Ayant
déjà eu l'occasion de me moquer sur ce blog de la prétention
ridicule de la gauche caviar de supprimer le racisme en ôtant le
mot race d'un texte constitutionnel, il m'est apparu nécessaire de
faire le point sur un sujet ignoré ou passé à la trappe par les
derniers résidus groupaux du maximalisme, car dans les forums le
révisionnisme bourgeois se répand dans les têtes chétives. Le
courant maximaliste communiste n'a jamais eu trop de problème avec
la notion de race puisqu'il affirme depuis au moins Marx que le
prolétariat n'a pas de sexe ni de race, car : « Le
travail sous peau blanche ne peut s'émanciper là où le travail
sous peau noire est stigmatisé et flétri ». Ce qui ne
signifie pas qu'il n'y a pas dans l'espèce humaine des sexes
différents, des races différentes, des femmes, des hommes et des
enfants. Le simplisme a toujours nourri la démagogie bourgeoise.
Longtemps
après les textes fondateurs de la révolution française sur
l'égalité des races et après ceux des Nations unies après 1945
corrects sur l'égalité des races, il faut s'interroger sur le
révisionnisme parti des USA sur la notion de races – où d'ailleurs
existent des statistiques ethniques interdites en Europe
– et qui a pour but, non seulement de justifier les
communautarismes avec cette invention d'une seule race, mais surtout
de dissoudre la notion de classe qui, elle, est plus de nature
scientifique que, par exemple, la religion. Marx a peu parlé des
races en son temps (plutôt dominé par une mentalité coloniale ou
des noirs pouvaient se traiter de nègres entre eux et des arabes de
bougnoules), utilisant dans ses courriers privés le terme de nègre,
en particulier une fois pour stigmatiser Lassalle ; nos
révisionnistes bourgeois pourraient donc le traiter de raciste après
coup, or sur le fond il remet la question de la race à sa place,
dans le passage suivant du Capital : c'est dans le cadre de la
lutte de classe que irlandais (cette race de blancs inférieurs aux
anglais) et noirs peuvent s'émanciper :
« « Dans
les États-Unis du nord de l'Amérique, toute velléité
d'indépendance de la part des ouvriers est restée paralysée aussi
longtemps que l'esclavage souillait une partie du sol de la
République. Le
travail sous peau blanche ne peut s'émanciper là où le travail
sous peau noire est stigmatisé et flétri.
Mais la mort de l'esclavage fit éclore immédiatement une vie
nouvelle. Le premier fruit de la guerre fut l'agitation des huit
heures, qui courut, avec les bottes de sept lieues de la locomotive,
de l'océan Atlantique à l'océan Pacifique, depuis la
Nouvelle-Angleterre jusqu'en Californie. Le congrès général des
ouvriers à Baltimore (16 août 1866) fit la déclaration suivante :
"Le premier et le plus grand besoin du présent, pour délivrer
le travail de ce pays de l'esclavage capitaliste, est la promulgation
d'une loi d'après laquelle la journée de travail doit se composer
de huit heures dans tous les États de l'Union américaine. Nous
sommes décidés à mettre en œuvre toutes nos forces jusqu'à ce
que ce glorieux résultat soit atteint ».
Le
problème des races est resté et restera tant que dominera le
capitalisme, ce dernier surfe complètement sur les clivages, les
complexifie quand ses gauchistes en font une lutte primordiale qui
aurait été traitée jusqu'ici comme simplement collatérale par le
marxisme.
Bordiga, notre
brillant architecte d'un communisme sans complexe, expliquait que
pour le communiste il n'y a qu'une « espèce humaine » se
moquait déjà de la prétention du pape, bien avant tous nos
révisionnistes de l'élite « socialiste au pouvoir », à
supprimer le mot race :
« Comme
nous ne sommes ni des métaphysiciens ni des mystiques, nous
acceptons, sans nous couvrir la tête de cendres et sans considérer
que le genre humain a à expier ces souillures, qu'apparaissent et se
développent de mille façons le mélange des sangs, la division du
travail, la répartition de la société en classes, l'Etat, la
guerre civile. Mais ce qu'il y a au bout du cycle, avec un mélange
des races devenu général et inextricable, avec une technique
productive capable d'agir de façon puissante et complexe sur le
milieu environnant au point d'envisager de planifier les phénomènes
à l'échelle planétaire, c'est la fin de toute discrimination
raciale et sociale; c'est une économie à nouveau communiste; c'est
la fin, à l'échelle mondiale, de la propriété individuelle qui
avait engendré les cultes transitoires de ces fétiches monstrueux
que sont la personne, la famille, la patrie. Mais à l'origine,
ce qui caractérise un peuple, c'est son économie et le degré de
développement de sa technique de production en même temps que son
type ethnique. Les dernières recherches portant sur la préhistoire
ont amené la science des origines humaines à reconnaître plusieurs
points de départ dans l'apparition de l'homme sur la terre à partir
de l'évolution d'autres espèces animales. On ne peut plus parler
d'un «arbre généalogique» de toute l'humanité ni même de
différents rameaux de cet «arbre». Une étude d'Etienne Patte
(Faculté des sciences, Poitiers, 1953) a souligné avec efficacité
le caractère insuffisant de cette image traditionnelle. Dans un
arbre, la séparation entre deux branches, grosses ou petites, est
pour ainsi dire définitive, puisqu'en règle générale elles ne se
refondent plus en une seule. L'espèce humaine est au contraire un
réseau inextricable dont les différents rameaux sont constamment
reliés entre eux. En trois générations, c'est-à-dire en un
siècle, chacun de nous a, s'il n'y a pas eu de croisements entre
parents, huit arrière-grands-parents; mais sur mille ans cela ferait
plus d'un milliard d'ancêtres, et pour une durée de six cents mille
ans, correspondant à l'âge probable de l'espèce, le nombre
atteindrait des chiffres astronomiques avec des milliers de zéros.
