"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 3 octobre 2020

Rapport dûment rempli auprès du Duce concernant la seule vraie fraction révolutionnaire en Italie

Sommaire de cette archive :

  • rapports policiers auprès de Mussolini concernant la presse de la fraction révolutionnaire « Prometeo »

  • La lotta nostra (stalinienne)

  • La nuova critica sociale (stalinienne)

  • Les documents du Parti communiste internationalistes

  • La Sinistra Proletaria (socialo-communiste)

  • La lettre fulgurante à Palmiro Togmiatti.

  • L'Opposition de gauche un danger public



Ces rapports policiers réguliers, précis et non partisans sont pour moi UNE DECOUVERTE MAJEURE dévoilant l'importance de la fraction italienne anti-capitaliste et anti-stalinienne pendant la guerre, et sa considération aux plus hauts sommets de l'Etat fasciste.

Je trouve ici l'occasion de répéter ce que j'avais souligné au début de ma publication des archives de la police secrète italienne : la police fasciste était politiquement intelligente, voire plus que la démocratique. Vous allez lire ici un résumé du suivi perspicace de la presse de la fraction italienne dans la clandestinité et pourchassée à la fois par les fascistes et les staliniens. Les policiers avisés de Mussolini restent incrédules devant la tonalité des mensonges antifascistes, ou du moins les explications intraitables de ceux qu'ils espionnent les aident à comprendre la supercherie du nationalisme stalinien et des gauches bourgeoises qui un peu partout ont mené le prolétariat dans cette terrible guerre dite « internationale » alors qu'elle était cyniquement mondiale. Le compte-rendu et le choix des citations sont à mon avis le meilleur résumé de la gloire et lucidité de cette fraction qualifiée d'ultra-gauche (les policiers intellectuels continuent cependant à la nommer trotskiste, alors que le trotskisme est déjà une pourriture complète qui ne se distingue même plus du stalinisme et que Trotski est un con depuis les années 1930). Il ne faut pas oublier que Mussolini avait milité dans sa jeunesse


avec la plupart de ses opposants restés vraiment communistes eux, qu'il avait le souci de les faire surveiller connaissant leur dangerosité politique ; ils ne se trompèrent pas vraiment, Mussolini comme tous les autres dirigeants bourgeois craignait la révolution à la fin de la guerre, laquelle n'eût pas lieu pour des raisons évidentes dont j'ai souvent traité et ce n'est pas le lieu de les redévelopper, mais la fraction communiste avait avant tout le monde prédit la chute du fascisme, comme principale raison pour empêcher toute nouvelle révolution !

Plutôt que la lecture assommante des laïus bordiguistes sur l'invraisemblable parti invariant ou les à peu près opportunistes du CCI concernant un courant dont il n'aura jamais été à la hauteur, je conseillerai toujours vivement cette lecture à tout néophyte désireux de comprendre rapidement ce que signifient les positions de classe « in vivo », au pire moment de la contre révolution. L'essentiel est dit et d'une belle écriture et souvent avec un bel humour décontracté, ce dont les militants rigides des sectes modernes ne sont même pas capables. Tout est dit en peu de citations sur les causes de la guerre, sur le mensonge antifasciste. Les cerbères fascistes sont même ébranlés que Prometeo prédise déjà l'effondrement de leurs régimes... par des ennemis partisans des mêmes méthodes filoutes et dictatoriales.

Vous lirez avec plaisir et joie la lettre qui dégomme Togliatti, elle venait semble-t-il d'Amérique du Sud, car les « italiens » avaient des partisans comme enpartout dans le monde, admirateurs de leur clarté politique et de leur courage. Oui je suis fier de publier cette synthèse intelligente, d'autant plus de la part de gens de l'autre bord, avisés et intelligents tout en étant au service de la classe bourgeoise, qui en tout cas, dans l'observation, ne pouvait pas se mentir à eux-mêmes comme c'est l'habitude au sein de la gauche bourgeoise et du néo-stalinisme à la Mélenchon ou dans le ridicule NPA.

Merci encore au remarquable traducteur Jean-Pierre Laffitte (mais c'est de peu d'importance, n'arrive pas à écrire le mot révolutionnaire avec deux n, sinon je n'ai pratiquement jamais d'autres fautes à corriger).

Extraits, se rapportant (principalement) à “Prometeo”,

et tirés des rapports relatifs à la presse clandestine,

faits à notre Duce Mussolini

1943-1945

 

7°) PROMETEO – “Organe du  Parti communiste internationaliste”.

Il comporte dans le titre : “Année 22, série III – Sur la voie de la gauche”.

 Unique journal indépendant. Idéologiquement, le plus intéressant et le plus compétent. Contre tout compromis, il prêche un communisme pur, indubitablement trotskiste, et de toute façon antistalinien. Cette attitude est définie de manière claire et tranchante dans l’article : “La Russie que nous aimons et que nous défendons” (01-12-1943), dans lequel le journal « se déclare sans hésitations comme étant un adversaire de la Russie de Staline, en même temps qu’il se déclare être un fidèle combattant de la Russie de Lénine ». À ce propos, il invite les ouvriers à méditer sur le phénomène de la profonde et soudaine solidarité du bourgeoisisme réactionnaire à l’égard de la Russie d’aujourd'hui. Dans un autre article du 01-02-1944, pour le vingtième anniversaire de la mort de Lénine, le journal se dresse contre « la fourberie de l’État stalinien, qui a réalisé le rêve de toutes les réactions : endormir les masses avec l’opium de la mystification officielle et mensongère ».

Il combat la guerre sous n’importe quel aspect : démocratique, fasciste ou stalinien. C’est pourquoi il lutte également contre les “partisans”, le Comité de Libération Nationale et le Parti Communiste Italien. Cette attitude est clairement exposée dans l’article de tête du numéro du 1° novembre 1943, “Notre voie”, dans lequel, à la lumière de la doctrine léniniste, il approfondissait la nature du conflit actuel et il définissait la position des deux groupes belligérants comme « des faces différentes d’une même réalité bourgeoise ». Dans le même article, ayant dénoncé le bloc des partis antifascistes comme étant un facteur de détournement et d’endormissement des idéaux prolétariens, il fait remarquer l’absurdité de l’internatio-nalisme quand on prêche la guerre nationale – « mais seulement contre les Allemands ! » –, tandis que l’on n’évite pas le danger de l’impérialisme anglais. Ce qu’il y a d’intéressant dans le même article, c’est la critique de cette croisade antiallemande à laquelle les masses ont stupidement mordu, cédant à un sentiment dont « toutes les réactions se sont servies jusqu’à présent pour leurs guerres de rapine et d’extermination ».

En deuxième page du même numéro, il faut signaler ce qui suit en caractères gras, corps 12 en italique : « Ouvriers ! Au mot d’ordre de la guerre nationale qui arme les prolétaires italiens contre les prolétaires allemands et anglais, opposez le mot d’ordre de la révolution communiste qui unit par-delà les frontières contre le même ennemi – le capitalisme – les travailleurs du monde entier ».

Nettement antinational, le journal affirme que le prolétariat « a déjà choisi entre le drapeau tricolore et le drapeau rouge » (01-11-1944, en gras p. 2).

Prometeo mène une polémique particulièrement aiguë et vive à l’encontre de Palmiro Togliatti (Ercoli), le chef « par investiture stalinienne » de « ce qui fut un temps le Parti Communiste d’Italie », et cela à cause principalement des efforts de celui-ci pour la mise en œuvre d’une politique « qui garantirait l’entrée en guerre  des masses populaires » (même numéro).

Le journal condamne de même « la chaîne d’assassinats politiques et de représailles qui a pour unique résultat de disperser la volonté révolutionnaire des masses en actions sans avenir ». Quant aux bandes armées, « nées de la débâcle de l’armée », il les définit comme étant « des instruments du mécanisme de guerre anglais ».

Cette attitude de Prometeo ne pouvait pas manquer de susciter la violente réaction du Parti Communiste Italien, et de manière particulière d’Ercoli, comme on le verra à propos de la revue La nostra lotta.

 

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10°) LA NOSTRA LOTTAOrgane du Parti Communiste Italien, qui est publié sous forme de revue.

Elle donne beaucoup d’importance aux grèves qu’elle présente comme des épisodes sérieux de la lutte antiallemande (encore plus qu’antifasciste). À cette occasion, elle souligne l’inaptitude des courants libéraux-démocratiques qui sont à la tête du Comité de Libération Nationale, et même la faible capacité de lutte de ce même Comité dont pourtant elle fait toujours partie. C'est à l’isolement du Parti Communiste qu’est dû le fait que les grèves n’ont pas pris un caractère de plus grande extension et intensité.

Ces accusations aident encore mieux à comprendre le désaccord latent entre les différents groupes qui est a été souligné ci-dessus.

