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1921 –
CRONSTADT
ET LE Xe CONGRES DU PC RUSSE
Ces
deux événements consacrent un tournant décisif de la politique bolchevik. A
l’intérieur, ils incitent les bolcheviks à supprimer les dispositions
économiques du « communisme de guerre » et à promouvoir une politique
de « bons rapports » avec la paysannerie (impôt en nature substitué
aux réquisitions forcées, NEP) ; sur le plan international, ils accentuent
l’hostilité des dirigeants russes à l’égard des tendances
« gauchistes » de l’Internationale.
En
mars 1921, trois mois après la liquidation victorieuse de l’intervention
blanche, la Russie
soviétique est en proie à la famine, à la désorganisation, à l’agitation
sociale. La démobilisation a créé une armée de chômeurs. Lénine cache mal,
lorsqu’il critique devant le Xe congrès, le « luxe » inutile de la
discussion sur les syndicats, que cette discussion est pour quelque chose dans
l’apparition de revendications ouvrières et le mécontentement paysan face aux
réquisitions en présence d’une récolte mauvaise. L’insurrection de Cronstadt
traduit cette situation en termes politiques violents. Elle met en cause
l’autorité exclusive du parti bolchevik, revendique un véritable pouvoir des
soviets, ce qui implique la réapparition de tendances (anarchistes) et de partis
(socialistes-révolutionnaires, mencheviks) précédemment mis hors la loi par les
bolcheviks. Cette revendication selon Lénine, signifie « les soviets sans
les bolcheviks », mot d’ordre qui, en réalité, ne figure pas expressément
dans les résolutions de Cronstadt, mais est plutôt diffusé par la propagande
anti-bolchevik de politiciens émigrés. L’affaire de Cronstadt n’en constitue
pas moins une rupture nette et catégorique de la population civile et (en
partie) militaire à l’égard du parti bolchevik, et qui survient par ailleurs en
même temps qu’une vague de grèves ouvrières sévèrement réprimées à Petrograd.
Après
l’écrasement de l’insurrection, le Xe congrès du PC russe consacre la voie dans
laquelle le parti bolchevik de l’Etat russe est désormais irrésistiblement
engagé. Sur le plan économique, la liberté rendue au petit commerce et les
concessions proposées au capital étranger tracent la perspective d’un
développement contrôlé du capital en Russie, en vue de l’objectif, encore
lointain, d’un capitalisme d’Etat.
Sur
le plan politique, les conditions dans lesquelles est condamnée
« l’Opposition ouvrière » (accusée de connivence idéologique avec
Cronstadt) sont celles d’un véritable terrorisme moral. L’appel à l’unité se
fonde sur la falsification des faits en ce qui concerne l’insurrection ;
tandis que la responsabilité capitale de la bureaucratie soviétique dans le
fait de son déclenchement est escamotée derrière une vague pétition de principe
en faveur de la « démocratie interne ». En assimilant la révolte de
Cronstadt à une « contre-révolution petite bourgeoise et
anarchiste », les dirigeants bolcheviks déploient un chantage à la
« confiance » et à la « cohésion » qui renforce, dans le
parti, un climat d’Union sacrée que le stalinisme, ultérieurement, saura
exploiter. Enfin l’argumentation théorique adapte Marx aux conditions
impératives qui règnent dans la
Russie soviétique isolée : étant donné que le
développement du capital est condition primordiale du socialisme futur, ce
développement est conçu et adopté sans considération pour les atteintes qu’il
porte à la classe sociale dont ce socialisme dépend.
Dans
le PCI, on a toujours été mal à l’aise à propos de la « tâche
sombre » que constituait la répression de Cronstadt. Outre diverses autres
raisons liées à la situation politique du second après-guerre, le peu
d’empressement à rouvrir le dossier découlait en partie de la manière stérile
dont procédaient ceux qui soutenaient la nécessité de cette réouverture :
en exigeant la condamnation ou la réprobation de la politique bolchevik en
cette affaire, comme si de cet acte moral découlait le sort de la révolution
future. En réalité ce silence rétrospectif sur Cronstadt ne se défendait que
grâce à la conviction cachée que cette révolution future n’affronterait plus de
telles situations et qu’on pouvait donc se dispenser de se prémunir contre elle
à l’aide de pures pétitions de principe.
Non
seulement les événements récents dans le PCI, dont nous parlons par ailleurs,
montrent que ce parti s’arme allègrement de la conviction enthousiaste d’avoir
à répéter la répression de Cronstadt, mais l’attitude d’autruche qui était la
nôtre il y a une dizaine d’années, apparaît aujourd’hui sous son vrai jour de
fatalisme optimiste.
Si
une condamnation rétroactive des actes des bolcheviks n’aurait guère de portée,
il n’en est pas de même en ce qui concerne la condamnation de leur mystique
pseudo-scientifique, qui règne encore en souveraine chez les
« révolutionnaires » gauchistes actuels. Attaqué au sujet de
Cronstadt, Trotsky se défendait en disant que la politique révolutionnaire
n’est pas justifiable de la morale, mais de l’histoire. L’ère sanglante et
ignoble du stalinisme a révélé le seul contenu de cette divinité creuse :
l’histoire « justifie » toujours le vainqueur. Mais la révolution se
justifie à elle seule. Les considérations tendant à la « mettre en
veilleuse » au profit d’hypothétiques meilleures « chances
futures » peuvent bien expliquer le comportement des révolutionnaires
d’hier et tout ce qui appartient désormais au passé. Mais on ne peut sans
hypocrisie et reniement ré-employer leurs arguments d’alors. La révolution
d’octobre se nie définitivement à Cronstadt en 1921. Mais Trotsky, parce qu’il
était un bolchevik, ne pouvait identifier le moment où le phénomène contre-révolution
s’était démasqué ; il ne pouvait le situer qu’après sa propre disgrâce
politique… et peut-être seulement au moment du coup de piolet qui devait mettre
fin à ses jours !
CHRONOLOGIE
Début
1921, plusieurs faits témoignent d’un divorce politique entre la population des
bords de la Baltique
et le parti bolchevik. La seconde conférence des marins communistes (15 février
1921) critique le bureaucratisme et l’incapacité de la section politique de la
flotte de la Baltique
(Poubalt) et réclame la dissolution de toutes les sections semblables. Aux
élections pour le Xe congrès du PC russe, les marins votent contre leurs chefs
directs (Trotsky, commissaire du peuple à la guerre ; Raskolnikov, chef de
la flotte). Il s’agit d’une crise au cœur de l’ossature essentielle de la
survie de la révolution d’Octobre : sa force militaire.[1]
L’agitation
ouvrière des ouvriers de Pétrograd, en février, déborde ce cadre
« catégoriel » de la réaction des marins et prend,
presqu’automatiquement son caractère : politique (contre la bureaucratie)
et social (en faveur du « petit commerce »). Dans la capitale aux
deux tiers désertée, la population ouvrière, affamée, ne survit que grâce au
troc avec les paysans ; pratique semi-tolérée, mais réprimée par périodes
par les barrages de la milice. Durant l’été 1920, Zinoviev, qui tient d’une
main rude tout l’appareil local, a fait fermer les dernières boutiques.[2]
Sur la fin d’un hiver terrible, éclatent des grèves ouvrières à revendications
essentiellement alimentaires (ravitaillement, rétablissement du « marché
libre » dans un rayon de 50 kilomètres) mais sur lesquelles se greffent
des revendications politiques (liberté de parole et de presse, relaxe des
détenus politiques). Les grèves se généralisent et, le 28 février, atteignent
les chantiers Poutilov. Le gouvernement constitue un Comité de défense
(Lachevich, Anzelovich, Avrov) qui crée des brigades de surveillance par
quartiers, promulgue l’état de siège en promettant « toute la sévérité du
temps de guerre ».[3]
Le
28 février, les marins de Cronstadt, informés par la délégation qu’ils ont
envoyée à Petrograd, adoptent la résolution proposée par l’équipage du navire
Pétropavlosk, réclament – outre les revendications déjà posées par les ouvriers
– la suppression des sections politiques et des « détachements de
barrage » (contre le troc) ; l’égalisation des rations alimentaires,
le droit d’élever du bétail pour les paysans, la liberté pour la production
artisanale qui n’utilise pas de travailleurs salariés.[4]
Cette résolution est adoptée le 1er mars par les équipages de la
garnison (16.000 hommes) à l’unanimité sauf deux voix ; celles des
bolcheviks Kalinine et Kouzmine, le premier regagne Petrograd le jour même.