Il s'agit donc d'un réseau et non d'un arbre. Et en effet, dans les
statistiques de population des peuples modernes, les représentants
des types ethniques purs se trouvent en pourcentage extrêmement
faible. D'où la belle définition de l'humanité comme sungameion,
c'est-à-dire en grec un ensemble où s'opèrent des croisements dans
tous les sens, le verbe gameo indiquant à la fois l'acte
sexuel et le rite nuptial. On en revient donc à la formule un peu
simpliste: le croisement des espèces est stérile, celui des races
fécond.
La
position du pape sur ce point est compréhensible. Rejetant toute
idée de minorité raciale - ce qui est une position avancée du
point de vue historique - il affirme qu'on ne peut parler de races
que pour les bêtes et non pour les hommes. Malgré son souci de
tenir compte des derniers résultats de la science, résultats qui
par ailleurs convergent souvent de façon géniale avec le dogme, il
ne lui est pourtant pas possible d'abandonner l'arbre généalogique
de la Bible qui part d'Adam (encore que celui-ci soit, sur le plan
philosophique, plus hébraïque que catholique) ».
La
question raciale est le top de la mystification capitaliste depuis la
victoire des « démocraties» et de la « démocratie
populaire stalinienne » sur le nazisme, mais parce que le
système a repris globalement la thèse nazie : seule importe la
question raciale !
Laissons
de côté les diverses sectes néo-nazies, il est plus frappant de
voir comment la bourgeoisie mondiale sponsorise les sectes raciales
noires, la problématique islamo-terroriste et sa version néo-nazie
débile des indigestes de la république (les pires) misérable
petite secte dont la surface médiatique est curieusement surexposée,
et dont chaque déclaration disqualifie un peu plus l'idiote qui en
est la figure de proue : « Houria Bouteldja annonçait,
sans son interview aux « Nouvelles questions féministes »
(février 2006), aux « Blancs » qu’ils n’ont
plus ce droit pour très longtemps : «Demain,
la société toute entière devra assumer pleinement le racisme
anti-Blanc. …N’importe quel Blanc, le plus antiraciste des
antiracistes, le moins paternaliste des paternalistes, le plus sympa
des sympas, devra subir comme les autres. Parce que, lorsqu’il n’y
a plus de politique, il n’y a plus de détail, il n’y a plus que
la haine … si vous voulez sauver vos peaux, c’est maintenant.
…demain, il n’est pas dit que la génération qui suit acceptera
la présence des Blancs ».
Et
aussi : « Peur des mots : race »
http://www.exergue.com/h/2008-08/tt/peur-race.html
Et
voir la récup délirante de Marx avec l'invention de « races
sociales » par le PIR... cette micro-secte bien en vue dans les
médias se met à la remorque de l'idéologie américaine dans une
interprétation anti-raciste voire « raciale » des
déterminations que Marx fixe au prolétariat (la racine du mal
l'esclavage... pas le capitalisme), avec ce genre d'inter-titre :
« Marx s’adressant aux ouvriers
blancs : choisissez la solidarité raciale à la solidarité de
classe à vos risques et périls ! », affirmation qui va comme
un gant à la mère Houria et à sa théorie débile qui définit le
blanc comme une sous-merde.
« LE
MOT RACE N'EST PAS DE TROP DANS LA CONSTITUTION FRANCAISE »
Mes notes:
EXTRAITS du texte publié par Médiapart :
« …
Au delà de cette question, les études sur les jumeaux monozygotes
adoptés et séparés à la naissance ont révélé dans le monde
anglo saxon la prévalence du déterminisme génétique sur les
comportements. Et ces comportements constituent sans doute les
précurseurs de la culture. Oui, il y a des différences entre les
peuples humains et on ne voit vraiment pas pourquoi on serait
différent des animaux ! Cet article est révélateur d'une intox de
la pensée à grande échelle. Mais n'oublions pas que tout
scientifique écrivant autre chose sera non seulement traduit en
justice mais démis de ses fonctions et privé de tout crédit pour
ses recherches.
Car
le mot race, on l'a surabondamment montré, ici, n'a pas
fondamentalement une signification « biologique ». Il s'agit
là, au sens strict, d'une « élaboration secondaire ». Son sens
premier est historique et social. Il fait
corps avec la représentation imaginaire d'une substance héréditaire
et d'une structure généalogique des groupes sociaux (qui sont de
plus en plus, à l'époque moderne, des groupes nationaux, des «
majorités » ou des « minorités nationales » actuelles ou
potentielles), et avec la projection des différences sociales dans
un imaginaire de marques somatiques (couleur de peau, conformation
des traits et des membres, etc.). L'idée que race, dans notre
débat, aurait une signification « bio logique » est une
mystification historique. Le terme de race dans son usage moderne,
discriminatoire, a acquis sa fonction et sa valeur avant toute
élaboration « biologique », et il est susceptible de les conserver
par-delà cette élaboration.