Indubitablement, c’est l’élément communiste qui est le plus dynamique et le plus aguerri de ceux qui sont à la tête du Comité de Libération Nationale. Et en fait foi aussi la polémique engagée avec ceux qui prétendraient donner aux formations armées de rebelles un caractère apolitique et “antiparti”, lequel est jugé extrêmement préjudiciable par la revue. Une conception semblable pouvait avoir sa raison d’être durant le Risorgimento Nazionale (le communisme italien ne renonçant pas encore à se présenter comme l’héritier légitime des courants patriotiques du siècle passé) étant donné que la Nation italienne n’est plus une nation de peuple dans le sens qui était encore valide, mais une nation de partis. Il trop facile de reconnaître dans la tentative de formation d’un bloc national en dehors des partis “l’empreinte badoglienne” qui, toujours équivoque, ne veut pas reconnaître son échec et « cherche à s’assure des positions antidémocratiques pour l’avenir ».

La revue propose l’encadrement des forces combattantes dans un Front National de la Jeunesse  dans lequel il est par trop évident que la propagande communiste pourra se dérouler efficacement.

Les attaques lancées par la revue contre le capitalisme italien, qui a profité des vingt ans de fascisme, qui s’est inséré ensuite dans l’ordre badoglien, et qui est maintenant « au service des Allemands pour affronter la pression de plus en plus sensible des masses ouvrières » (ce qui le contraindrait encore à soutenir et à financer les fascistes), sont intelligentes. C’est avec un étalage de données statistiques, destinées à avoir prise sur les cerveaux ouvriers, et surtout à fournir du matériel de discussion aux propagandistes du parti, qu’elle « démontre que le capital financier est l’unique profiteur de l’immense tragédie qui s’est déchaînée sur l’Italie ». C’est pourquoi « la lutte contre le grand capital réactionnaire doit faire partie intégrante de la lutte de libération ».

La revue est rédigée avec une grande habileté dialectique. Ercoli qui en écrit et en inspire indubitablement les articles se révèle être un connaisseur avisé du milieu ouvrier et pseudo-intellectuel, qui entend attirer à l’idéologie communiste, idéologie dont il est un très bon catéchiste.

Il semble toutefois sensible aux piques décochées avec non moins de maestria par Prometeo, contre lesquelles il réagit de manière violente en rapprochant cette feuille, faisant partie du « gauchisme international », de la Stella Rossa fautrice de troubles et provocatrice, et en l’accusant d’être, avec cette dernière, au service de la Gestapo. Pas même Bandiera Rossa, qui aurait pris des positions « attentistes » et ouvertement opportunistes (en réalité du fait des attaques lancées contre le Comité de Libération Nationale) ne se sauve de cette furie polémique.

 

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10°) LA NUOVA CRITICA SOCIALEBimensuel de l’Union des travailleurs italiens, dont le premier numéro est paru le 15 décembre 1943.

Elle est publiée avec 4 petites pages,  du type habituel des feuilles de propagande communiste.

Les promoteurs de cette nouvelle publication ont joué un tour pendable aux socialistes qui étaient en train de préparer l’exhumation de la Critica Sociale  de Turati et de Treves dont le premier numéro aurait dû paraître prochainement.

Cette petite revue voit également dans les grèves génoises et turinoises « une preuve générale de la guerre qui se déclenchera d’ici quelques mois quand le prolétariat prendra le fusil pour chasser l’ennemi allemand et les hordes fascistes scélérates ».

Une violente attaque est lancée contre Victor-Emmanuel du fait de sa déclaration à la radio de Bari. L’on promet à ce « grand ennemi de l’Italie » le sort des Caneto et des Romanov.

Mais ce qui est le plus digne d’être noté, c’est un article intitulé : « Frapper tous les responsables » (31-12-1943), et qui est dirigé contre les représentants du mouvement socialiste (il y en a même qui considèrent que cette attaque serait l’objectif principal de cette feuille), et en particulier – même s’il n’est pas nommé clairement – contre Domenico Viotto, chef du mouvement socialiste à Milan, qui est maintenant “commodément” réfugié sur le sol de la Confédération helvétique. « Et pendant ce temps, c’est le sang du peuple qui coule ! ».

  

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9°) PROMETEODéjà signalé dans le rapport précédent. Il affirme être l’“Organe du  Parti communiste internationaliste”. Il comporte dans le titre : “Année 22, série III” et le surtitre : “Sur la voie de la gauche”. Dans l’angle de droite : “ Prolétaires de tous les pays unissez-vous !”.

 

Un journal qui, de par son ton, surprend encore davantage que Spartaco. Mais il est toutefois authentique, en dépit des accusations des autres journaux communistes inspirés par le camarade Ercoli.

Il est sans aucun doute le plus indépendant des journaux clandestins qui sont jusqu’ici parvenus entre nos mains. Idéologiquement, comme cela a déjà été noté, il est aussi le plus intéressant et le plus compétent. Il proclame un communisme pur, léniniste (et probablement trotskiste) et antistalinien. Hostile à la guerre, sous n’importe quel aspect : capitaliste-démocratique, fasciste ou stalinien. Par conséquent en lutte ouverte également contre la coalition antifasciste, alliée des Anglo-saxons, et avec le mouvement “partisan”.

Dans le rapport précédent, nous avons déjà signalé la polémique particulièrement aiguë et vive, soutenue par le journal, avec Palmiro Togliatti (Ercoli) qui, touché au vif, a violemment réagi au moyen de la revue La nostra lotta.

Dans le numéro du 1° mars 1944, les attaques contre le fascisme se sont faites plus vives, et ce pour trois raisons principales : du fait des accusations de philo-fascisme formulées par les organes “centristes”, du fait d’un appel du “Corriere della Sera” fait à l’encontre de son intransigeance révolutionnaire (ce qui risquerait de confirmer les accusations en question), du fait du coup porté aux mouvements subversifs par la mesure de socialisation des entreprises.

Mais il ne veut voir dans le fascisme républicain que la survivance de la structure politico-administrative du régime qui prévalait avant juillet, et elle n’aurait aucune raison d’être en dehors de la nécessité de la guerre menée par le nazisme allemand. Si l’on abattait ce fascisme républicain, l’on se trouverait ensuite dans la situation de n’avoir « fait place nette que d’un fantôme », pour la raison toute simple que « la classe du giron et pour la défense de laquelle le fascisme est né » est passé dans l’autre camp, en se proclamant démocratique, dans la tentative de séparer son propre destin du sien. Pour frapper le fascisme au cœur, il ne sert à rien de se dresser « contre un groupe d’hommes et de formations politiques provisoires … il faut le chercher non seulement derrière les chemises noires des hiérarques et de leurs hommes de main plus ou moins titubants, mais aussi derrières les toges immaculées des néo-démocrates et derrière le faux rouge de leurs serviteurs opportunistes. Derrière le rameau d’olivier que la bourgeoisie “antifasciste” tend au prolétaire, il y a toujours prête, en réserve, la hache des licteurs ». En d’autres termes, il faut éradiquer le régime bourgeois par la lutte de classe. Autrement, le prolétariat devra constater avec amertume « que le fascisme est mort, mais que son héritage a été recueilli par la démocratie » (“Comment et où l’on combat le fascisme” – 1.III.1944, pp. 2 et 3).

Il est dit la même chose en ce qui concerne la lutte contre le nazisme, lequel est un phénomène allemand « non pas parce qu’il aurait ses racines dans la soi-disant âme germanique, ou dans une certaine malédiction obscure de la race, mais parce que c’est précisément en Allemagne que le capitalisme a atteint ses manifestations les plus paroxystiques.  Et pour guérir cette plaie, il n’y a que l’acte opérationnel de la révolution communiste. ». Comment vaincre le nazisme ? « Pour faire exploser la machine de guerre qui opprime le prolétariat allemand, n’appelez pas au secours une autre machine de guerre (anglo-saxonne ou russe), mais répandez parmi les rangs des soldats allemands la semence de la fraternisation, de l’antimilitarisme et de la lutte de classe » (“Mort aux Allemands ou mort au nazisme ?” – 01-03-1944, p. 3).

La guerre doit être transformée en révolution. Mais cela ne s’obtient pas avec le “partisianisme”, qui ne représente rien d’autre qu’une manœuvre de l’ennemi ayant pour but de créer le chaos politique dans les rangs du prolétariat. « À l’appel du centrisme pour rejoindre les bandes partisanes, l’on doit répondre par la présence dans les usines desquelles sortira la violence de classe qui détruira les ganglions vitaux de l’État capitaliste » (“Sur la guerre”).

Dans la rubrique “Coups de pied” de la 4° page, l’on commente l’abandon de l’hymne “L’Internationale” de la part de l’Union soviétique. Abandon logique cependant : « il n’y a rien de commun entre le capitalisme d’État et l’économie communiste, entre l’Internationale et le panslavisme soviétique : ce sont des termes en antithèse historique que seul le réalisme affairiste anglo-américain de la conférence de Téhéran pouvait faire exploser sur le plan de la guerre impérialiste ».

           

  

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11°) PROMETEO – “Organe du  Parti communiste internationaliste”. Déjà signalé dans les deux rapports précédents. Il comporte le surtitre : “Sur la voie de la gauche” et dans l’angle de droite : “ Prolétaires de tous les pays unissez-vous !”.

 

Il proclame un communisme pur, léniniste et trotskiste, antistalinien.

Hostile à la guerre sous n’importe quel aspect : qu’il soit capitaliste et démocratique, fasciste ou soviético-stalinien. C’est pourquoi en lutte ouvertement contre la coalition antifasciste, alliée des Anglo-saxons. Hostile au phénomène “partisan” et aux grèves irréfléchies.

