"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 6 décembre 2013

MATTICK : de l’anarchisme émeutier au conseillisme de salon



Mon peu de prévenances à l’égard de la bio arrangée de Mattick – La révolution fût une belle aventure – (pub sur le site du caméléon NPA) s’est vérifiée après lecture de l’ouvrage. Ficelé tel que, il est idéal pour satisfaire le premier anar venu : de l’action, de la bagarre avec les flics, de la prison, des manifs monstres, du « radical » en veux-tu en voilà. Aucune prise de distance, pas d’introduction historique, des notes avec quelques à peu près ou des cachotteries ; pourquoi voiler que Ian Appel a participé à la résistance nationale en Hollande en 1945 ?[1] Une postface où les deux compilateurs associés : Jorge dit Charles Reeve[2], et la belle Laure Batier[3], se félicitent de leur paquet cadeau, magnifiant un Mattick acteur engagé, certes pas branleur intellectuel, mais sans aucune analyse critique de l’absence de « révolution allemande » ni du mouvement des chômeurs des années 1930 aux USA[4]. Le titrage est donc bien dû à notre couple compilateur, « belle aventure » en effet que l’accouplement de l’anarchisme et du conseillisme, qui accouche du petit satisfecit  de « reconstruction de la mémoire »… libertaire et radical-campus-USA ?

La préface est typiquement amerloque se focalisant sur l’individu « acteur du mouvement ouvrier radical ». Le mot « radical », assez nunuche, sert depuis des décennies aux Etats Unis pour qualifier gauchisme, anarchisme, Joan Baez et compagnie ; et aussi à fourrer dans le même sac, pour les jeunes ignorantins, les meilleurs éléments issus de l’échec de la révolution en Europe dans les années 1920 et leur détermination « de classe » (prolétarienne bien sûr). Loin de moi la volonté de réduire l’importance de Paul Mattick. Comme homme, comme sociologue infatigable, comme ouvrier théoricien il reste au-dessus de la plupart des intellectuels de la gauche bourgeoise du XXe siècle, au-dessus des pitres de l’Ecole de Francfort[5] et évidemment des intellectuels nains du courant trotskien. Néanmoins sa contribution comme politique révolutionnaire reste moins marquante que celle en tant qu’économiste marxiste[6] « sans les bêtises de Marx » (dixit PM lui-même); le militant communiste a mué en sociologue dès les années 1930. Je noterai au passage ses lacunes politiques sans mépriser aucunement une trajectoire épatante à plus d’un titre et qu’aucun de nos grands piliers de la « gauche communiste » du courant maximaliste n’a égalé dans la durée, l’intensité, la notoriété et l’influence. Qui connaît Pannekoek, Canne Meyer, Appel, Perrone, Bordiga, Damen, Chirik, Chazé, Laugier, etc. Mattick par contre est connu et publié dans le monde entier. Ce qui n’est pas non plus une référence, les échotiers comme nos compilateurs se contentant d’en rester à l’étude du personnage en tant que brillant autodidacte et de son  parcours vers la voie de garage de la sociologie germanopratine sans s’intéresser aux courants "germano-hollandais" dont il a été le produit.
Le texte en première partie de Mattick lui-même, pour autant qu’il ait été en partie réécrit ou rapetassé, est passionnant depuis la misère de son enfance à son émigration aux States, mais le questionnaire qui suit, dirigé par un crétin nommé Michael Buckmiller – qui pose des questions filandreuses, hors sujet ou simplement bêtes – affaiblit l’ensemble, même si lorsque les questions deviennent vraiment stupides Mattick y répond ultra brièvement ou laconiquement. Egrenons plutôt ce que nous permet d’interroger l’Histoire à travers cette chronique vivante et sans langue de bois du parcours de Mattick.