Bien
entendu, l'idéologie raciste, à un moment
donné
de son histoire (qui coïncide avec le scientisme et avec la
prétention des nations européennes de classer
différentiellement
et de penser
hiérarchiquement
le monde, l'humanité dont elles faisaient la conquête, qu'elles
réduisaient directement ou indirectement en esclavage, du 18e
au 20e siècle), est elle-même à l'origine de cette mystification,
dont les biologistes ont été à la fois les victimes et, à
l'occasion, les instruments. Raison de plus pour ne pas
reproduire, jusque dans sa critique, l'illusion qu'elle entretient.
Comme « concept », dans le champ de la biologie (non seulement
celui de la biologie humaine, mais celui de la biologie générale) ,
le
terme de race ne relève pas de la théorie scientifique : il relève,
depuis le début, de ce que Canguilhem appelle l'idéologie
scientifique. Il
traduit précisément le fait que le travail scientifique n'est isolé
ni des pratiques techniques, ni des idées politiques et sociales, ni
des élaborations fantasmatiques de l'identité et de l'altérité :
c'est peut-être pour une part , au moins, ce qui a fait son
efficacité, en tout cas, ce qui a fait le ressort de la dialectique
de l'idéologie et de la science dans les disciplines biologiques
[4]L'idéologie
scientifique des races (qu'il s'agisse des « races humaines » ou
des « races animales » de la classification et de la zootechnie)
plonge en effet ses racines dans le concept juridico politique
(voire théologico-politique) de race, qui ne cesse d'en étayer
l'évidence, et qui ressurgit, non par hasard, dans ses «
applications » politiques, et même dans la critique de ces
applications.
Le
concept de race a pu emprunter ses élaborations secondaires aux
successives théorisations de l'histoire naturelle et de l'évolution.
Plus profondément, il est indissociable d'un imaginaire somatique
dans lequel se trouvent projetées les différences perçues ou
instituées dans l'« espèce humaine ». Mais surtout, comme j'ai
essayé de le montrer ailleurs, depuis le début du 19e siècle au
moins, c'est-à-dire depuis la prédominance des Etats-nations, il
est une expression conflictuelle, « ambiguë », de l'identité
nationale et du nationalisme : soit dans la perspective d'une
restriction, d'une « épuration » et d'une « sélection »
de cette identité, soit dans la perspective d'une identification de
la nation avec les valeurs mythiques d'une « civilisation »
supranationale et transhistorique, à la fois « naturelle » et «
spirituelle ». Il est ainsi une expression privilégiée de ce que
j'appelle l’ethnicité
fictive des
groupes sociaux.[5]
«
Supprimer la race » d'un texte constitutionnel n'est donc pas se
mettre en accord avec la science, qui ne sert ici que de couverture,
c'est en pratique dénier l'efficacité et la
réalité historique de l'ethnicité fictive et de la projection
corporelle des différences sociales en tant que
facteur, de discrimination.
Mais
l'ambiguïté tient aussi au fait que l'énumération : « origine,
race, religion » (éventuellement complétée par « croyance »)
est, on l'a bien montré ici même, profondément illogique.
Pourquoi
l'est-elle ? Essentiellement parce que mal construite en tant
précisément que « classification », que « catégorisation » !
Il apparait aussitôt que les catégories ainsi repérées plutôt
que définies ne sont pas, en réalité, disjointes : ni en théorie,
ni surtout en pratique ... N'oublions pas qu'il s'agit d'une
injonction négative, et posons-nous la question : s'agissant par
exemple des individus ou des groupes catalogués comme « Juifs »,
soit qu'ils acceptent, qu'ils revendiquent , qu'ils interprètent à
leur façon ou qu'ils récusent cette désignation, est-ce que la
discrimination dont ils pourraient faire l'objet est ici proscrite au
titre de l'origine
, au
titre de la race,
ou
au titre de la religion
?
La question est évidemment insoluble. Mais n'en va-t-il pas au fond
de même, selon des modalités à chaque fois
diverses, pour ce qui concerne
les « Arabes » ou les « Beurs », voire les « Musulmans »
(désignation qui n'a rien de « purement religieux ») ?[6]
Et pour ce qui concerne les « immigrés », catégorie fourre-tout
qui ne recouvre certes pas tous les « étrangers » installés en
France, mais dans laquelle sont inclus, jusque dans certaines
statistiques officielles, nombre de citoyens français ou d'enfants
nés ici, et avec laquelle sont amalgamés tous les Antillais et
autres Réunionnais « noirs » ?
Cependant,
ces constatations nous amènent à une troisième et dernière
raison. La « redondance » de l'énoncé, si elle a des effets
seconds manifestement dangereux, peut aussi aujourd'hui avoir
un effet positif : c'est elle qui, en effet, nous aura incités à
remettre en discussion les textes constitutionnels. Plutôt que de
procéder à des suppressions qui fonctionneront comme des
refoulements ou des dénégations, il faudrait, me semble-t-il, en
profiter pour essayer d’ouvrir les textes à la
reconnaissance de nouvelles luttes pour l'égalité et au rejet
explicite de discriminations anciennes et nouvelles (voire futures).
On s'inscrirait ainsi dans la perspective d'une politique
offensive des droits de l'homme, toujours étroitement liée aux
droits du citoyen, à la citoyenneté.
