LE MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE ET LA SECONDE GUERRE
MONDIALE.
L'avant guerre
Pierre Hempel.: On va essayer
d'appréhender la marche vers la guerre. Un certain nombre de phénomènes se
produisent: développement des idéologies de la contre-révolution, stalinisme et
nazisme. Par-dessus le marché, l'idéologie bourgeoise libérale en rajoute en
disant que la tactique "classe contre classe" de ces années-là des
partis communistes à l'origine opportunistes et pas encore embourgeoisés, qui
refusaient l'alliance avec les partis socialistes dégénérés, avaient favorisé
la montée du nazisme. Il faut démystifier cette idée mensongère du front unique
libéral comme seul obstacle à la prise du pouvoir par les nazis, tout aussi
capitalistes. Régulièrement le journal "Le Monde", tout comme les
trotskystes se lamentent de l'absence d'unité du "mouvement ouvrier"
comme principale cause de la victoire du nazisme.
Marc Chiric: C'est la question
du Front Unique qui remonte au IIIème Congrès de l'I.C. Les bolcheviks, et en
général le Komintern, posaient la question, contrairement à ce qui était
annoncé au 1er Congrès, considérant que les partis socialistes après la
scission devaient être considérés comme des organes de la bourgeoisie. Tout de
suite après le IIIème Congrès, ils commencent à considérer que les partis
social-démocrates font partie du mouvement ouvrier. Après l'échec de la
révolution en Allemagne, ils se posent la question de gagner la majorité des
ouvriers. Il faut absolument , coûte que coûte pouvoir toucher les ouvriers.
Comment toucher les ouvriers socialistes si ce n'est en proposant le
"Front Unique" aux partis socialistes avec un programme minimum de
défense des intérêts immédiats des ouvriers. Et dans ce cadre pouvoir dénoncer
dans la pratique la non-défense des intérêts ouvriers par les partis socialistes.
Treint, le secrétaire général du PC, avait utilisé l'expression "plumer la
volaille socialiste", un peu comme le cuisinier qui s'approche vers la
poule pour lui arracher les plumes. Et nous n'étions pas d'accord avec Treint
dans les débats. Cette politique dominait toute la politique des PC, sauf le
parti italien, Bordiga, etc. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles,
Bordiga, tout en étant majoritaire dans
le PC italien, renonce à la direction, obéissant au principe: le parti est un
parti mondial unique, il n'est pas possible que dans une section, dans un pays
séparé, il puisse y avoir une direction en désaccord avec la direction de
l'Internationale. Très fair play, Bordiga ne renonce pas à combattre cette
orientation, mais renonce à la direction très généreusement. La bataille va se
mener, mais Bordiga a abandonné la direction avant la laissant à
Gramsci/Togliatti.
Il y avait aussi des
réactions dans le parti français, pas toujours forcément les meilleures, les
plus claires. C'était souvent des réactions sentimentales. Un des délégués de
la gauche française, par ailleurs droitier notoire déclarait "comment
m'asseoir à la table de ceux qui ont assassiné Rosa Luxembourg? Jamais!".
Avec de tels arguments, uniquement parce qu'ils avaient assassiné Rosa
Luxembourg, c'était insuffisant. Il fallait démontrer la question
fondamentale: Front Unique avec les "partis ouvriers"? Or est-ce que
se sont des partis ouvriers ou non? L'Internationale donnait une crédibilité
de partis "ouvriers", un peu comme les trotskystes le font maintenant
vis à vis des partis de gauche. Or, cette politique dans les tournants à
gauche, "classe contre classe", etc, dans les années 30,
correspondait aux besoins de la
Russie de pousser les bourgeoisies européennes à ne pas
s'allier avec l'Allemagne.
P.H.: Mais c'était foutu
de toute façon, même si les démocrates de gauche s'étaient alliés avec les
staliniens, cela n'aurait pas contre-balancé la montée du nazisme ?
M.C.: Absolument! on a les
preuves de l'union nationale en France par exemple derrière De Gaulle, cela
n'avait pas empêché la droite d'arriver au pouvoir pendant de longues années
au gouvernement. Les alliances et le Front Unique n'ont jamais empêché
l'arrivée au gouvernement des diverses fractions de la droite. Ce n'était pas
un terrain de lutte pour la classe ouvrière. On a aussi l'exemple du Front
Unique contre Kemal Pacha, qui a entraîné un massacre incroyable de tous les
communistes, décapités. On ne fait pas le Front Unique avec la bourgeoisie.
Si, au 19é siècle, cela avait un sens de parler de fractions progressistes dans
la bourgeoisie contre des tendances féodales, comme l'alliance avec la
bourgeoisie démocratique contre Bismark. Cela n'a plus du tout de sens après la
première guerre impérialiste mondiale, l'ensemble de la bourgeoisie, du
système bourgeois est entré en décadence. Le progressisme n'est pas
progressif. Si la bourgeoisie avance, cela prouve déjà que le prolétariat est
hésitant. Pour que les nazis puissent arriver au pouvoir et dominer l'Etat en
Allemagne, il avait fallu auparavant tout un travail de sape de la part de la
social-démocratie pour démoraliser le prolétariat. Et aussi le travail de sape
des staliniens, où après le traité de Versailles il fallait que l'Allemagne
lutte pour une révolution nationale et sociale en même temps. Il fallait
d'abord détruire le traité de Versailles; ce qui était le mot d'ordre des
nazis, de la bourgeoisie nazie. Ce qui fait que l'alliance qui existait, que
les trotskystes imaginent, avec les sociaux-démocrates, n'aurait rien donné du
tout. La question était: le prolétariat a t'il perdu son terrain de classe? Il
fallait rappeler au prolétariat qu'il fallait lutter non pas pour la libération
de l'Allemagne, mais pour la lutte contre la bourgeoisie allemande. Or la lutte
contre cette politique là était abandonnée au nom de la lutte contre le
fascisme, nouveau dada, comme celui en Italie dans les années 22 contre
Mussolini. C'est la "démocratie" qui a préparé le terrain du
fascisme. Elle avait besoin du fascisme. Et, dans ce cas là, le prolétariat ne
pouvait rien y changer, il était déjà battu. Ainsi l'arrivée du fascisme ne
faisait que prouver la défaite du prolétariat. Défaite du prolétariat veut dire
qu'on l'a entraîné depuis des années sur un terrain de mystifications démocratiques
et nationalistes. De ce point de vue il n'y avait pas de question de
"sauver le pays" contre le fascisme et la social-démocratie.
P.H.: Dans les années
70, les bordiguistes argumentaient que les premiers communistes ont été les
premiers combattants "anti-fascistes" en Italie et en Allemagne.
M.C.: C'est faux! Les
communistes défendaient la nécessité de grouper la classe ouvrière sur son
terrain de classe, pour affronter le fascisme depuis son terrain de classe,
mais non pas aux côtés de la bourgeoisie "démocratique". Du temps de
la direction du parti italien avec Bordiga, le parti refusait toute alliance
avec les partis bourgeois pour, soit-disant, empêcher l'arrivée de Mussolini au
pouvoir. La Gauche
Italienne, y compris nous la Fraction en France, ne
s'est jamais réclamée de la lutte anti-fasciste. Elle avait dénoncer le Front
Unique en Allemagne; c'est une des raisons de la rupture de la Fraction italienne avec
Trotsky. Et de même, concernant l'Espagne, on refusait toute alliance au
soutien aux républicains contre Franco. La lutte contre le fascisme oui, mais
sur le terrain de classe, mais pas au nom de la défense de la république je ne
sais pas quoi, "démocratique".
La position de la Gauche est claire: aucune
alliance, aucun Front unique avec les partis de la bourgeoisie. Ce n'est pas
une position morale. Nous dénonçons précisément l'idéologie de la bourgeoisie
qui fera avancer la fraction qui lui convient le plus.
P.H.: On se trouve donc
dans une période où, globalement, avec le pacte Laval-Staline en 1934, le PC
d'opportuniste qu'il était pour le mouvement ouvrier, passe dans le camp de la
bourgeoisie; le 1er mai 34, il défile derrière le drapeau tricolore et Jeanne
d'Arc. Il se soumet aux objectifs de guerre de la bourgeoisie...
M.C.: C'est le point
culminant. C'est l'achèvement d'un processus de dégénérescence de l'I.C. et
des partis communistes depuis les années 23, sur la question nationale, sur la
question de Front Unique, etc, qui aboutit directement, non pas à être un
parti à moitié ouvrier, mais entre l'Etat russe et l'Etat capitaliste.
P.H.: Globalement la
gauche, des social-démocrates aux staliniens, a toutes les cartes en main
désormais pour préparer le prolétariat à l'idée d'inéluctabilité de la guerre.
A partir de 1934, ils vont à marche forcée amener le prolétariat pieds et
poings liés, disons en 3 ou 4 ans.
M.C.: Et grâce à
"l'anti-fascisme". Cette mystification est décisive pour amener les
ouvriers à la guerre. Sans le Front Populaire, il aurait été impossible de
faire la guerre. Il a fallu le Front populaire, les événements d'Espagne,
l'histoire de "l'anti-fascisme" pour lier ou au moins déboussoler les
ouvriers. Les ouvriers ne sont pas partis dans la deuxième guerre comme dans la
première "la fleur au fusil". Ils sont partis déboussolés, croyant
aller se battre pour la liberté, mais n'en étant pas très sûrs. Mais, pendant
quelques années, on les avait entraîné sur le terrain bourgeois du Front
Populaire, de l'anti-fascisme, au point qu'ils ne savaient plus à qui se vouer.
On avait surtout réussi à les déloger de leur terrain de classe. Alors une fois
délogés de leur terrain de classe, ils
ne pouvaient qu'aller - avec la peur et sans enthousiasme - au front de la guerre
de la France
contre l'Allemagne.
Mais il y avait si peu
d'enthousiasme qu'on peut vérifier en comparant avec le temps qu'il a fallu
diplomatiquement et militairement pour l'occupation de la Pologne (près de 6 semaines)
et le temps qu'il a fallu à la France
pour s'écrouler. L'écroulement de la
France se fait en huit jours. C'est la débandade. Et, même
au début, dans une certaine mesure dans la population française, le pétainisme,
quand Pétain vient parler d'arrêter la guerre, tout le monde s'en félicite:
"il y en a marre de la guerre!". Donc les ouvriers ne sont pas allés
avec enthousiasme à cette guerre que tous les partis appelaient de leurs voeux.
P.H.: Mais les ouvriers
n'ont pas été assez forts pour l'empêcher!
M.C.: Ils n'étaient plus
sur leur terrain de classe.
P.H.: Alors le
PC"F" soutient le pacte germano-soviétique. Il demande à l'occupant
la réapparition officielle de "L'Humanité". Mais il a en même temps,
au moment de la déclaration de guerre un semblant de politique
révolutionnaire. Qu'en est-il?