Le
2 mars, lors de la réunion des délégués, Kouzmine déclare que « les communistes
n’abandonneront pas le pouvoir sans bataille ». A la nouvelle de bruits
alarmants mais faux, les marins créent un Comité révolutionnaire provisoire,
occupent les points stratégiques, emprisonnent Kouzmine et Wassiliev (président
du soviet local) qui auraient « tenus des propos menaçants ».[5]
Au même moment, Radio-Moscou dénonce l’affaire comme un « complot de la
garde blanche », « une mutinerie de l’ancien général
Kpzlousky », « organisée par des espions de l’Entente »,
« dirigée par Paris » et où « le contre-espionnage français est
mêlé ».
L’insurrection
de Cronstadt devient effective dans les premiers jours de mars. Tandis que le
Comité révolutionnaire provisoire de la forteresse formule sa principale
revendication politique (pouvoir des Soviets avec représentation sans exclusive
de tous les partis ouvriers) et affirme son désir « d’éviter l’effusion de
sang », le Comité de défense de Petrograd lance un appel aux
cronstadiens : « Vous êtes cernés de tous les côtés… Si vous vous obstinez,
on vous tuera comme des perdrix… Désarmez et arrêtez les meneurs criminels et
surtout les généraux tsaristes. Celui qui se rendra immédiatement sera
pardonné… » (Ida Mett, p.43-44). Un appel identique du Soviet de
Petrograd, mais sur un ton plus modéré, déclare que la cause de Cronstadt est
sans espoir et qu’il lance aux insurgés « un dernier avertissement ».
A ce moment-là, grâce à l’intimidation – et aussi à la distribution de vivres
amenées en toute hâte – les grèves ouvrières dans la capitale, faiblissent et
s’éteignent. (cf. Ida Mett, p.45)
Le
6 mars, une tentative réciproque de discussion semble s’ébaucher par l’échange
de radio entre le Soviet de Petrograd et Cronstadt. Mais Trotsky lance un
ultimatum à la forteresse pour une reddition sans condition et avertit les
insurgés qu’il se prépare à les réduire par la force.
Le
7 mars, les batteries gouvernementales ouvrent le feu. Celles de la forteresse
ripostent ; mais quoique nombreuses elles sont prévues pour la plupart
pour faire face à une attaque venant de la mer et ont une portée insuffisante
pour atteindre Petrograd ; de plus, elles disposent d’un stock limité de
munitions. (Le 3 mars, le Comité révolutionnaire provisoire, renonçant à une
contre-offensive sur Oranienbaum, a déclaré placer ses espoirs « non dans
la capacité militaire des marins, mais dans la solidarité morale de toute la Russie laborieuse »
(cf. Ida Mett, p.49).[6]
Bien
que n’ayant militairement aucune chance de l’emporter (la forteresse n’a que
3000 fantassins, elle manque de vivres, de médicaments, etc.). Cronstadt
tiendra 15 jours en raison de la démoralisation, elle manque de vivres, de
médicaments, etc.) Cronstadt tiendra 15 jours en raison de la démoralisation
qui gagne l’Armée rouge au cours de ses premiers assauts : les soldats
redoutent les combats sur la glace et désertent par groupes ; des
régiments refusent d’attaquer ; des compagnies entières passent du côté
des insurgés. Le tribunal militaire doit sévir, tandis que l’encadrement
politique est décuplé et que des renforts sont amenés de régions lointaines
(Kirghis, Backirs).[7]
Le
16 mars, la réorganisation des corps assaillants est achevée[8].
Après un bombardement intense (artillerie et
aviation) les troupes gouvernementales, malgré de lourdes pertes, dont on ne
connaît le chiffre que du côté soviétique (et encore sans tenir compte du
chiffre des noyés) prennent l’avantage. Les forts sont enlevés un à un ;
la bataille se poursuit dans la ville, maison par maison, sanglante et au corps
à corps.
La
victoire bolchevik est complète le 18 au soir. Le Soviet de Cronstadt, non
réélu, est remplacé par le pouvoir militaire. Un tribunal militaire mobile
sanctionne défaillances et désertions. De grandes mutations ont lieu dans la
flotte après élimination de 15.000 matelots non spécialistes.
LES
TERMES DE LA
POST-CRITIQUE
Durant
les années qui suivirent, le fait que Cronstadt ne fut jamais analysé en
lui-même (c'est-à-dire sous l’angle de ce qu’il révélait de plus que les
contradictions et difficultés du pouvoir bolchevik). L’insurrection fut toujours
jugée en fonction du rôle révolutionnaire que l’on croyait encore ou non
possible de la part de Moscou. L’argument léniniste relève, en fin de compte de
la même vision subjective : il fallait abattre Cronstadt parce que le
mouvement du prolétariat était du côté de Moscou et que Cronstadt se dressait
contre Moscou. Cet argument a été reconduit tel quel durant des dizaines
d’années sans souci de dépasser ou approfondir les justifications immédiates
données à l’appui de la répression contre Cronstadt.
Or,
cet argument doit être considéré sous ses deux aspects idéologiques :
1°)
celui des méthodes et concepts qu’au travers de sa forme policière et de son
mépris des vérités de fait, la version bolchevik a contribué à implanter dans
le mouvement communiste international ;
2°)
sa contribution à l’obscurcissement du processus historique général qui a
condamné la révolution d’Octobre à n’être qu’une marche forcée du développement
du Capital dans l’aire slavo/asiatique.
CRONSTADT
COMME « OPERATION MILITAIRE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE »
L’argument
bolchevik contre Cronstadt est exprimé une fois pour toutes par Trotsky,
porte-parole dans cette affaire de tout le comité central du PCR : c’est
celui du complot de la garde blanche. Cette affirmation relève d’un autre champ
d’appréciation dont il faut dégager les contours, en suivant au préalable Ida
Mett dans sa réfutation des arguments que Trotsky avance à l’appui, non pas des
actes effectifs de Cronstadt, mais de son « état d’esprit » (cf. Ida
Mett pages 75 à 79).
