"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 24 juillet 2021

L'ouvrier communiste, revue N°13 - 1931

 

L’OUVRIER COMMUNISTE

Organe mensuel des groupes ouvriers communistes

(groupe équivalent du KAPD en France, lire cette notice incomplète et en partie erronée: https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupes_ouvriers_communistes )

Édition spéciale en langue italienne

Troisième année / numéro 13 / janvier 1931

Traduit de l'italien par Jean-Pierre Laffitte


SOMMAIRE

La crise mondiale : Les causes

La classe capitaliste et la crise

La social-démocratie, le bolchevisme et le trotskisme

Le prolétariat et la crise mondiale


ÉCHOS

Le procès de Moscou

L’amitié russo-italienne

Le mouvement en Espagne

Les archéo-marxistes de Grèce se noient dans l’opportunisme

Prudhommeaux et sa femme ont f… le camp, tant mieux

La crise en France et l’émigration

NOUS ET LES ANARCHISTES : La réponse de Biaggio



La crise mondiale


Les causes


La grande crise, la crise catastrophique du capitalisme est en cours, elle devient de plus en plus gigantesque avec un rythme qui s’accentue d’année en année, de mois en mois, de jour en jour. Cette crise aux proportions colossales, une crise mondiale du capitalisme, a-t-elle simplement le caractère d’une crise de surproduction provisoire, c'est-à-dire d’un phénomène transitoire, comme les crises cycliques d’avant-guerre, ou bien un caractère nouveau, un aspect non transitoire et définitif ?

La classe dominante, les magnats de l’industrie, affirment naturellement que la crise est provisoire, qu’elle passera comme les autres. Mais cette classe est obligée de reconnaître des choses très graves : à savoir que l’organisation productive, l’équipement industriel, déjà avant l’aggravation du chômage chronique, ne produisaient pas pleinement, c'est-à-dire que beaucoup de machines ne pouvaient pas fonctionner. Le capitalisme reconnaît qu’il limitait déjà la production parce que les possibilités d’absorption du marché ne permettaient pas une augmentation, un développement excessif de la production. Déjà avant la terrible dépression actuelle, le marché ne correspondait plus aux possibilités de développement de l’appareil productif. En reconnaissant ce fait, l’on reconnaît que la crise n'est plus transitoire, mais permanente, puisque les tendances de développement de l’appareil de reproduction trouvent une barrière infranchissable dans l’étroitesse du marché.

Qu’est-ce que tout cela signifie-t-il ?

Cela signifie que la production est arrivée à la limite de ses possibilités de dévelop-pement sous la domination capitaliste. La tendance à ce développement existe, mais elle est écrasée par le mode d’organisation de l’appareil productif, par les rapports juridiques de la société bourgeoise, les rapports de propriété. Le capitalisme ne peut pas surmonter cette limite, il ne peut pas donner à la société, à l’histoire, une contribution positive, il se révèle être une barrière au développement de la richesse sociale. La tendance au développement du capital constant est un phénomène caractéristique de l’histoire de l’accumulation capitaliste ; mais, si ce développement de l’appareil de reproduction a été possible, cela ne l’a pas été par une qualité particulière du capitalisme, étant donné qu’il ne se serait pas affirmé historique-ment comme un élément de progrès s’il n’avait pas trouvé ses possibilités de croissance dans l’expropriation progressive de l’accumulation précapitaliste. En d’autres termes, le dévelop-pement productif est de ce fait un produit combiné des tendances au développement du capitalisme et des possibilités de prise en charge de l’accumulation primitive.

Quand ces possibilités disparaissent graduellement, quand finalement tous les marchés sont saturés, quand l’exportation des capitaux ne trouve plus de base de profit extranationale, le capitalisme, enfermé dans une tunique de Nessus, se manifeste clairement tel qu’il a toujours été, c'est-à-dire comme une forme parasitaire qui empêche le développement productif, qui bloque à un certain plafond les tendances de l’appareil de reproduction à se renouveler et à s’accroître.

Nous ne répèterons pas non plus ici les lignes générales de la théorie sur l’accumulation capitaliste de Rosa Luxemburg. Mais nous constaterons que la théorie de la catastrophe se révèle comme étant de plus en plus juste. Nous remarquerons seulement que l’industriali-sation de la campagne (même s’il n’y a pas eu de concentration), l’absorption quasi-total des colonies dans l’engrenage capitaliste, prouvent que les espaces précapitalistes sont presque totalement épuisés. L’épuisement total, parfait, des éléments d’accumulation primitive, n'est pas nécessaire pour que la crise prenne un caractère définitif. En fait, les possibilités de l’appareil productif sont aujourd'hui, à l’échelle mondiale, si grandes que les résidus de ces espaces précapitalistes se réduisent à quelque chose d’insignifiant qui ne peut pas redonner une force nouvelle au rythme de développement du capitalisme.



La classe capitaliste et la crise


Le capitalisme tend au développement et il ne peut pas mourir de résignation, ou, pour mieux dire, il ne peut pas renoncer à l’augmentation de son profit. C’est l’une des hypothèses, une hypothèse qui a pour conséquence la perspective du développement de courants soi-disant réactionnaires au sein de la classe capitaliste. C'est l’hypothèse du fascisme à l’échelle internationale, c’est l’hypothèse de la lutte à mort pour ce qu’il reste de débouchés commerciaux ; là où le capitalisme ne trouve plus, dans les forces économiques et dans ses rapports juridiques, la possibilité de se développer, il espère pouvoir tout résoudre par sa volonté. Se faisant des illusions sur l’éternité de sa domination, il se leurre en pensant que le problème économique est un problème de sa volonté de classe. Cette hypothèse est en réalité un phénomène en développement : le fascisme est une réalité concrète en Italie, dans les Balkans, en Pologne, en Espagne, et il tend à le devenir avec plus ou moins de rapidité dans tous les autres pays. Un fait évident est que la réaction prend des formes dont l’acuité est en rapport direct avec le développement de la crise. Et, naturellement, ce développement de la crise n’est pas parfaitement égal, mais ce développement tend aujourd'hui aux extrêmes, la psychologie bourgeoise tend à cette radicalisation réactionnaire. Le fascisme à l’échelle internationale ou, pour mieux dire, la prévalence au sein de la bourgeoisie des idéologies nationalistes, chauvines, à l’échelle mondiale, c’est naturellement la guerre à brève échéance. Non seulement les tendances nationalistes du capitalisme se font des illusions sur l’écrasement de la nation adverse, du capitalisme adverse, pour en conquérir les territoires, ou les colonies, afin de pouvoir vivre une certaine période de temps, et reprendre encore la voie de la même expérience, mais le capitalisme voit dans la guerre une entreprise de destruction et par conséquent de reconstruction, une entreprise d’expropriation totale des résidus petits-bourgeois. Mais la guerre, c’est la révolution, et les bourgeois craignent la révolution, et la prochaine guerre, dira peut-être un Sébastien Faure, fait peur à la bourgeoisie elle-même parce qu’elle sera elle-même physiquement menacée. Avant tout, il faut mettre en relief que la bourgeoisie considère aujourd'hui le phénomène révolutionnaire de l’après-guerre comme un phénomène transitoire ; qu’elle voit, dans la guerre elle-même, comme dans l’après-guerre, un nouveau développement de ses forces économiques, fût-ce au prix d’un chambardement de la reproduction, de l’accumulation de son appareil productif. En second lieu, la guerre ne sera certainement pas pour elle une menace physique étant donné qu’elle peut bien se prémunir contre cette menace et se cacher d’elle ; ce ne seront sûrement pas les raisonnements de Sébastien Faure qui l’empêcheront de le faire. L’hypothèse du triomphe réactionnaire, de la guerre à brève échéance, est la plus plausible, c’est celle qui a le plus de force dans la réalité des faits.


