11
novembre 1918 onze heures : armistice et liesse populaire,
un million de personnes sur les Champs à Paris (le 2 août 1914 :
la mobilisation avait été générale en France et presque aussi
enthousiaste)
15
juillet 2018 dix neuf heures : finale France-Croatie gagnée
par l'EDF, liesse populaire près de 20 millions de spectateurs ont
suivi le match à la télé ; à peu près autant qu'en novembre
1918 ont défilé sur les Champs Elysées parisiens.
« C'était
une drôle de foule. Compacte, métissée, dansante, euphorique. Des
gamins en Nike air et maillot floqués Mbappé. Des cadres en
costards qui sortaient du boulot. Des familles entières, avec
poussette, minots et Mr Freeze. Et des touristes en claquettes, trop
contents d'avoir poussé jusqu'au lundi leur week-end parisien. »
(L'OBS)
Il
y a eu certainement plus de monde de par les rues en France qu'à la
Libération de Paris ou en mai 68. La célébration sera dégoulinante
de bêtise et d'hypocrite convivialité quelques jours encore. C'est
sur TF1 que le commentaire vantard fût le plus puant et le plus
nationaliste, dit par une voix suave de femme : « Ils
affichent un patriotisme à fleur de peau »
(c'est sans doute la nouvelle version patriotique antiraciste). Ce
patriotisme de ferveur pour les bleus (sans doute la même vareuse
que celle, stupide et si voyante de 14-18) s'exprimait « par
delà les frontières »
(sans aucun doute au-delà de la ligne bleue des Vosges puisque les
médias arrosent partout mieux qu'en 14-18). Les « merdias »
reflètent et inspirent, et l'inverse, cette « liesse
populaire » chauvine et si marchande. Panem et cirque pour
réseaux « sociaux ». Où, au bout du compte, chaque
maillot vendu refile un pognon de dingue, comme a dit l'autre
encravaté, à des milliardaires en culotte courte avec Porsche et
super nanas, femmes libérées qui préfèrent épouser un « working
class hero » qu'un working class zéro. L'ode à la mixité
sociale, ce seul cliché où les classes disparaissent, suit :
« Ce
qui rassemble tout le monde ce sont ces jeunes de Bondy, de
Marignane... On est ivre de joie ».
Le
sentiment patriotique est très puissant, je ne peux pas prétendre
moi-même me vanter d'être un internationaliste pur et dur face à
ce spectacle qui mobilisa aussi mon ennui. Le suspense en vue de la
victoire pour « notre » équipe m'a autant stressé qu'un
bon scénario... de film. Que le clan Deschamps gagne me tiraillait
moins que la symbolique d'une victoire « française »,
peuple pourtant si individualiste et rétif aux jeux d'équipe
(collectifs dirait une connaissance trotskienne). Dans la ferveur on
oublie voire on ignore l'arrière cuisine de la secte Deschamps, les
préparatifs et filouteries masquées même aux journalistes. La
secte n'a rien d'admirable, elle suppose flatteries, accointances et
traîtrises, copinages et arrangements non pour la gloire de la
France (rétrogradée septième puissance mondiale1)
mais pour une équipée de milliardaires adulés comme n'importe
quelle vedette du show business, voire
plus.
ICONISATION
DE MASSE ET SELFISATION DU MÔA !
Peut-on
vraiment se « selfire » à soi-même ? N'y aurait-il
pas d'autres raisons à aimer, l'amour et la révolution par ex ?2
Pourquoi
ai-je placé en exergue cette comparaison entre 1918 et 2018 ?
Parce que la situation serait similaire ? Différente dans
l'expression de la liesse populaire ? Parce que, les mielleux
« vive la France » et autres « on est des
champions » signifieraient un nouvel embrigadement ? Pas
du tout. Non, simplement parce que, malgré la nouvelle mixture d'un
patriotisme antiraciste, « mixatoire », tous ces dizaines
de milliers qui agitent le fanion français et crient leur amour de
la « victoire française » ne sont aucunement disposés à
aller se sacrifier pour la patrie comme ceux de 1914. Ces foules
agitées et bariolées tricolores sont plutôt dans l'état d'esprit
de celles de 1918 : « on a gagné et il n'y aura plus
jamais de guerre ». Pourtant, cette compensation du ballon rond
fêtard pour un prolétariat national très faible, très méprisé
par notre sportif Président, est loin d'être un moment de réflexion
ou d'affirmation de soi. La célébration n'a rien de véritablement
collectif. Jamais, devant le défilés des troupes de tout pays
naguère, celles de Napoléon, d'Hitler ou de Churchill, jamais on
n'avait vu la foule s'auto-congratuler autant individu par individu.