Des
accusations concernant la revendication de « privilèges
alimentaires » pour la garnison de la forteresse, il a été fait justice à
propos du « cahier de doléances » de Cronstadt. La comparaison faite
par Trotsky avec les ouvriers de Petrograd, qui « sentirent immédiatement
que les rebelles de Cronstadt se trouvaient de l’autre côté de la
barricade », ne pèse guère plus lourd, compte tenu de la
« fermeté » avec laquelle Zinoviev sût réduire les grèves de la
capitale. Trotsky cite enfin un témoignage qui n’est guère plus probant. Au
cours de l’hiver 1920-1921, les délégués saisis d’une proposition tendant à
demander secours à Cronstadt pour la capitale affamée, auraient répondu qu’il
ne fallait rien attendre de la forteresse, investie par une « racaille »
qui « spécule sur le drap, le charbon et le pain ». Cette
déclaration, citée pour noircir encore le tableau d’une « garnison qui ne
faisait rien et vivait sur le passé », est en contradiction flagrante avec
l’ultimatum lancé par le Comité de défense, invitant à la reddition un
Cronstadt qui « n’a ni pain ni combustible ». De plus, on a rarement vu les « racailles »,
« spéculatrices », capables de se battre jusqu’à la mort !
Avec
plus de nuance, mais dans le même esprit, Trotsky, dans son
« Staline », devait écrire plus tard que la répression de Cronstadt
fut une « nécessité tragique », le pouvoir bolchevik ne pouvant céder
« simplement parce que quelques anarchistes et
socialistes-révolutionnaires douteux patronnaient une poignée de paysans et de soldat en rébellion ». Comme le
souligne Ida Mett, même si l’état d’esprit de Cronstadt était celui qu’indique
Trotsky, ce dernier n’en explique aucunement la genèse dans ce bastion qui fut
à l’avant-garde de la révolution d’Octobre. Il ne donne pas le moindre élément
éclairant la rupture idéologique qui s’y était manifestée à l’égard du parti
bolcheviks et dont les élections au VIIIe congrès pan-russe des Soviets et à la
seconde conférence communiste de la flotte baltique, n’étaient que des
expressions.
Finalement
c’est l’opinion de Victor Serge, anarchiste gagné au trotskysme, qui exprime le
mieux – mais toujours à partir du postulat : Moscou encore révolutionnaire
en 1921 – le jugement longtemps conservé intact sur l’événement :
« Cronstadt n’était pas contre révolutionnaire, mais sa victoire eût
amené infailliblement la contre révolution ».
LE
ROLE DES PARTIS ANTI-BOLCHEVIKS
Toutefois,
avant d’en venir à cette portée objective conférée d’autorité à l’insurrection
de Cronstadt, un coup d’œil sur l’influence exercée dans la rébellion par les
adversaires politiques des bolcheviks n’est pas inutile. Dans la critique d’une
conception qui attribue à l’organisation politique une fonction déterminante
dans la genèse et l’éclatement des luttes sociales, il n’est pas superflu de
souligner qu’une ce qui concerne celle de Cronstadt, le rôle des partis
anti-bolcheviks fut pratiquement nul. Si une seule chose, dans l’événement,
ressort avec clarté c’est bien la suivante : cette
« contre-révolution » ne fut pas le fait des partis contre
révolutionnaires !
Le
point central de la plateforme idéologique de Cronstadt, c’est la revendication
du pouvoir effectif pour le soviet en tant que seule forme concrète dans
laquelle l’instauration, suivant le concept marxiste, du prolétariat en classe
dominante, ait été tentée. Nous reviendrons sur le côté théorique de la
question. En ce qui concerne l’affaire Cronstadt, nous devons souligner pour
l’instant la contradiction contenue dans le concept bolchevik. L’argument
essentiel du léninisme contre la souveraineté politique du soviet est le
suivant : cet organisme peut être influencé par des forces politiques
conciliatrices, voire contre révolutionnaires. Pour être valablement appliqué
au cas Cronstadt, cet argument aurait dû être vérifié par l’existence réelle de
cette force contre révolutionnaire ; ce qui n’a jamais été fait. Les
partis anti-bolcheviks ont accueilli favorablement la revendication de
Cronstadt dans la mesure où, sous la forme de démocratie ouvrière directe, elle
s’accordait, soit avec leur idéologie propre (cas des anarchistes) soit avec
leur espoir d’un retour légal sur la scène politique (cas des
socialistes-révolutionnaires). Ida Mett fournit des témoignages concordant qui
prouvent que cette rencontre des positions de Cronstadt et de celle des partis
anti-bolcheviks fut purement spontanée[9].
Ces partis n’étaient nullement implantés dans la forteresse, l’eussent-ils
voulu, ni les anarchistes, ni les socialistes-révolutionnaires, n’auraient eu
la force et les moyens matériels de diriger le mouvement ; quant aux
mencheviks, partisans d’une opposition légale aux bolcheviks, ils refusaient de
l’attendre d’une lutte violente contre ces derniers.
La
revendication de Cronstadt, en ce qui concerne la possibilité, réclamée par les
paysans de la région, d’élever du bétail et d’échanger localement leurs
produits, ne suffit pas à donner à cette revendication le caractère
« petit bourgeois » qu’y dénoncèrent les bolcheviks ; il ne
s’agit que de mesures d’urgence, propres à réduire en partie la famine, et qui
ne diffèrent pas substantiellement de celles qui seront adoptées par les
bolcheviks eux-mêmes lors de la
NEP. On est donc forcé d’admettre qui si Cronstadt a été une
« contre-révolution », celle-ci a été le fait de plusieurs dizaines
de milliers d’hommes recrutés parmi les forces sociales qui constituèrent
l’appui le plus caractéristique de la révolution d’Octobre et de sa lutte
contre l’offensive blanche. Si de telles forces, lorsqu’elles se dressent, tant
contre les conditions matérielles faites à la population, que contre le climat
d’humiliation et de grossièreté sociale dans lequel elles sont imposées à
celle-ci, ne sont capables que de constituer « le tremplin, »,
« la passerelle » de la contre révolution ; et si la politique
du parti au pouvoir en ces circonstances est théorisée et sanctifiée en ligne
de principe, il faudrait conclure que l’érection du prolétariat en classe
dominante, selon le concept marxiste, est une expression creuse qui dissimule
la réalisation aveugle de la dynamique spécifique du Capital.
STRATEGIE
DE LA
CONTRE-REVOLUTION… ET STRATEGIE DU CAPITAL
L’intervention
de Lénine sur Cronstadt, au Xe congrès du PC russe, reprendra, dans sa partie
polémique et virulente, la thèse du « complot de la garde
blanche » ; mais son argument théorique de fond – appuyés sur les
précédents vérifiés en Russie même – est celui de l’incapacité de la
« démocratie prolétarienne » à être autre chose qu’une voie de
passage de la contre révolution anarchiste, socialiste-révolutionnaire et
menchevik, ne pouvaient tenir d’autre rôle et Cronstadt, en leur ouvrant les
portes du Soviet, était, consciemment ou non, leur complice.
Il
est vrai que, lors de l’apparition de troubles sociaux dans la Russie de 1921, la
bourgeoisie de l’Entente jubila et amplifia leur importance par une propagation
inouïe de fausses nouvelles. Que le capitalisme occidental, à cette époque,
n’ait pas renoncé à l’espoir d’un écroulement interne de la Russie soviétique, cela
n’est pas davantage discutable. Il serait d’ailleurs vain de revenir sur les
causes effectives qui, dans ces conditions, provoquèrent dans le mouvement
ouvrier européen, un ralliement quasi général à la politique répressive des
bolcheviks contre Cronstadt[10].