La social-démocratie, le bolchevisme et le trotskisme


La seconde hypothèse, c’est l’hypothèse selon laquelle aucun fait établi dans la réalité n’a comme partisans les éléments sociaux-démocrates de toutes les tendances. Quelle est cette hypothèse ? C’est celle d’une espèce de super-impérialisme, d’internationalisme du capitalisme ; nous estimons que cette hypothèse n’a pas de base dans la réalité des faits. Mais s’il était possible par l’absurde de la considérer comme une perspective réalisable, les résultats en seraient les suivants ! La production subirait une stagnation perpétuelle, le chômage chronique deviendrait éternel, l’accumulation se réduirait à un simple processus circulaire fermé consistant dans le renouvellement, sans développement, de l’appareil de production. Ce serait une réalisation internationale du féodalisme capitaliste.

Cette brillante hypothèse est soutenue par les éléments de la concentration(*) qui se raccrochent à la social-démocratie, par des déments qui, comme Louzon, font partie du syndicalisme révolutionnaire. Même Laurat, théoricien équivoque de l’écurie [?] Souvarine, n’est pas très éloigné d’un tel point de vue quand il fait l’éloge d’un certain Dickmann, un économiste autrichien, qui a découvert dans le monolisme [?] capitaliste le meilleur remède contre la menace d’épuisement des matières premières !

Mais est-il possible que cette hypothèse serve avec certitude toujours d’arme idéologique pour empêcher les mouvements de la classe ouvrière ? Elle ne l’est pas historiquement. Elle représenterait une négation de la tendance au développement productif, un retour à l’esclavage de la classe ouvrière : elle implique l’absence absolue de réaction de la part de la classe ouvrière. Cette hypothèse, que le réformisme de toutes les nuances fait passer pour du progressisme est la négation du développement historique. Naturellement, le réformisme social-démocrate et syndicaliste ne tire pas de sa thèse les conséquences logiques qui en résultent. Il fait croire que l’internationalisme capitaliste, que le super-impérialisme, conduirait à une nouvelle croissance de la production. Ce sont les faits, plus que les subtilités théoriques, qui répondent en démentant cette thèse mensongère. Et ceux qui insistent encore, en faisant resplendir le mirage de la démocratie universelle, en trouvent la condamnation impitoyable dans le développement inexorable de la crise, dans l’accroissement implacable de l’armée des chômeurs, dans l’aggravation du protectionnisme, dans la fermeture des barrières douanières, dans la menace et la réalité du dumping.

L’internationalisation du capital se traduit par un crescendo nationaliste dans tous les pays : en Allemagne où le bolchevisme et l’hitlérisme marchent d’un même pas dans l’orgie chauvine, en France où la xénophobie justifie la crise en en faisant porter la faute aux ouvriers étrangers, aux États-Unis où le protectionnisme et l’anti-immigrationnisme exaltent l’esprit yankee ; elle se traduit par les barrières protectionnistes rigoureuses, par les barrières économiques derrière lesquelles se cachent les gueules des canons et les ailes destructrices de l’aviation.

La démocratie universelle, c’est une accentuation de la répression contre la classe ouvrière, répression politique et économique, c’est une paupérisation de plus en plus grande des couches prolétariennes de la population, avec ses grandes armées de chômeurs, ces immenses masses d’affamés qui n’ont qu’un seule perspective : s’accroître. C’est cela le développement démocratique de la société capitaliste glorifié par les Labriola et les Henri de Man qui se prêtent encore à un certain illusionnisme libertaire consistant à trouver son bien dans cet horrible piège idéologique que le capitalisme offre au prolétariat, dont le cerveau n’a pas encore saisi le contenu le plus réel, si ce n'est le plus impitoyable de la lutte de classe : la violence contre toutes les formes de parasitisme et d’exploitation.

Face à cette catastrophe économique que l’histoire du capitalisme n’a pas encore connue, les léninistes, les stalinistes et les trotskistes, de toutes les nuances, qui ont pourtant reconnu pour partie le caractère de la crise, du moins en paroles, ainsi que les éléments de La Vérité, de Prometeo et des autres détritus bolcheviks, ne trouvent qu’un remède au chômage : l’agitation des chômeurs pour réclamer du pain et du travail, l’agitation en faveur d’une collaboration économique entre le capitalisme des différents pays et l’État russe, l’État de la dictature, disent-ils, prolétarienne.

La crise est un fait, et un fait grave, mais elle sera une bonne affaire si elle peut servir à la bonzocratie russe à construire le socialisme, c'est-à-dire le néo-capitalisme russe. Ces sales politicards qui ont fait du communisme une marchandise, cette bande de mégalomanes qui ont fini par découvrir dans Le Capital et les autres œuvres de Marx la source pour justifier toutes leurs saletés, leurs basses ambitions, combinées à une médiocrité incurable, ces émules de la social-démocratie putréfiée, ne voient dans ce phénomène formidable qu’une base pour faire de la stratégie, des manœuvres sur le dos de la masse prolétarienne. Ils leurrent cette masse en lui faisant croire que les allocations chômage pourront être augmentées, que le travail pourra résulter d’une collaboration entre le bolchevisme et le capitalisme. Ils font croire que la Russie pourrait représenter une mangeoire pour les masses de chômeurs. Si cette position des léninistes de toutes les nuances tend à prolonger la vie du capitalisme, dont on annonce tous les jours en sourdine le déclin, si cette manœuvre est l’oxygène apporté au régime moribond, si cette thèse est donc nettement contre-révolutionnaire, elle est mensongère jusque sur le terrain lui-même. En effet, la production en Russie ne peut pas surmonter les lois qui dominent le procès de production dans le monde entier, et le capitalisme d’État fondé sur la liberté du commerce empêche les forces productives de se développer librement. Certains pourront dire que la Russie représente un terrain encore vierge, un espace inexploré d’accumulation primitive. Une collaboration bolchevique-capitaliste sur le terrain économique pourrait donner au capitalisme en général une base pour une nouvelle période de développement. Mais le néo-capitalisme russe ne surgit pas comme un élément qui faciliterait la colonisation de la Russie, mais plutôt comme un nouvel élément de concurrence sur le terrain des impérialismes rivaux. Sa collaboration avec le capitalisme des autres pays ne peut pas se soustraire à la contradiction du régime capitaliste. Un débouché bien sûr, mais, dans le même temps, une nouvelle menace pour le marché mondial, un nouveau trouble, un nouveau fardeau pour les autres États capitalistes. L’absorption de la Russie dans le système de production capitaliste, qui est devenu désormais une réalité, ne fait qu’aggraver les perspectives de la crise mondiale. Sur ce terrain, les bolcheviks, comme les autres, manœuvrent en cherchant à détourner l’attention des masses ouvrières de ses problèmes fondamentaux.


Le prolétariat et la crise mondiale


Les deux perspectives, l’une réactionnaire, l’autre réformiste, sont comme deux cours d’eau qui finissent dans le même lit ; l’une développe une volonté décidée de la bourgeoisie à l’égard de la guerre, l’autre empêche le prolétariat de voir cette marche résolue vers les décisions extrêmes du capitalisme en le berçant de l’illusion d’une évolution progressive vers le socialisme, du rêve de la reprise économique, du triomphe de la démocratie universelle sur le fascisme, sur la réaction. Et les sirènes de la social-démocratie allemande, comme les Loebe(*), et celles de l’austro-marxisme, agitent l’arme constitutionnelle comme unique moyen pour abattre le fascisme.