1.      Une approche désillusionnée de la tentative de révolution en Allemagne :

Tout le milieu maximaliste, sans parler des gauchos bolcheviques demeurés, a longtemps vivoté dans un culte des émeutes révolutionnaires dans l’Allemagne dont le prolétariat met fin (provisoirement) à la guerre mondiale. Hauts faits d’armes, occupation du journal social-démocrate, barricades avec mitrailleuses et super et exemplaires « conseils ouvriers », sans oublier la sainte martyre Rosa Luxemburg. Mattick est tout jeune alors, encore ado. Comme toute jeunesse en temps de révolution il veut s’impliquer. Las les vieux ouvriers des Conseils les daubent les morveux, et sont du genre père la morale, ça sent à plein nez le syndicaliste recyclé.
L’ado vit évidemment la tentative de renversement de la bourgeoisie allemande comme une « aventure » et c’est en effet une aventure. Les émeutes incessantes, dispersées, les grèves qui n’arrivent pas à se coordonner ont quelque chose d’anarchiste. D’accord avec Lénine pour conspuer parlements et syndicats les « jeunes  socialistes» plutôt infantiles, n’en ont pas pour autant une activité de classe mais se réjouissent plutôt de passer leur temps à « exproprier » armes à la main, à cambrioler. Pire ils restent coupés des ouvriers[7]. L’action illégale sans queue ni tête leur aliène même la masse de ceux-ci. Le jeune Mattick même dans ses stages dans diverses usines semble à part, toujours plus partant pour faire le coup de feu que pour favoriser les discussions en AG ; il semble même considérer les ouvriers comme des moutons. Or les vieux ouvriers ont encore une conscience social-démocrate et ils viennent de subir une guerre mondiale, ils voudraient respirer ; les bagarres de rue, les coups de main armés les lassent vite. Plongé dans l’action le jeune Mattick ne voit pas les immobilités de classe, les conditions objectives et subjectives. Il veut foncer et se casse le nez, réchappe de plusieurs fusillades. Il « fait de l’agitation » très léniniste auprès des ouvriers des petites villes, qui s’en tapent. Le KPD n’est pas simplement un méchant parti contre-révolutionnaire il reflète aussi l’absence de volonté d’engagement et de « casse-pipe » de la part de la majorité des ouvriers ; les évènements ont un aspect mécanique et très militaire ; Léo Jogisches autrement mûr parla d’une « révolution de soldats ». La réflexion a peu de prise dans les combats de rue échevelés[8].
Le putschisme du KAPD est à la mode, et suicidaire. Et Rosa Luxemburg comme nombre de dirigeants SD a une bonniche. Les membres de l’organisation AAUE, anti-parti, sont surtout des intellectuels conseillistes coupés des masses…
Mattick conclut pourtant bien sur la pusillanimité de sa participation à la soit disant « révolution allemande » : « Désormais, c’en était fini de ma vie d’aventurier de voleur et de baroudeur ». Tournez la page.

2.      UN MOUVEMENT DES CHOMEURS AMERICAINS PAS TRES REVOLUTIONNAIRE

Lorsque notre anarchiste « anticapitaliste » (nos compilateurs reprennent le terme gauchiste à la mode en 2013) atterrit chez les syndicalistes « radicaux » des IWW, le niveau de discussion est si bas que cela l’incline à « vraiment étudier le marxisme «  (p.85). Mattick n’est pas attiré par la fraction du parti des juifs newyorkais, que Lénine choisit comme ses officiels, mais devient de plus en plus anti-parti depuis la ville provinciale où il travaille. Il délaisse peu à peu l’activisme syndical creux pour étudier les textes de Grossmann sur la baisse tendancielle du taux de profit, analyse classique reprise à Marx. Il s’oriente de plus en plus vers une activité d’écrivain éditorialiste de revues, preuve de son complet revirement face à son activisme effréné et anarchisant de jeunesse. L’ébullition de la vague révolutionnaire en Europe qui avait échauffé les jeunes cervelles des émigrés est non seulement éloignée mais refroidie. Mattick est plongé dans de nombreuses rencontres et discussions dont il n’a pas seul l’initiative même s’il tend à tirer la couverture à lui avec la souvenance toujours très subjective. Le mouvement des chômeurs des années 30 surprend d’abord les demi-intellectuels comme Mattick ; ils ne savent pas comment s’y prendre d’autant plus que les ouvriers restent enfermés dans leur syndicalisme de corporation (ça n’a pas changé aujourd’hui) et que les chômeurs ont plus envie de manger que de discutailler politique. Il apparaît des idées formidables pour casser le corporatisme et la séparation, par ex des groupes de chômeurs vont faire les piquets de grève. Très ponctuel et pas généralisable. Mais à force de défendre l’idée de combat "indépendant" chacun reste dans son coin. Mattick et ses amis font la politique de la carpette par anti-léninisme (disons primaire) et résultat ils se coupent de toute activité sérieuse « de parti » pour influer sur le mouvement comme le confesse lamentablement le quadra émigré : « Nous ne faisions pas de propagande pour notre groupe ; nous nous limitions à organiser des discussions politiques ». Et de se casser les dents sur les limites des chômeurs girouettes face aux PS et PC: « Les chômeurs identifiaient leur phraséologie avec leurs propres nécessités leurs propres besoins ». Le sociologue lointain a déjà pris le pas sur le militant "partie prenante".

