(De
Malthus et du snobisme gauchiste)
« Le
système capitaliste développe aussi les moyens (…) d’augmenter
en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une
force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et
à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent
et l’enfant, un Yankee par trois Chinois ».
MARX
(LE CAPITAL)
« Faites
des enfants !»
Michel
Debré1(ministre
gaulliste)
« L'extrême
gauche a toujours été d'une mollesse désespérante . Toutes
nos pertes lui sont imputables. Son éternel mot d'excuse – le
petit nombre – n'est pas sérieux. Un homme tout seul peut faire
face à une assemblée, en parlant pardessus les têtes ».
Blanqui
(Lettre à Clemenceau 1879)
Remplacez
trois chinois par trois migrants et vous aurez (presque) tout
compris. Marx évoque l'immigration une seule fois dans « Le
Capital » et dans les circonstances d'un capitalisme ascendant,
sans commune mesure avec les flots de migrants et les millions de
réfugiés qui végètent partout dans le monde depuis au moins un
demi-siècle à cheval sur le XX ème et le XXI ème. Il y a un
problème évident de surpopulation dans la plupart des plus grandes
métropoles (mégapoles) du capitalisme moderne. On pense
immédiatement à Malthus et à ses remèdes peu scientifiques pour
endiguer la démographie galopante. A la différence des autres
critiques de Malthus, qui s’intéressent à la fécondité, Marx
s’attachera surtout à la mobilité de la population, qu’il
analyse à travers le concept d’armée industrielle de réserve.
Mais
dans le contenu, concernant l'armée industrielle, son analyse est
plus fine et plus objective que tous ces ouvreurs de frontières à
tout va qui se contentent d'ajouter comme soi-disant réponse et
solution la phrase du Manifeste (texte de propagande politique et pas
analyse aussi sérieuse et développée que Le Capital) que les
ouvriers n'ont pas de patrie2.
L'excellent Henri Mahler a fort bien décrit les ombres et
contradictions chez Marx, et on ne peut lui imputer de ne pas avoir
pris en compte les nouveautés des 20 ème et 21 ème siècle :
« On
ne peut plus guère soutenir, comme Marx tendait encore à le faire
en 1848, que la vocation révolutionnaire du prolétariat et la
vocation communiste de la révolution dérivent de l’existence d’un
prolétariat qui serait la dissolution en acte de la société
bourgeoise, et d’affirmer que l’universalité de cette vocation
est inscrite dans la privation de nationalité ou de patrie de ce
même prolétariat.L’internationalisme ne peut être fondé sur une
telle privation, si du moins on prend au sérieux le fait que, pas
plus en ce début de XXIe siècle que durant le précédent, la
mondialisation capitaliste n’efface les démarcations nationales et
n’assèche les mouvements nationalistes. On pourrait d’ailleurs
affirmer le contraire : en accroissant la concurrence entre
travailleurs de différents pays et de différentes régions du
monde, mais aussi entre les États dont le rôle n’a nullement
décru avec la mondialisation, cette dernière stimule les pires
passions nationalistes »3.
La
question des migrations et des immigrations a toujours posé un
problème au mouvement ouvrier. Il est de bon ton de laisser croire
que ce mouvement a toujours été abstraitement internationaliste et
que toutes les luttes étaient dénuées de revendications de
clocher, voire d'intérêt « national » chez les
social-démocrates de la II ème Internationale, parmi les syndicats
puis plus tard chez nos « marxistes » staliniens :
« Dans
le mouvement ouvrier, c’est sur les migrations que la contradiction
apparaît. La majorité des partis et des syndicats se prononce pour
la liberté d’émigrer ; la libre circulation est proclamée
comme un droit. Les territoires neufs appellent les travailleurs
d’Europe, et le départ vers l’Outre-mer fait avancer la cause
prolétarienne d’autant que les ouvriers européens sont les
porteurs du socialisme. En situation coloniale ou dans les sociétés
d’immigration marquées par le racisme de couleur, la condition
ouvrière repose sur la promotion, voire le monopole des ouvriers
blancs ; les noirs, les jaunes, les chinois, les coolies sont
voués au travail forcé ; la main-d’œuvre indigène est
corvéable. Les mulâtres et, par nature donc, tous les métis sont
éminemment suspects. C’est donc en colonie et en Amérique
héritière de la colonisation, la proclamation d’un socialisme
blanc. Il s’annonce aux congrès de l’Internationale en demandant
des quotas d’immigration, le contrôle des entrées, la protection
du travail (blanc) contre les briseurs de grèves et du salaire que
sont notamment les Jaunes ou les colorés. Aux frontières, les
barrières qui sont des barrières de couleur, sont mises en place
aux États-Unis et plus encore en Australie »4.
La
fable du « péril jaune » était vécue alors comme un
péril migratoire, semblable à celui qui conduisit les États-Unis
et le Canada à interdire l’immigration chinoise. La figure du
« travailleur chinois » demeurait agitée comme une
menace, tant par les libéraux que par les socialistes. Ce n'étaient
que des arguments « populistes » destinés à justifier
le protectionnisme économique.
La
grande absente (diabolique?) de la vague migratoire est évidemment
tenue sous la table par l'inquisition bourgeoise démocratique :
la régulation des naissances qui avait tenu jusque là la Chine a
volé en éclat, et parler de l'Afrique sur un tel thème vous vaut
l'accusation de facho. D'une manière générale, il existe un
consensus chez les économistes allemands concernant « la
piètre employabilité des "réfugiés" », ce qui se
traduit par un sous-emploi qui « devrait perdurer un certain
nombre d’années ». Les migrants risquent ainsi de constituer
un poids financier pendant longtemps. Les réfugiés syriens
habituellement présentés comme étant qualifiés sont en réalité
souvent originaires des régions rurales les plus pauvres de Syrie et
« leur niveau de qualification est dramatiquement bas ».
Ils sont issus de familles paysannes qui savent à peine lire et
écrire, l’analphabétisme étant plus largement répandu parmi ces
populations que dans le reste de la Syrie.
Pour l’industrie allemande qui a
besoin essentiellement d'ouvriers qualifiés, c'est une main d'œuvre
inadaptée5.
Marx n'était pas en désaccord avec Malthus sur l'inflation des
naissances dans l'avenir. Il estimait qu'il fallait une quinzaine
d'années pour former un prolétaire6.
