Graffitis à Montparnasse lors de la manif du 14 juin à Paris |
"Il a souvent été suggéré que le "mythe" de la Commune est plus important que sa réalité.
Robert Tombs
Conseils de lecture immédiate: en 2011 je vous avais conseillé la lecture de l'histoire de la Commune par William Serman, pour sa capacité à outrepasser les pieuses versions néo-staliniennes du milieu maximaliste (qui aime ronronner une histoire mythique), je renouvelle ce conseil pour l'excellent "Paris, Bivouac des révolutions", par Robert Tombs (ed Libertalia, 2016). Encore un bon dépoussiérage des âneries ou mensonges sur l'histoire réelle de la Commune. Pour ceux qui n'auraient pas lu mon article du 9 septembre 2011, ils peuvent le retrouver en tapant de titre dans la recherche: "Les inutiles commémorations du massacre de la Commune de 1971". Ce qui est critiqué ici, via les graffitis d'ignorants qui célèbrent la dernière révolution du XIXe siècle, plus révolution petite bourgeoise d'artisans, et qui contient finalement peu de leçons pour une révolution moderne, c'est la version aberrante d'un historienne culturelle Kristin Ross, qui ne dépare pas des pires interprétations staliniennes ni de l'imagination du bobo parisien moyen.
EXTRAITS:
- "...il est clair que les communards constituaient "le peuple" plutôt que "le prolétariat"
- "en 1871une participation sans précédent à la direction politique revint aux travailleurs manuels qualifiés et aux travailleurs en col blanc, alors que les politiciens établis et la classe moyenne commerçante se tenaient en grande partie à distance, plutôt que d'essayer comme dans les révolutions passées, d'en prendre la direction".
- "... bien que Marx ait défendu et fait l'éloge de la Commune et que, bien sûr, il ait attaqué vigoureusement ses ennemis, il n'a jamais entreprise une réhabilitation ni de ses participants ni de leurs idées. Il critiqua leurs erreurs stratégiques et laissa entendre que leurs idées avaient finalement échoué. Pour lui, l'épopée de Paris, ville révolutionnaire et des communards, s'achevant par "son propre, son héroïque holocauste" était terminée".
- "Le déclin du marxisme comme force intellectuelle ainsi que celui du parti communiste au sein des universités a aidé la génération d'historiens "républicains" à placer l'étude de la Commune sur un terrain académique (...) avec une vision libertaire (Lefebvre et les situs) (et) les tendances culturelles des années 1960 qui présentaient la Commune comme une "fête" par laquelle les participants ne visaient pas seulement à changer les gouvernements mais à "changer la vie".
- Jacques Rougerie a défait "le mythe marxiste" de la Commune: "Loin de s'engager dans un nouveau type de lutte prolétarienne, ses participants étaient surtout des artisans dont les idées politiques et sociales étaient influencées par le passé. En outre, les questions sociales étaient une préoccupation venant en second... il se référait spécifiquement à la fin de la geste du XIXe siècle et laissait ouverte la possibilité que le conflit se poursuive sous d'autres formes au XXe siècle: "Crépuscule surtout! Aurore, peut-être!".
- "la Commune a été critiquée par certains de ses propres propres membres et de la base de ses partisans pour avoir fonctionné en pratique beaucoup trop comme un gouvernement ordinaire", "la Commune se proposait de mettre fin à l'exploitation mais respectait la propriété privée".
- "une part cruciale de la mystique plus tard de la Commune réside dans la pureté virginale de cet utopisme qui n'a pas été mis en oeuvre".
Versailles est une ville qui pue la mort depuis 1871. Ville de bourgeois repus dans leurs villas cossues, elle suinte l'ennui, juste retour des choses après l'extermination et la déportation de milliers de communards. Loin du camp de Satory, visité en car Macron pieusement par les vieux staliniens des Amis de la Commune, un regard critique sur la Commune de Paris est dérangeant pour la plupart des militants gauchistes et chez leurs inférieurs anars ; les « Vive la Commune » font encore révolutionnaire tagés sur les murs parisiens. Pas d'inquiétude à avoir avec l'universitaire américaine Kristin Ross, dont l'imagination bobo se charge de véhiculer tous les poncifs de la « sainte Commune ». Lors de la promotion de son bouquin en France, elle eût l'outrecuidance de plaider l'hagiographie d'une guerre civile meurtrière dont les ouvriers artisans furent les principales victimes : « Je ne voulais pas faire une recension des erreurs des communards. J'ai voulu travailler sur les livres des communards eux-mêmes, ce qui n'a rien à voir avec la pureté doctrinaire. La Commune s'est libéré du socialisme d'Etat et de la fiction républicaine 1(…) il s'agit d'un imaginaire non national, indifférent à la nation comme l'a dit Courbet. La Commune n'a pas été inspiratrice d'une couche moyenne ». Si ! justement elle a été l'inspiratrice d'une petite bourgeoisie artisanale, et des inventions comme celle de l'universitaire américaine ne pouvaient que convenir au petit marché culturel des ticons-Tiqqun, nos insurrectionnalistes en bonnet de nuit. L'anarchisme et l'extrême gauche de la bourgeoisie nous ont habitué à une certaine présentation politiquement correcte et manichéenne de la révolution parisienne de 1871, si sanglante où la réaction bourgeoise n'a pas hésité à exterminer la masse des ouvriers artisans parisiens, causant des dégâts en zone urbaine comparables à ceux des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est pas en aspergeant le souvenir de l'événement bref et atroce d'eau bénite ou en l'honorant de tags flatteurs qu'on pourra sérieusement reposer le problème de la révolution sans frontières et l'abolition du capitalisme.
Robert Tombs
Conseils de lecture immédiate: en 2011 je vous avais conseillé la lecture de l'histoire de la Commune par William Serman, pour sa capacité à outrepasser les pieuses versions néo-staliniennes du milieu maximaliste (qui aime ronronner une histoire mythique), je renouvelle ce conseil pour l'excellent "Paris, Bivouac des révolutions", par Robert Tombs (ed Libertalia, 2016). Encore un bon dépoussiérage des âneries ou mensonges sur l'histoire réelle de la Commune. Pour ceux qui n'auraient pas lu mon article du 9 septembre 2011, ils peuvent le retrouver en tapant de titre dans la recherche: "Les inutiles commémorations du massacre de la Commune de 1971". Ce qui est critiqué ici, via les graffitis d'ignorants qui célèbrent la dernière révolution du XIXe siècle, plus révolution petite bourgeoise d'artisans, et qui contient finalement peu de leçons pour une révolution moderne, c'est la version aberrante d'un historienne culturelle Kristin Ross, qui ne dépare pas des pires interprétations staliniennes ni de l'imagination du bobo parisien moyen.
EXTRAITS:
- "...il est clair que les communards constituaient "le peuple" plutôt que "le prolétariat"
- "en 1871une participation sans précédent à la direction politique revint aux travailleurs manuels qualifiés et aux travailleurs en col blanc, alors que les politiciens établis et la classe moyenne commerçante se tenaient en grande partie à distance, plutôt que d'essayer comme dans les révolutions passées, d'en prendre la direction".
- "... bien que Marx ait défendu et fait l'éloge de la Commune et que, bien sûr, il ait attaqué vigoureusement ses ennemis, il n'a jamais entreprise une réhabilitation ni de ses participants ni de leurs idées. Il critiqua leurs erreurs stratégiques et laissa entendre que leurs idées avaient finalement échoué. Pour lui, l'épopée de Paris, ville révolutionnaire et des communards, s'achevant par "son propre, son héroïque holocauste" était terminée".
- "Le déclin du marxisme comme force intellectuelle ainsi que celui du parti communiste au sein des universités a aidé la génération d'historiens "républicains" à placer l'étude de la Commune sur un terrain académique (...) avec une vision libertaire (Lefebvre et les situs) (et) les tendances culturelles des années 1960 qui présentaient la Commune comme une "fête" par laquelle les participants ne visaient pas seulement à changer les gouvernements mais à "changer la vie".
- Jacques Rougerie a défait "le mythe marxiste" de la Commune: "Loin de s'engager dans un nouveau type de lutte prolétarienne, ses participants étaient surtout des artisans dont les idées politiques et sociales étaient influencées par le passé. En outre, les questions sociales étaient une préoccupation venant en second... il se référait spécifiquement à la fin de la geste du XIXe siècle et laissait ouverte la possibilité que le conflit se poursuive sous d'autres formes au XXe siècle: "Crépuscule surtout! Aurore, peut-être!".
- "la Commune a été critiquée par certains de ses propres propres membres et de la base de ses partisans pour avoir fonctionné en pratique beaucoup trop comme un gouvernement ordinaire", "la Commune se proposait de mettre fin à l'exploitation mais respectait la propriété privée".
- "une part cruciale de la mystique plus tard de la Commune réside dans la pureté virginale de cet utopisme qui n'a pas été mis en oeuvre".
Versailles est une ville qui pue la mort depuis 1871. Ville de bourgeois repus dans leurs villas cossues, elle suinte l'ennui, juste retour des choses après l'extermination et la déportation de milliers de communards. Loin du camp de Satory, visité en car Macron pieusement par les vieux staliniens des Amis de la Commune, un regard critique sur la Commune de Paris est dérangeant pour la plupart des militants gauchistes et chez leurs inférieurs anars ; les « Vive la Commune » font encore révolutionnaire tagés sur les murs parisiens. Pas d'inquiétude à avoir avec l'universitaire américaine Kristin Ross, dont l'imagination bobo se charge de véhiculer tous les poncifs de la « sainte Commune ». Lors de la promotion de son bouquin en France, elle eût l'outrecuidance de plaider l'hagiographie d'une guerre civile meurtrière dont les ouvriers artisans furent les principales victimes : « Je ne voulais pas faire une recension des erreurs des communards. J'ai voulu travailler sur les livres des communards eux-mêmes, ce qui n'a rien à voir avec la pureté doctrinaire. La Commune s'est libéré du socialisme d'Etat et de la fiction républicaine 1(…) il s'agit d'un imaginaire non national, indifférent à la nation comme l'a dit Courbet. La Commune n'a pas été inspiratrice d'une couche moyenne ». Si ! justement elle a été l'inspiratrice d'une petite bourgeoisie artisanale, et des inventions comme celle de l'universitaire américaine ne pouvaient que convenir au petit marché culturel des ticons-Tiqqun, nos insurrectionnalistes en bonnet de nuit. L'anarchisme et l'extrême gauche de la bourgeoisie nous ont habitué à une certaine présentation politiquement correcte et manichéenne de la révolution parisienne de 1871, si sanglante où la réaction bourgeoise n'a pas hésité à exterminer la masse des ouvriers artisans parisiens, causant des dégâts en zone urbaine comparables à ceux des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est pas en aspergeant le souvenir de l'événement bref et atroce d'eau bénite ou en l'honorant de tags flatteurs qu'on pourra sérieusement reposer le problème de la révolution sans frontières et l'abolition du capitalisme.
La Commune de
paris, fantasmée est idéalisée comme 1789, devenue mythe
fondateur du bolchevisme où l'insurrection doit d'abord certes
renverser l'Etat bourgeois avec le risque d'en recréer un autre du
même type, puis sorte de Lourdes ou Fatima stalinien, est lieu saint
imaginaire de toutes les gauches électorales ou anarchistes. Elle
resterait l'évènement historique idéal pour l'« imaginaire »
insurrectionnaliste de tout militant de gauche si l'on suit Kritin
Ross aux éditions du caténaire La Fabrique-Hachette :
« L'imaginaire de la Commune » (janvier 2015).
1Mlle
Ross n'est pas à une contradiction près, antérieurement dans un
article du Monde Diplo, voici ce qu'elle écrivait : « Un
imaginaire républicain ouvert sur le monde » (l'imaginaire
républicain peut donc cotoyer ou se confondre avec l'imaginaire
nanarcommunisant hors sol!) L’internationalisme
au temps de la Commune
De nombreux historiens ont analysé la Commune de
Paris comme un soulèvement patriotique trouvant son origine
immédiate dans la confiscation des canons de la Garde nationale en
mars 1871. Mais les fondements intellectuels de cette
insurrection semblent plus anciens : dès 1868, dans les clubs
politiques et les réunions populaires de la capitale, des citoyens
en appellent à la « République universelle ».
En voici le résumé
éditorial : « William Morris, Élisée
Reclus, Pierre Kropotkine : ce ne sont pas les premiers noms qui
viennent à l’esprit s’agissant de la Commune de Paris. S’ils
tiennent dans ce livre un rôle important, c’est que pour Kristin
Ross, la Commune déborde l’espace-temps qui lui est habituellement
attribué, les 72 jours écoulés et les fortifications sur
lesquelles elle a combattu. L’Imaginaire signifie que cet événement
révolutionnaire n’est pas seulement international mais qu’il
s’étend bien au-delà du domaine de la politique, vers l’art, la
littérature, l’éducation, la relation au travail. Ce n’est pas
un hasard si les trois personnages principaux du livre sont un
poète-artiste, un géographe et un scientifique-anarchiste russe :
la Commune n’est pas un simple épisode de la grande fable
républicaine, c’est un monde nouveau qui s’invente pendant ces
brèves semaines, un monde qui n’a pas fini de hanter les uns et
d’inspirer les autres ». Ils auraient pu ajouter surtout « la
grande fable stalinienne et anarchiste », mais c'est parce que
l'universitaire Kritin Ross reprend cette dernière au fond avec une
mentalité d'épicière propre à séduire Nuit debout. Cet ouvrage
est d'autant plus décevant que l'auteure s'était fait connaître
par « Mai 68 et ses vies ultérieures » qui n'était que
la reprise de ma thèse (c. « Mai 68 et la question de la
révolution », Pierre Hempel 1988) selon laquelle mai 68 n'a
pas été le fait des gens célèbres mais des anonymes comme pour la
Commune de 1871 ; cette thèse n'était pas spécialement la
mienne mais celle de tout le milieu maximaliste, mais cela faisait
plus neutre de citer Hempel que le CCI par exemple. Une autre
universitaire, allemande, est venu me consulter pour sa thèse, mais
ce n'était qu'un âne, elle resta persuadée que c'était les
maoïstes qui avaient « fait » mai 68 ; je lui ai
conseillé de voir le film sado-maso de cet idiot de Godard qui, par
devers lui, se moque du maoïsme et n'a toujours pas compris pourquoi
l'ambassade de Chine lui a mis on pied au cul lorsqu'il a été leur
présenter son film comique !
SORTIR LA COMMUNE DE L'IMAGINAIRE PIEUX ET BOUTIQUIER
On pourrait également discuter si ce fut
véritablement une guerre civile révolutionnaire, et commenter les
erreurs des hagiographes et des opportunistes. La conscience de
classe n’est pas toujours évidente dans le discours de la Commune.
L’ennemi est moins le patronat ou le capitalisme que "Monsieur
Vautour", c’est-à-dire le propriétaire, le curé, les "
riches ", les " gros ",
les accapareurs, les sergents de ville.
Kritin Ross imagine donc que le récit communard est
délivré des « structures narratives écrasantes »
stalinienne en républicaine. A voir, mais elle se propose d'inventer
une structure narrative anarchiste oecuménique, qui ne fait que
reprendre les pires billevesées sur « l'expérience »
enjolivée de la Commune. Avec un langage et des concepts
universitaires elle veut nous entraîner dans une nouvelle féérie
communarde joyeusement utopique et mêlant toutes les classes. Le
plus révisionniste est bien sûr son interprétation des grands
penseurs Marx, William Morris et Elysée Reclus faisant un retour
magistral à la campagne et pères spirituels de Nicolas Hulot.
