thiers a fait un coup d'audace. Sûr et certain que les
révolutionnaires n'auraient rien de plus pressé que de
s'entre-dévorer et s'entre-déchirer ».
LE
SUFFRAGE UNIVERSEL « armé » de la Commune pas très
démocratique...
Elysée
Reclus émet des doutes que l'on peut lire dans son livre publié en
1908 (trois ans après sa mort) sur le fonctionnement qui se met en
place ; les choses sont plus compliquées que les admirateurs
romantiques modernes ne l'imaginent:
« De
fait ce Comité central est presque tout de droit... Or, nous sommes
en révolution, alors que le fait révolutionnaire se substitue à la
légalité antérieure, alors que le droit nouveau prend la place du
droit ancien, les hommes du Comité central sont des hommes
nouveaux : c'est parce qu'ils sont des hommes nouveaux, c'est
pour faire des choses nouvelles qu'on les a fait monter à l'Hôtel
de ville. Ils doivent innover, c'est entendu, mais que doivent-ils
innover, combien doivent-ils innover, là est l'immense difficulté.
Pour préciser la réponse, il faudrait un instinct des plus
délicats, un tact suprême ou bien une analyse des plus savantes.
Comment les demander à ces braves gens dans une occurrence soudaine,
dans une crise bizarre et fantastique ? Fallait-il que le Comité
central s'arrogeât immédiatement tous les pouvoirs ? Faut-il
encore que le Comité central rende à Versailles le coup que
Versailles a voulu porter à Paris ? Parce que Versailles a raté
son coup contre Paris, faut-il que Paris essaie à son tour un coup
d'Etat contre Versailles, sauf à le rater aussi ?
En
dernière analyse, le Comité central, personnification de la garde
nationale, n'est autre chose que le suffrage universel armé, mais il
y a suffrage universel et suffrage universel. Il y a le suffrage
universel en matière civile, ce sont les municipalités , les
mairies des vingt arrondissements de Paris ; il y a encore le
suffrage universel en matière politique, ce sont les représentants
de Paris, lesquels députés ne sont eux-mêmes qu'une fraction de
l'Assemblée Nationale. Il y a donc trois expressions du suffrage
universel, qui formulées en des moments différents, ont des
significations différentes, qu'il est impossible de réduire à une
même formule... ».
Sur
ses vieux jours, le géographe révolutionnaire est plus sévère
sur l'expérience de la Commune parisienne: « On avait eu
le ferme vouloir de transformer le monde, et tout bonnement on se
transforme en simple épicier ». Reclus témoigne de son vécu
pendant la Commune : « Il n'est pas de fonctionnaire de
village qui ne se prenne pour un petit empereur ».
Enfin
la Commune n'a pas été provoquée par une grève générale !
Ni non plus la plupart des révolutions prolétariennes au début du
Xxe siècle ! Imaginaire anarchiste quand tu nous tiens !
La vieille mafia CGT adore ces anars qui viennent roucouler sur son
épaule avec une larme pour les vieilleries du syndicalisme
révolutionnaire évaporé dans les années 1910. Et lorsque vous
vous exaltez avec l'imaginaire de la grève générale, c'est comme
si la société n'était qu'une grande corporation industrielle, que,
pour parodier ce pauvre Lénine, n'importe quelle femme de chambre
pouvait sans avoir fait l'ENA et les cours supérieurs des bonzes
CGT, gérer les affaires d'une société donnée, par exemple la
France avec ses élus de n'importe qui et n'importe quoi, certes
révocables mais pour un programme national néo-stalinien.
