"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

jeudi 2 février 2023

UN LIVRE INDISPENSABLE A L'USAGE DES JEUNES GENERATIONS

 

La sédentarité n'est pas bonne pour la santé, elle est un des facteurs de l'Alzheimer, c'est d'ailleurs
pourquoi j'ai décidé de participer à toutes les manifs, randos moins minables que ces cortèges de vieilles dans les forêts entourant un seul vieux grigou. Je dois en avoir les symptômes puisque j'avais oublié avoir lu le magnifique livre de Lola Miesseroff, comme elle me l'a rappelé elle-même puisque j'avais été présent (et trop partial et dur) lors de la présentation de son ouvrage le 9 mai 2008 à Paris. Je viens d'acheter à nouveau le livre à la librairie Publico et me voilà trouvant ce livre de Lola captivant et émancipateur du triste ronron sur la retraite de monsieur tout le monde . C'est sans doute qu'en vieillissant je deviens moins sectaire. J'avais dix sept ans en 1968 et je me retrouve complètement dans ce livre « collectif », car le mérite de Lola est de ne pas avoir écrit un livre individualiste mais une somme de l'air du temps, qui va à l'essentiel sous tous les aspects qui touchent à cette volonté irrépressible de « changer le monde ». C'est d'une fraîcheur éblouissante, ça respire du début à la fin.

Alors qu'en ce moment les journées d'action c'est « pièges à cons », que les syndicats se divisent déjà après nous avoir joué la comédie du « tous ensemble » unis (et meurtris), que de ce mouvement « de masse » moutonnière et irréfléchie je n'en attends rien. Certainement d'abord parce que menés par des bergers les moutons ne peuvent pas devenir des loups et parce que la perspective de la retraite individualiste et individualisée) est tout sauf une perspective révolutionnaire ni émancipatrice. Que la protestation gagne ou perde elle ne changera rien aux injustices et inégalités fondamentales qui demeureront en l'état.

Revenons à ce livre qu'il faut lire MAINTENANT, pour bien voir la différence avec 68 avec ces traîne-savates sans imagination ni conscience de classe réveillée. Sans être du tout d'un esprit petit-bourgeois ni marginale, l'auteure démolit cet ouvriérisme qui nous était imposé par le stalinisme, le gauchisme d'alors et une frange de l'anarchisme.

Tous les témoignages sont passionnants. Lors de la présentation du livre je me souviens que quelques-uns de mes camarades fondateurs étaient présents, et donc ont fait partie des interviewés. Pourquoi n'ont-ils pas voulu que leurs noms apparaissent ? De paraître aux yeux des gardiens du temple rigidifiés comme comparses d'une anarchiste libidineuse ? Stupide car ce qu'ils ont pu dire est parfaitement intégré et prégnant dans l'ouvrage d'une femme au parcours exceptionnel en même temps qu'historienne révolutionnaire et jamais sectaire.

Je pourrais vous livrer de longues citations pertinentes, indispensables à la compréhension de ce qui ne fût pas une vraie révolution mais un événement « à portée révolutionnaire ».

Je me retrouve dans les préludes en 1967. Au lycée Buffon(voir mon livre « Nous tous les lycéens ») nous étions très cultivés en littérature, probablement que la lecture enthousiaste des Bataille, Artaud, Péret et Breton nous ont mené à la politique, puis l'influence de jeunes militants de Pouvoir Ouvrier. Je n'ai jamais étayé mes actions néo-situationnistes. Par exemple, lors d'une conférence de mouvement dandyste lettriste, nous étions monté Denis Martignon ( mort à New-York il y a cinq ans) et moi-même sur l'estrade de la salle de théâtre où nous avons écrit à la craie sur le grand rideau noir : « Isidore Isou  est un con », puis regardé en silence plusieurs minutes et avec mépris la salle où était assis Isidore Isou.

L'ouvrage de Lola indique à plusieurs reprises la lucidité et la prémonition des personnages de ce groupe politique auquel j'ai consacré, avec enthousiasme, vingt ans de ma vie : REVOLUTION INTERNATIONALE :

« Il y avait Marco, le fils de Marc Chirik, et on se retrouve chez eux. On écoute du Brassens, du Brel, du Bach, Marco joue du piano. On était un cercle d'ados un peu intellos ; révoltés. Je me fais choper par Marc et Marco qui m'interrogent sur mes idées...j'avais dit que j'étais antimilitariste au nom de l'indiscipline, de l'absurdité de la guerre. Ils commencent à me dire : l'armée est au service d'une classe.Je crois que c'est la première fois que j'entends le mot classe, c'est un énorme éclairage ». Super, qui a pu apporter ce charmant témoignage sinon Raoul Victor ou son beau-frère ?