Il faudrait cinq à sept ans pour à un réfugié pour qu'il produise
plus qu'il ne coûte à l'Etat. Le soudain appel, absolument pas
humanitaire, de Angélique Merkel, à l'ouverture inopinée et toutes
grandes des portes européennes aux migrants obéissait aux besoins
urgents de l'industrie allemande du fait du dépeuplement de
l'ex-RDA. Gabegie dans l'affolement puisque cet appel a créé un
appel d'air de l'Afghanistan au continent africain, faisant rêver
des millions de gens au soit disant Eldorado européen. En 2015 ce
fût la ruée qui affola tout le monde, et où les gauchistes
suivistes se firent les porte-voix de Merkel, et continuent de le
faire avec la même impéritie et irresponsabilité. On disserta sur
le facteur démographique, le vieillissement des populations. On joua
de la lyre « L'immigration est une chance pour l'Europe »,
comme on aurait pu tout aussi bien clamer « L'enrichissement
d'une minorité est une chance pour l'Europe ». La venue
massive par bateaux ou par montagnes montraient des masses de gens
harassés avec une majorité d'hommes et des femmes voilées. Peu
importe le voie, pensait-on car il suffit de voir les films des
débarquements de migrants à New York au début du XX ème siècle,
la plupart des femmes étaient aussi voilées, quoique catholiques et
juives ou protestantes. Mais le voile des années 2000 était surtout
le drapeau d'une religion conquérante avec laquelle la bourgeoisie
avait fait un deal, et qu'elle accueillit à bras ouvert car c'est
par excellence la religion de la soumission. Le capitalisme a besoin
de la religion, de toutes les religions comme l'épée de son
fourreau. Pire encore, les vagues successives d'attentats terroristes
en lien avec le culte musulman ont contribué à installer la terreur
de tout ce qui est arabe et à stigmatiser des croyants étrangers
aux mécanismes impérialistes qui guident les criminels terroristes
et leurs financiers pachas du pétrole. L'islam est devenu la
religion de l'argent d'une façon plus ostentatoire que ce qu'on
prêtait naguère à la religion juive.
Dans
cet imbroglio guerres-migrations massives-terrorismes, les données
qui régissaient la question de l'immigration et la notion d'armée
industrielle de réserve ont été sensiblement modifiées, même si
certains gauchistes hurlent que cette notion ne recouvre pas les
migrations.
D'une
certaine manière la bourgeoisie paye à la fois la restriction des
naissances dans les familles ouvrières européennes dans l'immédiat
post 1945 ; on préférait faire seulement deux enfants pour
éviter la misère des grandes familles. Comme elle paye également
sa négation et son mépris du prolétariat depuis une trentaine
d'années. A force de faire proclamer à ses larbins de plume la fin
du prolétariat, non seulement elle a réussit à faire douter de
lui-même celui-ci mais elle a tant ridiculisé du même coup le
travail manuel que plus aucun « blanc » ne veut s'y
résoudre, et par écho même le migrant de base ! Désespérant
pour les bureaux d'embauche informatisés ! Alors l'immigré,
musulman de surcroît est venu sauver ce prolétariat soumis auquel a
toujours rêvé la bonne vieille bourgeoise annoblie. Elle peut dire
un grand merci aux réformistes radicaux, hier trotskistes ou
maoistes, cette extrême gauche salonnarde avec fausses barbes, qui
n'a pour héritiers bâtards que ces pauvres blacks blocks ou
médecins sans frontières et autres curés passeurs de migrants.
Leur aveuglement feint sur les ravages du fascisme islamique n'a
d'égal que leur prosélytisme pour la femme musulmane voilée, qui
n'est au fond que le même snobisme que conchiait Claude Roy au temps
des massacres de la « révolution culturelle » :
« Car,
pendant que la Chine s'embrasait d'incendies allumés par ses
dirigeants pompiers, de délires attisés par ses chefs infaillibles,
acharnés à se disputer le pouvoir, tandis que des millions
d'innocents et de dupes forcés pourrissaient dans les chaînes ou
périssaient dans les tortures, une partie considérable de
l'intelligentsia française, avec la légèreté du snobisme
intellectuel, l'ignorance des mondains, le fanatisme des idéologues
et l'art « grand chic » de la classique Trahison des
clercs, étouffait les cris de la Chine martyrisée sous l'Hymne à
la joie maoïste »7.
Les
questionnements sont plus compliqués et ne trouvent pas une réponse
automatique, hors de l'inquisition de l'Etat et de ses Torquemadas
éditorialistes et suivistes. Néanmoins, dans le désordre mondial
la bourgeoisie sait faire d'une faiblesse une force. Ce que j'appelle
dépossession des idéaux généreux et internationalistes du projet
communiste c'est le détournement de ceux-ci par les appareils
dominants dans les diverses catégories de la morale régnante :
antiracisme, interclassisme humanitaire, antifascisme comme
explication au mal universel, "lutter contre tous les nationalismes" (dixit Macron et piller les sans défense les retraités) etc. On ne peut comprendre ce nœud de
problème sans poser la question de la difficulté de réalisation du
capital dans ce monde pléonasme « mondialisé ». Et
balayer devant sa porte des clichés éculés, même dits d'obédience
marxiste.
UN
INTERNATIONALISME RAREMENT CONCRETISE DANS LA LUTTE DES PLACES
Ne
pas être capable d'actualiser le marxisme en se contentant de
répéter des formules abstraites, elles-mêmes dévitalisées
pendant 50 ans par le stalinisme et le trotskisme ? c'est se
vouer au reniement du rôle du prolétariat trop imparfait ou à la
démoralisation politique8.
Dans la décadence du capitalisme actuel, modulé et moralisé par
les mafias financières et marqué par d'interminables et cruelles
guerres localisées, Malthus semble l'avoir emporté sur l'analyse
rationnelle de Marx, lequel ne donna jamais entièrement tort à ce
même Malthus comme les piètres marxistes staliniens et gauchistes
l'ont prétendu si longtemps.
« Des circonstances particulières favorisent l’accumulation tantôt dans telle branche d’industrie, tantôt dans telle autre. Dès que les profits y dépassent le taux moyen, des capitaux additionnels sont fortement attirés, la demande de travail s’en ressent, devient plus vive et fait monter les salaires. Leur hausse attire une plus grande partie de la classe salariée à la branche privilégiée, jusqu’à ce que celle-ci soit saturée de force ouvrière, mais, comme l’affluence des candidats continue, le salaire retombe bientôt à son niveau ordinaire ou descend plus bas encore. Alors l’immigration des ouvriers va non seulement cesser, mais faire place à leur émigration en d’autres branches d’industrie. Là l’économiste se flatte d’avoir surpris le mouvement social sur le fait. Il voit de ses propres yeux que l’accumulation du capital produit une hausse des salaires, cette hausse une augmentation des ouvriers, cette augmentation une baisse des salaires, et celle-ci enfin une diminution des ouvriers. Mais ce n’est après tout qu’une oscillation locale du marché de travail qu’il vient d’observer, oscillation produite par le mouvement de distribution des travailleurs entre les diverses sphères de placement du capital. Pendant les périodes de stagnation et d’activité moyenne, l’armée de réserve industrielle pèse sur l’armée active, pour en refréner les prétentions pendant la période de surproduction et de haute prospérité. C’est ainsi que la surpopulation relative, une fois devenue le pivot sur lequel tourne la loi de l’offre et la demande de travail, ne lui permet de fonctionner qu’entre des limites qui laissent assez de champ à l’activité d’exploitation et à l’esprit dominateur du capital »9.
