Mon peu de
prévenances à l’égard de la bio arrangée de Mattick – La révolution fût une
belle aventure – (pub sur le site du caméléon NPA) s’est vérifiée après lecture
de l’ouvrage. Ficelé tel que, il est idéal pour satisfaire le premier anar venu :
de l’action, de la bagarre avec les flics, de la prison, des manifs monstres,
du « radical » en veux-tu en voilà. Aucune prise de distance, pas d’introduction
historique, des notes avec quelques à peu près ou des cachotteries ;
pourquoi voiler que Ian Appel a participé à la résistance nationale en Hollande
en 1945 ?[1] Une
postface où les deux compilateurs associés : Jorge dit Charles Reeve[2],
et la belle Laure Batier[3],
se félicitent de leur paquet cadeau, magnifiant un Mattick acteur engagé,
certes pas branleur intellectuel, mais sans aucune analyse critique de l’absence
de « révolution allemande » ni du mouvement des chômeurs des années
1930 aux USA[4]. Le
titrage est donc bien dû à notre couple compilateur, « belle aventure »
en effet que l’accouplement de l’anarchisme et du conseillisme, qui accouche du
petit satisfecit de « reconstruction
de la mémoire »… libertaire et radical-campus-USA ?
La préface
est typiquement amerloque se focalisant sur l’individu « acteur du
mouvement ouvrier radical ». Le mot « radical », assez nunuche,
sert depuis des décennies aux Etats Unis pour qualifier gauchisme, anarchisme,
Joan Baez et compagnie ; et aussi à fourrer dans le même sac, pour les
jeunes ignorantins, les meilleurs éléments issus de l’échec de la révolution en
Europe dans les années 1920 et leur détermination « de classe »
(prolétarienne bien sûr). Loin de moi la volonté de réduire l’importance de
Paul Mattick. Comme homme, comme sociologue infatigable, comme ouvrier théoricien
il reste au-dessus de la plupart des intellectuels de la gauche bourgeoise du
XXe siècle, au-dessus des pitres de l’Ecole de Francfort[5]
et évidemment des intellectuels nains du courant trotskien. Néanmoins sa
contribution comme politique révolutionnaire reste moins marquante que celle en
tant qu’économiste marxiste[6]
« sans les bêtises de Marx » (dixit PM lui-même); le militant communiste a mué en sociologue dès les années 1930. Je noterai au
passage ses lacunes politiques sans mépriser aucunement une trajectoire
épatante à plus d’un titre et qu’aucun de nos grands piliers de la « gauche
communiste » du courant maximaliste n’a égalé dans la durée, l’intensité,
la notoriété et l’influence. Qui connaît Pannekoek, Canne Meyer, Appel, Perrone,
Bordiga, Damen, Chirik, Chazé, Laugier, etc. Mattick par contre est connu et
publié dans le monde entier. Ce qui n’est pas non plus une référence, les
échotiers comme nos compilateurs se contentant d’en rester à l’étude du
personnage en tant que brillant autodidacte et de son parcours vers la voie de garage de la sociologie germanopratine sans s’intéresser aux courants "germano-hollandais" dont
il a été le produit.
Le texte en
première partie de Mattick lui-même, pour autant qu’il ait été en partie
réécrit ou rapetassé, est passionnant depuis la misère de son enfance à son
émigration aux States, mais le questionnaire qui suit, dirigé par un crétin
nommé Michael Buckmiller – qui pose des questions filandreuses, hors sujet ou
simplement bêtes – affaiblit l’ensemble, même si lorsque les questions
deviennent vraiment stupides Mattick y répond ultra brièvement ou
laconiquement. Egrenons plutôt ce que nous permet d’interroger l’Histoire à
travers cette chronique vivante et sans langue de bois du parcours de Mattick.
1. Une
approche désillusionnée de la tentative de révolution en Allemagne :
Tout le
milieu maximaliste, sans parler des gauchos bolcheviques demeurés, a longtemps
vivoté dans un culte des émeutes révolutionnaires dans l’Allemagne dont le
prolétariat met fin (provisoirement) à la guerre mondiale. Hauts faits d’armes,
occupation du journal social-démocrate, barricades avec mitrailleuses et super
et exemplaires « conseils ouvriers », sans oublier la sainte martyre
Rosa Luxemburg. Mattick est tout jeune alors, encore ado. Comme toute jeunesse
en temps de révolution il veut s’impliquer. Las les vieux ouvriers des Conseils
les daubent les morveux, et sont du genre père la morale, ça sent à plein nez
le syndicaliste recyclé.
