Communiqué du Parti Communiste International
Depuis
des semaines, le sort des Kurdes syriens est devenu l'une des
justifications les plus importantes de l'intervention impérialiste
sous hégémonie américaine en cours dans la région; les médias
internationaux ont focalisé l'attention autour du Kurdistan syrien
(Kurdistana
Rojava,
Kurdistan de l'Ouest, en kurde) et de la ville de Kobané attaqués
par les forces du groupe intitulé «l'Etat Islamique» (plus connu
sous les appellations anglaises ou arabes: ISIS ou Daech).
Le
Kurdistan Syrien, composé de 3 zones frontalières avec la Turquie,
dont celle de Kobané, comprend 2 millions d'habitants environ (soit
en gros un dixième de la population totale de la Syrie); mais
plusieurs centaines de milliers de Kurdes vivaient et travaillaient
dans les grandes villes syriennes, notamment à Alep et à Damas.
En
s'attaquant à Kobané, ISIS veut sans doute unifier les territoires
qu'il domine; mais surtout il veut s'assurer du contrôle de la
frontière avec la Turquie, la ville étant une voie de transit
vitale pour le pétrole de Rakka, capitale provinciale sur lequel il
a mis la main en en chassant le Front Al-Nosra. Les différentes
factions rebelles ne luttent en effet pas seulement contre le régime
de Damas; elles luttent aussi entre elles pour se tailler des fiefs
qu'elles administrent au profit de leurs commanditaires. La force
d'ISIS tient à ce qu'il a réussi, y compris mais pas uniquement,
par la violence la plus brutale, à fédérer autour de lui plus
d'intérêts bourgeois que ses rivaux.
Outre
les déclarations de responsables onusiens et de dirigeants
politiques bourgeois en faveur des Kurdes de Kobané, les appels des
traditionnelles personnalités démocrates (en France citons les
inévitables Kouchner et Bernard-Henri Lévy), outre la mobilisation
internationale du PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) et de ses
alliés ainsi que d'autres groupes kurdes, on a assisté également
dans de nombreux pays à la participation active de forces
d'extrême-gauche, au nom de la lutte contre l'obscurantisme d' ISIS
et de l'urgence à éviter un «massacre» de civils à Kobané.
Cette implication de l' «extrême-gauche» prétendument
révolutionnaire ne sert, en définitive, qu'à cautionner
l'intervention impérialiste aux yeux des prolétaires indignés par
les actions perpétrées par les Islamistes d'ISIS
Citons,
à titre d'exemple, des extraits d'un tract d'une organisation
libertaire active dans cette campagne, l'OCL, qui «expliquait» sa
position (attention ! Le raisonnement est plutôt alambiqué):
«Si
nous appelons à mobiliser et à amplifier la solidarité avec la
résistance de Kobanê et plus généralement avec la lutte du peuple
kurde, c'est d'abord parce qu'il y a urgence et que chaque jour,
chaque heure compte. Et si cette urgence nous concerne, c'est parce
que le mouvement de libération du Kurdistan – avec ses
caractéristiques plutôt positives et d'autres plus discutables et
critiquables – nous apparaît aujourd'hui, dans cette région du
monde, comme la principale force susceptible non seulement de
contrecarrer la double barbarie des islamistes et des régimes en
place, mais aussi d'introduire dans les zones kurdes et bien au-delà,
suffisamment d'éléments de transformation et de rupture à partir
desquels il devient au moins possible – et pensable – de postuler
des formes d'égalité, d'ouvrir des espaces politiques autonomes [?]
d'appropriation
du commun [?],
et d'avancer des perspectives intelligibles et audibles de libération
sociale et politique. C'est là une condition non suffisante mais
nécessaire pour faire reculer les barbaries à l'oeuvre, pour rendre
de nouveau l'air respirable et ce monde habitable ici aussi»
(1).