Ni poing levé, ni bras tendu mais portable levé en l'air, selfies
systématique de soi au milieu de la foule, selfies éventuels avec
les nouvelles gloires nationales en uniformes de stade. Les gloires
elles-mêmes, gentiment aussi infantiles, se « selfisaient »
à elles-mêmes avec leurs propres iphones. Le fan lambda se hausse
au rang de son idole de la balle au pied en se selfisant au pied de
son bus quand l'idole se sert de son propre selfie pour avoir la
masse comme tapisserie de sa gloire personnelle.
Singulier
comportement, me direz-vous ? Jadis il y avait pourtant de
simples appareils photos mais on laissait le soin aux « actualités
filmées » de rendre compte de l'événement. Désormais le
spectacle capitaliste nous laisse croire que nous sommes maîtres de
notre propre image et capables d'accéder à la gloire de soi-même
grâce à cet objet obsédant du désir d'éternité du faux partage
et de la connexion en permanence infantilisante.
UN
SPORT DE COMPETITION ULTRA-VIOLENT
S'exhibant
devant les écrans du monde entier, les compétiteurs d'une coupe du
monde doivent refréner leur envie de gestes violents, ce qui n'est
pas le cas dans les multiples clubs amateurs ; on a recensé
plus de 10.000 actes de violences sur les stades français pour
l'année 2017, incluant les arbitres. Jeu ancien british le foot est
tout à fait dans l'esprit mercantile capitaliste : il faut
« enfoncer » l'adversaire, « lui faire mal »,
« lui rentrer dedans », et, fin du fin, c'est un des
rares moyens pour les paupérisés de devenir riches, quoique très
peu d'élus pour une masse d'appelés. Les services internes de
l'Etat bourgeois conviennent eux-mêmes de la rançon de cette fausse
fraternité footballistique et de la superficialité de la
disparition des clivages... de classes :
« Les
grandes manifestations sportives sont l’occasion pour les
spectateurs venus d’horizons différents de communier dans
l’enthousiasme et la fraternité. Sans distinction d’origine, de
classe ou de nationalité, tous sont appelés à partager l’intensité
de ces moments privilégiés de la vie sociale, fédérés autour
d’un esprit sportif fondé sur le dépassement de soi et le respect
des règles du jeu.Trop souvent ces dernières années, l’insécurité
s’est développée les enceintes sportives, ternissant le
déroulement des compétitions, au mépris des valeurs présidant à
leur organisation : les dégradations, le racisme, la violence ont
ainsi gagné les tribunes et les abords des stades, particulièrement
lors des événements touchant aux disciplines les plus populaires
comme le football »3.
Ainsi
débute le guide méthodologique gouvernemental des infractions dans
les enceintes sportives pour l'année 2006. Le premier sport
populaire est le plus concerné par les sanctions pénales. Injures,
menaces, crachats voire coups de poing… Les arbitres amateurs ont
été victimes de 4.841 agressions verbales ou physiques lors de la
saison 2016–2017, selon l’Union nationale des arbitres de
football (UNAF). Pour cette même saison 10 309 matchs au moins ont
été marqués par un incident violent, 12476 pour la saison
2014-20154.
UNE
NOUVELLE RELIGION QUI LES INCLUT TOUTES OU UNE SUPERSTITION
PLANETAIRE ALEATOIRE ?
Les
footeux sud-américains et portugais nous faisaient déjà pitié
naguère en entrant sur le terrain avec un signe de croix et en
levant les yeux et les bras au ciel pour remercier dieu.
Aujourd'hui, on va davantage remarquer un joueur qui va se prosterner
et se tourner vers la Mecque, sans savoir qu'il a déjà prié dans
le vestiaire5.
Le défenseur marseillais Benjamin Mendy a mis une photo de La Mecque
sur son compte Twitter. Des joueurs évangéliques jouent au PSG,
propriété du Qatar, et reversent 10% de leur salaire à leurs
sectes. C'est « Le Pélerin » qui en convient : « Un
temple ? non un stade ! Face à la houle des supporters qui
ondule dans les tribunes bondées, sous la lueur blanche des
projecteurs, 22 joueurs, version moderne des demi-dieux antiques,
pénètrent sur la pelouse. Première foulée, doigts pointés vers
le ciel pour s’attirer ses bonnes grâces, signes de croix pour
appeler Dieu à la rescousse.
