"L'idée que le capitalisme pourrait tout simplemen,t s'effondrer, comme par exemple l'Union soviétique, n'est pas vraiment pertinente. Elle impliquerait une transition soudaine de l'existence à la non-existence, en quelques années seulement. Si l'Union soviétique a pu cesser d'exister du jour au lendemain, c'est parce qu'il s'agissait d'une structure institutionnelle spécifique - un Etat - et que sa forme juridique pouvait être dissoute. Dans le cas du capitalisme, on n'a pas une situation strictement analogue.
En tant qu'Etat, l'URSS fonctionnait comme une espèce de firme, et c'est d'abord cette firme qui a égté démantelée. Bien entendu la dissolution de cette structure juridico-politique a également entrainé des modifications radicales dans les autres rapports de pouvoir et les activités poratiques en vigueur en URSS. Pourtant, de nombreuses institutions liées à l'Etat soviétique ont continué d'exister apryès sa chute sous une forme plus ou moins modifiée. Le statut juridique et institutionnel de la ville de Moscou au sein de la fédération et de la république de Russie, par exemple, n'est pas totalement différent de ce qu'il était sous l'Union soviétique. Gazprom en revanche a connu des changements plus profonds. Avec sa création en 1989, le statut juridique et le système d'exploitation de l'industrie du gaz russe ont été complètement restructurés. Au lendemain de la dissolution de l'URSS, en 1992, Gazprom a été privatisé et fonctionne depuis comme une société anonyme. Après une phase de démembrement de ses actifs dans les années 1990, il a égté partiellement reconstitué et mis sous le contrôle de l'Etat pendant la première décennie des années 2000. De la même façon, on pourrait tracer une longue liste de continuités et de transformations partielles.
Quoiqu'il en soit, il est très instructif de lire le chapitre de Derluguian sur la façon dont l'URSS pouvait être considéré comme une entité stable et durable pratiquement jusqu'à la veille de sa chute. On aurait tort d'envisager l'avenir uniquement en termes de projections linéaires, sans tenir compte d'évdentuelles discontinuités fortes. (...) Mais nous devons reconnaître qu'il n'existe pas d'équivalence simple entre l'Union soviétique et le socialisme, et donc pas d'analogie directe avec le capitalisme. Il s'agit de quelque chose d'un autre ordre et de plus spécifique.
Et il en va ainsi que nous analysions le capitalisme comme un ensemble d'activités pouvant être pratiquées par des capitalistes partout dans le monde ou comme un système économique reliant entreprises, marchés, investissements et main-d'oeuvre à l'échelle planétaire. Le capitalisme est une formation historique ancrée dans un ensemble de réseaux de pouvoir, pour reprendre le lexique de Michael Mann. Il existe depuis 400 ans principalement sous la forme du système-monde moderne analysé par Immanuel Wallerstein. Il s'agit d'une organisation hiérarchique à plusieurs niveaux d'intégration asymétriques au sein de laquelle les unités primaires sont les Etats-nations et où les acteurs économiques sont étroitement dépendants de leurs relations avec le pouvoir politique et les conditions qu'il instaure.
Certes l'idée d'Etat-nation est plus un horizon idéal qu'une réalité; l'identité socio-culturelle n'est jamais complètement alignée sur les institutions gouvernementales. L'intégration économique peut parfois elle-même stimuler l'intégration nationale et il ne fait pas de doute que les gouvernements sont eux aussi influencés par certains acteurs économiques majeurs. Pourtant, même s'il s'agit en partie d'une fiction, l'Etat-nation est une unité formelle indispensable au bon fonctionnement des affaires mondiales et qui se reproduit par isomorphisme politique. D'ailleurs, la plupart des organisations internationales sont littéralement "inter-nationales", à savoir structurées par une participation, organisée au niveau national. Et l'infrastructure du capitalisme dépend fortement de ce type d'organisation étatique nationale, dans la mesure où c'est elle qui fournit les bases juridiques et financières de l'activité des firmes et des marchés et qui régit ou produit les paramètres de la gestion de l'interdépendance entre les différentes entreprises, les différentes industries et les différents secteurs. En organisant les structures d'appartenance sociale et culturelle, même de façon imparfaite et parfois par le biais de la régulation des marchés, les Etats prganisent la main-d'oeuvre, les marchés de la consommation et la confiance. On peut sans doute considérer le terme d' "Etat-nation" comme une notion sténographique exprimant "les efforts pour organiser les modes d'appartenance politique et socioculturelle en termes d'Etats-nations", mais le fait est que l'ère du capitalisme et l'ère des Etatqs-nations coïncident complètement. Il n'existe pas de capitalisme "réel" quel que soit son degré de mondialisation, qui ne soit conditionné par cette organisation politico-économique et socioculturelle. Il ne faut pas oublier que la prospérité et la soutenabilité du système capitaliste existant dépendent des Etats-nations et des structures d'opportunité institutionnelles qu'ils suscitent. Or ces structures ont besoin d'être renouvelées ou remplacées, mais depuis quarante ans les pays de l'OCDE se sont détournés de cette tâche et ont préféré saper les institutions traditionnelles de l ' "Etat providence". Obsédés par la réduction des coûts et la poursuite de la compétitivité immédiate, ils ont négligé le bien-être et la sécurité à long terme de leurs populations ainsi que les investissements collectifs nécessaires pour participer à la vie économique de demain.