Une révolution qui n'est pas advenue... : « Pour des jeunes comme moi, on croyait vraiment qu'on allait faire la révolution. Je pense que ça a été effectivement un espoir de révolution dans une grande partie de la population. Pas seulement chez les lycéens et les étudiants. Les étudiants étaient les plus cons dans leur version gauchiste réformiste, parce qu'ils croyaient s'opposer au pouvoir gaulliste. En revanche les ouvriers qui ont occupé les usines y ont cru, mon propre père a cru, à un moment, qu'on allait faire la révolution et il s'est mis à haïr le parti communiste, et notamment Marchais, parce que, pour lui, c'était un traître. On pensait vraiment que ça allait déboucher sur la révolution ». (…) Même les anciens se croyaient à l'aube d'une révolution : « Je retrouve Marc (Chirik) dans un café de Saint-Germain au lendemain de la manif où meurt Gilles Tautin, il était avec Jean Malaquais, etles deux vieux étaient totalement euphoriques et hystériques, ils disaient : « les étudiants c'est comme les soldats de la révolution russe ».

Pour 68 il est important de souligner un aspect très révolutionnaire, négligé par les rigides d'une « classe ouvrière avec des oeillères » : la transversalité :

« La contre-révolution, la particularisation, c'est là que ça a commencé, l'isolement dans sa particularité . Après l'échec du mouvement, tout le monde se replie sur sa particularité : « Cétait une critique totale, pas parcellaire. Après, ça a été parcellarisé avec les mouvements qui oen sont sortis, les féministes et homosexuels. La « parcellarisation » et les corporatismes étaient certes déjà présents en mai , avec ces étudiants qui voulaient réformer l'université... ». Elle confirme cette division orchestrée par la classe dominante, un peu plus loin : « les capitalistes ont en même temps segmenté la classe ouvrière entre nationaux et immigrés. Même si ce n'était pas recherché ; et les syndicats ont marché là-dedans à plein tube » (p.212) ; quand, maintenant : « ...les autorités religieuses et étatiques se joignent aux néogauchistes de tous poils pour imposer l'idée d'une communauté et d'une « origine musulmane », niant au passage toute perspective de classe. Et, dans une confusion extrême, taxer d'une même « islamophobie » aussi bien les discriminations subies par le prolétariat (et la bourgeoisie) issu de l'immigration que les critiques des identités religieuses et raciales dans lesquelles on tente de l'enfermer » (p.212)

Description d'un mouvement des femmes superbe, pas débile comme ce qu'on subit aujourd'hui avec la folle Sandrine Rousseau et la clique fémino-réacs de LFI ; des actions qu'on trouve et que je trouve encore géniales : « un groupe de femmes dépose une gerbe sur la tombe du soldat inconnu avec une banderole portant l'inscription : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu:sa femme ».

Revoilou Marc : « En décembre 1967, au moment où Nixon prend toutes les nouvelles mesures économiques, où ils abandonnent l'étalon-or, Marc (Chirik) écrit un article qui était prophétique. Il dit : la reconstruction est finie, une nouvelle période commence, on va vers une nouvelle cris du capitalisme et il y aura un réveil de la lutte de classes. Mais c'est très théorique, comme quand on dit qu'il y a une planète parce qu'on voit la déformation des autres planètes » (p.203).

Innovatrice l'auteure notre une « décomposition » de la classe ouvrière avec l'automation et le bouleversement des mœurs, j'aurais préféré le terme recomposition. Elle montrera plus loin aussi que le thème des Conseils ouvriers a pris un coup de vieux et servi plus à l'idéologie ouvriériste autogestionnaire qu'à une capacité de la future révolution à créer de nouvelles formes toujours avec le souci que ce soit les masses qui contrôlent et pas les généraux syndicaux ou les néo-léninistes de ma grand-mère, qui n'empêcha pas mon père d'être un héros de la Résistance :

« L'idée des conseils semblait faire sens dans le tissu industriel concentré des années 1960 : « Les conseils c'était l'idée de l'époque, une idée qui correspondait à des données objectives, la concentration des travailleurs dans les lieux de travail » (p.231)

Mais Lola, et je le lui dis tout à fait amicalement et sans nous fâcher, ouvre la porte face à laquelle l'auteur du « Précis de comunisation » reste toujours hostile, quoique que les comunisateurs n'aient pas dit que des conneries.