Mais, dans le même temps, la syphilis fasciste, la mentalité réactionnaire, s’insinuent dans les pores mêmes de la social-démocratie, du travaillisme. Le fascisme ne détruit pas les organisations ouvrières, mais il rend obligatoire l’existence de ces associations sous le contrôle de l’État. Quel idéal pourrait être meilleur pour le fonctionnaire syndical que cette normalisation définitive, étatique, de sa position qui était déjà stable dans les grandes organisations anglaises et allemandes ? Cette soudure totale des formes syndicales avec l’État capitaliste offre à la bureaucratie syndicale une garantie de légalité et de force contre les tendances de la classe ouvrière à se dresser. Elle normalise l’économisme des syndicats tandis qu’elle permet de combattre par la violence les autres tendances idéologiques et organisation-nelles de la classe ouvrière. Lorsque le petit maître de Predappio(**) proclame dans ses discours instruits la fascisation de l’Europe, il sait très bien que des forces de grande importance poussent les bourgeoisies vers la réaction et que la soudure totale des organes étatiques et pro-étatiques est précisément la caractéristique de ce développement de la réaction. Cependant, ce qui est clair également, c’est que, sur cette base, la bourgeoisie joue sa dernière carte, laquelle tombera probablement en premier des mains du capitalisme italien.

Mais si ces perspectives capitalistes, qui au fond se réduisent à une seule, c'est-à-dire à l’esclavage de plus en plus dur de la classe ouvrière, sont les seules à se manifester dans le monde bourgeois et dans les cercles politiques amis ou qui lui sont soumis, alors l’on ne distingue pas dans le camp prolétarien l’existence d’une autre perspective, d’une autre solution.

Certes, si l’on pense que la crise actuelle est insurmontable, que le chômage tend toujours à augmenter, que la production pourrait fournir des marchandises à l’infini, et que c’est, au contraire, l’excès de production qui crée précisément l’excès de misère, il faudrait croire sans aucun doute que les ouvriers, en réfléchissant sur ces faits très simples, devraient chercher une issue, une solution à eux. Quel est l’obstacle, ceux-ci pourraient se demander, au développement de la production, à l’harmonisation de ce développement ? C’est à coup sûr le capitalisme et toutes les forces supplétives parasitaires qui en facilitent l’existence. Toute la maudite hiérrachie des fainéants qui asphyxient la société et qui la dominent en réalité, des fainéants dont il est juste de constater qu’ils sont insérés dans le mouvement même du processus productif, dans la production elle-même. Toute une catégorie de courtisans, de serviteurs, de trouillards, qui, au service des magnats de l’industrie et de la finance, cherchent à se rendre indispensables à la société. Ce n’est certainement pas un obstacle de peu d’importance qui doit être balayé à la première poussée, c’est un obstacle contre lequel il faut donner des coups puissants, persistants, contre lequel il faut employer toute sa force, toute la force de la classe ouvrière. Ce qui est sûr, c’est que si cet obstacle tombe et si les forces matérielles et cérébrales de la classe ouvrière redoublent, se multiplient, la production ne connaîtra pas d’arrêts, les crises n’existeront plus. La classe ouvrière possède donc sa propre perspective, elle peut s’emparer des moyens de production, en les arrachant au capitalisme et à ses partisans, et finalement en détruisant ce parasitisme qui empêche une harmonisation de l’accumulation, de l’appareil productif avec les besoins sociaux ; elle peut ainsi offrir une solution définitive aux crises de surproduction, en les éliminant, au chômage en donnant à la force de travail une juste proportion et une juste division.

Mais comment les ouvriers voient-ils en général cette solution qui est sans doute ardue, mais pas impossible ? L’on peut dire qu’ils ne font que l’entrevoir : ils ne se la présentent pas comme un objectif direct qu’il serait nécessaire d’atteindre par un effort qu’il faut accomplir dès à présent.

Les forces économiques sont pressantes, la catastrophe est en cours, et pourtant la classe ouvrière croit encore dans sa majorité que la production repartira, que l’on pourra recom-mencer à travailler, à gagner son morceau de pain. Si effectivement cette mentalité de la plus grande partie des ouvriers devait demeurer inchangée, si le cerveau de l’ouvrier devait rester ankylosé dans cet espoir d’un retour au passé, l’histoire ferait évidemment naufrage sur cet écueil infranchissable. Si en fait le développement de la pensée n’était pas une réalité comme le développement de l’économie, si la société humaine était composée d’activités cérébrales toujours égales ainsi que l’idéalisme voudrait nous le faire croire, des activités cérébrales sociales sur lesquelles les élites dominent toujours avec le même pouvoir, il ne resterait que le désespoir de ce naufrage se renouvelant au cours des siècles ! Le mouvement de Spartacus, la Jacquerie, les révoltes paysannes de 1660, la Commune de Paris, ne seraient que des tempêtes provoquées par la furie des éléments économiques, mais dont le contenu intellectuel serait toujours le même. Le cerveau des masses aurait été immobile, il n’aurait pas fait de pas en avant au cours de ces bonds furieux, dans ces tentatives désespérées de libération.

Mais le cerveau des masses évolue, leur pensée s’élève sous les poussées furieuses de l’économique. Et si l’illusion oppose une grande résistance aux forces de l’évolution, si la tradition des luttes économiques entrave le développement de nouvelles formes de pensée du prolétariat, il existe un point de rupture de l’équilibre entre les forces de résistance et les forces nouvelles, où la lutte, la guerre de classe, ajoute, dans l’esprit de la classe ouvrière, à la conviction désormais inébranlable de la nécessité d’abattre le capitalisme, une volonté indomptable de lutte et de sacrifice, un élan irrésistible vers l’émulation héroïque, vers l‘épopée victorieuse. Nous entrons dans la période où cette grande expérience fera son chemin, où des luttes furieuses se déchaîneront, où la guerre cherchera certainement à se présenter comme un élément de solution pour le capitalisme. Nous nous dirigeons vers ce sombre horizon sur lequel sillonnent les éclairs annonciateurs de la tempête. Précipitée dans cet enfer, la classe ouvrière se réveillera sûrement ; elle se redressera pour brandir ses armes et pour frapper à mort le parasitisme pour toujours.


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ÉCHOS


Le procès de Moscou


Les journaux de toutes les tendances ont beaucoup parlé du fameux procès contre le Parti Industriel à Moscou. Les bolcheviks nous l’ont présenté comme le procès de la nation russe contre la France en premier lieu, et ensuite contre l’Angleterre. Tous les ouvriers qui entendaient les cris furibonds des bolcheviks croient que Ramzine et ses camarades seront fusillés. Leur ingénuité ne les rend pas suffisamment dégourdis pour comprendre que l’expression : le loup ne mange pas le loup, est appropriée depuis un certain temps à la Russie Soviétique et Socialiste, et qu’elle va de soi même pour les nigauds. Ils n’avaient pas compris que ce procès n’était pas dirigé contre le capitalisme en général, mais seulement contre le capitalisme de la France et de l’Angleterre, que la fameuse croisade antisoviétique se réduisait ainsi à ces deux pays. L’Allemagne et l’Italie étaient hors de cause et il y a eu de nombreux journaux italiens qui ont fait l’éloge de l’esprit russe de ce procès. Et par conséquent il est arrivé que, quand tout le tapage fait dans la presse aux ordres de Moscou sur le procès et sur condamnation à mort des membres du Parti Industriel, les prolétaires se sont trouvés face à une solution qui représentait à quelque chose près une absolution des accusés.