Ce
qui n'est pas audible
dans le tract de l'OCL fustigeant «les
dictatures de Damas et Bagdad»,
«les
djihadistes» et
«les
pétromonarchies»,
c'est une dénonciation
ouverte de
l'impérialisme, américain et français. Une telle dénonciation
serait difficile alors que le tract critique essentiellement le
manque d'efficacité des bombardements américains (jugés
«dérisoires»
par les experts
militaires de l'OCL), et se contente de dire que la coalition
impérialiste «prétend
combattre pour éliminer les djihadistes»,
autrement dit ne combat pas vraiment! Il est vrai que si nous nous
trouvons en présence d'une lutte contre la «barbarie»
(George Bush aurait dit: contre «l'empire
du mal»), on
peut bien souhaiter la victoire de la civilisation des missiles de
croisière et des chasseurs-bombardiers!
L'OCL
a donc sans doute été satisfaite de l'intensification sans cesse
croissante de l'intervention américaine au fil des jours.
C'est
en tout cas l'avis des trotskystes du NPA de Toulouse; dans leur
communiqué du 19/10 intitulé «Soutien
total et inconditionnel aux combattantes et combattants de la liberté
[!]
de Kobané» (2)
ils n'hésitent pas à écrire: «le
NPA salue l'efficacité des frappes de l'US Air Force de ces 4
derniers jours».
Et, saluant aussi «la
décision de l'état-major US d'intégrer un commandant des YPG
[milices kurdes liées au PKK]
à son QG des frappes aériennes»
et se félicitant par avance d'une «remontée
des bretelles de la Turquie à [une
réunion de] l'Otan»,
le NPA toulousain «dénonce
la veulerie et l'hypocrisie du gouvernement Valls et de François
Hollande et de l'Union Européenne»
qui resteraient spectateurs des événements!
A
notre connaissance la direction du NPA n'a pas claironné
publiquement des positions aussi clairement pro-impérialistes; mais
elle a signé avec des organisations pro-kurdes et les
sociaux-impérialistes du PCF et cie, une lettre pour demander à
Hollande le soutien militaire de l'impérialisme français aux
combattants de Kobané – ce qui revient au même. On peut lire dans
cette lettre: «Notre
pays [sic!]
s’est engagé
aux cotés des Irakiens et des Kurdes pour mettre un terme à
l’emprise des djihadistes sur cette partie du monde, et c’est une
bonne chose» (3).
Le NPA est ainsi passé en quelques semaines de la condamnation de
l'intervention impérialiste française à son approbation! Ces
prises de position sont la conséquence logique de l'engagement dans
la campagne de mobilisation impérialiste qui était manifeste dès
le mois d'août avec un communiqué «exigeant»
– de qui sinon de l'impérialisme? – la fourniture d'armes «à
toutes les forces qui combattent le confessionalisme» (4)
donc y compris même aux forces bourgeoises réactionnaires pourvu
qu'elles combattent ISIS! Peu après les divers grands Etats
impérialistes occidentaux accédaient aux «exigences» du NPA...
Vous
voulez la démocratie au Moyen-Orient?
Faites
appel à l'impérialisme!
Une
journée «mondiale» de solidarité avec Kobané a été organisée
le premier novembre. Dans l'appel officiel à cette journée, il
était dit: «Si
le monde veut la démocratie eu Moyen-Orient, il doit soutenir la
résistance kurde à Kobané»
(5). Qui c'est «le monde»? L'appel, un peu plus bas, parlait de
façon plus précise d' «acteurs
mondiaux»: «Il
est grand temps de donner aux acteurs mondiaux des raisons de changer
d'avis». Et
pour dissiper toute ambiguïté sur qui sont ces «acteurs» à qu'il
faut faire changer d'avis: «La
soi-disant coalition internationale de lutte contre l'EI n'a pas
apporté une aide efficace à la résistance kurde (...). Ils n'ont
pas rempli les obligations qui sont les leurs en matière de droit
international».
On
voit qu'il ne s'agit bel et bien d'un appel à l'impérialisme (ou
d'une pression sur celui-ci) pour qu'il renforce son intervention
militaire au Moyen-Orient, en reprenant les écoeurants arguments
bourgeois habituels: démocratie, droit international, «humanité»,
«prévention d'un génocide en cours»
(ne reculant devant rien, le texte parle même de «pire
génocide de l'histoire moderne»!),
etc., qui ont toujours été utilisés pour justifier les guerres.
Le
«droit international», ce sont les règles qui codifient les
relations entre Etats bourgeois; basé sur des rapports de force, ce
droit n'est jamais respecté par ceux, s'ils en ont la force, qu'il
gêne, comme le prouve toute l'histoire des relations
internationales.