« Au niveau le plus immédiat, l'échec du mouvement de 68 peut être attribué aux syndicats, et surtout à la CGT, qui a « maintenu l'intervention des ouvriers dans son carcan ».

Il est vrai qu'à l'époque la classe ouvrière était encore stable, bien définie, qu'elle restait à la base de tout, mais « tout le mouvement contredisait en même temps cette classe ouvrière qui allait prendre le pouvoir, qui allait être classe dominante ».

Or, ce que ne virent pas nombre de poseurs théoriciens c'est qu'il s'agissait de l'apparition au grand jour d'une petite bourgeoisie déstabilisée par le capitalisme moderne, ce que le CCI par exemple a été longtemps incapable de juger, se restreignant dans la vision binaire bourgeoise/prolétariat. Cette petite bourgeoisie moderne, comme au temps de Marx, en vient à « tomber dans le prolétariat ». Tout le problème avec les scories de 68 et la « contre-révolution » qui a suivi sous les douceurs du libéralisme, c'est que la petite bourgeoisie ne se fond pas ensuite dans le prolétariat, comme Marx en rêvait. Non elle y apporte ses idéologies parcellaires et contestataires apolitiques. Typique de l'artisan et du plouc est en particulier cette idéologie, réimportée aujourd'hui, du « refus du travail », alors qu'en réalité, comme le voit très bien l'auteure, c'est d'un refus et d'une désaffection qu'il s'agit.

Elle conserve ses oeillères. Comme aujourd'hui il lui manque des cases, des neurones dans le cerveau (qui est un veau) ; on la verra nier le prolétariat dans ses milieux anarchistes marginaux se définissant comme nouveaux marxistes, de papier. C'est cette même espèce de petits-bourgeois staliniens et trotskiens qui avant 68 étaient incapables de concevoir une critique de la vie quotidienne à laquelle nous sommes toujours reconnaissant à Debord : « il n'y a pas de politique sans critique de la vie quotidienne », et j'ajoute aujourd'hui en prenant en compte les faits divers qui sont devenus des phénomènes significatifs de la décomposition du capitalisme, mais face auxquels les islamo-gauchistes, avec une case en moins, refusent de prendre en considération, alors qu'ils dont devenus un élément dans la réflexion de la classe ouvrière d'en bas qu'on qualifie de fâchiste pour sa liberté de penser et de refuser la morale racialiste et wokiste.

La principale faillite de la « comunisation », que j'ai amplement dénoncée en son temps, est d'un type réformiste. Il s'agissait pour ces aigris soixantehuitards de jeter le bébé avec l'eau du bain, entendez la classe ouvrière doit s'auto-dissoudre avant la révolution, en même temps qu'une supposée abolition des autres classes. Ce à quoi Marc Chirik et moi-même, répondions : « On ne dissout pas la classe ouvrière avant la révolution car elle a besoin de s'affirmer AVANT, et en sachant que ce sera forcément violent, la bourgeoisie ne voudra jamais se laisser déposséder par des pétitions comunisatrices, elle préférera même, en tant que classe inconsciente aller vers la troisième boucherie mondiale. Nier l'étape du moment violent de la révolution c'est conchier comme utopiques 1871 et 1917.

Après... l'homogénéisation de la société vers une société sans classes sera un long travail ; car Marc ne concevait pas que par après il suffirait de mettre des millions de petits bourgeois dans des goulags.