Ennemi résolu et doctrinairement fort du Parti communiste d’Ercoli.

Comme cela a déjà été dit, il est le plus indépendant des journaux qui nous sont jusqu’à présent parvenus entre les mains, et il ne manque pas de susciter la surprise chez qui le lit. Authentique cependant, malgré les accusations des feuilles inspirées par Togliatti.

Antifasciste, ne veut voir dans le régime actuel qu’une survivance précaire de la “structure politico-administrative” du régime qui a précédé juillet.

Antinazi, distingue entre le national-socialisme et le peuple allemand, condamne vertement la campagne antiallemande des autres feuilles subversives inféodées à la guerre démocratique.

Dans le numéro du 1° avril 1944, il prend parti une fois de plus contre les grèves organisées par la coalition antifasciste parce que le prolétariat, « accroché par le fascisme » en arrive à se trouver accroché à la démocratie, qui n’est pas moins dangereuse pour lui, « par l’intermédiaire de l’opportunisme socialiste et surtout centriste ». C’est avec cet adjectif que le journal définit la position du Parti communiste d’Ercoli.

À propos de la socialisation, l’on a déjà vu l’opinion de Prometeo dans le rapport n° 2. C’est à toutes fins utiles que le journal revient sur la question dans une note de la 3° page avec ce titre : « Socialisation et socialisme ».

Pour le journal, que les États soient fascistes ou démocratiques, ils sont quand même des États bourgeois. Bien qu’ils soient ennemis entre eux, « ils sont unis face à l’ennemi commun d’une explosion révolutionnaire ». Tant et si bien que, « même sur le terrain social, leurs programmes tendent progressivement à se ressembler ». Peu importe que les uns contestent aux autres la qualification de “véritables socialistes”. Qu’elle soit promue par des régimes fascistes ou par des régimes démocratiques, « la socialisation non seulement ne représente pas une déviation du système capitaliste, mais elle en est même le développement extrême ; non seulement elle n’est pas le socialisme, mais elle est l’expédient de la classe dominante destiné à barrer la route à la révolution prolétarienne ».

Ici, le journal fait suivre une analyse extrêmement habile du phénomène en assurant que, avec le fait d’assumer la gestion des entreprises, l’État « les encadre dans un plan économique qui n'est plus dicté par des intérêts d’individus ou de catégories, mais par les nécessités suprêmes de la classe dans son ensemble ». En d’autres termes, « l’État absorbe les entreprises privées, et le capitaliste qui en détenait déjà les actions devient le grand actionnaire de l’État. Lequel non seulement lui garantit un revenu fixe, mais assume les risques par-devers lui…. De cette manière-la, la concentration capitaliste donne à l’État la physionomie la plus flagrante de l’organe d’administration de la classe dominante…. ».

La nouvelle réforme constitutionnelle de l’Union soviétique, dans laquelle le journal voit une manœuvre uniquement destinée « à assurer de nouveaux points d’avantage à la Russie dans la bataille diplomatique et dans la division du monde », serait aussi un expédient politique bourgeois.

Dans la rubrique “Coups de pied”, Prometeo fait aussi preuve de beaucoup d’ironie à l’égard de la soi-disant “liberté démocratique” accordée par les envahisseurs anglo-saxons aux provinces méridionales.

En conséquence de ce qui précède, le journal adresse un appel aux ouvriers auxquels il annonce : « Votre bataille se mène en même temps contre un régime bourgeois qui croule sous le poids de ses fautes et contre un régime bourgeois qui prétend en assurer la succession pour vous l’arracher : c’est à cette bataille que notre Parti vous appelle, en laissant les opportunistes de toutes les couleurs courir derrière les partis qui, sous de nouvelles apparences, incarnent la domination séculaire du capital sur le travail, et en levant haut sur la scène sanglante du massacre le drapeau flamboyant de la révolution prolétarienne ».

Il serait intéressant de connaître la suite effective qu’a le mouvement de Prometeo. Il faut considérer qu’elle est médiocre, en raison de sa position intransigeante, trop en contradiction avec l’opportunisme insidieux des masses antifascistes, fruit de la lâcheté morale et physique de ceux dont les événements de juillet et de septembre n’ont été que les manifestations les plus apparentes. Quoi qu’il en soit, la bonne foi de cette feuille extrémiste, l’unique sans aucun doute qui est digne de quelque considération dans le chœur abject des subversifs, semble être établie.

          

  

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17°) PROMETEODéjà signalé dans les rapports précédents. Il comporte l’indication : “Organe du  Parti Communiste Internationaliste”.

 

Comme cela a déjà été dit, il proclame un communisme pur, léniniste et trotskiste, antistalinien. Hostile à la guerre sous n’importe quel aspect ; c’est la raison pour laquelle il est également en lutte ouverte avec la coalition antifasciste, alliée des ploutocraties. De même, il est hostile au phénomène “partisan” et aux grèves irréfléchies.

Ennemi extrêmement résolu et, ce qui compte beaucoup, doctrinairement fort du Parti communiste d’Ercoli, lequel a montré à de nombreuses reprises qu’il était sensible à ses piques.

En dépit de ses attaques lancées contre le Fascisme, c’est précisément son attitude d’indépendance vis-à-vis des autres mouvements subversifs qui ne manque pas de susciter la surprise chez qui le lit. Il faut malgré tout le considérer comme étant authentique.

Nous avons déjà parlé de manière exhaustive de la position doctrinaire de ce journal dans les rapports précédents, en particulier dans le rapport n° 3 (p. 30 et suivantes).

Le numéro qui est tombé cette fois-ci en notre possession porte la date du 1° mai 1944.

Ici aussi, la note dominante est celle de l’aversion envers la guerre, dont on fait retomber la responsabilité sur la classe dirigeante capitaliste des impérialismes qui s’opposent, les impérialismes fascistes et les impérialismes démocratiques. Selon le journal, « cette saignée criminelle faite dans les chairs vives de générations entières, cette déperdition folle et idiote de richesses qui sont le fruit d’un travail humain séculaire, perdurent comme une réalité irrépressible du régime bourgeois, bien qu’il soit agonisant ».

« La guerre est toujours un conflit entre des impérialismes rivaux, mais quel en est l’enjeu ? Évidemment, la consolidation d’un impérialisme effectué aux dépens d’un autre. Mais à quel besoin urgent et soudain répond une telle consolidation réalisée au détriment  d’un autre impérialisme, pourtant lui aussi capitaliste ? ». Il n’y a qu’une seule réponse. Chaque impérialisme, qu’il soit fasciste ou démocratique - et l’impérialisme stalinien rentre lui aussi dans cette dernière catégorie –, essaie d’échapper par ce moyen de diversion sanglant à la poussée des forces prolétariennes internes. C’est pourquoi « plus le  problème de son équilibre national se fait pour elle obsédant et menaçant » et plus chaque bourgeoisie nationale est incitée inexorablement « à rompre la solidarité de classe et son équilibre international ».

Aujourd'hui l’on perçoit cependant des signes d’une fatigue déjà en cours, laquelle est « fatalement contagieuse ». La bourgeoisie est définitivement condamnée. « Quiconque sera la vainqueur temporaire du point de vue des armes ne sera plus en mesure de se servir d’une victoire fictive comme base d’une reconstruction bourgeoise capitaliste de la société… Aucun régime ne sera plus à même d’opérer le miracle de la restauration bourgeoise… (Le prolétariat gagnera la guerre, pp. 1-2).

Dans ces conditions, le prolétariat doit s’apprêter à donner l’assaut au pouvoir. Il faut pour cela qu’il ne se laisse pas berner par les manœuvres de ses ennemis naturels qui, « de part et d’autre de la barricade », cherchent à l’appâter avec les promesses les plus fallacieuses. La date du 1° mai tombe à propos pour rappeler les travailleurs tous les pays au sens de la réalité. « Dans ce climat de guerre, la classe dominante et l’opportunisme socialiste et centriste ont transformé le Premier Mai d’une journée de veille révolutionnaire en une espèce de grande fête nationale dans laquelle l’on ne célèbre pas la lutte, mais la concorde, entre les classes, non pas la solidarité internationale des prolétaires, mais leur massacre. Et Hitler en fait le symbole de la “renaissance” – tragique renaissance – de l’Allemagne, les bourgeois de chez nous chantent vos hymnes de combat en même temps que les hymnes de l’hypocrisie patriotique ; sur la Place Rouge, en lieu et place des notes entraînantes de l’Internationale, c’est le rythme d’un nouvel hymne de guerre qui résonne » (Une aube nouvelle pour le prolétariat, p. 1).

Ce n’est pas le seul à l’être, mais le destin des jeunes est particulièrement tragique partout. Chez nous, les très jeunes « accourent pour faire retentir dans les casernes des chants guerriers et pour se préparer à la mort lointaine de la guerre uniquement pour échapper à la mort proche de l’exécution par fusillade. Et, étant donné que de l’autre côté de la barricade, il ne vient à eux qu’une autre invitation à la guerre –  la guerre partisane –, il leur semble que l’unique alternative se pose ainsi : la guerre fasciste ou bien la guerre démocratique, les balles de la nouvelle “charte du travail” ou bien les balles de la “charte atlantique”, mise à jour à Téhéran » (Sur la voie juste, p. 1, La voie des jeunes, p. 3).