Mais le recul de 50 années, s’il n’a gère éclairci les « circonstances
obscures »[11]
de l’insurrection de la forteresse baltique, permet toutefois de réduire les
considérations de l’époque à leur dimension réelle. Pour ou contre Cronstat, la
révolution a perdu sur les deux tableaux
et si l’événement mérite d’être réexaminé c’est par l’effroyable précédent dont
il marque l’idéologie léniniste (on verra qu’au stade présent de la caricature
groupusculaire, la mégalomanie des révolutionnaires en chambre s’en délecte a
posteriori).
Les
violentes attaques des discours bolcheviks contre les cronstadiens et leurs
partisans réels ou supposés n’invoquent jamais des faits précis quant à ce
qu’aurait représenté l’insurrection. Ces attaques citent abondamment, comme
pièces à conviction du « complot de la garde blanche », la presse de
l’Entente et, particulièrement, les journaux français. C’est-à-dire que la
thèse bolchevik puise ses arguments dans les propos affichés par un adversaire
déterminé de la Russie
soviétique. Cet adversaire, c’est la bourgeoisie européenne, celle qui a misé
par anachronisme sur la possibilité de la restauration de la vieille
Russie ; celle qui a payé les Wrangel, Dénikine, Koltchak et dont la
clairvoyance politique est à la mesure de la cupidité du bas-de-laine ruiné par
l’écroulement des fonds russes.
La
voie de sauvegarde et développement du Capital, en tant que rapport social en
extension, ne coïncide pas toujours avec celui que suit la bourgeoisie en tant
que classe dominante. Plus exactement, celle-ci ne découvre « la bonne
voie » du Capital, le plus souvent, que lorsque ses adversaires sociaux
déclarés la lui fournissent eux-mêmes. En 1921, le Capital européen joue encore
la carte de la ruine de la
Russie soviétique, alors que c’est au sauvetage de celle-ci –
en tant que centre monstrueux de reconstitution du Capital – que ce dernier
devra son propre salut. Par contre certaines sphères du capitalisme américain
pressentent déjà cette issue possible à la crise latente du capitalisme
mondial : Lénine, au Xe congrès du PCR, fera état de la campagne de dénigrement
des journaux de l’Entente.
La
portée objectivement « contre révolutionnaire » de l’insurrection de
Cronstadt ne s’inscrit donc, dans l’hypothèse la plus favorable à
l’appréciation léniniste, que dans une seule voie de la contre
révolution : celle qui sera bientôt abandonnée par le capitalisme
international. Par contre, l’idéologie, les méthodes, le conditionnement des
masses sociales, dans la lutte menée par les bolcheviks contre Cronstadt,
contribuent à créer les conditions du triomphe total et sans retour de la forme
capital en Russie. Lorsque la contre révolution domine, son essence la plus
efficace ne doit pas être recherchée à la superficie des luttes politiques et
des affrontements entre programmes immédiats, mais dans le contenu de son action
sur la psychologie sociale, l’instinct grégaire des individus, les
« valeurs » qui s’incrustent, etc. A l’égard de ce conditionnement,
brièvement interrompu seulement par le coup de tonnerre d’Octobre et
indispensable à la domination totale de la forme capital, Cronstadt représente
– sous un jour utopiste, mystifié et même anachronique – l’ultime résistance
visible d’une population entière non encore acquise, à cette date, à la
domestication capitaliste.
D’une
façon fulgurante, un demi-siècle avant la révélation incontestée du contenu
économico-social mis en place par la révolution d’Octobre, Cronstadt
extériorise, en dépit de toutes ses aberrations, l’incompatibilité absolue
entre le fait révolutionnaire et la prétention de l’assujettir, pendant des décennies
à une accumulation du Capital.
LE
Xe CONGRES DU PC RUSSE
L’étude
des débats de ce congrès, qui ne peut être ici qu’esquissée, éclaire
l’essentiel de ce que les bolcheviks stalinisés appelleront plus tard le
« léninisme ». Il ne s’agit pas tant de la doctrine et des positions
de Lénine considérées en soi que du contenu qu’elles dévoilent lorsqu’elles
sont confrontées à une situation de recul sur toute la ligne.
Dans
les circonstances dramatiques du printemps de 1921, le point de vue de Lénine
dépend des solutions effectives qui, selon lui, s’imposent objectivement ou
qui, en tout cas, sont les seules qu’il puisse concevoir. Ce point de vue
accuse la priorité inconditionnellement accordée au côté
technique-administratif de la gestion de l’économie russe dans un contexte
précaire que domine un seul impératif étatique et militaire : conserver le
pouvoir.
Dès
le discours d’ouverture, Lénine stigmatise « le luxe des discussions et
débats » que s’est offert le parti bolchevik, donnant ainsi le spectacle
de ses dissensions qui encouragent la contre révolution : il faudra donc,
ponctue-t-il bannir « la moindre trace d’esprit fractionnel »[12].
Lénine
développe son attaque en présentant le rapport d’activité du Comité central. Le
PC russe, contraint depuis 1918 à donner priorité aux tâches militaires sur
celles de « l’édification économique », outre qu’il a commis une
erreur stratégique dans la guerre contre la Pologne, a trop augmenté les rations alimentaires
et les distributions de combustible, au lieu de stocker en prévision de
périodes plus dures qui sont effectivement survenues avec les mauvaises
récoltes et les difficultés dues à la démobilisation[13].
Lénine
rattache cette imprévoyance au temps perdu lors de la discussion sur les
syndicats, « luxe abusif », « inadmissible », et qui a
porté au premier plan « un problème qui, de par les conditions objectives,
ne pouvait pas s’y trouver »[14].
Mais cette faute a été utile au parti ; il s’est aperçu de l’existence en
son sein d’une « déviation nettement syndicaliste ».
Pour
dégager la trame suivie par Lénine dans son rapport, il faut tenir compte de la
lutte de tendances qui se dessine dans le mouvement communiste international
comme dans le parti russe. Des décalages déroutants et des options
contradictoires s’y manifestant entre partisans et adversaires de
« solutions » déterminées et qui changent souvent de rôle ou
n’adoptent qu’un seul point des thèses appuyées.
Il
est visible cependant que l’imprécise « tendance radicale » dans le
parti russe comme dans l’IC, sent que la position révolutionnaire perd ses
rares points matériels d’appui en Russie au fur et à mesure que le pouvoir
bolchevik procède à des concessions, tant à l’égard du petit capitaliste de
l’intérieur qu’à l’égard du grand capital international. A la Gauche allemande, qui voit
un danger contre révolutionnaire dans la politique de la NEP (cf. Gorter et Pannekoek)
fait certainement écho, comme le montrent d’autres interventions de Lénine au
Xe congrès, des objections du même ordre qui sont faites à ce dernier au sein
même du parti russe.
Or,
la ligne de Lénine, c’est la défense acharnée de ces concessions qu’il juge
inévitables ; question qu’il n’est pas inutile de discuter ici, mais à
propos desquelles il est par contre édifiant, pour démystifier le mythe intérieur
du PCI, de souligner les méthodes que Lénine y emploie.