La
«démocratie», c'est le système pacifique de domination bourgeoise
qui est basé sur la collaboration des classes; il est possible quand
le capitalisme est suffisamment prospère pour acheter la paix
sociale grâce à la corruption de larges secteurs d' «aristocratie
ouvrière» et à la concession au reste des prolétaires de quelques
avantages, qui ne sont que des miettes des masses de profits
encaissés. Dans les pays où le capitalisme est trop faible et où
les tensions sociales sont très fortes en raison du besoin
d'extorquer jusqu'à la dernière goutte de plus-value aux masses, la
domination bourgeoise revêt inévitablement un tour brutal, violent,
terroriste. Le terrorisme des Islamistes syriens n'est que le pendant
du terrorisme de l'Etat et du capitalisme syriens qui s'exerce sans
retenue depuis des décennies. Les crimes d'ISIS pâlissent devant
les crimes du régime qui, encore aujourd'hui, tue, massacre et
torture à grande échelle (c'est ainsi que près de 2000 prisonniers
auraient été tués, le plus souvent torturés à mort, dans les
geôles du régime depuis le début de l'année) (6).
Vouloir
la « démocratie » au Moyen-Orient, autrement dit la
perpétuation du capitalisme, mais sous une forme pacifique, est ou
rêver les yeux ouverts, ou proférer un mensonge pour camoufler
l’intervention impérialiste !
Pendant
que se mobilisaient et s'agitaient les partisans des combattants
kurdes, pendant qu'ils réclamaient l'envoi d'armes, qu'ils
demandaient le retrait du PKK de la liste des «organisations
terroristes» (liste où sont inscrits les organisations et partis
qui affrontent l'impérialisme et les Etats bourgeois occidentaux),
les «acteurs internationaux» sérieux en effet agissaient sur le
terrain – et dans le sens voulu par eux!
Les
bombardements américains n'ont cessé de s'accroître (plus d'une
centaine à la mi-octobre), et les contacts avec le PYD (nom de
l'organisation du PKK en Syrie) et les Etats-Unis ont été rendus
publics. La presse internationale a révélé que de difficiles
négociations secrètes avaient eu lieu ces dernières semaines,
alors même que le gouvernement turc réprimait dans le sang des
manifestations kurdes en soutien à Kobané (plus de 30 morts), entre
la Turquie, les Etats-Unis, le PYD et les organisations kurdes d'Irak
pour coordonner la défense de la ville et arriver à un accord entre
factions kurdes (7).
Le
PKK/PYD a obtenu, essentiellement grâce à la bataille de Kobané,
ce qu'il recherchait: sa reconnaissance par l'impérialisme américain
et les impérialismes occidentaux (8), qui sanctionne son intégration
de fait dans la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.
Il a même obtenu que le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) de
Barzani qui dirige le Kurdistan semi-autonome irakien, abandonne ses
partisans locaux du CNK (Conseil National Kurde syrien, qui
reprochait au PKK/PYD son refus de participer à la lutte contre
Damas), et reconnaisse sa prééminence dans les régions kurdes
syriennes. La Turquie, qui, à l'ombre du pétrole kurde irakien,
entretient des rapports privilégiés avec le PDK (9), a fait un
geste en acceptant de laisser passer par son territoire des
peshmergas
(combattants) du PDK pour renforcer les combattants de Kobané.
Cependant,
signe de la précarité de l'union des factions kurdes, le PKK/PYD
n'a accepté la venue que d'une centaine de combattants du PDK, en
précisant qu'ils ne seraient cantonnés à l'arrière: il ne veut
partager la direction des combats avec personne.
Recomposition
en cours sur fond de rivalités d'intérêts
Les
négociations entre la Turquie, les Etats-Unis et les factions kurdes
ont été, et sont toujours, difficiles. Bien qu'elle fasse partie de
l'OTAN et qu'elle ait adhéré à la coalition, la Turquie rechigne à
laisser les Américains utiliser ses aérodromes pour attaquer ISIS.