Telle
qu'elle est, avec son « impureté » constitutive, l'énumération
actuelle peut être utilisée comme un point d'appui pour des ajouts
qui ne seront sans doute pas plus aisément « définis sables »
que les précédents, mais qui tireront leur portée et leur
intelligibilité des circonstances et de l'histoire. Je me garde
bien, ici, de formuler
des
propositions de rédaction, de peur de tomber dans le petit jeu de la
législation en chambre, mais je voudrais signaler au moins trois
directions qui me semblent d'une brûlante actualité. Les unes sont
rétrospectives, c'est-à-dire qu'elles ont affaire à ce que, en
France du moins, on a tendance à considérer comme des «
survivances ». Les autres sont prospectives, c'est-àdire
qu'elles visent à nous armer contre la persécution de nouvelles «
différences », ou contre l'utilisation des « différences »
anthropologiques pour fonder des discriminations nouvelles en
face desquelles il faut se redonner les moyens de construire
l'égaliberté.Redisons
que ces moyens sont avant tout sociaux
et politiques, mais que la proclamation du droit en
est un moment nécessaire. Il s'agit d'abord de la différence
sexuelle. Nous
n'avons pas le temps ici de revenir sur
l'histoire des tentatives pour introduire
au niveau le plus fondamental de la Constitution une condamnation de
la discrimination entre les sexes, jusqu'à l'échec
encore récent de la proposition Roudy.[7]
Sans doute faudrait-il enfin, au vu de la persistance des
discriminations « sexistes » partout dans le monde (y compris chez
nous) et de la recrudescence d'idéologies notamment religieuses qui
font de l'inégalité de l'homme et de la femme une thèse de
principe, faire
aboutir cette revendication. Sans doute aussi faudrait-il trouver les
formulations permettant d'étendre la condamnation des
discriminations à l'ensemble
des
différences sexuelles individuelles, incluant aussi bien les
comportements que les identités (les uns et les autres étant
d'ailleurs de moins en moins nettement séparés, justement du fait
de certaines avancées de la biotechnologie), en précisant au besoin
les limites
de
cette reconnaissance a contrario (notamment pour ce qui concerne le
domaine des perversions, des mutilations et des violences). Je
rappelle que la France vient d'être condamnée par la Cour de
justice européenne pour certaines discriminations contre les trans
sexuels en matière d'état-civil.
Il
s'agit également, au-delà des questions de sexe, du problème
complexe et redoutable des différences génétiques, qui
surgit aujourd'hui à chaque pas dans le grand champ de ce que Michel
Foucault appelait la « biopolitique ». On peut se poser la question
de savoir si la présence, dans le texte constitutionnel, d'une
condamnation des discriminations fondées sur la race (supposée
non seulement existante mais héréditairement donnée)
constitue vraiment un garde-fou suffisant contre l'ensemble des
pratiques eugéniques dont la limite et les motivations sont
d'ailleurs, à nouveau, ambiguës. A fortiori peut-on se demander si
nous n'avons pas un besoin collectif urgent de nous prémunir, non
pas contre la connaissance théorique et la maitrise au moins
partielle de la transmission du patrimoine génétique des individus,
mais bien contre certains des effets pervers de ce nouveau «
biopouvoir » et des moyens de domination qu'il peut fournir : droit
des individus à la descendance , en dépit des « handicaps »
dont ils peuvent être considérés comme les porteurs ou les
transmetteurs, mais aussi droit des individus à cette propriété
essentielle que constitue la protection, voire le secret, de leur
identité personnelle (ou plutôt de la part de celle-ci qui est «
lisible » dans un génome ou dans une formule sanguine). Là encore
des limitations du droit individuel en fonction des intérêts
de la société sont inévitables (comme ils le sont ou devraient
l'être pour toute « propriété »), mais elles appellent une
définition d'autant plus claire des droits imprescriptibles de
l'individu : songeons non seulement à l'utilisation des «
empreintes génétiques » pour l'identification policière ou les
imputations de paternité, etc., mais aussi, plus banalement , à
l'émergence progressive d'un vaste programme de sélection et
d'orientation des individus en matière d'éducation et d'emploi,
correspondant à ce que j'ai appelé ailleurs le « post-racisme »
(qui prend la suite du biologisme du 19e siècle, en bénéficiant
précisément de la critique scientifique de la notion de race et
de son remplacement pas celle de variabilité
génétique).
Il
s'agit enfin de la question de la nationalité
d'origine. Peut
être est-ce le point sur lequel le texte constitutionnel aurait le
plus immédiatement besoin d'une précision, de façon à anticiper,
sans toutefois les prescrire, sur les refontes inévitables de la «
citoyenneté », et donc sur la conception même des droits de
l'homme qui lui est liée. La fusion historique et la confusion
conceptuelle de la citoyenneté et de la nationalité sont allées si
loin, depuis le début du 19e siècle, que, comme le remarquait
Hannah Arendt dans un texte célèbre l'individu privé de
nationalité ou « apatride » est aujourd'hui à grand peine reconnu
comme un « homme ».[8]
Cette fusion a entrainé l'institutionnalisation massive de la «
préférence nationale » (dont, non par hasard, la propagande
néofasciste en France et ailleurs fait aujourd'hui son cheval de
bataille). A elle seule cette notion exprime le poids des réalités
institutionnelles, inextricablement pratiques et idéologiques, qui
sous-tendent les représentations racistes et xénophobes dans le
monde actuel. Mais l'évolution de la notion du « citoyen » est
inéluctable, comme je le rappelais plus haut : aussi bien dans son
aspect « public » que dans son contenu « social ». Il ne s'agit
donc pas, en renforçant la condamnation des discriminations en
raison de la nationalité d'origine, d'anticiper sur une
redéfinition, moins encore d'imaginer une dissociation pure et
simple des notions de citoyenneté et de nationalité qui n'est pas à
l'ordre du jour. Mais il s'agit, indépendamment
de
cette redéfinition et cependant dans un contexte où les Etats, les
sociétés, ne peuvent échapper à volonté à l'emprise du
nationalisme, de dresser un explicite garde-fou contre toute
idéologie, toute pratique de la « préférence nationale ».