Et cela Gilles Dauvé l'avait pourtant bien démontré : « Que dès ses débuts, et donc sans « période de transition », une révolution future commencera à transformer les rapports sociaux capitalistes en rapports sociaux communistes : destruction du travail salarié, de la propriété privée, de l'échange marchand, de la division sociale et de la division sexuelle du travail, de l'Etat et tutti quanti » (p.208)

Enfin comme ne pas saluer la conclusion de Lola avec des bisous :

« Quoiqu'il en soit, je maintiens, pour ma part, que la question de la révolution reste d'actualité et qu e la lutte de classes est la seule façon d'éviter que la faillite du capitalisme soit la destruction de l'humanité ».


ci-dessous voilà la bonne "résolution" pas la bonne révolution, 

sauf si vous en doutez!

vv

Après Leclerc, Carrefour reprend les slogans de Mélenchon et du PCF contre la vie chère (pas contre le capitalisme), ou plutôt Mélenchon et cie ont repris 

les slogans publicitaires"révolutionnaires" de la grande distribution...capitaliste!


mercredi 1 février 2023

UN TRIOMPHALISME SYNDICAL QUI SENT MAUVAIS

 

 

 «"Plus vous négociez, plus vous mobilisez la gauche qui pense que vous allez céder, et plus vous démobilisez la droite qui ne comprend plus ce que vous voulez faire. Il n’y avait rien à négocier. Il fallait seulement écouter et informer, c’est ce que nous appelions “concerter". Sarkozy (ce jour au Figaro)

23 km! (aller et retour chez moi) Jamais je n'avais marché aussi longtemps pour une manif, même en 68 où pourtant les motifs étaient plus intéressants que cette palinodie syndicale qui prétend délaisser tout son cortège de corporatismes...maintenus. Cette manifestation du 31 annoncée à grands coups de trompette comme organisée "par départements" fût pourtant bien le même serpent de mer "tous ensemble"de corporatismes à la queue leu-leu avec chacun leur système de retraite paisible. Lequel est régi par "la clause du grand-père" qui ne risque pas de mettre le feu au poudre parce que la jeunesse les vieux grognards syndiqués s'en foutent sinon ils se mobiliseraient pour la révolution. La division, ou plutôt les divisions existantes ne sont ni remises en cause par le gouvernement ni par les mafias syndicales. Des garanties envers le "secteur public", fortement avantagé depuis la guerre, pour les raisons que j'ai déjà explicitées, il n'est nullement question de les appliquer au privé. C'est d'ailleurs pourquoi la prétention des mafias syndicales du "public" à appeler le "privé" à rejoindre la lutte, ou pour tenter de faire croire qu'au cours de cette manif il aurait rejoint les parties syndicales du défilé sont du pipeau; même s'il est vrai que nombreux de ceux "qui n'avaient jamais manifesté" étaient présents, mais devant...dans la pré-manifestation habituelle ! Un article du CCI révèle bien la foutaise des discussions qui tout en semblant de se soucier des plus mal lotis, s'en fichent et dénotent un individualisme corporatif:

"À cela s’ ajoute un « débat » assourdissant sur l’injustice de la réforme pour telle ou telle catégorie de la population. Il faudrait la rendre plus juste en intégrant mieux les profils particuliers des apprentis, de certains travailleurs manuels, des femmes, mieux prendre en compte les carrières longues, etc.Bref, toujours le même piège, pousser à ce que chacun se préoccupe de sa propre situation, tout en mettant uniquement en avant le sort des « catégories » les plus défavorisées face à
cette attaque ! Mais au final, tous ces contre-feux, mis en place durant les trois dernières semaines, n’ont pas fonctionné. Et la combativité exprimée par un à deux millions de manifestants impose
désormais aux syndicats de s’adapter à la situation".

L'unité syndicrate "ensemblière", pour les plus observateurs critiques, se confirme cependant comme une supercherie d'autant que chaque jour on nous informe du ralliement des diverses crapules politiques de la gauche bourgeoise, de la mère Tondelier à la hyène Hidalgo et au furet Jadot, du blaireau Roussel à la belette Faure, sans oublier le putois Mélenchon, as de la palinodie. Des journalistes "spécialistes" vendent déjà la mèche, les syndicats "veulent gagner du temps" (= épuiser les troupes) et de toute manière, dans 50 jours, une fois la réforme adoptée avec ou sans le parlement, les syndicats légalistes CGC et CFDT arguront qu'il faut accepter la légalité en République, quand la CGT hurlera à la trahison pour renforcer son image de marque de syndicat fort en gueule, quoique navré.

Deux défilés...