Un
but marqué ? Regardez ces mains qui se joignent, ces genoux qui
fléchissent, ces bras en croix comme autant d’offrandes à la
victoire. Qui pourrait soutenir, après cela, que foot et religion
n’ont pas, au moins symboliquement, partie liée. » « Il
faut aussi évoquer la dévotion particulière des joueurs brésiliens
ou africains. Faut-il prendre tout cela au sérieux ? Disons que,
sans être toujours croyants ou pratiquants, certains joueurs
espèrent que le Bon Dieu va les aider à marquer un but », ajoute
le journaliste Eugène Saccomano. Et parfois même hors des stades.
Ainsi, au temps de sa gloire, l’attaquant brésilien Ronaldo,
faisait régulièrement son pèlerinage au sanctuaire marial de Notre
Dame de Aparecida, État de São Paulo, afin de remercier la Vierge
pour ses multiples sélections dans l’équipe nationale ».
Il y a quelques années les fans de l’Olympique de Marseille ont
revêtu la statue de Notre-Dame de la Garde des couleurs de leur
club, alors sacré champion de France. Les supporters des grandes
formations portugaises de Porto et de Benfica ont, eux, offert des
maillots frappés du numéro 16 à Benoît XVI lors de sa visite au
Portugal afin qu’il bénisse leur club favori. À l’occasion de
la Coupe du monde en Allemagne, en 2006, la marque Adidas avait
installé une immense fresque de 800m2 en gare de Cologne. Une
imitation du plafond de la chapelle Sixtine peint par Michel-Ange,
représentant Zidane, Kaka, Ballack ET Beckham.
Cet
aspect religieux, quoique plus typique d'une resucée de l'Union
nationale, convient bien à Mgr Dominique Lebrun. « Le foot permet
d’abolir les barrières entre les générations, les intellos et
les manuels, les gens des beaux quartiers et ceux des banlieues, pour
peu qu’ils arborent tous la même écharpe. Incroyable alchimie !
Si elle n’est pas religieuse, elle est de l’ordre du divin. Et
j’y perçois, moi, un peu du souffle de l’Esprit ». La
distraction reste tout de même bien ponctuelle et éphémère, même
si elle entretient au long terme des relents de défaites...
nationalistes.
Feu
Manuel Vasquez Montalban nous apporte des lumières sur la place
prépondérante prise par cette nouvelle religion dans la vie à
l'époque capitaliste :
« Autrefois,
le président d’un club avait au-dessus de lui les autorités
politiques, économiques, religieuses, et même universitaires. Le
plaisir de présider le Milan AC ou l’Olympique de Marseille était
fort limité. Actuellement, il est illimité : le moindre
responsable de club pèse socialement plus lourd que la plus haute
autorité, et sa capacité à mobiliser les foules est bien
supérieure. C’est pourquoi les hommes politiques osent de moins en
moins heurter les clubs : ils ne tiennent pas à affronter un
électorat organisé et virulent. La hantise du chômage ne
provoquera probablement pas une nouvelle prise de la Bastille. En
revanche, s’en prendre aux supporteurs d’un club, c’est risquer
un nouvel assaut du palais d’Hiver… N’oublions pas qu’un
différend ethno-footballistique fut le détonateur des conflits
yougoslaves (1),
ni qu’une simple menace administrative contre le club local mit
littéralement sur pied de guerre toute la population de Séville en
mai 1996.6 »
« Indifférents
à cet aspect comme au caractère religieux du football, les
sociologues ne semblent
s’alarmer que de la violence de certains
supporteurs transformés, à l’occasion des grands matches-messes,
en commandos de choc. Tout club mêle en son sein les classes
sociales, mais assigne à chacune d’elles une fonction : la
tribune présidentielle programme, la masse petite-bourgeoise
soutient, et les escadrons venus des périphéries urbaines
agressent. Certains dirigeants de club financent même des groupes
violents et les poussent à agir comme déclencheurs de l’adrénaline
des joueurs-combattants. Les sociologues n’ont d’yeux que pour
ces escadrons qui portent, en signe d’amour-fusion, le maillot de
l’équipe adorée. Ils ne voient pas qu’il s’agit d’une
véritable communion des saints avec les équipes vénérées :
Milan AC, Olympique de Marseille, Barcelone FC… ».
« Il
y a aussi les travaux de John Clarke et de Ian Taylor (3).