Nous
pouvons alors, en quelques mots, revenir aux problèmes généraux
dont nous étions partis. L'énoncé que nous discutons est, à
l'évidence, un de ceux qui marquent la référence à l'universalité
des droits de l'homme dans le texte constitutionnel. Il représente,
si je puis dire, une des voies de passage du « droit de l'homme »
dans le « droit du citoyen ». C'est aussi, cependant, un énoncé
inscrit dans une Constitution nationale, et dont je rappelle une fois
encore qu'il figure au titre de la Souveraineté ! Or, depuis deux
siècles au moins, la question de la race, de la
discrimination et de la persécution raciales, qu'il s'agisse d'anti
sémitisme ou de racisme colonial et postcolonial, est indissociable
de la question du nationalisme. Un Etat-nation ne peut pas , d'une
certaine façon, ne pas être « nationaliste », et l'entrée
dans une phase de relativisation de la forme nation, surtout si ce
processus doit plus aux impératifs de la stratégie et du marché
qu'à un internationalisme démocratique, ne peut qu'accentuer cette
ten dance. Il n'en est que plus décisif de savoir si et comment
un tel Etat inscrit dans sa propre « loi fondamentale » certains
antidotes et moyens de lutte politico-juridiques contre son propre
nationalisme, et ses effets violents.
Mais
il y a plus. Le colour bar subsiste partout aujourd'hui, si
mal définis que soient ses contours et si contradictoires ses
critères, inextricablement mêlés aux critères de la différence «
culturelle » (ou décrétée telle) : cette moderne « barrière de
couleur » est aujourd'hui mondiale et traverse toutes
les formations sociales « nationales », dont la nôtre. Cela veut
dire, bien loin que les races aient « disparu », qu'elles
ont subi une polarisation radicale. Plus que jamais il n'y a,
au sens fort, que « deux races », dont la marque sociale est
d'autant plus contraignante que la réalité biologique en est plus
fantasmatique : les Blancs (ou les « Nordistes ») et les
non-Blancs (ou les « Sudistes »). Personne en vérité ne
sait exactement ni ce qu'est un « Blanc » ni ce qu'est
un « non-Blanc ». Mais qu'il y ait une ligne de clivage entre eux
est partout perceptible, et cette nouvelle « évidence » ne sera
pas atténuée, bien au contraire, par le « métissage » généralisé
et la circulation mondiale des populations, donc la diffusion des
types physiques rendue possible par l'intensification des
communications mondiales et des phénomènes de migrations.
Souvenons-nous ici de l'exemple analysé précédemment par Michel
Panoff : c'est partout dans le monde qu'il y a tendanciellement des «
indigènes » et des « demis » (les mêmes individus pouvant être
selon les lieux géographiques et les barrières sociales, tantôt «
indigènes » tantôt « demis »...). Et cette différence
ambiguë, qui combine inextricablement la marque sociale avec la
marque ethnique, est de plus en plus amplement projetée en Europe
: l'« apartheid », officielle ment démantelé dans ses
bastions d'Afrique, tend alors à se reproduire partout chez nous de
façon pratique, de façon « soft ». C'est l'une des grandes
frontières intérieures de ce que nous appelons la
démocratie. Et c'est avant tout à cela qu'il faut penser lorsque
nous cherchons à formuler, pour la rendre opératoire et perceptible
aux masses, l'universalité du droit.
Je
crois donc pouvoir le dire à nouveau avec arguments à l'appui : le
mot race dans la Constitution n'est pas « de trop ». Il
serait plutôt insuffisant pour ce que nous avons à
affronter.
Post-Scriptum
(7 novembre 2015): Etant donné le texte de la Convention de Genève
du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qui définit le
réfugié comme «toute personne qui craignant avec raison
d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays», une modification
de la Constitution française sur ce point créerait évidemment une
situation très gênante.
[1]
Bien entendu, je ne veux pas dire ici que les suggestions de
formulations relatives aux droits de l'homme et des citoyens ayant
une portée et une validité transnationale doivent venir uniquement
des Etats ou de mouvements d'opinion publique définis dans un cadre
national. Au contraire, je crois que cette dimension doit être
activée, complétée et, le cas échéant, corrigée par des
initiatives civiques qui se présentent d'emblée comme
transnationales (où les mouvements associatifs pour l'« Europe des
citoyens », ou pour la « citoyenneté méditerranéenne », par
exemple, peuvent aujourd'hui jouer un rôle important). Cela pour
répondre à une question de Pierre Fiala.
[2]
De même que, ne l'oublions pas, les « déclarants » de 1789
avaient déjà été amenés à compléter l'énumération des droits
fondamentaux par celui de « résistance à l'oppression »,
dont il est inutile de rappeler les interminables débats auxquels il
a donné et donne toujours lieu.
