Le réalisateur Serge Moati, confis de
compassion comme tous les officiels politiciens, a exhibé sur la
chaîne du direct indécent, BFM, sa petite pancarte: "Je suis
Tunis". Ce feuilletonniste comme tous ses semblables
journalistes de gouvernement, venait charrier lui aussi les mêmes
billevesées sur la démocratie attaquée (culturellement et
touristiquement) par les tueurs obscurs de "l'obscurantisme",
terme plus salonard que les sempiternels "djihadisme" et
autres "islam radical" ou "EI" (Daesch comme la lessive). Avant d'analyser
ce nouvel épisode d'une préparation générale crescendo à une
guerre à une tout autre échelle, "nous rassemblant tous"
contre "l'obscurantisme" aussi obscurément financé que
ses anonymes tueurs, il me vient à l'idée d'évoquer l'excellente
étude de B.Geremek – "Truands et misérables dans l'Europe
moderne (1350-1600). La guerre au Moyen âge avait favorisé le
vagabondage, et dieu sait si les combats à l'arme blanche étaient
cruels, nom de dieu! Les compte-rendus quotidiens des massacres terroristes
successifs confèrent au capitalisme moderne – à ce qui se passe
dans le cadre de ce système de domination – un aspect
indubitablement barbare digne des XV e et XVI e siècles. Le tueur
islamiste a un côté "hors-la-loi", surtout pour ses
meurtres de civils qu'il dépouille de leur vie sans honte ni
remords, quoique certains essaient de nous faire gober que ces
assassins rétribués seraient drogués.
UNE ANALOGIE LOINTAINE AVEC LE
VAGABONDAGE DJIHADISTE MODERNE...
"Chaque guerre engendrait des
hors-la-loi. Chaque démobilisation libérait des gens qui, ayant
pris goût à la lutte armée et au brigandage, inclinaient à
continuer les mêmes procédés en dehors des unités militaires
organisées. En temps de guerres, les armées étaient suivies de
masses de maraudeurs et de chenapans; les chefs militaires en
profitaient pour les incorporer, le cas échéant, dans les unités.
Les marginaux et les groupes qu'ils organisaient étaient utilisés
également, d'une manière plus ou moins ouverte, par des groupements
antagonistes au cours de guerres civiles, de conflits locaux et de
"guerres privées". Un historien du XVIII e siècle
ibéro-américain décrit le vagabondage qui s'étend sur les
terrains de pâturages frontaliers où l'errance est devenue un mode
de vie durable (tout comme dans la zone frontalière ibéro-musulmane,
au Moyen Age). Dans ces régions de savanes et de steppes, vivaient
des masses de "gens perdus", comme les appelait, en 1617,
le gouverneur de Buenos Aires, des gens qui tiraient leur subsistance
de la chasse aux bêtes sauvages et, au besoin, du vol de bétail.
Les guerres venaient encore gonfler ce vagabondage frontalier; au
voisinage de chaque théâtre d'hostilités s'installaient des
groupes de vagabonds vivant tantôt du pillage, et tantôt de la
solde mercenaire, prêts à servir la guerre mais n'hésitant pas,
non plus, à entreprendre des actions armées pour leur propre
compte, en engendrant le caudillisme et en allumant des guerres
anarchiques, qui ne sont pas sans rappeler les rebellions cosaques"1.
Les motivations des vagabonds modernes
de l'islamisme moyenâgeux, euroépens ou du cru, nous font doucement
rigoler2,
et sont conformes à l'arriération capitaliste dite démocratique
(sa trilogie: religion parlementaire fourbe, manipulation médiatique
permanente, et inégalités hommes/femmes). On ne devrait plus
s'étonner que la référence à l'islamisme – dans sa mouture
déclinante à la fin du Moyen Age – réapparaisse au moment de la
décadence du capitalisme du XXI e siècle en guerres
tribalo-terroristes avec pour cibles et otages obligés les pauvres
civils et pour contradicteurs "obscurantistes" les groupes
armés tels que l'Etat islamique, les salafistes d'Ansar al-Charia,
le groupe djihadiste Al-Mourabitoun de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar
(qui a revendiqué l'attentat de Bamako), et la brigade tunisienne
d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), Okba Ibn Nafaâ.
Il ne faut pas écouter les
journalistes mués en agences de voyage, la Tunisie n'est pas une
contrée plus pacifique que les autres. Dans les limbes de la simili
révolution le despote Ben Ali avait reçu avec convivialité le
soutien de Madame la ministre sarkozienne Alliot-Marie pour mieux
équiper ses CRS anti-émeutes3.