Elle demande comme préalable à tout engagement militaire qu'on lui
accorde la création en Syrie, le long de sa frontière, d'une
«zone-tampon» qui soit aussi une «zone d'exclusion aérienne»
(no-fly zone:
zone interdite à l'aviation syrienne). Mais les Américains refusent
car cela risquerait de les conduire... à un conflit avec Damas!
Depuis
l'été 2013 en effet l'impérialisme américain a conclu que le
renversement du régime de Bachar El-Assad risquait de déboucher sur
une situation incontrôlable en Syrie, étant donné l'échec à
mettre sur pied une force d'opposition suffisamment solide et fiable:
l'exemple libyen est là pour montrer les difficultés à
reconstituer un appareil d'Etat dans un pays fragmenté en multiples
factions bourgeoises rivales. Les Américains se sont officiellement
fixé la tâche de constituer une force d'opposition islamiste
«modérée» au régime syrien, tout en avertissant que cette tâche
prendrait «des mois et des années»; cela laisse tout le temps de
négocier avec le régime et ses parrains, Russie et Iran.
Entre-temps
le risque d'effondrement du régime irakien leur a fait considérer
ISIS comme le véritable ennemi à abattre. Mais bombarder en Syrie,
où se trouvent les bases d'ISIS, implique un minimum d'accord avec
le régime d'El-Assad qui dispose d'une aviation et de systèmes de
défense antiaériens sophistiqués. Bien qu'ils le nient
officiellement, les impérialistes américains ont donc renoué des
contacts avec le régime syrien honni, le laissant même redoubler
ses attaques contre les groupes insurgés! De même, Paris, qui
affirme toujours haut et fort son hostilité à Damas, a discrètement
pris contact, comme d'autres capitales européennes paraît-il, avec
les Services syriens pour leur demander leur aide contre les jeunes
partis combattre dans les rangs islamistes (10). La tentative a
échoué parce que les autorités syriennes ont posé comme condition
à leur collaboration la réouverture de l'ambassade de France à
Damas, mais le fait est significatif.
En
centrant l'attention sur les combats de Kobané, les médias
internationaux, répondant docilement aux desiderata de
l'impérialisme américain, ont
caché de fait
les attaques du régime contre les insurgés d'Alep, Homs et
ailleurs; selon l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme, pas
moins de 553 bombardements auraient été effectués par l'aviation
syrienne contre les rebelles rien que dans la période du 20 au 25
octobre (11): dans un ciel syrien bien encombré, missiles de
croisière et avions américains et avions syriens ne se combattent
pas, mais se partagent
la tâche...
Pour
la Turquie d'Erdogan, à l'inverse, l'ennemi désigné est le régime
syrien et les différentes factions rebelles islamistes sont des
alliés au moins potentiels; elle reproche donc amèrement aux
Etats-Unis de ne pas s'attaquer aux forces de Damas et d'avoir
renoncé à faire tomber le régime de Bachar El-Assad. Alors que son
président Erdogan entretient pour des raisons de propagande
nationaliste le rêve de l'empire ottoman perdu, la Turquie nourrit
des ambitions impérialistes régionales bien réelles qu'elle
n'entend pas sacrifier aux intérêts américains. Inquiet des
retombées des troubles en Syrie (des dizaines de milliers de
réfugiés syriens se trouvent sur son territoire), le gouvernement
turc redoute en outre la création d'un Etat kurde indépendant, qui
risquerait d'attiser les aspirations sécessionnistes parmi les
Kurdes turcs. La Turquie s'entend très bien avec les autorités du
Kurdistan irakien liées au PDK de Barzani, à cause bien sûr du
pétrole, mais aussi parce qu'elles s'affirmaient hostiles à
l'indépendance. Mais leurs différends sans cesse croissants avec le
gouvernement de Bagdad ainsi que la poussée de ISIS ont changé la
donne. Bien qu'ils soient en théorie au nombre de plusieurs dizaines
de milliers et puissamment armés, les peshmergas kurdes n'ont pas
bougé le petit doigt pour venir au secours de l'armée irakienne
régulière lorsqu'elle a été attaquée par ISIS; ils ont au
contraire attendu sa débandade pour agrandir leur territoire en
s'emparant de la ville de Kirkouk et de sa région riche en pétrole.