C’est la raison pour laquelle le journal prêche la désertion, mais pas la désertion d’un camp pour s’enrôler dans un autre camp armé. « Refuser la guerre ». Voilà ce qui est nécessaire. « Jeunes, ouvriers, contre toutes les guerres, contre toutes les patries, pour la révolution ».

Parmi les mensonges émis en direction du peuple, Prometeo dénonce particulièrement celui de l’extrémisme catholique, dont les cerveaux enténébrés par les alliances hybrides de notre époque ne perçoivent pas le grand piège. « Ils voient dans ce phénomène le symptôme, le signe, du bouillonnement des forces sociales, c'est-à-dire dans le sous-sol sur lequel le travail quotidien du prêtre s’exerce le plus directement, le milieu paysan : ils ne voient pas la nouvelle et gigantesque manœuvre d’une institution de conservation, qu’une expérience séculaire a éduqué au grand art consistant à assimiler les forces rebelles afin de les étouffer à la naissance, avant qu’elles ne menacent les assises sociales sur lesquelles repose l’édifice supranational de l’Église ». Or, poursuit le journal, « l’Église, avec toutes ses nuances de dissidences, l’Église qui accueille dans ses grands bras, l’un à côté de l’autre, don Calcagno(*) et don Pecoraro(**), ne peut pas – en tant qu’institution politique reliée par de nombreux fils à la société actuelle – être plus épargnée par la révolution prolétarienne que ne peuvent et ne doivent l’être d’autres manifestations plus nettement politiques de cette société » (Sur la voie juste, 2 – Extrémisme catholique, p. 3).

Si l’on considère les citations précédentes, la position prise par Prometeo dans le conflit en cours apparaît de façon claire. Les rudes attaques décochées contre Togliatti et son opportunisme centriste (dans la rubrique “Coups de pied”) méritent également d’être signalées. 

  

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4°) PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE   


 

C'est le “parti” qui a pour organe le périodique Prometeo, de l’attitude duquel il a été donné un vaste aperçu dans chacun de nos rapports. Les trois documents qui suivent sont sans aucun doute les plus intéressants parmi ceux que l’on a eu l’occasion d’examiner cette fois-ci.

Les deux premiers sont, à vrai dire, des textes d’actualité. Il s’agit d’articles dactylographiés, rédigés par un auteur anonyme, et obtenus par l’intermédiaire d’un élément de confiance introduit dans ce mouvement subversif. Le premier traite de la politique russe sous la direction stalinienne, le second prétend étudier la situation générale dans le moment historique actuel : des analyses menées à la lumière de la doctrine communiste pure, avec l’intention de préciser ce que devra être l’orientation nécessaire de la IV° Internationale face aux problèmes posés par la guerre et par la paix. D’où la valeur programmatique de ces deux textes.

Le troisième document est un manifeste d’action pratique qui est révélateur d’une prise de position plus résolue d’un mouvement qui, jusqu‘à présent, nous était surtout connu par une attitude critique plutôt académique, d’autres diraient “attentiste”.  Un document donc qui mérite d’être examiné avec une attention particulière.

 

N° IV. B. 5.

La question russe. L’expérience démocratique sous l’égide du centrisme en Italie”.

 

C’est un article rédigé, comme nous l’avons dit, par un auteur anonyme, mais qui reflète l’attitude du Parti Communiste Internationaliste sur la question de l’avènement du socialisme.

Sur la base de la documentation la plus orthodoxe, il étudie avec beaucoup de finesse le processus de dégénérescence de la Révolution russe qui, après le tournant qui n’est pas seulement tactique de 1926-27 (la Nouvelle Politique Économique), en est arrivée progressi-vement à s’orienter vers la création d’un État capitaliste d’un genre nouveau, n’ayant plus de contrôle ouvrier, sous la direction d’une nouvelle classe bureaucratique de “bénéficiaires de l’État”. Dans la seconde partie, l’article met en lumière l’action fondamentalement anti-prolétarienne de la politique “centriste” (Togliatti) en Italie, en invitant les communistes internationalistes à se préparer à une lutte qui sera dure, mais qui sera cependant facilitée par les contradictions dans lesquelles la politique soviétique s’est fourrée, pas moins que n’importe quel régime capitaliste bourgeois.

Les étapes du processus de dégénérescence de la Russie soviétique, telles qu’elles sont indiquées par l’auteur, peuvent être récapitulées succinctement come suit :

- en 1926-27 (années au cours desquelles il y a eu la phase culminante de la lutte entre le “centrisme” stalinien et la gauche trotskiste), afflux dans le parti de beaucoup d’éléments parmi les représentants les plus typiques du courant menchevik et populiste ; décapitation de l’avant-garde prolétarienne ; établissement aux points névralgiques de l’organisation étatique de vestiges pas du tout négligeables d’autres classes ;

- prémisses de la reconstitution de la propriété privée des moyens de production créées par la NEP ;

 - absorption, à l’époque de la collectivisation forcée – imposée par la pression de l’avant-garde prolétarienne, qui par ailleurs était décimée – des hommes de la NEP comme fonctionnaires dans l’appareil économique et financier de l’État.

Ces derniers, qui disposaient des leviers de commande politiques, se sont créés une situation de privilège en s’accaparant du fonds d’accumulation de l’industrie et en spoliant les ouvriers et les paysans, en tant que consommateurs, grâce aux prix de vente exagérément élevés qui étaient dus au coût de production exorbitant que leur entretien exigeait.

En d’autres termes, il y a eu : 1) la formation, sur la base d’une économie socialisée, d’une nouvelle classe exploiteuse ; 2) la transformation de l’État, propriétaire du capital social, en un organe d’administration des intérêts de cette classe.

Le programme de la gauche était utilisé comme une arme contre elle : l’économie des plans quinquennaux mobilisait les masses prolétariennes, avec le mirage d’une nouvelle marche vers le socialisme, mais elle était destinée à la création d’un régime de propriété étatique gérée dans les intérêts de la nouvelle classe dominante. L’État à direction “opportuniste” pouvait assurer aux nouveaux exploiteurs, non plus en qualité d’entrepreneurs, mais de fonctionnaires, de spécialistes, d’administrateurs, le profit qui, en régime capitaliste, provient de la propriété privée des moyens de production.

Petit à petit, les derniers restes de contrôle ouvrier au sein de l’entreprise disparaissent. La stabilisation des salaires en 8 catégories légalisait de fortes inégalités entre travail manuel et spécialisé, et l’auteur relève que, lors du VIII° Congrès des soviets de l’Union (1936), seuls 3% des délégués étaient constitués d’ouvriers et de paysans ordinaires.

« La guerre ne peut qu’avoir accentué ce processus, et on le voit dans la reconstitution de la caste militaire, dans l’extension des privilèges des couches supérieures (limitation de l’accès à l’enseignement supérieur, etc.), dans la liquidation de l’Internationale, dans l’exacerbation de l’idéologie patriotarde, démocratique, panslave. La guerre elle-même, qu’il est ridicule de présenter comme une guerre naïve de défense (pour un pays qui, depuis 1933, faisait partie de la SDN et qui était devenu une partie dirigeante de l’encerclement des fascismes), est l’expression ultime de ce processus. Les plans quinquennaux, avec la dilatation hypertrophiée de l’appareil industriel et la production de biens d’équipement, ont été la meilleure introduction à la guerre… ».

Maintenant, l’impérialisme soviétique, né sur les ruines d’une révolution prolétarienne, se trouve avoir un net avantage par rapport aux autres pays capitalistes dans la lutte contre les forces de la “véritable” révolution en raison du fait qu’il peut aussi compter, vis-à-vis de masses, sur un capital accumulé de démagogie révolutionnaire. Dans son jeu, il se sert de son agent en sous-main du “centrisme”, lequel a aujourd'hui pour fonction de faire participer les masses à une guerre de libération démocratique, que sa présence en qualité de parti communiste semble transformer en guerre prolétarienne, ainsi que de préparer dès à présent le passage d’un régime bourgeois en crise en un autre régime bourgeois, capable de fusionner en une seule unité les caractéristiques fondamentales des vieilles démocraties et les résultats finaux auxquels le soviétisme est parvenu.

La première initiative concrète du stalinisme dans l’Europe d’aujourd'hui est en train de s’accomplir, à titre expérimental, sur le corps malade de l’Italie. Entre les deux termes du dilemme : guerre ou révolution, le “centrisme” a choisi la guerre. D’où, en toute logique, sa participation au gouvernement Badoglio. C’est pourquoi, bien que ce soit dans la perspective de l’avenir dans un pays comme le nôtre, « destiné à être le point d’intersection d’expériences politiques et de solutions diplomatiques diverses », le centrisme mise sur une carte intermédiaire – afin de ne pas trop effrayer les capitalismes occidentaux – : la restauration démocratique, ou, selon la formule synthétique de Togliatti, la république progressiste, qui devrait renouveler sous une forme plus active l’expérience des fronts populaires français et espagnol.

Le mensonge qui est destiné aux masses prolétariennes consiste en ceci : dans l’intention d’établir demain un contrôle soviétique, c'est-à-dire bourgeois, sur une révolution socialiste : bureaucratisation des mouvements révolutionnaires grâce au fonctionnarisme centriste et à l’intervention “colonisatrice” d’agents soviétiques (les “spécialistes de la révolution” que certains attendent de l’URSS).