L’APPRECIATION
DE L’INSURRECTION DE CRONSTADT
C’est
à ce sujet que Lénine déclenche son attaque la plus violente : derrière
cette insurrection, dit-il, « on a vu se profiler les généraux blancs que
nous connaissons si bien ». Il ne doute pas que Cronstadt, sous peu, sera
écrasé ; mais il veut en tirer la leçon. Ce qui nous intéresse ici c’est
précisément le contenu de cette leçon, non pas en ce qu’elle comporte de
concessions inévitables à faire à la paysannerie et au petit commerce, mais
sous l’angle de l’attitude à l’égard du phénomène
« gauchiste » ; attitude qui s’imposera dans toute
l’Internationale, Gauche italienne comprise. Peu nous importe en fait, la
conviction intime que Lénine, du haut de ce qu’il appellera plus tard
« une armée de fonctionnaires animés d’un état d’esprit de sous-officiers
tsaristes », s’est faite à partir de l’événement Cronstadt. Il ne s’agit
pas – nous devons le répéter – de porter un « jugement historique »
sur l’homme politique Lénine, mais d’analyser sans ménagement l’idéologie à
travers laquelle sa mémoire s’est perpétuée.
Contre
ce que le recul historique nous autorise à considérer comme un des ultimes
efforts, désespérés et vains, pour sauver la flamme de la révolution d’Octobre,
toute l’argumentation de Lénine s’enchaîne et … se déchaîne. A Cronstadt, dit
Lénine, « Le pouvoir politique détenu par les bolcheviks est passé à un
conglomérat mal défini ou à une association d’éléments disparates (…) Dans le
même temps (…) des généraux blancs ont joué un rôle important. C’est pleinement
établi (…) Il est absolument évident que c’est l’œuvre de
socialistes-révolutionnaires et de gardes blancs de l’étranger, et par ailleurs
le mouvement a abouti à une contre révolution petite bourgeoise et à un
mouvement petit bourgeois anarchiste »[15].
Pour
sauver l’image du PC russe comme parti du prolétariat, Lénine est obligé de
taire la grande grève ouvrière de Petrograd, contemporaine de l’insurrection de
Cronstadt, qu’a sanctionné l’état de siège de cette ville, et d’imputer cette
insurrection aux « éléments sans parti qui ont fait office de marchepied,
de gradins, de passerelle pour les gardes blancs »[16].
Au
fur et à mesure de ses interventions au Xe congrès, Lénine développe la synthèse
suivante entre les événements du moment : seuls des éléments déclassés et
des petits bourgeois anarchistes peuvent se dresser contre l’Etat bolchevik et
ceux qui, au moment même de cette révolte, avancent un « programme »
destiné à redonner la primauté à l’élément prolétarien dans le parti et dans
l’Etat, sont « pratiquement » contre révolutionnaires puisqu’ils
agissent ainsi alors que se manifeste « un grand mécontentement paysan
dans un pays à prédominance rurale » et que la contre révolution s’encourage
de toutes les dissensions entre les bolcheviks.
Bien
que Lénine se défende du reproche qui lui est fait d’intimider et de terroriser
les membres du parti en invoquant des risques de « renversement de la
dictature prolétarienne »[17] ;
c’est pourtant là son argument central et il s’y réfère avec une violence
toujours plus grande : « La bourgeoisie, dit-il dans son rapport du 8
mars, cherche à dresser les paysans contre les ouvriers (…) cherche à dresser
contre ces derniers les éléments petits bourgeois sous le couvert de mots
d’ordre ouvriers, ce qui entraînera directement la chute du prolétariat, la
restauration du capitalisme » (p.192). Il est bien vrai, reconnaît Lénine
par ailleurs, que le système soviétique doit se guérir de son bureaucratisme ;
pourtant souvent « ceux qui combattent ce mal, veulent, parfois même
sincèrement, aider le parti prolétarien, la dictature prolétarienne (…) en
réalité (ils) favorisent les éléments anarchistes petits bourgeois qui, au
cours de la révolution, se sont révélés à plusieurs reprises comme les ennemis
le splus dangereux de la dictature du prolétariat » (p.198-199).
L’OPTION
DE BASE DE LA « LIGNE LENINE »
Le
9 mars, Lénine expose la « Conclusion sur le rapport d’activité du
C.C. ». Bien que la lecture de ses seuls discours, faute de pouvoir
compulser le compte-rendu sténographique du congrès, ne donne qu’une idée
incomplète du débat, on retrouve dans les textes reproduits dans le tome 32 de
ses œuvres, la trace des principales phases de l’offensive contre « l’Opposition
ouvrière » que Lénine mène à l’aide d’un arsenal oratoire varié :
raillerie et cynique mise en demeure, menaces pas mêmes voilées et concessions
de forme et d’amour-propre. Son intervention, ne ce deuxième jour du congrès,
est principalement consacrée à une mise en demeure impérative de ses
contradicteurs.
Mais
comme Lénine poursuit simultanément deux objectifs qu’il veut lier étroitement,
la politique des concessions au capital étranger, la substitution de l’impôt en
nature aux réquisitions forcées, le danger contre révolutionnaire des
anarchistes petits bourgeois et la « complicité objective » de
l’Opposition ouvrière à l’égard de ces derniers, sont généralement évoqués
presque conjointement. Il s’agit, en effet, d’une part de faire accepter les
compromis avec le capitalisme intérieur et extérieur, d’autre part d’écarter
toute opposition, même dérisoire et au seul niveau des structures, qui puisse
répercuter dans le parti un quelconque obstacle au parachèvement de l’éviction
politique des catégories salariées.
Le
second objectif est le plus important sous l’angle qui nous occupe : sa
réalisation consacrera, dans l’organisation communiste, l’étouffement de
l’ultime et déjà bureaucratique point d’appui de l’élément prolétarien. Nous ne
raisonnerons pas à la façon du PCI, c'est-à-dire en termes de plausibilité et
de validité des « programmes » qui s’affrontent au Xe congrès ;
nous dirons ce que signifie la lutte contre l’Opposition ouvrière par rapport au
mouvement international déclenché par la révolution d’Octobre. Dans cette
optique, il ne s’agit pas de simplement s’incliner, rétrospectivement, devant
les exigences de l’époque, déterminées par la situation de l’économie russe, le
changement du rapport des forces interne et externe, etc. Il faut voir que, dans
ces circonstances, la « forme parti » joue le rôle exactement opposé
à celui que lui assigne la conception classique. Dans le faisceau d’influences
de tous ordres qui déterminera tout le cours historique ultérieur, ce rôle est
décisif. Il dispose de l’énorme force matérielle de l’Etat russe, de la
puissance encore plus considérable que lui confère, aux yeux du prolétariat
mondial, le prestige de l’IC ; il démultiplie et dogmatise les décisions
d’un centre dirigeant qui, plus nettement encore à partir de ce moment-là,
n’obéit qu’à des impératifs politiques et idéologiques strictement déterminés
par un processus de reconstruction de rapports sociaux capitalistes.
Toute
critique utile de ces événements repose sur l’hypothèse de
« coupures » théoriquement possibles dans le cours de reflux du
mouvement révolutionnaire ; ruptures qu’il importe moins d’apprécier en
fonction d’une représentation rétroactive de leurs conditions de surgissement
et de formulation, que d’identifier, dans tout leur aspect caché et/ou
souterrain, comme « moments sacrifiés » au cœur du processus
historique tel qu’il s’est effectivement vérifié. Sous cet aspect, l’Opposition
ouvrière est la manifestation incohérente et auto-mystifiée d’un des ultimes
instants de résistance de toute la société russe à l’instauration des
conditions de développement du Capital dans l’aire slave.