Ce dernier estimait, dès 1971, que la violence était le fait de
jeunes marginaux s’en prenant à l’embourgeoisement des nouveaux
amateurs de football accusés d’éloigner ce sport de ses origines
populaires. Taylor et Clarke furent les premiers à démontrer que la
fureur dans les gradins n’était pas irrationnelle — il s’agit
d’une des rares violences dont l’Etat n’a pas le monopole.
D’autres analystes, appartenant à l’école de la psychologie
sociale ethnogénique, y ont décelé « un
comportement agressif ritualisé ».
Par le biais de rituels appartenant exclusivement à la sphère de la
quotidienneté — ou, comme disait Leonardo Sciascia, à la
« dictature
inquisitoriale du présent » —,
les masses auraient-elles inventé, dans les stades, une manière de
communier plus attractive que celle des religions ou des partis
politiques ?
« A
l’heure de la « pensée
unique »,
cette violence résonne merveilleusement aux oreilles de certains
parce qu’ils y perçoivent une faillite de la théologie de la
sécurité. La seule consolation, dans ce monde chaotique, se
trouverait-elle dans cette nouvelle religion laïque ?
Dans le stade-cathédrale, ou dans le club-parti ?
Mais ce paganisme moderne exige que les joueurs du football global
possèdent, à l’image des dieux antiques, la dimension épique et
lyrique du héros, alors que nous vivons une époque sans héros, qui
n’a rien d’épique ni de lyrique ».
Montalban
avait raison de souligner le poids de la faillite des idéologies
politiques et cet aspect compensatoire de la messe footballistique,
mais celle-ci est creuse, éphémère. Son seul avantage est de ne
pas être robotisée, de réserver toujours des surprises, de ne
rester qu'un jeu qui autorise toutes les superstitions, et qui reste
passager et de peu d'importance pour le quotidien des millions
d'exploités.
L'orgasme
du football peut-il conditionner les masses à la
guerre ?
Cette
distraction aléatoire est devenue pourtant une drogue dure des
démocraties bourgeoises autant que pour les anciennes dictatures
(cela révèle le niveau auquel sont tombées ces « démocraties »).
Reprenons notre questionnement depuis le début et en ciblant sur
l'utilisation de nos milliardaires en culotte courte, mais pas en
pantalon garance. Quel soulagement, en mémoire de l'ancienne équipe
black, blanc, beur, venant effacer la bande de voyous de Knysna,
voici enfin une équipe multicolore (la sixième d'Afrique ont dit
les africains eux-mêmes) qui entonne « spontanément »
la Marseillaise, qui hurle « la France est un beau pays »,
qui se voile la tête de l'oriflamme tricolore (sic).
Adulés
et surpayés, les joueurs pourraient-ils servir déjà utilement les
objectifs militaires de la bourgeoisie ? Certes ils se
« sacrifient » aux exigences du chef de la secte, pardon
du club, et à leur nutritionniste et masseur. Ils ont donc besoin de
transcendance, mais certainement pas pour risquer leur peau pour la
patrie7.
Le foot actuel comporte plus de contre-indications qu'il ne serait un
perpétuel anesthésiant de la révolte sociale, comme le croient les
gauchistes simplistes. Il ne détourne pas de la violence contre
l'Etat bourgeois puisqu'il génère comme on l'a vu ci-dessus, de
multiples violences stupides, et que les festivités d'après match
voient régulièrement des affrontements entre sportifs policiers et
sportifs voyous. En même temps, la récupération exhibitionniste
par le couple présidentiel français, de façon très affectueuse,
voire très charnelle comme avec la sémillante reine de Croatie,
convient parfaitement au bonapartisme du régime dans son mépris de
la principale classe exploitée. Mais ce cirque n'est pas durable.
Pour
terminer cet article quelque peu sociologique, le lecteur me
permettra d'en revenir à la politique et à l'histoire, 2018 comparé
à 1914 et ambiances respectives. Le plus grand écrivain de langue
allemande de l'entre deux guerres, Stefan Zweig avait été tout
d'abord captivé par l'enthousiasme patriotique bon enfant :
« Ce n'était partout que drapeaux, bannières, musiques. Les
jeunes recrues marchaient au milieu d'une ambiance triomphale. Leurs
visages étaient lumineux ». Ian Kershaw continue :
« Zweig vit « sa haine et son aversion de la guerre »
temporairement submergées par cette scène « majestueuse,
grisante, voire séduisante » L' « humeur
guerrière », une fois acceptée l'idée qu'il s'agirait d'un
combat pour se protéger de la tyrannie tsariste, l'emporta aussi
sur les protestations dans les rangs des socialistes autrichiens ».