Pour autant, on ne peut pas dire que la plupart des vieux pays capitalistes d'Europe ou des colonies de peuplement européennes soient au bord de l'effondrement. Le service national de santé britannique fonctionne toujours, même s'il coûte de plus en plus cher et met en danger le budget de l'Etat. On observe même une amélioration tardive de l'offre de santé aux Etats-Unis, en particulier pour les millions de personnes qui ne sont pas couvertes par leur employeur.(...) Il est possible que le capitalisme s'éloigne de plus en plus d'un état d'équilibre. On peut interpréter ce phénomène comme une "bifurcation" irréversible d'un système quasi naturel (...) comme un déficit de régulation, de stratégie entrepreneuriale et de prudence des investisseurs sur des marchés financiers chaotiques, ou bien tout simplement comme un manque de coordination institutionnelle entre des secteurs dispersés aux intérêts divergents. Il peut s'agir aussi d'une incapacité de redistribuer la richesse de façon suffisamment large pour cfréer une demande correspondant à l'augmentation de la productivité, conséquence possible du tarissement de la création d'emploi envisagé par Collins (...) Quelle que soit la dynamique sous-jacente, cette tendance au déséquilibre augmente les coûts de cohésion du système, accroît les pressions politiques et engendre des tensions sociales. C'est en tout cas là une façon d'interpréter le sens du terme "crise", et plus le déséquilibre est grand, plus les mesures nécessaires pour rétablir l'équilibre seront difficiles et coûteuses.
Pour autant, je ne pense pas que le capitalisme risque de s'effondrer. Il pourra perdre une partie de son emprise sur le cours de l'évolution sociale, laissant plus de marge d'organisation propre à la politique, économique et sociale, mais l'image de l'effondrement est trompeuse. On peut certainement dire que l'Empiore romain s'est effondré, par exemple, mais il est intéressant d'observer que cet "effondrement" est un processus qui s'est étalé sur plus de deux siècles, et pas une brève crise unique.
Qiuant au féodalisme, dire qu'il se serait effondré et aurait donné naissance dans la foulée au capitalisme moderne - comme le suggère le Manifeste communiste - me paraît nettement moins crédible. En premier lieu, le féodalisme n'avait pas le caractère "systémique" que revêt le capitalisme moderne. Mais, surtout, on ne peut pas identifier un moment spécifique d'effondrement des relations féodales et des institutions qui leur sont liées. Le long décmlin de ces relations était associé à un processus de construction étatique, de conflits armés, d'innovation aghricole, de développement du commerce mondial et de renouveau religieux (en particulier avec la Réforme protestante) qui a duré au moins 300 ans. On ne peut donc parler de simple effondrement. Le déclin du féodalisme a entrainé une profonde transformation de l'Eglise catholique, qui n'a plus jamais joué le même rôle par la suite, mais qui a tout de même survécu. Beaucoup de monarchies ont disparu, mais pas toutes; certaines d'entre elles ont réussi à évoluer suffisamment pour pouvoir se maintenir - en jouant un rôle parfois important - à une époque qui ne peut plus guère être désignée comme féodale.
De la même façon, la fin de l'ère capitaliste, à supposer qu'elle se produise, risque d'être un processus tumultueux, inégal et difficile à cerner de l'intérieur. Certaines institutions lui survivront, y compris probablement de nombreuses entreprises privées, qui ne cesseront pas nécessairement de produire, de commercer oiu de spéculer simplemengt parce que le capitalisme aura cessé d'être la force motrice de l'époque. Acheter bon marché, vendre cher, voilà une impulsion bien antérieure à l'émergence du capitalisme et qui lui survivra probablement très longtemps."