Il
n’est donc pas inutile de souligner au passage ce que révèlent les débats du Xe
congrès : hormis ces dérisoires « oppositions » (dites
« ouvrières » ou de « centralisme démocratique ») toute
l’organisation bolchevik est disposée à suivre Lénine sans même pouvoir
discuter sérieusement, en bien ou en mal, ses positions. C’est Lénine lui-même
qui le reconnaît : « Si el congrès a si rapidement clôturé ces
débats, n’est-ce pas parce qu’on y a dit des choses incroyablement creuses, et
que les représentants de « l’ Opposition ouvrière » ont été presque
les seuls à intervenir ? »[18].
Lénine,
lui, formule une thèse « incroyablement » dense et lourde de
conséquences, qu’il lance à la tête de ses contradicteurs pour les provoquer,
littéralement, à une option devant cette seule alternative : pour ou
contre Cronstadt[19].
Il se défend d’avoir « éludé » cette dernière question, comme
Kollontaï le lui a reproché. Effectivement, c’est sur le fait Cronstadt qu’il
fonde son attaque en lançant l’accusation à laquelle il s’étonne que
l’Opposition ouvrière n’ait pas répondu : « J’affirme qu’il existe un
lien entre les idées, les mots d’ordre de cette contre-révolution petite bourgeoise
anarchiste et les mots d’ordre de l’Opposition ouvrière »[20].
L’Opposition
ouvrière ayant refusé ce terrain, où il est certain, dans le contexte du
congrès, qu’elle sera non seulement battue mais honnie et huée, Lénine l’y
porte lui-même en citant une brochure de Kollontaï dont il fait la critique. Il
conclut par cette charge d’une violence inouïe et qui à ce seul titre
mériterait de figurer dans une anthologie du vrai léninisme :
« …Vous
êtes venus au congrès du parti avec la brochure de Kollontaï, avec une brochure
portant l’inscription « Opposition ouvrière ». Lorsque vous remettiez
les dernières épreuves, vous étiez au courant des événements de Cronstadt et de
la contre-révolution petite bourgeoise qui montait. Et c’est à ce moment-là que
vous venez avec le titre « d’opposition ouvrière ». Vous ne comprenez
pas la responsabilité que vous assumez, ni comment vous violez l’unité !
Au nom de quoi ? Nous vous interrogerons, nous vous ferons passer ici un
examen (…) S’il y a quelque chose de sain (dans l’Opposition ouvrière, ndr) il
est indispensable de consacrer toutes nos forces à séparer les éléments sains
des éléments malsains » (Nous devons nous battre contre la bureaucratie)
« quiconque pourra nous y aider doit y être invité ; quiconque, sous
prétexte de nous aider, nous apporte des brochures semblables, doit être
démasqué et écarté »[21].
Les
méthodes sont inséparables des buts. Ce but, dans la perspective bolchevik de
1921, c’est un capitalisme moderne, ni « asiatique », ni
« colonial », dont la réalisation exige qu’on lâche provisoirement du
lest à la petite production et qu’on tienne serrées les rênes du prolétariat
industriel. Dans la construction théorique qui revendique tout Lénine, ce
« passage obligatoire » par le développement du Capital, justifié
d’un point de vue principiel, justifie à son tour les méthodes répressives de
Lénine au sein du parti. Or, ces méthodes mêmes constituent des symptômes qui,
à cette époque déjà, révèlent une impossibilité qui se vérifiera par la
suite : conserver intactes, sur cette base, les conditions politiques et
idéologiques indispensables au relais par la révolution européenne, de la
révolution russe essoufflée.
Pour
abattre l’Opposition ouvrière, Lénine, au Xe congrès, combine la raillerie, la
menace et le marchandage « organisationnel » : tous les traits
qu’exploitera le stalinisme dans sa tâche d’avilissement social et politique du
prolétariat mondial.
Lénine,
après avoir ménagé à l’Opposition ouvrière une petite place au Praesidium afin
de pouvoir la tourner en dérision – « à présent, ils ne seront plus à
plaider, pleurnicher ces ‘pauvres petits’, ces ‘offensés’, ces ‘exilés’ (p.205)
– adresse à ses contradicteurs cette sommation :
« …Vous
avez parlé plus que quiconque (…) Voyons à présent ce que vous nous offrez au
moment où approche un danger que vous reconnaissez vous-mêmes plus grave que
Dénikine ! Que nous offrez-vous ? Quelles critiques
faites-vous ? Cet examen doit avoir lieu à présent, et je pense qu’il sera
définitif. Cela suffit, on ne peut plus jouer ici avec le parti ! Celui
qui se présente au congrès avec une telle brochure se joue du congrès. On ne
peut mener un tel jeu en un moment pareil, où des centaines de milliers
d’éléments démoralisés détruisent, ruinent l’économie ; on ne peut se
comporter ainsi avec le parti, on ne peut agir ainsi. Il faut en prendre
conscience, il faut y mettre un terme ! » (p.205).
La
tactique de Lénine est claire : il s’agit d’enfermer l’Opposition ouvrière
dans l’impasse où le PC russe, en tant que gestionnaire et gendarme d’une économie
pour le capital, s’est lui-même cloîtré. Discuter le fait Opposition ouvrière
en fonction de son « programme », c’est se prendre, aujourd’hui
encore à ce jeu, donc se dissimuler la direction dans laquelle les bolcheviks,
et derrière eux toute l’IC, sont à cette époque-là irréversiblement engagés.
Le
« programme » de l’Opposition ouvrière ne présente aucun
intérêt ; mais c’est un cri d’alarme sur la situation du prolétariat russe
qui, dépouillé de tout, n’a même pas la possibilité qu’eût tout prolétariat aux
heures les plus sombres de son histoire : résister aux instruments les
plus immédiats de son oppression sans être combattu par « son »
parti.
Lénine,
on l’a vu, refuse le titre de « prolétaires » à ceux dont
l’Opposition ouvrière veut être le porte-parole. Pour lui, sont seuls en cause
des « éléments anarchistes », des « ouvriers sans parti ».
Il dénie donc à la force de travail salariée, sous « dictature du
prolétariat », le seul lien qui lui reste avec son être immédiat, sa
misère humaine. Il dit que les revendications de Cronstadt sont petites
bourgeoises. Elles le sont effectivement dans la forme, tandis que celles des
paysans le sont aussi dans le contenu. Lénine satisfait celles des paysans et
ne connaît que la mitraille en réponse à celle des ouvriers. Lénine extériorise
la voix du Capital contre le dernier sursaut violent du prolétariat. Malgré
tous les raisonnements les plus subtils, cette tâche demeurera indélébile dans
toute théorisation de la ligne bolchevik.