Dans le chapitre « luxe communal » on
est ébahi des critères inventés par l'universitaire hors sol :
« Expérience vécue d' « égalité en action », la
Commune fut avant tout un ensemble d'actes de démantèlement de la
bureaucratie étatique par des hommes et des femmes ordinaires.
Beaucoup de ces actes visaient naturellement cet élément central de
la bureaucratie que sont les écoles » ; « on
retrouve ce souci d'un développement harmonieux et la revendication
d'un droit à la vie intellectuelle dans beaucoup de documents de
l'Internationale ». La formulation utilisée prête au
fou-rire, comme l'utilisation de formules de Marx pas très heureuse
(« la plus grande réussite de la Commune fut sa propre
existence en acte »). On est pas obligé de prendre au sérieux
les pires tautologies de Marx ni les analyses artistiques de la dame.
Elle se félicite qu'une bonne partie des membres de la section
parisienne étaient des ouvriers de l'artisanat d'art, quoique
quelqu'un ait dit que la Commune fut « une révolution de
cordonniers ».
On sait que le pôle nord aimante, on savait moins
que Morris et Reclus y avaient trouvé leur inspiration écologique
et libertaire. Quant à Marx, Ross assure qu'il était mieux informé
qu'eux sur le déroulement de la Commune, ce dont je doute fort. Ross
est complaisante avec l'ex-élève d'Althusser, Rancière qui affiche
le même langage ampoulé pour parler de la sainte Commune :
« redistribution du sensible » !? Elle ne rappelle
que très brièvement que Marx s'était montré très critique au
début de l'insurrection... sans préciser qu'il soutenait
l'Allemagne ! (j'y reviens plus loin); à Londres il écartait les réfugiés communards comme des "mendiants".
Elle fabule sur la rectification de l'introduction
au Manifeste en 1872, Marx et Engels n'ont pas pris une distance avec
« la centralisation étatique », ils ont dit qu'il
fallait temporairement un autre Etat. Autre mensonge : la
Commune aurait peu à peu démantelé les bases bureaucratiques de
l'Etat. C'est faux, les petits fonctionnaires pullulaient encore
comme l'a constaté Reclus, mieux au fait que Marx depuis Londres.
L'armée avait été supprimée et recomposée à partir de gardes
nationaux (policiers) qui prirent le nom de fédérés et prolétaires
de Paris non formés à la guerre. La Commune n'a donc pas remplacé
l'armée.La hiérarchie des salaires n'avait pas été supprimée non
plus malgré les contes à dormir debout des exégètes surtout
anarchistes et staliniens.
Autre formule hilarante : « Marx découvre
un nouveau monde cognitif », après le monde du silence des
tombes ou du commandant Cousteau, voici le « nouveau monde
cognitif ». Dans la dernière partie de sa vie, nouveau plouc
cognitif, l'intérêt de Marx se porte sur « le communalisme
rural primitif », se passionne pour les sociétés rurales
russes qu'il voit « au filtre de l'insurrection parisienne ».
N'importe quoi ! Et pourquoi pas au filtre des mathématiques ?
Plus drôle, précurseurs de Gramsci, les Marx et Reclus pouvaient
voir les « noyaux dialectiques » en vue prédisposée à
l'alliance « entre les travailleurs agricoles et industriels ».
Le problème de la répression de la Commune aurait résidé dans
l'oubli de gagner le soutien des paysans : « Il suffisait
certainement d'avoir assisté à la fin de la Commune de Paris
pendant la Semaine sanglante pour être convaincu de la nécessité
de penser le rapport entre la ville et la campagne » ! Et
de mélanger héritage de la colonisation, liaison restreinte en
ballon (pas syndical), sous « le mur des mensonges »
(Marx). Avec une légèreté ahistorique et néo-maoïste toute
universitaire, elle nous fournit ce qui eût être la solution :
« Pour faire tomber le mur, il aurait fallu un cours intensif
d'éducation politique à la Gramsci qui, bien entendu n'eût jamais
lieu » (p.106). Voici donc un Marx recyclé gramsciste et
gauchiste tiersmondiste : « A partir de la Commune de
Paris, l'oeuvre de Marx témoigne d'un intérêt nouveau pour la
paysannerie » ! Mieux encore : « Pour Marx, la
Commune de Paris donna lieu à un apprentissage pratique du
développement des rapports entre la ville et la campagne
française ». Une hérésie du point de vue du marxisme alors
que Marx s'est toujours attaché à miser sur le développement du
prolétariat et pas des « sacs de pommes de terre » !
Mais l'invention imaginaire a tout pour plaire au patron des
caténaires' boy Hazan.
On pourrait dresser la liste hilarante discontinue
des trouvailles invraisemblables de la dame, allez une dernière pour
la route : « la dialectique du vécu et du conçu ».
Que nombre des anciens de la Commune se reconvertissent dans le petit
commerce n'interpelle jamais l'universitaire tout à son souci du
côté artistique de la brève expérience communarde, évitant de
rappeler les sévères critiques et de Marx et de Reclus. Elle nous
rejoue le Marx anarchiste voulant sans doute réconcilier Coupat et
Besancenot, Proudhon et Lénine : « Ce que l'utopie
administrée par l'Etat de Bellamy et l'utopie des anarchistes
collectivistes avaient en commun, c'était la conviction qu'un
contrôle centralisé des ressources et de la distribution des biens
de consommation était nécessaire » (p.131). Encore du
n'importe quoi, les anarchistes n'ont tiré aucune leçon de la
Commune et surtout pas remis en cause leur conception de
l'autogestion plouc. Héritière du petit Rubel elle se sent des
ailes de disciple moderniste : « Marx, qui disait parfois
que lui-même n'était « pas marxiste », n'a jamais été
aussi anarchisant ou communaliste, comme beaucoup (?) l'ont remarqué,
que lorsqu'il écrivait sur la Commune » (p.133).
Elysée Reclus fût certes un extraordinaire savant
et militant, mais sa conception du communisme anarchiste, avec ses
trois piliers : la commune, le syndicat et l'association comme
piliers de la société libérée, prête à sourire. Contrairement à
ce que lui fait dire Ross, pour Reclus c'est la ville qui est
historiquement un lieu de liberté. Il ne s'emballe pas non plus
comme Kropotkine pour l'exemplarité communarde, d'autant qu'il y
était présent lui comme simple garde. Vingt ans après la Commune
Reclus se montre très sceptique devant l'idéologie anarchiste,
voire hostile, vis à vis des tentatives individualistes et
volontaristes visant à constituer des micro-sociétés anarchistes,
des « milieux libres ». Cette position contredit toutes
les affabulations de Ross avec sa théorie campagnarde. Les
communautés anarchistes d'époque étaient fondées à la campagne
et véhiculaient par conséquent une
idéologie anti-urbaine. Reclus contribue d'ailleurs sur le sujet dans la revue de Jean Grave - « Temps nouveaux » (1895-1914) – où il rejette toute tentative de se situer en marge pour privilégier l'action dans la société réelle : « En un mot, les anarchistes se créeront des Icaries en dehors du monde bourgeois ? Je ne le pense ni le désire (…) Dans notre plan d'existence et de lutte, ce n'est pas la petite chapelle des compagnons qui nous intéressent, c'est le monde entier ». Pierre Kropotkine porta un jugement tout aussi sévère sur l'impasse de ces « communes volontaires » et c'est la position adoptée par le congrès anarchiste de Londres en 1896 où sont présents Reclus et Kropotkine.
idéologie anti-urbaine. Reclus contribue d'ailleurs sur le sujet dans la revue de Jean Grave - « Temps nouveaux » (1895-1914) – où il rejette toute tentative de se situer en marge pour privilégier l'action dans la société réelle : « En un mot, les anarchistes se créeront des Icaries en dehors du monde bourgeois ? Je ne le pense ni le désire (…) Dans notre plan d'existence et de lutte, ce n'est pas la petite chapelle des compagnons qui nous intéressent, c'est le monde entier ». Pierre Kropotkine porta un jugement tout aussi sévère sur l'impasse de ces « communes volontaires » et c'est la position adoptée par le congrès anarchiste de Londres en 1896 où sont présents Reclus et Kropotkine.
Ross connait cette prise de position mais tente d'en
noyer le sens en s'étalant sur les hésitations de Reclus, voire ses
propres tentatives communautaires, mais mal lui en prend, elle est
obligée de noter la conclusion imparable du géographe
révolutionnaire : « on avait eu le ferme vouloir de
transformer le monde, et tout bonnement on se transforme en simple
épicier ». Elle est incapable d'analyser une réflexion de
Reclus, provenant de son vécu pendant la Commune : « Il
n'est pas de fonctionnaire de village qui ne se prenne pour un petit
empereur ». Et pour raccrocher quand même Reclus à sa théorie
gramsciste tiers-mondiste elle nous ressort le fameux texte de Reclus
« à mon frère paysan », quand à notre époque le
paysan classique a disparu dans les principaux pays développés et
qu'ailleurs il est remplacé par le chômeur massif.
L'écrit tape à l'oeil, artistique et trafiqué de
Kristin Ross ne doit pas effacer les nécessaires critiques du camp
révolutionnaire maximaliste à une expérience, certes riche
théoriquement, mais qui a pris un coup de vieux face aux exigences
d'une révolution moderne, et qui, tout en respectant nos morts, ne
doivent pas zigouiller une énième fois cette expérience en la
réduisant à un culte religieux, à l'aide de quelques graffitis
anarchistes creux.
LA
REVOLUTION EST-ELLE TERRORISTE ?
La
violence des émeutes du XIXème siècle/Terrorisme des Communards ou
de la populace ?/Adresse ou maladresse de l’Internationale ?/Un
soulèvement inattendu/Du Paris armé au parti armé ?/Passions
mauvaises et querelles/Un Etat petit bourgeois/Les conséquences
réformistes de l’échec de la Commune/Les lois anti-socialistes en
Allemagne/La belle époque du syndicalisme révolutionnaire/La
paysannerie n’est pas révolutionnaire.
La
tragique expérience de la Commune de 1871 ne scinde pas son souvenir
au XXIème siècle entre des partisans pieux et des bourgeois
haineux. Etudier cette révolution est complexe. La réaction d’un
Gobineau à l’époque l’appréciation ne pouvait être d’une
pièce. L’écrivain réactionnaire est marqué par le
désenchantement et l’amertume, effrayé par les Communards et
écoeuré par les Versaillais. Les exagérations zoologiques,
racistes, triviales et pathologiques de l’intelligentsia ne sont
pas infondées, elles reflètent la terrible trouille de la
bourgeoisie face à un monde de forces obscures, démoniaques, qui
prétendent lui succéder en la dépouillant de tous ses oripeaux
d’accapareuse et de prostituée sadique. Les critiques de la
Commune nous intéressent mais surtout de la part de ceux qui se sont
situés à ses côtés. Les laudateurs beaucoup moins. Les historiens
staliniens communient dans la religiosité anarchiste sur la
Commune : « Ils
reproduisent inlassablement , comme vérités révélées une fois
pour toutes, les affirmations erronées de Marx-Engels-Lénine sur
l’égalité entre le traitement maximum des traitements des
fonctionnaires communalistes et un salaire ouvrier ou sur la création
par la Commune d’un Etat de type nouveau, annonciateur de l’Etat
soviétique, Etat prolétarien sans doute, mais qui s’avère au XXe
siècle l’antithèse dictatoriale et totalitaire de la République
démocratique et sociale souhaitée par les communards ».
Dans
la longue période de deuil de la Commune qui fût surtout terreur
étatique pour les prisonniers et déportés et oppression sociale
pour les prolétaires, chacun resta prostré dans son coin. Ni les
anarchistes, ni les partisans de Marx, ni le fourbe Kautsky, ni le
brouillon Sorel n’ont abordé la question qui fâche : peut-on
changer la société face à la violence illimitée de la bourgeoisie
par une guerre de position de deux armées se faisant face? La
violence n’est pas révolutionnaire en soi, et la violence
révolutionnaire n’est plus ce qu’elle était ou ne sera plus
possible à l’avenir comme violence terroriste. Les religieux
anarchistes sont les rois de la conservation des images pieuses du
passé comme leurs confrères staliniens, ils refusent de s’associer
aux critiques posthumes de la Commune. Ils perpétuent bien plus que
Marx les plus grosses contre-vérités colportées sur cette
révolution vaincue. Les anarchistes ont l’art de ne pas tirer les
leçons des échecs et réformistes au quotidien ils savent exalter
la barricade et le fusil, avec la plus innocente des inconséquences.
Dans
sa fameuse introduction contestée aux luttes de classe en France,
Engels écrit : « Après
la guerre de 1870-1871, Bonaparte disparaît de la scène, et la
mission de Bismarck est terminée, de sorte qu'il peut de nouveau
redescendre au rang de vulgaire hobereau. Mais c'est la Commune de
Paris qui constitue la fin de cette période. Une tentative sournoise
de Thiers pour voler ses canons à la garde nationale de Paris,
provoqua une insurrection victorieuse. Il s'avéra de nouveau qu'à
Paris il n'y a plus d'autre révolution possible qu'une révolution
prolétarienne. Après la victoire, le pouvoir échut tout à fait de
lui-même, de façon absolument indiscutée à la classe ouvrière.
Et on put voir une fois de plus combien à ce moment-là, ce pouvoir
de la classe ouvrière était encore impossible vingt ans après
l'époque que nous décrivons ici. D'une part, la France fit faux
bond à Paris, le regardant perdre son sang sous les balles de
Mac-Mahon, d'autre part, la Commune se consuma dans la querelle
stérile des deux partis qui la divisaient, les blanquistes
(majorité) et les proudhoniens (minorité), tous deux ne sachant ce
qu'il y avait à faire. Le cadeau de la victoire en 1871 ne porta pas
plus de fruits que le coup de main en 1848 ».
Le résumé d’Engels est simpliste et peut convenir aux spectateurs
nostalgiques anarchistes et stalinistes.
LA
VIOLENCE DES EMEUTES DU XIXe SIECLE
La
violence, liée à une faible industrialisation dans les pays à
dominante agraire, s’explique-t-elle par les dérapages dans Paris
assiégé ? Un fait divers contemporain peu avant la Commune
illustre un racisme de classe, disons un rejet, et une propension à
une violence impulsive d’un autre âge. Ce fait divers du 16 août
1870 sera connu comme « village des cannibales ». Dans le
petit village de Hautefaye en Dordogne se déroule un drame en cette
fin du 19ème siècle : le meurtre, ou plutôt le supplice pendant
deux longues heures d’un jeune aristocrate, Alain de Monéys,
pourtant connu pour sa générosité. Supplicié sans raison car
noble, accusé à tort d’être un républicain et un prussien, il
est brûlé, peut-être vif, après avoir été roué de coups par
une foule déchaînée. Des centaines de personnes sont témoins du
massacre ; seuls les amis de la victime tenteront de s’interposer.
Ce drame révèle la persistance dans la société française d’une
vieille barbarie rurale. Il révèle la faible conscience politique
républicaine et nationale dans les villages éloignés. La politique
républicaine s’exprime dans les zones urbaines. Les élus
républicains se soucient peu de la campagne où ils sont
régulièrement battus par des monarchistes, en Dordogne justement.