Notre ami Ben Ali était aussi expert en torture d'opposants que
notre ami le roi du Maroc. L'islamisme soft d'Ennhada au pouvoir n'a
pas fait long feu. Les préceptes du coran sont trop étriqués et
invraisemblables pour un gouvernement moderne; ils ne marchent nulle
part, même pas en Iran où il s'agit plus d'une dictature bourgeoise
terroriste que d'un gouvernement religieux. Ennhada qui avait été
exalté par tous les Bernard Guetta comme signifiant la fin de la
théocratie, est apparu comme un parti bourgeois voulant gérer
l'austérité anti-ouvrière sans encombre et a dû en rabattre
(électoralement); dans mon livre j'écrivais: "Sous le tourisme
et la fabrique des soutiens gorge régnait une moindre terreur que
dans les autres pays d'Afrique du nord. La Tunisie n'est pas un pays
secondaire au niveau industriel. Son prolétariat ne pourra pas
accepter la charia. Plus que dans les autres pays du printemps arabe,
mais quintessence de cette même révolte, l'islam n'a pas été le
référent principal des manifestants, mais des revendications très
"laïques", une démocratie réelle, plus d'espoir, plus de
travail"4.
Mais après la fuite de nombreux
prolétaires tunisiens vers Lampedusa, ne restait-il qu'à s'engager
dans la lutte "obscurantiste" dans telle ou telle bande
armée islamiste? Avec la dénonciation-exhibition des crimes
"obscurantistes", la démocratie bourgeoise pleurnicheuse
ne reconnaitra jamais que le "réservoir de main d'oeuvre"
du croissant arabe l'indispose, parce que ce réservoir déborde
franchement. Il ne s'écoule plus lentement ou goutte à goutte comme
aux beaux temps de la décolonisation mais il est un torrent humain
qui fuit la guerre entre l'étau du désert algérien et la Libye en
plein chaos. Torrent de sang aussi des guerres pour le pétrole
capitaliste, pour les bagarres entre petits, grands et micros
impérialismes.
Derrière le "crime terroriste",
il y a la question sociale. Non pas que le nihilisme terroriste soit
la solution ou qu'il ait la moindre chance d'embrigader les
prolétaires conscients, mais d'une part, du fait que la Tunisie n'a
pas réussi à relancer son industrie du tourisme et que d'autre part
le nouveau Parlement et le nouveau gouvernement n'ont pas plus de
solution à la misère que l'ex-premier gouvernement Ennhada,
l'attentat meurtrier dans le grand musée de Tunis vient à point
pour désigner l'obscur ennemi "obscurantiste" et lui faire
porter le chapeau du marasme du secteur du tourisme et conforter la
croyance en un parlementarisme obligeant quoique aussi fourbe que
l'européen.
Le mot progrès n’existait pas au
Moyen Age. Et le concept de progrès ne veut plus rien dire dans le
capitalisme mondialisé made in pensée occidentale décomposée. Il
y avait un semblant de progrès dans l'argumentation des commis
d'Etat tunisien lorsque l'un d'eux déclara que toutes les dictatures
de la région ont leurs propres bandes terroristes. Le financement du
terrorisme soit disant par l'argent de la drogue ou la vente à la
sauvette de bidons de pétrole pompés sur des derricks de fortune
(ou même la revente d'antiquités syriennes) finissant par ne plus
abuser le public, on apprend de drôles de choses: par exemple que
l'Etat d'Afghanistan, ou ce qui en tient lieu, a refilé à la bande
Al-Qaïda un million de dollars d'un fonds secret de la CIA (rançon
d'un diplomate libéré en 2010); la duplicité de la bourgeoisie Us
n'a dégale que sa consoeur britannique.5
Cette info relayée par toute la presse
est illustrée dans le Courrier international par un dessin qui
représente l'oncle Samuel manipulant deux tanks mais avec des bras
croisés.
Les diplomates tunisiens n'ont pas bramé
"je suis Charlie", mais affirmé la continuité de "nos
valeurs" après Paris et Copenhague (les attentats précédents):
"on y arrivera pas tout seuls", "faut une réponse
globale", "plusieurs nationalités ont été touchées"
dans "notre" guerre contre "l'obscurantisme". Le
meilleur a été tout de même le papy président de la Tunisie qui a
conclu: "dieu est avec nous". Allah Akbar!