Nos conseillistes américanisés font ensuite front commun avec les démocrates socialistes et les trotskiens d’époque face au petit parti stalinien de New York pour « laisser le mouvement se développer sous la responsabilité des chômeurs eux-mêmes ». Bernique voilà le welfare state en 1934 qui récupère toute la protestation des sans travail et Mattick en est réduit à l’imparfait du subjectif !
Par la suite nos conseillistes américains sont tellement anti-stalinistes qu’ils ne risquèrent pas d’être inquiétés ni renvoyés en Allemagne par la police d’Etat. Ils ne sont pas dangereux avec leur théorie anti-parti comme de nos jours leurs héritiers spontanéistes de salon.
Mattick révèle en plus face à l’andouille qui l’interroge qu’il sera resté un marginal face à la classe ouvrière. Sa théorie nunuche de l’ancien et du nouveau mouvement aura façonné une ribambelle d’impatients universitaires prompts à dénigrer ce qu’ils avaient adoré la veille et ces petits profs « modernistes » parisiens minables, sans cacher un certain mépris (cf. « les ouvriers américains des enfoirés »).
Avec son bla-bla sur l’intégration ouvrière le senior Mattick n’aura pas compris que le confort consumériste restait PROVISOIRE dans la crise capitaliste. Par contre sa critique de marasme, de la crédulité et de la bêtise des intellectuels professionnels est toute d’actualité et de vérité.
Malgré ses carences et faiblesses politiques – il est inconcevable de prétendre que ce que Marx a écrit d’intéressant n’est que la partie économique – il est capable voir la mutation interne de la classe ouvrière moderne, et qui n’en change pas la nature révolutionnaire au contraire : « Je suis convaincu que ce système ne peut pas exister éternellement. Je suis convaincu, en outre, que la révolution doit être faite par les travailleurs, dont une grande partie est composée de techniciens et d’intellectuels qui se trouvent aujourd’hui prolétarisés. Jamais dans l’histoire du capitalisme la classe ouvrière n’a représenté une force aussi grande qu’en ce moment, et particulièrement en Amérique où toute l’agriculture fonctionne avec des ouvriers et non plus avec des paysans indépendants. » (p.52.53).

Cet état d’esprit n’a rien à voir avec les salades du petit anarchiste Jorge qui milite en salon « pour la redécouverte des idées de l’anarchisme et des courants antiautoritaires du marxisme » + « tout comme l’expérience passée des conseils ouvriers ». Du vent quoi ! On compile interviews et racontars. Quand on se contente du sensationnel de « l’aventurier Mattick » de ses carapates de jeunesse et de son intronisation sociologique chez Gallimard, sans être capable d’analyser les failles des années 20 et les illusions des années 30. On peut faire de l’épate éditoriale pour le milieu anar et gauchiste décomposé mais on est inutile à une réflexion en profondeur pour la révolution aujourd’hui.








[1] Note 53 page 53. Appel le raconte lui-même dans sa biographie que j’ai traduite en français, voir sur le site Smolny.
[2] Les portugais se donnent des noms américains pour faire « important ».
[3] ex-CCI ?.
[4] En guest star on note aussi la collaboration du fils de M.Chirik, élégant intellectuel de salon conseilliste, très peu « radical » comparé à son auguste père.
[5] Excepté Marcuse, dont il fut l’ami, et qui reste injustement fustigé en milieu maximaliste et soixantehuitards comme l’auteur du livre « révisionniste » contre la théorie de l’ouvrier révolutionnaire – L’homme unidimensionnel – oubliant ses anciens textes, notamment sur la nature du nazisme, jugés si dérangeants qu’ils ne sont pas traduits en français, malgré mes efforts...
[6] Ses héritiers sur ce plan sont depuis très longtemps les camarades du cercle Robin Goodfellow qui ont repris dès leur jeune âge lycéen  la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit des Marx/Grossmann/Mattick contre les « décadencistes » luxembourgistes ! Sur le fond les deux théories ne sont pas finalement antinomiques, malgré des polémiques à couteaux tirés, et reposent sur le même « catastrophisme » marxiste, qui se vérifie amplement de nos jours. Jusqu’à la fin de sa vie au début des années 1980, il y a trente ans donc Mattick voyait clair.
[7] Il ne vient pas à l’idée de notre couple compilateur de conte pour enfant anarchiste que ces pratiques avient tout pour défigurer l’idée de révolution et faire fuir les ouvriers matures. Cela aurait demandé une analyse fatigante et peu glorieuse en termes de raisonnement sur les vraies conditions d’une révolution « adulte » !
[8] Page 70 le jeune Mattick qui devait participer à une action armée suicidaire est mis à la raison par un vieil homme, et sauve sa peau.