Le meurtre à Hautefaye sera exploité par les républicains comme le
symbole de l’Empire, permettant d’associer ce régime à la
barbarie du drame. La « populace paysanne » incarne le mal pour les
républicains bourgeois, au même titre que la « tourbe des
faubourgs », les ouvriers, incarnent la primitivité pour les
conservateurs. La République apparaît jusqu’au bout comme
l’ennemi le plus résolu de leur souverain, la fidélité à
l’Empereur subsiste, malgré la chute du régime. Ce fait divers
est le reflet de la mentalité rurale encore dominante en France, où
souvent avant même d’aller se prolétariser à la ville, le jeune
paysan fait un long séjour à l’armée. Le sadisme dont feront
preuve les troupes versaillaises n’est pas étranger à ce contexte
rural dominant, malgré le mensonge pervers du « républicain »
Thiers qui assurait nepas vouloir qu’on confonde son action
répressive avec la barbarie féodale et religieuse.
Tous
les renégats qui ont quitté le terrain de la classe et de la guerre
sociale pour se porter sur celui de la guerre entre les armées des
Etats et des nations cherchent leur justification historique dans les
traditions françaises de 1792-93; or c'est précisément contre ces
traditions que Marx mettait le prolétariat parisien en garde, dans
un passage que Lénine rappela en 1915 et qui est une critique de
la Commune: «L'engouement
d'une partie des ouvriers parisiens pour 1' «idéologie nationale»
(la tradition de 1792) attestait de leur part une défaillance
petite-bourgeoise, que Marx avait signalée en son temps et qui fut
une des causes de l'échec de la Commune».
La
Commune de Paris, vantée par tant d’acteurs de cette révolution,
n’en déplaise à Engels et à Lénine, n’est plus exemplaire. Si
je l’écris au XXIe siècle, je ne cache toujours pas que j’aurais
combattu jusqu’au bout avec les Fédérés si j’avais été de
leur temps. Le soulèvement était aussi inattendu qu’il aurait pu
tout aussi bien ne pas se produire. C’est autre chose d’assurer
qu’on peut imiter ou reproduire un tel événement en assurant
qu’après la grève générale fantasmatique on appellera à
« l’insurrection » communarde aussi fantasmatique.
L’appel à la « guerre civile » est le credo de tous les apôtres
inconscients de la « guerre révolutionnaire ». Nulle concession au
pacifisme ici car il faut s’interroger sur pourquoi les révolutions
n’ont jamais vaincu une fois plongées dans des guerres civiles.
Pourquoi dès que la « guerre civile » pointe son nez la révolution
est-elle perdue ? (cf. Commune de 1871, Russie 1918, Espagne
1936). Cela n’excuse en rien la bourgeoisie qui, comme le montre
le livre de Lecaillon, n’hésite pas à massacrer sans vergogne. La
question qui continue à être posée est que la révolution ne doit
pas faciliter la tâche sanglante de la bourgeoisie, qu’elle doit
disposer d’orientations politiques qui lui évite de commettre elle
aussi des atrocités. Qui peut décréter qu’une révolution
moderne ne peut gagner autrement que par les armes face à la
faillite du capitalisme et à ses horreurs ? La Commune, n’est
pas une sainte Bible montmartroise pour anarchiste romantique ou
marxiste bègue, ramenée à ses justes proportions elle ne doit pas
être oubliée parce que trop lointaine, dans son chaos dégoulinant
d’hémoglobine. Elle reste un événement moderne qui montre trois
claires leçons :
1.
la tentative du prolétariat (aussi diffus dans la population
qu’aujourd’hui dans cette grande ville petite bourgeoise) de
changer et contrôler le pouvoir, sans être encore constitué et
mature pour l’exercer ;
2.
la quasi inutilité de penser que la révolution pourrait l’emporter
sous forme de « guerre (de tranchée) révolutionnaire ». A ce
compte la Commune ressemble plus à Verdun 1916 qu’à Petrograd
1917 ;
3.
la capacité de déchaînement automatique de la pire des barbaries
de la part de la bourgeoisie si la confrontation se passe sur le
terrain strictement militaire.
Les
yeux rivés vers Paris, sans réseau internet ni télévision, les
internationalistes européens sont bien en peine d’appliquer la
théorie de la guerre révolutionnaire au soulèvement parisien. Le 8
avril, le gendre de Marx se fait mal voir du beau-père en lui
demandant si Engels, considéré comme le « meilleur général »
de l’Internationale, ne pourrait pas aller mettre ses talents au
service des insurgés parisiens. Comme en témoignent les lettres de
Marx à sa fille Jenny, la plupart des socialistes ne croient pas aux
chances de succès ni militaire ni sociale de la Commune. Le 25 mai
au Reichstag, le chef parlementaire de la social-démocratie August
Bebel lance déjà une sonore déclaration funèbre : « La
lutte à Paris ne fut qu’une escarmouche d’avant-postes (…)
Quelques décennies s’écouleront et l’appel du prolétariat
français deviendra l’appel de tout le prolétariat européen ».
La
libération accélérée en mai par Bismarck des soldats français,
d’origine rurale et provinciale, vient renforcer les troupes
versaillaises avec cette supplication de Thiers : « Que
M. de Bismarck soit bien tranquille. La guerre sera terminée dans le
courant de la semaine… Je supplie M. de Bismarck de nous laisser
accomplir nous-mêmes cette répression du brigandage social qui a,
pour quelques jours, établi son siège sur Paris. Ce serait causer
un préjudice au parti de l’Ordre en France, et dès lors en Europe
que d’agir autrement ».
Ce courrier qui ne fut connu ni de Marx ni de Trotsky infirme leur
critique de la mollesse de la Commune qui aurait dû dès le début
foncer à Versailles. Si la Commune avait été plus « ferme »
pour engager l’affrontement, Bismarck n’aurait pas attendu alors
ni une supplique de Thiers ni l’action des Versaillais « français
eux-mêmes », pour envoyer ses troupes déjà victorieuses,
supérieures en nombre et véritable armée hiérarchisée face à
l’improvisation militaire communarde. Marx croit détenir des
informations essentielles, qu’il communique le 13mai à Varlin et
Frankel : « La
Commune me semble perdre trop de temps à des bagatelles et à des
querelles personnelles. On voit qu'il y a encore d'autres influences
que celles des ouvriers. Tout cela ne serait rien si vous aviez le
temps de rattraper le temps perdu. Il est tout à fait nécessaire de
faire vite tout ce que vous voulez faire en dehors de Paris, en
Angleterre ou ailleurs. Les Prussiens ne remettront pas les forts
dans les mains des Versaillais, mais après la conclusion définitive
de la paix (26 mai), ils permettront au gouvernement de cerner Paris
avec ses gendarmes. Comme Thiers et Cie se sont, comme vous le savez,
assuré un important pot-de-vin dans leur traité conclu par
Pouyer-Quertier, ils ont refusé d'accepter l'aide des banquiers
allemands offerte par Bismarck. Dans ce cas, ils auraient perdu le
pot-de-vin. La condition préalable de la réalisation de leur traité
étant la conquête de Paris, ils ont prié Bismarck d'ajourner le
payement du premier terme jusqu'à l'occupation de Paris. Bismarck a
accepté cette condition. La Prusse, ayant elle-même un besoin très
pressant de cet argent, donnera donc toutes les facilités possibles
aux Versaillais pour accélérer l'occupation de Paris. Aussi, prenez
garde ! ».
Paris
entourés de soldatsprussiens et fric-frac des banquiers ne sont pas
des informations de nature à œuvrer
àa
l’extension de la révolution enfermée dans la capitale. Thiers
refuse habilement les services des « Chouans », les
troupes de bretons de la réaction cléricale prêts à s’engager à
son service, pour ne pas risquer la fragmentation de l’armée
républicaine. Les gardes nationaux de province sont opposés en
revanche à venir prêter main forte aux Versaillais. En province il
y a eu de quelques cas d’insubordination. Des milliers d’anciens
prisonniers, peu sûrs, ont été démobilisés, à Cherbourg par
exemple selon l’historien R.Tombs.
TERRORISME
DES COMMUNARDS OU DE LA POPULACE ?
Le
mouvement socialiste et révolutionnaire n’a jamais cesé de
revisiter la Commune, sans concessions et en comparant avec les
autres révolutions. Pour excuser les premières exécutions
sommaires, Kautsky remarque que la Commune n’avait pas encore été
élue, et qu’ensuite elle a présenté une motion se désolidarisant
des fusillades impulsives. Le deuxième texte critique pertinent du
point de vue marxiste, après celui de Lénine, bien que bourré de
chausses trappes, est contenu dans le livre de Kautsky, charge contre
le bolchevisme. Trotsky théorise grossièrement la terreur et
promeut les mesures coercitives de « l’Etat prolétarien »,
comme il promeut l’armée rouge… nationale. Il ridiculise toute
révolution ultérieure qui prétendrait vouloir recommencer Octobre
17 et la tchéka. Contre ce contradicteur servile de l’Etat russe,
Kautsky se démarque des massacres sommaires de la population
parisienne tumultueuse, qui ne contient pas que de probes
révolutionnaires : « Ils
ne caractérisent point la mentalité du prolétariat, mais celle du
militarisme qui ne fait pas beaucoup de cas de la vie humaine ».
Kautsky veut surtout régler des comptes avec les bolcheviques, aussi
son utilisation de remarques justes sur les faiblesses de la Commune
incite à la méfiance. A côté de considérations ponctuellement
justes il en est d’autres qui accablent EN MEME temps bolcheviks et
communards. Si peu de dirigeants de la Commune appartenaient à la
classe ouvrière, il est supposé que du côté de la direction
intellectuelle du parti bolchevique au pouvoir ce n’était guère
différent… S’il critique le Préfet de police communeux Rigault,
après Mendelsson et Lissagaray, c’est pour cibler la tchéka. Mais
Kautsky s’efforce surtout de montrer les DIFFERENCES qui perturbent
son fond politique petit bourgeois : les bolcheviks méprisaient
les assemblées élues comme la Commune ; la preuve ils ont
dissout l’assemblée constituante immédiatement en Russie. Le
Conseil communal, lui, a respecté la démocratie, même si ce fut
un désordre ahurissant et une gabegie d’une durée si courte que
rien de grand n’a été créé socialement ; Marx s’est
trompé en y voyant une dictature du prolétariat alors qu’en
Russie les bolcheviques accomplissent bien une dictature mais sur le
prolétariat…
Les
premiers meurtres par dizaines du début de la guerre civile sont le
fait des troupes versaillaises, quoiqu’il y ait des hésitations
parmi les troupes des Mac-Mahon, Galliffet et Boulanger. Le meurtre
du chef communard Flourens qui a scandalisé des générations de
prolétaires est dû à la maladresse de son aide de camp Cipriani
qui, alors qu’ils sont tous deux découverts dans une auberge, tue
deux gendarmes. Suite à quoi le capitaine de gendarmerie Desmaret
fonce sur son cheval vers Flourens et lui fend le crâne d’un coup
de sabre. La lutte à mort est lancée sans pitié par les officiers
de Boulanger et Galliffet. Les prisonniers communards sont
sommairement exécutés. En réaction, le 5 avril l’assemblée
communale vote ses décrets sur les otages dont l’article 5
stipule : « Toute
exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du
gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur le champ,
suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus en
vertu de l’article 4, et qui seront désignés par le sort ».
Ce décret ne sera pourtant jamais appliqué, les exécutions ayant
lieu en général dans l’improvisation totale.
Les
premières exécutions sommaires de généraux et des prêtres
soulèvent des protestations au sein du comité central de la garde
nationale. C’est une populace en meute qui inaugure le meurtre des
otages en s’emparant le 18 mars des généraux Lecomte et Thomas.
Le général Clément Thomas avait beau avoir été le chef de la
répression en 1848 méritait-il un jugement aussi expéditif, tué à
bout portant avec Lecomte dans un déchainement de cris haineux ?
Dans sa troisième déclaration du 20 mars, le comité central de la
garde nationale affirme : « Jamais la Garde nationale n’a
pris part à l’exécution d’un crime ». Les partisans
anarchistes pieux et les staliniens sont restés sévères à
l’encontre de George Sand qui n’a pas soutenu la Commune parce
qu’elle en contesta le caractère ouvrier ; pour une grande
part elle n’avait pourtant pas tort de souligner que le Conseil
communal avait été mené par des déclassés ouvriers ou petits
bourgeois, hommes « n’appartenant plus aux habitudes et
nécessités du prolétariat » ; constat que partageront
sur ce plan Marx et Elisée Reclus, mais aussi Trotsky.
Le
biographe de Vallès, Roger Bellet, écrit qu’à la veille de la
semaine sanglante qui commencera le 21 mai, la Commune tourne en rond
comme prise de folie : « Rarement révolution aura été,
jusqu’au bout de la chute des dernières barricades, conscience
lucide de la fatalité : pour le Conseil de la Commune
collectivement, pour les individus qui le dirigent ou croient
encore le diriger. Vallès, plus que tout autre, a conscience que la
Commune ne dirige plus ; que la foule, le plus souvent, réagit
par la violence ou la panique, n’écoutant plus personne ».
L’avancée sauvage des Versaillais décuple de désir de violence
et de justice expéditive aveugle. Dans le 5e
arrondissement on vient d’exécuter un apprenti boulanger, un
« traître » : « Vallès proteste ; un
combattant intervient : remarquable dissension de « classe »,
dans le même combat, entre « l’intellectuel » et
l’ouvrier :
- « Vous voulez garder vos pattes nettes pour quand vous serez devant le tribunal ou devant la postérité ! Et c’est nous le peuple, l’ouvrier, qui doit toujours faire la sale besogne… ».
« Ce
n’est pas vrai pourtant ; Vallès tente d’arrêter le
mécanisme des exécutions sommaires ; il veut sauver et sauvera
plusieurs têtes, cette semaine-là ; mais il y a de la vérité
dans l’apparence des « pattes nettes ».
Les
grands incendies sont plus probablement déclenchés par les
bombardements versaillais aveugles, préfiguration des bombardements
civils de deux futures guerres mondiales. La Commune n’avait pas
besoin d’en rajouter. L’historiographie bourgeoise ne se gênera
pas pour lui mettre sur le dos les plus stupides incendies. L’idole
du quartier du Panthéon, Varlin, tente d’apaiser les esprits. Il
s’oppose à la destruction du Panthéon et de la Bibliothèque
Sainte Geneviève. Il lui a fallu chapitrer qu’incendies et
destructions ne terrifieraient pas seulement les ruraux qui composent
l’armée versaillaise mais « les nôtres ». Vallès ne
peut refuser de signer pour l’incendie de deux maisons rue Vavin et
d’une boulangerie. Il s’oppose lui aussi à l’incendie du
Panthéon. Raoul Rigault a donné son feu vert pour l’exécution de
Gustave Chaudey. Vallès, qui n’est pas un grand courageux, ne
cache pas sa culpabilité. Il aura validé aussi l’exécution mais
est content de ne pas avoir eu à assumer la signature. Dans un de
ses manuscrits il raye un passage non destiné à être publié :
« A
mesure qu’on piétine dans l’insurrection, à force de voir
passer des blessés, après avoir eu pour descente de lit deux
cadavres, dans ce va-et-vient de civières, on a le mépris de la vie
et l’on gagne le mépris de la vie des autres ».