M.C.: Oui et il faut
rappeler que c'était quelques semaines avant la guerre. Ce tournant pro-russe
provoque immédiatement dans le PC des scissions. Avec une argumentation
"défaitiste" qui consiste à soutenir les impérialismes allemand et
russe, et expliquer que c'est ainsi qu'on évite que l'Allemagne attaque la Russie, alors que celle-ci
n'était même pas en guerre, çà ne marchait pas. Toute une partie du PC rompt.
Gitton qui était membre du bureau politique et secrétaire général de la CGT, quitte le parti, dénonce
le traité. Il ne rompt pas avec le parti sur le terrain de classe, mais d'une
action politique, du bloc anti-russe, et ensuite il se retrouve sur le terrain
de la défense nationale, des reconstructeurs de la France. Une grande
partie de ces gens-là se retrouve naturellement dans le gouvernement de Pétain.
A commencer par Marion qui avait été pendant 15 ans le représentant du PC à
l'I.C. Tout le groupe de St Denis aussi, qui était autrefois, dans les années
23, les éléments les plus combatifs des jeunesses communistes. Ils se
retrouvent à Vichy.
P.H. Et ce sont des gens
avec qui tu avais combattu autrefois.
M.C.: Oui. Oui bien sûr.
C'est même Doriot qui nous a exclu. Ceux-là n'avait plus que l'impasse
nationaliste. S'il s'agissait de lutter sur le terrain nationaliste, ils
étaient nationalistes. D'autant que Pétain c'était "pas de guerre et
défendre la France".
Puis le PC, à son tour,
change de politique rapidement, il en vient à l'idée de "résistance
nationale". Alors les ouvriers sont pris dans plusieurs étaux: ou on
marche dans la défense de la
France, ou on marche dans la défense de l'URSS, ou on marche
dans la défense de l'Allemagne, ou contre l'Allemagne. C'est le tourbillon dans
la tête des ouvriers.
En tout cas, l'histoire
de la "résistance" a surtout permis de récupérer les ouvriers sur le
terrain de la défense nationale d'autant qu'on voyait les massacres de
l'Allemagne. Il pouvait être possible de faire croire aux ouvriers que leur
sort dépendait de la victoire contre l'occupant.
P.H.: Examinons
maintenant l'état du milieu révolutionnaire à la veille de la guerre, ceux qui
ont résisté à la dégénérescence de l'I.C., ont quitté ou été exclus des PC
devenus chauvins. Il y a la proclamation prématurée et vide de sens de la 4è
Internationale, mort-née. Il y a un certain nombre de groupes qui se prononcent
contre la guerre. Mais à la déclaration de guerre, la plupart vont éclate. Les
trotskystes vont basculer dans le camp de la résistance nationale. Qu'est ce
qui se passe pour que, particulièrement le groupe le plus clair à l'époque -
nommé "bordiguiste", il vient de BILAN - s'effondre? Pourquoi
personne dans ce milieu révolutionnaire n'assume le défaitisme révolutionnaire
au sens de Lénine?
M.C.: N'insistons pas
sur le groupe "Union Communiste" qui, sur la question espagnole avait
déjà une position de soutien, ou même un demi-soutien au POUM et à la
république. Ils éclatent au moment de la guerre, plus même, ils sont surpris
par la guerre. Mais ceux qui annoncaient la guerre depuis le début des années
30, c'était surtout la
Fraction italienne. Elle soulignait que nous étions entrés
dans une période de défaites et que ces défaites conduiraient de façon
irréversible à la guerre.
La victoire des nazis en
33 signifiait pour nous que le cours historique était désormais vers le guerre.
Dans ce cas-là une réflexion approfondie était à mener. Nous avons compris que
les événements en Espagne étaient une répétition générale vers la guerre,
contre tous ceux, en particulier les trotskystes qui affirmaient que les Fronts
populaires ouvraient l'ère de la révolution.
Les concessions
consécutives du bloc anglo-français à l'Allemagne et la fin de la guerre civile
en Espagne, et surtout Munich, laisser occuper la Tchécoslovaquie,
etc, ont fait que nous avons commencé à nous posé des questions.
Vercesi, qui était le
grand théoricien, le grand dirigeant de la Fraction italienne, commença à se demander:
effectivement la crise et le chômage en Allemagne disparaissent complètement
avec Hitler. Le développement de l'industrie d'armement - comme on va vers le
guerre, l'Allemagne en tête, et les autres pays occidentaux - est patent. Il y
a un développement de l'économie de guerre qui résorbe effectivement le
chômage. Vers 38, début 39, la production atteind de nouveau les chiffres de
1928, alors qu'avant cela avait baissé de 40%. La production mondiale remonte.
Il subsiste peu de chômage. Les ouvriers sont de nouveau au travail. Aussi
Vercesi se pose la question "est ce que, premièrement, l'économie de
guerre ne peut pas être une solution économique à la crise capitaliste?".
Et il lui semble que oui. Peu importe pour quoi on travaille, le fait est que
le chômage se résorbe. Donc il n'y a pas nécessité d'une guerre impérialiste.
Les contradictions du capitalisme international lui semblent s'atténuer grâce à
l'économie de guerre. Et d'un autre côté, il y a une série de petites guerres
celle d'Ethiopie, celle de Mandchourie, la guerre espagnole. Tout cela se
termine par un massacre incroyable, des ouvriers surtout. Alors Vercesi se
pose la question: pourquoi y a-t'il des guerres locales et pas internationales?
Et il finit par dire que l'économie de guerre résorbe les contradictions du
système capitaliste. Il considère aussi que les antagonismes
inter-impérialistes diminuent dans la mesure où il disait que la raison
essentielle de la guerre impérialiste mondiale consistait à une réponse de
classe à classe, du capitalisme au prolétariat. Donc, dans sa théorie la guerre
était un phénomène fait pour massacrer le prolétariat. Or, disait-il, pour
massacrer le prolétariat, le capitalisme n'a pas besoin de faire une guerre
mondiale, il peut le massacrer morceau par morceau. Alors il massacre en Italie
avec la guerre éthiopienne, il massacre en Chine et au Japon avec la guerre de
Mandchourie. Il massacre des populations civiles en Espagne. Donc la guerre
mondiale a cessé d'être une nécessité pour le capitalisme puisqu'il peut plus
facilement massacrer les ouvriers paquets par paquets. Munich, pour ceux qui
pensaient comme Vercesi, était le nouveau traité de Versailles! C'était fini,
c'était la fin de la guerre! On allait assister à des guerres locales mais non
plus à des guerres mondiales. Il n'y avait pas de processus vers une guerre
mondiale. C'est ce que pense la direction de la Fraction, mais il y a une
minorité dans la Fraction,
notamment les camarades de Belgique comme Mitchell, et puis nous, le groupe de
Marseille, qui dit "tout cela, c'est de la folie! C'est une révision
complète".
P.H.: Mais au début vous
êtes impressionné, puisque c'est Vercesi qui parle.
M.C.: Oui, mais notre
réaction est immédiate: "ah, non, çà va pas, toutes ces théories
nouvelles... l'économie de guerre qui résorbe magiquement les problèmes du
capitalisme, que la guerre n'est pas déterminée par la lutte de classe mais que
par les tensions impérialistes tout simplement, çà va pas!".
P.H.: Bordiga ne réagit
pas?
M.C.: Bordiga n'est pas
là. Il dort! Il est en Italie. Il n'a jamais pris contact. Il refuse le
contact. On avait essayé de prendre contact avec lui, mais il refusait
absolument tout contact de l'extérieur.
P.H.: Pourquoi?
M.C.: Il ne donnait pas
une explication. Sa position était celle-ci, quand on lui avait demandé
pourquoi il restait en Italie - et il y était en résidence surveillée par la
police il avait été déporté d'abord dans les îles puis rapatrié en résidence
forcée à Naples -: non je me dois au prolétariat italien, je dois rester sur
place parce que quand la situation va renaître je serai là! Il a ainsi refusé
tout contact avec l'étranger, attitude opposée par exemple à tout le travail
typique des bolcheviks obligés de travailler à l'extérieur. En France ou En
Belgique, il aurait pu effectuer tout le travail qui lui était impossible de
réaliser en Italie. Au contraire Damen s'est déplacé trente six fois pendant la
guerre.
Mais avec cette position
qui domine dans la Fraction,
après Munich et après l'Espagne, qui estime que nous avons affaire à une
reprise du mouvement ouvrier, le titre de la revue BILAN est changé pour cette
raison en OCTOBRE. BILAN c'était le bilan de la défaite, OCTOBRE annonce une
reprise révolutionnaire. Alors évidemment quand éclate la guerre, ce sont eux
qui sont les plus surpris. Alors s'échafaude toute une théorie. Comme toujours
dans un tel cas, on justifie après-coup par un tour de passe-passe théorique.
Avec l'éclatement de la guerre, nous, la minorité leur demandons des comptes:
alors? Votre position ne tenait déjà pas debout avant, et voilà la guerre, la Pologne d'abord, puis la France qui entre en guerre?
Ils nous répondent: mais
non! Tout cela, ce sont des guerres locales. La Guerre avec la Pologne, c'est une guerre
locale. La guerre de la France
et l'Allemagne, c'est une guerre locale. Avec l'Angleterre c'est aussi une
guerre locale. Avec l'entrée en guerre de la Russie, c'est toujours local. Avec le tour des
Etats Unis, c'est toujours local. Pendant toute la guerre ils continuent à
soutenir que ce n'est pas une guerre impérialiste mondiale. Il s'agit de toute
une série de guerres locales. Avec une telle idée, leur position est simple: si
la guerre s'élargit, cela veut dire que le prolétariat a disparu. Il n'est pas
seulement défait. Il a disparu comme force politique et comme force sociale.
Comme le prolétariat a disparu, un groupe politique ne peut pas exprimer une
position de classe. C'est logique: si la classe n'est pas là il n'est pas
besoin d'exprimer une position de classe. En conséquence, le groupe doit se
dissoudre, un point c'est tout, et cesser de faire des Don Quichottes inutiles!
Pendant la guerre
P.H. Qu'est ce que vous
faites à ce moment là?
M.C.: Pratiquement la
guerre est là. L'activité devient difficile. Il devient difficile de maintenir
les liaisons. C'est à Marseille que, en 1940 - moi, j'avais été mobilisé et
envoyé au front - mais on se retrouve en juin 40. On maintient la vie du groupe
à Marseille. Le groupe s'était maintenu. J'étais à Marseille depuis 38. J'avais
été prisonnier et je m'étais évadé. Avec Jacob, membre de la direction de la Fraction, avec C. ma
compagne, et les autres camarades nous décidons de rétablir les liens des
différentes sections, de Paris, de Lyon, Toulon, Aubagne, de la Belgique. Jacob,
en tant que membre de la direction, s'y oppose. Cependant la section de
Marseille prend la décision de reconstituer la Fraction. Elle
tient une conférence. On commence à renouer les contacts avec Toulon d'abord,
avec Lyon et ensuite avec Paris, et puis Bruxelles. Les camarades de Belgique
refusent. Une partie des camarades de Paris nous rejoignent, de Lyon aussi.