mercredi 4 décembre 2013

LA SUPERFICIALITE DE « SECRETS D’HISTOIRE »





   













En hommage à Jules GRANDJOUAN (1875-1968)

« Mourir n’est rien. Il faut vaincre » Clémenceau 1917

Stéphane Bern a encore frappé hier soir sur une « chaîne nationale » consacrant la maintenance de la propaganda bourgeoise inexpugnable. Clemenceau est certes un personnage hors du commun. C’est le prince du radical-socialisme et le roi du centrisme politique bourgeois à la fin du XIXe siècle. Il est en effet au début un bourgeois progressiste. Plutôt du côté de la Commune de 1871 dont il tente de tempérer la violence vengeresse, il  échoue dans ses efforts pour négocier avec Versailles. Cela lui  vaudra l’inimitié des deux bords et l’aile droite de la bourgeoisie ne lui pardonnera jamais cette sympathie pour la Commune ni son soutien au capitaine Dreyfus en lui refusant la nomination comme Premier inaugurateur de chrysanthèmes (la fonction présidentielle à l’époque) après pourtant de bons et loyaux service à la défense de la patrie en guerre ; le « père la victoire », farouche antibolchevique, avait été bombardé en urgence premier ministre en 1917 et avait pesé contre l’ignominie et incompétence des généraux bouchers pour unifier le commandement militaire, en donnant des « coups de pied au cul des Pétain et Cie ». S. Bern s’est contenté de copier un scénario sur le résumé de Wikipédia, exaltant Clémenceau de bout en bout, excepté pour ses frasques sexuelles (800 amantes) et sa dureté pour la femme qui l’avait trompé.
Rien n’est explicite dans la version propagandiste superficielle : comment comprendre que ce docteur qui fût l’ami de Blanqui, le défenseur des ouvriers en grève, le courageux défenseur de Dreyfus, bascule dans les rangs de la bourgeoisie décadente dans la période où la classe ouvrière redevient plus menaçante qu’en1871, en devenant le premier flic « briseur de grèves » puis en infibulant un chauvinisme invariable pendant les années  de la montée vers la guerre mondiale, je devrais dire la descente ? Il refuse de participer aux débuts de l’Union sacrée voyant bien les gaspillages d’un milieu politique minable et l’impéritie des militaires. Il ne la glorifie que lorsqu’on le place, au moment le plus dangereux pour la consensualité militaire en 1917, en tête du gouvernement de guerre. L’unification des forces armées sous la houlette de Foch permet en effet de remporter une victoire (provisoire) face à l’Allemagne, mais l’hagiographie se fout des conséquences effroyables à court terme de l’armistice. Papy la victoire est martelé dans l’imagerie populaire. Avec son galure diocésain Clémenceau aura été faire le mariole dans les tranchées et faire la bise aux pioupious, mais jamais n’empêcha les conseils de guerre d’assouvir leur sale besogne. Bien que non récompensé par la place honorifique de porteur de chrysanthèmes, Clémenceau doit rester une idole nationale, conférait à sa statue au bas des Champs-Elysées face à De Gaulle, c’est en tout cas ce que le petit télégraphiste Bern veut insuffler à la jeunesse ignorante. Or Clemenceau est l’exemple type du renégat. Politique progressiste, sainement anticlérical, anticolonialiste tant qu’il ne fût pas nommé ministre, ouvert à la perspective d’un socialisme pacifique, il ne s’était jamais élevé à la compréhension véritable de la dynamique des révolutions ; sa remarque sur la révolution française comme « un bloc », traduit bien les dangers de la rigidité théorique. Non aucune révolution n’est un bloc. Engoncé dans une vision nationale c’est tout naturellement que le moustachu coureur de jupons (à la manière des bourgeois, aimant le bordel de luxe) a endossé l’Union sacrée et la simple correction qu’il a apporté à l’autoritarisme cruel des généraux de merde (on a bien fait de fusiller Thomas et Lecomte pendant la Commune, comme on aurait dû aussi fusiller ce salaud de Nivelle) fût d’aller serrer la paluche devant caméra un jour de calme dans les tranchées, les encourageant à continuer de se faire massacrer « pour sauver la patrie » ! Clémenceau représente la tradition des hommes le splus intelligents de la bourgeoisie : il sait flatter le soldat qui va à la mort pour la patrie en 14-18, comme il bataille pour la journée de huit heures en 1919, car il sait que si l’Etat ne fait pas cette concession… la révolution internationale généralisée est aux portes. L’adoption tardive de la journée des huit heures est en ce sens une mesure CONTRE la classe ouvrière. L’observation de la carrière politique de Clémenceau est très intéressante pour une étude des capacités d’adaptation de la bourgeoisie dans le conflit des classes ; ce travail reste à faire, la plupart des historiens sont passés à côté et ce qui passe à la télé ne vaut rien. A cette aune, l’analyse historique des moyens de mystification, on jugera un jour combien est méprisable la trajectoire de la gauche au pouvoir en France, de Hollande à Mélenchon et aux petits roquets écolo-bobos.