Le
6 avril un comité de quartier avait tenu symboliquement à briser en
mille morceaux une guillotine, cette « hideuse machine »
quand à peine un mois plus tard il faudrait « pour terrifier
les aristocrates, quatre guillotines en permanence ». Les
appels à la terreur se multiplient.
Vallès
qualifie de boucherie horrible et de lâcheté le massacre de
Mgr Darboy et des pères jésuites. Du 23 au 28 mai une centaine de
prisonniers seront massacrés. A l’annonce de la fusillade des
prêtres pour venger la mort des six fédérés du 66e,
Vallès s’en prend à Ferré : « Lefrançais,
Longuet et moi, nous sommes devenus pâles. Et de quel droit, au nom
de qui a-t-on tué ? La Commune toute entière sera responsable
de cet égorgement ! Nous avons des éclaboussures de leurs
cervelles sur nos écharpes ! ».
Le journal « Paris libre » déplore le légalisme
excessif des élus quand les journaux le Mot d’Ordre de Rochefort,
la Révolution politique et sociale les félicite de ne pas avoir
renouvelé la Terreur de 93. Les cris sanguinaires entendus dans les
Clubs manifestent en réalité une énergie du désespoir devant
l’isolement de la ville insurgée et maintenant assiégée. Le
Comité central de la Garde nationale se désolidarise de cette
« boue sanglante » qu’il n’a ni souhaitée ni surtout
eu pouvoir d’empêcher.
ADRESSE
OU MALADRESSE DE L’INTERNATIONALE ?
Cette
Adresse est rédigée par Marx et soutient l’exécution des otgaes.
Marx s’en prend à ce « plouc » de Thiers :
« Mais
l’exécution par la Commune des soixante-quatre otages, archevêque
de Paris en tête ! La bourgeoisie et son armée en juin 1848 avaient
rétabli une coutume qui avait depuis longtemps disparu de la
pratique de la guerre, l’exécution des prisonniers désarmés.
Cette coutume brutale a depuis été plus ou moins suivie lors de la
répression de tous les soulèvements populaires en Europe et aux
Indes, ce qui prouve qu’elle constitue bien un réel « progrès de
la civilisation » ! D’autre part, les Prussiens, en France,
avaient rétabli l’usage de prendre des otages, gens innocents qui
avaient à répondre au prix de leur vie des actes des autres. Quand
Thiers, comme nous l’avons vu, dès le début même du conflit,
établit la pratique humaine d’abattre les communards prisonniers,
la Commune, pour protéger leur vie, fut dans l’obligation de
recourir à la pratique des Prussiens de prendre des otages. Les
otages avaient déjà mille et mille fois mérité la mort du fait
des exécutions continuelles de prisonniers du côté des
Versaillais. Comment leur vie eût-elle pu être épargnée plus
longtemps, après le carnage par lequel les prétoriens de Mac-Mahon
avaient célébré leur entrée dans Paris ? La dernière garantie
contre la férocité sans scrupules des gouvernements bourgeois –
la prise des otages – devait-elle elle-même tourner à la frime ?
Le véritable meurtrier de l’archevêque Darboy, c’est Thiers. La
Commune, à maintes reprises, avait offert d’échanger l’archevêque
et tout un tas de prêtres par-dessus le marché, contre le seul
Blanqui, alors aux mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il
savait qu’avec Blanqui il donnerait une tête à la Commune; alors
que c’est sous forme de cadavre que l’archevêque servirait au
mieux ses desseins. (…) La conspiration de la classe dominante pour
abattre la révolution par une guerre civile poursuivie sous le
patronage de l’envahisseur étranger, conspiration que nous avons
suivie du 4 septembre même jusqu’à l’entrée des prétoriens de
Mac-Mahon par la porte de Saint Cloud, atteignit son point culminant
avec le carnage de Paris. Bismarck contemple avec satisfaction les
cadavres du prolétariat de Paris, où il voit le premier acompte de
cette destruction générale des grandes villes qu’il appelait de
ses vœux
alors qu’il
était
encore un
simple rural
dans la Chambre introuvable de la Prusse de 1849. Il contemple avec
satisfaction les cadavres du prolétariat de Paris. Pour lui, ce
n’est pas seulement l’extermination de la révolution, mais
l’extermination de la France, maintenant décapitée, et par le
gouvernement français lui-même ».
Sous
la plume vibrionnante de Marx, ce texte nous justifie la prise
d’otage par IMITATION, la Commune n’a fait que recourir « à
la pratique de prise d’otages des Prussiens » et des otages
« qui avaient mille fois mérité la mort », avec qui il
ne fallait pas « frimer » mais reconnaît paradoxalement
que l’excéution des otages devait servir « les desseins »
de Thiers ! Quelle mauvaise Adresse pour défendre la Commune !
Et qui fait fi des circonstances, critiquées sur le terrain par
Vallès et d’autres. Comme en 1793, une populace en furie de petits
bourgeois, cette « lie du peuple » parisien qui s’est
jetée sur des personnes et les a massacrées séance tenante. Et les
otages qu’avaient-ils à voir avec la guerre civile ? A moins
que Marx n’ait pas été aussi tolérant qu’il le prétendait
pour la religion, pourquoi prendre en otage des prêtres sans défense
puis les tuer comme des chiens ? Au point qu’aucun organisme
de la Commune, y inclus ses membres internationalistes, ni l’AIT à
Londres ne pouvait se vanter d’en avoir donné l’ordre. Il
fallait bien montrer que la prise d’otages n’était pas de la
frime…Quel argument intelligent ! En quoi cela a-t-il servi la
postérité de la Commune ? L’argument détestable a plu à
Trotsky ministre et aux staliniens ! Certains ont pu objecter
que même s’il n’y avait eu que l’exécution d’un seul otage,
le boucher Thiers aurait quand même accompli son œuvre.
Marx justifie les premières
exécutions d’otages de circonstances, les deux généraux, comme
réplique aux premières tueries de soldats fédérés par les
versaillais aux portes de Paris. Or c’est déformer la réalité.
C’est une cohue furieuse, irresponsable, de petits bourgeois
affolés qui, sans jugement, sans logique, massacre les deux gradés.
Cette même exécution, la Commune aurait pu s’en passer, et après,
peut-être, comme Marx l’a écrit en privé à Nieuwenhuis, « avec
un peu de bon sens » et aboutir à un « compromis
favorable », qui était devenu rigoureusement impossible avec
cet acte qui avait valeur de déclaration de guerre pour la
bourgeoisie versaillaise.
En
face des agresseurs versaillais il n’y a pas d’armée communarde.
L’anarchie règne. L’antimilitarisme intrinsèque des fédérés,
pourtant armés et en uniforme, leur interdit toute unité de
commandement militaire. Les fédérés sont plus passionnés à
prendre des mesures symboliques comme la démolition de la colonne
Vendôme qu’à se couler dans de nouvelles centuries militaires
comparables aux armées napoléoniennes. Le foisonnement des corps
francs spontanés, les « vengeurs de Flourens », les
« Volontaires de Montrouge » et la contestation
systématique du délégué à la guerre démontrent l’incapacité
du mouvement social communeux à mener une guerre de tranchées ou
même une guerre tout court ; qui pourrait le leur reprocher ?
Les prolétaires en révolution ne sont pas de simples soldats ?
Les
morts et les blessés ne sont pas remplacés aux premières lignes.
La fuite et l’absentéisme se généralisent. Au final pas de
nouvelle levée en masse mais débandade de la Garde nationale.
Tragique carence, mais aussi tragique que la Commune est accidentelle
et en décalage dans un capitalisme encore progressiste ; et
toujours apte à patauger dans la boue et le sang.. Quand l’armée
versaillaise entre dans Paris, elle fait plus de victimes par
exécutions sommaires que lors des combats de rue. L’exécution
précipitée par les derniers résistants communards de dizaines
d’otages ôte toute culpabilité aux tueurs versaillais. Les
gigantesques incendies de la mairie et d’édifices publics qui
contenaient des trésors culturels sont les ultimes décisions
parfaitement stupides prises par le dernier quarteron du Comité de
Salut public et ne sont pas une page glorieuse de la Commune, même
s’il faut prendre en compte que la plupart des incendies ont été
causés par les bombes des canons versaillais depuis le mont
Valérien, à Suresnes.
Dans
sa précipitation sans faire de quartier Thiers a exterminé une
partie de la classe ouvrière la plus qualifiée…
Une
compilation de témoignages peut être une utile façon d’approcher
l’événement communard hors des sentiers rebattus de la mythologie
d’une révolution pure et sans parti dictatorial. Pour le néophyte
comme pour le connaisseur, la confrontation des témoignages est
profondément éclairante, permet au lecteur de se passer de la
médiation de l’historien et de ses propres clichés partisans.
Mieux encore la lecture des « opinions différentes », à la
manière de Lecaillon, au milieu d’un massacre supérieur à la
Terreur de 1793 permet de juger l’homme derrière l’uniforme ou
sa classe d’appartenance, et que le public des révolutions n’est
pas tout noir ou tout blanc. Les « purs marxistes » ou les « purs
anarchistes » qui invoquent à tout bout de champ la nécessité
de la « guerre civile », sans préciser s’ils seraient les
premiers exposés aux balles de l’adversaire, assurent toujours que
« le prolétariat n’y coupera pas ». La présentation des
témoignages divers par J.F. Lecaillon montre qu’une guerre civile
au XIXe siècle n’est jamais une chose simple, est souvent très
embrouillée. Des théâtres peuvent fonctionner dans un quartier
tranquille pendant que l’on s’égorge un pâté de maisons plus
loin. Des « bourgeois réactionnaires » peuvent s’émouvoir de
l’ampleur de la répression comme de prétendus grands
révolutionnaires pour la postérité faire preuve de la plus insigne
lâcheté dans la réalité.
UN
SOULEVEMENT INATTENDU
On
a reproché à Marx son manichéisme, des hyperboles dérisoires qui
expriment au fond un attachement passionnel au drame communard. Il en
aura déduit un changement de position radical concernant la conquête
du pouvoir: « La
classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la
machine de l'Etat et de la faire fonctionner pour son propre
compte ».
Marx est plus critique en privé qu’Engels. Il exagère, comme les
anarchistes, les pas accomplis: « La
Commune a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions
bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant les deux
grandes sources de dépense: l'armée permanente et le
fonctionnarisme d'Etat ».
Il croit même que la police politique est abolie alors qu’elle a
été toilettée par Rigault. Raoul Rigault qui dirige la police
exaspère la population. Il a fait emprisonner plusieurs centaines de
gendarmes, d’inspecteurs et de magistrats, mais a conservé le
corps dans sa fonction de surveillance et de répression. Félix Pyat
a fait décréter l’abolition de la conscription et de l’armée
permanente mais la Garde nationale ne fait-elle pas office d’armée de
défense permanente de la révolution communarde? Le comité chargé
des finances sous la direction de Jourde remue ciel et terre pour
financer en premier lieu la Garde nationale et continuer à rémunérer
hiérarchiquement les hauts fonctionnaires. On discute des modalités
des prêts avec les banquiers qui font l’aller et retour à
Versailles entre barricades et bombardements.
Le
Conseil de la Commune élue fonctionne comme un demi-Etat patriotique
et dans la pagaille. Il est dominé par des républicains
bourgeois.Il n’est donc pas le gouvernement de la classe ouvrière.
Les représentants communistes de l'AIT sont peu nombreux et ont une
faible influence. Le mouvement est ensuite canalisé vers une
activité purement militaire, laquelle n'a jamais favorisé le
développement des révolutions ni dissout les hiérarchies ;
Vaillant ne craint pas de doucher la vision mythique d’une
révolution aux mains des prolétaires : « La
guerre et la police sont les deux bras de la Commune ».
Les armes ne remplacent ni la socialisation consciente ni la décision
collective réelle des prolétaires. La Commune n’a pas fait
grand-chose comme « gouvernement ouvrier » même si elle
a aboli le travail de nuit des compagnons boulanger et remis aux
ouvriers les fabriques où les patrons avaient pris la fuite ;
pour quelques jours.
On
a reproché à Marx de ne pas avoir vu venir la révolution
parisienne, et d’avoir souhaité la défaite de l’armée
française. Le reproche est typique des anarchistes superficiels.
Marx analysait l’apparition d’un nouveau grand Etat en Europe. La
victoire militaire de la Prusse devait signifier d'une part
l'unification allemande sous la bannière prussienne et d'autre part,
du point de vue de la « géopolitique du mouvement ouvrier »
l'intronisation du prolétariat allemand en lieu et place du
prolétariat français pour mener la révolution sociale en Europe.
Dans sa lettre à Engels du 20 juillet 1870, Marx trouvant que cette
guerre est une bonne chose pour l'Allemagne en ce qu'elle devait en
hâter l'unification (malheureusement sous la bannière prussienne),
et par suite en ce qu'elle doit permettre la centralisation du
pouvoir et de la classe ouvrière : « Les Français ont besoin d'une
raclée. Si les Prussiens l'emportent, la centralisation du pouvoir
d'Etat favorisera la centralisation de la classe ouvrière
allemande». Marx ajoute que cette guerre va assurer la suprématie
du prolétariat allemand en Europe : «
La suprématie allemande déplacerait le centre de gravité du
mouvement ouvrier ouest-européen en le transférant en Allemagne et
on n'a qu'à comparer le mouvement dans les deux pays, de 1866 à
aujourd'hui [1870], pour constater que la classe ouvrière allemande
est supérieure à la française, tant sur le plan théorique que sur
celui de l'organisation ; la suprématie qu'elle a, sur la scène
mondiale, sur la classe ouvrière française, serait en même temps
la suprématie de notre théorie sur celle de Proudhon ».
Avant
la Commune en décembre 1870 Marx était belliciste pour les ouvriers
parisiens et leur souhaitait une « râclée » :
« Toute tentative de renverser le nouveau gouvernement, quand
l’ennemi frappe presque aux portes de Paris, serait une folie
désespérée. Les ouvriers français doivent remplir leur devoir de
citoyens ». Certes ses deux schémas de la formation d’un
nouvel Etat puissant en Europe et un déplacement du centre de
gravité du prolétariat en Allemagne se sont vérifiés. Il a le
mérite de le laisser de côté son analyse pour soutenir les
communards mais avec une hypothèse erronée de stratégie de guerre
révolutionnaire, néo-girondine. La victoire militaire était
impossible dans tous les cas dans la situation des communards
assiégés et vu la prépondérance rurale de la France à l’époque
où le paysan « sac de patates » n’avait aucune
probabilité de redevenir révolutionnaire.
Tout
à une stratégie de guerre révolutionnaire dépassée, Marx
conseillait d’un côté, que dès la prise des canons les parisiens
auraient dû marcher sur Versailles sans défense et ainsi mettre fin
« aux complots de Thiers et de ses ruraux » ; d’un
autre côté il suppute qu’en trois mois de communication Paris
aurait pu amener « un soulèvement général des paysans » !
Ces mêmes paysans français, qualifié peu avant par lui de « sac
de patates », recrutés in extremis par les Versaillais pour
massacrer les communards ! Quel intérêt stratégique aussi de
reprocher de ne pas avoir pris en otage la Banque de France -
antienne chantée en long et en large par les historiens staliniens
et anarchistes - qui aurait accéléré même la chute du
gouvernement petit bourgeois de la Commune incapable alors de payer
ses fonctionnaires et soldats face à l’effondrement monétaire de
la France ? Beaucoup de supputations inutiles ou
invraisemblables pour une victoire impossible dont se doutaient
depuis le début Marx et Engels, soulèvement désespéré dominé
par un peuple anarchiste, pour lequel il ne sert à rien de reprocher
finalement aux seuls animateurs politiques le manque d’initiative
ou des conceptions poltronnes.