Dans le Livre
premier, 7e section, Marx démontre que sous les aléas de la crise,
la composition organique du capital doit diminuer le capital variable
(donc que le recours à l'armée industrielle de réserve, surtout
immigrée de nos jours) n'est plus forcément nécessaire et qu'une
régulation s'impose ; les syndicats ouvriers au XIX ème siècle
exigeaient des quotas d'embauche des prolétaires immigrés, et cela
n'était ni raciste ni nationaliste.
« Enfin,
il y a des intervalles où les bouleversements techniques se font
moins sentir, où l'accumulation se présente davantage comme un
mouvement d'extension quantitative sur la nouvelle base technique une
fois acquise. Alors, quelle que soit la composition actuelle du
capital, la loi selon laquelle la demande de travail augmente dans la
même proportion que le capital recommence plus ou moins à opérer.
Mais, en même temps que le nombre des ouvriers attirés par le
capital atteint son maximum, les produits deviennent si surabondants
qu'au moindre obstacle dans leur écoulement le mécanisme social
semble s'arrêter; la répulsion du travail par le capital opère
tout d'un coup, sur la plus vaste échelle et de la manière la plus
violente; le désarroi même impose aux capitalistes des efforts
suprêmes pour économiser le travail. Des perfectionnements de
détail graduellement accumulés se concentrent alors pour ainsi dire
sous cette haute pression; ils s'incarnent dans des changements
techniques qui révolutionnent la composition du capital sur toute la
périphérie de grandes sphères de production. C'est ainsi que la
guerre civile américaine poussa les filateurs anglais à peupler
leurs ateliers de machines plus puissantes et à les dépeupler de
travailleurs. Enfin, la durée de ces intervalles où l'accumulation
favorise le plus la demande de travail se raccourcit
progressivement. »
Contrairement
à tous nos faux marxistes humanitaires (professionnels du tourisme
humanitaire) cette analyse s’accompagne d’une identification des
changements concrets dans le capital variable qui n'impliquent
pas automatiquement homogénéisation et unité du prolétariat. Le
Capital du 19 ème siècle décompose l’armée industrielle de
réserve en population flottante, stagnante, latente, tout en prenant
en compte les processus d’intensification de la journée de
travail, l’exode rural et les déplacements de la force de travail
d’un secteur à l’autre, voire d’un pays à l’autre (cas de
l’Irlande), la substitution de la main-d’œuvre féminine et
enfantine à la main-d’œuvre masculine ; Marx dénonçait par
après la dégradation physique, la malnutrition et la mortalité de
la force de travail10.
Comme Marx aurait dénoncé de nos jours les guerres de rapine
impérialiste et les massacres inter-ethniques qui transforment des
masses de population en hordes errantes.
La
notion de surpopulation n'était que tendancielle. Elle est devenue
une question mondiale préoccupante depuis les immenses famines du XX
ème siècle. A l'époque du capitalisme ascendant, il résultait de
l’augmentation du capital constant une surpopulation « relative » :
« Nous
l’appelons relative, parce qu’elle provient non d’un
accroissement positif de la population ouvrière qui dépasserait les
limites de la richesse en voie d’accumulation, mais, au contraire,
d’un accroissement accéléré du capital social qui
lui permet de se passer d’une partie plus ou moins considérable
de ses manouvriers. Comme cette surpopulation n’existe que par
rapport aux besoins momentanés de l’exploitation capitaliste, elle
peut s’enfler et se resserrer d’une manière subite ».
Cette
surpopulation était majoritairement blanche dans les vieux pays
européens, les noirs et les arabes restant cantonnés dans les zones
colonisées. Les origines des migrants de souche blanche européenne11,
à dominante catholique, permettaient une intégration à moyen
terme, ce qui n'est plus le cas avec des populations de race noire et
arabe, hommes majoritairement célibataires et entichés d'islam,
frappés d'ostracisme de manière indirecte12,
qui sont pourchassés s'ils répondent aux besoins du travail « au
noir »13
et constituent par défaut des bandes ou bien sont confinés dans de
nouveaux ghettos mobiles au centre de deux ou trois grandes villes,
et qui alimentent les faits divers et la colère des extrêmes
droites.
La
première condition de la réalisation de l'accumulation primitive au
19 e siècle était relative à la spécificité de la marchandise
travail. L’accumulation n’est possible que parce que la
marchandise travail, au contraire des autres facteurs de production,
qui ne sont pas renouvelables, a la faculté de se reproduire
indéfiniment pourvu que l’on pourvoie à son entretien, point que
Marx avait longuement développé dans la deuxième section du
Capital
(chapitres 6 et 7). L’accumulation capitaliste en phase ascendante
supposait donc naturellement une main-d’œuvre de plus en plus
abondante. La seconde condition portait sur la malléabilité de la
force de travail, il faut d’une part que le travailleur ne se vende
pas en une seule fois, qu’il n’aliène pas définitivement sa
force de travail, d’autre part qu’il n’ait rien d’autre à
vendre. Marx reprenait point par point Engels, qui avait longuement
mis en évidence en 1844 la différence entre le prolétaire et
l’esclave : « mais au lieu d’être vendu en une fois,
il se vend à la journée, à la semaine, à l’année, et comme
aucun propriétaire ne le vend à un autre, il est forcé de se
vendre lui-même, n’étant l’esclave d’aucun propriétaire en
particulier, mais de la classe capitaliste dans son ensemble ».
La
bourgeoisie est bien plus à son avantage que dans le régime
esclavagiste : elle n’a aucune obligation envers les ouvriers,
n’ayant investi aucun capital ; l’ouvrier coûte donc moins
cher qu’un esclave. Troisième condition, qu’il existe un certain
degré de maturité du capitalisme, sinon le renforcement du capital
constant au détriment du capital variable n’est guère possible,
faute de progrès technique : « Cette
marche singulière de l’industrie, que nous ne rencontrons à
aucune époque antérieure de l’humanité, était également
impossible dans la période d’enfance de la production capitaliste.
Alors, le progrès technique étant lent et se généralisant plus
lentement encore, les changements dans la composition du capital
social se firent à peine sentir. (...) C’est seulement sous le
régime de la grande industrie que la production d’un superflu de
population devient un ressort régulier de la production des
richesses ». La quatrième condition tient au rythme de
reproduction de la force de travail. Marx approuve Malthus. Supposons
qu’une nouvelle opportunité d’accumulation industrielle se
dessine. Elle va déclencher une demande de travail … »14 .