L’expansion soviétique est toutefois prisonnière d’une grave contradiction : pour s’imposer, elle a besoin d’une amplification de l’éruption révolutionnaire ouvrière, et, dans le même temps, elle doit en craindre les développements et les conséquences extrêmes. En fait, le régime soviétique est miné par les mêmes antithèses qui caractérisent – selon la critique marxiste – le régime de production capitaliste : en premier lieu, celle qui se manifeste entre le caractère social de la production et la forme privée d’appropriation de la plus-value. « Les masses elles-mêmes qui combattent aujourd'hui pour défendre de manière désespérée quelque chose qu’elles ont déjà perdu, ne voudront-elles pas demain ce qui avait été le fruit d’Octobre ? ».

D’où la nécessité pour la gauche communiste de se préparer dès à présent à la lutte. « L’axe du régime bourgeois, qui a d’abord été la démocratie et ensuite le fascisme, sera demain le soviétisme de marque stalinienne, avec son centre pensant en URSS et son épine dorsale dans son terrain d’expansion et de colonisation (Balkans ? Allemagne ? Bande méditerranéenne ?) ».

La force de la gauche « sera fournie par la faiblesse intrinsèque de l’expérience qui est une expérience de compromis ».  « La classe ouvrière se trouvera confrontée à un nouveau type d’expérience de front populaire, qui sera davantage sans scrupules et innovateur, mais qui sera destiné à se heurter à des difficultés bien plus graves que les expériences précédentes. Il y a un gigantesque malentendu à la base du succès centriste : le malentendu de masses  qui attendent de la victoire de ce parti une transformation révolutionnaire. ». Ne pourront pas manquer d’agir ces ferments de désagrégation qui sont à l’heure actuelle comprimés « par l’immaturité politique, par le malentendu et par le sentimentalisme de parti ». La gauche communiste italienne doit se préparer à accueillir en son sein les forces saines de la révolution prolétarienne de manière à empêcher, au moment opportun, le centrisme de réaliser, « avec l’arme de la corruption, aux dépens du prolétariat en marche vers la conquête du pouvoir… cette même manœuvre qui a réussi à la nouvelle bourgeoisie russe dans le tourment de vingt années de dictature stalinienne ».

Jusqu’ici, c’est l’auteur anonyme qui s’exprime. Si nous  négligeons certaines idées fixes de l’idéologie trotskiste, nous ne pouvons pas nier une certaine acuité à son analyse du processus de dégénérescence soviétique et à son indentification des contradictions profondes qui minent la structure du régime soviétique.

Du point de vue fasciste, nous pourrions relever que le texte fait comme si le Régime mussolinien et son expérience sociale étaient déjà liquidés. Mais, parmi les adversaires en notre présence, l’on doit reconnaître qu’il est l’unique qui est peut-être de bonne foi.

 

N° IV. B. 6.

La situation générale”.

 

C’est un article rédigé, par le même auteur anonyme. Il étudie la genèse du conflit actuel à la lumière de la doctrine marxiste-léniniste de la guerre : celle-ci la présente comme la solution, voulue par le capitalisme mondial, à une situation qui, si elle n’avait pas eu lieu, aurait eu comme débouché la révolution prolétarienne.

Dans cet article, les idées doctrinales préconçues sont bien plus sensibles que dans l’article précédent, y compris en raison de sa prétention à donner une systématisation trop rigoureuse à un phénomène bien plus complexe qu’aucun autre. Entre autres – pour la partie qui nous intéresse plus directement –, l’auteur a le tort de juger le fascisme selon des schémas trop partisans et sur la base d’éléments formels. C'est ainsi qu’il tombe dans l’erreur de considérer comme bourgeois et capitaliste un mouvement qui, au contraire, tend de toutes ses forces à se libérer de l’étreinte de forces étrangères avec lesquelles il avait dû momentanément transiger pour des raisons contingentes, internes et par-dessus tout internationales.

L’on ne peut toutefois pas nier à l’auteur une certaine acuité de vues, en particulier dans l’interprétation d’événements singuliers comme pourraient l’être, par exemple, le comportement de la Russie soviétique face à la guerre, ou la manœuvre anglaise au moment de l’écroulement de la France. Et d’autre part, plus que par son interprétation générale de la situation et des événements, le texte doit nous intéresser pour la lumière qu’il projette sur la doctrine révolutionnaire à laquelle il se conforme.

Dans la première partie de ce texte, il est fait allusion à la crise de la société capitaliste qui s’est manifestée avec la guerre de 1914-1918 et contre laquelle la Révolution russe de 1917 s’est soulevée. Il s’est alors dégagé une solution révolutionnaire qui devait se prolonger jusqu’en 1927, date de la défaite du prolétariat chinois et de l’élimination de la gauche bolchevique (Trotski) du parti russe. C’est le krach américain de 1929 qui a marqué la fin de la phase révolutionnaire.

Le problème social, tel qu’il se pose à cette date, est le suivant : « ou continuer à produire des facteurs socialistes, c'est-à-dire des richesses, sur la base de l’économie normale, en rapport avec les besoins des masses » (ce qui aurait assuré le triomphe pacifique du socialisme), « ou transférer l’économie sur le plan destructeur de la production de guerre, c'est-à-dire ouvrir l’époque de l’économie de guerre ». « Et l’on a choisi cette voie puisque c’était la seule voie qui permettait à la société capitaliste de survivre ».

L’Allemagne, c’est l’avis de l’auteur, était « la grande malade », en particulier « du fait de l’absence de colonies qui auraient atténué dans une certaine mesure les coups destructeurs de l’économie de guerre ». « Les hautes sphères du capitalisme mondial avaient une conscience exacte de la situation allemande, et c’est en fonction de cette situation – à part les facteurs concomitants des contradictions impérialistes… – que la guerre a été décidée ». L’auteur poursuit : « La première phase de la guerre a vu en effet le débordement du bubon allemand avec une impétuosité de nature à faire trembler le capitalisme mondial face à la tension élevée existant dans l’enveloppe sociale allemande, laquelle aurait certainement cédé si l’on avait tardé davantage à ouvrir la vanne d’échappement du conflit extérieur ».

Une interprétation, comme on le voit, typiquement marxiste des événements de 1939. Ce qui est intéressant cependant, c’est l’explication que l’article donne de l’attitude russe. « Le rôle de premier plan joué par la Russie dans le déclenchement de la guerre est mis en relief par une situation qui voit l’État prolétarien s’allier avec l’ennemi présumé d’hier, en compromettant toute sa politique d’influence sur le prolétariat français. Celui-ci, grisé par l’idée de la guerre antihitlérienne, ne pouvait pas en effet comprendre la signification de la volte-face russe, qui était inspirée par des intérêts supérieurs de classe, directement liés au cerveau mondial du capitalisme. Le but était clair. D’une part, aider Hitler en lui facilitant l’entrée en guerre (unique voie pour résoudre la situation intérieure désespérée grâce à l’un des deux pôles du dilemme, guerre ou révolution), et, de l’autre, mettre dans des conditions juridiques favorables l’Angleterre et la France pour la déclaration de guerre. Il était inévitable que ce jeu raffiné que la Russie était appelée à jouer comporte une certaine confusion, et il ne pouvait pas en être autrement, étant donné que les prolétaires, qui avaient précédemment mordu à l’hameçon de la guerre antifasciste, ne pouvaient pas se convaincre que, au fond, il s’agissait seulement de faire la guerre… Le prolétariat français a reçu le coup de grâce de la volte-face russe et il est parti à la guerre démoralisé et décidé à ne pas combattre. Bref, les armées allemandes pouvaient mettre de l’ordre dans un secteur qui menaçait de devenir dangereux. Ce qui a facilité la tâche des Allemands, c’est la tactique vraiment raffinée de l’Angleterre, laquelle a compris que, dans une situation aussi scabreuse, il valait bien mieux laisser aux Allemands la tâche de remettre de l’ordre, et ce au plus vite. Du reste, le capitalisme français a eu claire conscience de la manœuvre britannique et, après le limogeage du cabinet Reynaud… il a tiré la vieille baderne Pétain de sa retraite en le présentant sur la scène politique française comme un facteur de pacification : à ce moment là en effet, l’unique ennemi était le prolétariat qui, dans le chaos de la défaite, pouvait peut-être trouver le fil qui le raccorderait avec ses anciennes batailles révolutionnaires… ».

La citation est un peu longue. Mais l’on ne peut pas nier qu’elle comporte une part de vérité, du moins en ce qui concerne les calculs de la politique soviétique, qui eux aussi ont été effectués avec la logique marxiste, quand bien même ce serait avec des objectifs impérialistes.

Nous ferons abstraction de l’explication que l’auteur trotskiste fournit des événements ultérieurs pour passer à son interprétation du coup d’État badoglien. Il voit en lui également le reflet d’un instinct de classe de la bourgeoisie italienne qui, pour « se redonner une virginité, non seulement vis-à-vis des partisans de l’ordre d’outre-Atlantique, mais, et surtout, vis-à-vis du prolétariat italien », n’a pas hésité « à passer du côté du soi-disant ennemi ».