[3]
Ce point est crucial, mais il est aussi extrêmement délicat : on
voit dans certaines formulations des mouvements racistes (comme le
Front national) se profiler l'auto-racisation. Dans le
voisinage des slogans qui demandent « la France aux Français » et
des dénonciations de l'antiracisme comme « racisme anti
français », nous sommes à la limite du lapsus révélateur (comme
dans le cas des propositions « négationnistes ») et de l'adoption
explicite d'un programme de racialisation de l'Etat (comme sous Vichy
et dans le Troisième Reich), c'est-à-dire d'un programme de
changement de « régime » et de discours constitutionnel.
N'oublions jamais que, formellement, les régimes dits «
totalitaires » sont aussi des « Etats de droit ».
[4]
Sur la notion d'« idéologie scientifique », cf. Georges
Canguilhem, Idéologie et rationalité dans l'histoire des
sciences de la vie, Paris, Vrin, 1977.
[5]
Voir E. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les
identités ambiguës, Editions La Découverte, 1988 (rééd.
2007).
[6]
Il me faut ici redire ce que j'ai eu l'occasion de soutenir dans la
discussion : la catégorie de « religion » n'est pas plus
logiquement ou scientifiquement définie que celle de race, son
référent « réel » est tout aussi insaisissable ou conflictuel.
Qui définit en effet une « religion » ou une «
appartenance religieuse » (voire une « non-appartenance
religieuse » : car il peut y avoir des discriminations pour non
appartenance, ou non-reconnaissance des traditions religieuses
incorporées à la « culture dominante ») ? Ou encore qui
définit la différence entre une « religion » et une « secte
», et au nom de quels arguments (aux fins par exemple de faire
bénéficier la première de l'égalité des droits dans le cadre de
la « laïcité » républicaine et de limiter, surveiller ou
interdire les activités de la seconde au nom de la protection de la
personne humaine ou du respect de l'ordre public)? Il suffit
d'ailleurs de changer de tradition juridique et d'espace politique,
de passer, par exemple, de la tradition étatique et concordataire
française à la tradition individualiste et subjectiviste américaine
pour constater que ces questions névralgiques y sont posées en
d'autres termes. Si, donc, l'on voulait rigoureusement soumettre, les
termes de la Constitution au critère de la « définissabilité
scientifique », il faudrait ne pas s'en tenir à race mais
remettre aussi en cause « religion » : et il est bien probable
alors que l'immense majorité de nos concitoyens percevraient mieux
la réduction de garantie des libertés que risque de
signifier cet accroissement de scientificité !
[7]
J'ignorais, en préparant cette intervention, les étonnantes
péripéties de la rédaction de la Constitution de 1946 qui ont été
mises à jour par Jean-Jacques Israel. Ce « lapsus objectif » qui
aurait fait passer de l'inscription du « sexe » à celle de la race
a sans aucun doute une signification du double point de vue
du « racisme » et du « sexisme », et suffirait, s'il en
était besoin, à nous rappeler que les deux problèmes ne sont pas
disjoints. Reconsidéré après un demi-siècle, il permet aussi de
compléter la démonstration que nous esquissions plus haut, puisque
la notion de « sexe » à son tour est en train de perdre, sinon son
évidence, du moins sa simplicité psychobiologique.
[8]
L'impérialisme (volume 2 des Origines du totalitarisme),
traduction française, Paris, Fayard, 1982, p. 239 et suiv.
Le
texte le plus intéressant contre le simplisme de la « seule
race », est celui de Perrin sur le site de Catherine Mezetulle
auquel je suis abonné :
http://philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/race.htm
Extraits :
Race,
racisme et police du langage
(…)
La race devant la science
Le premier
argument est celui selon lequel le concept de race est dépourvu de
valeur scientifique – c'est bien du concept qu'il s'agit ici en
effet, et non du mot, en dépit de la maladroite formulation des
honorables parlementaires : un mot, en tant que signifiant
arbitraire, n'a pas à être adéquat à la réalité et ne saurait
donc se voir attribuer ou dénier une quelconque « valeur
scientifique ». À l'appui de leur thèse ils invoquent
l'autorité de François Jacob et d'Albert Jacquard et sans doute
auraient-ils pu appeler à leur rescousse bien d'autres savants qui
contestent, parfois de façon péremptoire, la scientificité du
concept de race. Interrogée le 30 juin 2013 sur France Inter entre
8h20 et 8h30, l'ethnologue Anne-Christine Taylor faisait la
déclaration suivante :
« Quand
l'Unesco après la guerre a voulu mettre un terme à cette terrible
maladie de la raciologie, ce sont les ethnologues que l'Unesco a
convoqués pour essayer de tordre le cou une fois pour toutes à
cette affaire de race. Tout ça, le mot de race, ça n'existe pas, il
n'y a pas plusieurs races humaines ».
En effet
l'Unesco qui avait réuni dès 1949 des ethnologues, anthropologues,
sociologues, psychologues, biologistes, zoologues a publié leurs
contributions dans un ouvrage collectif intitulé Le racisme
devant la science (Unesco/Gallimard 1960). Remarquons d'abord que
cet ouvrage, comme l'indique son titre, prend pour cible le racisme
et non exactement le concept de race. Les thèses cardinales et
récurrentes des articles qui le composent sont les suivantes :
- Il n'y a pas de races
pures, celles-ci supposant un isolement que les migrations, très
anciennes dans l'espèce humaine, ont depuis longtemps rompu en
favorisant au contraire le métissage.