À
côté de l’intensification de l’exploitation, l’accumulation a
une autre conséquence démographique majeure : pour accroître
l’armée de réserve industrielle, le capitalisme peut disposer
d’une offre de main-d’œuvre supplémentaire si la mobilité
de la population est accrue. Marx est donc conduit à conceptualiser
la mobilisation de la force de travail. On retrouve la question de la
surpopulation relative : celle-ci se présente sous trois
formes : flottante, latente, stagnante. Dans l’industrie
moderne, la surpopulation est flottante, car elle varie au gré de la
conjoncture, même si elle tend à croître du fait du progrès de
cette forme de production par rapport à la manufacture ou au travail
domestique, et même si le capital variable diminue au profit du
capital constant. La surpopulation était « latente » en
milieu rural alors qu'elle est devenue pression permanente avec les
migrations désordonnées actuelles ; le mouvement d’exode
rural ne se déclenchait que si des opportunités s’ouvraient en
milieu urbain. La troisième composante, la surpopulation
« stagnante », fait partie de l’armée industrielle
active,
et non de « réserve ». Autrement dit, il s’agit d’une
main-d’œuvre employée, mais dont l’activité est très
irrégulière et le salaire au niveau du minimum vital ; ce qui
peut caractériser le migrant en général, taillable et corvéable à
merci du fait de sa situation « irrégulière » et
soumis, non prioritairement à la dénonciation de l'extrême droite
mais otage des desideratas patronaux et préfectoraux de la
démocratie antiraciste. La surpopulation stagnante était au 19 ème,
selon Marx avant tout du « travail à domicile », dont
les caractéristiques démographiques sont spécifiques et rappellent
« la reproduction extraordinaire de certaines espèces animales
faibles et constamment pourchassées ». En effet, elle
s’alimente des ouvriers en « surnuméraire », elle ne
cesse de se « reproduire elle-même sur une échelle
progressive. Non seulement le chiffre des naissances et des décès y
est très élevé, mais les diverses catégories de cette
surpopulation à l’état stagnant s’accroissent actuellement en
raison inverse du montant des salaires qui leur échoient, et par
conséquent, des subsistances sur lesquelles elles végètent ».
Invariance et validité de la description de Marx donc par delà les
époques.
Indépendamment
de cette typologie, l’analyse du prolétariat agricole
anglais donna lieu à des pages pénétrantes, où se mêlent
analyse historique, recours aux témoignages des observateurs,
données statistiques sur les salaires et la malnutrition,
enquêtes sociales de 1863, 1864 et 1865 sur le logement et la
santé en milieu rural. On ne peut s'empêcher d'y retrouver
la description de l'exploitation actuelle d'un prolétariat
agricole migrant, cueilleurs de fruits ou nettoyeurs de
patates, en Italie et en Espagne en particulier. Tout ce qui
est relatif aux formes de la surpopulation relative dans deux
comtés, le Worcestershire et le Lincolnshire, décrivait la
contradiction liée au caractère saisonnier de l’agriculture.
Hormis les pointes saisonnières, la main-d’œuvre y est
excédentaire, aussi les fermiers renoncent-ils peu à peu à
l’emploi de travailleurs à demeure, trop coûteux, au
profit du recours à des bandes de dix à cinquante personnes,
essentiellement des femmes et des enfants, placés sous la
direction d’un gangmaster,
et qui se louent de ferme en ferme. Ce système des bandes ne
cesse de s’étendre, et les enquêtes rassemblent des
témoignages de gros fermiers, très explicites sur l’intérêt
qu’ils y trouvent. Marx avait certes bénéficié des
remarquables enquêtes sociales conduites au milieu des années
1860 et publiées au moment où il rédige Le
Capital,
mais il opère une remarquable synthèse de ces faits, à
partir du concept de surpopulation relative :
« Ce
système qui, depuis ces dernières années, ne cesse de
s’étendre, n’existe évidemment pas pour le bon plaisir
du chef de bande. Il existe parce qu’il enrichit les gros
fermiers et les propriétaires. Quant aux fermiers, il n’est
pas de méthode plus ingénieuse pour maintenir son personnel
de travailleurs bien au-dessous du niveau normal – tout en
laissant toujours à sa disposition un supplément de bras
applicable à chaque besogne extraordinaire – pour obtenir
beaucoup de travail avec le moins d’argent possible, et pour
rendre ‘superflus’ les adultes mâles. On ne s’étonnera
plus, d’après les explications données, que le chômage
plus ou moins long et fréquent de l’ouvrier agricole soit
franchement avoué, et qu’en même temps « le système
des bandes » soit déclaré « nécessaire »,
sous prétexte que les travailleurs mâles font défaut et
qu’ils émigrent vers les villes. La terre du Lincolnshire
nettoyée, ses cultivateurs souillés, voilà le pôle positif
et le pôle négatif de la production capitaliste « .
Marx apparaît
à nouveau toujours actuel. Il aurait pu ajouter que les
bureaucraties obscures de Bruxelles, les passeurs gauchistes,
et les gouvernements plutôt de gauche, aident les gros
fermiers d'Italie et d'Espagne à s'enrichir.
« Le
concept de surpopulation relative, on l’a vu, est
étroitement lié au constat de l’exode rural et de
l’urbanisation, qui eux-mêmes renvoient à la demande de
travail dans l’industrie. Les travaux des démographes et
historiens anglais confirment le constat de Marx que la
croissance a été plus rapide en milieu urbain et industriel.
Sur le long terme, par exemple entre 1700 et 1750, l’ensemble
de l’Angleterre et du Pays de Galles a augmenté de 23 %,
beaucoup moins que les régions industrielles :
Lancashire (33 %), Warwickshire (28 %), West Riding
du Yorkshire (26 %). À une échelle plus fine, entre
1751 et 1831, les comtés ruraux ont augmenté de 88 %,
les comtés urbains de 129 %. Dans le Vale of Trent
étudié par Chambers, entre 1764 et 1801 les 62 villages
agricoles se sont accrus de 38,7 % contre 96,5 %
pour les 40 villages industriels. Mais à vrai dire, la
contribution de Marx n’est pas très originale, puisque
précisément il s’appuie sur des sources publiques, en
particulier les publications du Registrar
General ».
Plus
intéressant encore est ce que constate à son tour Marx dans
le « vivier à travailleur manuel » ; il faut
rappeler et Marx le notait aussi, que dans les familles
ouvrières au 19 ème siècle, pour augmenter le salaire
misérable de l'homme il fallait produire plusieurs enfants et
mettre la femme au travail. Le tableau qui suit n'a pas grand
chose à envier à la nouvelle « population stagnante »,
qui est présentée comme source de toutes les peurs quand
elle n'est que la victime du système en totale gabegie et
conviée à venir gonfler les ghettos de la misère dans
l'impasse « Sans avenir ».