« Du balcon du Palais d'Hiver, à Saint Petersbourg, le tsar
Nicolas salua la foule immense qui l'acclamait et qui, suivant les
ordres, s'agenouilla devant lui, agitant des étendards et chantant
l'hymne national. Paris assista à un débordement de ferveur
patriotique tandis que le Président Poincaré proclamait le
dépassement des divisions internes avec « l'union sacrée »8.
S'il
y avait incontestablement des jeunes des banlieues sur les Champs et
nombre de têtes « bronzées », comme en 1914, c'est la
jeunesse bobo qui ramène sa fraise, comme en 1914 ainsi que le
rappelle Kershaw :
« ...à
Londres et ailleurs en Grande Bretagne, c'est l'inquiétude et la
nervosité qui dominaient et non le chauvinisme, qui paraît avoir
été confiné à des fractions de la classe moyenne, notamment les
jeunes ». « La ferveur patriotique des groupes
d'étudiants au cœur de Berlin ne trouva aucun écho chez les
ouvriers des quartiers industriels où prévalait l'hostilité à la
guerre, ou du moins une angoisse à la perspective d'un conflit
associée au désir de maintenir la paix. Dans les campagnes
également la ferveur guerrière était rare. (…) Les paysans
russes n'avaient aucune idée des raisons pour lesquelles on leur
demandait de combattre. Dans les villages français, le choc allait
de pair avec le pessimisme et l'acceptation fataliste du devoir et de
ses exigences, mais la proclamation de « l'Union sacrée »
par Poincaré ne suscita aucun enthousiasme. De même au sein de la
classe ouvrière, notamment chez les travailleurs liés aux partis
socialistes ou aux syndicats – fortement internationalistes et
volontiers pacifistes – l'ultranationalisme et l'enthousiasme
guerrier étaient assez peu marqués. Malgré tout, il n'y eu pas de
véritable opposition à la guerre ». En Russie, les
socialistes préférèrent s'abstenir (les cinq bolcheviques siégeant
à la Douma votèrent contre et furent par la suite arrêtés).
Heureusement
qu'il y eût, à retardement et au cœur des massacres l'insurrection
bolchevique, plus ouvrière d'ailleurs que conséquence d'une
directive de parti, pour stopper provisoirement quelques années la
guerre mondiale. Mais cette soumission à la marche à la guerre
était, Karshaw le note très justement, aussi le résultat de
dizaines d'années de bourrage de crâne patriotique ; en France
le souvenir de la guerre de 1870, plus que de la Commune de 1871,
était cultivé dans les écoles et la jeunesse aisée était
carrément conservatrice pour ne pas dire totalement patriotique,
mais à condition d'être déjà ces cadres militaires
« entraîneurs » de pioupious et pas de joueurs de foot.
La dévotion de la diversité ethnique actuelle, après la
suppression du mot race dans la constitution française par les
petits rigolos du Parle-ment, va de pair avec l'antifascisme et
l'antiracisme de salon. Mais tout reste en l'état, les mêmes
divisions de la classe ouvrière en races, migrants, manuels,
intellectuels, fonctionnaires, chômeurs, etc. Cette division n'est
pas par contre une voie royale pour l'ordre bourgeois bonapartiste.
Il faut une « communion » autrement plus solide
politiquement et socialement pour entraîner le prolétariat à une
guerre où il serait directement mobilisé. Quoique même si la
guerre atomique est pour l'instant invraisemblable, cette division
antiraciste et l'oecuménisme éphémère du football permettent de
continuer guerres locales obscures et représailles terroristes. La
coupe du monde, cette fois-ci, n'a pas permis une ambiance pacifiste
ni internationaliste, partout il n'était question que de sécurité
contre de possibles attentats, des camions barrant systématiquement
l'accès aux place publiques. Comme ambiance mixatoire sereine on
peut espérer mieux. L'antiracisme officiel et la « sportivité
filandreuse concernant les migrants ne font qu'aviver les vieux fonds
de rivalités ethniques comme les rêves éculés de France
éternelle. La prochaine guerre conservera toutes ces arriérations,
car les guerres du capitalisme moderne contiennent toujours des
objectifs de purification ethnique9.
Quant
au football, il est plus délire passager populiste et populaire, peu
unificateur des peuples et encore moins du prolétariat. Foin du
cliché des working class heroes. Certainement une voie
professionnelle étroite pour vocation de milliardaires sans âme,
sans souci pour leur self et selfisé avenir..