Ainsi en 1942, nous faisons une première conférence de reconstitution de la Fraction. Il se pose la
question de se prononcer contre la guerre. Mais nous n'avions pas de matériel.
Il fallait se procurer une machine à écrire.
P.H.: Personne n'avait
été arrêté?
M.C.: Jacob avait été
arrêté et déporté. Il n'est pas revenu. Il avait été arrêté bêtement dans la
rue lors d'une rafle. Il avait de faux papiers et de vrais papiers. Il avait
sorti les deux en même temps! On avait essayé de le sortir de la prison d'Aix,
mais vainement. Il a été déporté en Allemagne et a disparu. Comme Mitchell
d'ailleurs...
Donc il fallait trouver
une machine à écrire. Personne n'en possédait. C'était indispensable pour
publier quoi que ce soit. On a fini par en trouver une. Nos correspondances
jusque là étaient manuscrites avec les autres sections. Dès 41, on avait des
contacts autour de nous, des camarades français, et C. de Belgique.
P.H.: Donc en 42, vous
n'avez toujours pas fait de tract contre la guerre?
M.C.: On n'avait pas pu
jusque là. Mais, quand arrivent les camarades français, dont un ancien
trotskyste, on décide de former le noyau français de le Gauche communiste, on
fait une "Déclaration de principes" en 1942. Ils se reconnaissent
comme partie de la Gauche
communiste internationale et on travaille ensemble. Ce qui nous permet
immédiatement de faire des tracts.
P.H.: Vous faites donc
vos premiers tracts en 1942? Comment les distribuez-vous?
M.C.: Au début c'était
simplement une poignée d'exemplaires, une cinquantaine avec plusieurs carbones
retapés plusieurs fois avec notre unique machine à écrire. C'était un travail
fou. On les donnait surtout autour de nous, aux gens proches. Marseille était
vraiment un lieu où tous les éléments politisés, réfugiés venant de Paris. Dix
millions de personnes avaient quitté le nord pour le sud. A Marseille il y
avait toute la faune parisienne jusqu'aux surréalistes, Victor Serge, etc.
Ainsi, là s'est constitué le noyau français où nous avons pu commencer à
organiser nos discussions.
P.H.: Parallèlement à
vous, il existe un autre groupe, les R.K.D., les C.R., Communistes
Révolutionnaires, qui, eux, ont fait des tracts depuis le début de la guerre,
contre la guerre en italien, en allemand, en français. Quand prenez-vous
contact pour la première fois avec eux? Et d'où viennent-il et où vont-ils?
M.C.: Le R.K.D. était un
groupe trotskyste viennois. Ils viennent d'Autriche. Révolutionariste
Communist Deutchland. Ce sont des autrichiens, mais ils préfèrent parler au nom
du prolétariat allemand. C'est un groupe qui s'est formé au début des années 30
en Autriche dans l'Opposition de gauche.
Il a connu plusieurs scissions. Quand l'Allemagne occupe l'Autriche, quelques
éléments se sauvent et se réfugient à Paris, dont un de leurs dirigeants qui
est d'ailleurs toujours abonné à "Révolution Internationale". Ils
sont habitués à un travail clandestin. Leur position à Paris lors de la
constitution de la
IVè Internationale, est de considérer que c'est prématuré
tout en restant d'accord avec toutes les autres positions du trotskisme, sur le
Front Unique, etc. Ils estiment que c'est trop tôt, que la situation ne s'y
prête pas. Ils ont de meilleures positions que Trotsky sur la question de la
marche vers la guerre, comme le groupe de Verreeken. Ils n'adhèrent pas à la IVè Internationale,
ce qui leur permet une évolution. Dès que la guerre éclate, ils disent: lutte
contre la guerre. Et quand se pose la question russe, ils se prononcent contre
la défense de la Russie. Le
pacte Hitler-Staline a montré pour eux qu'elle cessait d'être un état
prolétarien. D'autres, comme Schatchman, qui n'ont pas une position très
claire, disent pourtant nettement: pas de défense de la Russie mais
"défaitisme". Comme les R.K.D. sont habitués à un travail clandestin,
ils avaient conservé du matériel d'impression et ils pouvaient tirer des
tracts, et mener un travail révolutionnaire illégal. En plus, ils sont à
Paris, et en relation avec tous les groupes trotskystes. Ils ont une certaine
audience que nous n'avions pas.
P.H.: Finalement ils ont
mieux tenu le coup que vous à la déclaration de la guerre?
M.C.: Ils se
maintiennent tels que. Ils sont préparés pour une activité clandestine, tandis
que la Fraction
italienne n'était absolument pas préparée avec les perspectives erronées de sa
direction. La Fraction
n'avait pas maintenu les liens. Et puis, dans la Fraction il y avait la
question des réfugiés politiques, surtout pendant la drôle de guerre qui a
précédé l'entrée en guerre proprement dite. Tous les membres de la Fraction étaient des
réfugiés politiques. Une grande partie d'entre eux n'avaient pas de papiers du
tout. L'éclatement de la guerre voulait dire pour eux que, en tant qu'italiens
ils faisaient partie du camp ennemi. Ou bien ils seront obligés de faire une
déclaration pro-française, sinon on les enverra en camp de concentration. Ou
bien ils devront retourner en Italie. Or, retourner en Italie...
Il se mène toute une
discussion dans la Fraction:
que faut-il faire? Quelle est la meilleure solution? Une seule position
prédomine: pas de déclaration pro-ceci ou pro-cela.
P.H.: Y en a-t-il qui se
dégonflent pour sauver leur peau?
M.C.: Aucun! Certains
sont attrapés par la police pétainiste ou la Gestapo et remis aux autorités italiennes.
D'autres retournent en Italie par leurs propres moyens, et participeront à la
reformation du PCI. D'autres restent sur place. Avant que l'Italie n'entre
officiellement dans la guerre, c'est déjà la défaite de la France. Ce qui ne donne
le temps à personne d'hésiter à faire une déclaration de régularisation
pro-ceci ou pro-cela. La France
est en guerre, donc ne demande plus rien, et encore moins avec sa rapide
défaite.
En tout cas la question
de choisir entre camp de concentration français ou prison italienne jusqu'à la
débâcle française, aura été notre principale préoccupation. C'était tout cela
les difficultés des camarades de la
Fraction italienne.
Pour les réfugiés
allemands, la question était simple: la France nous arrête et nous livre à l'Allemagne, y
compris les social-démocrates comme Hilferding, tous y passent. Les R.K.D.
eux s'étaient déjà débrouillés
avant-guerre pour avoir de faux-papiers. Ils étaient prêts à entrer dans la
clandestinité. Certains parmi eux venaient de familles riches, juifs de Vienne
qui avaient fuis l'occupation allemande, et qui avaient pu emporter avec eux de
fortes sommes d'argent et ainsi se doter du matériel d'impression adéquat.
Alors que les italiens étaient tous de pauvres ouvriers en situation
irrégulière, etc. Or, les R.K.D., en dehors de la IVè Internationale
en 38, avait pris contact avec le groupe de Vereeken en Belgique. C. faisait
partie du groupe de Verreeken. Et C. va nous servir d'intermédiaire. Il fuit
Paris lui aussi et vient à Marseille. Les R.K.D. qui voyageaient en France à la
recherche d'autres groupes plutôt trotskystes comme eux, rencontrent C; qui se
présente comme membre du noyau français de la Gauche communiste. Les autrichiens sont aussitôt
intéressés et demandent à prendre contact avec nous, d'autant qu'ils apprennent
que nous sommes contre la guerre capitaliste et contre la défense de l'URSS. On
prend contact. Ils viennent donc à Marseille et nous révèlent leur
savoir-faire. Ils étaient vraiment habitués au travail clandestin. Ils nous
envoyaient ou nous faisaient parvenir
des documents qu'ils transportaient en
général dans des boîtes alimentaires, avec des pâtes ou autre chose. Ils
risquaient énormément puisqu'ils voyageaient. Ils avaient des moyens
pécuniaires, mais ils voyageaient quand même avec des faux papiers. Il fallait
un certain courage. Ils avaient l'expérience de la Gestapo en Autriche. Un
exemple d'un moment héroïque de leur travail: une de leurs camarades avait été
arrêtée, camarade allemande. Cette dernière dès son arrestation se fait porter
malade. On la transfère donc à l'hôpital de Marseille. A l'époque les
politiques étaient surveillés directement dans ce cas-là par la Gestapo.
Dans le couloir de
l'hôpital deux membres de la
Gestapo se relaient toutes les 12 heures pour garder la
porte de la chambre de la fausse malade. A midi, deux autres viennent les
relayer à tour de rôle.
Les camarades de la
malade décident d'organiser son évasion. Ils se procurent des habits militaires
allemands. Comme ils sont d'origine germanique, blonds et qu'ils pratiquent
couramment la langue allemande, ils viennent vers midi, heure de relais de la
garde, cinq minutes avant. Ils déclarent aux deux plantons que c'est leur tour
de garde. Les deux autres ne se méfient pas et s'en vont, d'autant que les
R.K.D. ont revêtu des habits d'officiers. Ils ouvrent la porte. La fille sort.
Ils avaient garé une voiture dans la cour de l'hôpital où d'ailleurs, en
partant, ils croisent la véritable voiture de la Gestapo, et s'en vont sans
encombre. Ils étaient vraiment formidables. Aucun d'eux n'est tombé pendant la
guerre!
P.H.: Très bien! Alors
ce sont donc eux les fameux "hitléro-trotskystes" qui diffusaient des
tracts en allemand, et dont la bourgeoisie française, staliniens en tête,
pendant la résistance et à la libération, avait juré d'avoir la peau et assimilait
aux collabos parce que anti-patriotes (rires), est-ce que les trotskystes
français dans la résistance n'avaient pas eux aussi diffusés des tracts en
allemand?
M.C.: Les trotskystes en
général n'ont rien fait contre la guerre. Ce sont les R.K.D. qui font un travail
de propagande en plusieurs langues et en allemand, même en direction des
soldats allemands. Même si des trotskystes ont fait des tracts en allemand,
c'était toujours avec la position bourgeoise de défense de l'URSS. Il faut
rappeler aussi que , quand Hitler occupe la France, il y a une discussion chez les
trotskystes officiels où certains posent la question un peu comme les staliniens:
est-ce que nous ne pourrions pas obtenir de l'occupant la reparution de nos
publications. La majorité rejette évidemment, mais une minorité envisage de
travailler légalement comme les staliniens Duclos et Cie.
Revenons aux R.K.D., ils
n'étaient qu'une dizaine, mais ils ont fait un travail formidable. Mais ils
étaient très activistes.
P.H.: Ils pensaient que de la guerre allait sortir
la révolution.