Et fin juin, après que les autorités israéliennes aient multiplié
les déclarations fracassantes en faveur d'un Etat kurde indépendant
(12), Barzani déclarait à la BBC qu'il allait organiser un
référendum sur l'indépendance du Kurdistan irakien. On n'a plus
entendu de tels propos par la suite, mais le Kurdistan irakien, armé
par les divers impérialismes occidentaux, jouit aujourd'hui d'une
indépendance de fait.
Le
PKK, parti nationaliste bourgeois
Créé
à la fin des années 70, le PKK est une organisation nationaliste
kurde de Turquie, présente aussi dans l'émigration turque en
Europe, qui a entamé au milieu des années 80 une guérilla sur le
mode maoïste pour l'indépendance du Kurdistan turc. Il a réussi
dans une large partie à canaliser à son profit la colère des
populations kurdes soumises depuis toujours à une véritable
oppression de la part des autorités d'Ankara (pendant longtemps
interdiction de parler kurde, même en privé, répression de toute
velléité d'organisation kurde, etc.), alors qu'elles constituent
environ un cinquième de la population de Turquie. Au milieu des
années 90, le PKK abandonna ses platoniques références au marxisme
pour les remplacer par des références à l'Islam; il abandonna
aussi la revendication d'indépendance pour la remplacer par celle de
l'autonomie. Il professe maintenant une idéologie purement
démocratique digne d'un parti parlementaire. Début 2013 il a appelé
ses partisans à déposer les armes à la suite de l'ouverture d'un
«processus de paix» avec le gouvernement.
Pendant
des années le PKK, protégé par le régime de Afez El-Assad (père
du président actuel), avait constitué une base arrière dans les
régions kurdes de Syrie; ses adversaires lui reprochent d'avoir
collaboré pendant cette période avec les services secrets syriens
pour y réprimer toute opposition au régime. Mais quelques années
plus tard le rapprochement de la Syrie et de la Turquie entraîna
l'expulsion des militants du PKK, ce qui conduisit à l'arrestation
de leur chef, Ocalan, qui purge maintenant une peine de prison à vie
en Turquie.
La
détérioration des rapports avec la Turquie depuis l'éclatement de
la guerre civile en Syrie a conduit à un nouveau rapprochement du
PKK et de son organisation en Syrie (PYD) avec le régime de Damas.
En 2012 celui-ci retirait du Rojava ses soldats et ses policiers dont
il avait un besoin urgent pour résister à l'insurrection, remettant
en pratique les clés de la région au PKK/PYD; à la différence des
autres partis et organisations kurdes syriennes celui-ci a en effet
toujours refusé de rejoindre la révolte contre le régime et il a
maintenu les contacts avec les autorités syriennes. Il a même livré
des batailles sanglantes aux insurgés, soit des Islamistes du Front
Al-Nosra, soit des « modérés » pro-Américains de
l'Armée Syrienne Libre, pour défendre les frontières de sa région;
et à l'intérieur de celle-ci, il n'a pas hésité à réprimer ses
adversaires politiques: ce fut le cas dans la ville de Amouda où la
répression en juin 2013 d'une manifestation pacifique par le PYD fit
plusieurs morts et se solda par l'enlèvement de plusieurs militants
d'opposition; en protestation, des manifestations, sit-in et grèves
de la faim eurent lieu en plusieurs endroits exigeant le retour des
personnes enlevées (13).
Le
PKK/PYD prétend avoir réalisé, selon les nouveaux préceptes
d'Ocalan, une «révolution» au Rojava en instituant une
organisation territoriale... sur le modèle suisse! Selon lui cette
révolution dépasserait les révolutions française, russe et
chinoise en raison de son caractère démocratique...
En
réalité le PKK/PYD est un parti nationaliste bourgeois,
anti-prolétarien, qui est bien incapable non seulement de mener une
révolution, mais aussi de défendre les intérêts de classe des
exploités: il n'a jamais hésité à chercher le soutien de
n'importe quel Etat bourgeois ou de n'importe quel impérialisme; sa
reconnaissance par l'impérialisme américain en est une
démonstration supplémentaire.
Contrairement
à ce qu'affirme sa propagande reprise sans sourciller par ses
soutiens européens comme les libertaires que nous avons cités au
début de cet article, le PKK/PYD n'appelle pas «à
ne faire aucune confiance aux Etats et aux régimes en place»!