L’émission pipole de merde de Bern participe de l’immense campagne préparatoire au « bourrage de crâne » de l’an prochain visant à perpétuer la gloire si posthume de 1.700.000 morts pour le Capital français, avec cette apport indéniablement putain du PS à la réintégration des mutins fusillés dans le « cimetière commun ». Depuis leur tombe ou leur terrain vague, ceux-là ne risquent pas de contester l’ignominie récupératrice qui prévaut sur les décombres de l’histoire amassées par la bourgeoisie infatuée et dont la prostate cause de gros soucis. Puisse le cancer prolétarien l’emporter dès cet anniversaire honteux, ce sera notre vrai hommage aux mutins qu’ils veulent massacrer une seconde fois !
Heureusement, pour calmer ma colère ce latin, je tombe sur « L’HISTOIRE PAR L’IMAGE » destiné aux profs et élèves. HOMMAGE au dessinateur Grandjouan. Super.

EXTRAITS


L’histoire revisitée

Les dix vignettes dessinées par Grandjouan composent un calendrier décennal qui frappe autant par l’effet de répétition que par les différences. Chaque image de la série comporte deux personnages, opposant systématiquement le peuple (le soldat) et ses dirigeants (Poincaré, Albert Thomas, Clemenceau). De 1914 à 1917, le combattant figure au-dessus du dirigeant ; les années suivantes, après les mutineries de 1917, il lui est au contraire explicitement soumis par la contrainte. Poincaré symbolise trois fois cette oppression, grimé en président de la République (1914), en capitaliste (1915), en « planqué de l’arrière » (1917). Clemenceau, avec sa barbiche blanche, lui ressemble physiquement, comme pour dévoiler le mensonge de la démocratie « bourgeoise ». Les mains de Clemenceau touchent le combattant à différents endroits, surtout le dos (lâcheté) et le cou (domination), et jouent avec le fusil entre 1919 et 1921. Quant au personnage du soldat, il est tour à tour confiant, combattant, hagard, percé de balles, au bord de la tombe, menaçant, désemparé, invalide, miséreux, et envahisseur malgré lui. Le jeu des attitudes, l’emploi de la couleur rouge et de la décoloration, les changements de coiffe (calot, casque, bandages, képi, feutre mou) rendent particulièrement impressionnante cette histoire du peuple sur le front militaire et politique.

Pédagogie de masse, pédagogie de classe
Les titres des vignettes et les courts bouts-rimés qui les commentent ne laissent aucun doute au lecteur : les communistes dénoncent férocement la « Grande Duperie bourgeoise » qu’a été la guerre impérialiste. À chaque fois, les deux vers scandent la ritournelle trompeuse de la « bourgeoisie » dénoncée ici par Grandjouan. Le jeu de mains de Poincaré est remarquable, tant il symbolise les illusions déçues des combattants : le Président indique deux directions au début de la guerre (le front et l’arrière), il fait ensuite offrande de munitions et enfin répand les rumeurs (au lieu de tendre une main secourable). Seule l’année 1919 rompt avec cette tromperie généralisée. Le soldat menaçant dressé au-dessus de Clemenceau symbolise un peuple qui ne désarme pas en dépit de la démobilisation et qui finit par obtenir l’une des principales revendications ouvrières : la journée de huit heures de travail. Mais le jeu de dupes reprend ensuite de plus belle : la paix sociale est imposée, les Réparations dissimulent la reprise de l’exploitation économique. En 1923, à la veille des élections et après l’invasion de la Ruhr, Poincaré est rejoint par le socialiste Blum et le radical Herriot. Pour Grandjouan, la classe ouvrière n’a donc qu’un seul recours – le parti communiste, pour lequel il dessine d’ailleurs six autres affiches, dont une reprenant le fameux couteau entre les dents (« Ah, ton couteau pour nous délivrer ! »). La lutte continue. Les masses sont appelées aux urnes pour renverser le cours de l’histoire.
Auteur : Alexandre SUMPF