Dix
ans plus tard, le 22 février 1881, Marx était moins enthousiaste :
« Ce
fut simplement le soulèvement d’une ville dans des circonstances
exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement
socialiste ».
Connaissant l’intransigeance du massacreur Thiers et son
approbation de l’exécution des otages, Marx est un peu culotté
d’ajouter : « Avec
un tout petit peu de bon sens, elle eût pu, cependant obtenir de
Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple – ce
qui était la seule chose possible d’ailleurs ».
Fatuité. Marx ne tiendra jamais ce genre de propos méprisant en
public. Les négociations furent rigoureusement impossibles dès
l’exécution des deux généraux, laquelle a trop bien rendu
service aux « desseins » du sinistre Thiers. L’écrivain
Marx n’écrit pas l’histoire de la Commune, il fait son apologie
avec emphase limite obscène, avec des projections souvent fausses ou
de l’ordre de l’à peu près. Les élus de l’Hôtel de ville
révocables à tout moment ? Vrai pour les petits soldats des
corps francs mais pas pour les élus. Le secret de la Commune … « un
gouvernement de la classe ouvrière », très discutable au vu
des élus représentants de l’artisanat, de professions artisanales
et de partis qui se considéraient plutôt comme mandants du peuple.
Qui était vraiment le « gouvernement » :
l’assemblée communale élue des arrondissements inter-classistes
ou le comité central de la Garde nationale ? Un peu les deux,
et qui se chamaillaient sans fin.
La
propriété privée n’est pas en voie d’être abolie. Les mesures
financières de la Commune ne sont pas « remarquables »
mais bricolage d’emprunts à la banque de France. Marx a une
singulière vision romantique et distanciée du massacre des
communards : « Le
peuple de Paris se fait tuer dans l’enthousiasme pour la
Commune (…) Les femmes de Paris donnent joyeusement leur vie
sur les barricades et devant le peloton d’exécution (…) Le Paris
ouvrier (accomplit) son propre, son héroïque holocauste » !
Joyeusement !? Vraiment ?
Du
Paris armé au parti armé ?
Dans
son pamphlet de 1920 dirigé contre Kautsky – Terrorisme et
communisme – remake miteux du pamphlet de Lénine en 1918 (cf. Le
renégat Kautsky) le ministre d’Etat prolétarien Trotsky tente de
justifier la terreur gouvernementale bolchevique qui a dû, certes,
confronter le terrorisme des anarchistes impatients et des
concurrents socialistes-révolutionnaires. Il n’y parvient pas plus
que lorsqu’il sera incapable d’expliquer sa participation à la
répression des marins de Cronstadt à Emma Goldman. Avec sa théorie
de la guerre révolutionnaire, à la place de la révolution
politique et sociale, le chef bientôt déchu de l’armada rouge
russe se croit autorisé à fustiger aussi la Commune pour sa défaite
militaire, son incapacité à structurer une vraie armée avec de
vrais généraux, méprise le « sentimentalisme humanitariste »
du comité central de la Garde nationale (dont Kautsky a cité le
communiqué du 19 mars s’agissant des exécutions sommaires des
généraux). Cette attitude pathétique et sentimentale est le fait
d’hommes du passé : « Il va de soi que le Comité
Central n'avait aucune raison de prendre sur lui la responsabilité
d'un meurtre dans lequel il n'était pour rien. Mais le ton
pathétique et sentimental de la déclaration caractérise très
clairement la timidité politique de ces hommes devant l'opinion
publique bourgeoise. Ce n'est pas étonnant. Les représentants de la
garde nationale étaient pour la plupart des hommes au passé
révolutionnaire fort modeste. "Il n'y a, écrit Lissagaray, pas
un nom connu. Tous les élus sont des petits bourgeois, boutiquiers,
employés, étrangers aux coteries, jusque-là même à la politique
pour la plupart ». Et cet humanitarisme sentimental n’était
que «l’envers de leur passivité révolutionnaire »… Et
Trotsky de prétendre ferrer Kautsky en lui reprochant de ne pas voir
que ce sont ces mêmes hommes qui avaient été incapables de foncer
sur Versailles au tout début, faisant preuve d’indécision
comme l’avaient noté Marx et Engels… Or, Marx, tout autant
que Kautsky et Trotsky ont tort. De toutes les façons, Marx avec sa
longue vue depuis Londres, le Kautsky faux-cul et Trotsky assis dans
sa bibliothèque ministérielle, jamais une révolution prolétarienne
n’a pu gagner militairement, ou ce qu’elle a gagné
militairement, dans le cas de la Russie, a été gagné sur le dos du
prolétariat et d’autres peuples. La victoire prolétarienne ne
peut pas se produire pacifiquement mais encore moins au plan
militaire. La lutte révolutionnaire du prolétariat ne peut pas user
des mêmes méthodes et des mêmes armes que la bourgeoisie, même si
le prolétariat s’empare d’une des armes. Sur un champ de
bataille classique du XIXe siècle ou à notre époque d’armements
sophistiqués, le prolétariat n’avait et n’a aucune chance. Il
est facile à Trotsky de critiquer « la timidité politique »
des membres du comité central de la Garde nationale et de radoter
Lissagaray, mais plusieurs de ces « phraseurs » étaient
en même temps membres de la Commune, et la qualité de certains
« employés étrangers aux coteries » ou « étrangers
à la politique » n’est un défaut que pour le ministre
d’Etat prolétarien !
Le
ministre « prolétarien » Trotsky se goure complètement
en croyant que l’on peut combattre la terreur par la terreur. Il ne
se place pas dans les conditions de Paris assiégé ni ne comprend
l’exemplarité ternie pour la postérité des dérapages d’une
partie de la population, populace de marginaux qui pensaient tout
régler par quelques exécutions sommaires. Il manquait en somme une
armée rouge aux parisiens pour triompher et faire régner la
terreur. Trotsky donne ainsi des verges à Kautsky – « insurrection
et terrorisme » seraient la même chose - pour qu’il
continue à dénoncer l’expérience d’Octobre 1917. Son pamphlet
n’a pas la force de celui de Lénine contre le même Kautsky deux
ans avant en 1918. Tout n’est pas faux dans ce que dit Kautsky et
relève en partie du même type de critiques déjà faites par Rosa
Luxemburg de son vivant. Rosa ne s’était pas gênée pour dénoncer
l’usage de la terreur par le jeune Etat « prolétarien ».
Trotsky veut jouer au jacobin et faire du zèle, mais il ne comprend
plus, contrairement à son texte de 1911 contre le terrorisme, la
force de la supériorité morale du prolétariat qui ne repose pas
sur l’exaltation de la violence ou d’actes terroristes.
Cruautés
et destructions sont inévitables dans toute guerre, même dite
civile, et il peut même y avoir des marchandages pour échanger des
otages. On aurait pu échanger les deux généraux contre Blanqui,
mais on ne sait plus si Thiers avait refusé lorsqu’ils étaient
encore vivants ou même si la négociation a eu le temps d’avoir
lieu. Le tractations n’ont pas pu se dérouler rationnellement ni
comme Trotsky tente d’en poser les conditions terroristes. Pour
contrer les Versaillais qui ont déjà tué sans vergogne des
ouvriers et des communards, il aurait suffit de « prendre des
otages parmi les gens qu’affectionne la bourgeoisie, en qui elle
met sa confiance » ? Des généraux otages et vivants,
bien sûr, mais pas les curés arrêtés au hasard et abattus comme
des lapins ! Trotsky tolère et estime digne du prolétariat les
exactions d’une populace furieuse comme au moment de la « Grande
révolution française… révolution classique ( ?) (qui) a
correspondu (à) un terrorisme classique ( ?) ». Se
prenant pour Robespierre ou Marat, il couvre les exactions au nom de
la vengeance qu’il reprochait comme motivation simpliste aux
terroristes dans son texte de 1911 : « Sous un régime
d’esclavage de classe, il est bien difficile d’apprendre aux
masses opprimées les bonnes manières ».
Kautsky
a raison d’opposer à Trotsky que la révolution n’implique pas
logiquement le terrorisme mais Trotsky surrenchérit mieux que
Staline : « Quelle
grandiloquente banalité ! Mais la révolution exige en revanche
de la classe révolutionnaire (il parle au nom de cette classe alors
qu’il est ministre d’Etat !) qu’elle mette tous les
moyens (sic) en œuvre
pour atteindre ses fins ; par l’insurrection
armée ;
par le terrorisme, si nécessaire ».
Le dernier membre de phrase suppose mais ne réaffirme pas que le
terrorisme n’est pas une méthode pour cette classe révolutionnaire
(comme il le disait dans sa jeunesse) mais parce que Trotsky confond
désormais l’Etat terroriste des bolcheviques de 1920 avec une
violence aveugle dans le prolétariat soumis !
Le
déroulement de la Commune n’est pas aussi dichotomique que
l’imagina Trotsky et ne pouvait pas contenir un parti démonologique
infaillible.
En
1871, l’événement est révolutionnaire justement en ce qu’il
brise les classes, et inévitablement il se charpente à terme sous
l’influence de la classe la plus exploitée : « Ainsi, le 17 mars,
les ressentiments accumulés contre Thiers s’avérèrent-ils plus
forts que les différences de classe ». La révolution n’est pas
folie furieuse ni guerre civile aveugle, explique J.F. Lecaillon : «
Les témoignages font apparaître une troisième explication, moins
visible mais peut-être plus décisive : la persistance d’un esprit
de modération dans une partie étendue de la population. Malgré les
affirmations de quelques-uns, la terreur ne règne pas vraiment et
les Parisiens étonnés « flânent » dans Paris ! Ils vont aux
remparts comme au spectacle ! En toute civilité, ils se joignent «
aux groupes qui discutent » sur les boulevards ; les plus
réactionnaires reconnaissent eux-mêmes que les fédérés « ne
sont pas tous des canailles ». Il ne faut pas croire les racontars
qui circulent en province, ces rumeurs qui ne peuvent profiter qu’aux
extrêmes (…) Au final, l’analyse attentive des témoignages
montre qu’il n’y a pas d’un côté les ouvriers émeutiers et
de l’autre les bourgeois réactionnaires. Entre Belleville et
Versailles la réalité sociale est tout en nuances, faisant
apparaître des bourgeois modérés d’une part, des gardes
nationaux dont les motivations n’ont rien de révolutionnaires
d’autre part ! Dans les rangs des fédérés se rencontrent des
hommes, qui n’adhèrent pas aux idées de la Commune ; ceux qui
dénoncent les réformes n’applaudissent pas pour autant aux
objectifs ou méthodes de Versailles ».
Un travail d’exhumation, non pas impartial – l’impartialité
est impossible face aux crimes sans nom des « versaillais » - pour
qui rappelle qu’une révolution se nourrit surtout des débats et
des projets plus que des ressentiments dans l’ensemble de la
population, et que si elle doit vaincre c’est surtout par
l’adhésion consciente de l’ensemble aux orientations politiques
choisies.
PASSIONS
MAUVAISES ET QUERELLES
ANTISEMITISME ?
Curieusement
on ne trouve pas d’ouvrage explicitant comment Thiers s’est servi
de la « peur de l’étranger » pour souder ses nouvelles
troupes de « soldats paysans », les conditionnant à
penser l’adversaire comme « étranger à la nation ».
La désignation du juif comme responsable de la guerre civile exista
dans les deux camps, Robert Tombs, dans son ouvrage novateur, insiste
surtout sur l’invention du principal « ennemi intérieur »
(le prolétariat) que la bourgeoisie républicaine choisit d’éliminer
physiquement même en trahissant les idéaux de la révolution de
1789. En germe, et oublié volontairement par les historiens juifs de
la Shoah, la contre révolution versaillaise, mêlant discrètement
« étranger juif » et « étrange prolétariat »,
est la mère du nazisme.
Léo
Fränkel est le symbole de l’internationalisme de la Commune qui
l’a « nationalisé ». Cela suscite des récriminations
parce qu’il est d’origine juive. Il devient membre de la Garde
nationale,
membre du Comité
central républicain des Vingt arrondissements
et reconstitue, avec Eugène
Varlin,
le Comité fédéral de l'Internationale pour Paris. Il est
politiquement irréprochable tout au long de sa vie. Il est l’un de
ceux qui prend des mesures socialistes, en particulier la création
des ateliers coopératifs ainsi que l’interdiction des amendes et
retenues sur les salaires. Blessé sur les barricades durant la
Semaine sanglante, il réussit cependant à échapper aux Versaillais
et à gagner la Suisse puis l’Angleterre. Les frères Élie et
Gustave May n’auront pas les mêmes égards que Fränkel. Chargés
de l’intendance de la Commune, ils sont démis cependant dès le 2
mai car suspectés de malversation, à connotations antisémites, par
le Comité de salut public. Sans preuves. Mais la contre-révolution
versaillaise avec ses Boulanger et Drumont va exploiter le filon
jusqu’au moment de l’Affaire Dreyfus alors que les français
d’origine juive ont été en majorité plus versaillais que
communards et n’ont pas hésité à verser leur sang pour la patrie
en 1870 et en 1914.
DES
CHEFS INCAPABLES ?
Un
grand témoin mais aussi acteur, s’est tu longtemps. Il a été
fait prisonnier à la fin de la guerre civile. Elisée Reclus refuse
de parler aux juges et les regarde avec sérénité. Il a été
condamné à la déportation simple en Nouvelle Calédonie :
« Sa
pensée sur la Commune, il l’a exprimée vingt-six ans plus tard.
La revue blanche préparant un numéro spécial sur 1871, a interrogé
aussi bien le général de Galliffet qui n’avait rien à dire, que
Lissagaray, Rochefort, Vaillant, Chauvière ou Xavier de Montépin.
Elisée Reclus donne deux pages et demie de réflexions. Elles sont
sévères. Il prend soin de dire qu’il ne les formule tout haut que
parce que le temps a passé. Il dénonce l’organisation militaire
grotesque : le seul exemple qu’il en ait vu, celui de la
mobilisation du 4 avril, est concluant. Il dénonce « la
gloriole des chefs empanachés », leur inintelligence, leur
incurie. Il note le manque de bon sens et de volonté : la
Commune a gardé le fonctionnarisme, l’esprit bureaucrate, et il
donne comme exemple les convois d’argent partant sous escorte de la
Banque de France vers Versailles. Il raille ceux qui eurent « la
honteuse naïveté » de rédiger à l’adresse de l’étranger
« des notes diplomatiques dans le style de Metternich ».
Les
chefs de la Commune, Elisée est plus dur contre eux que les
marxistes, « S’ils
furent honnêtes, se montrèrent niais ». Jugement très rude
porté plus d’un quart de siècle après les événements et sans
doute sous l’influence de la situation contemporaine : en
1897, Elisée de nouveau est en exil ; sa rancœur
est à
la mesure de ses espoirs déçus, si souvent déçus. Mais, dit-il,
ce que ne firent pas les chefs, la foule sans nom sut le faire,
c'est-à-dire agir héroïquement et savoir mourir ; 30 000
ou 40 000 qui moururent autour de Paris, tombèrent dans la
ville, sous la décharge des mitrailleuses… « La Commune (…)
a dressé pour l’avenir, non par ses gouvernants mais par ses
défenseurs, un idéal bien supérieur à celui de toutes les
révolutions qui l’avaient précédée ».