Qu'on se le dise, la guerre suit son
cours.
Est-ce que le prolétariat tunisien
comme le prolétariat mondial, sans soubassements économiques, sans
rien posséder contrairement aux artisans des villes du Moyen Age,
saura faire sauter le capitalisme et ses divers terrorismes, dans le
sens des analogies respectables de notre bon maître Engels? Qui
sait?
"Tandis que les luttes sauvages de
la noblesse féodale régnante emplissaient le moyen âge de leur
fracas, dans toute l'Europe de l'Ouest le travail silencieux des
classes opprimées avait miné le système féodal; il avait créé
des conditions dans lesquelles il restait de moins en moins de place
aux seigneurs féodaux. Certes, à la campagne, les nobles seigneurs
sévissaient encore ; ils tourmentaient les serfs, ne soufflaient mot
de leur peine, piétinaient leurs récoltes, violentaient leurs
femmes et leurs filles. Mais alentour s'étaient élevées des villes
: en Italie, dans le midi de la France, au bord du Rhin, les
municipes de l'antiquité romaine, ressuscités de leurs cendres ;
ailleurs, notamment en Allemagne, des créations nouvelles ; toujours
entourées de remparts et de fossés, c'étaient des citadelles bien
plus fortes que les châteaux de la noblesse, parce que seule une
grande armée pouvait les réduire. Derrière ces remparts et ces
fossés se développait - assez petitement et dans les corporations -
l'artisanat médiéval, se concentraient les premiers capitaux,
naissaient et le besoin de commercer des villes entre elles ainsi
qu'avec le reste du monde, et, peu à peu également, avec le besoin,
les moyens de protéger ce commerce. " Engels (1884)
1Poursuivons
l'analogie en continuant la citation: "...Ce genre de
vagabondage nous montre les groupes marginaux sous leur aspect
dangereux pour l'ordre public. C'est d'ailleurs l'argument qu'on
allègue pour adopter également des mesures de répression à
l'égard du vagabondage intérieur. Mais, sur ce chapitre, se pose
avec force le problème du travail, inscrit dans la perspective de
naissance de la société industrielle". Et donc la limite de
l'analogie car le vagabond de la fin du Moyen Age devait et finit
par être intégré à la production capitaliste naissante alors que
la vagabond islamiste est totalement suicidaire.
2Ce
sont les trois déficits classiques de l'islam lors de sa régression
à la fin du Moyen Age: soumission à l'autorité (contre toute
liberté), culte de l'ignorance coranique et statut inférieur des
femmes. A la veille de l'éclosion du capitalisme, le déclin arabe
s'explique par l'étouffement progressif de la liberté de penser
(et de s'habiller...) et le monde musulman ratant le coche des
nouvelles technologies devient un cul de sac commercial; cf Marx et
Braudel sur l'économie de bazar (et lire l'excellent article de
Jacques Brasseul: "Le déclin du monde musulman à partir du
Moyen Age", sur le web). L'islam est resté proche de
l'Antiquité – il est né au VII e siècle – et a perpétué
l'esclavage, ce qui lui a été fatal; le maintien de l'esclavage
signifait la stagnation technique et économique et donc un obstacle
majeur au "progrès" capitaliste... pour toute une époque,
ce que n'a pas compris ce pauvre René Guénon, franc-mac tard
converti à l'islam.
3Le
gouvernement Hollande va pouvoir équiper à son tour les forces
anti-émeutes tunisiennes, tout comme il s'engage à contrôler les
comptes en banque des terroristes...
4L'immigré
fataliste et sa religion policière, p.269.
5David
Cameron a demandé récemment, expressément, d'enterrer un rapport
controversé sur les Frères musulmans en GB. L'enquête des
services spéciaux M15 et M16, devait, comme un vulgaire sondage,
conclure que les Frères musulmans "ne sont pas une
organisation terroriste"... pour ne pas froisser ces chers
alliés que sont l'Egypte, les Emirats arabes unis et l'Arabie
séoudite. Or les services secrets avaient établi le contraire et
argumenté qu'il fallait faire le ménage dans cette nébuleuse en
"relation ambiguë avec la violence et un impact douteux sur la
cohésion sociale en GB". Il faut toujours ménager les
généreux bailleurs de fonds, financiers directs de l'obscurantisme
"djihadiste": Qatar, Turquie, Arabie séoudite, etc. Pour
la perfide Albion!