Ce fait a même provoqué le mécontentement de quelques douces brebis bolcheviques auxquelles les discours du grand Cachin ont rapidement fermé la bouche. Pourtant, cette stupeur qui a frappé les ouvriers bolcheviks et non bolcheviks n’avait certainement pas de raison d’exister. Si les ouvriers l’avaient suivi avec attention, ils auraient pu remarquer qu’il ne s’agissait pas d’un procès intenté contre des saboteurs du socialisme et des oppresseurs du prolétariat, mais contre des traîtres à la patrie russe qui, pour le compte de pays étrangers, sabotaient le développement capitaliste dans le pays des Soviets. En effet, une question posée par l’accusateur Krilenko à l’un des traîtres à la Russie révèle de façon claire la nature du procès. La question de Krilenko tendait à souligner le fait que les salaires payés à ces gens qui étaient au sommet de l’économie nationale rendaient encore plus injustifiés les actes des membres du Parti Industriel. Et en effet, la réponse de l’accusé nous a fait comprendre que ces gros bonnets du capitalisme d’État percevaient annuellement des millions de francs. Il est donc certain que, dans le pays des bolcheviks, le culte de Karl Marx est purement verbal, comme l’est le culte du Christ pour les catholiques et leurs semblables. Karl Marx pensait qu’un fonctionnaire de la Commune était bien rétribué quand il touchait une paye qui n’était pas supérieure à celle d’un ouvrier. Les bolcheviks pensent que les temps ont changé et que cela ne fait rien si la différence entre la paye d’un ouvrier et celle d’un dirigeant économique et politique s’élève à des millions. Nous nous demandons par conséquent quel est l’avantage que le prolétariat russe tire du capitalisme d’État si celui-ci sert à partager la plus-value entre les différents chefs de cet appareil. Et quelle différence au bout du compte entre ce capitalisme d’État et le capitalisme des autres États.

Après ces faits on ne peut plus clairs, après ce procès qui légitime la position des fonctionnaires capitalistes en Russie, Trotski et ses partisans, avec leur sérieux habituel, nous parlent naturellement de la menace réactionnaire, de Thermidor, et d’autres historiettes semblables pour enfants. Et leur critique se limite au fond à un reproche parce que l’exécution n’a pas eu lieu. Du reste, s’il s’agissait de leurs millions à eux, ils ne les refuseraient pas. Et après toute cette espèce de pantomime… bolchevique, ils recommandent aux chômeurs de soutenir l’édification du socialisme en Russie. L’édification de gros portefeuilles, messieurs les bouffons, à laquelle vous regrettez de ne pas participer. Mais l’on ne sait jamais…

Mais vous, que feriez-vous si vous étiez à leur place, à la place de prolétariat russe : auriez-vous fusillé ou non ces traîtres ? demandera l’ouvrier désabusé. Et nous, nous lui répondrons : « Nous les aurions fusillé, bien sûr, mais avec eux tous les autres, y compris certainement aussi le procureur Krilenko, qui, pour diriger ou ne rien faire, empochent la plus-value créée par le prolétariat russe ».



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L’amitié russo-italienne


Ces derniers temps, les rapports entre l’Italie et la Russie sont devenus très amicaux. Cela ne nous surprend pas ! La Russie a abandonné son projet de bloc russo-allemand-français. Ce bloc, que L’Humanité a, à l’époque, soutenu en toute franchise n’a pas été réalisable. Le procès de Moscou l’a enterré complètement. En l’absence de la France, l’Italie, vers laquelle se tournent aujourd'hui les sympathies de l’hitlérisme et des partisans les plus acharnés de l’Anschluss en Autriche, s’est jointe à ce bloc. Il semble que les avantages économiques de cette amitié seront plus grands pour le capitalisme italien que pour le capitalisme russe. Mais il faut reconnaître qu’il a son utilité pour le capitalisme russe dont l’impérialisme a tendance à dominer ce bloc. D’autre part, la force politique et militaire de l’Italie a une importance énorme pour ce bloc face à la France. Cette dernière a même essayé d’influencer les milieux financiers américains pour détourner l’Italie de cette alliance en cherchant à provoquer ainsi un refus de crédits américains. Mais il semble que cette amitié se consolide et que les accords économiques et militaires mutuels se fassent de plus en plus cordiaux. Cette collaboration économique et militaire a été clairement soulignée par les commandes que le gouvernement russe a passées aux chantiers navals italiens et par les visites que des techniciens militaires russes ont faites à des chantiers militaires italiens. Tout ceci est un succès pour la diplomatie russe et prouve que le bloc capitaliste contre la Russie est dorénavant un mythe. La politique communiste-bolchevique en Allemagne, les tendances nettement nationalistes de cette politique de concurrence avec l’hitlérisme, démontrent que la diplomatie russe a trouvé la voie d’un bloc puissant face auquel la France se trouve en situation difficile de quasi-isolement du moins sur le continent.

Ce succès de la diplomatie russe est-il aussi un succès du prolétariat ?

Les journaux bolcheviks de tous les pays, et parmi eux Via Proletaria, répondant aux attaques de la presse social-démocrate, et de la Concentration(*) dans notre cas particulier, affirment que les diplomates russes ont agi dans l’intérêt du prolétariat russe, et par conséquent dans celui du prolétariat mondial, tandis que les représentants de la social-démocratie agissent, eux, dans l’intérêt de leurs capitalistes.

C'est un fait incontestable que les sociaux-démocrates sont les défenseurs du capitalisme dans tous les pays.

Mais c’est également un fait incontestable que, si l’on considère qu’en Russie les prolétaires sont comme ailleurs exploités et dépossédés de la plus-value, si l’on considère, d’autre part, que les intérêts du prolétariat international ne sont pas ceux des exploiteurs des prolétaires russes, et si enfin l’on prend en compte que l’alliance des Russes avec la bourgeoisie italienne ne peut en aucune manière faciliter l’émancipation du prolétariat italien, il faut reconnaître que les bolcheviks agissent dans ce cas, comme les sociaux-démocrates, dans l’intérêt de capitalismes différents. Et du reste, ceux qui se disputent aujourd'hui peuvent bien s’embrasser demain : les uns et les autres sont des partis de gouvernement.

Nous voudrions seulement faire considérer aux prolétaires italiens dans ce cas particulier que, si demain une guerre éclatait dans laquelle la Russie et l’Italie marcheraient de concert, les bolcheviks prétendraient que c’est dans l’intérêt du prolétariat russe et du prolétariat mondial que les ouvriers italiens iraient se faire massacrer ou bien faire la chasse aux rats sous l’égide du faisceau de licteurs et des carabiniers royaux de bonne mémoire.

Or il nous semble que, dans l’intérêt du prolétariat russe et du prolétariat mondial, les ouvriers, plutôt que de marcher sous l’égide des fascistes et des carabiniers, feraient bien mieux de marcher contre ces hommes de main de la bourgeoisie, de leur couper le cou, d’exercer une justice impitoyable vis-à-vis des capitalistes, pour ensuite dire aux ouvriers de tous les pays, y compris la Russie : faites comme nous un beau nettoyage dans lequel sont balayés tous les parasites quelle que soit leur importance. Et si dans ce cas-là il le fallait, nous serions prêts à vous donner un coup de main. Dans ce nettoyage, seraient compris les différents Staline, Trotski, avec leurs partisans.