Elisée Reclus, tel qu’il est devenu en 1897, porte-parole et phare
de l’anarchisme, grande figure respectée, éléphant blanc de la
révolution, inclut la Commune dans sa pensée actuelle : « Le
mot Commune se rapporte à une humanité nouvelle, formée de
compagnons libres, égaux, ignorant l’existence des frontières
anciennes et s’entraidant en paix d’un bout du monde à
l’autre ».
Après cette profession de foi, on peut comprendre la nature des
griefs d’Elisée Reclus à l’encontre des dirigeants de la
Commune : manque d’imagination, esprit de routine parce qu’ils
ont accepté telles quelles les structures héritées, contrairement
à ce qu’avait affirmé Marx.
Face
à l’armée versaillaise - pourtant constituée rapidement avec des
recrues paysannes, mais consolidées par l’instauration de lourdes
sanctions disciplinaires alternant avec force récompenses et
rétributions symboliques, comme troupe soigneusement coupée de la
population - les fédérés communards, comme tous les « fédérés »
restèrent une armée hétéroclite : « La
Garde nationale (…) conserva toujours un caractère profondément
démocratique et politique, et des allures de club ou de syndicat (…)
(elle) fût une création hybride originale, dont le fonctionnement
ne fut assuré ni par le seul dévouement révolutionnaire ni par le
recours à la contrainte ».
R. Tombs, par son travail approfondi qui remet en cause beaucoup de
poncifs anarchistes et les illusions de Marx sur les paysans,
démontre la vacuité de la théorie de la guerre révolutionnaire,
que la social-démocratie internationale enterrera sans discernement
comme prouvant l’inutilité de la « violence de classe »
pour tomber dans le pacifisme et la soumission à l’Etat national
en guerre ; ce qu’on va voir avec le révisionniste Bernstein.
Ni la IIème internationale ni la IIIème avec Lénine ne discuteront
de la faillite de la théorie de la guerre révolutionnaire, qui ne
permet jamais la victoire sociale et politique du prolétariat. La
preuve par l’histoire : incompétence de l’armée mexicaine
communarde, et trop grande compétence de l’armée du général
Trotskyqui se traduit par la militarisation de la société et
l’enterrement de la révolution de 1917. La violence armée n’est
jamais qu’une étape transitoire des révolutions lesquelles ne
peuvent triompher que la participation active et civile consciente
des peuples sans uniforme, et pas sur des champs de bataille d’armées
rivales. L’étude de R.Tombs est géniale enfin parce qu’elle
tarabuste les exagérations du camp des opprimés et vaincus,
exagérations qui favorisent tous les simplismes. La bourgeoisie
elle-même ne vainc pas essentiellement non plus sur les lieux de
bataille militaire comme elle ne massacre pas complètement sur ce
terrain.
Le
chiffre exagéré des massacrés de la semaine sanglante (de 17.000 à
30.000 voire 100.000 par les historiens staliniens) sert trop bien
les historiens bourgeois qui en général déplorent « une rage
compréhensible mais regrettable des soldats », et excuse les
meurtres des tribunaux. Après une recherche minutieuse dans les
archives et les cimetières, Tombs se rapproche du chiffre de 10.000
morts, ce qui change tout. En effet, les soldats-paysans récemment
embrigadés n’ont pas eu le temps de devenir tous les hyènes
déchainées que la propagande anarchiste et stalinienne s’est
ingéniée à dépeindre, couvrant d’autres criminels plus
autorisés : les juges républicains. Loin d’être le résultat
d’une « haine » ou d’une « rage incontrôlée »,
la tuerie devient plus exactement une « épuration organisée
et contrôlée, car les morts auraient dans une forte proportion été
victimes des cours martiales et des pelotons d’exécution agissant
sur ordres du commandement ».
LA
POLICE MAINTENUE AVEC LES ARRIVISTES
Cluseret dénonça "la manie du galon", des uniformes chics richement facturés de cette "armée amateur parisienne"Rigault,
qui fait fonction de préfet de police, emploie les procédés que la
police impériale utilisait contre les révolutionnaires dont il
était. On garde la préfecture de police, on garde la prison de
Mazas. On change seulement une partie du personnel. « Les
hommes de tous les comités veulent montrer qu’ils ne sont pas des
voyous, qu’ils sont des individus raisonnables, capables d’employer
le langage de ceux qu’ils ont remplacés : d’où le souci
des formes. Rossel en est un fort exemple : il se veut officier,
il exige le respect de ses pairs (qui sont de l’autre côté et le
traitent comme un brigand révolté), il exige la discipline de ses
subordonnés. Il est, des pieds à la tête, un officier de l’Empire
fourvoyé dans une aventure pour laquelle il n’y a pas de modèle,
pas de rôle préétabli, où tout doit être improvisé. Si, il y a
un modèle, celui de la Commune de 1793. Malheureusement il ne peut
s’appliquer à 1871. Et on aperçoit là que ce que les
révolutionnaires doivent posséder au plus haut degré est la
puissance d’invention. L’autre qualité étant l’aptitude à
sentir ce qui dans la foule germe et bouillonne, qui reste informe
mais puissant et propre à susciter des actions étonnantes, telle
l’absurde défense des barricades : aberration pure mais sans
laquelle la Commune n’aurait laissé que le souvenir, légèrement
ridicule, d’une Convention sans pouvoir ».
UN
ETAT PETIT BOURGEOIS
La
Commune élue, Conseil communal, fonctionne comme un demi-Etat
patriotique, gouverné par des ambitions de petits bourgeois et dans
la pagaille. Elle est dominée par des républicains bourgeois. Les
représentants communistes de l'AIT sont peu nombreux et ont une
faible influence, comme on l’a déjà souligné. Le Conseil de la
Commune, est le gouvernement élu de Paris du 28 mars au 28 mai 1871.
L’élection s’est déroulée sur la base inter-classiste des
divers arrondissements de Paris, pas comme en Russie près de
cinquante ans plus tard sur la base d’élections professionnelles
et d’un « coup d’Etat » de parti adossé à des
Conseils ouvriers d’usine. En 1871 à Paris, la classe ouvrière
este un patchwork d’ouvriers artisans. Ce gouvernement àl’échelle
d’une seule ville est issu des élections
municipales à Paris du 26 mars 1871.
Il y eût ce nombre dérisoire de 229 167 votants sur 484 569
électeurs inscrits. Les abstentions furent nombreuses, et il faut
tenir compte du départ de nombreux fonctionnaires qui avaient suivi
le gouvernement
Thiers
à Versailles et d'habitants hostiles à la Commune. Les listes
favorables à la Commune obtiennent une écrasante majorité dans le
XXe
(100% des voix), le XVIIe,
XVIIIe
et XIXe
arrondissements. Plus des trois quarts des électeurs votent en
faveur des Communards dans les IIIe,
IVe,
Ve,
VIe,
VIIe,
Xe,
XIe,
XIIe,
XIIIe,
XIVe
et XVe
arrondissements. Par contre les Ier,
IIe,
IXe
et XVIe
arrondissements votent très majoritairement pour des listes
présentées par les maires d'arrondissement opposés à la Commune.
Le Conseil devait être formé de 92 membres. Mais 15 élus issus des
quartiers bourgeois (Ier,
IIe,
VIe,
IXe,
XIIe
et XVIe
arrondissements) refusent de siéger. Certains élus démissionnèrent
rapidement pour protester contre le décret sur les otages pris par
le Conseil de la Commune. Les élus appartiennent à deux groupes
sociaux, celui des ouvriers-artisans (12 artisans, 6 petits
commerçants, 6 cordonniers, 6 ouvriers métallurgistes, 2 relieurs,
2 typographes, 2 chapeliers, 1 teinturier, 1 menuisier, 1 bronzier)
et celui de la petite bourgeoisie intellectuelle (12 journalistes, 3
avocats, 3 médecins, 2 peintres, 1 pharmacien, 1 architecte, 1
ingénieur, 1 vétérinaire). Les membres de ce gouvernement
restreint à l’enclave parisienne n'appartiennent pas à des partis
organisés. Quatorze conseillers sont des Internationaux
que côtoient neuf blanquistes.
On compte une vingtaine de jacobins
nostalgiques de la Révolution
française
de 1789 et pour une partie d'entre eux ayant participé à la
Révolution
de 1848.
S'y joignent entre 25 à 30 indépendants. Ceux qui se disent
"socialistes révolutionnaires" veulent la collectivisation
des moyens de production, d'autres sont plus attachés aux réformes
politiques. Marx a raison, malgré ses lacunes d’information, par
sa composition le Conseil de la Commune est bien « la
représentation véritable de tous les éléments sains de la société
française », ce n’est pas par contre « un véritable
gouvernement national » ni « en même temps un
gouvernement ouvrier », ni ce « champion astucieux de
l’émancipation du travail » par un autre dérapage
hyperbolique de plume. Dans son imperfection ce gouvernement d’une
ville « représentation véritable de tous les éléments sains
de la société » est certainement plus intéressant comme
exemple pour notre future révolution moderne que l’Etat
bolchevique phagocyté par un seul parti, nonobstant que parfois il
vaut mieux un seul parti pour mettre de l’ordre que de multiples
partis qui se complaisent dans le désordre. Circonstanciellement, ce
Conseil gouvernemental n’est pas le seul pouvoir, il coexiste avec
une Garde nationale, moins désordonnée que ce Conseil élu, et qui
prouve que l’organisation d’une révolution ne dépend pas
strictement d’un suffrage universel des diverses classes. Cet
organisme élu démocratiquement est plombé par ladite guerre
civile.
Le
soulèvement de Montmartre a été immédiatement canalisé vers une
activité purement militaire, dans une absurde et inutile défense
des barricades, constatée par après par Engels ; Bernstein et
Reclus.
Lénine
prendra le relais plus pragmatique de l’enchantement de Marx, sur
la question de la destruction de l’Etat esquissée selon celui-ci
par la Commune. Il est plus précis et plus critique que Marx dans
« L'Etat et la révolution ». « Il
ne faut au prolétariat qu'un Etat en voie d'extinction, c'est-à-dire
constitué de telle sorte qu'il commence immédiatement à s'éteindre
et ne puisse pas ne point s'éteindre ».
Lénine aurait pu se moquer des hyperboles passionnées de
circonstances et des à peu près de Marx, mais c’est secondaire
car il faut viser la question du fonctionnement de la société
post-révolution. En 1898 et 1899, Rosa Luxemburg dans sa réplique
déjà si lointaine (et si actuelle en 2011) à Bernstein, abordait,
avec le brio et la hardiesse qui l’ont toujours caractérisée, la
possibilité d’une révolution ou de mesures transitoires
prématurées. Comment ne pas penser bien évidemment à l’accusation
fallacieuse subséquente de « révolution prématurée »
par les mencheviques contre les bolcheviques ? Mais on est loin
de la tentative communarde : « Cette
objection révèle une série de malentendus quant à la nature
réelle et au déroulement de la révolution sociale. Premier
malentendu : la prise du pouvoir politique par le prolétariat,
c'est-à-dire par une grande classe populaire, ne se fait pas
artificiellement. Sauf en certains cas exceptionnels – tels que la
Commune de Paris, où le prolétariat n’a pas obtenu le pouvoir au
terme d’une lutte consciente, mais où le pouvoir lui est échu
comme un bien dont personne ne veut plus – la prise du pouvoir
politique implique une situation politique et économique parvenue à
un certain degré de maturité. C’est là toute la différence
entre des coups d’Etat de style blanquiste, accomplis par « une
minorité agissante », déclenchés à n’importe quel moment,
et en fit toujours inopportunément, et la conquête du pouvoir
politique par la grande masse populaire consciente ; une telle
conquête ne peut être que le produit de la décomposition de la
société bourgeoise ; elle porte donc en elle-même la
justification économique et politique de son opportunité ».
Rosa Luxemburg, quoique son souci reste juste et moderne, exagère
quelque peu également l’ampleur de la prise du pouvoir politique
par un prolétariat français encore faible et dominé par
l’aristocratie artisanale et bientôt syndicale. Le double pouvoir
du gouvernement communal et de la Garde nationale, plus les querelles
incessantes des fractions politiques rivales, excluaient un parti
unitaire et une action véritablement commune, naturelle au mouvement
d’un prolétariat développé. Preuve que la Commune fut plus
petite bourgeoise que prolétarienne. Elle trimballera longtemps
unvieux boulet de la propagande versaillaise. Le socialiste Paul
Faure rappelait que les communards avaient trainé pendant cinquante
ans la réputation de pétroleurs, terme mité, équivalent à
terroristes !
LES
CONSEQUENCE REFORMISTES DE L’ECHEC
DE
LA COMMUNE
Trotsky
a entièrement raison, dans son pamphlet - sur commande d’Etat
« prolétarien » contre Kautsky - de souligner que la
défaite de la Commune a signifié la fin de la Première
Internationale. Mais, dans sa hâte propagandiste ministérielle à
tirer sur tout ce qui critique le « gouvernement
révolutionnaire » russe, il répond trop impulsivement au
renégat Kautsky, qui a de beaux restes marxistes même s’il est
retord. On ne peut pas ni exalter la terreur ni la méthode
terroriste du point de vue du prolétariat, grand chambellan
Trotsky ! Sans examiner au niveau international toutes les
conséquences, l’échec de la révolution violente - sous son
aspect classique de rupture de la paix sociale avec armement du
prolétariat - donne un coup d’arrêt au versant révolutionnaire
et marxiste et favorise la réaffirmation du réformisme. Ce courant
sera endossé également par d’anciens insurrectionnalistes
anarchistes en France (convertis au syndicalisme apolitique de
clocher) et surtout en Allemagne par une social-démocratie
gradualiste. Pour cette dernière, opportunément, la répression
inouïe de la bourgeoisie versaillaise fournissait l’argument de
base pour valider le crétinisme électoral et revenir aux
conceptions de Marx antérieures à la Commune, à savoir de conquête
graduelle (non violente) de l’Etat bourgeois « tel que ».
De 1872 à 1879, avec l’étiolement de la répression, le mouvement
ouvrier en France se relèvera lentement mais au plan corporatif. Il
faut noter que la main d’œuvre
ouvrière
et artisanale a quasiment été exterminée à Paris par les pelotons
d’exécution sous les ordres du « haut commandement »
et des juges. Il faut reformer les corporations en même temps
qu’instruire de nouveaux compagnons ou en faire venir de province.
Les groupements syndicalistes demeurent résolument pacifistes et
dialoguent en position de faiblesse avec les pouvoirs publics. En
1872 il était passible de prison celui qui invoquait en public
l’insurrection. L’Ordre moral continuait à régner par la
terreur juridique et policière. En 1875 le tribunal de Grasse
procède à la dissolution d’une Chambre syndicale des maçons de
Cannes, non pour violences mais simplement parce que le Parquet
reprochait à ce syndicat d’avoir posé le principe d’un lien
fédéral avec les ouvriers des autres villes. Il faudra attendre la
loi de 1884 pour que les syndicats soient reconnus et après
l’amnistie. Le relèvement politique du mouvement socialiste
français de la saignée versaillaise ne sera pas terrible.