L'étroitesse de cette vision corporative, régionale et nationale de
la révolution montre que vous êtes aussi ignare et bête que Drouet
qui étale ses fautes d'orthographes comme des médailles de général
d'armée. Il faut, pour les plus lucides et ouverts d'entre-vous
rester modeste, étudier les programmes et critique du mouvement
maximaliste prolétarien, sinon passez votre chemin et occupez-vous
de picoler aux ronds-points pour meubler votre vacuité. Une
révolution moderne c'est compliqué, même pour moi, qui y fait
quoi ? La révolution en 1905 et en 1917 est prolétarienne ;
pourtant le premier porte-parole du premier Conseil ouvrier est un
avocat. Le génie, certes décrédibilisé, de la problématique
d'une société transitoire, Lénine, était lui aussi avocat...
Toutes les professions ont leurs Conseils à côté de syndicats qui
continuent à exister, pourtant ce sont les Conseils ouvriers qui
auront le plus de poids politique, avant de se faire bouffer par le
parti.
L’exaltation
aléatoire et bovine de la grève générale.
Lorsqu’on
relit Sorel aujourd’hui, on s’aperçoit non seulement qu’il est
au fond, lui, pacifiste, et brouillon mais qu’il discute de la
catégorie « violence » non pas politiquement et en lien
avec l’événement clé sur la question – la Commune de Paris –
mais dans les catégories éthérées d’une philosophie
bergsonienne. Il ne s’agit que d’une apologie symbolique de la
violence. De ce qu'il consacre tout un chapitre de ses
Réflexions à
la « moralité de la violence », il ne s'ensuit pas qu'il
souhaite qu'entre la bourgeoisie et le prolétariat se livrent des
combats sanguinaires. Sorel n'appelle et n'approuve la violence que
d'une manière en quelque sorte virtuelle, en tant qu'elle marque la
volonté d'intransigeance et d’affirmation du prolétariat. Si
cette volonté existe, il suffira de quelques manifestations
concrètes pour la renforcer de temps en temps. Sorel déclare qu'on
peut concevoir « que le socialisme soit parfaitement
révolutionnaire, encore qu'il n'y ait que des conflits courts et peu
nombreux ». Peu explicite. Avec l'idée de grève générale,
Sorel se moque de ses lecteurs intellectuels anarchistes puisqu’il
l’envisage comme un mythe (qu’elle fut et est toujours
effectivement) qui vaut moins comme anticipation du futur que comme
image capable d'exciter les énergies et d'entretenir l'ardeur
combative. Sorel donne l'exemple des premiers chrétiens, qui
attendaient pour une date très prochaine le retour du Christ. Le
mythe apocalyptique joua un rôle capital dans l'histoire de
l'Église, puisqu'il entretint l'exaltation des croyants, soutint
leur énergie, et contribua finalement d'une façon efficace à
l'essor du christianisme. De même le mythe de la grève générale
n'est peut-être point destiné à durer mille ans mais était
supposé permettre la transsubstantiation du socialisme. Puis cette
vogue d’un syndicalisme radical improbable et inutile au
renforcement de l’Etat libérale moderne, s’évanouissant dans
les charmes vénéneux de la Belle époque et les fusillades de
Clemenceau, Georges Sorel fit ses adieux au syndicalisme
révolutionnaire pour s’amouracher le temps d’un été du
bolchevisme.
Le
temps des révolutions du XIXe siècle est passé, se revendiquer de
la Commune n’est plus qu’un anachronisme sentimental pour
anarchiste pratiquant. Il n’y aura plus de leader de la taille d’un
Blanqui en France mais de petits politiciens du rigide Guesde au
brave républicain Jaurès. L’anarcho-syndicalisme s’installe
dans le paysage corporatif en refusant la lutte pour le pouvoir
politique. Le syndicalisme révolutionnaire lui a succédé peu de
temps avant de s’effondrer face au fracas des bombes artisanales et
les lois scélérates, à la veille de la vague révolutionnaire du
début du XXe siècle. Le syndicalisme révolutionnaire fut en crise
en 1908-09, avec la grève
de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges,
violemment réprimée par Clemenceau.
Plusieurs grévistes sont tués, à bout portant, par l'armée.
Clemenceau fait arrêter les principaux cadres de la CGT, absents
lors du Congrès
de Marseille d'octobre 1908.