Quelle est l’attitude des communistes italiens en cette occurrence ? Ici aussi, le jugement de l’auteur, qui est familiarisé avec la manière de raisonner bolchevique, peut nous fournir quelques indications utiles.

L’intervention centriste, à côté de la caste militaire, en faveur du maintien de l’ordre dans les usines, démontre le rôle qu’a eu cet élément au service de la conservation de classe de la bourgeoisie. En réalité, le gouvernement Badoglio s’est tout de suite déclaré en faveur de la continuation de la guerre contre l’Angleterre et, de ce fait, contre la Russie. La fin immédiate des hostilités n’était possible qu’avec l’entrée en scène des grandes masses : le centrisme a préféré la légalité badoglienne en prêchant l’homogénéité et la pacification (voir l’interview de Scoccimarro) étant donné que lancer les masses au cri d’“à bas la guerre” voulait dire lancer le mot d’ordre de la prise du pouvoir et, par conséquent, allumer le flambeau de la révolte générale du prolétariat européen contre la guerre. Tout ce que le centrisme ne voulait pas, ne veut pas et ne voudra jamais…. ».

Suivent certaines considérations, quelque peu gratuites, sur la situation allemande et sur la fin, considérée comme proche, des fascismes.

« Après la fracture politique du coup d’État de Badoglio, le capitalisme mondial a si bien su manœuvrer qu’il a évité la fracture sociale dans le secteur italien. Le prolétariat des autres secteurs, en particulier celui du secteur allemand, a dû renoncer momentanément à l’espoir de pouvoir s’élancer comme dans la situation italienne. Mais l’évolution de la situation intérieure de l’Italie démontre que le rythme de développement italien se trouve sur le même plan que l’allemand. Le nazisme a pu éviter une crise politique qui aurait servi de thermomètre pour mesurer la température de la situation sociale intérieure : or ce fait n’empêche pas la maturation accélérée des facteurs sociaux dans ce secteur et, par conséquent, dans toute l’Europe. Les mesures de plus en plus rigoureuses, prises dans le secteur italien sur le terrain social et militaire, donnent déjà un tableau auquel pourrait ressembler la situation générale en Europe : les socialisations, la promulgation du statut syndical, l’appel à l’unité de tous les Italiens, les boutades démocratisantes de certains journalistes et journaux, l’appel fait aux marginaux, et enfin les derniers discours de Mussolini, Borsani et Graziani, sont autant de symptômes d’une situation qui évolue vers l’issue finale. Le rôle des fascismes allemand et italien se réduit désormais à la fonction du maton zélé qui, ne pouvant pas faire autrement, se charge de remettre en bon ordre la prison européenne aux nouveaux maîtres. Ce transfert ne se passera pas nécessairement de manière pacifique et administrative : bien au contraire. C'est Borsani qui le dit : “Il faut combattre, même si combattre veut dire mourir”. En d’autres termes, il faut saigner la masse ouvrière, la saigner pour pouvoir la dominer… Pour aboutir à une bonne issue de ce plan, les policiers démocrates-chrétiens ne perdent pas de temps. Après la conférence de Téhéran, et l’accord pour la collaboration dans l’après-guerre, l’offensive diplomatique contre les neutres est lancée… D’autre part, l’on assiste à une mise en scène de plus en plus voyante de l’élément russe qui devrait faire fonction de pôle d’attraction des masses européennes dans la tentative de les empêcher de se rendre conscientes des conditions réelles dans lesquelles elles se trouvent. En 1939, la grande malade, c’était l’Allemagne : en 1944, la grande malade s’appelle l’Europe…. ».

Telles sont les idées du courant de Prometeo sur la crise qui tourmente l’Europe. Elles nous intéressent surtout par les conclusions auxquelles l’auteur parvient, des conclusions qui peuvent être synthétisées ainsi :

1°) incapacité du capitalisme, malgré le contrôle absolu de l’économie de guerre, de dominer la crise qui, du terrain économique, passe au terrain social ;

2°) solidarité, y compris non intentionnelle, du capitalisme mondial, qui se manifeste par des faits concrets : tout ce qui concerne l’honneur, la patrie, la religion, la morale, etc. passe au second plan face à l’objectif suprême d’empêcher l’émancipation du prolétariat ;

  3°) préparation du capitalisme mondial en vue d’une campagne contre-révolutionnaire qu’il faudra mener non plus sur le terrain militaire, mais sur le terrain social, avec l’aide non seulement du “centrisme”, mais même des éléments anciennement anti-centristes appâtés par cet objectif ;

4°) ressources indéniables de l’ennemi de classe dans le domaine de la démagogie revendicatrice (augmentation de salaires, socialisation, etc.) ;

5°) intention probable du capitalisme mondial d’“accrocher” l’impétuosité révolu-tionnaire au char de la victoire militaire ;

et, avec ce dernier propos, l’article conclut ainsi : « Les fronts militaires disparaîtront. Chaque ville sera transformée en foyer de révolte. Les masses insurgées auront à leurs côtés les soldats de toutes les couleurs, de tous les pays du monde, et le capitalisme sera contraint d’avancer dans ce chaos dans lequel il trouvera peut-être la mort. ».

L’article se termine sur cette vision apocalyptique. Il ne précise pas quelle partie la gauche communiste s’apprête à soutenir dans une telle tempête. Mais quelque chose en a été ébauché dans l’article précédent. Pour le reste, l’examen du document qui suit sera utile.   

 

 

N° IV. B. 7.

Contre l’opportunisme, pour une politique de classe”.

Manifeste du Parti Communiste Internationaliste destiné aux ouvriers italiens, et portant la date de juin 1944.

       Ce manifeste est constitué d’un préambule et d’un programme d’action en 7 points.

Le préambule débute ainsi : « Ouvriers italiens ! La plus effroyable des guerres impérialistes touche à sa fin et déjà l’on prépare les plans politiques et diplomatiques afin de surmonter l’inévitable crise de la société bourgeoise. Le prolétariat est encore dans l’incapacité de dire son mot de manière décisive dans cette crise. Sollicitée par les deux belligérants pour se sacrifier sur l’autel de la patrie, flattée par les uns et par les autres avec le mirage d’un hypocrite “justice sociale”, exploitée par tous, la classe ouvrière cherche autour d’elle celui la guidera vers le but obscurément pressenti et voulu de la révolution prolétarienne. ».

Suivent certaines considérations sur la crise de l’autre après-guerre qui a vu seulement en Russie le triomphe du prolétariat, tandis que, y compris du fait de l’incompétence des partis à structure de masse, l’on est passé d’un régime bourgeois à un autre régime bourgeois et, dans quelques États, à « la terrible arme de la réaction fasciste ». Maintenant, le Parti Communiste Internationaliste semble considérer que le fascisme est déjà vaincu et liquidé. Mais la menace de la bourgeoisie lui apparaît évidente : en effet, celle-ci « se dépouille de l’habit râpé du fascisme et elle se dépêche de se vêtir de la robe blanche de la démocratie », dans une union hybride avec les socialistes et les “centristes”. Et l’opportunisme de ces deux partis se sert en effet des armes « les plus tranchantes et délicates de la bataille de classe » pour « les transformer en instruments de guerre ou en facteurs de restauration démocratique », en encadrant même « la fleur de la jeunesse prolétarienne non pas dans des organismes de défense et d’offensive ouvrières, mais dans des formations partisanes organiquement liées à la stratégie militaire et politique des puissances démocratiques. ».

Il est nécessaire que, après « vingt-deux années d’oppression féroce », les masses ouvrières déjouent le piège qui leur est tendu par la social-démocratie et par le “centrisme”. D’où un programme d’action que l’on reproduit intégralement :

 

« À la guerre, à la réaction fasciste, à la tromperie qui refleurit de la démocratie bourgeoise, le prolétariat oppose, comme notre parti n’a pas cessé de le lui indiquer :

« 1°) la désertion de la guerre sous toutes ses formes ;

« 2°) l’action quotidienne et systématique de l’ouvrier contre le mécanisme économique devenu destructeur de vie et producteur de mort ;

« 3°) la défense physique de la classe à l’égard de la réaction, de la déportation, des réquisitions, de l’enrôlement forcé, dans un esprit fraternel de solidarité ouvrière ;

« 4°) une agitation politique constante contre la guerre, agitation dans laquelle confluent et se réalisent tous les intérêts contingents et finaux de la classe ouvrière ;

« 5°) une entente – dont notre parti souhaite la possibilité – entre les formations prolétariennes classistes qui ont pour base minimale la lutte contre la guerre ;

« 6°) la transformation des formations partisanes, là où elles sont composées d’éléments prolétariens et où elles ont une saine conscience classiste, en organes d’autodéfense prolétarienne, prêts à intervenir dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir, et seulement en elle ;

« 7°) la constitution d’organismes de masse dans lesquels toutes les tendances politiques ouvrières auraient la liberté de déployer leur activité de propagande, afin de maintenir intact le caractère d’organismes à structure démocratique et de les mettre en mesure d’agir comme des agents de destruction de l’État bourgeois et comme des armes actives de la révolution.