M.C.: Cela tout le monde
le croyait. Pour nous, c'était le souvenir de 17 qui prédominait. Toute la
théorie qui restait depuis 17 était celle-ci: la guerre ouvre des possibilités
vers la révolution. Donc, on condidérait que si la guerre était là, le cours
pourrait se retourner et aller vers une reprise des luttes ouvrières. Nous
pensions cela. Nous le remettrons en cause beaucoup plus tard. Mais le
souvenir du 17 russe et du 19 allemand restait vivace. Dans la Fraction italienne on
n'imagine pas ce qu'était l'atmosphère pendant la guerre, surtout à partir de
33, nous étions isolés. Les trotskystes défendaient l'URSS, les Fronts
Populaires, faisaient de l'entrisme dans les partis socialistes et le PSOP de
Pivert. Ils avaient participé au Congrès d'Amsterdam-Pleyel.
P.H.: Quelle était votre
analyse du rôle des syndicats pendant la guerre?
M.C.: Déjà avant la
guerre nous nous étions posés la question: est-ce que les syndicats sont encore
des organes de la classe ouvrière? Mais la question était seulement posée. On
s'était posé surtout la question de la nature de l'Etat russe.
P.H.: Mais pourtant les
minorités de la Gauche
hollandaise et allemande des années 20 avaient déjà compris la nature
anti-ouvrière des syndicats.
M.C.: Oui. Mais dans la Fraction prédominait la
position de la nécessité du travail dans les organisations syndicales, dans la
tradition de la
IIIè Internationale. Quand la Fraction combattait le
Front Unique, elle combattait le Front unique politique, mais ils sont pour le
Front Unique syndical parce que s'ils considèrent que les partis socialistes
sont des partis de la bourgeoisie, les syndicats ne sont que réformistes et il
est possible de travailler dedans malgré tout.
P.H.: Mais quand vous
commencez à vous poser sérieusement la question pendant la guerre, vous
commencez à réfléchir à l'apport de la Gauche hollandaise. Mais jusque là vous n'aviez
pas remis en cause cette idée de travailler dans les syndicats.
M.C.: Oui, mais dans la Fraction, il y avait déjà
un débat à partir des années 36. Des éléments posent la question: les syndicats
sont-ils encore des organes de la classe ouvrière? C'est un débat qui ne fait
que commencer, qui va se poursuivre pendant la guerre, qui va se terminer à la Libération. Le groupe
Internationalisme aura désormais une position claire là-dessus, tandis que les
autres avec Vercesi resteront prisonniers de l'idée que les syndicats sont,
malgré tout, un organe de la classe ouvrière.
P.H.: Les grèves pendant
la guerre, qu'est-ce que vous en pensez? Qu'est-ce que vous faites par exemple
au moment de la grève des mineurs du Pas de Calais qui n'a pas été contrôlée
initialement par le PCF contrairement à ce dont il s'est vanté par la suite.
M.C.: Derrière toute la
question des grèves,...il n'y avait pas beaucoup de grèves, il y avait surtout
des campagnes contre le STO, le travail obligatoire en Allemagne - qui a été
une manne pour la résistance nationaliste - mais qui signifiait
surexploitation et déportation pour les ouvriers, la Fraction italienne disait
qu'il n'était pas question de se laisser prendre, de se laisser envoyer en
Allemagne; elle reconnaissait que le mouvement de protestation des ouvriers répondait
à la volonté de ne pas aller travailler pour l'occupant, mais soulignait que
les staliniens en profitaient pour recruter dans la résistance, pour les sauver
soi-disant de la déportation.
P.H.: Alors que
faites-vous?
M.C.: Dans la mesure où
on a des possibilités de parler, de
contacter autour de nous, nous soutenons la validité de la résistance
ouvrière, du refus de marcher en quelque sorte dans la guerre, tout comme nous
dénonçons le fait d'aller dans le maquis. Sinon quel choix? C'était demander
aux ouvriers: soit vous participez à la guerre en Allemagne, soit vous faites la
guerre ici dans la résistance, alors qu'il fallait absolument lutter contre les
deux.
P.H.: Alors, cette grève
des mineurs, est-ce que vous tentez quelque chose, est-ce que vous y croyez?
M.C.: Non pas en
particulier de cette grève. D'une façon générale notre espoir résidait dans
l'attente d'un soulèvement ouvrier. Cela était conçu par nous
traditionnellement que les ouvriers allaient se révolter dans la guerre. C'est
tellement vrai qu'une anecdote peut l'illustrer. Je travaillais à Marseille
comme électricien. Je montais aux poteaux en bois. Un jour, un de nos
contremaîtres nous dit:"descendez, voilà, la guerre est déclarée! La
mobilisation est effective!". Alors chacun de nous s'est sauvé à toute
allure pour rentrer chez soi. Une grande partie des ouvriers était
immédiatement mobilisable. Je me rappelle être allé directement dans la maison
d'un camarade. Sa femme était là, en pleurs. Je lui demande qu'est-ce que t'as
à pleurer? Elle me répond: la guerre a éclaté, c'est terrible! Alors je lui
répond:
- écoute, maintenant, çà
va. Ce qui était difficile, c'était l'attente. Maintenant nous allons attendre
la révolution! Enfin! çà va bouger!
Pour moi, comme pour mes
camarades, c'était comme à la veille de l'orage quand tu peux plus supporter la
tension. Ah! enfin! l'orage éclate, puis après tu en attends autre chose.
Alors que la direction
de la Fraction
en Belgique déclare la dissolution du groupe. Pour nous au contraire, c'était
le moment où nous allions continuer le travail mais dans la clandestinité durant
la guerre pour constituer les forces révolutionnaires.
P.H.: Pourquoi ont-ils
déclaré la dissolution?
M.C.: Sur la base que le
prolétariat avait disparu comme classe sociale!
P.H.: C'étaient les
modernistes de l'époque! (rires)
M.C.: Alors nous, nous
restons dans cet esprit qu'une nouvelle période s'ouvre. On reste à l'affût de
tout mouvement ouvrier qui peut surgir du mécontentement de la guerre. En
France, nous pensons que ce seront de petites étincelles qui vont enflammer.
C'est vrai que la grève des mineurs ou les autres grèves étaient une expression
du mécontentement des ouvriers qui ne supportaient plus qu'on leur dise de
travailler, de travailler toujours plus. Il y a des réactions contre la misère,
sur les problèmes du mauvais ravitaillement. Tout mouvement de mécontentement
dans ce sens des ouvriers, est un prémice de la révolte contre la guerre.
Aussi en 1943, quand
éclate le mouvement en Italie des ouvriers de Turin du Nord, de Milan, etc,
contre la guerre, nous disons que c'est le commencement de la réaction ouvrière
internationale contre la guerre. Bien sûr les ouvriers sont immédiatement
enveloppés formidablement...
P.H.: Est-ce que vous ne
vous êtes pas exagéré la portée de ce soulèvement ouvrier en Italie?
M.C.: Nous n'avions pas
d'éléments concrets, précis, sur ces événements. Nous disposions du journal de
Genève, publié en Suisse et, malgré tout, de la presse française. La presse pétainiste
dénonçait ce mouvement: ce sont des ennemis de Mussolini, noyautés par les
anglo-américains, etc. Et pour nous, le fait que la presse et la radio
française s'emploient à dénoncer de toutes leurs forces ce mouvement ouvrier,
pour nous, la vérité était forcément le contraire de ce que pouvaient dire nos
ennemis de classe!
C'est sur la base de ces
éléments et de notre conviction du fait que la guerre allait nécessairement
finir et qu'un mécontentement général allait se développer, que nous étions
optimistes.
Nous organisons une
Conférence du Noyau français à Marseille et nous prenons position, en appelant
à se tenir vigilant... cela va se développer sur le plan international, etc. Ce
qui renforce encore cette conviction, quant à ta question sur notre
surestimation, ce sont les déclarations de Churchill. Puisque le sud avec
Badoglio passe du côté des Alliés, le Front entre le nord et le sud de l'Italie
reste fermé. Il n'y a aucune offensive de la part du bloc anglo-américain pour
essayer de forcer le Front. C'est tellement immobilisé que cela permet aux
allemands, alors que Mussolini était arrêté et avait été déporté dans une île,
d'aller en avion le libérer. C'est incroyable, et les anglais ne bougent pas.
Et, quand on pose la question à Churchill en Angleterre: qu'est-ce qu'on
attend? Le Front italien n'est-il pas en train de s'écrouler? Churchill répond:
c'est volontairement, il faut laisser la situation italienne "mijoter
dans son jus" pendant un certain temps. Et c'est nécessaire puisqu'ils
laissent aux allemands, qui occupent le nord à ce moment là, la possibilité
d'effectuer un massacre, une répression formidable contre les ouvriers. Les
ouvriers de Milan et de Turin ne peuvent se sauver qu'en allant dans le
maquis. Le maquis se renforce en Italie à la suite de la défaite de Mussolini,
qui permet la répression allemande. Les Alliés ont parfaitement raison de
laisser ainsi "mijoter" pour préserver la paix sociale capitaliste.
Ils préfèrent laisser faire cette répression.
Ils n'ont pas besoin des ouvriers pour conquérir le pays, leur force
militaire était suffisante. Ce qui était en jeu, c'était d'étouffer le
mécontentement ouvrier contre la guerre. Coup double, en laissant les allemands
faire la répression, ils poussent les ouvriers dans les bras de la
"démocratie" alliée. Alors se développent, avec l'appui des
staliniens et tous les démocrates, les maquis italiens qui n'existaient pas
avant, contrairement à la
France.
Pour nous cette affaire
révèle que la bourgeoisie est intelligente. Churchill savait ce qu'il faisait.
Il ne se précipitait pas. Il fallait laisser massacrer les ouvriers qui étaient
en train de se soulever, écraser dans l'oeuf les premiers symptômes.
La libération
P.H.: Et quel était la
position de Bordiga à ce moment là?
M.C.: C'est
invraisemblable! Avec Bordiga nous n'avions pas de contact. Bordiga était donc
dans le sud, à Naples libérée. Il y avait la liberté de parler. La démocratie
était revenue avec le gouvernement de Badoglio. Il surgit alors plein de
journaux, toute une presse, de déclarations. Mais ces déclarations portent
surtout sur la dénonciation des massacres des ouvriers de Milan et de Turin par
les nazis. Cela esquive le fond du problème. A fond de train, il est inculqué
aux ouvriers du sud qu'il faut avant tout battre Mussolini et le fascisme. Le
même anti-fascisme qui avait envoyé les ouvriers à la guerre. Maintenant il
s'agit d'assumer la défaite de Mussolini pour la bourgeoisie. Surgissent un
tas de groupe moitié-trotskystes, moitié staliniens, dans une confusion terrible,
qui posent la question: qu'est ce que c'est cette guerre. Et les gens qui se
disent de la Gauche
communiste apparaissent aussi, se réclamant de Bordiga, font paraître des
journaux.
Un jour, nous entendons
Henriot, porte-parole du gouvernement à la propagande pétainiste, à la radio.