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Le mouvement en Espagne


En Espagne comme en Italie, les choses ne vont pas bien pour le capitalisme, la crise est grave et les grèves en sont la preuve. Sauf que ces mouvements se nourrissent encore de l’illusion républicaine et du retour aux formes démocratiques et constitutionnelles de gouvernement. Les anarchistes et les bolcheviks poussent encore les masses prolétariennes sur la voie de la lutte pour des revendications immédiates. Sur ce terrain, la petite bourgeoisie intellectuelle et une partie des militaires libéraux ont tenté un mouvement pour abattre la dictature anticonstitutionnelle de Berenguer, qui a succédé à Primo de Rivera. L’insuccès de ce mouvement, qui était vu avec beaucoup de sympathie dans les milieux démocratiques français, a été complet. Était-il prématuré ? Doit-on chercher dans son immaturité la raison de son échec ? Nous ne le pensons pas. Ce mouvement, auquel le prolétariat a participé en l’épaulant, aurait pu avoir du succès si la bourgeoisie espagnole avait eu les moyens de se permettre le luxe d’une période de prospérité économique. Ce qui n’est le cas ni en Espagne, ni en Italie, et le mouvement espagnol a également démontré que la petite bourgeoisie est incapable d’un mouvement autonome et qu’elle n’arrivera pas à elle seule à imposer une république à la bourgeoisie nationale, laquelle a une alliée puissante dans l’idéologie du pouvoir féodal. Seul le prolétariat pourrait donner au mouvement un caractère révolutionnaire et lui offrir des garanties de succès. La révolution prolétarienne pourrait toutefois aussi triompher dans ce pays si les ouvriers nourrissaient en elle un esprit de lutte et de sacrifice, résolu, exempt de toute illusion collaborationniste avec les autres classes, et à condition que leur conscience leur dise clairement que leur révolution ne peut être qu’un simple épisode de la lutte contre le capitalisme international.

L’autre limite, à savoir la dernière expérience espagnole du type “concentration”, a prouvé la justesse des opinions que nous avons exprimées sur la situation italienne et qui vaut évidement aussi pour l’Espagne.

Comme en Italie, en Espagne, seules la dictature des conseils et la guerre révolution-naire peuvent représenter une contribution efficace au développement de la révolution prolétarienne mondiale.

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Les archéo-marxistes de Grèce se noient dans l’opportunisme


Nous avons déjà parlé dans d’autres articles de L’Ouvrier communiste en français de cette élite qui s’inspire des principes d’un radicalisme antiparlementaire et d’une ligne nettement dirigée contre l’opportunisme.

Mais il arrive parfois que les organisations qui semblent être révolutionnaires se laissent corrompre par l’opportunisme le plus noir et entraîner dans les rangs de la contre-révolution.

Les archéo-marxistes étaient des antiparlementaires et, tombés aujourd'hui dans les bras du trotskisme, ils sont passés à l’électoralisme le plus impudent, et ils présentent un candidat aux élections municipales de Salonique.

Les archéo-marxistes avaient une forme d’organisation qui empêchait leurs chefs de tracer leur chemin, et ils exigeaient de tous leurs membres la même abnégation, le même sacrifice, dans l’action comme dans la propagande qui était effectuée au sein de la masse elle-même.

Ils n’étaient pas opposés aux syndicats parce que, en Grèce, une expérience syndicale séculaire n’avait pas encore eu lieu, parce qu’une grande bureaucratie ne s’était pas encore constituée, mais ils pensaient que le prolétariat grec n’avait pas besoin de faire de la collaboration de classe et d’aspirer à l’étape intermédiaire de la démocratie.

Cette ligne rigoureuse, même si elle n’était pas absolument parfaite, a été abandonnée, et aujourd'hui les archéo-marxistes ne se présentent plus comme l’élite active qui cherchait à élever l’esprit du prolétariat, mais ils s’affichent comme une clique concurrente du bolchevisme.

Trotski dixit. Le chef a parlé, il a jeté un os à Salonique et les morts de faim se sont jetés dessus. Bon appétit.

Nous pensons néanmoins que tous n’ont pas dû se faire gagner par la poussée opportuniste ; qu’il y a des ouvriers révolutionnaires qui, voyant cette culbute éhontée à droite des archéo-marxistes, la combattrons et dénonceront cette décadence.

C'est vers eux que vont donc toute notre solidarité et notre approbation.


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Prudhommeaux et sa femme

ont f… le camp, tant mieux(*)


André Prudhommeaux et son appendice conjugal ont donné leur démission des Groupes Ouvriers Communistes. Naturellement nous n’avons pas essayé de les retenir, et même quand ils ont essayé de se raccrocher aux groupes, prétendant que leur démission avait été arrachée, nous les avons priés d’aller se promener. Prudhommeaux avait été gérant de notre journal L’Ouvrier communiste même avant d’être admis dans le groupe où il avait été accueilli avec des conditions précises, c'est-à-dire de ne pas jouer les déserteurs de classe, mais de devenir réellement un déserteur de la couche non prolétarienne, d’où il avait origine. Mais Prudhommeaux pensait évidemment que ce sont là des choses qu’on dit, mais qu’on ne fait pas. D’ailleurs, il estimait être forte tête, tant c’est vrai, qu’accablé de fatigue, dit-il, par le travail matériel de jour et le travail spirituel (pas tant que ça !) de la nuit, il trouvait le moyen de toujours faire la grasse matinée. Naturellement, parce qu’il se croyait un phénix (il se croit encore tel !), il a voulu faire revivre la politique de chef dans nos groupes. Il a commencé par vouloir avoir des initiatives exclusives et des privilèges ; souvent, il a modelé la journée à sa façon ; il a gardé des rapports avec sa famille, que nous ne pouvions jamais contrôler, et qui étaient d’autant plus suspects que Prudhommeaux père est un personnage très huppé dans les milieux de la Ligue des Nations. Naturellement, l’argent qu’il recevait de ses parents, son intimité avec ces derniers, tout cela justifiait nos méfiances à son égard, méfiances qui l’auraient, dit-il, poussé aux démissions, méfiances qu’un révolutionnaire aurait dû plutôt chercher à dissiper par son attitude.

Dernièrement, il avait encore projeté de faire un voyage de plaisir en Allemagne, aux frais de sa famille. Nous aurions dû le mettre à la porte dans cette circonstance ; mais nous avons eu à son égard une dernière faiblesse : celle de l’envoyer là-bas pour le compte des groupes, en l’invitant à ne pas demander d’argent à ses parents. Mais, malgré sa promesse, il est allé également taper son papa.

Il nous écrit que c’est là une infamie ! En effet, c’en est une, et très grave ; mais il oublie que lui-même a été obligé de l’avouer. La publication de la brochure Réponse au camarade Lénine a été l’occasion d’une dernière saloperie de sa part. Le groupe avait projeté de publier cette brochure exclusivement sous sa responsabilité. Prudhommeaux lui-même nous avait fait un cliché de la couverture, que nous possédons encore. Il a publié la brochure sous la responsabilité de sa librairie, dans le but de devenir éditeur et de se faire de la réclame.

Cette dernière affaire nous l’a démasqué complètement : elle nous l’a révélé comme l’homme de la petite bourgeoisie intellectuelle, qui veut se faire un nom sur le dos de la classe ouvrière. Mais, évidemment, Prudhommeaux avait rencontré cette fois-ci des ouvriers qui ne se laissent pas et ne se laisseront pas faire.

Et que cette leçon puisse servir aussi pour ceux qui auraient envie de faire une semblable expérience sur notre dos.