« À
propos des bandes d’ouvriers agricoles qui se louent aux
propriétaires terriens, Marx note que les villages d’où
ces bandes sont originaires se caractérisent par une
promiscuité sexuelle, un taux d’illégitimité très élevé
(jusqu’à la moitié des naissances dans certains villages ;
il cite Bilford dans le Worcestershire), souvent parmi des
adolescentes de 13 ou 14 ans, illégitimité sans doute
accompagnée d’avortement et d’infanticide, et enfin par
un alcoolisme aggravé par la consommation de produits dérivés
de l’opium, que les mères font absorber à leurs enfants.
Les travaux des historiens anglais actuels confirment
l’ampleur de l’illégitimité, la plus « démographique »
des conséquences sociales du système des bandes, étant
entendu qu’elle s’observait dans bien d’autres
contextes, en particulier en milieu urbain. Mais ici encore ce
fléau social était connu et Marx n’innove pas ».
Bien
plus intéressant est le problème posé par un passage du
chapitre 25 du Capital,
où Marx emprunte un tableau au General
Registrar,
qui intègre les résultats du recensement de 1861 (tableau
1). Le constat du ralentissement de la population anglaise
entre 1811 et 1861 ne donne lieu à pratiquement aucun
commentaire spécifique,
Marx citant immédiatement après le tableau toute une série
de chiffres qui établissent l’accroissement beaucoup plus
rapide du capital et de la richesse au cours de la même
période, et concluant sur le contraste avec la pauvreté
persistante de la classe ouvrière, qu’il dénonce
véhémentement.
Mais
il ne poursuit pas sa pensée. Essayons de compléter la
démonstration en nous plaçant dans la logique du Capital.
Il est certes tentant de supposer que le parallèle qu’il
établit entre le progrès de la richesse et celui de la
pauvreté renvoie, conformément à l’analyse de l’évolution
de la composition organique du capital, à l’idée que le
capital constant augmente plus vite que le capital variable.
Mais si l’on part du constat du ralentissement du taux de
croissance il faut au minimum, pour avancer dans l’analyse,
décomposer ce dernier et s’interroger sur les taux de
natalité et de mortalité. En supposant que le solde naturel
est bien plus important que le solde migratoire, un
ralentissement de la croissance totale peut résulter, soit
d’une fécondité constante tandis que la mortalité
augmente (traduisant une aggravation du niveau de vie), soit
d’une diminution de la mortalité, compensée par une baisse
encore plus rapide de la fécondité (ce qui suggère une
amélioration du niveau de vie).
Puisque Marx pose
que la misère ouvrière s’est accrue, cela implique que la
mortalité a augmenté et que la fécondité a aussi
augmenté ou au minimum qu’elle soit restée constante. En
effet, en termes macro-économiques marxistes, la
croissance du capital variable (la population) est plus lente
que celle de l’accumulation du capital constant, la
prolétarisation se généralise et au niveau microéconomique
les ouvriers doivent augmenter leur fécondité pour compenser
la baisse des salaires. On
sait aujourd’hui que les taux de natalité et de mortalité
sont effectivement restés stables au cours de la période.
Nous sommes bien dans la première des deux hypothèses et la
théorie éclaire donc la réalité.
Le
solde migratoire joue donc ici le rôle du fait dérangeant
qui perturbe la tranquillité du théoricien et ce constat a
des implications importantes. D’abord, la
difficulté à établir la preuve d’une construction
théorique en l’absence de données appropriées. Marx
n’avait évidemment pas celles-ci à sa disposition, mais il
a voulu voir la démonstration de sa loi de population dans
les seuls
taux globaux d’accroissement intercensitaires, alors que
dans sa logique même, la preuve dont il avait besoin
impliquait au minimum de prendre en compte la dynamique
démographique, au demeurant fort simple, des taux de natalité
et de mortalité.
Il
en résulte ensuite que le ralentissement ne s’explique pas
par un changement dans la composition organique du capital,
affectant la fécondité et la mortalité, mais par une
émigration croissante, puisque les taux de natalité et de
mortalité sont restés à peu près constants. Certes
l’économie a continué à gouverner les comportements
démographiques, la misère ayant été la cause de
l’émigration, comme le montre la tragédie irlandaise :
sur une population totale de 8 175 000 en 1841, la famine de
1846 fit près d’un million de morts et déclencha une
émigration d’un million et demi d’Irlandais au cours de
la famine, si bien qu’en 1851 l’Irlande comptait 1 623 000
personnes de moins qu’en 1841.
Mais
l’implication idéologique majeure est que l’émigration
offre une soupape aux crises du capitalisme, en réduisant
l’armée industrielle de réserve. Marx anticipe l’objection
et rétorque que le sort des « travailleurs restés en
Irlande et délivrés de la surpopulation » ne s’est
pas pour autant amélioré, car « la révolution
agricole a marché au même pas que l’émigration. L’excès
relatif de population s’est produit plus vite que sa
diminution absolue » . Mais pourquoi n’a-t-il pas
pris en compte les autres flux d’émigration
outre-Atlantique, ceux partis d’Angleterre, alors qu’il
analyse, on l’a vu, les crises du capitalisme anglais dans
leur dimension internationale ? On peut penser que Marx a
été conduit à sous-estimer l’importance de l’émigration
à propos de l’Angleterre pour la raison évoquée au début
de ce paragraphe, à savoir l’enjeu idéologique des crises.
L’Angleterre étant justement le pays où le capitalisme
industriel était le plus développé, cela fragilisait sa
démonstration, alors que l’Irlande, comme d’ailleurs il
le souligne à plusieurs reprises, était encore un pays rural
et agricole. Notons la différence avec Malthus, qui pouvait
au contraire s’appuyer sur l’émigration et arguer que
c’était, pour l’Angleterre précisément, une fausse
solution au problème de la misère : à long terme, la
terre serait remplie à cause du principe de population, les
places laissées libres étant immédiatement occupées.
Pourtant
une autre critique doit être formulée, celle-ci indépendante
du problème des preuves quantitatives dont ne disposait pas
Marx. Il ne pouvait ignorer que le prolétariat n’était
qu’en constitution et que l’Angleterre n’en était pas
arrivée au face à face final, puisqu’au chapitre 32 du
Livre I, il prédit
que l’affrontement aura lieu à terme. Néanmoins il
interprète les données globales sur la population de
l’Angleterre et du Pays de Galles comme si d’ores et déjà
elle ne se composait plus que d’ouvriers et de capitalistes.
Un sérieux conflit de temporalités surgit : on ne peut
pas interpréter des chiffres actuels en référence à une
situation sociale future. Faute de logique d’autant plus
surprenante que dans la Critique
de l’économie politique,
Marx insistait sur le fait que les chiffres devaient être
ancrés dans la réalité sociale, et que ce penseur très
soucieux de périodisation était d’accord avec Malthus pour
penser que l’accroissement de la fécondité était une
réponse bien trop lente aux besoins du capital, d’où la
nécessité de recourir à des gisements de main-d’œuvre
rurale.