Du militantisme radical au communisme

La IIIe République ancre les pratiques démocratiques en France mais est loin de satisfaire les plus radicaux qui appellent de leurs vœux une république sociale. Les affaires politico-financières qui émaillent la fin du XIXe siècle, comme le scandale de Panama en 1893, favorisent le rejet d’un système auquel tous les partis politiques apportent toutefois leur caution par la participation aux élections, à une époque qui voit l’affiche triompher en ville comme moyen de communication. Farouche libertaire, le dessinateur Jules Grandjouan (1875-1968) met son talent au service du Comité révolutionnaire antiparlementaire à l’occasion des élections législatives de 1910. Le combat que mène ce comité, qui a édité La Guerre sociale de Gustave Hervé, socialiste révolutionnaire et antimilitariste, le porte aussi sur le front de l’unité syndicale et de la lutte de classes, dans une France qui a connu les grandes grèves de guerre (1917, 1918) et de 1919. L’obtention des huit heures journalières de travail confirme les syndicalistes de la nouvelle C.G.T.U. dans le choix d’un positionnement radical. Ils s’appuient sur la Section française de l’Internationale communiste née en décembre 1920, à laquelle Grandjouan adhère.
La moindre occasion est saisie pour défendre la cause du travailleur internationaliste contre le bourgeois impérialiste. Décidée par Poincaré pour obtenir en nature une partie des réparations exigées de l’Allemagne vaincue, l’occupation de la Ruhr par l’armée française, en janvier 1923, déclenche ainsi une violente campagne de la part des communistes.

 Analyse des images
Antiparlementaire, unitaire et internationaliste
La composition de l’affiche « Le vol des Quinz’mill’ » imite habilement les images d’époque vantant les attractions populaires et fait en particulier appel au goût récent du public pour les exploits aéronautiques. Au centre de l’image, un dirigeable doré nommé « Palais-Bourbeux », en référence au Palais-Bourbon où siègent les députés, symbolise l’Assemblée nationale. Le titre de l’affiche joue sur le double sens du mot « vol ». Dans la nacelle du dirigeable, les députés sortants s’accrochent à leur pactole : 41 francs par jour, presque 15 000 francs par an. Ils sont survolés, du point de vue du salaire, par le président de la République Armand Fallières, souriant et rubicond, et le président du Conseil Alexandre Millerand. Sur terre se presse la masse des prétendants à la prébende que constitue, selon Grandjouan, une place de député ; en frac noir, signe d’élégance mais aussi de richesse, ils tendent des bras fortement allongés, signe de leur cupidité.
« Unité de front », composée après la Première Guerre mondiale, fait la promotion de la nouvelle organisation syndicale issue de la scission de la C.G.T. Par la représentation de la Bastille, Grandjouan revendique l’identité révolutionnaire de la C.G.T.U. Le récit se développe en trois étapes disposées verticalement. Du haut de la « Bastille capitaliste », cigare vissé aux lèvres, des profiteurs narguent depuis le chemin de ronde des manifestants munis d’écriteaux indiquant partis et syndicats de gauche. Puis, à l’appel de la C.G.T.U., tous abandonnent leur identité particulière pour unir leurs efforts comme ils lient les hampes. Dans un dernier temps, ce faisceau se transforme en bélier qui enfonce la porte de la citadelle. L’effort collectif des personnages désormais unis dans l’action provoque la reddition capitaliste, exprimée par un drapeau blanc, qui contraste par sa modestie et son unicité avec les onze drapeaux – neuf rouges et deux noirs – de la première séquence.