Avec l'adhésion de l'importante Fédération des métallurgistes,
plus modérée et pragmatique, les syndicalistes révolutionnaires
perdent insensiblement du terrain, ce que les bordiguistes ont assez
bien restitué : « Formé
dans une société au passé rempli de luttes politiques, le
prolétariat français s’est donc épuisé dans des révoltes
sanglantes en vue d’abolir le capitalisme avant que le
développement de ce capitalisme lui en ait fourni la force. S’il a
ainsi écrit les premières pages glorieuses du mouvement qui devait
conduire à la victoire prolétarienne de l’Octobre russe, s’il a
tracé avec son sang les lignes immuables du programme
révolutionnaire de sa classe, il y a perdu une énergie historique
qu’il ne devait plus jamais reconquérir, même quand
l’industrialisation capitaliste fût venue grossir ses rangs de
centaines de milliers d’hommes, et qu’il eut assimilé les
principes fondamentaux du socialisme moderne ».
L’écrasement
puis l’amnistie de la Commune n’ont-ils pas préparé les esprits
à l’Union nationale patriotique de 14-18, plus qu’aux
révolutions russes de 1905 et 1917 ? En France, le poison
nationaliste réactivé avec l’affaire Dreyfus gomme la lutte des
classes sociales et l’horreur répressive de la bourgeoisie
versaillaise et rurale pour ne retenir que la « division des
français » qui aurait permis la victoire allemande et la perte
des deux provinces de l’Est. Ni communiste ni terroriste, la
Commune de Paris avait posé plus de questions qu’elle n’avait pu
en résoudre. Elle avait montré que les conditions de la guerre
civile étaient un des meilleurs moyens pour liquider la révolution,
ce que les jeunes socialistes italiens comprenaient un demi-siècle
plus tard :
« La
révolution contrainte à la guerre : c’est le triomphe commun
des tendances contre-révolutionnaires tant des Empires centraux que
de l’Entente. La guerre est la fin certaine d’une révolution
ouvrière parce qu’elle tue le contenu vital de la politique
socialiste et asphyxie son économie politique ».
On
peut lire avec grand intérêt les commentaires parcimonieux de
l'auteur Lecaillon, qui ressort des trésors malgré tout de
l'expérience malheureuse des communards. Cette parcimonie me plaît
bien. Les intellectuels adorent étaler leurs connaissances
rébarbatives et noyer sous leurs langues de bois, citations et
annotations, le ressenti historique dont nous avons besoin nous les
simples prolétaires du « grand public ». Le lecteur pourra
comprendre mieux que dans tant de catéchismes révolutionnaires
qu’une révolution met en jeu des classes et qu’il ne s’agit
pas de se dire « j’appartiens à la bonne classe donc j’en suis
» ; l’événement est révolutionnaire justement en ce qu’il
brise les classes, et inévitablement en faveur à terme de la classe
la plus exploitée : « Ainsi, le 17 mars, les ressentiments
accumulés contre Thiers s’avérèrent-ils plus forts que les
différences de classe » (p.28). La révolution n’est pas folie
furieuse ni guerre civile aveugle : « Les témoignages font
apparaître une troisième explication, moins visible mais peut-être
plus décisive : la persistance d’un esprit de modération dans une
partie étendue de la population. Malgré les affirmations de
quelques-uns, la terreur ne règne pas vraiment et les Parisiens
étonnés « flânent » dans Paris ! Ils vont aux remparts comme au
spectacle ! En toute civilité, ils se joignent « aux groupes qui
discutent » sur les boulevards ; les plus réactionnaires
reconnaissent eux-mêmes que les fédérés « ne sont pas tous des
canailles ». Il ne faut pas croire les racontars qui circulent en
province, ces rumeurs qui ne peuvent profiter qu’aux extrêmes (…)
Au final, l’analyse attentive des témoignages montre qu’il n’y
a pas d’un côté les ouvriers émeutiers et de l’autre les
bourgeois réactionnaires. Entre Belleville et Versailles la réalité
sociale est tout en nuances, faisant apparaître des bourgeois
modérés d’une part, des gardes nationaux dont les motivations
n’ont rien de révolutionnaires d’autre part ! Dans les rangs des
fédérés se rencontrent des hommes, qui n’adhèrent pas aux idées
de la Commune ; ceux qui dénoncent les réformes n’applaudissent
pas pour autant aux objectifs ou méthodes de Versailles » (p.86).