Ceci
nous conduit au vaste débat idéologique autour de la qualité
du pronostic de Marx : la société capitaliste est-elle
ou non caractérisée par un mouvement inéluctable de
paupérisation menant à son effondrement ? Pour ce qui
est des faits démographiques en tout cas, à partir de 1860,
la mortalité et la fécondité ont entamé un mouvement
irréversible de baisse, preuve de l’élévation du niveau
de vie. La mortalité a diminué, on le sait, sous l’effet
d’une amélioration de l’alimentation résultant de la
révolution agricole et d’un recul concomitant de la
virulence des épidémies. D’autre part, Marx, qui pourtant
vivait à Londres, où la propagande néo-malthusienne
commençait à se développer, passa à côté de cette
réalité émergente, la baisse de la fécondité dans les
classes moyennes.
Tout
sépare Malthus de Marx : la démarche même de la
pensée, ondoyante chez l’un, structurée chez l’autre, la
construction théorique, le rôle politique enfin. Une chose
leur est commune : l’un et l’autre ont proposé une
véritable loi de population. Ou plutôt il se sont tous deux
fermement situés au niveau théorique, Malthus croyant à
l’universalité dans le temps et dans l’espace du principe
de population, Marx posant l’existence de lois de population
spécifiques de chaque mode de production et s’attachant
exclusivement à celle du capitalisme.
Comment
lire ce que Marx a écrit sur la population ? Il faut
certes vérifier la cohérence de la construction théorique,
qui relève de l’économie politique – puisque la loi de
population est celle d’un mode de production – en
s’attachant plus particulièrement à ses concepts centraux,
ceux de demande de travail et de plus-value. Il faut aussi
intégrer la dimension socio-démographique des idées de
Marx, à vrai dire inspirées d’Engels. Il faut
simultanément intégrer la dimension socio-démographique des
idées de Marx, à vrai dire inspirées d’Engels. L’analyse
de la misère ouvrière comme facteur d’une nuptialité
précoce et d’une fécondité élevée est une première
contribution. La reconnaissance des diverses formes de
mobilité et en particulier de l’ampleur de l’exode rural,
en est une autre. La morbidité, la malnutrition et la
mortalité en milieu ouvrier en sont une troisième. Or si
l’économiste propose une loi de population du capitalisme,
celle-ci doit rendre compte de l’ensemble des comportements
socio-démographiques, ceux des capitalistes, des ouvriers,
des autres classes sociales, fussent-elles condamnées à
disparaître. Mais si la qualité du sociologue des classes
ouvrières est incontestable, Marx dit très peu de choses sur
les comportements démographiques des autres classes sociales.
Ce qui, par ricochet, prive de vérification expérimentale sa
construction théorique. Finalement, faute d’avoir distingué
ce qui était spécifique de la classe ouvrière et ce qui
concernait l’ensemble de la population, Marx sociologue n’a
pas su ou voulu relativiser les implications théoriques de
ses notations très concrètes en matière de fécondité, de
nuptialité, de mortalité et de migrations. Alors qu’il
relie magistralement l’analyse du fonctionnement concret du
capitalisme anglais des années 1860 à la théorie de
l’accumulation du capital, que le concept de surpopulation
relative est opératoire pour analyser le fonctionnement du
marché du travail, qu’enfin les données démographiques
propres à la condition ouvrière sont convaincantes, le
constat démographique global relatif à cette même
Angleterre des années 1860 le met en difficulté pour la
raison déjà évoquée : on ne peut utiliser des données
portant sur l’ensemble de la population, en les interprétant
comme si elles étaient pertinentes à une seule classe
sociale. Le besoin de justifier la prédiction l’a emporté
ici sur l’analyse sociologique.
Revenons
à notre question initiale : pourquoi Marx a-t-il une
attitude aussi ambivalente à l’égard de Malthus ? Il
lui reconnaît en effet un réel mérite théorique, tout en
lui reprochant de prôner la mesure doctrinale qui est
cohérente avec la contribution théorique. Lecteur attentif
de Malthus, il reprend point par point son argumentation, le
crédite d’avoir perçu le risque d’une surproduction
générale et de n’avoir pas cherché à « cacher les
contradictions de la production bourgeoise » En
1852, dans une lettre à Joseph Weydemeyer, journaliste....
Contrairement à l’optimisme des « économistes
vulgaires », tels Jean-Baptiste Say avec la sacro-sainte
loi des débouchés, ou Frédéric Bastiat avec sa théorie de
l’harmonie des intérêts, Malthus, à travers la mise en
garde contre un risque d’insuffisance de la demande
effective, avait effectivement sapé définitivement
l’optimisme libéral relatif au devenir du capitalisme.
Keynes, qui partageait d’ailleurs cet avis, avait, on l’a
noté, proclamé Malthus le premier des économistes de
Cambridge, pour avoir, contre Ricardo, prédit le risque d’une
crise générale liée à une insuffisance de la demande
effective.
Mais
Marx rejette fermement la conclusion de Malthus : ce
n’est pas en augmentant les classes improductives que les
crises seront évitées. La réponse à la première question
relève finalement du débat idéologique. Du point de vue de
la doctrine sociale, Malthus plaide, de manière très
moderne, en faveur d’une société plutôt composée de
classes moyennes, ce qui permettrait de maximiser la demande
effective. C’est l’industrie qui permet à long terme, en
tant que source principale de la demande de travail,
d’améliorer le bien-être et de résoudre le problème
social grâce à une généralisation de la contrainte
prudente. Elle stimule la croissance démographique sans pour
autant induire une aggravation des conditions de vie dans la
population. À court terme, la régulation se fait par les
fluctuations du niveau de vie et de la nuptialité, qui
varient l’un et l’autre avec la demande de travail. Marx
voit bien l’enjeu politique : « Malthus admet
la production
bourgeoise pour autant qu’elle n’est pas révolutionnaire,
qu’elle n’est pas une force historique, mais qu’elle
crée une base matérielle plus large et plus commode pour
l’ancienne société ». Effectivement, s’il existe
une solution aux crises du capitalisme du côté de la
consommation, si en dépit du processus d’accumulation, les
stocks issus d’une production de masse à faible prix
peuvent s’écouler sur les marchés grâce à la
consommation de classes moyennes, alors les contradictions du
capitalisme sont désamorcées. Marx ne pouvait donc que
vivement combattre Malthus sur ce point. Il ne fut pas le seul
à percevoir le danger : l’hostilité de Clara Zetkin
et de Rosa Luxembourg au néo-malthusianisme relève de la
même logique.