En tant qu'Etat, l'URSS fonctionnait comme une espèce de firme, et c'est d'abord cette firme qui a égté démantelée. Bien entendu la dissolution de cette structure juridico-politique a également entrainé des modifications radicales dans les autres rapports de pouvoir et les activités poratiques en vigueur en URSS. Pourtant, de nombreuses institutions liées à l'Etat soviétique ont continué d'exister apryès sa chute sous une forme plus ou moins modifiée. Le statut juridique et institutionnel de la ville de Moscou au sein de la fédération et de la république de Russie, par exemple, n'est pas totalement différent de ce qu'il était sous l'Union soviétique. Gazprom en revanche a connu des changements plus profonds. Avec sa création en 1989, le statut juridique et le système d'exploitation de l'industrie du gaz russe ont été complètement restructurés. Au lendemain de la dissolution de l'URSS, en 1992, Gazprom a été privatisé et fonctionne depuis comme une société anonyme. Après une phase de démembrement de ses actifs dans les années 1990, il a égté partiellement reconstitué et mis sous le contrôle de l'Etat pendant la première décennie des années 2000. De la même façon, on pourrait tracer une longue liste de continuités et de transformations partielles.
Quoiqu'il en soit, il est très instructif de lire le chapitre de Derluguian sur la façon dont l'URSS pouvait être considéré comme une entité stable et durable pratiquement jusqu'à la veille de sa chute. On aurait tort d'envisager l'avenir uniquement en termes de projections linéaires, sans tenir compte d'évdentuelles discontinuités fortes. (...) Mais nous devons reconnaître qu'il n'existe pas d'équivalence simple entre l'Union soviétique et le socialisme, et donc pas d'analogie directe avec le capitalisme. Il s'agit de quelque chose d'un autre ordre et de plus spécifique.
Et il en va ainsi que nous analysions le capitalisme comme un ensemble d'activités pouvant être pratiquées par des capitalistes partout dans le monde ou comme un système économique reliant entreprises, marchés, investissements et main-d'oeuvre à l'échelle planétaire. Le capitalisme est une formation historique ancrée dans un ensemble de réseaux de pouvoir, pour reprendre le lexique de Michael Mann. Il existe depuis 400 ans principalement sous la forme du système-monde moderne analysé par Immanuel Wallerstein. Il s'agit d'une organisation hiérarchique à plusieurs niveaux d'intégration asymétriques au sein de laquelle les unités primaires sont les Etats-nations et où les acteurs économiques sont étroitement dépendants de leurs relations avec le pouvoir politique et les conditions qu'il instaure.
Certes l'idée d'Etat-nation est plus un horizon idéal qu'une réalité; l'identité socio-culturelle n'est jamais complètement alignée sur les institutions gouvernementales. L'intégration économique peut parfois elle-même stimuler l'intégration nationale et il ne fait pas de doute que les gouvernements sont eux aussi influencés par certains acteurs économiques majeurs. Pourtant, même s'il s'agit en partie d'une fiction, l'Etat-nation est une unité formelle indispensable au bon fonctionnement des affaires mondiales et qui se reproduit par isomorphisme politique. D'ailleurs, la plupart des organisations internationales sont littéralement "inter-nationales", à savoir structurées par une participation, organisée au niveau national. Et l'infrastructure du capitalisme dépend fortement de ce type d'organisation étatique nationale, dans la mesure où c'est elle qui fournit les bases juridiques et financières de l'activité des firmes et des marchés et qui régit ou produit les paramètres de la gestion de l'interdépendance entre les différentes entreprises, les différentes industries et les différents secteurs. En organisant les structures d'appartenance sociale et culturelle, même de façon imparfaite et parfois par le biais de la régulation des marchés, les Etats prganisent la main-d'oeuvre, les marchés de la consommation et la confiance. On peut sans doute considérer le terme d' "Etat-nation" comme une notion sténographique exprimant "les efforts pour organiser les modes d'appartenance politique et socioculturelle en termes d'Etats-nations", mais le fait est que l'ère du capitalisme et l'ère des Etatqs-nations coïncident complètement. Il n'existe pas de capitalisme "réel" quel que soit son degré de mondialisation, qui ne soit conditionné par cette organisation politico-économique et socioculturelle. Il ne faut pas oublier que la prospérité et la soutenabilité du système capitaliste existant dépendent des Etats-nations et des structures d'opportunité institutionnelles qu'ils suscitent. Or ces structures ont besoin d'être renouvelées ou remplacées, mais depuis quarante ans les pays de l'OCDE se sont détournés de cette tâche et ont préféré saper les institutions traditionnelles de l ' "Etat providence". Obsédés par la réduction des coûts et la poursuite de la compétitivité immédiate, ils ont négligé le bien-être et la sécurité à long terme de leurs populations ainsi que les investissements collectifs nécessaires pour participer à la vie économique de demain.