Dans le mouvement actuel contre la retraite à la carte, il y a tout
de même malgré les cloisonnements les linéaments d'une société
civile qui s'insurge, certes en cordons séparés, contre un Etat
cynique, où avocats et médecins peuvent avancer dans une
manifestation de prolétaires, mais une seule classe possède, encore
confusément, la capacité, par sa nature même, de poser la question
politique essentielle et du comment changer de système, mais à
l'échelle internationale.
Merci
à Jean-François Lecaillon pour ce travail d’exhumation, non pas
impartial – l’impartialité est impossible face aux crimes sans
nom des « versaillais » - mais pour nous rappeler qu’une
révolution se nourrit surtout des débats, des ressentiments et des
sentiments dans l’ensemble de la population, et que si elle doit
vaincre c’est surtout par l’adhésion consciente de l’ensemble
aux orientations politiques qui se fixent la sauvegarde, ou plutôt
la restauration de l’humanité. Merci aussi de nous ramener dans
les lieux terribles, après vous avoir lu je ne me promène plus de
la même façon dans les jardins du Luxembourg en pensant à ce qui
remplissait le bassin ni place d’Italie…
Les
anarchistes qui, en général, se revendiquent aussi de la Commune de
Paris en 1871, ignorent ou oublient qu’elle n’a jamais eu pour
guide le militarisme à tout crin, qu’elle sût composer aussi
comme Lénine plus tard, dans un rapport de forces défavorable. Le
22 mars, par la voix de son délégué aux affaires extérieures,
P.Grousset, le Comité central faisait savoir : « que la
révolution accomplie à Paris (…), n’est en aucune façon
agressive contre les armées allemandes » et qu’eux-mêmes
n’ont point « qualité pour discuter les préliminaires de la
paix votés par l’Assemblée de Bordeaux » (cf .William
Serman, p.221 et surtout p.453).
Contre
ce contenu nocif de la bureaucratisation, Lénine reprit les
enseignements de Marx tirés de la Commune de Paris :
- révocabilité de tous les élus,
- suppression de la hiérarchie (Marx ne pouvait utiliser le mot hiérarchie à son sens moderne) ; Lénine lui n’hésite pas à indiquer, parmi les premières mesures socialistes, qu’il faut enlever aux fonctions de l’Etat « tout caractère privilégié, hiérarchique » (il faut le noter précieusement car il dira tout le contraire au faîte du pouvoir).
La
Commune de Paris de 1871 ne supprime pas la hiérarchie des salaires
même si elle écrête les plus élevés à la Préfecture de police.
La course aux places dans la nouvelle administration y révèle aussi
la contradiction entre spécialistes et arrivistes. Des places sont
acquises en fonction des opinions politiques plus que des capacités
techniques des impétrants.
L’ouvrier
moyen n’est pas une garantie en soi d’absence de carriérisme ou
de visée césariste3.
Bien souvent, les bolcheviks eurent raison de nommer à des postes de
responsabilités des éléments « bien nés » et de ce
fait désintéressés et dévoués sans arrière pensée. Nombre de
futurs bureaucrates profiteurs du nouvel Etat russe avaient été
ouvriers et se la coulèrent douce quand nombre d’anciens étudiants
idéalistes et généreux finirent dans les geôles de Staline.
Rosa
Luxemburg ne traitait pas le prolétariat comme une masse informe.