ROSA
LUXEMBURG OPPOSEE AU CONTROLE DES NAISSANCES
En
1913, au Congrès de Berlin, elles s’opposèrent aux thèses
anarcho-syndicalistes, qui prônaient la « grève des
ventres » pour ne pas donner à la bourgeoisie de la
chair à canon, à travail et à plaisir. L’intérêt des
communistes était radicalement opposé à cette stratégie :
plus le prolétariat était nombreux, plus son potentiel
révolutionnaire était élevé. Mais la même année 1913,
Lénine publie le 16 juin dans la Pravda
un article souvent cité dont l’argumentation est
sensiblement différente et qui est particulièrement
intéressant pour notre propos. D’abord il réitère
l’hostilité « absolue » des communistes au
néo-malthusianisme. Mais pour autant, « cela ne nous
empêche pas d’exiger un changement complet des lois
interdisant l’avortement ou la diffusion d’ouvrages de
médecine ayant trait aux moyens anticonceptionnels. Ces lois
sont une hypocrisie des classes dirigeantes ». Lénine
affirme ensuite que cette position se justifie au nom des
« droits démocratiques élémentaires des citoyens et
des citoyennes ». L’ambiguïté doctrinale est
extrême. Si on se place dans la ligne des analyses du
Capital,
la révolution prolétarienne doit en effet inéluctablement
résulter des contradictions économiques du capitalisme,
alors que les arguments « démocratiques » de
Lénine sont un plaidoyer clairement destiné aux classes
moyennes. Mais tandis que Clara Zetkin et Rosa Luxembourg, qui
s’adressaient au contraire aux ouvriers, étaient tout
naturellement fidèles à l’orthodoxie marxienne, se ranger
aux côtés des néo-malthusiens, comme le fait Lénine, ne
fût-ce que pour des raisons purement tactiques, était plus
périlleux. Car
à l’évidence le risque lié à la diffusion de la
contraception est celui de la dérive social-démocrate :
des ouvriers moins nombreux à offrir leur main-d’œuvre
pourraient négocier de meilleurs salaires, améliorer leur
niveau de vie et à terme s’embourgeoiser. Aussi Lénine
est-il obligé d’ajouter que « les ouvriers conscients
mèneront toujours la lutte la plus impitoyable contre les
tentatives d’insuffler cette théorie réactionnaire et
lâche à la classe la plus avancée de la société
contemporaine,
à celle qui est la plus forte, la mieux préparée à la
grande transformation ». En d’autres termes, la prise
en compte de la superstructure, ici la législation sur la
contraception et l’avortement, oblige à passer au niveau du
combat idéologique pour préserver les chances de la
révolution prolétarienne. La prédiction purement économique
de l'effondrement du capitalisme passerait-elle par la non
résolution des migrations massives annoncées comme aussi
certaines et prolongées que l'éclipse du soleil ?
Il
ne sera pas répondu pour le moment dans cet article. Nous
préférons conclure sur l'aveuglement gêné aux entournures
de tous ceux qui nient les impossibilités et les problèmes
graves posés par ces fuites de populations vers les pays dits
riches mais forteresses d'injustices pour les classes d'en bas
qui y vivent depuis longtemps. Pour l'instant il n'y a aucune
solution à un problème insoluble dans le capitalisme pourri.
LES
FAUX-CULS GAUCHISTES et L'ARGENT MUSULMAN
Le
soutien caritatif et le ramdam des diverses officines
gauchistes et assocs anarchistes ont pour but de leur éviter
de dénoncer les guerres du pétrole entre compétiteurs
affilés aux grandes puissances et parce que c'est trop
compliqué (qui est vraiment daech?). Les militants dits
d'extrême gauche ne réfléchissent pas et obéissent aux
clichés des pires partis bourgeois menteurs. Mais comme le
phénomène migratoire finit par être répétitif et odieux,
les secouristes humanitaires finissent par se ridiculiser
eux-mêmes comme instruments des invisibles passeurs et des
magnats de l'agriculture.
Libération,
qui est la tête pensante de cette noria d'imbéciles, déforme
systématiquement et de façon simpliste toute réflexion ou
réorientation. Ainsi quand il est annoncé que : Sahra
Wagenknecht, la co-présidente du groupe parlementaire de Die
Linke au Bundestag, lancera le 4 septembre «Aufstehen», un
parti pour en finir avec la «bonne conscience de gauche sur
la culture de l’accueil».
Libération, qui a oublié les agressions sexuelles multiples à Cologne (et le fait que la bourgeoisie méprise les besoins sexuels des hommes immigrés comme de la classe ouvrière autochtone), titre : « Allemagne :
l'égérie de la gauche radicale penche à l'extrême droite
sur les migrants ». La co-présidente n'a pourtant pour
but que de râcler des voix en milieu ouvrier qui vote de plus
en plus pour l'Afd, avec un argument électoral (mais aussi
marxiste!) : «Plus
de migrants économiques, cela signifie plus de concurrence
pour les bas salaires dans le secteur de l’emploi.»
Un
paysage politique en mutation...
déplore Libération :
« Que
cherche Sahra Wagenknecht ? Elle est consciente que Die Linke ne
cesse de perdre des voix au profit de l’AfD, surtout dans l’est
de l’Allemagne. Qu’il ne parvient pas, lors des élections
fédérales, à passer la barre des 10%. Elle constate enfin que
ces nouveaux mouvements citoyens dont s’inspire Aufstehen
parviennent à séduire en ratissant large. Elle a vu avec intérêt
Jean-Luc
Mélenchon récolter 19% des voix
lors de la dernière présidentielle française. Ainsi tente-t-elle
d’attirer des sympathisants à coups de punchlines percutante s:
«Les
lobbyistes ont beaucoup d’argent, nous avons des gens.» Il
n'est pas dit qui sont les lobbyistes.
La
pantalonnade de la « pensée unique » de l'inquisition
européenne dominante confine à la caricature du pouvoir politique
avec l'inculpation de Salvini :
Matteo Salvini poursuivi en justice pour séquestration de migrants
ItalieLe Parquet d’Agrigente met en accusation le ministre de l’Intérieur, qui a refusé le débarquement de migrants en Sicile.