L’ado vit
évidemment la tentative de renversement de la bourgeoisie allemande comme une « aventure »
et c’est en effet une aventure. Les émeutes incessantes, dispersées, les grèves
qui n’arrivent pas à se coordonner ont quelque chose d’anarchiste. D’accord
avec Lénine pour conspuer parlements et syndicats les « jeunes
socialistes» plutôt infantiles, n’en ont pas pour autant une activité de classe
mais se réjouissent plutôt de passer leur temps à « exproprier »
armes à la main, à cambrioler. Pire ils restent coupés des ouvriers[7].
L’action illégale sans queue ni tête leur aliène même la masse de ceux-ci. Le
jeune Mattick même dans ses stages dans diverses usines semble à part, toujours
plus partant pour faire le coup de feu que pour favoriser les discussions en AG ;
il semble même considérer les ouvriers comme des moutons. Or les vieux ouvriers
ont encore une conscience social-démocrate et ils viennent de subir une guerre
mondiale, ils voudraient respirer ; les bagarres de rue, les coups de main
armés les lassent vite. Plongé dans l’action le jeune Mattick ne voit pas les
immobilités de classe, les conditions objectives et subjectives. Il veut foncer
et se casse le nez, réchappe de plusieurs fusillades. Il « fait de l’agitation »
très léniniste auprès des ouvriers des petites villes, qui s’en tapent. Le KPD
n’est pas simplement un méchant parti contre-révolutionnaire il reflète aussi l’absence
de volonté d’engagement et de « casse-pipe » de la part de la
majorité des ouvriers ; les évènements ont un aspect mécanique et très
militaire ; Léo Jogisches autrement mûr parla d’une « révolution de
soldats ». La réflexion a peu de prise dans les combats de rue échevelés[8].
Le
putschisme du KAPD est à la mode, et suicidaire. Et Rosa Luxemburg comme nombre
de dirigeants SD a une bonniche. Les membres de l’organisation AAUE,
anti-parti, sont surtout des intellectuels conseillistes coupés des masses…
Mattick
conclut pourtant bien sur la pusillanimité de sa participation à la soit disant
« révolution allemande » : « Désormais, c’en était fini de
ma vie d’aventurier de voleur et de baroudeur ». Tournez la page.
2. UN MOUVEMENT DES CHOMEURS AMERICAINS
PAS TRES REVOLUTIONNAIRE
Lorsque
notre anarchiste « anticapitaliste » (nos compilateurs reprennent le
terme gauchiste à la mode en 2013) atterrit chez les syndicalistes « radicaux »
des IWW, le niveau de discussion est si bas que cela l’incline à « vraiment
étudier le marxisme « (p.85). Mattick n’est pas attiré par la fraction
du parti des juifs newyorkais, que Lénine choisit comme ses officiels, mais
devient de plus en plus anti-parti depuis la ville provinciale où il travaille.
Il délaisse peu à peu l’activisme syndical creux pour étudier les textes de
Grossmann sur la baisse tendancielle du taux de profit, analyse classique
reprise à Marx. Il s’oriente de plus en plus vers une activité d’écrivain
éditorialiste de revues, preuve de son complet revirement face à son activisme
effréné et anarchisant de jeunesse. L’ébullition de la vague révolutionnaire en
Europe qui avait échauffé les jeunes cervelles des émigrés est non seulement
éloignée mais refroidie. Mattick est plongé dans de nombreuses rencontres et
discussions dont il n’a pas seul l’initiative même s’il tend à tirer la couverture
à lui avec la souvenance toujours très subjective. Le mouvement des chômeurs
des années 30 surprend d’abord les demi-intellectuels comme Mattick ; ils
ne savent pas comment s’y prendre d’autant plus que les ouvriers restent enfermés
dans leur syndicalisme de corporation (ça n’a pas changé aujourd’hui) et que
les chômeurs ont plus envie de manger que de discutailler politique. Il apparaît des idées
formidables pour casser le corporatisme et la séparation, par ex des groupes de
chômeurs vont faire les piquets de grève. Très ponctuel et pas généralisable. Mais à force de défendre l’idée de
combat "indépendant" chacun reste dans son coin. Mattick et ses amis font la
politique de la carpette par anti-léninisme (disons primaire) et résultat ils se
coupent de toute activité sérieuse « de parti » pour influer sur le
mouvement comme le confesse lamentablement le quadra émigré : « Nous
ne faisions pas de propagande pour notre groupe ; nous nous limitions à
organiser des discussions politiques ». Et de se casser les dents sur les
limites des chômeurs girouettes face aux PS et PC: « Les chômeurs
identifiaient leur phraséologie avec leurs propres nécessités leurs propres
besoins ». Le sociologue lointain a déjà pris le pas sur le militant "partie prenante".