Pour autant, on ne peut pas dire que la plupart des vieux pays capitalistes d'Europe ou des colonies de peuplement européennes soient au bord de l'effondrement. Le service national de santé britannique fonctionne toujours, même s'il coûte de plus en plus cher et met en danger le budget de l'Etat. On observe même une amélioration tardive de l'offre de santé aux Etats-Unis, en particulier pour les millions de personnes qui ne sont pas couvertes par leur employeur.(...) Il est possible que le capitalisme s'éloigne de plus en plus d'un état d'équilibre. On peut interpréter ce phénomène comme une "bifurcation" irréversible d'un système quasi naturel (...) comme un déficit de régulation, de stratégie entrepreneuriale et de prudence des investisseurs sur des marchés financiers chaotiques, ou bien tout simplement comme un manque de coordination institutionnelle entre des secteurs dispersés aux intérêts divergents. Il peut s'agir aussi d'une incapacité de redistribuer la richesse de façon suffisamment large pour cfréer une demande correspondant à l'augmentation de la productivité, conséquence possible du tarissement de la création d'emploi envisagé par Collins (...) Quelle que soit la dynamique sous-jacente, cette tendance au déséquilibre augmente les coûts de cohésion du système, accroît les pressions politiques et engendre des tensions sociales. C'est en tout cas là une façon d'interpréter le sens du terme "crise", et plus le déséquilibre est grand, plus les mesures nécessaires pour rétablir l'équilibre seront difficiles et coûteuses.
Pour autant, je ne pense pas que le capitalisme risque de s'effondrer. Il pourra perdre une partie de son emprise sur le cours de l'évolution sociale, laissant plus de marge d'organisation propre à la politique, économique et sociale, mais l'image de l'effondrement est trompeuse. On peut certainement dire que l'Empiore romain s'est effondré, par exemple, mais il est intéressant d'observer que cet "effondrement" est un processus qui s'est étalé sur plus de deux siècles, et pas une brève crise unique.
Qiuant au féodalisme, dire qu'il se serait effondré et aurait donné naissance dans la foulée au capitalisme moderne - comme le suggère le Manifeste communiste - me paraît nettement moins crédible. En premier lieu, le féodalisme n'avait pas le caractère "systémique" que revêt le capitalisme moderne. Mais, surtout, on ne peut pas identifier un moment spécifique d'effondrement des relations féodales et des institutions qui leur sont liées. Le long décmlin de ces relations était associé à un processus de construction étatique, de conflits armés, d'innovation aghricole, de développement du commerce mondial et de renouveau religieux (en particulier avec la Réforme protestante) qui a duré au moins 300 ans. On ne peut donc parler de simple effondrement. Le déclin du féodalisme a entrainé une profonde transformation de l'Eglise catholique, qui n'a plus jamais joué le même rôle par la suite, mais qui a tout de même survécu. Beaucoup de monarchies ont disparu, mais pas toutes; certaines d'entre elles ont réussi à évoluer suffisamment pour pouvoir se maintenir - en jouant un rôle parfois important - à une époque qui ne peut plus guère être désignée comme féodale.
De la même façon, la fin de l'ère capitaliste, à supposer qu'elle se produise, risque d'être un processus tumultueux, inégal et difficile à cerner de l'intérieur. Certaines institutions lui survivront, y compris probablement de nombreuses entreprises privées, qui ne cesseront pas nécessairement de produire, de commercer oiu de spéculer simplemengt parce que le capitalisme aura cessé d'être la force motrice de l'époque. Acheter bon marché, vendre cher, voilà une impulsion bien antérieure à l'émergence du capitalisme et qui lui survivra probablement très longtemps."
(extraits de l'article: "Ce qui menace le capitalisme aujourd'hui" dans le collector très intéressant: Le capitalisme a-t-il un avenir? par les auteurs: Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, Craig Calhoun. Ed La découverte 2014)20 euros.
A lire particulièrement l'article de tête de Wallerstein: La crise structurelle du capitalisme:
"Pour résumer, le système-monde moderne dans lequel nous vivons ne peut plus se perpétuer parce qu'il s'est trop écarté de l'équilibre et ne permet plus aux capitalistes d'accumuler indéfiniment du capital. Par ailleurs, les classes subalternes ne croient plus qu'elles sont du bon côté de l'histoire et que l'avenir leur appartient. Nous vivons donc une crise structurelle qui se caractérise par une lutte autour des alternatives systémiques. Bien que l'issue en soit imlprévisible, nous percevons bien que l'un des deux camps en présence l'emportera au cours des prochaines décennies et qu'un nouveau système-monde relativement stable (ou un ensemble de systèmes-monde) s'installera".
Et tant d'autres sujets qui intéressent un mouvemengt maximaliste assagi, rongé par d'absurdes querelles ou rivalités internes (après le CCI ce'est la TCI qui connaît sa crise paranoïaque): la révolution anticapitaliste sera-t-elle violente, la révoljution entraînera-t-elle des guerres, etc.