Il n'appelle pas «les
populations (...) à s'engager directement dans la résistance, à se
battre, à s'organiser par elles-mêmes, à s'armer militairement et
politiquement, à s'auto-défendre socialement, à coordonner leurs
milices populaires, à ne compter que sur leurs propres forces et
mobilisation pour protéger leur territoire et leurs vies et
repousser les djihadistes»
(14). D'ailleurs la population de Kobané, loin de s'engager
directement dans la résistance, s'est enfuie en Turquie (15),
démontrant que la guerre en cours n'est pas sa guerre.
Une
seule issue: la perspective prolétarienne de classe
Comment
pourrait-il en être autrement? Pour cela il faudrait qu'il y ait en
acte une véritable révolution, pas une pseudo-révolution
démocratique à la suisse, mais une véritable révolution
sociale faite
par les masses exploitées et opprimées. Dans la Syrie bourgeoise où
le capitalisme est le mode de production dominant, historiquement, il
ne peut plus être question que d'une révolution
prolétarienne,
une révolution
socialiste.
Mais
une telle révolution ne pourrait avoir comme arène une petite
région agricole; elle devrait s'appuyer sur un puissant mouvement de
classe dans les grands centres urbains où se trouvent concentrés
les prolétaires de toutes les nationalisés; pour cette révolution,
il ne s'agirait plus de «protéger un territoire» régional, mais
de s'étendre d'abord à tout le pays et ensuite internationalement
à tous les pays; il ne s'agirait plus de coordonner des milices
«populaires», mais d'édifier une armée
de classe, plus
seulement de se défendre contre les djihadistes réactionnaires,
mais de saper leur puissance en insufflant la lutte de classe à
l'intérieur de leur territoire. Il ne s'agirait plus d'instaurer un
régime démocratique et laïc, mais d'abattre l'Etat bourgeois et de
le remplacer par le pouvoir dictatorial
des opprimés,
la dictature du prolétariat indispensable pour extirper le
capitalisme. Evidemment une telle révolution ne pourrait songer à
quémander l'appui de l'impérialisme dont elle appellerait au
contraire les prolétaires à la révolte! Et cette révolution ne
pourrait être dirigé par un parti national ou nationaliste, mais
uniquement par le parti prolétarien international et
internationaliste.
C'est
bien parce qu'il n'existe rien de tel, que la révolte en Syrie a
dégénéré en combats sanglants où s'affrontent diverses forces
bourgeoises, plus ou moins soutenues par des parrains étrangers et
qui, pour maintenir ou solidifier leur emprise sur leurs partisans et
sur les masses, n'ont d'autre ressource que d'utiliser au maximum
l'idéologie dominante la plus réactionnaire: la religion.
Comme
l’écrivait Amadeo Bordiga, les plus graves crises de l'ordre
bourgeois ne peuvent déboucher que sur une situation
contre-révolutionnaire en l'absence du parti de classe, parce que
cette absence implique que le prolétariat est incapable d'agir en
tant que force indépendante: la bourgeoisie a alors toute latitude
pour surmonter, à sa façon, la crise.
Mais,
nous dira-t-on, s'il n'y a pas de parti de classe, pas de mouvement
prolétarien indépendant, au moins faut-il s'opposer aux plus
réactionnaires et appuyer les forces les plus démocratiques? Et si
les militaires américains ou français peuvent faire obstacle à la
«barbarie» ou à «l'obscurantisme» ne faut-il pas les soutenir,
au Moyen-Orient comme en Afrique?
C'est
un argument classique – choisir le «moindre mal», le camp
bourgeois le moins méchant – qui a été utilisé d'innombrables
fois, en temps de guerre comme en temps de paix, pour enchaîner la
prolétariat à la bourgeoisie, pour empêcher l'apparition ou le
renforcement d'organisations de classe; son seul résultat est
toujours de livrer les prolétaires sans défense à leurs bourreaux.
Non
seulement en effet il est impossible de venir en aide aux masses
opprimées en s'associant, d'une façon ou d'une autre, à
l'impérialisme qui pille et ravage la planète, exploite et massacre
ces masses dans le monde entier; mais ce faisant, on ne peut que le
renforcer,
on ne peut qu'accroître la puissance du capitalisme et affaiblir
jusqu'à la lutte de résistance la plus élémentaire des
prolétaires. Le premier ennemi des prolétaires est leur propre
bourgeoisie: s'allier avec elle, quel que soit le prétexte, c'est
trahir le prolétariat.