Il prononce un discours, disant en particulier que Bordiga vient de faire une
déclaration comme quoi les conquêtes de l'armée rouge en Europe ne sont pas
des conquêtes capitalistes mais en faveur de la révolution mondiale.
P.H.: Etes-vous sûrs
d'avoir entendu cette déclaration?
M.C.: Oui, oui. Et
immédiatement, à sa conférence, la
Fraction prend position: si c'est vrai ce que la radio et la
presse viennent de faire savoir concernant une déclaration de Bordiga selon
laquelle l'armée rouge apporterait la révolution en Europe, nous déclarons que
Bordiga ne fait pas parti de la
Fraction et que nous le combattrons comme nous combattons le
stalinisme. Bordiga paye le tribut de 15 ans de retrait et d'isolement. Il
n'était pas au courant de toute l'évolution de nos discussions.
Une première question se
développe avec Vercesi encore. Il dit: Mussolini est tombé comme un fruit mûr,
de lui-même. La situation du capitalisme italien était telle que Mussolini ne
pouvait plus le représenter. En conséquence la bourgeoisie a laissé tomber
Mussolini. Nous demandons alors: est-ce que la situation à Milan et le
soulèvement des ouvriers ne comptent pour rien? Pour Vercesi la guerre va se
terminer, mais elle se terminera par "l'épuisement de l'économie de
guerre".
P.H.: Pas l'épuisement
mutuel des combattants?
M.C.: Non, par l'épuisement
de l'économie de guerre. Et, selon lui, dans ce cas-là, il y aura de nouveau
une crise. Et puisque la classe ouvrière n'existe pas, il n'est pas question de
ressurgissement ni de réaction ouvrière pour arrêter la guerre. Il n'est plus
besoin de Mussolini en Italie parce qu'il y a crise de l'économie de guerre.
Donc, nous discutons entre nous de la signification de 43.
P.H.: Les réfugiés
allemands sont aussi bombardés à cette époque là?
M.C.: Cà commence. La
guerre reprend très violente en Italie du nord après le débarquement allié.
La résistance des
soldats allemands est acharnée. Puis ensuite il y aura le débarquement en
France où on verra le recul des allemands. En Russie, il y aura l'après
Stalingrad fin 44.
Pour la répression des
armées allemandes en déroute, la bourgeoisie alliée va appliquer les mêmes
principes de Churchill en Italie. Quand l'Armée allemande se trouve aux portes
de Varsovie, l'armée russe s'arrête; elle laissera massacrer pendant huit
jours. L'armée rouge ne bouge pas, elle a besoin de laisser Varsovie
"mijoter dans le sang". Ensuite l'armée allemande se retire, et
l'armée russe entre dans un cimetière.
Au fur et à mesure que
l'armée allemande recule, il se produit la même chose à Budapest par exemple.
De nouveau l'armée russe s'arrête. Il y a un soulèvement à l'intérieur de la
capitale de la Hongrie,
plus ou moins confus évidemment. Et ils laissent faire un massacre au moins
aussi important que celui de Varsovie. Après l'accomplissement du massacre les
russes entrent tranquillement dans la ville, comme des fossoyeurs de
cimetière.
Toute cette politique
est constamment appliquée à partir de 43, politique de table rase ouvrière.
Politique surtout d'impliquer
l'Allemagne - qui de toute façon est condamnée - pour la rendre responsable
du massacre des ouvriers pour qu'il n'y ait pas de possibilités pour les
ouvriers de comprendre les vraies responsabilités.
P.H.: Et le but des
bombardements?
M.C.: Ils bombardent,
ils détruisent des villes entières même sans objectifs militaires: Dresde,
Hambourg, Leipzig... C'est un massacre fou! Mais il y a aussi autre chose. Au
fur et à mesure que l'armée allemande recule, commence, aussi bien sur le front
en Allemagne même, une série de manifestations de mécontentement contre la
guerre, et au coeur de celles-ci la question du ravitaillement. Au front même
il y a des manifestations contre la guerre. A Stalingrad l'armée allemande a
subi d'énormes pertes. Or, la campagne de conquête de l'Allemagne consiste à
riposter contre une tendance générale à la désertion. On ne peut pas se rendre
compte en l'absence de presse, qui n'en fait pas état. Il suffit de voir la
réaction de l'appareil militaire allemand. Tout le long de la route de sa
débâcle depuis la Russie,
sont pendus des milliers de soldats allemands déserteurs pour dissuader les
autres. Cette répression inouïe est révélatrice d'une tendance générale à la
désertion.
Dans la mesure où nous
pouvions parler à Marseille, j'ai eu l'occasion de travailler dans un endroit
où se trouvait un commando de soldats allemands. J'ai pu parler avec de vieux
soldats. Tous avaient peur de retourner au front russe. Cela signifiait pour
eux un massacre terrible. On pouvait parler avec eux de l'Allemagne kaputt, de
Hitler kaputt. Ils voulaient eux aussi la fin de la guerre. Il faut dire qu'à
la libération un grand nombre de soldats allemands cherchent à déserter bien que les officiers
essaient de regrouper leurs troupes "pour reculer ensemble". Nombreux
ont été ceux qui ont essayé de déserter. Mais, en France, pour le soldat
allemand c'était quelque chose d'épouvantable. Il valait mieux encore se terrer
dans les corps constitués de l'armée allemande que d'essayer de déserter! La
population française était déchaînée. Je n'ai jamais vu un tel chauvinisme de
ma vie. Tout allemand pris risquait d'être lynché. Il faut se représenter
l'hystérie de toute la presse française, Huma en tête qui hurlait "à
chacun son boche!". Ce n'était pas un simple mot, mais un appel au meurtre
public. Même "Le Libertaire" - contrairement à nous qui disions
"enfin, ce n'est pas la faute au peuple allemand, mais au régime
nazi!" - affirmait "il y a une culpabilité générale du peuple
allemand!".
Parfois, quand
l'hystérie n'était pas déchaînée, nous empêchions à Marseille, que de petits
groupes de soldats allemands arrêtés, ne soient lynchés par la foule.
Il faut dire que les
soldats allemands à Marseille, face à cela, se sont enfermés dans la
forteresse, déclarant qu'ils ne voulaient plus continuer la guerre, mais
surtout qu'ils ne voulaient pas se rendre aux FFI, forces françaises de
l'intérieur: "nous nous rendrons uniquement aux américains". L'armée
américaine était plus une garantie pour eux de ne pas être livrés à la populace
déchaînée. Les prisonniers allemands ne voulaient pas se rendre
individuellement et surtout pas aux forces françaises. Ils ne se laissaient
désarmer que par les américains.
Nous avons connu des
arrestations arbitraires et invraisemblables. Par exemple nous connaissions
des alsaciens qui avaient fait partie de l'armée allemande, puisque l'Alsace
était considérée comme faisant partie de l'Allemagne. C'étaient des amis qui
avaient été mobilisés contre leur gré. Ils étaient restés employés à l'arrière
dans les bureaux. Quand arrivent les américains, ils essaient de déserter. Ils
s'habillent en civil et s'échappent de Marseille et arrivent à Aubagne.
C'étaient deux couples et ils parlaient entre eux en alsaciens. La populace les
arrête, considérant que ce sont des espions allemands. Ils ne cache qu'ils sont
alsaciens et ont fait partie de l'armée allemande. On les torture et ont les
tue.
P.H.: Et parmi vous la
minorité communiste pendant la guerre, est-ce que vous perdez des camarades
ainsi?
M.C.: Pendant la guerre
certains ont été arrêtés et déportés. Mais à la libération non, parce que nous
savions qu'il fallait faire attention. Cela ne nous a pas empêché de sortir un
tract à ce moment là (le 1er mai 1945) appelant les ouvriers à la
fraternisation.
P.H.: Vous les avez
sorti à beaucoup d'exemplaires? Et vous ne vous êtes pas fait cassé la gueule?
M.C.: On ne diffusait
pas de la main à la main (rires). On allait dans les trains à l'arrêt, on les
déposait dans les wagons. On distribuait la nuit dans les boîtes à lettres.
L'action au grand jour était très risquée dans le chauvinisme exacerbé. Par
exemple, un jour, alors qu'un groupe de soldats était emmené sous escorte des
FFI, nous avons vu cette scène insupportable: il s'agissait de vieux soldats
allemands de l'arrière. La foule tout le long jetait des pierres, faisait n'importe
quoi, crachait dans la figure, tapait. Les FFI faisaient le ramassage des
soldats disséminés dans la ville pour les amener à la prison. Alors moi, avec
quelques-uns de mes camarades, je m'insurge:
- enfin, mais ce sont
des hommes, cesser de les frapper, ce ne sont que des soldats recrutés par
force. C'est scandaleux ce que vous faites...
Je n'avais pas fini ma
phrase que j'étais attrapé et immédiatement entouré par la foule menaçante:
- dis-donc! Et toi, qui
es-tu? Et ton accent n'est pas tout à fait français?
Je pouvait être lynché à
mon tour, mes camarades m'ont aussitôt tiré par la main et extirpé de ce
pétrin. On est parti à toute allure. Il était impossible de prononcer un mot
publiquement, c'était ignoble!
P.H.: C'est la plus sale
période ta vie?
M.C.: Je n'avais jamais
vu une chose pareille!
P.H.: On peut croire
encore dans la classe ouvrière dans ces moments là?
M.C.: Ah! si! On ne peut
pas ne pas croire à la classe ouvrière. C'est la seule force qui peut réagir
contre la barbarie. Le chauvinisme peut s'évaporer peu à peu après... Donc la
fin de la guerre ne se produit pas aussi facilement. En Allemagne
particulièrement, il y a des mouvements de désertion dans l'armée allemande
très marqués aussi bien sur le front russe qu'en Europe. Les soulèvements en
Allemagne sont notables d'autant que toutes les forces jeunes ont été envoyées
aux fronts et qu'il reste à l'intérieur et les ouvriers étrangers du STO, et
les vieillards et les femmes. Une milice locale va être mise en place rapidement
pour chaque ville. Dans plusieurs villes cette population se soulevait,
arrêtait les nazis et les massacrait. Or, la politique du bloc démocratique
européen consistait premièrement à ne pas laisser revenir les prisonniers.
L'ordre général était d'empêcher que les prisonniers retournent dans leur
famille, dans leurs villes ou villages. Le souvenir était présent du risque
représenté par ce retour, comme en 17-18 les soldats de la marine allemande qui
s'étaient soulevés contre la guerre, à Kiel. La bourgeoisie avait cette donnée
en tête. En France, il y a environ deux millions de soldats allemands
prisonniers. Et aussi en Italie. Mais on les gardera prisonniers pendant 5 à 6
ans! Cette force là, cette jeunesse, si on l'avait laissée retourner en Allemagne,
elle aurait équivalu à une énorme masse de chômeurs et on aurait eu des
soulèvements plus importants que ceux des femmes et des vieillards. L'Allemagne
est occupée, et russes et américains interdisent toute relation entre les
soldats et la société civile.