Immédiatement, au départ à la place d'Italie on aperçoit les noyaux syndicaux avec leurs farces et attrapes:ballons géants, gilets oranges, bleus, jaunes, banderolles officielles avec slogans ad hoc, puis une foule qui oscille qui ne donne pas l'impression de vouloir se laisser domestiquer par les agents de l'Etat en milieu ouvrier. Il y a des corridors qui filent le long des trottoirs, qui cherchent à percer les cordons et attroupements syndicaux et qui se dirigent, comme moi... vers l'avant, ou prennent les rues parallèles pour ne pas avoir à subir cormes de brume et slogans débiles, et se retrouver à l'avant du cortège. La pré-manif est vraiment une autre manif où on respire, on discute et où on sait qu'on est de tous les secteurs, surtout les non encadrés. Ce deuxième défilé je ne le limite pas à l'avant car au milieu du barnum syndical nombreux sont aussi sont celles et ceux, non membres des mafias, qui défilent parce qu'ils se retrouvent là sans reprendre les débile slogans corporatifs ou mensongers.

Un défilé donc, pompeux, rasoir, habituel, qui peut être considéré comme celui de couches moyennes, intermédiaires (...avec le capital) même s'il contient des ouvriers, communaux, techniciens du public, etc. Masse de vieux grigous à cheveux blanchis sous le harnais syndical. Les professeurs trotskiens y dénoncent le "saccage des services publics", dont on n'a que foutre. Des couches qui ont un emploi garanti et une retraite décente, engoncées dans un solide esprit corporatif (qu'on ne peut pas reprocher aux seuls syndicats comme le croit le CCI). C'est statique et stagnant. Aucun projet politique. On discute entre soi. On ne raconte la dernière et comment va Paulette ou Roger, puis l'on s'en va marcher en bramant en choeur ce que le bonze de tête hurle dans le mégaphone. Là on ne réfléchit pas et on ne peut pas réfléchir. Pas de débat car c'est comme à l'armée au 14 juillet, un défilé est un défilé. On marche aux ordres. Les tracts hors norme sont refusés avec dédain voire déchirés sans être lus1. Une chose est sûre une amplification de ces bureaucrates n'est source d'aucun danger, ils stagnent syndicalement et corporativement; et quand un rigolo de SUD intronisé régulièrement en plateau TV vient raconter que les syndicats sont "débordés", c'est du nombre qu'il parle, sans préciser que les débordants ne sont pas derrière ses amis syndicrates mais...devant2.

Tout autre est le deuxième défilé. Lequel double à chaque fois et personne n'en parle. Oui il était au moins le double comparé à la manif du 19. Dans l'ensemble il est silencieux comme pour signifier qu'à cet endroit on réfléchit. On n'ose pas encore tenir des AG de rues, comme en 68, mais ça viendra. Faut penser à provoquer un attroupement, je sais le faire et je l'ai déjà appliqué. J'ai eu plusieurs discussions éclairantes en marchant, confirmant bien des réflexions que j'exprime dans ce blog. Ici on défile tous sans se soucier de corporation ou d'appartenance à un métier. On peut défiler à côté d'un chercheur du CNRS, d'un ouvrier du bâtiment, d'un travail sans papier comme d'un étudiant, voire d'un boulanger ou d'un chauffeur de taxi. Il y a beaucoup de jeunes, non embrigadés dans les corpos étudiantes de bobos de gauche.

Ici les termes de classe ouvrière ne choquent personne. Ici le féminisme débile qui trône dans les médias est méprisé; cf. Discussion avec des techniciennes de Radio-France qui débinaient ces "dames qui en réalité ne font rien pour les femmes battues ni les iraniennes". Ici on parle de la guerre en Ukraine sans prendre partie pour un camp ou l'autre; j'ai été estomaqué quand une dame d'un âge certain (ancienne comédienne du café de la gare) m'explique craindre sérieusement une montée vers la guerre mondiale si le mouvement de classe actuel cesse de se radicaliser comme en 36 qui n'avait fait que précéder 39...

Ici je suis étonné d'entendre tel jeune douter de la "victoire syndicale" et de leurs protestations. Ici les journalistes de télévision sont considérés comme des putes du système. La télévision n'est vue que comme l'entonnoir des spécialistes véreux et des rigolos d'extrême-gauche3 sur un strapontin avec tels pitres de SUD ou de la CGT, seuls habilités à représenter "l'insurrection citoyenne".