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La crise en France et l’émigration


La France ne peut pas être sujette à une crise – telle était la conviction du capitalisme français, de ses intermédiaires parasitaires et de la majeure partie des ouvriers. Les colonies, le marché intérieur, la bonne organisation du système de production et aussi le manque de main d’œuvre nationale, garantissent à la France un certain équilibre économique. Il semblait qu’en France le malthusianisme remportait un juste triomphe, dans cette France qui était obligée d’ouvrir à deux battants ses frontières pour laisser entrer un flot immense d’ouvriers étrangers. Dans un moment où les États-Unis bloquaient les portes de l’immigration, où le chômage commençait à pointer en Allemagne et en Angleterre, l’oasis française a été une espèce de soupape de sécurité pour les pays dans lesquels les masses tombées dans la misère représentaient un sérieux danger pour le régime fasciste italien, polonais, etc. Si l’on considère sans émettre de réserves ce phénomène particulier, il faut reconnaître qu’il a éloigné pour quelque temps les masses ouvrières d’objectifs plus radicaux. Ceux qui restaient dans leur pays respectif, comme c’est le cas de l’Italie et de l’Espagne, étaient eux aussi victimes du mirage de l’émigration. D’une part, ils voyaient dans l’émigration une issue, une dernière bouée de sauvetage, et, de l’autre, ils espéraient que le mouvement qui donnerait le coup décisif au régime fasciste ou militaire viendrait des masses émigrées. Le début de l’émigration politique italienne, par exemple, a été précisément caractérisée par une certaine prolifération sur le sol français des organisations bolcheviques, anarchistes à l’eau de rose, cela va de soi, antifascistes en général. Il émanait de ces organismes un certain romantisme du type années 60, l’espoir de reconquérir l’Italie ou l’Espagne à partir de la France. Mais les centuries prolétariennes et les légions garibaldiennes se révèleront bien vite être des parades peu sérieuses au bout desquelles étaient prêtes des embuscades de grand style. Ce qui par conséquent a prévalu, ce n’a pas été l’esprit héroïque, mais plutôt le sens pratique consistant à rester en France pour y tenter sa chance. Certes, nombreux furent les éléments qui ont été victimes de ce mouvement antifasciste qui a enflammé particulièrement les cœurs à l’époque de l’assassinat de Matteotti. Beaucoup qui étaient retournés en Italie ont disparu, qui dans les prisons de la patrie, qui même dans les rangs fascistes. Mais une grande partie s’est adaptée à l’ambiance démocratique française, et de nombreux ouvriers se sont aristocratisés dans cette démocratie.

Naturellement, la corruption des masses émigrées ne s’est pas arrêtée à ce point-là. Les émigrés étaient des millions, ils ne pouvaient pas être un élément négligeable pour la bourgeoisie française. Dans la période de développement florissant de l’industrie française, elle a même absorbé une grande partie des éléments politiques, après avoir naturellement expulsé la fraction la plus rebelle de ces éléments. Et elle les a pris dans tous les rangs, sociaux-démocrates, bolcheviks, anarchistes, sans exception. C'est de cette manière qu’ont prospéré des coopératives dans le bâtiment ou bien des coopératives rurales dans lesquelles les noms de Baldini, Salvi et Campolonghi, sont désormais consacrés. Ces coopératives, ignobles entreprises d’exploitation, sont bien connues des ouvriers qui doivent, transitoi-rement pour certains, durant une longue période pour d’autres, en subir le régime impitoyable. Mal payés, volés par les éléments mêmes qui les commandent et les soumettent à des frais de bouche obligatoires, ces ouvriers ont subi et subissent aussi l’impôt forcé prélevé par l’organisation confédérale, et les sous-sections ad usum delphini. Naturellement, les dirigeants de ces infâmes entreprises d’exploitation font partie de cette main d’œuvre hautement qualifiée que la presse française déclare vouloir conserver en France. À ce ramassis de sbires, d’argousins, se joignent les éléments les plus connus de la social-démocratie et de la “concentration”, et à lui se lie aussi l’entreprise confédérale des Caporali, Buozzi, etc. Aux côtés des coopératives, ont surgi d’innombrables tâcherons(*), venant de tous les partis et de tous les courants. Ces maîtres-tyrans, qui parfois deviennent entrepreneurs, c'est-à-dire des super-maîtres-tyrans, proviennent en nombre des rangs bolcheviks dans lesquels ils restent même aux côtés des pauvres brebis dont ils effectuent quotidiennement la tonte.

Et ceci n'est pas le cas des seuls organismes bolcheviks officiels : même dans les rangs du pur prométhéisme(**), quelques tâcherons galeux peuvent se permettre d’attendre la gloire de jours meilleurs à l’ombre du nom désormais quelque peu démodé de Bordiga et de ses propriétés qui s’élèvent à des centaines de milliers de francs. Certes, il s’agit là aussi d’une main d’œuvre hautement qualifiée que le capitalisme français se propose de conserver. Et il y a un dicton dans les rangs prolétariens de l’émigration qui dit : voilà des gens qui doivent remercier le fascisme ! À côté de cette équipe d’oppresseurs, de spéculateurs, de joueurs de courses de chevaux, qui malheureusement imitent des ouvriers, de ces figures dégoûtantes qui profitent de la politique socialiste, communiste et anarchiste, à côté des Zeli, des Zaberoni, des Angelini et des Topi Tosca, nous voyons des ex-délégués du Parti Communiste Italien pratiquer le commerce de gros et contribuer par un autre chemin à la tonte des brebis prolétariennes, en bons émules des bons Caporali et compagnie. D’autres qui ont pris le chemin de l’usine ou qui n’ont pas eu trop de chance (?) se sont contentés de devenir des chefs ou des monstres-maîtres. Et il est caractéristique de noter que ces gens-là, en majorité absolue, ont milité ou militent encore dans des partis d’avant-garde. C’est ainsi qu’ils font partie des socialistes réformistes, maximalistes, fusionnistes et anti-fusionnistes, bolcheviks, prométhéistes, etc. Naturellement, beaucoup de ces gens-là justifient leur proposition en invoquant leurs qualités techniques. Sur ce terrain, les capitalistes peuvent eux aussi justifier leur exploitation par leurs qualités techniques (Bastiat, l’économiste réactionnaire français, n’avait-il pas dit que la qualité technique de la bourgeoisie était ses capacités à économiser ?). Les autres oppresseurs techniques ont eux aussi cette qualité développée au degré maximal.

Beaucoup d’ouvriers qualifiés ont eux aussi trouvé l’ambiance démocratique française extrêmement avantageuse, ils ont donc pris l’air français et se pavanent dans une toilette quelque peu empruntée, dans un style maniéré, qui donne la chair de poule (cet élément est très commun dans les cercles anarchistes).

Et, dans ces milieux d’aristocratie prolétarienne, est répandue la conviction que de bien s’habiller est aussi un droit prolétarien. Hélas, ces ouvriers oublient qu’il est surtout le reflet, c'est-à-dire le droit et le devoir des ouvriers aujourd'hui, du fait que les plumes de paon dénotent une absence absolue de pensée. Il est vrai que beaucoup de politiciens ont défendu ce droit de l’ouvrier à la vanité, à l’imitation du bourgeois. Mais il faut dire franchement à ce propos que ces manifestations qui sont par exemple très répandues dans le prolétariat féminin français, sont un symptôme du manque et non pas du développement de la mentalité ouvrière.