L’Opposition
ouvrière c’est l’ultime manifestation, quasi symbolique, du facteur prolétarien
subsistant dans le parti bolchevik sous la forme d’une micro-tendance
réformiste à l’égard de la bureaucratie d’Etat. Mais comme tel, ce facteur sera
expurgé du Xe congrès. « Nous avons passé pas mal de temps à discuter,
déclare Lénine, et je dois dire que, maintenant, il vaut beaucoup mieux
‘discuter avec les fusils’ qu’avec les thèses présentées par l’Opposition. Il
ne faut plus d’opposition, camarades, ce n’est pas le moment ! (…) Et je
crois que le congrès devra arriver à cette conclusion, il devra conclure que
l’opposition à présent, est finie, et bien finie ; nous en avons assez des
oppositions ! » (p.209)
L’Opposition
ouvrière ayant déclaré dans sa brochure qu’elle ne veut ni scissionner, ni
faire de concessions, même si elle est battue au congrès, Lénine répond qu’il a
l’assurance que « le congrès ne tolèrera pas cela ! ».
« Tous ceux qui veulent aider sont les bienvenus, ajoute-t-il, quant à
ceux qui disent qu’ils ne feront pas de concessions et sauveront le parti tout
en y restant, nous ripostons : oui, mais à condition qu’on vous y
laisse ! » (Applaudissements)
Et
encore : « Tout ce qu’il y a de sain et de prolétarien dans
l’Opposition ouvrière, rejoindra le parti ; les auteurs de discours
syndicalistes, les gens ‘animés de la conscience de classe’[22],
resteront dehors » (p.210).
Avant
de passer aux textes adoptés en conclusion du Xe congrès, il faut relever de
quelle façon la lutte de Lénine se fond avec l’esprit du second congrès de
l’IC. Lénine évoque la résolution adoptée par ce congrès sur le rôle du parti
communiste « et qui unit les ouvriers communistes, les partis communistes
du monde entier ». Avec cette résolution les thèses de l’Opposition
ouvrière rompent carrément, elles sont donc pour Lénine « un fruit de
l’idéologie petite bourgeoise », « du syndicalisme » (p.207).
Rejetant le reproche qui est fait aux bolcheviks de séparer le parti de la
classe ouvrière, il dit : « Nous cherchons et nous sommes heureux de
prendre tout administrateur quelque peu compétent issu de la classe ouvrière
(…) car si le parti ne fait pas confiance à la classe ouvrière, ne laisse pas
les ouvriers accéder à de hautes fonctions, à bas ce parti… » (p.214).
Ainsi
le verbe virulent de Lénine au Xe congrès du PCR traduit finalement, du point
de vue de l’idée, sinon de la rigueur de la formulation, le diagnostic de
Pannekoek après le second congrès de l’IC : l’alliance
contre-révolutionnaire de « deux
bureaucraties ouvrières », celle de l’Est et de l’Ouest. A l’intérieur,
les bolcheviks recrutent des ouvriers pour en faire des administrateurs d’un
capital encore à développer ; à l’extérieur, ils pactisent avec les partis
centristes, c'est-à-dire les pépinières d’administrateurs pour capital
surdéveloppé.
Le
Xe congrès du PCR s’achèvera sur une liquidation, radicale mais assortie de
formes, de l’Opposition ouvrière. « L’avant-projet de résolution sur
l’unité du parti » contient des à
la « démocratie » et à « l’esprit d’initiative ». le texte
souligne la nécessité de « l’unité, la cohésion, la confiance entre les
membres », mais constate l’existence d’un « certain esprit
fractionnel », « nuisible et inadmissible » parce que la
contre-révolution l’exploite, grâce aux « ennemis qui s’infiltrent dans le
parti gouvernemental » (A preuve les événements de Cronstadt :
« Les gardes blancs veulent et savent se camoufler en communistes »,
p.252-253). Pour appuyer sa décision de ne tolérer aucune organisation
fractionnelle, le document invoque l’expérience des révolutions précédentes, la
contre-révolution ayant toujours appuyé « l’opposition la plus voisine du
parti révolutionnaire extrême » (p.254). Le texte demande la dissolution
immédiate, sous peine d’exclusion, de l’Opposition ouvrière et la possibilité
pour le C.C. de procéder aux exclusions comme sanctions de l’activité
fractionnelle.
« L’avant-projet
de résolution sur la déviation syndicaliste et anarchiste dans le parti »
réclame « la lutte idéologique la plus résolue » contre cette
déviation, « l’épuration et l’assainissement du parti » (point
1) ; l’intrusion anarcho-syndicaliste étant provoquée par l’entrée dans le
parti « d’anciens mencheviks », d’ouvriers et de paysans non encore
formés au communisme et surtout l’influence de l’élément petit bourgeois
« exceptionnellement puissant en Russie »[23].
L’Opposition
ouvrière, dit l’avant-projet, est l’expression « la plus achevée et la
plus nette de cette déviation », avec sa thèse du « congrès des
producteurs » en contradiction formelle avec les enseignements du marxisme
(point 3, p.257).
Le
texte dénonce l’erreur de l’Opposition ouvrière qui, à l’appui de la thèse
ci-dessus, invoque le point 5 du programme du parti, selon lequel « les
syndicats doivent parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains toute
la direction de l’économie nationale ». Ce dernier but, selon
l’avant-projet, ne peut être atteint avant que les syndicats soviétiques
n’englobent la majorité des travailleurs. L’Opposition ouvrière, dit le texte,
en lançant le mot d’ordre immédiat « d’un ou plusieurs congrès de
producteurs », « élisant » des organismes chargés de diriger
l’économie nationale » élimine « le rôle dirigeant,
éducateur et organisateur du parti au sein des syndicats du prolétariat, et de
ce dernier dans les masses laborieuses à demi petites bourgeoises ou
franchement petites bourgeoises… ». « Au lieu de poursuivre et de
corriger le travail pratique déjà amorcé par le pouvoir des Soviets en vue de
créer de nouvelles formes d’économie, on aboutit à la destruction anarchiste
petite bourgeoise de ce travail, ce qui ne peut qu’amener le triomphe de la
contre-révolution petite bourgeoise » (point 4, p.258).
Au
point 5 de l’avant-projet, les « idées de l’Opposition ouvrière »
sont définies « expression pratique des flottements petits bourgeois et anarchistes »
qui « aident pratiquement les ennemis de classe de la révolution
prolétarienne » ; il faut donc engager contre ces idées « une
lutte idéologique, inlassable, méthodique », reconnaître « que la
propagande de ces idées est incompatible avec l’appartenance au PC
russe ».
On
doit souligner l’intérêt encore actuel des dernières phrases du point 4. Comme
Lénine, dont toute la conviction se fonde sur la possibilité d’un développement
capitaliste contrôlé par la dictature du parti bolchevik, la Gauche italienne (et de
façon encore plus accentuée le PCI) soutient cette thèse par la critique de
« programme » du type de celui de l’Opposition ouvrière. Entre ce
programme et celui des bolcheviks, il n’y a pourtant pas de différence, quant à
l’attitude globale face à la dynamique du capital. Or, c’est précisément contre
cette dynamique que se dressent, à Petrograd et à Cronstadt, des catégories
sociales aussi « disparates » que l’on veut, mais qui ressentent
profondément, par leurs souffrances et leurs humiliations, l’envol définitif
des espoirs soulevés par la révolution d’Octobre. Le « travail
pratique » des syndicats, tel que l’évoque Lénine, le « rôle
éducateur » du pouvoir soviétique auprès des masses semi petites
bourgeoises, consiste à les lier dans la discipline du Capital. C’est cela que
tait ou ignore Lénine et qu’il dissimule derrière la diatribe contre
l’Opposition ouvrière. Celle-ci, de même que tous les autres produits des
phénomènes fractionnels dans le parti russe, ne fait que transposer ce conflit
en termes d’un impossible réformisme à l’égard du pouvoir et du parti. Mais
elle représente aussi l’affirmation involontaire que, sur le plan immédiat on
ne peut composer avec le mouvement du capital tout en prétendant sauvegarder la
force révolutionnaire du prolétariat, et, sur un plan théorique général, que
tout « bout de chemin » commun est impossible entre la destruction du
capital et la contribution aux conditions de son développement.