L'insurrection citoyenne4... bientôt soumise à l'économie de guerre

Radical à la racine tous ces gens du premier défilé ne sont que des radis du système, rouges à l'extérieur et blancs dessous. Ils parlent "au nom" du "peuple de France", pour "les pauvres" contre "les riches". Outre que cette pâle "insurrection citoyenne" ne vise pas à renverser les meubles (ni Macron), elle n'a aucune alternative sauf l'invraisemblable retour au 60 ans pour la clique hétéroclite et féministe-débile de Mélenchon.

Ce carnaval de la gauche "ré-unie" en surface profite surtout de la soi-disant connerie du gouvernement, qui ne peut pas agir autrement face aux urgences financières . Donc il est impossible de justifier l'absolue nécessité d'une réforme qui permettra au mieux une économie de 20Md€/an, alors que Macron a claqué 560Md€ en deux ans pour financer son "quoi qu'il en coûte", quand le budget de l'état accuse un déficit annuel de 180Md€, et que la dette publique avoisine les 3.000Md€ soit 115% du PIB... Mais je maintiens que cette "urgence" a avant tout pour but de remettre en selle la gauche bourgeoise dans son rôle théâtral oppositionnel.

Cette lutte pour "sauver nos retraites" est en outre tout sauf internationaliste... Certes, il est impossible d’en justifier l'urgence véritable et que personne n'évoque excepté Lutte Ouvrière et Révolution Internationale. Les caisses ne sont pas en déficit et les retraites restent et resteront aussi un serpent de mer pour les décennies à venir, sauf s'il y a la guerre ou la révolution. Il ya quelques jours Macron annonçait l'attribution de milliards pour l'armement français. Où trouve-t-il l'argent? Cette question et son lien avec la nécessité de resserer tous les budgets dont ceux des retraites devrait pourtant interroger tout le monde, et nous élever au-dessus de la banale et insoluble question de ma retraite ou de la tienne; le retraites ne sont pas plus scandaleuses que la hiérarchie ou le chômage non indemnisé. Il faut trouver l'argent pour alimenter les dépenses parasitaires des armées!

Lutte Ouvrière frôle l'astuce:

"Plus grave encore, il y a les bruits de bottes qui se rapprochent avec l’escalade guerrière en cours en Ukraine. Il suffit de voir comment Macron veut passer en force sur les retraites pour comprendre qu’il ne nous demandera pas notre avis pour entrer en guerre. Et pour acheter des missiles, des chars d’assaut et des avions de combat, il ne manquera pas d’argent. Le gouvernement a déjà porté le budget militaire à 413 milliards, soit 100 milliards de plus sur sept ans ! S’il y a la guerre, le gouvernement ne nous volera pas seulement deux ans de retraite, il volera les 20 ans de la jeunesse qu’il enverra au combat. Plus d’injustice, plus d’inégalités, plus de guerres, voilà ce que les capitalistes et leurs serviteurs politiques nous réservent, à nous et à nos enfants !".

REVOLUTION UNTERNATIONALE ((CCI)) va plus loin en expliquant la place prise par l'économie de guerre:

"Le retard pris depuis plusieurs années par la bourgeoisie française pour « réformer » le système des retraites demeure une faiblesse de poids vis-à-vis des bourgeoisies concurrentes. Cet impératif s’accroît d’autant plus que l’intensification de l’économie de guerre impose une intensification inexorable de l’exploitation de la force de travail. Après avoir échoué une première fois en 2019, Macron et sa clique font de cette nouvelle tentative un enjeu pour leur crédibilité et leur capacité à jouer pleinement leur rôle dans la défense des intérêts du capital national".

Et les intérêts du capital national, subordonnés à l'impérialisme américain, sont de fabriquer des armes...avec l'argent du contribuable, surtout prolétaire, de les tester sur le terrain en Ukraine, tout en préparant la population à la guerre (cf. Mon billet sur Macron-Déroulède). On est loin de la défense des retraites, même si l'Etat bourgeois (et tous ses compartiments financiers, politiques et syndicaux) en taisent les dessous.

UNE PROTESTATION REACTIONNAIRE

POURQUOI CETTE LUTTE "ENSEMBLIERE" POUR "DEFENDRE" DES RETRAITES DIVERSES ET INEGALITAIRES EST REACTIONNAIRE?