Pour conclure cette longue mais nécessaire digression sur les aspects de l’émigration, revenons par conséquent à la crise en France. Il est certain que beaucoup d’ouvriers étrangers, qui s’étaient laissé absorber par l’ambiance française, voyant avec effroi arriver la crise, sont enclins à accepter la thèse capitaliste de la reprise et non pas celle de la chute vers le chômage de masse. Et en conséquence, il court aussi dans la bouche de ces ouvriers la vieille légende du manque de population et du marché colonial. Les journaux bourgeois (ce que sont en fait tous les journaux) ont tous été quelque peu déboussolés ces jours-ci. Ils déclarent aujourd'hui que la crise ne peut pas faire des ravages en France, et, un autre jour, ils parlent de l’expulsion en grand style des étrangers, de périodes de vaches maigres. Le gouvernement est naturellement optimiste, mais les industriels en général sont pessimistes. Il est certain que le développement industriel français ne pouvait pas durer, étant donné ce que nous avons déjà dit dans l’article sur la crise mondiale. Si le traité de Versailles, l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine, ainsi que de nombreuses colonies, ont permis ce développement, ces éléments ne pouvaient pas représenter une garantie absolue et éternelle pour le développement écono-mique du capitalisme français. La thèse du manque de population ne tient naturellement pas parce que les pays de grande absorption migratoire finissent eux aussi par tomber dans la crise, et la thèse de la bonne organisation de la production ne tient pas elle non plus. Le marché intérieur est saturé, y compris le marché colonial. Un coup particulier s’ajoute pour affaiblir le pouvoir d’achat du marché intérieur. L’aggravation de la crise mondiale a coupé nettement les ailes au tourisme, lequel représente pour la France un poids décisif de plusieurs milliards destiné à rétablir l’équilibre de la balance commerciale qui est déficitaire. Si le marché intérieur français est saturé et affaibli, les possibilités de concurrence sur le terrain des débouchés internationaux sont elles aussi diminuées. Le protectionnisme et le dumping (l’exportation des marchandises à faible prix) en particulier de la part des États-Unis, brisent les ailes du fameux développement, garanti éternel, du capitalisme français. Tôt ou tard, le chômage atteindra des proportions alarmantes, et l’exode des émigrants s’imposera. À ce sujet, la presse française ne cache pas ses convictions et elle laisse deviner cela du bout des lèvres. D’autre part, que fera la majeure partie des 4 millions d’émigrés si les usines, les chantiers, ferment leurs portes ? Si le travail est refusé aux ouvriers étrangers ? Resteront-ils en France ? Pour pouvoir profiter des allocations de chômage, ainsi que l’insinue déjà l’organe consulaire fasciste ? Évidemment, cela serait possible pour quelques mois, mais si la crise est définitive, peut importe le chômage.

La préoccupation de la presse fasciste n’est pas dépourvue de base. En Italie, le total des chômeurs officiels s’élève à plus d’un demi-million, la situation économique est grave (la collaboration russo-italienne ne peut avoir de grands effets), et cette masse qui dépasse largement le million, on ne peut plus l’envoyer ailleurs. Le Brésil, l’Argentine, se prémunissent eux aussi contre l’immigration. C’est du reste la même chose pour la Pologne où le chômage augmente de semaine en semaine. Il en est de même pour tous les pays d’immigration. Le chômage modéré que la presse fasciste attribue naturellement à la politique du duce et de ses satellites, deviendrait le chômage immodéré, la catapulte, la pression démographique contre lesquels la politique du duce ne peut rien. Déjà aujourd'hui où le chômage est modéré, les agitations de chômeurs commencent à se faite turbulentes. Qu’est-ce que ce sera demain quand l’avalanche commencera à descendre de la France, une avalanche d’hommes habitués à tout le moins à se nourrir ?

L’espoir que la bourgeoisie française laisse aux immigrés la possibilité de rester en France pour servir de masse de réserve et de manœuvre afin de réaliser plus facilement une diminution des salaires, espoir qui berce encore certainement les bourgeoisies des pays d’émigration, repose sur un terrain très faible. En effet, la bourgeoisie française considère les éléments ouvriers étrangers comme les plus turbulents et elle craint par conséquent une révolte plus de leur part que de celle des éléments nationaux. Elle fera donc son possible pour s’en débarrasser. C’est en suivant aussi en cette matière les conseils de la presse fasciste qu’elle procèdera certainement d’abord à l’expulsion des irréguliers qui, comme la même voix consulaire l’affirme, sont des centaines de milliers, que ce soit directement au moyen de son contrôle policier, ou que ce soit indirectement en leur interdisant d’être embauchés pour un travail. Si ce conseil de la bourgeoisie italienne à la bourgeoisie française est mis en œuvre, il a cependant un côté complètement négatif pour le capitalisme italien étant donné que ces centaines de milliers d’irréguliers ne pourront trouver refuge dans aucun pays et qu’ils retourneront en Italie où les prisons fascistes ne pourront sûrement pas les contenir tous, et où, unis aux chômeurs qui y résident, ils formeront une masse imposante, incontrôlable, une masse privée de domicile, de secours. En prohibant l’embauche de la main d’œuvre étrangère, elle pourra obliger des masses encore plus énormes d’immigrés à retourner dans leur pays d’origine.

D’autre part, la campagne pour l’élimination des irréguliers du marché du travail français n’est pas une chose future : elle est déjà en marche. De nombreux journaux, y compris de gauche, ne dissimulent pas la perspective de cette expulsion complète. Il serait stupide de vouloir nier que les partisans de cette mesure radicale ne sont pas peu nombreux et que le mot d’ordre du nationalisme français : “la France aux Français” trouve un écho dans beaucoup de partis démocratiques, chez les sociaux-démocrates et peut-être encore chez les bolcheviks et les anarcho-bolcheviks.

Ce qui est par conséquent certain, c’est que l’heure du retour au pays d’origine de grandes masses a sonné, que la France ne voudra pas s’astreindre à ses dépens à une pression démographique pour en soulager d’autres pays. La menace de la guerre est aussi un facteur qui entraînera peut-être des mesures ultra-radicales concernant l’exode des ouvriers étrangers.

Que feront ces ouvriers ? Subiront-ils les conséquences de ces mesures ? Ou bien se révolteront-ils contre elles ? Il est certain qu’une révolte de leur part qui ne serait pas également une révolte des ouvriers français ne pourrait pas connaître le succès, car elle revêtirait un caractère dispersé et elle permettrait à la bourgeoisie française de dresser les prolétaires français contre les prolétaires étrangers. Si une révolte des ouvriers français était possible, alors sûrement le problème changerait complètement d’aspect étant donné que le triomphe de la révolution prolétarienne en France ouvrirait de vastes horizons à l’offensive révolutionnaire.

Il faut cependant dire à ce point que cette dernière perspective semble très hypothétique non seulement à nous, mais même aux éléments ouvriers français les plus extrémistes. Par conséquent, il ne restera aux ouvriers étrangers qu’à subir ces mesures et à retourner dans leurs pays d’origine. Il est certain que si les prolétaires avaient déjà dépassé le sentiment de la mesquinerie nationale, s’ils avaient complètement appris à haïr les frontières de ces patries, l’exode ne serait pas nécessaire étant donné qu’alors les ouvriers de n’importe quel pays chasseraient de leur sein les véritables étrangers, les capitalistes, les exploiteurs, lesquels jouissent eux en tous les points du globe terrestre des profits de leurs privilèges. Et ils les chasseraient de la société, de l’histoire, en les détruisant comme une nuée de criquets mortels. Mais malheureusement, ces préjugés pèsent encore sur le cerveau des ouvriers et l’organisation du monde capitaliste les tient encore liés, au moyen d’une fiction juridique, à un pays donné, à une patrie donnée. Certes, cette nouvelle expérience donnera cependant ses fruits, et le cerveau de l’ouvrier constatera qu’il n’y a pas de patrie pour les travailleurs quand, ballotté d’occident en orient et vice-versa, il reste toujours l’esclave du capital.