« Ces initiatives, qui remettent au centre de la bataille ouvrière contre la guerre, et contre la réaction d’aujourd'hui et de demain, les principes de base de la lutte de classe, ont pour prémisse nécessaire la dénonciation systématique de l’opportunisme patriotard et conciliateur ainsi que la présence d’un solide parti de classe qui résume en lui l’expérience d’un siècle de luttes ouvrières. ».

 

Suivent quelques lignes où, au milieu des invectives habituelles lancées contre la bourgeoisie et contre la guerre, l’on renouvelle la référence cinglante à « l’opportunisme social-patriote et centriste ».

Il est bon de prévenir tout de suite que les passages soulignés plus haut le sont également dans le texte original.

Et maintenant, quelques considérations s’imposent.

Dans ce manifeste, l’on répète l’un des arguments les plus exploités de la propagande de la gauche communiste italienne : celui contre la guerre en général dont il a été fait allusion aux nn° 1 et 4.

Les autres points au contraire, même s’ils se présentent en partie avec langage désormais connu, nous mettent face à une attitude en parole tout à fait nouvelle du mouvement.

 

·  En fait, la position d’hostilité envers le “mécanisme économique” actuel, dont il est question au n° 2, n’est pas nouvelle. Mais, jusqu’à présent, avec l’exhortation lancée aux ouvriers de se méfier des  partisans de la grève, nous étions accoutumés à interpréter l’attitude de la gauche communiste comme un “attentisme” prudent qui entendait maintenir, avec ses réserves formelles, sa liberté de décision pour un avenir plus ou moins lointain d’agitation ouvrière. Maintenant, au contraire, l’on parle d’action quotidienne et systématique. Ce qui pose deux questions :

a – ou bien cette action est dirigée contre l’organisation fasciste du travail, et elle menace de faire le jeu de l’ennemi ;

 b – ou bien elle considère le fascisme comme déjà liquidé et l’occupation ennemie comme imminente, et elle vise à créer des obstacles à cette dernière ainsi qu’à la politique “centriste” et ”social-patriote” (Togliatti et le Comité de Libération Nationale).

La formule utilisée est par conséquent ambiguë et elle ne dicte pas aux masses qu’elle tente d’approcher une règle claire et précise.

·  L’invitation dont il est question au n° 3 (“déportations”, “réquisitions”, “enrôlement force”) semble avoir au contraire un sens résolument antifasciste, ou du moins antiallemand.

Ici, la gauche communiste fait sien le langage des autres groupes subversifs, indubitablement dans l’intention de se constituer sa propre masse de manœuvre.

·  L’appel dont il est question au n° 5, pour une entente avec d’autres formations classistes (lire : prolétariennes) est nouveau et inattendu.

Devons-nous considérer cet appel comme une tentative de rapprochement avec d’autres groupes ? Il faudrait exclure cette hypothèse si l’on s’en tient aux attaques contre le “centrisme” dont il est fait un usage abondant dans le manifeste. Il est plus vraisemblable de considérer que nous sommes en présence d’une tentative de dissociation des autres forces ou organisations socialo-communistes.

·  Cette nouvelle hypothèse accréditerait la transformation des organisations partisanes invoquées au n° 6.

Ceci est sans aucun doute le point du plus grand intérêt du manifeste examiné, celui sur lequel notre attention doit se fixer de manière particulière.

·  La nouveauté de l’attitude de la gauche communiste italienne apparaît de toute façon de manière évidente avec la proposition contenue par le n° 7 et par l’usage fait de l’adjectif “démocratique”, jusqu’ici employé dans un sens péjoratif. Mais à quelles “tendances ouvrières” le manifeste fait-il appel si l’anathème contre les tendances “socialo-centristes” est maintenu ?

 

Comme on le voit, nous sommes en présence d’une tentative de la gauche communiste italienne de passer du domaine de la pure propagande doctrinaire – à caractère avant tout abstentionniste – à celui d’une action directe, pour laquelle l’on a cependant soin de ne donner que des directives imprécises, ou pour le moins ambiguës, de façon à ne pas susciter le raidissement de l’élément ouvrier qui voudrait se soustraire à l’influence de groupes rivaux. 

 

   “La Sinistra Proletaria”



(Organe de la Fraction de gauche des communistes et des socialistes italiens)

19 février 1945

 

À Yalta, les impérialismes “démocratiques” confirment les chaînes de l’esclavage capitaliste à l’Europe “partisane” en internationalisant

les méthodes du nazi-fascisme

 

Le partage de l’Europe en zones d’influence est l’équivalent incomparable du plan hitlérien des espaces vitaux



     Le partage de l’Europe en zones d’influence, décidé à Yalta par les trois big men des impérialismes vainqueurs, traduit dans la pratique le projet hitlérien du partage du monde selon la théorie des espaces vitaux. Telle est la signification cachée de la démocratie progressiste préconisé inlassablement par le camarade Togliatti : endormir le plus possible les masses afin que le jeu des impérialismes concurrents de l’Allemagne Capitaliste puisse se dérouler sans à-coups excessifs et sans trop de heurts. Aujourd'hui, après sept années de guerre, le prolétariat européen se trouve confronté à la plus monstrueuse machination que le capitalisme ait jamais ourdie aux dépens du prolétariat mondial. Agissant derrière le paravent de l’antifascisme, qui n’est rien d’autre que le revers de cette médaille sur laquelle les maîtres habituels du monde avaient pompeusement gravé l’effigie du Duce et du Führer, les hommes les plus représentatifs du Directoire anglo-russo-américain essaient de remettre debout une nouvelle Sainte Alliance à long terme, qui serait garantie par le Pacte tripartite de Dumbarton Oaks et conçue non pas tant contre les criminels de guerre (qui ont été et seront, de toute manière et toujours, des brigands impérialistes) que contre les prolétaires de l’Europe et du monde entier, appelés non seulement à faire les frais de la guerre, mais aussi à se soumettre aux lois que les vainqueurs croiront utiles d’imposer dans leurs zones d’influence respectives. C'est ainsi par exemple que les ouvriers italiens devront continuer à supporter le régime d’exploitation organisée, avec l’approbation de Moscou, sous les signes de la croix savoyarde, seulement parce que l’Italie, dans les compétitions impérialistes, a eu la malchance d’être déclarée zone d’influence anglaise lors de cette fameuse Conférence de Moscou qui a mis un terme aux velléités républicanisantes et américanisantes du comte Sforza. C’est ainsi que, bien qu’ayant aujourd'hui toutes les possibilités de jeter les bases d’une Confédération européenne, le directoire anglo-russe se garde bien de prononcer le mot d’États-Unis d’Europe, qui est relégué dans le dictionnaire des mots dangereux, ou du moins inutiles. Il y a que la bourgeoisie a aujourd'hui vraiment peur de provoquer l’agitation des masses. Un mouvementa populaire quelconque pourrait dégénérer en révolution. L’ELAS en donne un avertissement. Cependant, les militants marxistes savent qu’aujourd’hui, après l’expédient fasciste, la dictature bourgeoise repose sur un plan incliné. Un faux pas, et c’est la course vers le précipice.

L’Opposition de Gauche ne doit pas flancher, et elle ne flanchera pas dans l’attente de ce faux pas inévitable qui fera déraper le corps adipeux du capitalisme en permettant aux révolutionnaires d’arborer le drapeau de Lénine dans l’Occident européen.

 

°°°°°°°°°°°


À Palmiro Togliatti


 

Monsieur le ministre,

 Depuis 1926, vous avez été le représentant à Moscou du Parti Communiste Italien, membre du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, secrétaire de cet Exécutif pour les pays latins, chargé de missions de confiance en Espagne, et vous jouissiez précisément de la pleine confiance du gouvernement russe, et, de manière inévitable, vous deviez collaborer avec le commissaire de l’Intérieur de Russie, c'est-à-dire avec la Police politique de ce gouvernement. C’était à vous que, du fond des prisons dans lesquelles ils se trouvaient, les Italiens persécutés par le GPU s’adressaient et qu’ils envoyaient des prières complètement inutiles. Vous avez été témoin des persécutions dont ont été victimes [mots illisibles] en Russie. Vous ne pouvez pas ignorer le nombre de ceux qui ont été fusillés et de ceux qui souffrent toujours dans les prisons et qui pourraient être encore sauvés aujourd'hui. Nous reconnaissons que, à Moscou, malgré les hautes fonctions que vous occupiez, vous ne pouviez faire que pas grand chose ou rien pour les sauver ou pour atténuer leurs persécutions. Vous n’auriez pas pu faire autre chose que d’élever une protestation courageuse qui vous aurait conduit à être sommairement exécuté. Vous avez préféré collaborer avec les persécuteurs et les bourreaux de vos compatriotes. Cela a été une attitude politique que nous préférons ne pas discuter en ce moment.