Il
n'est pas possible de s'opposer réellement aux forces
réactionnaires, islamistes ou non, en reprenant des programmes et
des perspectives démocratiques bourgeoises et en s'alliant en
conséquence avec des forces bourgeoises; mais seulement en mettant
en avant un programme et des perspectives anti-démocratiques,
c'est-à-dire de
classe,
anticapitalistes,
antibourgeoises,
et en recherchant sur cette base l'union avec les prolétaires et les
masses exploitées de toutes les nationalités et de tous les pays.
Les
communistes avaient établi cette règle d'or en 1920:
«L'internationale
Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les
colonies et les pays retardataires que dans le but de regrouper les
éléments constitutifs des futurs partis prolétariens - qui seront
effectivement communistes et pas seulement en paroles – et de leur
enseigner leur tâche spécifique, à savoir la lutte contre les
courants démocratiques bourgeois dans leurs pays»
(16).
90
ans plus tard, alors qu'il n'existe plus d'Internationale Communiste
sur laquelle s'appuyer, la consigne doit être respectée avec
d'autant plus d'application que l'Internationale elle-même, en
dégénérant, l'oublia bien vite. Les prolétaires doivent s'opposer
sans hésitation à toutes les interventions militaires de «leur»
Etat; mais toute «solidarité» avec des populations martyrisées ou
avec des luttes, qui se situe en dehors de positions de classe, que
ce soit sur des bases humanitaires, démocratiques, nationalistes ou
autres, doit être dénoncée comme anti-prolétarienne.
Paraphrasant ce que disait le révolutionnaire socialiste polonais
Warynski à propos de l'indépendance de la Pologne (17), nous
pourrions dire: «il
existe au monde un peuple plus malheureux que les Kurdes – c'est
celui des prolétaires».
Cela
ne signifie pas que les prolétaires doivent se désintéresser du
sort des Kurdes et autres nationalités, à qui il faut reconnaître
pleinement le droit à l'autodétermination; mais cela signifie
qu'ils doivent toujours défendre d'abord leurs intérêts de classe;
et que dans la lutte contre toutes les oppressions, y compris
l'oppression nationale, dans la lutte contre toutes les réactions, y
compris islamistes, ils ne doivent jamais transiger sur la nécessité
absolue de l'indépendance et de l'organisation de classe, sur la
nécessité primordiale de l'unité des prolétaires par dessus
toutes les divisions nationales, ethniques, religieuses ou autres.
La
véritable
solidarité, non
seulement avec les masses kurdes de Kojava, mais avec les masses
prolétarisées de Syrie écrasées sous la mitraille, ou condamnées
par millions à une existence misérable de réfugiés, consiste à
travailler ici, au coeur des métropoles impérialistes, à la
reprise de la lutte
de classe,
révolutionnaire
et internationaliste
contre le capitalisme et l'impérialisme et à la reconstitution de
l'organe suprême de cette lutte, le
parti de classe international.
Et
le premier pas indispensable est le refus de l'embrigadement dans les
mobilisations pro-impérialistes, le refus de soutenir des forces et
partis non prolétariens, le refus d'adhérer à des perspectives non
classistes.
Parti
Communiste International, 12/11/2014
www.pcint.org
(1)
Tract du 3/10/14
(2)
http://www.npa31.org/actualite-politique-internationale/urgence-kobane/declaration-du-npa-31-a-manifestation-samedi-18-octobre.html4
(3)
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-azadi/250914/appel-hollande-de-soutenir-les-forces-kurdes-syriennes.
..
(4)
http://www.npa2009.org/communique/solidarite-avec-le-peuple-irakien.
Pour le NPA, le gouvernement français est donc l'incarnation d'un
«pays» dont il affirme faire partie – et tant pis si le Manifeste
disait que les prolétaires n'ont pas de patrie...