L’exode des émigrés en France est le début de nouvelles tempêtes en Europe, lequel repose aujourd'hui sur une zone volcanique. Et il n’est pas improbable que, devant la simple menace de guerre, mille cratères se mettent à éjecter des torrents de lave enflammée dans lesquels la bourgeoisie sera engloutie. À condition que, au cours de ce cataclysme, l’esprit des ouvriers s’éveille et empêche pour toujours le retour de l’exploitation et du parasitisme.


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NOUS ET LES ANARCHISTES


La réponse de Biaggio


Nous continuons donc notre discussion avec les camarades de la Lotta Anarchica et ce bien sûr cordialement, mais pas au point où la cordialité deviendrait de la diplomatie étant donné qu’alors le bon déroulement de la discussion serait le produit d’une manœuvre. Les camarades de L.A. disent que l’esprit de collaboration internationale qui nous anime est juste, mais ils trouvent seulement que cette position qui est la nôtre est à prendre avec circons-pection, c'est-à-dire avec les réserves dues. Nous ne savons pas où les camarades de L.A. trouvent la raison de ces réserves, à tout le moins à notre égard, puisqu’ils en arrivent au point de penser que nous pourrions adopter éventuellement la manipulation d’un point de vue national de tout le mouvement international, ainsi que l’ont fait les bolcheviks. Il est évident que les camarades de L.A. n’ont pas lu avec attention nos journaux et qu’ils n’ont pas bien compris la substance de la critique que Gorter a adressée à Lénine. Il est évident que, si le bolchevisme a abouti au nationalisme, cela a été dû à son contenu hybride du point de vue classiste, à l’immaturité de sa base économique et de son contenu subjectif, idéologique. Dans la critique que nous avions adressée de cette façon-là au Contre le courant de Lénine et Zinoviev dans le deuxième numéro de notre journal, nous avions ainsi prouvé de manière claire et nette que nos positions à ce sujet étaient diamétralement opposées à celle du léninisme quand nous avons démontré que ce dernier était contaminé par le nationalisme, y compris avant la révolution. C'est comme cela que nous avons mis en relief le fait que le prolétariat n’a pas de patrie, et que par conséquent toutes les patries, c'est-à-dire tous les capitalismes, sont ses ennemis, et c’est ainsi que nous ne nous sommes pas laissé préoccuper par les différences éthiques qui existent, ainsi que par les différences subséquentes de caractère et de langue, car tout ceci n’a pas de valeur révolutionnaire, mais une valeur réactionnaire. Il s’agit d’éléments sur lesquels la classe bourgeoise peut insister, mais pas le prolétariat conscient qui, lui, a l’intention de les dépasser. Notre position sur la guerre révolutionnaire est un produit de notre internationalisme intransigeant, lequel peut se résumer par une phrase ! Là où je me trouve, les capitalistes sont mes ennemis, qu’ils soient francais, anglais, italiens ou d’une autre nation. Nous constatons qu’après la révolution dans un seul pays, le prolétariat de ce dernier, après avoir détruit sa bourgeoisie, a comme ennemis les capitalismes de tous les autres pays. Certes, si ce prolétariat gardait au contraire dans la lutte un certain particularisme national, un certain orgueil de ses qualités particulières de peuple, il serait évidemment déjà sur la mauvaise voie. Mais l’histoire provoque sur le terrain occidental une révolution prolétarienne qui, même si elle était entachée au début de particularisme national comme c’était le cas de la Commune, acquiert ensuite un caractère de plus en plus internationaliste. Et ceci parce que le fond prolétarien finit par triompher du particularisme national et à se livrer à la passion de la classe exploitée qui est à la recherche de sa liberté.

La monstruosité du national-bolchevisme est un produit des conditions historiques : la révolution occidentale ne peut pas suivre la même trace. Le pur internationalisme qui a succédé à la révolution, et qui a été ensuite vivement éteint par le léninisme au moyen de l’hégémonie du bolchevisme sur le mouvement révolutionnaire international, en est une preuve. Et nous croyons que, dans l’avenir, l’esprit prolétarien saura donner une nouvelle force à cet internationalisme dont nous nous déclarons partisans et défenseurs acharnés.

Lotta Anarchica demande donc une justification historique plus explicite de notre conception du caractère transitoire des programmes, c'est-à-dire de la valeur positive du mouvement social-démocrate dans l’histoire. Nous dirons tout d’abord que nous considérons ce mouvement non pas comme une simple manifestation de collaboration parlementaire : le réformisme a pour nous comme origine la lutte économique de résistance du prolétariat contre la bourgeoisie. La collaboration parlementaire n’en est qu’un aspect particulier. Marx n’a saisi qu’avec retard et de manière incomplète la nature du réformisme qui pour nous est synonyme de syndicalisme : nous l’avons déjà dit dans le dernier numéro en italien. Il a un caractère double, évolutif, progressif, et en même temps une tendance contre-révolutionnaire. Le premier aspect, la première tendance, s’affirme dans une période où le capitalisme se développe et où, par conséquent, les augmentations de salaire sont possibles, et où, par conséquent, l’amélioration économique et intellectuelle relative de la classe ouvrière est possible. Le mouvement économique, dont le reflet parlementaire est la social-démocratie ou le socialisme, a comme conséquence une évolution psychologique du prolétariat international ou, pour mieux dire, un développement des facultés cérébrales des masses prolétariennes. Étant donné que nous sommes des matérialistes dialectiques, nous considérons l’esprit, c'est-à-dire les forces intellectuelles, non comme quelque chose qui est donné depuis le début comme immanent, mais comme quelque chose qui est le résultat de l’expérience séculaire des primitifs. Et cette force intellectuelle, qui est quelque chose comme la vie elle-même, laquelle provient des cristalloïdes et des albuminoïdes, cette pensée qui devient une force de plus en plus collective, subit douloureusement les lois de la contradiction impitoyable qui trouve ses origines dans les bases économiques. Et c‘est de cette contradiction que découle aussi le fait négatif du développement spirituel des masses prolétariennes : l’hégémonie économique du capitalisme crée la possibilité de son hégémonie intellectuelle et éthique.

(à suivre)


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(*)(*) Il s’agit de la Concentration d'Action antifasciste, un organisme qui regroupe, depuis le congrès constitutif de Nérac d'avril 1927, le PSIL, le PSI, le Parti républicain, la CGL, et la Ligue italienne des Droits de l'Homme. (NdT).

(*)(*) Paul Gustav Emil Löbe (1875-1967) était un homme politique allemand (SPD) qui a été deux fois président du Reichstag : de 1920 à 1924 et de 1925 à 1932. (NdT).

(**)(**)Predappio est le lieu de naissance de Mussolini. (NdT).

(*)(*) Voir note plus haut. (NdT).

(*)(*) Prudhommeaux était le gérant de ce journal, L’ouvrier communiste, jusqu’au numéro précédent, le n° 12. Cet article est entièrement rédigé en français, mais j’ai pensé utile de le recopier. (NdT).

(*)(*) En français dans le texte. (NdT).

(**)(**) Allusion au journal bordiguiste Prometeo. (NdT).