P.H.: Maintenant,
essayons de comprendre mieux pourquoi est mis fin à la guerre. Tu nous a décrit
comment la bourgeoisie occidentale et russe s'est efforcé de parer à tout
risque de soulèvement d'envergure par le massacre des réfugiés et l'internement
prolongé des soldats allemands, s'est efforcée de laisser "mijoter dans
leur jus" les réactions prolétariennes. Comment se termine cette deuxième
guerre mondiale? Elle se termine de toute façon par la victoire du capitalisme.
M.C.: Comme pour toute
guerre capitaliste, une guerre se termine par des capitalistes qui sont
défaits et d'autres gagnants. Là, les gouvernements occidentaux avec en tête
les Etats-Unis et la Russie,
ont changé complètement le rapport de force mondial d'avant-guerre.
L'Allemagne pouvait se battre sur un front, mais pas sur deux...
P.H.: la révolution
n'était pas possible à l'époque donc?
M.C.: C'est autre chose.
Cela c'est un questionnement du point de vue du prolétariat. Mis du point de
vue capitaliste, et des différents côtés du capitalisme, il était question
d'éviter un ressurgissement de classe. Ensemble ils se sont efforcés d'étouffer
toute manifestation de lutte prolétarienne. Pendant 3 à 4 ans c'est l'Allemagne
qui avait été le gendarme de l'Europe, elle était la clé de voûte du
maintien de l'ordre social; mais lorsqu'elle commence à s'affaiblir, le bloc
occidental et la Russie
savent que leur tâche est de combler cet affaiblissement, et de reprendre cette
fonction de gendarme contre toute vélléité de surgissement prolétarien.
Pour ceux d'entre nous
qui avaient compris l'entrée en guerre comme une guerre mondiale, celle-ci
devait précipiter tôt ou tard un ressurgissement révolutionnaire. Sur quoi
s'appuyaient-ils? Ils s'appuyaient sur les leçons de l'histoire. Chaque grande
guerre avait entraîné un mouvement prolétarien: l'expérience de 1871, la Commune de Paris, la
guerre russo-japonaise en 1905. Mais cela se produisait toujours dans les pays
vaincus: c'est cela que nous n'avions pas dégagé suffisamment. La 1ère guerre
mondiale produit 17 en Russie et le 17 et 19 allemand. La guerre produit les
premiers combats révolutionnaires du siècle.
Nous étions donc entré
dans la seconde guerre mondiale avec la conviction qu'au cours de la guerre,
par suite aux massacres, le prolétariat serait mis en condition de se dire
"tant qu'à crever pour crever, autant se soulever". C'était pour nous
la position classique, compréhensible. Ceux qui ne reconnaissaient pas ce que
signifie une guerre impérialiste comme la majorité de la Fraction initialement
avec Vercesi, estimant qu'il y aurait simplement des massacres et pas
simplement une guerre généralisée, et puisque le prolétariat avait disparu
pendant la guerre, et qu'il n'y avait donc aucun espoir de soulèvement
prolétarien, pour ceux-là la seule perspective était que la guerre s'arrêterait
par une crise de l'économie capitaliste. La pénurie serait telle dans un bloc
qu'il n'y aurait plus de forces pour continuer la guerre. Donc, ils attendaient
la crise d'armement pendant la guerre. Rien ne pouvait se produire pour eux,
ou quand cela était, ils en niaient l'importance; ils niaient l'importance de
43 en Italie, du soulèvement de Budapest et à Varsovie, du surgissement de
luttes en Allemagne. Ils ne comprenaient pas pourquoi le bloc occidental se chargeait
de garder 5 millions de soldats allemands. Ils ne réfléchissaient pas pourquoi
ce qui était la fine fleur du prolétariat mondial en Allemagne avant-guerre,
était désarmé, décimé.
Sur la situation dans
les pays vainqueurs en 17, sur laquelle les révolutionnaires n'avaient pas
suffisamment réfléchi, il n'y avait pas de soulèvements comme dans les pays
vaincus. C'est le pays vainqueur qui devenait le gendarme contre ces
soulèvements dans les pays vaincus. La France et l'Angleterre s'étaient coalisées contre
la Russie. Ils
avaient enlevé la Pologne
pour séparer la Russie
de l'Allemagne. Et quand cela avait éclaté en Allemagne, pays vaincu, ils font
le cordon sanitaire, et quand la révolution échoue, ils maintiennent seulement
rien que pour l'ordre intérieur 5000 soldats et leurs fournissent les armes.
Les années d'après, les soulèvement ne cesseront pas en Allemagne, putsch de
Kapp, etc. Contre cela, la
France occupera la Ruhr. C'était la leçon de la 1ère guerre mondiale
qu'on n'avait pas perçue. Il faut en venir à l'époque actuelle où seul le CCI
est parvenu à dégager cette idée que les guerres ne réunissent pas les
meilleures conditions pour la révolution. La bourgeoisie vaincue, affaiblie,
fait appel à l'aide des pays vainqueurs. Dans la 2ème guerre mondiale ce fût
beaucoup plu net encore que lors de la 1ère. Quand le gouvernement allemand qui
a succédé à Hitler propose aux alliés des pourparlers, ceux-ci refusent, car
tout gouvernement allemand en leur absence ne peut être pour l'heure que trop
faible et attiser un foyer de révolution. Pas question de pourparlers. les
Alliés ne cessent pas la guerre. Ils vont jusqu'à occuper tout le territoire
allemand.
P.H.: On sait par les
historiens officiels maintenant que les américains sont pris de vitesse par les
russes pour l'occupation du territoire allemand...
M.C.: Peu importe! Ils
ont le même intérêt. C'était une course de vitesse pour ne pas laisser le
terrain libre. La question d'arriver le premier dépendait de la résistance de
l'armée allemande.
P.H.: Non, non. Il
parait que Truman a gaffé, s'est laissé abuser par Staline qui a su mettre les
pieds décisivement en Europe de l'Est et à Berlin.
M.C.: Peut-être. Mais
ceci n'est pas un problème pour nous de savoir qui sera plus rapide que
l'autre...
P.H.: Justement c'est un
problème. J'insiste là-dessus. Les révolutionnaires classiquement dans le
mouvement ouvrier disent "guerre ou révolution". Mais voilà une
"libération" d'où il ne sortira pas de révolution, où la guerre va
s'arrêter mondialement, temporairement, où ces imbéciles de trotskystes se
couchent devant l'idée d'insurrection nationale. D'après la masse d'ouvrages
récents consacrés à cette guerre, il apparaît que déjà la 3è guerre mondiale
se prépare au milieu de la 2è. Déjà l'antagonisme Russie/Amérique est présent,
et que beaucoup de généraux occidentaux auraient préféré s'allier avec Hitler
contre Staline; et en tout cas beaucoup posaient déjà le problème de la guerre
contre la Russie.
M.C.: En tout cas, dans
la guerre, au début, oui il y a un problème. Ils ne sont pas sûrs de leurs
alliances. Mais, quand il faut que la
Russie entre en guerre, l'alliance se forme. Désormais, ils
marchent la main dans la main, tout en essayant chacun de travailler au mieux
pour son compte. Exactement comme dans le cas du marché Hitler-Staline sur la
division de la Pologne,
c'était qui prendra la place le plus rapidement. Mais cela existe toujours dans
les conflits impérialistes. Tout comme les tensions entre la France, les américains et
les anglais. La France,
elle, ne voulait pas payer les frais de la guerre.
P.H.: Mais est-ce que
dans le mouvement révolutionnaire vous parliez de la possibilité d'une 3è
guerre mondiale dès la fin de la seconde?
M.C.: Avant d'arriver à
cela, la question était: comment se termine la deuxième? Quelle est la
perspective dès 43. L'Allemagne allait à la défaite, personne ne se faisait
d'illusions là-dessus. La question était: est-ce que la perspective de
soulèvements ouvriers reste valable. En ce qui nous concerne, oui. On s'attend
à une nouvelle vague de soulèvements, dans la lignée de la Commune de Paris, et
surtout à partir des leçons de 1917. Or cette perspective était-elle là?
Certains niaient toute perspective de soulèvements ouvriers possibles étant
donné cette fameuse notion de disparition de la classe ouvrière. Position
banalement défaitiste de ceux qui ne comprenaient pas et ne voyaient aucune
issue.
Notre position était de
se situer vis à vis de ces soulèvements, de pouvoir y participer, y contribuer.
Il faut bien le constater, ces surgissement ont lieu. Cela commence même un peu
comme au moment de la 1è guerre mondiale, par une lutte au sein des armées, des
désertions en Allemagne, des grèves qui annoncent la sortie du chloroforme
comme se trouvait la classe ouvrière en 1914. Il y a en effet un mécontentement
mais surtout, encore une fois, dans les pays vaincus: en Italie, en
Allemagne, en Pologne. Comme je l'ai déjà dit, dans de nombreuse petites
villes en Allemagne, il y a une prise en main par des milices populaires. Ce qui
est nouveau, c'est que la bourgeoisie a compris. Elle a tiré les leçons de la
1è guerre mondiale, et elle ne laissera pas les foyers de lutte se développer.
Elle va y faire face, empêchant les soldats prisonniers de revenir en
Allemagne, et en faisant occuper par les armées étrangères ce pays. Au Japon
aussi.
Il y a le fait surtout
que la bourgeoisie a su parfaitement jouer sur les sentiments chauvins contre
les massacres nazis. Il prédomine dans les populations un sentiment
anti-allemand, revanchard. La bourgeoisie occidentale et russe joue à fond de
toute ses force sur ce registre. A tel point que les anarchistes, les
trotskystes et tout ce qui se situe à gauche des staliniens exalte la
"victoire contre le nazisme". C'est leur façon de participer au
déchaînement chauvin.
Dans les pays vaincus,
c'est la ruée des américains et des russes. Et dans les pays vainqueurs c'est
le déchaînement d'un chauvinisme incroyable, bien pire encore que lors de la 1è
guerre mondiale.
Il fallait en tirer les
leçons. Nous voyons les russes et les américains se précipiter. Jamais ils ne
laissent un no man's land. Dès que l'armée allemande est chassée de chaque
ville, ils reprennent la place. Ils massacrent toute vélléité de résistance
prolétarienne.
Par contre les autres,
Vercesi et compagnie, ce qu'ils n'avaient pas compris en perspective avant, ils
estiment que désormais nous entrons dans une période de développement de la
lutte de classe où le prolétariat va se retrouver dans la période de
reconstitution du parti. Notre position en 45, est au contraire: pas de
reconstitution du parti, le mouvement n'est pas là. Nous sommes encore dans une
période de réaction.
La fin de la guerre n'a
pas résolu les problèmes. Il y a maintenant l'antagonisme Russie/USA, nous
allons continuer dans ce cours de guerre, et probablement vers une troisième
guerre. La guerre de Corée va nous confirmer dans cette idée.