(5)
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1599. Parmi les
signataires de l'appel (personnalités bourgeoises diverses,
artistes, intellectuels, etc.), on trouve en 2e position l'archevêque
Desmond Tutu, celui-là même qui avait béni le passage de
l'apartheid à un régime démocratique pour perpétuer
l'exploitation négrière des prolétaires sud-africains. Sa
signature suffirait à qualifier l'appel...
(6)
http://syriahr.com/en/2014/11/nearly-2000-detainees-killed-inside-the-regimes-detention-facilities/
(7)
Voir par exemple l'article détaillé du Financial
Times du
24/10/14.
(8)
Une première rencontre officielle a eu lieu en octobre entre des
responsables français et Saleh Muslim, le chef du PYD; Paris
refusait jusqu'à présent tout contact avec l'argument que le
PYD-PKK n'était «pas
assez engagé»
dans lutte contre Damas. Mais selon le diplomate qui a rencontré
Muslim: «les
Américains ayant eux-mêmes fini par rencontrer récemment les
représentants du PYD, on ne pouvait plus refuser de voir les Kurdes
syriens» cf
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2014/10/30/10001-20141030ARTFIG00373-la-france-rencontre-les-kurdes-syriens.php.
L'inénarrable Bernard-Henri Lévy a écrit sur son blog: «Le
PKK est le fer de lance, en Syrie, non seulement de la résistance à
Daech, mais des valeurs que veut éradiquer Daech (...). C'est
pourquoi le PKK et les partis qui lui sont liés doivent être
reconnus pour ce qu'ils sont: un opérateur de stabilité et, demain,
de paix au Proche-Orient».
A-t-il adhéré à l'OCL? cf
http://laregledujeu.org/bhl/2014/10/22/il-faut-retirer-le-pkk-de-la-liste-des-organisations-terroristes/
(9)
Les deux principaux partis bourgeois du Kurdistan irakien, qui se
sont combattus les armes à la mains pendant des années, sont le PDK
de Barzani et l'UPK (Union Patriotique du Kurdistan) de Talabani
formé par la fusion de divers partis dont les
ex-«marxistes-léninistes» du Komala; Talabani est président de
l'Irak depuis 2006 (poste honorifique sans pouvoir politique) et
vice-président de l'Internationale Socialiste. L'UPK est proche des
autorités iraniennes et par conséquent favorable au régime de
Damas. Le clan Barzani qui dirige le PDK a une longue histoire de
bons rapports avec l'impérialisme occidental et Israël; il a tissé
des liens étroits avec la Turquie et il soutient l'opposition au
régime syrien. En 2011 le PDK a constitué le CNK, qui regroupe les
partis kurdes syriens partisans de la rébellion contre Damas. Le
PYD/PKK reproche au CNK d'avoir abandonné la revendication
d'autonomie du Rojava pour s'allier avec les rebelles (qui y sont
hostiles); et il l'accuse d'être aux ordres de la Turquie. Diverses
tentatives d'accord, non suivies d'effet, ont eu lieu entre le
PYD/PKK qui domine sur le terrain en raison de son organisation
militaire, et le CNK.
(10)
cf Le Monde,
7/9/2014
(11)
http://syriahr.com/en/2014/10/553-air-strikes-by-regime-warplanes-around-syria/
(12)
http://www.al-monitor.com/pulse/politics/2014/07/iraq-crisis-israel-welcome-kurdish-state-us-turkey.html
(13)
Voir le communiqué du TCK (Mouvement de la Jeunesse Kurde) qui
appelait à une «révolution» contre le PYD:
https://syriafreedomforever.wordpress.com/2013/06/23/statement-by-the-kurdish-youth-movement-tck-about-the-latest-events-in-the-city-of-amouda-and-videos-and-pictures-from-the-protests-and-sit-ins/
(14)
OCL, tract du 3/10/14. L'OCL use d'une périphrase pleine de tact
pour parler du PKK: «les
mouvements de la gauche kurde»....
(15)
Selon Le Monde
du 12-13/14, il n'y avait plus à cette date que 7 à 800 civils à
Kobané sur une population initiale d'environ 50.000.
(16)
cf «Thèses sur la question nationale et coloniale», IIe Congrès
de l'IC, Moscou, juillet 1920.
(17)
cf Jacques Droz, «Histoire générale su socialisme», PUF 1977,
Tome 3, p. 324.