L’affiche « Victimes de la même Ruhrie » a été éditée par la C.G.T.U. que soutient Grandjouan. La composition horizontale fait converger au centre de l’image le sommet d’un tas de charbon, richesse de la Ruhr, et la pointe du « V » que les puits de mine de cette région très industrialisée découpent dans le ciel. Au premier plan, trois personnages se dévisagent : à gauche, un mineur allemand forcé de travailler sous la menace d’une baïonnette brandie à bout de fusil par le soldat français debout au centre. À droite, le mineur français auquel s’adresse son camarade allemand ne se distingue de lui que par sa passivité. Le crayonnage plus appuyé pour le mineur allemand, plié par l’effort (il s’aide du genou), le rapproche du noir du charbon qu’il exploite et à travers lequel on l’exploite. Le soldat, reconnaissable à son inimitable casque, est au contraire figé en statue, ses équipements sont finement détaillés. Le mineur de droite se tient dans une étrange position d’attente ou de doute, sa silhouette apparaît comme découpée dans le décor.
  Interprétation
Jeux de mots et jeux de miroirs
La constance de l’engagement de Grandjouan réside dans la croyance en la possibilité d’une révolution sociale qui mettrait à bas un régime dévoué aux intérêts de la bourgeoisie. S’il fait figurer Alexandre Millerand en robe d’avocat, c’est que ce dernier, après avoir participé en 1898 à un gouvernement « bourgeois », s’était compromis en plaidant la cause du liquidateur Duez dans l’affaire du « milliard des congrégations ».
À l’occasion des élections de 1910, Grandjouan appelle à ne pas voter, structure un Comité révolutionnaire antiparlementaire au sein duquel il occupe les plus hautes fonctions, dessine deux affiches (avec la mention « vu par le candidat ») et donne des conférences.

Dans ses affiches, il use volontiers du jeu de mots qui dénonce et fait mouche : l’ambivalence du mot « vol » permet de détourner une affiche aéronautique, le Palais-Bourbon devient un marécage fangeux, l’occupation de la Ruhr relève de la « rouerie ».
Cet art du trait se retrouve dans sa manière de dessiner, assez sèche, qui tient dans l’épaisseur du coup de crayon plus que dans le jeu des couleurs : les ouvriers au travail sont denses, les bourgeois sont sans consistance, tout en apparences, baudruches gonflées de profit, mais parasites esclaves de l’argent. Ces compositions en miroir et ce jeu constant sur les représentations des deux principales « classes » signent la manière de Grandjouan. Le tout jeune parti communiste attire à lui nombre de militants anarchistes ou antimilitaristes, qui s’en détourneront toutefois assez vite.
Auteur : Alexandre SUMPF
Bibliographie
  • Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrations, 1914-1929, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.
  • Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, tome II, « XXe siècle, à l’épreuve de l’histoire », Paris, La Découverte, 2004.
  • Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.
Public, apprends que chaque semaine les accidents de travail tuent trois des nôtres et en blessent quinze.
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Titre : Public, apprends que chaque semaine les accidents de travail tuent trois des nôtres et en blessent quinze.


  Contexte historique
Un syndicalisme révolutionnaire
Depuis la création de la Confédération générale du travail en 1895, le syndicalisme révolutionnaire se renforce en France : les grèves de secteur se multiplient, la répression étatique se fait également de plus en plus sévère, y compris quand d’anciens radicaux (Georges Clemenceau) ou des socialistes (Alexandre Millerand) accèdent aux responsabilités. Lors du congrès d’Amiens, en 1906, les syndicalistes décident donc de conserver leur autonomie par rapport au tout nouveau parti socialiste (S.F.I.O.), fondé en 1905, et de mener la lutte par leurs propres moyens, parmi lesquels la grève générale. Témoin de cette radicalisation, la Fédération des mécaniciens et chauffeurs, réformiste, se rapproche des positions du Syndicat national des cheminots. À l’automne 1910, les deux syndicats exigent du gouvernement l’instauration d’un salaire minimum journalier de cinq francs et lancent la « grève de la thune » (le mot « thune » désigne une pièce de cinq francs).

Jules Grandjouan (1875-1968), déjà fameux pour ses caricatures radicales et anticléricales publiées dans L’Assiette au beurre, proche des milieux libertaires et futur membre du parti communiste, soutient vigoureusement le mouvement et produit non moins de trois affiches.
  Analyse des images
Contre l’exploitation des cheminots : les gros et les maigres
Ces trois affiches opposent constamment les profiteurs et dirigeants, gros et gras, aux travailleurs exténués risquant leur vie pour un salaire de misère. Dans « Cheminots, syndiquez-vous », que Grandjouan a réalisée pour le Syndicat national des chemins de fer, la gare de la Sainte-Touche sépare nettement le monde en deux : de rares individus en sortent, à gauche, baudruches jaunes gonflées d’or sous le haut-de-forme du capitaliste. Par l’autre porte de cette gare de triage des salaires s’écoule un flot compact de cheminots visiblement usés par le travail. Pauvrement vêtus, ils avancent d’un pas lourd vers la misère à laquelle les nantis les condamnent et qu’incarne la famille du premier plan à droite. Invitant à la lutte contre un système injuste, l’affiche comporte aussi un texte qui oppose en chiasme « risquer » et « avoir ».