Le
18 novembre 1877, aidé de Gabriel Deville, Victor Marouck et
d’autres jeunes gens, Jules Guesde fonde le journal socialiste
L’Egalité qui publie d’anciens textes de Blanqui et des extraits
du Capital de Marx. Guesde commence sa carrière électorale en 1878.
Le 5 septembre de cette année, au soir de l’ouverture du premier
congrès socialiste, frappé d’interdiction, Guesde est arrêté
avec d’autres socialistes. Il est condamné à six mois de prison.
1879 sera l’année de l’affirmation de la nécessité de
l’amnistie des communards (obtenue en 1880), de l’élection et de
la libération de Blanqui mais aussi du congrès du parti ouvrier de
Guesde à Marseille. Les courants du mouvement ouvrier si longtemps
muselés se relèvent en claudiquant avec un versant corporatiste et
un versant politique - qui n’enthousiasme pas trop la plupart des
ouvriers échaudés par le massacre de 1871 et à qui on a bourré le
crâne que les communards étaient morts pour des politiciens. Sous
la chape de plomb étatique d’un pays encore surtout agraire c’est
donc le mouvement syndical qui refait surface en premier avec la
survivance du même esprit syndical étroit de 1864. Les premiers
congrès syndicalistes s’attirent la foudre des Blanquistes encore
réfugiés à Londres qui dénoncent leur bassesse et servilité:
« Dans
la ville de la Révolution, cinq ans après la lutte de la Commune,
sur la tombe des massacrés, devant le bagne de Nouméa, devant les
prisons pleines, il semble monstrueux que des hommes aient pu se
trouver, osant prendre le caractère de représentants du
prolétariat, pour venir, en son nom, faire amende honorable à la
bourgeoisie, abjurer la Révolution, renier la Commune. Ces hommes se
sont rencontrés : ce sont les syndicaux, et ils viennent de
tenir leur congrès (…) Pour nous, Communeux, nous n’avons qu’à
nous féliciter que ces hommes aient ainsi produit au grand jour
leurs idées réactionnaires. Par là même ils ont cessé d’être
un danger. Ils pourront trouver quelques complices ; ils ne
trouveront ni dupes, ni partisans dans ce prolétariat qu’ils
voudraient arracher à la révolution pour l’égarer à leur suite
dans le labyrinthe de leurs vaines réformes et de leurs intrigues ».
Les
anarchistes de la Fédération jurassienne de l’Internationale,
tout en reconnaissant qu’il n’est rien sorti de bon des débats,
se félicitent que des ouvriers aient pu se réunir en congrès à
Paris. En 1876, la fédération jurassienne s’en prend vivement au
journal de Guesde, l’accusant d’avoir insulté les socialistes
italiens et se démarque : « Les
chambres syndicales n’auront rien à voir dans ce journal, ni les
ouvriers révolutionnaires non plus : ce sera une feuille tout
simplement radicale, représentant un petit groupe d’hommes qui,
dans les dernières élections, s’étaient joints à la coalition
bourgeoise des 363 contre le gouvernement de Mac-Mahon. Un article
que Guesde a récemment publié dans la nouvelle revue allemande de
Berlin, Die Zukunft, disait positivement que les ouvriers doivent
voter pour les candidats de la République bourgeoise, parce qu’il
s’agit avant tout de maintenir la forme républicaine contre les
tentatives des monarchistes : voilà qui indique suffisamment la
couleur et les intentions de ce groupe de journalistes et d’ambitieux
qui désirent arriver à la Chambre » .
De 1879 à 1895, le combat politique socialiste semble reprendre le
dessus. Le guesdisme triomphe du corporatisme. L'action syndicale
redevient un prolongement et une annexe de l'action socialiste.
L'esprit d'opposition au capitalisme et au gouvernement est si fort
que, lorsque la loi du 21 mars 1884 vient donner au syndicat une
réglementation juridique cependant très libérale, la majorité des
groupements professionnels (plus politiques) repousse ce présent de
l’Etat et refuse d'observer les prescriptions légales. À partir
de 1895 commence une troisième période, la période de
corporatisme radicalisé syndicaliste, durant laquelle s'élaborent
une doctrine et une tactique à prétention révolutionnaire, mais
qui se distinguera de plus en plus du socialisme politique pour finir
par s'opposer à lui. La question de la grève générale produira le
clivage. Les guesdistes se montrèrent hostiles à la grève
générale. Ils la considéraient comme une chimère et pensaient que
tant que le pouvoir politique serait aux mains de la bourgeoisie, il
n'y aurait pas de révolution sociale possible. L'objectif essentiel
de la lutte devait donc rester la conquête des pouvoirs publics et
le syndicat devait demeurer subordonné au parti comme en Allemagne.
La chimère de grève générale triompha au congrès de Marseille
(1892). Si les guesdistes la repoussaient, elle était vue avec
ferveur par deux sectes socialistes : les allemanistes et les
blanquistes. Les allemanistes étaient une branche dissidente du
groupe possibiliste. Allemane s'était séparé du Dr Brousse en
1890. Ancien communard, condamné par un conseil de guerre aux
travaux forcés à perpétuité, rentré en France en 1880, Allemane
était de son métier ouvrier typographe, et sa querelle avec le
docteur était marquée pour une part avec l'antagonisme du manuel et
de l'intellectuel. Une fois constitués en groupe distinct, les
allemanistes en 1892 dressèrent un programme d'action qui donnait
une place très large à l'action syndicale ouvrière, et qui
admettait expressément la grève générale. Quant aux
blanquistes ils prévoyaient qu'au lendemain de la Révolution,
la dictature du prolétariat devrait être établie et maintenue
jusqu'à ce que le régime nouveau fût définitivement consolidé.
Sans attacher à la grève générale une importance primordiale, ils
n'y étaient pas opposés, et au congrès de Marseille ils unirent
leurs voix aux allemanistes en sa faveur.
Ces
éléments, préexistant au syndicalisme révolutionnaire, lui
ouvrirent la voie. Les anarchistes eux avaient rompu avec les
socialistes en 1879, au congrès de Marseille, et vivaient isolés ou
en petits groupes à Paris, Marseille et dans la région lyonnaise.
Cet isolement allait favoriser l’impatience révolutionnaire et le
désir de forcer l’histoire. Si la majorité des anarchistes se
reconvertissent d’abord dans la branche du syndicalisme
révolutionnaire, une partie, tout en restant liée avec leurs
camarades d’ateliers ou d’école communale ne peut se satisfaire
d’une lutte aussi gradualiste que le parlementarisme socialiste au
fond. La haine de la barbarie versaillaise est toujours présente
dans les esprits, un peu d’ailleurs comme le crucifixion de Jésus.
Et des conceptions sommaires de la bourgeoisie se résument à des
personnes opulentes, à des hôtels de plaisir bourgeois, etc. En
cette fin du XIXe siècle que la classe ouvrière s’extirpe encore
peu à peu du monde rural lequel reste prégnant au niveau des
besoins et des comportements. Les besoins des éléments récemment
prolétarisés, mêlés à une faune d’individus instables qui
fréquentent des cafés où certains passent beaucoup de temps à
écouter celui qui parle le plus fort, sont marqués par l’impatience
et le goût de la violence dans les échanges. Parmi les ouvriers les
plus vindicatifs, voire les plus décidés à passer, on trouve des
immigrés italiens, mais plus souvent encore des paysans/ouvriers
monté à Paris des diverses provinces. L’ouvrier immigré italien,
venu d’un pays tardivement constitué, se retrouvera peu à peu en
tête des luttes de classe. La venue de l’immigrant italien remonte
au Second Empire (1852-1870) et ce phénomène subit une nette
accélération dans les années suivantes, à partir de 1875 sous la
Troisième République. L'immigration italienne provient pour
l'essentiel du nord de la péninsule, en particulier du Piémont et
de la Toscane et, dans une moindre mesure, de Lombardie et
d'Émilie-Romagne. Dans l'ensemble, ces immigrés étaient des hommes
jeunes et à forte mobilité. La cause première était la nécessité
pour tous ces hommes et femmes de quitter un pays où les paysans
étaient globalement exclus du processus de structuration
capitaliste. Autre caractéristique de cet ouvrier immigré jeune, il
veut aller plus vite que tout le monde et en finir avec la société
capitaliste. D’une manière ou d’une autre.
Le
souvenir de la Commune n’a-t-il donc pas suscité des vocations
terroristes, comme l’a suggéré au chapitre précédent un
propagandiste anarchiste anonyme ? Pour une part, la mémoire du
carnage sanglant et l’avachissement politique des organismes qui se
réclamaient du mouvement ouvrier n’empêchait pas de dormir ni ne
motivait de jeunes éléments anarchistes mécontents de leur
situation sociale (animés par un désir de vengeance) et,
certainement ignorant dans le détail le déroulé des événements
trois décennies auparavant. En Russie par contre au même moment, où
le drame de la Commune était peu connu, les jeunes intellectuels se
révoltaient non simplement par vengeance mais contre l’étau d’une
autocratie d’un autre âge. Après 1870 en Russie le nihilisme
anarchiste passe à l'action. Les réformes d'Alexandre II avaient
laissé de lourdes déceptions sociales; beaucoup des paysans,
affranchis du seigneur, étaient tombés sous les griffes de
l'usurier, plus misérables, et désespérant de posséder jamais le
coin de terre que la loi leur accordait nominalement. Le tsar
lui-même, inquiet du mouvement dit nihiliste, avait renoncé à
développer les institutions libérales qu'il avait concédées dans
un accès de générosité. Les étudiants russes allaient tenter
d’apporter de l’extérieur le réveil pour les masses exploitées.
En janvier 1876 Vera Zassoulitch tire sur le chef de la police de
Saint Pétersbourg, Trepov qui avait torturé un de ses camarades, le
blesse. Elle est acquittée de cet attentat et devient une égérie
de la révolution en Europe et même une correspondante de Marx.
L’histoire de la Narodnaya Volia (La volonté du peuple) est
connue, son credo, la terreur systématique contre les tyrans finira
par être contre-productive et simple prurit d’une idéologie de
révolte paysanne dépassée, relayée par l’intelligentsia en
colère.
LES
LOIS ANTI-SOCIALISTES EN ALLEMAGNE
Le
mouvement socialiste avait assisté impuissant en Allemagne à
l’écrasement sanglant de la Commune alors que le pays était en
situation d’armistice avec la bourgeoisie française vaincue. Il
n’y avait aucun risque par conséquent de généralisation de la
« révolution violente ». Pour la période moderne de la
fin du XIXe siècle, l’Allemagne est désormais toujours en avance
sur la France pour les réformes ou les lois sociales
exceptionnelles. Des « lois scélérates » avaient été
adoptées quinze années avant la France. En 1878, à l’occasion de
deux attentats minables contre le kaiser Guillaume 1er,
qui ont été évoqués au chapitre précédent, Bismarck s’en sert
pour museler la social-démocratie. Le prétexte d’une collusion
avec les terroristes était pourtant bien mince, ils avaient assisté
à des réunions du parti SD alors qu’ils n’en étaient ni
membres ni sympathisants. Le droit de réunion avait été suspendu
un peu partout, perquisitions et condamnations pleuvaient. Au lieu de
répliquer sans baisser la garde ou en organisant de grandes
manifestations ou grèves, la social-démocratie se coucha devant
Bismarck. Pendant des semaines l’organe central du parti, le
Vorwärts, publia en tête de chaque numéro l’appel suivant :
« Camarades ! Ne vous laissez pas provoquer ! On veut
tirer ! La réaction a besoin d’émeutes pour gagner la
partie ! ». Cet appel pleutre signifiait bien que
l’appareil socialiste allemand avait gardé son appréhension de la
Commune de 1871 comme une tempête sociale dangereuse à éviter.
Répondant au téméraire Jules Guesde qui avait objecté que
bientôt « la violence répondra à la violence », les
bonzes socialistes se justifiaient de leur mollesse : « La
S.D. allemande veut un mouvement pacifique et réformateur ;
elle ne veut pas autre chose. Elle a progressé avec succès, selon
ses vœux,
opposant par son organisation une digue, la seule digue réelle,
aux tentatives d’émeutes et à celles des faiseurs de
révolution ».
Au Reichstag, Willhelm Liebknecht n’eût pas honte de déclarer non
plus tenir « pour insensée la fabrication de révolutions par
la force ». Pourtant la plupart des organismes et associations
du parti avaient été dissous et Marx et Engels s’arrachaient les
cheveux devant cette lâcheté politique. En réaction contre ce
délitement opportuniste, le député Johann Most, réfugié à
Londres prôna d’ailleurs pendant quelque temps « la liberté
par le terrorisme ». La réaction d’un bonze socialiste à la
critique anarchiste « par le fait » contre la répression
- et donc en même temps contre la politique conciliationniste de la
social-démocratie – montre comment cette critique a servi à
renforcer la régression anti-révolutionnaire de la S.D. allemande.
La S.D. coinçait en même temps tout prolétaire révolté dans le
faux choix ou terrorisme (qui est nommé encore anarchisme) ou
pacifisme électoraliste. Au surplus, la totale démocratie
ronflante se pavanait comme sauveur de l’ouvrier égaré :
« Il
y eût beaucoup d’ouvriers qui, sous l’effet de la loi
anti-socialiste, tombèrent dans les bras de l’anarchisme. C’est
à la S.D. exclusivement que revient le mérite d’avoir empêché
l’anarchisme de gagner du terrain en Allemagne. C’est la S.D. qui
l’a combattu partout et lui a interdit l’entrée de la grande
armée des travailleurs socialistes, ce dont ni un gouvernement ni
une police ne seraient capables ». La
« totale démocratie » opportuniste en était venue à se
considérer plus efficace que laz police. C’est tout dire ! En
quelque sorte une autre mère putative du futur stalinisme !
LA
BELLE EPOQUE DU SYNDICALISME REVOLUTIONNAIRE
Comparée
à l’Allemagne, il faut bien considérer que la gigantesque saignée
de la Commune, suivie d’un long désert politique, a empêché la
renaissance et même la naissance d’un véritable parti socialiste,
influent et unitaire en France. L’industrialisation s’est
développée à pas de géant en Allemagne et a produit un
prolétariat moins dépendant de l’entreprise artisanale
individualiste. On a vu que, peu après la période de punition de la
Commune, la bourgeoisie française n’avait toléré que des
organismes corporatifs. Ces mêmes organismes se sont développés en
bourses du travail en fédérations mais seront incapables de générer
un grand parti politique de masse. La renaissance du corporatisme,
cet enfant chétif d’une classe ouvrière décimée, parviendra
tout juste à une sorte d’adolescence maladive et immature :
le syndicalisme révolutionnaire.
En
1895, sans rompre totalement avec la théorie de la propagande par le
fait, encore en vogue, la Confédération Générale du Travail
(C.G.T.) a été créée. Ses fondateurs, blanquistes, allemanistes,
anarchistes et modérés, étaient d'accord pour répudier l’horrible
politique guesdiste et patienter dans l’attente d’un changement
de société lointain avec des moyens de luttes au niveau économique
plutôt qu’en ayant recours aux diaboliques moyens politiques !
Fernand Pelloutier qui devient cette même année secrétaire de la
Fédération des Bourses du Travail est une variété d’anarchiste
violemment anti-parlementaire, qui connut un certain succès en
milieu ouvrier dégoûté des scandales politiques et d’élections
qui ne concernaient que ceux qui savaient lire ou occupaient des
professions de fonctionnaires. En 1902, était décidée la réunion,
en un faisceau unique, de la Fédération des Bourses à la C.G.T.