Parce qu'elle fait dépendre l'avenir de la classe ouvrière et de la société d'exploitation et d'injustice à un avenir meilleur dépendant d'une "retraite juste", "mettant fin à l'injustice", nullement A CHANGER DE SYSTEME ni à penser à une nécessaire révolution. Il me souvient qu'à la veille de 68 se déroulait des manifs pour les retraites et que tout le monde s'en fichait. De plus cette prétention à défendre un avenir "retraitable garanti" fait passer au second plan le plus grave ICI ET MAINTENANT: la précarisation de la vie au travail: "C'est une insécurité généralisée que produit le management du travail moderne"5.

L'urgence des partenaires gouvernementaux et syndicaux est une esquive de la principale urgence DANS LE TRAVAIL ici et maintenant!

Un travail qui devient toujours plus précaire. Un travail qui sépare la classe ouvrière (noyée dans l'euphémisme "couches moyennes") en deux entités: jeunes et vieux, où, comme en ce moment, on semble plus se préoccuper du travailleur vieux en fin de carrière, tout en prétendant "faire un effort" "à l'avenir" pour embaucher les "vieux" de plus de 45 ans! Ici ce n'est pas une question de retraite mais d'actualité de l'infamie patronale et étatique6. Réduire le coût de la "masse salariale" c'est dans la plupart des cas virer quadragénaires et quinquagénaires.

Le présent au travail devient invivable. Les conditions drastiques imposées par le management suppriment toute solidarité de classe dans des conditions de travail infantilisantes. Du coursier au cadre en marketing jusqu'aux enseignants: "Les salariés qui se dopent (à la cocaïne ou au cannabis) le font pour ne pas freiner leurs collègues et garder leur place" (p.144).

La peur de perdre son emploi en conduit beaucoup à des concessions incroyables comme de travailler de façon compulsive de huit à dix heures par jour, avec le lot de mal-être qui suit:, AVC, dépressions, suicides. Un monde à remettre en cause dans l'urgence qui n'est nullement réformable mais une destruction lente et sadique des êtres humains. L'auteure, pourtant apolitique, en démonte bien la trame:

"Le monde qui vient sera-t-il bipolaire? Un monde divisé entre, d'un côté, des multinationales transhumanistes et, de l'autre, des micro-entreprises? Un monde divisé entre des salariés robotisés bien payés et des auto-entrepreneurs précarisés? Aujourd'hui le système ressemble étrangement à l'utopie "Le mailleur des mondes" de Aldous Huxley"7.


NOTES


1L'esprit stalinien demeure chez nombre de gros boeufs CGT, comme je m'en suis rendu compte in vivo. Je diffusais un papier humoristique "éteins la nuit", parodie d'une chanson d'Hallyday, se moquant de la disparition du tarif préférentiel à EDF, mais les mains se fermaient et le regard se faiaait méprisant. Ce n'est pas qu'ils manquent d"humour mais qu'ils sont simplerment cons.

2Le CCI toujours généraliste tient toujours ce genre de discours qui imagine que toutes les parties de la classe ouvrière sont prêtes à discuter: ""Défiler les uns derrière les autres, puis repartir chacun dans son coin est stérile. Pour être véritablement unis dans la lutte, il faut se rencontrer, débattre, tirer ensemble les leçons de la lutte présente et des luttes passées. Il faut prendre en mains nos luttes.Partout où cela est possible, sur les lieux de travail ou ici, sur les trottoirs, sur les places, en fin de manifestation, il faut se regrouper et discuter". Douce rêverie, non ce n'est pas partout que l'on peut discuter, cf. Rappelez-vous les honteuses exactions des ouvriers roumains jadis.

3Lire le très intéressant article de LO sur la scission de la girouette NPA, mais vaut mieux qu'ils ne parlent pas d'eux, LO n'est qu'un petit parti stalinien qui imagine prendre le pouvoir, en tant que parti.

4Expression du putois Mélenchon.

5cf. Danièle Linhart "Travailler sans les autres". D.Linhart nous bassine tout le long avec ce truisme "la valeur républicaine d'égalité", conforme à l'hypocrisie de son frère, principal chef naguère de la secte maoïste "la cause du peuple".

6cf.Violaine des Courières: "L'hexagone n'emploie que 37% des actifs âgés entre 54 et 64 ans, soit 5 points en dessous de la moyenne européenne" (p.151 de "Le management totalitaire".

7"Le management totalitaire"