Les
juges, ces suppôts des financiers, et des roitelets de l'or
musulman, s'érigent en défenseurs des pauvres migrants contre les
fachos du gouvernement. On est en plein délire orwellien, pensera
notre lecteur lambda. Pas du tout, le pouvoir n'est jamais où l'on
croit. L'Italie a l'habitude avec ses mafias. On se souvient que le
roi déposé naguère comme un vulgaire fonctionnaire cet âne de
Mussolini. On est en plein vaudeville :
« «Les
juges m’ont donné une médaille, ils peuvent m’arrêter mais ils
n’arrêteront pas le changement, qu’ils viennent me chercher, je
les attends avec de la grappa!» C’est par ces mots que Matteo
Salvini, le ministre de l’Intérieur et vice-premier ministre
italien, a réagi à sa mise sous enquête, samedi, par le Parquet
d’Agrigente pour avoir interdit le débarquement dans le port de
Catane de 177 migrants repêchés en mer Méditerranée par les
gardes-côtes du navire italien Diciotti. Ceux-ci ont finalement pu
débarquer, et devraient être accueillis en partie par l’Irlande,
l’Albanie et le Vatican. Les
magistrats reprochent au grand manitou de la Ligue d’avoir agi de
façon arbitraire en empêchant d’abord un navire militaire – les
gardes-côtes ayant rang de militaires – de jeter l’ancre dans un
port italien. Puis d’avoir séquestré les migrants en leur
interdisant de descendre à terre. Ils le soupçonnent
aussi d’avoir violé les lois sur l’immigration, qui établissent
qu’aucune décision ne peut être prise avant que la personne ait
été identifiée et qu’elle ait présenté une demande d’asile
ou de protection humanitaire. (…) À toutes ces accusations
pourrait s’en ajouter une autre: celle de non-assistance à
personne en danger, les gardes-côtes ayant à plusieurs reprises
demandé l’autorisation de faire descendre les migrants à terre en
raison «d’une situation extrêmement critique à bord».
L'ONU,
qui a besoin de l'argent musulman, est venu contredire la décision
de justice concernant l'affaire de la crèche Baby Loup où une
voilée provocatrice avait été heureusement licenciée. Le monde entier assiste à l'halali contre les prêtres pédophiles mais personne n'ose élever une remarque contre cette autre religion pédophile qui autorise le mariage des fillettes dès 12 ans. Connerie de religion et religion de la connerie. L'ONU est
nue sans argent musulman, pardon pétrolier. Après le mémorable
combat névrotique entre Booba et Kaaris, le duel parano entre
Deschamps et Dugarry, verra-ton enfin un gouvernement unitaire Le
Pen/Besancenot ?
Un
quotidien a questionné, sans rire courant août : auriez-vous
envie d'être membre d'un parti politique ? Je vous laisse
supposer vers quoi a penché la quantité de réponses... négatives !
NOTES
1On
se souvient de cet appel lancinant à la radio de Tintin ministre du général De
Gaulle. Ce qu'on ne savait pas c'est qu'il avait fait déporter des
centaines d'enfants réunionnais pour repeupler la Creuse. Le
Capital a toujours besoin d'importer une population productive et
reste prêt à voler des enfants.
Depuis
Adam Smith, les économistes sont traditionnellement des grands
défenseurs de l’arrivée de migrants sur le marché du travail, mais peu regardants sur le matériel réquisitionné de force.
2Or,
l'argumentation du Manifeste qui suit est plus nuancée et quelque
peu énigmatique pour les esprits simplistes gauchistes parce que
Marx refuse tout universalisme abstrait : « « Comme
le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir
politique, s’ériger en classe nationale
(édition
de 1848) ou en
classe dirigeante de la nation
(édition
de 1888), se
constituer lui-même en nation, il est encore par-là national,
quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie ».
Lire cette analyse approfondie :
http://www.contretemps.eu/les-proletaires-nont-pas-de-patrie-linternationalisme-vu-du-manifeste-du-parti-communiste/
. Et cette remarque judicieuse : « En
tout cas, quoi que dise ou laisse entendre Marx dans le Manifeste,
force est d’admettre que, dans le cadre des sociétés existantes,
l’appartenance de classe n’abolit pas l’appartenance nationale
et que les travailleurs ont bien une nationalité, comprise non pas
au simple sens de sa définition juridique et encore moins au sens
d’une identité substantielle, mais comme construction historique
et sociale18. Cette construction a culminé avec celle des
États-nation : des États de classe qui ne sont pas
naturellement voués à clore l’histoire des pouvoirs publics.
Mais cette construction s’est, depuis le XIXe siècle, intensifiée
sous l’effet à la fois des conquêtes sociales propres à chaque
pays et de la mise en concurrence des prolétariats nationaux ».
3http://www.contretemps.eu/les-proletaires-nont-pas-de-patrie-linternationalisme-vu-du-manifeste-du-parti-communiste/
. J'ai signalé l'intérêt de lire son livre « Convoiter
l'impossible » dans mon propre ouvrage « Dans quel
« Etat » est la révolution ?'.
6
Marx
dit, citant Malthus : « les habitudes de prudence dans
les rapports matrimoniaux, si elles étaient poussées trop loin
parmi la classe ouvrière d’un pays dépendant surtout des
manufactures et du commerce, porteraient préjudice à ce pays…
Par la nature même de la population, une demande particulière ne
peut pas amener sur le marché un surcroît de travailleurs avant un
laps de seize ou de dix-huit ans et la conversion du revenu en
capital par la voie de l’épargne peut s’effectuer beaucoup plus
vite. Un pays est donc toujours exposé
à ce que son fonds de salaire croisse plus rapidement que sa
population ».
7Les
années Mao en France, avant, pendant et après 68 de François
Hourmant, p.149. (Odile Jacob, 2018)
8Le
trotskiste impénitent et communautariste Enzo Traverso, qui veut
immortaliser les faussaires trotskiens de feu la Quatrième
internationale, a théorisé la démoralisation des plus grands,
sans rien y comprendre (cf.Mélancolie de gauche) y mêlant
l'immense Blanqui qui aurait été démoralisé par la « répétition
des défaites » ; or rien n'est plus faux, jusqu'au bout
Blanqui reste le flamboyant Blanqui, même dans sa lettre à
Clemenceau, même dans les textes « L 'éternité par les
astres », et dans « Fatal, fatalisme, fatalité ».
Blanqui n'est point le rigide sanguinaire caricaturé par tant
d'ennemis, il élabore en permanence, sans négliger de renier les
idées vieillies. Lire :
http://revueperiode.net/un-texte-inedit-dauguste-blanqui-fatal-fatalisme-fatalite/
9 Le Capital – Livre premier, Le développement de la production capitaliste, VII° section : Accumulation du capital, Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste I. Livre III Production croissante d’une surpopulation relative ou d’une armée industrielle de réserve
11Caucasien,
disent les sites de rencontres pour ne pas être taxés
d'homophobie, racisme et autres ismes.
12Le
simple fait d'énoncer ce constat vaut les foudres de l'inquisition
antiraciste. Le terme race est d'ailleurs depuis peu interdit
d'usage par la Constitution de la bourgeoisie hypocrite et
arrogante. Quiconque veut vraiment s'exprimer politiquement ne peut le faire que dans le domaine privé, comme en Russie sous Staline et Brejnev.
13Si
nécessaire dans le Capital décadent (dixit Berlusconi).
14« Ibid