Dans
la conclusion de la discussion sur les deux rapports du congrès (sur l’unité du
parti et sur la déviation anarcho-syndicaliste) Lénine explique que le point 7
de la résolution sur l’unité ne sera pas publié en formulant l’espoir qu’il n’y
aura pas lieu de l’appliquer. Il s’agissait de la faculté laissée au Comité
central (à la majorité des deux tiers) de procéder à l’exclusion de tout membre
du parti qui ne respecterait pas les thèses du congrès. Chliapnikov ayant fait
remarquer que le CC n’avait pas besoin de cette arme pour procéder à
l’exclusion, Lénine lui rétorque que, statutairement, le CC n’en a pas le
droit. L’ajournement de cette disposition (qui deviendra cependant effective en
1924) fait partie des « consolations » que Lénine consent à
l’Opposition ouvrière : promesse de plus large « démocratie
interne », invitation aux études théoriques, refus de la démission de
Chliapnikov du Praesidium (p.260).
Etant
revenu sur le fond de la « déviation » (c'est-à-dire la formule du
« congrès de producteurs ») Lénine évoque la nécessité de poser le
problème à l’échelle internationale : « La déviation qui nous occupe
actuellement est la même que la déviation anarchiste du PC allemand contre
laquelle la lutte s’est manifestée nettement au précédent congrès de
l’IC » (p.260).
Ainsi
se confirme la portée générale de l’offensive menée par le Xe congrès : il
s’agit d’une lutte menée également au plan international, d’une bolchevisation
du mouvement communiste, plus profonde parce qu’idéologique, que celle qui
surviendra officiellement trois ans plus tard.
O o
O
[1] Ida
Mett « La commune de Cronstadt », ed. Spartacus p.24-26. La
réorganisation de l’armée par Trotsky (chefs nommés et non élus ;
rétablissement du port de l’épaulette ; « spécialistes » venant
des anciens corps tsaristes, etc.) est naturellement pour beaucoup dans la
réaction des marins. Parler à ce propos « d’état d’esprit
anarchiste » n’apporte guère de lumière. L’action révolutionnaire
d’Octobre 17 fut, par la force des choses, confinée au terrain militaire :
lutte contre la contre-révolution blanche. En ce domaine, l’insertion de
« mesures communistes » est forcément limitée ; celles que
Trotsky, pour des raisons d’efficacité offensive de l’armée (cf. son livre
« Ma vie »), a abolies constituent le seul point tangible de cette
insertion ; donc le seul point immédiat du caractère tangible
révolutionnaire d’une guerre.
[2] Une
idée des rations alimentaires à Petrograd à cette époque : pain noir 800
grammes par ouvrier et par jour pour l’industrie à feu continu ; 600
grammes pour les troupes de choc ; 200 grammes pour les autres (I.M.
p.28).
[3]
Arrêté du 24 août, I.M. p.29-30.
[4] Ida
Mett, p.30-33.
[5] Ibid
p.37.
[6] Ida
Mett en voit la preuve dans le fait que Cronstadt n’a pas brisé la glace sur
une large étendue autour de ses forts.
[7]
L’épisode de Cronstadt reproduit des horreurs dignes du front de Verdun
« selon des témoins occulaires », des soldats se disposant à se
rendre sont abattus à la mitrailleuse par l’armée rouge avant d’arriver dans la
zone de tir » (cf. Ida Mett, p.53).
[8] Des
délégués du Xe congrès du PCR, dont Vorochilov, Piatakov, sont venus se battre
sous Cronstadt. D’autre part, le Soviet de Petrograd avait fait arrêter comme
otages des familles résidant dans cette ville et ayant des parents parmi les
soldats et marins de Cronstadt. Le 7 mars, le Comité révolutionnaire provisoire
de la forteresse réclame leur remise en liberté, affirmant qu’il refusait, lui,
à des représailles réciproques (Ida Mett p.42).
[9]
Notamment le fait que le Comité révolutionnaire provisoire déclina l’offre SR
de droite émigrée (Tchernov qui proposait « aide », sans précision, à
Cronstadt), que les anarchistes de Petrograd qui lancèrent un appel au Comité
de défense (bolchevik) de cette ville, l’invitant « à résoudre le différent
par vois pacifique », etc.
[10] Ce
fut le cas des anarchistes italiens.
[11]
Expression de Bordiga.
[12]
Œuvres, Tome 32, éditions sociales, Paris 1962.
[13] Ibid
p.177-181.
[14] Ibid
p.184. la discussion sur les syndicats opposait Lénine à Trotsky (et dans une moindre
mesure à Boukharine) quant aux modalités permettant à ces organismes de remplir
leur rôle dans « l’édification économique » (L’opinion de Lénine
figure dans divers textes qui occupent le premier tiers des œuvres, tome 32).
Trotsky envisageait de « secouer », « activer » l’appareil
syndical bolchevik afin qu’il participe plus efficacement à l’effort
productif ; Lénine craignait qu’il n’en résulte une rupture entre le PC et
la classe ouvrière. Au travers des rivalités, souvent âpres, entre instances bureaucratiques
de l’ »appareil », il est malaisé de définir les contours du débat.
Il apparaît toutefois que la position de Trotsky avait le tort, aux yeux de
Lénine, d’être par trop cohérente par rapport à l’objectif productiviste
assigné aux[14] Œuvres, Tome 32, éditions
sociales, Paris 1962.
syndicats russes, donc dangereuse pour le
mythe du « prolétariat au pouvoir » à travers « son »
parti, « son » Etat. Par l’allusion aux « problèmes » que
les « conditions objectives » ne permettaient pas de poser, il semble
bien que Lénine établisse une liaison entre la conception de Trotsky et celle
de « l’Opposition ouvrière » grâce à leur base idéologique commune
(et bien qu’ils poursuivent un but tout opposé) ; la promotion à la tête
de l’économie, d’organismes de « producteurs ». Ce serait alors une
bonne illustration de la casuistique léniniste qui ferait abstraction du fait
que, dans l’acception de Trotsky, ces organismes ont pour but d’intensifier
l’effort productif, donc l’oppression de la force de travail, tandis que dans
l’acception « Opposition ouvrière », il s’agit d’un moyen –
d’ailleurs illusoire – de réduire cette oppression.
[15]
Ouvrage cité, souligné par nous.
[16]
Ibid, souligné par nous, p.191.
[17]
Ibid, souligné par nous, p.185.
[18]
Ibid, p.200, souligné par nous.
[19]
Radek jouera le même jeu contre Goter au troisième congrès de l’IC, voir plus
loin.
[20]
p.202, souligné par nous.
[21]
P.204.
[22]
Expression piquée dans la brochure de Kollontaï et revendiquée par les membres
de l’Opposition ouvrière.
[23]
Lénine ne paraît pas troublé par le fait qu’il assimile plus loin cette
déviation à celle du KAPD en Allemagne, pays où « l’élément
dominant » est loin d’être « petit bourgeois ».
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