P.H.: Mais avant d'en
arriver là, vous avez assisté à une guerre plus terrifiante que la première.
Or, Jaurès avait dit que si une guerre mondiale devait se reproduire, elle
serait effroyable, ferait des millions de morts et laisserait l'humanité
exsangue. Vous avez vu les capacités de destruction immonde du capitalisme, les
destructions massives de population, est-ce que cela n'a pas produit dans la
minorité révolutionnaire soit un découragement (il va nous détruire tous de
toute façon) soit chez d'autres l'irrationalité destructrice du capitalisme?
M.C.: L'idée de Jaurès
ne s'est pas vérifiée. Au contraire, la position communiste était valable. Si
le prolétariat ne fait pas la révolution (dixit le 1er Congrès en 1919), si
cette vague de révolutions ne réussit pas à se développer, inévitablement se
préparera une deuxième guerre, puisque les problèmes posés au capitalisme ne
sont pas résolus dans la première. Pour nous c'était encore plus valable après
la 2è guerre mondiale. Celle-ci n'était qu'une continuation de la première. La
deuxième guerre est différente, de nouveaux blocs vont se constituer. Le même
problème classique du marxisme se repose: il n'y a pas de place dans le
capitalisme en décadence pour le développement des forces productives par
rapport aux marchés. Par conséquent, une autre guerre aura lieu. Quand nous
avions vu cette capacité d'occupation russe et américaine, cette prise en otage
de 5 millions de soldats allemands hors d'Allemagne, placés à leur tour dans
des camps de travail, et ce chauvinisme triomphant, nous avions conclu qu'il
fallait attendre de nouveau qu'il se reproduise
une situation qui permette une révolution. Les tentatives en 43 et en 45
avaient échoué. En conséquence s'ouvrait inévitablement une période de réaction
pour une période assez longue, dans une situation comparable à celle des années
30.
La reconstruction
P.H.: Le capitalisme va reconstruire.
M.C.: Nous n'avions pas
envisagé les possibilités de reconstruction. Nous ne voyions que la
continuation de la guerre. Et, effectivement, quand on fait les comptes -
aujourd'hui c'est plus facile de juger - le nombre de massacres, guerres et
destructions depuis 45 est plus important que ce que la 2è guerre mondiale a
coûté à l'humanité. Des pays entiers, en Afrique, en Asie, ont été ravagés par
la guerre. Il y a eu les massacres invraisemblables en Indochine, au Cambodge,
etc. Cela a été la continuation de la guerre mondiale sous d'autres formes,
parce que le capitalisme n'a pas de solution.
Mais dans les principaux
pays industriels, en Europe surtout, la capitalisme a assuré une reconstruction
qui lui a permis de souffler dans le centre du capitalisme, pas à la
périphérie.
Nous avons pensé que
cette continuation de la guerre sous d'autres formes amènerait le prolétariat
mondial au pied du mur, celui des pays vainqueurs évidemment cette fois-ci,
face à la pénurie des moyens de ravitaillement. Il a fallu en Europe près de 6
ans pour assurer un ravitaillement normal. Jusqu'en 1950 il y a des cartes de
ravitaillement en France. Les conditions de précarité de la guerre persistent
jusqu'en 1950.
P.H.: C'est pour çà que
j'ai toujours été bien nourri moi qui suis né en 1950 (rires).
M.C.: Immédiatement
après se produit la guerre de Corée. Ce qui était nouveau aussi, c'est qu'il ne
s'agissait pas pour nous d'une nouvelle période de reconstruction et de désarmement,
comme après la 1è guerre mondiale où on avait assisté à un désarmement et à des
discours sur la paix. Ce n'était que dans les années 30 que le réarmement avait
été mis en place et assuré le développement de l'économie de guerre. Ici, après
la 2è guerre mondiale, l'effort d'armement ne cesse pas. Les américain ont
distribués leurs surplus, mis en place le plan Marschall, mais le
développement des armements ne s'arrête pas. Toute la période de 50 à 70 est
une période de continuation de l'économie de guerre. Le réarmement n'avait
recommencé qu'en 34 auparavant, 6 ans après la 1è guerre. Ici, au contraire,
pas de crise d'armement, mais un immense développement d'armements
sophistiqués, de plus en plus destructeurs et un massacre continuel dans le
monde.
P.H.: On vous a
reproché d'avoir exagéré la guerre de
Corée comme prélude imminent à une nouvelle guerre mondiale.
M.C.: La tension entre
les deux blocs avait atteint un paroxysme incroyable. C'était plus d'un
million de morts. Ce n'était pas simplement Mac Arthur qui envisageait
l'utilisation de la bombe atomique. C'est l'impérialisme le plus puissant du
monde qui est engagé, les Etats Unis. Les russes n'ont pas encore la bombe
atomique. La Corée
est soutenue par la Chine
dont la Russie
est amie. La configuration des blocs que nous connaissons aujourd'hui doit se
préciser dès le lendemain de la guerre mondiale. Quelques petits pays changent
de place, mais les têtes de blocs resteront les mêmes.
Donc ce reproche
d'exagération était stupide, puisqu'il a manqué très peu pour que çà éclate.
Mac Arthur n'était qu'un général d'armée, mais il y avaient tous les
conseillers de la
Maison Blanche qui venaient du Trotskisme comme Schatman et
Burnham. Il suffit de lire le livre de Burnham de l'époque qui dit: "la Russie n'a pas encore la
bombe atomique, nous l'avons, qu'est ce qu'on attend pour l'utiliser
préventivement, qu'on se rappelle la veille de la 1è guerre où on avait laissé
l'Allemagne se reconstruire" etc.
Quand tu lis toute la
presse de l'époque, tu vois un débat aux Etats Unis: est-ce qu'on utilise la
bombe atomique et on perd la
Chine, ou est-ce qu'on essaie de simplement diviser la Corée. Quand ce débat
se déroule, nous avons en mémoire toutes les conférences entre
Angleterre-France et Hitler, où chaque fois France et Angleterre font des
concessions pour éviter la guerre; Munich à la fin ne résolvant pas le problème
et a amené la guerre. Tout comme aujourd'hui on nous remplit les oreilles avec
des conférences pour la paix et on détruit des missiles obsolètes, il y a une
nouvelle préparation en fait pour utiliser de meilleures armes. C'est l'état
d'esprit dans lequel nous nous trouvons en 1950. On va à la guerre... il y a la
guerre froide pendant toute une période. Il y a toutes les guerres de
décolonisation. Nous considérons que c'est différent de la période
d'entre-deux guerres mondiales, comme les années 19 à 30 où prédomine une
grande illusion de paix.
La crise de Cuba sera
grave. Ce n'est qu'à la dernière seconde que la Russie comprendra qu'elle
est mal placée pour prendre Cuba, trop éloignée...
P.H.: Que sont devenus
pendant cette période d'après-guerre les minorités révolutionnaires qui avaient
résistées sur les positions prolétariennes pendant le conflit mondial? Le
R.K.D., le parti de Bordiga, Battaglia Communista et vous?
M.C.: Après la
libération, voyons d'abord les R.K.D. Ce sont des trotskystes déçus. Ils sont
fondamentalement contre la défense de l'URSS, mais à part çà ils restent
trotskystes. Il y a une crise chez les trotskystes en général en 46.
Mais il faut considérer
que dans cette période il y a par ailleurs un arrêt du développement
des groupes révolutionnaires. Deux ans après la Libération. Alors
que juste à la fin de la guerre, on avait assisté à un développement, deux ans
après les révolutionnaires se retrouvent à nouveau particulièrement isolés. On
se retrouve dans la même situation que dans les années 30.
Le R.K.D. se focalise
sur l'anti-stalinisme, l'anti-russe devient pour eux la question essentielle.
Cela devient pour eux l'empire du mal. Ils commencent en fait à perdre la méthode
marxiste et cela les amène vers l'anarchisme. Le groupe se disloque, des
éléments rejoignent l'anarchisme.
Il faut préciser ici que
pendant la guerre lorsque nous avions envisagé de faire des conférences
internationales ouvertes à la
Gauche hollandaise (avec Canne Meier, etc) et plusieurs
groupes conseillistes, avec les R.K.D.
et l'O.C.R.
P.H.: Qui est-ce
l'O.C.R.?
M.C.: Ce sont des
trotskystes que les R.K.D. avaient fini par débaucher à la fin de la guerre du
Trotskisme sur leur plate-forme. Ils étaient dans la IVè Internationale
à Toulouse. Organisation Communiste Révolutionnaire. Les deux groupes vont
évoluer ensemble plus ou moins.
La mouvance de la Gauche hollandaise se
mélange avec des éléments proches de Sneevliet. Ils sont également contre la
défense de l'URSS. Sneevliet qui venait de Spartacusbond était au moins plus
ferme sur la question du parti, sur la nécessité d'une organisation, alors que la Gauche hollandaise ne
supportait pas l'idée d'une organisation politique; elle lui préfère la notion
de groupes de travail, donc elle se sépare de Sneevliet.
Tous les groupes étaient
invités, même le PCI.
P.H.: Mais vous êtes une
puce à côté de ce PCI?
M.C.: oui, bien sûr. Et
les bordiguistes ne veulent pas venir participer à cette conférence de l'après-guerre.
Ils considèrent que le parti bordiguiste est le seul, l'unique. De 45 à 46, le
PCI groupe à peu près 3000 personnes, ce qui est déjà énorme.
Contrairement à la
position des R.K.D. qui pensent que l'ennemi n°1 est la Russie, Bordiga lui, au contraire,
prétend que ce sont les USA. Bordiga n'avait pas accepté l'idée de capitalisme
d'Etat russe. Il disait: en Russie ce sont des agents qui travaillent pour
l'impérialisme américain, qui exploitent les ouvriers russes et servent à
transférer les bénéfices au capital américain. Il ne peut pas reconnaître
qu'ils travaillent pour leur propre compte. Pour lui le véritable ennemi n'est
pas la bureaucratie russe mais l'Etat
américain.
J'avais fait plusieurs
démarches pour que le PCI vienne, d'autant que la conférence se tenait à
Bruxelles.
P.H.: Que devient
Vercesi? Quelle est la date de sa participation au comité anti-fasciste de
Bruxelles.
M.C.: C'était au début
de 1945. Nous avions fait une résolution pour l'exclusion de Vercesi mais à
l'époque où la Fraction
était unie.
Les contacts aux
USA étaient très minces.
Aussitôt après
l'exclusion de Vercesi se reconstitue le PCI, mais aussi la crise dans la Fraction italienne existante et dans le Noyau français, sur la
question fondamentale des perspectives. Nous avions déterminé à la fin de la
guerre que la période noire continuait, cours réactionnaire, et défini qu'il
n'y aurait pas un ressurgissement immédiat de la lutte de classe dans le monde.