Nouveau
guerrier mondial ? Qu'il est drôle ce Trump :
"Je pense que nous
avons beaucoup d'ennemis. Je pense que l'Union européenne est un
ennemi, avec ce qu'ils nous font sur le commerce. Bien sûr on ne
penserait pas à l'Union européenne, mais c'est un ennemi. La Russie
est un ennemi par certains aspects. La Chine est un ennemi
économique, évidemment c'est un ennemi. Mais ça ne veut pas dire
qu'ils sont mauvais, ça ne veut rien dire. Ca veut dire qu'ils sont
compétitifs", a détaillé M. Trump, dans les propos avaient
été recueillis par la chaîne CBS samedi.
NOTES:
1L'Inde
sans équipe de foot en lice double cette pauvre France cocorico
m'as-tu-vu :
https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-inde-double-la-france-et-devient-la-sixieme-economie-mondiale_2024694.html
2Seul
rabat-joie, Poutou n'a pas craint de passer pour un intellectuel
méprisant les « jeux du peuple » mais son argumentaire
se gardait de remettre en cause cet opium (religieux) du peuple et
surtout du prolétariat. S'il ressortit la banalité de base du
vieux gauchisme qui voit de la récup politique partout -
« Cette
coupe du monde comme tous les grands événements sportifs ne sont
pas que des machines à rapporter du pognon (pognon de dingue) à
des profiteurs, ce sont aussi des moyens de propagande idéologique,
qui distillent le chauvinisme et le nationalisme, qui veulent faire
croire que riches et pauvres, patrons et ouvriers, banquiers et
chômeurs, seraient unis par notre drapeau et auraient les mêmes
intérêts » -
il n'a fait que souffler dans le sens du vent mixatoire en
reprochant aux politiques de saboter le « vivre ensemble »,
alors qu'ils le récupèrent fort bien et l'intègrent comme donnée
du nationalisme relooké. Plus honteux il a joué au donneur de
leçon contre ces « abrutis du foot » qui n'ont pas
« suivi » les diverses grèves ridicules de la
syndicratie ni accueilli des migrants bras ouverts, feignant de
s'étonner que les Français (sic) ne se mobilisent pas "contre
les attaques antisociales du gouvernement", "contre les
licenciements" ou "pour l'accueil des réfugiés".
Or, lui a participé totalement au suivisme trotskiste des grèves
corporatistes à rallonge ; vous vous souvenez qu'il avait
dit : « nous, on attend les consignes des directions
syndicales » dans la queue de grève abstruse de l'ex-SNCF. En
plus, comme ce petit soldat du syndicalisme ringard n'est pas très
intelligent, il n'a pu cacher qu'il avait suivi en douce tous les
matchs ! Preuve qu'ils étaient tout de même plus marrants que
les grèves artificielles des cartels des bonzes anonymes.
3De
« La direction des affaires criminelles et des grâces ».
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/violencesenceintessportives.pdf
4https://inhesj.fr/sites/default/files/ondrp_files/publications/pdf/note_19.pdf
5Noter
cela est d'ailleurs mal vu, la doxia multiculturaliste y veille
(cette « dictature inquisitoriale du présent »), ainsi
ce pitre qui en appelle aux nouvelles règles de respect des
amulettes et autres superstitions, regrettant que la
prière musulmane fasse désordre : « Peut-être
parce que l'aspect multi-religieux de nos sociétés n'a pas encore
été intégré par tout le monde, notamment en France ».
6Le
football religion laïque en quête d'un nouveau dieu
https://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/VAZQUEZ_MONTALBAN/4899
7Quoique
jadis les sportifs de « haut niveau » aient été bien
facilement embrigadé dans les entreprises impérialistes. On se
souvient du premier capitaine de l'équipe de France en 1930 qui a
fini tortionnaire pétainiste.
8L'Europe
en enfer de Ian Kerhaw (1914-1949), p.64 et suiv.
9Le
livre de Kershaw est lumineux à cet égard en revisitant les
interprétations des guerres mondiales ; très intéressant
par exemple en analysant que les arméniens n'étaient pas tout
blancs et que leur massacre a obéi aux contraintes des bagarres
interimpérialistes (cf p.75). Tout maximaliste qui se respecte ou
secte idoine, ou ce qu'il en reste, devrait lire ce livre, dont le
premier tome en français vient de paraître, et ainsi sortir du
rabâchage des fractions de la gauche communiste qui auraient tout
compris en leur temps.