Dans ses premières phases, et on peut même préciser à chaque
époque, la classe ouvrière est encore « un conglomérat
mécanique des différents groupes de prolétaires ayant des intérêts
identiques mais des aspirations parallèles ». Au cours des
luttes politiques et économiques subséquentes, la classe ouvrière
devient « une
totalité organique, une classe politique animée d’une volonté
commune et d’une conscience commune ». Cette évolution vers
une conscience humaine unifiée dépend également du stade atteint
par le capitalisme qui s’opère : « non selon une belle
ligne droite, mais avec de brusques zigzags, semblables à ceux de
l’éclair. De la même façon que les différents pays capitalistes
présentent les stades de développement les plus différents, de
même dans chaque pays on voit s’établir une différenciation
entre les diverses couches de la classe ouvrière. Mais l’histoire
n’attend pas, patiemment, que les couches et les pays les plus
arriérés aient rejoint les plus avancés pour que l’ensemble
puisse poursuivre symétriquement comme une colonne de soldats
prussiens. L’histoire produit des explosions aux points les plus
avancés, dès que les conditions sont mûres pour cela, et dans la
tourmente révolutionnaire les retards sont ensuite récupérés en
quelques jours ou en quelques mois, les différences sont nivelées,
tout le grès social est parcouru en un moment au pas de charge »4.
Dès
1905, contre tous les trade-unionistes anarcho-syndicalistes d'hier
et d’aujourd’hui, Rosa fait sortir les prolétaires du lieu de
travail mais véhicule encore des illusions anarchistes sur la grève
générale mythique et les barricades du XIX e siècle
« Le
prolétariat industriel des villes est actuellement l’âme de la
révolution en Russie. Mais, pour réaliser comme masse, n’importe
quelle action politique directe, il faut que le prolétariat commence
par se rassembler en masse et, pour cela, il faut avant tout qu’il
sorte des usines et des ateliers, des puits et des hauts-fourneaux,
il faut qu’il triomphe de la dissémination, de la pulvérisation
par atelier, à laquelle le condamne le joug quotidien du capital. La
grève en masse est ainsi la première forme naturelle, impulsive de
toute grande action révolutionnaire du prolétariat. Et plus
l’industrie devient la forme prédominante de l’économie
sociale, plus se fait important le rôle du prolétariat dans la
révolution, plus se développe l’opposition entre capital et
travail, plus aussi les grèves générales doivent devenir
puissantes et décisives. La forme autrefois principale des
révolutions bourgeoises, le combat de barricades, la rencontre
ouverte avec la force armée de l’Etat, n’est dans la révolution
d’aujourd’hui qu’un point culminant, qu’un moment dans toute
la suite de la lutte prolétarienne en masse »5.
Avec
l’éclatement de la guerre de 1914, Rosa a constaté amèrement la
marée du chauvinisme qui n’a pas épargné la classe ouvrière en
Allemagne, nulle grève générale ni barricades non plus ne l'ont
empêché. L’individu comme les masses peuvent se tromper. Qu’on
ne compte pas sur une croyance mystique en la classe ouvrière ni en
son infaillibilité historique. Il ne faut jamais être « déçu »
par le prolétariat pourtant :
« Etre
déçu par les masses »… pour un dirigeant politique, c’est
toujours donner la preuve de son incapacité . Un dirigeant de
grande envergure ne fonde pas sa tactique sur l’humeur momentanée
des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il
s’en tient à sa tactique en dépit de toutes les déceptions et,
pour le reste, laisse tranquillement l’histoire mener son œuvre à
maturité ». Par conséquent, un « dirigeant de grande
envergure » n’est pas automatiquement destiné à tomber au
niveau des exécutants opportunistes…
STRUCTURE
DE PARTI ET STRUCTURE DE L'ETAT (ou ce à quoi vous n'avez pu penser)
Parlons-en