Nous maintenions la même position que nous avions tenu dans les années 30,
c'est idiot de former le parti dans de telles périodes. Tandis que les
italiens, le parti qui se reconstitue autour de Bordiga et Damen, estiment que
recommence une période révolutionnaire: ils vont participer aux élections. Le
fait qu'ils sont 3000 va entraîner la vision que ce sont les groupes plus
réduits à l'étranger, qui adhèrent au parti. Ils ouvrent les bras à tout le
monde: à ceux qui sont partis à la guerre d'Espagne, à ceux qui sont restés
avec Vercesi.
Nous ne sommes pas d'accord
évidemment sur les perspectives immédiates, et surtout nous sommes contre
l'idée de former un parti qui ramène des gens que nous avons exclu, qui ne
renoncent pas à leurs positions.
P.H.: Il semble d'après
les documents que vous soyez vous aussi pour la formation du parti?
M.C.: Au début, c'est la
ligne de 43 à 45. Au fur et à mesure que la guerre se termine nous changeons de
position: la révolution n'est pas
venue, elle a été écrasée dans l'oeuf préventivement, donc pas de possibilité
de parti pour l'heure. Il n'y a possibilité que d'existence d'organisations
révolutionnaires comme dans les années 30.
Tous les anciens d'Union
Communiste sont happés eux-aussi dans cette création de parti (D., L., etc).
Deux positions se
dégagent: l'une c'est le parti s'est reconstitué et nous n'avons plus de
raison d'exister en tant que groupe séparé, la Fraction doit se
dissoudre et on doit rentrer dans le parti un à un en Italie (comme la majeure
partie sont des réfugiés italiens (comme certains disaient à l'époque "le
prolétariat en Italie a des couilles en or!), l'autorité de Bordiga fait le
reste: l'autre, pour nous la majorité du groupe français, si fonder le parti
pouvait être valable en 43, maintenant ce n'est plus valable, alors notre
position était: il faut aller en Italie pour discuter avec ces gens de leur
plate-forme, car en fait nous ne disposions d'aucune base, d'aucun document. On
ne pouvait pas juger. On ne se dissout pas sans avoir pris connaissance des
positions et de l'utilité ou pas d'adhérer en tant que fraction, etc.
Il se produit donc la
scission dans la Fraction,
une partie du Noyau français adhère au PCI.
Nous, nous maintenons,
nous revendiquant de la légitimité de la IIIè internationale: on ne forme pas le parti n'importe quand, n'importe comment,
on ne se dissout pas comme çà.
Quand la conférence a
lieu à Bruxelles, Vercesi est là aussi; nous avons gardé une estime
personnelle. Quand je lui demande des explications à sa participation au comité
anti-fasciste, il répond: - ce comité représente pour moi les soviets.
Aussi je lui répond que
ce n'est pas vrai, que le comité anti-fasciste représentait un conglomérat de
partis, tandis que les soviets étaient des organes unitaires du prolétariat.
Vercesi fait encore
partie de la Fraction
en Belgique en tant qu'élément
opportuniste. Quand nous parlions de faire un travail commun, à la fin de la
guerre, avec les R.K.D. et les conseillistes, on nous disait: quoi? c'est le
Front unique, etc. Il n'y avait pas de conférence à faire non plus, il fallait
à tout prix rejoindre le parti nouvellement crée.
P.H.: Peux-tu dire en
quelques mots l'évolution du parti de Bordiga?
M.C.: Il se forme en 43
dans le nord de l'Italie sur des positions plus claires contre la guerre. Dans
le nord ce sont surtout d'anciens camarades de la Fraction. Ceux qui
étaient retournés en Italie étaient des gens du nord. Ils avaient apporté
tout le travail de la
Fraction. Dans la plate-forme de 43 ils ont des positions
beaucoup plus nettes par rapport à la
Russie, par rapport à la guerre. Mais, en même temps, dans le
sud où se trouve le gouvernement Badoglio, se forment un tas de groupes plus ou
moins confus, plus ou moins contre la guerre, mais surtout contre le fascisme.
Les positions de Vercesi et Bordiga sont équivoques.
Or, jusqu'en 45
l'évolution est parallèle. En 45 avec la réunification de l'Italie, les deux
moitié du parti se retrouvent. Ils réalisent ensuite la plate-forme de 45 qui
elle est beaucoup plus ambiguë, moins claire sur la question russe, c'est
l'apport de Bordiga. Et cela va continuer comme cela jusqu'en 52 où on verra la
scission en deux. En effet c'est une unité invraisemblable dans la confusion.
Beaucoup de camarades à l'étranger, en France, rejoignent le parti de Bordiga.
Pourtant, en 52, autant
Damen, que Bordiga et Suzanne se rendent compte que c'était une erreur de
former le parti, eux oui. Mais par contre ceux du nord continue à en défendre
la validité. La question du PCI sur les syndicats reste orthodoxe dans la ligne
de l'I.C. mais au fond plus proche de celle des trotskystes. Ceux du nord sont
pour la participation aux élections.
Il sera plus facile de
discuter avec Battaglia Communista. Mais numériquement le PCI-Programma se
développe avec un sens plus particulier de l'activité.
P.H.: Les deux partis
séparés ont continué dans l'ensemble une dénonciation correcte de
l'anti-fascisme bourgeois?
M.C.: Oui mais avec
beaucoup de difficultés et d'ambiguïtés, du fait même que la minorité de 36 qui
n'a jamais été condamnée pour sa position sur l'Espagne en entrant dans le
parti. Pour ne pas gêner ces camarades là qui avaient été en Espagne, ils
préfèrent ne pas en parler. Par rapport à Vercesi et à son comité anti-fasciste
en Belgique. Il faut attendre 4 ans qu'il se prononce. Nous, nous rappelons
l'avoir exclu sur cette position, et demandons: comment se fait-il qu'il soit
maintenant membre du comité central du nouveau PCI?
Ce n'est que 4 ans après
qu'il y a un petit entre filet dans leur presse disant que c'était une erreur
d'avoir participé à un tel comité.
P.H.: Les R.K.D. vous
reprochent, et à toi en particulier de ne pas avoir voulu la scission tout de
suite avec les révisionnistes à la Vercesi. Je cite, extrait du bulletin R.K.D.
d'avril 45: "... il fallait la trahison de classe directe et ouverte pour
faire avancer le groupe Marco qui formait alors l'aile gauche de la Fraction française et de la Fraction italienne mais
qui ne voulait pas se séparer organiquement de Vercesi et Cie. Même après
l'entrée de la fraction révisionniste dans la Coalition Impérialiste,
le camarade Marco s'est prononcé contre la scission immédiate, par souci que la
discussion pourrait en souffrir".
M.C.: Les R.K.D. étaient
avant tout trotskystes, avec des positions correctes contre la guerre et sur la Russie. Mais sur les
autres questions nationales, etc, et sur la question du parti, ils ont la
position de Lénine. Ils avaient gardé les méthodes trotskystes. Ils faisaient
de l'entrisme vis à vis du trotskisme. Ils voulaient provoquer des scissions
par rapport aux autres groupes. Par rapport aux trotskystes, je veux bien, mais
par rapport à nous, non. Donc, nous étions en débat sur cette question du
comité anti-fasciste. Quand surgit la question d'adhérer au parti italien, des
camarades disent: il faut faire la scission là dessus. C'était une question
fondamentale à débattre, et que nous voulions bien débattre. Nous avons voulu
aller en Italie. Et nous y avons été. Nous avons été discuter de ce qu'était ce
parti. Bordiga était là. Refus de Bordiga.
P.H.: La dernière
question. Depuis cette conférence de 45 de la Gauche, que sort-il de cette conférence? Pourquoi
vous allez disparaître en 1952, laisser donc le terrain libre aux groupes
néo-trotskystes genre "Socialisme ou Barbarie"? Pendant toute cette
période de triomphe des idéologies de libération nationale, on n'entendra plus
de voix révolutionnaire contre ce point de vue bourgeois. Tous les groupes
existant des bordiguistes aux trotskystes vont soutenir cette farce de
l'indépendance nationale pendant 20 ans. Vous avez été irresponsables de leur
laisser le terrain libre comme cela. Et finalement vous n'avez pas contribué à
armer théoriquement le prolétariat à la veille de la reprise historique de 68.
M.C.: Dans les années
cinquante, tous les groupes révolutionnaires commencent à s'essouffler
tellement ils sont isolés. Ils diminuent numériquement. Les staliniens ont
pignon sur rue. Comme nous sommes parvenus à une position claire sur la nature
anti-ouvrière des syndicats et que les ouvriers y adhèrent comme jamais, on est
coupé de la situation. Alors on sortait "Internationalisme" et
"L'étincelle" imprimé.
P.H.: C'était coûteux un
journal imprimé.
M.C.: C'était cher, mais
c'était de notre poche bien que nous soyons qu'une dizaine. Le journal sortait
à 2 ou 300 exemplaires. Après on avait plus les moyens et on sortait
"Internationalisme" seulement sous forme renéotée. On se fixait de
recommencer le travail de BILAN, en attendant que la situation se décante.
Après la conférence de
45, nous avions tenté avec les camarades de la Gauche hollandaise de lancer ensemble une revue
internationale de clarification, qui soit un pôle de référence pour les
éléments dispersés. Il n'y a eu qu'un seul numéro. On a eu quelques
correspondances avec Mattick qui était sur les mêmes positions que Canne Meier
sur la question de l'organisation. Ces groupes conseillistes disparurent très
vite. Nous étions resté en contact avec le Spartacusbond(...)
La période ne permettait
pas le surgissement de nouveaux groupes.
Les bordiguistes en
Italie allaient en se rétrecissant, de 3000 ils descendent à une centaine. Le
seul qui se maintiendra après le départ de Battaglia Communista, c'est Programa
qui s'amoindrira à son tour parce que la discussion n'y est pas possible. Dès
qu'il y a discussion ils se séparent, tous les anciens disparaîtront tour à
tour. Mais le groupe se maintient parce qu'il dispose d'une plate-forme, autour
de Maffi et Bordiga. Mais il va s'engager dans un activisme sur les luttes
syndicales, sur les luttes de libération nationale, saluant Che Guevara. Ce
sera l'époque des départs de Dangeville
et Camate. Ils ramasseront un tas de types sans principe.
"Internationalisme"
à son tour connaît des difficultés. Certains vont partie à "Socialisme ou
Barbarie", séduits par les théories de Chaulieu sur le 3è système
bureaucratique. Dans cette période des
camarades commencent à partir. Et puis la question de la guerre de Corée.
Certains vont partir aux Etats Unis. Nous on partira au Vénézuela.
Nous déterminons que la France se trouvera
probablement au coeur de la prochaine guerre et qu'il ne faut pas que
l'activité du groupe s'arrête. Il faut continuer le travail à l'extérieur.
(...)
P.H.: Qu'est ce que tu
penses de cette polémique sur les chambres à gaz?
M.C.: Je n'en sais rien.
Je me fous de comment ils ont tué. Ils en ont tué des millions. Guillaume et
Cie sont des imbéciles.
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