- Les différences
raciales ne sont pas immuables.
- Les différences entre
les êtres humains sont moins importantes que les ressemblances.
- Les classifications ont
toujours un caractère arbitraire.
- Le métissage pourrait
présenter des avantages biologiques.
- On ne peut pas fonder
sur les différences raciales l'affirmation de la supériorité d'une
race sur une autre.
Dire qu'on
ne peut pas partir des différences raciales pour en tirer des
conséquences racistes, ce n'est pas dire qu'il n'y a pas de
différences raciales. Et la proposition Il n'y a pas de races
pures n'est ni grammaticalement ni logiquement équivalente à la
proposition Il n'y a pas de races : tout à l'inverse il
n'y aurait aucun sens à énoncer la première s'il était entendu
que la seconde est vraie. Contrairement à ce que d'aucuns essaient
de leur faire dire aujourd'hui, les auteurs de Le racisme devant
la science n'affirment nullement que les races n'existent pas ni
qu'il faut renoncer à faire usage du mot race. Ainsi Michel Leiris
écrit dans l'article intitulé Race et civilisation :
« On
peut, de surcroît, regarder aujourd'hui comme établi que la notion
de « race » est une notion d'ordre exclusivement
biologique dont il est impossible – à tout le moins dans l'état
actuel de nos connaissances – de tirer la moindre conclusion
valable quant au caractère d'un individu donné et quant à ses
capacités mentales ».1
Dire que la
notion de race est d'ordre exclusivement biologique, ce n'est pas
dire qu'elle n'a aucune signification biologique. Et Leiris poursuit
un peu plus loin :
« Du
point de vue de l'anthropologie physique, l'espèce Homo sapiens se
compose d'un certain nombre de races ou groupes se distinguant les
uns des autres par la fréquence de certains caractères transmis par
la voie de l'hérédité mais qui ne représentent évidemment qu'une
faible part de l'héritage biologique commun à tous les êtres
humains ».
2
(…)
La science, le langage et la politique
Cependant
affirmer qu'il faut supprimer le mot race de la législation ou de la
Constitution pour cette raison que le concept de race n'est pas un
concept scientifique, c'est présupposer une certaine conception des
rapports de la science avec la politique et le droit qui place
ceux-ci sous l'autorité de celle-là, ce qui n'est pas sans
conséquences comme on le verra plus loin. C'est d'abord présupposer
que la législation ou la Constitution ne doivent comporter que des
mots signifiant des concepts scientifiques, ce qui a, il faut bien le
dire, des allures de plaisanterie. Quiconque prendra la peine de
relire les 89 articles de la Constitution de la Vème République
sera bien en peine d'y trouver un seul mot qui satisfasse à ce
réquisit. Tenons-nous en à l'article 1er :
« Elle
(la République) assure l'égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d'origine, de race, ni de religion ».
Le concept
de race n'est pas scientifique, soit, mais celui de religion ?
Pour n'avoir pas à entrer dans une discussion complexe visant à
établir à quelles conditions un concept peut être dit
scientifique, on admettra qu'il doit à tout le moins être univoque
et avoir les caractères que Descartes accorde à l'idée claire et
distincte. Le concept de religion satisfait-il à ces exigences ?
Comme l'observe Étienne Balibar,
« la
catégorie de « religion » n'est pas plus logiquement ou
scientifiquement définie que celle de race, son référent « réel »
est tout aussi insaisissable ou conflictuel (…) qui définit la
différence entre une religion et une secte et au nom de quels
arguments (aux fins par exemple de faire bénéficier la première de
l'égalité des droits dans le cadre de la « laïcité »
républicaine et de limiter, surveiller ou interdire les activités
de la seconde au nom de la protection de la personne humaine ou du
respect de l'ordre public) ? ».
9
Pour s'en
tenir à un seul exemple, rappelons que l’Église de scientologie
qui est une secte en France a le statut d'une religion aux
États-Unis. Et souvenons-nous que pour Descartes l'idée distincte
est « celle qui est tellement précise et différente de toutes
les autres qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît
manifestement à celui qui la considère comme il faut ».
10
Une idée qui n'est pas distincte peut-elle avoir ce que les
parlementaires appellent une « valeur scientifique » ?
L'enjeu n'est pas mince puisque l'article 1er de la Constitution vise
à prémunir les citoyens contre toute discrimination sur la base de
la religion.
En vérité
le langage de la politique et du droit est celui des langues
naturelles. Il n'est pas et il n'a pas à être celui de la science.