Quand il s'agit de choisir les moyens de lutte contre la société
capitaliste, la doctrine des militants syndicaux radicaux s'avère
plus originale. Tout d'abord — et c'est ici le seul point peut-être
où révolutionnaires et modérés du syndicalisme vont se trouver
d'accord —, on affirme la nécessité pour l'action syndicale d'une
autonomie et d'une indépendance complètes. Le congrès CGT de 1906
élabore la séparation du politique et de l’économique avec sa
« Charte
d'Amiens ».
En ce qui concerne les individus, liberté entière est laissée au
syndiqué d'adhérer au parti politique qui a ses préférences, mais
sous la réserve expresse qu'il n'introduira pas dans le syndicat les
opinions qu'il professe au dehors. En ce qui concerne les groupements
syndicaux, ils n'ont pas à se préoccuper des questions et des
luttes des partis politiques ; leur action doit s'exercer
exclusivement contre le patronat sur le plan économique. En outre,
bien qu’elle ne soit pas notifiée, ce qui est typique de toute
proclamation opportuniste, la charte suppose une ambiguë « action
directe » dont les modalités ne sont pas précisées mais qui
remontent à l’esprit de complot et de clandestinité qui
régissaient les très anciennes corporations artisanales.
De
quelles armes fera-t-on usage pour cette « action directe » ?
Le syndicalisme révolutionnaire en recommande surtout trois: la
grève, le boycottage, le sabotage. La grève, partielle d'abord,
générale quand les circonstances le permettront, est un
entraînement, une gymnastique salutaire qui aguerrit le prolétariat
en vue des luttes suprêmes. Grève, boycottage et sabotage seront
organisés et dirigés par le syndicat, et pour que celui-ci ne se
dérobe pas à sa mission révolutionnaire, il ne sera composé que
de l'élite militante de la classe ouvrière, minorité active qui
entraînera les masses à sa suite. Les théories des militants
réformistes étaient plus nuancées Les Niel, A. Keüfer,
Guérard, tout en se montrant favorables à la grève, qu'ils
considèrent comme un droit imprescriptible pour les ouvriers,
estimaient que, dans l'intérêt même de la cause ouvrière, il faut
éviter les grèves trop fréquentes et qu'il y a pour les ouvriers
obligation morale à s'abstenir de la grève, quand elle risque
d'engendrer une calamité publique dont les conséquences pèseraient
sur la masse de la population innocente. S'ils acceptent le
boycottage comme moyen de pression sur le patron, si quelques-uns
admettent même le « sabotage immobilisateur », tous
condamnent le sabotage destructeur, dont Keüfer
déclare qu'il manque « de moralité, de courage, de dignité ».
Tandis que les syndicalistes radicaux repoussent avec mépris la
législation de protection ouvrière, les réformistes l'acceptent et
la sollicitent.
Les
réformistes étaient nombreux et dominaient nettement dans
quelques-unes des fédérations à gros effectifs, en particulier à
la Fédération du livre. Mais, dans les congrès confédéraux, ils
furent toujours mis en minorité. Cela tient au mode de votation qui
était en usage dans ces congrès : chaque syndicat avait droit
à une voix, quel que fût l'effectif ouvrier qu'il représentait.
Les réformistes tentèrent bien à plusieurs reprises de faire
abandonner cette règle qu'ils jugeaient irrationnelle, mais les
radicaux se refusèrent à leur donner satisfaction : ils
faisaient remarquer que les syndicats les plus petits sont aussi les
plus ardents et les plus résolus, et qu'il serait inadmissible que
leurs voix fussent étouffées par celles des grandes fédérations
modérées, et ils ajoutaient que ce ne sont pas les individus, mais
les professions qui doivent être représentées au congrès, et que
ces professions sont des entités de valeur sociale égale.
La
vogue dont bénéficia pendant quelques années cette doctrine du
syndicalisme révolutionnaire ne devait pas survivre à la montée
vers la Première guerre mondiale et confirmer la faiblesse du
mouvement ouvrier français, toujours pas remis de l’écrasement de
la Commune. Les Sorel, Berth et Largardelle qui se proclamèrent les
théoriciens de ce syndicalisme radical d’origine anarchiste
restèrent toujours très éloignés dela lutte de classe et des
ouvriers. Ils n'exercèrent à peu près aucune influence sur
l'orientation de la C.G.T. et le syndicalisme en général. Les
théorie de la violence et de la grève générale ne furent pour
eux que des thèmes sur lequel ils brodèrent de savantes variations
littéraires et idéologiques. Georges Sorel, cet ancien ingénieur
des Ponts et chaussées venu tardivement à la réflexion politique a
cependant assez bien résumé le programme syndicaliste
révolutionnaire sous ses deux aspects saillants :
- L’apologie (confuse) de la violence
- L’exaltation de la grève générale.
Lorsqu’on
relit Sorel aujourd’hui, on s’aperçoit non seulement qu’il est
au fond, lui, pacifiste, et brouillon mais qu’il discute de la
catégorie « violence » non pas politiquement et en lien
avec l’événement clé sur la question – la Commune de Paris –
mais dans les catégories éthérées d’une philosophie
bergsonienne. Il ne s’agit que d’une apologie symbolique de la
violence. De ce qu'il consacre tout un chapitre de ses
Réflexions à
la « moralité de la violence », il ne s'ensuit pas qu'il
souhaite qu'entre la bourgeoisie et le prolétariat se livrent des
combats sanguinaires. Sorel n'appelle et n'approuve la violence que
d'une manière en quelque sorte virtuelle, en tant qu'elle marque la
volonté d'intransigeance et d’affirmation du prolétariat. Si
cette volonté existe, il suffira de quelques manifestations
concrètes pour la renforcer de temps en temps. Sorel déclare qu'on
peut concevoir « que le socialisme soit parfaitement
révolutionnaire, encore qu'il n'y ait que des conflits courts et peu
nombreux ». Peu explicite. Avec l'idée de grève générale,
Sorel se moque de ses lecteurs intellectuels anarchistes puisqu’il
l’envisage comme un mythe (qu’elle fut et est toujours
effectivement) qui vaut moins comme anticipation du futur que comme
image capable d'exciter les énergies et d'entretenir l'ardeur
combative. Sorel donne l'exemple des premiers chrétiens, qui
attendaient pour une date très prochaine le retour du Christ. Le
mythe apocalyptique joua un rôle capital dans l'histoire de
l'Église, puisqu'il entretint l'exaltation des croyants, soutint
leur énergie, et contribua finalement d'une façon efficace à
l'essor du christianisme. De même le mythe de la grève générale
n'est peut-être point destiné à durer mille ans mais était
supposé permettre la transsubstantiation du socialisme. Puis cette
vogue d’un syndicalisme radical improbable et inutile au
renforcement de l’Etat libérale moderne, s’évanouissant dans
les charmes vénéneux de la Belle époque et les fusillades de
Clemenceau, Georges Sorel fit ses adieux au syndicalisme
révolutionnaire pour s’amouracher le temps d’un été du
bolchevisme.
Le
temps des révolutions du XIXe siècle est passé, se revendiquer de
la Commune n’est plus qu’un anachronisme sentimental pour
anarchiste pratiquant. Il n’y aura plus de leader de la taille d’un
Blanqui en France mais de petits politiciens du rigide Guesde au
brave républicain Jaurès. L’anarcho-syndicalisme s’installe
dans le paysage corporatif en refusant la lutte pour le pouvoir
politique. Le syndicalisme révolutionnaire lui a succédé peu de
temps avant de s’effondrer face au fracas des bombes artisanales et
les lois scélérates, à la veille de la vague révolutionnaire du
début du XXe siècle. Le syndicalisme révolutionnaire fut en crise
en 1908-09, avec la grève
de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges,
violemment réprimée par Clemenceau.
Plusieurs grévistes sont tués, à bout portant, par l'armée.
Clemenceau fait arrêter les principaux cadres de la CGT, absents
lors du Congrès
de Marseille d'octobre 1908.
Avec l'adhésion de l'importante Fédération des métallurgistes,
plus modérée et pragmatique, les syndicalistes révolutionnaires
perdent insensiblement du terrain, ce que les bordiguistes ont assez
bien restitué : « Formé
dans une société au passé rempli de luttes politiques, le
prolétariat français s’est donc épuisé dans des révoltes
sanglantes en vue d’abolir le capitalisme avant que le
développement de ce capitalisme lui en ait fourni la force. S’il a
ainsi écrit les premières pages glorieuses du mouvement qui devait
conduire à la victoire prolétarienne de l’Octobre russe, s’il a
tracé avec son sang les lignes immuables du programme
révolutionnaire de sa classe, il y a perdu une énergie historique
qu’il ne devait plus jamais reconquérir, même quand
l’industrialisation capitaliste fût venue grossir ses rangs de
centaines de milliers d’hommes, et qu’il eut assimilé les
principes fondamentaux du socialisme moderne ».
LA
PAYSANNERIE N’EST PAS REVOLUTIONNAIRE
L’enfoncement
de la social-démocratie internationaliste dans le crétinisme
parlementaire qui n’appréhende plus la population civile que comme
un tout indistinct, laisse au second plan la place et le rôle de la
paysannerie moderne. On a vu que le jugement de Marx et Engels sur
les paysans a souvent varié de leur apologie révolutionnaire à un
mépris caractérisé. Dans La guerre
civile,
Marx croyait que l'isolement de Paris et la brève durée de la
Commune avaient seul empêché les paysans de se joindre à la
révolution prolétarienne. Il commettait la mâme erreur
d’appréciation sur « le sac de patates » que lors de
la rédaction du
18 brumaire
: «
Le paysan a été bonapartiste parce qu'il confondait la grande
révolution et les avantages apportés par elle avec le nom de
Napoléon. Sous le Second Empire, cette erreur avait presque
complètement disparu. Ce préjugé de l'ancien temps n'aurait pas pu
résister à l'appel de la Commune qui touchait aux intérêts
vitaux, aux besoins immédiats des paysans. Messieurs les ruraux
comprenaient parfaitement que si le Paris de la Commune communiquait
librement avec les départements, l'ensemble de la paysannerie
s'insurgerait au bout de quelque trois mois ».
L'histoire
de la Troisième République a démontré que sur ce point, Marx
s'était trompé. Dans les années 1870, les paysans (comme, du
reste, une grande partie de la petite bourgeoise citadine de la
province française) étaient encore très loin de rompre avec le
capital et la bourgeoisie, de reconnaître en celle-ci « la classe
d'oppression », de considérer le prolétariat comme la «
classe libératrice » et de confier à ce dernier la direction
de leur mouvement. En 1895, toujours dans la préface de La
lutte des classes,
Engels devait dire : « Il
s'est avéré une fois de plus, vingt ans après les événements de
1848-1851, que le pouvoir de la classe ouvrière n'était pas
possible »,
car «
la France n'a pas soutenu Paris » ;
La France, c’est dire la population paysanne. D'autre part, Engels
désignait, comme cause de la défaite, l'absence d'unité au sein
même du prolétariat insurgé, ce qui témoignait de son
insuffisante maturité révolutionnaire et le poussait à gaspiller
ses forces dans une « lutte
stérile entre blanquistes et proudhoniens ».
L’écrasement
puis l’amnistie de la Commune n’ont-ils pas préparé les esprits
à l’Union nationale patriotique de 14-18, plus qu’aux
révolutions russes de 1905 et 1917 ? En France, le poison
nationaliste réactivé avec l’affaire Dreyfus gomme la lutte des
classes sociales et l’horreur répressive de la bourgeoisie
versaillaise et rurale pour ne retenir que la « division des
français » qui aurait permis la victoire allemande et la perte
des deux provinces de l’Est. Ni communiste ni terroriste, la
Commune de Paris avait posé plus de questions qu’elle n’avait pu
en résoudre. Elle avait montré que les conditions de la guerre
civile étaient un des meilleurs moyens pour liquider la révolution,
ce que les jeunes socialistes italiens comprenaient un demi-siècle
plus tard :
« La
révolution contrainte à la guerre : c’est le triomphe commun
des tendances contre-révolutionnaires tant des Empires centraux que
de l’Entente. La guerre est la fin certaine d’une révolution
ouvrière parce qu’elle tue le contenu vital de la politique
socialiste et asphyxie son économie politique ».
La
politique des otages. Dès le 5 avril
1871, la Commune décide en un décret historique « que toutes
personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de
Versailles […] seront les otages du peuple de Paris ». Elle
précise en outre dans l’article 5 : « Toute
exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du
gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ,
suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus […]
et qui seront désignés par le sort. » Ce décret suscite
émotion et indignation dans le camp versaillais, de même que chez
certains « observateurs » comme Victor
Hugo dans son poème « Pas de représailles »
(L’Année terrible,
1871). Dans les rangs communards mêmes, cette mesure est souvent
désapprouvée, ainsi par Prosper-Olivier Lissagaray, l’un des
premiers historiens de la Commune, qui l’évoque comme une
« razzia de soutanes ». Quelques jours plus tard, la
Commune propose l’échange de Monseigneur
Darboy, l’archevêque de Paris, contre le vieux
révolutionnaire Auguste Blanqui retenu prisonnier à Versailles.
Les négociateurs versaillais manifestent peu d’empressement à
répondre aux propositions des autorités parisiennes. La Commune
réitère son offre à plusieurs reprises. Elle en change même les
termes puisque, le 14 mai 1871, elle propose de libérer les
soixante-quatorze otages qu’elle retenait à Paris contre la
libération du seul Blanqui. Thiers
refuse la proposition, tandis que son secrétaire Barthélemy
Saint-Hilaire ajoute : « Les otages ! Les otages,
tant pis pour eux ! » Et si Versailles reprend ses
massacres de blessés et de prisonniers, la Commune n’applique
d’abord pas son décret. Ce n’est qu’avec la « Semaine
sanglante » que Théophile Ferré (1846-1871) signe finalement
l’ordre d’exécution de six otages, qui sont passés par les
armes le 24 mai dans une cour de la prison de la Roquette.
SUR LA QUESTION DE LA VIOLENCE Robert Tombs est très éclairant du point de vue révolutionnaire, et va dans mon sens contre les jacobins et blanquistes apologistes de la prise d'otage et de la terreur rouge, comme plus tard les ministres Lénine et Trotsky, cf. chapitre: LA COMMUNE ET LE PROBLEME DE LA VIOLENCE POLITIQUE EN FRANCE:
"... la Commune (l'assemblée communarde à ne pas confondre avec la masse, note de JLR) se refusa toujours à autoriser les exécutions , non seulement des otages mais aussi des gardes nationaux condamnés pour manquement au devoir" (p.312).
SUR LA QUESTION DE LA VIOLENCE Robert Tombs est très éclairant du point de vue révolutionnaire, et va dans mon sens contre les jacobins et blanquistes apologistes de la prise d'otage et de la terreur rouge, comme plus tard les ministres Lénine et Trotsky, cf. chapitre: LA COMMUNE ET LE PROBLEME DE LA VIOLENCE POLITIQUE EN FRANCE:
"... la Commune (l'assemblée communarde à ne pas confondre avec la masse, note de JLR) se refusa toujours à autoriser les exécutions , non seulement des otages mais aussi des gardes nationaux condamnés pour manquement au devoir" (p.312).