enfin des dirigeants (chez les milliardaires comme chez les
prolétaires). Les soviets russes eurent un aspect indéniable
d'informes parlements ouvriers. Comme dans toute révolution – on
imagine sans mal l'ambiance des assemblées des cordeliers et des
jacobins grâce au film d'Abel Gance – on se trouve face à la
cohue, beaucoup de gesticulations et des décisions qui traînent en
longueur. Quiconque de sensé ne peut reprocher aux bolcheviks de
lutter pour mettre fin au chaos en s’élevant au-dessus de la mêlée
d’assemblées informes où les avis s’enchevêtrent sans
qu’aucune décision ne puisse être prise. On ne peut pas toujours
leur reprocher de s’être laissé enfermer dans la logique
étatique, il faut aussi peser pour un ordre nouveau qui devienne
agora où s’expriment les désaccords mais se prennent les
décisions. Contrairement au syndicaliste qui se cache derrière tout
anarchiste moyen, les bolcheviks ne cantonnent pas l’action de
l’ouvrier consigné à un rôle de décision économique dans
l’usine, mais invoquent sa nécessaire action politique hors de
l’usine, même si celle-ci est subordonnée de plus en plus non à
la défense de la perspective du communisme, mais à la priorité de
la construction de l’Etat national.
En
1923, dans « Cours nouveau », alors que les carottes sont
cuites en particulier parce qu’il a lambiné lui-même aux basques
du « patriotisme de parti », Trotski établit une
curieuse déduction sur le parti dirigeant et l’Etat présumé
dirigé par le parti:
« Le
prolétariat réalise sa dictature par l'Etat soviétique. Le parti
communiste est le parti dirigeant du prolétariat et par suite de son
Etat. Toute la question est de réaliser cette direction sans se
fondre dans l'appareil bureaucratique ».
Bernique,
et ils sont encore des milliers, et parmi vous vestes jaunes
certainement rédacteurs de vos fumeuses propositions, adorateurs du
docteur d'Etat Trotski !
Enfin,
c’est une vieillerie, de type blanquiste fier à bras ou anarchiste
radical, largement répandue que de faire l’apologie de la « guerre
civile » chez tout marxiste moderniste orthodoxe, comme si elle
était inévitable. On lit les termes contradictoires chez Mitchell
dans son article de la revue Bilan (« l’épanouissement de la
guerre civile »). La guerre civile (qui signifie guerre entre
civils), si elle a lieu (si elle n’est pas limitée), n’est pas
un épanouissement, mais bien un des plus sûrs chemins vers l’échec
de la révolution. La Commune de Paris n’est pas une guerre civile,
bien que Marx ait repris laconiquement le terme à la bourgeoisie,
c’est une guerre de civils prolétaires contre une armée
versaillaise. La Garde nationale, composée surtout de prolétaires
pauvres, ne devînt jamais une véritable armée contre l’armada
versaillaise. La plupart des prolétaires en armes restèrent
allergiques au commandement de chefs hiérarchiques, voire à
l’obéissance à des matamores improvisés. Contrairement aux
supputations d’époque et aux délires ultérieurs d’un Trotsky,
la Commune n’avait aucune chance de s’imposer militairement. La
fable de l’isolement et de la préservation de la Banque de France
sert ici aussi à voiler le fond de la question de l’extension
sociale de la révolution.
Merci
à ceux qui m'auront lu jusqu'au bout, et au plaisir de vous
confronter (j'emmerde les jusqu'auboutistes). L'heure n'est vraiment
pas ni à une révolution encore moins à une quelconque
insurrection, mais à la réflexion sans concession.
« Le
plus ignoble mensonge est de dire que l'heure est à la guerre
révolutionnaire, tandis que c'est à l'extermination de tous ceux
qui résisteront, ou bien qui auront « mauvaise allure ».
Philippe
Riviale (Sur la Commune)
4
Masses et chefs, Cahiers Spartacus.
5
Grève générale, parti et syndicats (Cahiers Spartacus 1947).
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