« Public… », tout en couleurs cette fois, s’adresse aux usagers du chemin de fer. La composition privilégie le dessin au centre, où s’accumule l’information visuelle, et inscrit le message dans les bandeaux supérieur et inférieur où il se détache en lettres capitales rouges. Le thème des accidents du travail, chiffrés par le texte, est illustré par le groupe de cheminots qui évacuent un de leurs camarades sur une civière. L’écrasante masse noire de la locomotive renforce le ton funèbre de la scène. À gauche, deux élégants bourgeois avec haut-de-forme et habits clairs sourient d’un air entendu et finaud. Ils sont désignés du doigt par l’ouvrier placé exactement au centre de la composition, et par les regards de plusieurs personnages de ce côté de l’image. « Dans les chemins de fer » reprend des éléments des deux autres affiches : la litanie des métiers et des salaires de la première, la locomotive et les bourgeois de la deuxième. La hiérarchie apparaît de façon allégorique dans l’espace de la représentation puisque les dirigeants des réseaux se trouvent au-dessus de leurs employés, restés sur un quai de gare : les uns, assis, se reposent et engraissent ; les autres sont debout et travaillent. Mais la pensée révolutionnaire du dessinateur s’exprime aussi dans l’attitude des cheminots, qui semblent prêts à prendre le train d’assaut, et dans un texte qui joue sur le mot « rouler ». Sur le drapeau rouge du chef de gare sont inscrites les initiales du syndicat (S.N.T.C.F., pour Syndicat national des travailleurs des chemins de fer). Dans le cadre rouge en bas à droite figure un appel à une réunion à la Bourse du travail.
  Interprétation
Mobilisation et communication syndicale
La société industrielle, capitaliste, est présentée par Grandjouan sous un double visage : modernité des métiers et hiérarchie des salaires, dignité du producteur et indécence du profiteur. L’image du banquier bedonnant de Daumier ou des gros chez le Zola du Ventre de Paris sert ici la cause de la lutte de classes : la direction des réseaux accapare les richesses qu’elle ne produit pas, dévore le travail et engraisse, domine de façon illégitime le peuple.

La grève des cheminots de 1910, orchestrée par le Syndicat national des chemins de fer et mise en images par Grandjouan, entend mobiliser la solidarité des travailleurs, mais en appelle aussi au « public », c’est-à-dire à l’opinion que l’on cherche à sensibiliser et même à émouvoir. Cependant, en dépit de son ampleur et de sa durée, la grève échoue et débouche sur une très importante répression (38 000 révocations). Il faut attendre un an pour que, dans une atmosphère moins tendue, mais lourde du souvenir de 1910, des réformes soient conduites, en particulier sur le réseau d’État. Le salaire journalier de cinq francs y est accordé, un statut réglemente désormais les carrières, depuis le recrutement et l’avancement jusqu’aux congés et aux assurances maladie et accident. La campagne d’opinion des anarcho-syndicalistes, portée par le talent de caricaturiste de Grandjouan, a contribué en partie à cette évolution.
Auteur : Alexandre SUMPF
Bibliographie
  • Christian CHEVANDIER, Cheminots en grève ou la Construction d’une identité, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002.
  • Pierre VINCENT et André NATRRITSENS, « La grève des cheminots d’octobre 1910 », in Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut C.G.T., n° 115, septembre 2010, p. 6-11.
  • Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.


Auteur : Jules GRANDJOUAN (1875-1968) Lieu de Conservation : Musée d'histoire contemporaine / BDIC (Paris) ; site webContact copyright : ADAGP, 11, rue Berryer. 75008 Paris. Tél: 33+01-43-59-09-78 - Email : adagp@adagp.fr -Site web : www.adagp.fr / Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 6 Allée de l'Université, 92001 Nanterre Cedex, Tél.:33-(0)1.40.97.79.00 / Fax : 33-(0)1.40.97.79.40 ; site web