Les mots y ont le sens qu'ils ont dans le dictionnaire et
correspondent à ce qui se passe dans le monde humain, aux
représentations des hommes et à la façon dont ceux-ci catégorisent
leurs expériences. Comme le fait remarquer Danielle Lochak
11,
on ne peut attendre de toutes les catégories juridiques qu'elles
correspondent à un découpage objectif de la réalité empirique :
qu'est-ce qui caractérise objectivement les « bonnes mœurs »
par exemple ? Et qu'est-ce qu'un film « à caractère
pornographique » ? Qu'est-ce qui le distingue
« objectivement » ou « scientifiquement »
d'un film simplement « érotique » ? Quand on
soutient, comme le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée
nationale, que « La langue du droit ne doit pas employer celle
des préjugés »
12,
on devrait expliquer en quoi les catégories de « bonnes
mœurs » ou de « pornographie » sont moins
porteuses de préjugés que celle de race (ce qui, certes,
n'arrangerait pas rétrospectivement les affaires de Flaubert face au
réquisitoire de l'avocat impérial Ernest Pinard). Lorsque le droit
constitutionnel parle de la race, il parle de ce qui est reconnu
comme race, de même que lorsque le droit civil parle de la propriété
privée il parle de ce qui est reconnu comme propriété privée. Le
droit n'a pas à dire si la race ou la propriété privée existent
en soi, même si le savant peut nier la réalité objective de
celle-là et même si le philosophe peut contester que celle-ci
existe réellement, soit parce que ayant pour origine l'appropriation
arbitraire d'une propriété en soi collective, elle s'identifie au
vol, soit parce que n'étant ma propriété que dans la mesure où
l’État consent à reconnaître ma possession comme propriété, il
en est au fond le véritable propriétaire.
(…)
Police du langage et novlangue : 1984 en 2013
Le mot race
est donc retiré de la législation sans l'être de la Constitution.
Demain il sera retiré de la Constitution sans disparaître pour
autant de notre droit positif.
28
Quelle importance alors ? Quand on objecte aux partisans de ce
retrait qu'on ne fait pas disparaître le racisme en faisant
disparaître le mot race, ils se récrient qu'ils le savent bien. Le
rapporteur du projet de loi en convient lui-même dans l'exposé de
ses motifs : « sa suppression ne fera évidemment pas
disparaître le racisme ».
29
Le racisme n'aura pas reculé d'un pouce dans cette affaire, mais la
dictature du politiquement correct aura, elle, encore progressé. Il
y a là une passion répressive qui s'exprime parfois sans retenue,
comme en témoigne superbement un article d'une avocate au barreau de
Paris intitulé :
Pour lutter contre le racisme, il faut
lutter contre le racialisme. Celle-ci propose d'introduire dans
la Constitution un article ainsi rédigé :
« Elle
(la France) assure l'égalité de tous devant la loi sans distinction
d'origine ni de croyances, et elle est garante de l'interdiction
absolue de distinguer de prétendues races dans le genre humain, qui
est un et indivisible ».
30
Les
biologistes « très minoritaires », dont Mme
Tuaillon-Hibon regrette un peu plus loin que des quotidiens nationaux
leur donnent parfois la parole, n'auraient alors qu'à bien se tenir.
L'avocate poursuit :
« C'est
donc bien un certain usage du mot qu'il s'agit d'interdire. Car le
sujet est bien là : si on commence à ne plus avoir le droit de
reconnaître l'existence même de « différentes races
humaines », on aura ensuite beaucoup plus de difficultés, il
sera même impossible, d'en consacrer des « supérieures ».
Dans 1984 de
George Orwell, Syme dit à Winston :
« Ne
voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre
les limites de la pensée ? A la fin nous rendrons littéralement
impossible le crime par la pensée car il n'y aura plus de mots pour
l'exprimer ».
31
Et Mme
Tuaillon-Hibon de conclure :
« Le
gouvernement de ce pays (…) s'honorerait (…) en proclamant que
non seulement on ne peut faire de distinction entre de prétendues
« races humaines », on ne peut en dire certaines
inférieures (ou supérieures) à d'autres (…) mais encore, mais
surtout que de telles races dans l'espèce humaine n'existent pas, et
que postuler le contraire est déjà un délit ».
Oui, vous
avez bien lu : postuler le contraire est déjà un délit. Dans
1984 Orwell écrivait :
« aux
yeux du Parti, il n'y avait pas de distinction entre la pensée et
l'acte ».
32
Pour combler
les vœux de Mme Tuaillon-Hibon il ne restera plus qu'à rendre
obligatoire dans les écoles de la République l'enseignement de la
formule Il n'y a qu'une seule race, la race humaine, ce qui signifie
tout bonnement que la subdivision au sein de l'espèce s'identifie à
l'espèce dont elle est la subdivision ou encore que la partie est
aussi grande que le tout dont elle est une partie. Et si l'élève
Alice demande de sa petite voix raisonnable : « La
question est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots
signifient autre chose que ce qu'ils veulent dire », le
professeur Humpty-Dumpty ne manquera pas de lui rétorquer :
« La question est de savoir qui sera le maître … un point
c'est tout ».
33
Il suffisait
jadis de reconnaître l'unité de l'espèce humaine au sein du genre
animal pour écarter l'idée de la supériorité d'une race sur une
autre. Ainsi Thomas d'Aquin distinguait-il déjà les différences,
essentielles, qui dérivent de la forme (raisonnable/non-raisonnable)
et celles, accidentelles, qui dérivent de la matière
(masculin/féminin, homme blanc/homme noir), seules les contrariétés
dérivant de la forme constituant des différences spécifiques :
« Et
propter hoc albedo et nigredo non faciunt homines differre secundum
speciem ».
34
Cela ne
suffit plus à notre modernité dont ce n'est pas le moindre paradoxe
que de chanter les vertus du métissage tout en niant l'existence de
sa condition de possibilité et, plus largement, de faire l'apologie
de la diversité et des différences tout en travaillant à les
effacer de l'ordre symbolique, comme si nous ne pouvions respecter
l'autre qu'à condition qu'il fût de part en part le même,
c'est-à-dire en abolissant en lui toute altérité ».