La reconnaissance par le gouvernement de l’URSS du gouvernement monarchique du maréchal Badoglio, ex-membre du Grand Conseil Fasciste, et ensuite du gouvernement de Bonomi, vous a amené à un poste de ministre dans le gouvernement antifasciste d’Italie. Vous êtes arrivé dans votre pays à bord d‘un avion soviétique et maintenant, en tant que membre du gouvernement d’une Italie qui commence à se libérer, vous avez d’autres obligations, distinctes des précédentes. Vous avez en effet des obligations à l’égard du peuple italien, des antifascistes qui ont lutté durant vingt ans contre la dictature de Mussolini, des camarades de Matteotti, de Lauro di Bosis, d’Amendola, des frères Rosselli, de Gramsci. Vous avez des obligations à l’égard de tous ceux qui, dans le vaste monde, ont soutenu sans trêve la lutte contre le fascisme et ont conservé leur foi en l’idéal de liberté du peuple italien. Vous êtes en particulier tenu de répondre avec clarté et publiquement aux questions suivantes que nous posons au nom d’une émigration socialiste composée de représentants de presque tous les pays d’Europe :

Qu’est-il arrivé aux antifascistes italiens, réfugiés en URSS à l’époque où la Révolution russe offrait une hospitalité généreuse aux persécutés du monde entier ?

Combien d’entre eux ont été fusillés, combien se trouvent dans les prisons russes, combien ont été déportés par le GPU depuis que, entre 1929 et 1930, un régime totalitaire s’est installé à Moscou ?

Quels sont les survivants et combien pourront maintenant être rapatriés ?

Nous savons qu’à l’époque des procès d’ignominie et de sang appelés les “procès de Moscou”, la majeure partie des réfugiés italiens en URSS, y compris des membres de son Parti lui-même, ont été emprisonnés : beaucoup ont disparu dans les ténèbres. Nous connaissons beaucoup de noms, et nous avons des archives.

Qu’est-il advenu du vieux militant de l’“Union Syndicale Italienne”, l’ouvrier milanais FRANCESCO GHEZZI, qui s’est réfugié à Moscou en 1921, qui a été détenu sans procès de 1929 à 1931, qui a été remis en liberté grâce aux protestations internationales et aux demandes d’intellectuels libéraux (Romain Rolland, Georges Duhamel, Henri Barbusse, Boris Souvarine, Léon Werth, Magdeleine Paz, Henry Mann, et beaucoup d’autres)  et qui a disparu de nouveau dans les prisons du GPU en 1937 ?

Qu’est-il advenu du toscan OTELLO GAGGI, condamné à 30 ans de prison en 1921 par le tribunal d’Arezzo pour s’être défendu contre des bandes fascistes, qui s’est réfugié en URSS en 1922, qui a été détenu sans en connaître la cause en 1935 et qui, en 1936, a sollicité vainement d’aller combattre en Espagne ? Joaquim Ascano, délégué de la milice à Campo, Emilian Moria Duruti, délégué de la Colonne Durruti, Alfonso Miguel, délégué de la Presse  de la CNT, ont télégraphié à cette époque-là à Staline pour appuyer la demande de Gaggi. Les antifascistes espagnols n’ont reçu aucune réponse, et Gaggi a disparu.

Qu’est-il advenu de LUIGI CALLIGARIS, ex-rédacteur du journal communiste clandestin de Trieste, qui a été relégué pendant cinq ans dans l’île de Lipari (1926-1932), s’est évadé de cette île avec le concours et sur ordre de son Parti, s’est réfugié à Moscou, et a été détenu sans aucune accusation précise en 1935, puis déporté à Shenhurak [?], dans la région de la mer Blanche ?

Qu’est-il advenu des femmes et des enfants de ces militants courageux dont vous connaissez parfaitement les dossiers et dont vous savez très bien qu’ils étaient irréprochables et que leur unique crime a été de soutenir le droit à la liberté de pensée ?

Ils ont disparu sans aucun procès. Personne n’a pu les défendre. Combien d’entre eux sont morts ? Quand et pourquoi ? Combien sont vivants maintenant, et où ?

Votre devoir est de donner des informations au gouvernement dont vous faites partie, à l’opinion italienne ainsi qu’à l’opinion internationale, sur ceux qui sont morts et sur ceux qui sont vivants, s’il y en a encore quelques-uns. Votre devoir est d’exiger le retour des survivants dans leurs pays. Vous, vous avez pu revenir parce que vous appartenez au parti des exécuteurs. Eh bien, les persécutés doivent eux aussi pouvoir revenir.

Il n'est jamais trop tard pour écouter la voix de la conscience. Votre devoir est de parler et d’agir de manière active pour les sauver. Il est certain que si vous le faites, votre Parti vous exclura et que vous perdrez votre portefeuille de ministre, mais vous aurez effacé un long passé de complicité avec le totalitarisme. Et peut-être que vous aurez contribué à sauver la vie de quelques militants qui ont eu beaucoup plus de courage et de clairvoyance que vous.

Vous déciderez en fonction de ce que vous croyez : la question est posée. Les véritables antifascistes se déshonoreraient s’ils l’ignoraient et vous pouvez avoir la certitude qu’ils ne l’oublient pas.

 

Rédaction du “MUNDO”

Traduction de la revue mexicaine “MUNDO”, d’après une coupure jointe à la lettre de novembre 1944 envoyée de Mexico City.

 

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L’Opposition de Gauche

UN DANGER PUBLIC

 

 En stigmatisant aux Communes l’attitude intransigeante et classiste des trotskistes grecs, Churchill, Premier ministre et chef de l’Intelligence Service, a renoncé à la formule d’Albion : « Attends et surveille ». En effet, les divers Plastiras de l’Europe des capitalistes n’attendent pas et ne surveillent pas. Désormais, ils agissent. Et ils agissent pour le compte des nouveaux maîtres, de la même manière qu’ils ont agi pour le compte du patron prussien, avec des méthodes typiquement fascistes, afin de calmer les prolétaires.

 

C'est ainsi que les plumitifs de chez nous, à la cervelle d’oie et à la patte d’âne, ont illico pris position contre l’Opposition de Gauche, dans un éditorial du Tempo, n° 21, en la déclarant : « Danger public ».

Mais danger de quoi, danger pour qui, monsieur R. Jacobby ?

L’absolue intransigeance révolutionnaire que vous accordez (quelle bonté de votre part !) à cette ultragauche qui, comptant sur différents petits partis ainsi que sur de nombreuses associations soi-disant partisanes (la phrase est de vous), rêve de la réalisation immédiate – au moyen d’un acte d’insurrection – de la dictature du prolétariat, ne peut certainement pas être une qualité des ces révolutionnaires … en peau de lapin(*) qui lient, à la manière de Togliatti, leurs propres objectifs à la contingence de la politique bourgeoise.

Les révolutionnaires internationalistes ont résisté à la plus grande catastrophe mondiale en tenant les positions inconfortables de cette  intransigeance, sans arrogance, mais sans peur. Ils n’ont ni juré, ni parjuré, au nom d’aucun impérialisme. Ils sont restés sourds aux appels de Rome, de Berlin, de Londres, de Washington et de Moscou, en renonçant de bon cœur à toutes les lunettes et aux autres écrans optiques que les états-majors des différents nationalismes ont coutume de distribuer à bon prix, voire gratuitement, dans cette période de crise ménopausique du capitalisme.

Les marxistes internationalistes, fidèles aux enseignements de Marx et de Lénine et réfractaires aux appels séraphiques du socialisme patriotique, voient les choses telles qu’elles sont, appellent un chat un chat, et ils s’accordent la liberté et le mérite, sans l’ombre d’une prétention, de dominer avec une plus grande clarté les perspectives de la guerre.

La partition de l’Europe en trois zones d’influence ouvrière sur le marbre anatomique de Yalta, effectuée par les trois big men de la stabilisation capitaliste mondiale et, employons le terme explicite, de la contre-révolution bourgeoise, n’est pas un fait qui puisse le moins du monde surprendre ceux qui ont dénoncé depuis longtemps le danger de voir traduit dans la pratique le plan hitlérien des espaces vitaux. L’évolution des événements démontre nettement que l’Opposition de Gauche a vu clair dans le jeu complexe de l’impérialisme et qu’elle a eu raison non seulement contre les disques rotatifs de Londres et les girouettes du type Sforza, mais aussi contre les chers “camarades” des soi-disant partis de gauche, les traîtres socialo-communistes, qui ont collaboré et collaborent avec ceux qui, derrière le paravent de l’antifascisme, travaillent pour l’internationalisation des méthodes néo-fascistes.

Mais, vous, monsieur Jacobby, vous qui voyez les affaires de ce monde bourgeois absolument dégoûtant à l’aide d’œillères staliniennes, vous êtes, nous vous le disons, le moins qualifié pour juger à tort et à travers l’“ultragauche” dont la moralité, la politique, l’idéologie, sont pour vous, comme pour tous les plumitifs de votre acabit, une terre encore lointaine à découvrir, une terre qui vit seulement dans la fumée et la brume de cette sainte ignorance politique, cultivée par le fascisme, de cette ignorance qui souille toutes les consciences et tous les rouages de la machine sociale, de cette ignorance qui est le véritable, le seul, le plus redoutable ennemi public de la Révolution prolétarienne.



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(*) Tullio Calcagno (1899-1945) était un prêtre et un journaliste italien qui a adhéré à la République Sociale Italienne. En 1944, il a fondé la revue hebdomadaire “Crociata Italica” dont il était le directeur. Fusillé par les partisans le 27 avril 1945. (NdT).

(**)  Paolo Pecoraro, prêtre proche des partisans, a été à l’origine des catholiques communistes. (NdT).

(*)  En français dans le texte. (NdT).