Nos
conseillistes américanisés font ensuite front commun avec les démocrates
socialistes et les trotskiens d’époque face au petit parti stalinien de New
York pour « laisser le mouvement se développer sous la responsabilité des
chômeurs eux-mêmes ». Bernique voilà le welfare state en 1934 qui récupère
toute la protestation des sans travail et Mattick en est réduit à l’imparfait
du subjectif !
Par la suite
nos conseillistes américains sont tellement anti-stalinistes qu’ils ne
risquèrent pas d’être inquiétés ni renvoyés en Allemagne par la police d’Etat.
Ils ne sont pas dangereux avec leur théorie anti-parti comme de nos jours leurs
héritiers spontanéistes de salon.
Mattick
révèle en plus face à l’andouille qui l’interroge qu’il sera resté un marginal
face à la classe ouvrière. Sa théorie nunuche de l’ancien et du nouveau
mouvement aura façonné une ribambelle d’impatients universitaires prompts à
dénigrer ce qu’ils avaient adoré la veille et ces petits profs « modernistes »
parisiens minables, sans cacher un certain mépris (cf. « les ouvriers
américains des enfoirés »).
Avec son
bla-bla sur l’intégration ouvrière le senior Mattick n’aura pas compris que le
confort consumériste restait PROVISOIRE dans la crise capitaliste. Par contre
sa critique de marasme, de la crédulité et de la bêtise des intellectuels
professionnels est toute d’actualité et de vérité.
Malgré ses
carences et faiblesses politiques – il est inconcevable de prétendre que ce que
Marx a écrit d’intéressant n’est que la partie économique – il est capable voir
la mutation interne de la classe ouvrière moderne, et qui n’en change pas la nature
révolutionnaire au contraire : « Je suis convaincu que ce système ne
peut pas exister éternellement. Je suis convaincu, en outre, que la révolution
doit être faite par les travailleurs, dont une grande partie est composée de
techniciens et d’intellectuels qui se trouvent aujourd’hui prolétarisés. Jamais
dans l’histoire du capitalisme la classe ouvrière n’a représenté une force
aussi grande qu’en ce moment, et particulièrement en Amérique où toute l’agriculture
fonctionne avec des ouvriers et non plus avec des paysans indépendants. »
(p.52.53).
Cet état d’esprit
n’a rien à voir avec les salades du petit anarchiste Jorge qui milite en salon « pour
la redécouverte des idées de l’anarchisme et des courants antiautoritaires du marxisme »
+ « tout comme l’expérience passée des conseils ouvriers ». Du vent
quoi ! On compile interviews et racontars. Quand on se contente du sensationnel de « l’aventurier Mattick »
de ses carapates de jeunesse et de son intronisation sociologique chez Gallimard, sans
être capable d’analyser les failles des années 20 et les illusions des années
30. On peut faire de l’épate éditoriale pour le milieu anar et gauchiste décomposé mais on
est inutile à une réflexion en profondeur pour la révolution aujourd’hui.
[1] Note 53 page 53. Appel le
raconte lui-même dans sa biographie que j’ai traduite en français, voir sur le
site Smolny.
[3] ex-CCI ?.
[4] En guest
star on note aussi la collaboration du fils de M.Chirik, élégant intellectuel
de salon conseilliste, très peu « radical » comparé à son auguste
père.
[5] Excepté
Marcuse, dont il fut l’ami, et qui reste injustement fustigé en milieu
maximaliste et soixantehuitards comme l’auteur du livre « révisionniste »
contre la théorie de l’ouvrier révolutionnaire – L’homme unidimensionnel –
oubliant ses anciens textes, notamment sur la nature du nazisme, jugés si
dérangeants qu’ils ne sont pas traduits en français, malgré mes efforts...
[6] Ses
héritiers sur ce plan sont depuis très longtemps les camarades du cercle Robin
Goodfellow qui ont repris dès leur jeune âge lycéen la théorie de la baisse tendancielle du taux
de profit des Marx/Grossmann/Mattick contre les « décadencistes »
luxembourgistes ! Sur le fond les deux théories ne sont pas finalement
antinomiques, malgré des polémiques à couteaux tirés, et reposent sur le même « catastrophisme »
marxiste, qui se vérifie amplement de nos jours. Jusqu’à la fin de sa vie au
début des années 1980, il y a trente ans donc Mattick voyait clair.
[7] Il ne
vient pas à l’idée de notre couple compilateur de conte pour enfant anarchiste
que ces pratiques avient tout pour défigurer l’idée de révolution et faire fuir
les ouvriers matures. Cela aurait demandé une analyse fatigante et peu
glorieuse en termes de raisonnement sur les vraies conditions d’une révolution « adulte » !
[8] Page 70
le jeune Mattick qui devait participer à une action armée suicidaire est mis à
la raison par un vieil homme, et sauve sa peau.