"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 25 octobre 2014

RETOUR SUR LA LETTRE DE SIMONE WEIL À BERNANOS



Publiée en France dans la revue « Témoins » à l’automne1954
 

Nous avons largement évoqué dans Les Fils de la Nuit [1] le séjour de cette philosophe française à Pina de Ebro en août 1936.
Après son retour en France, elle écrivit en 1938 une lettre à Georges Bernanos où elle évoquait l’histoire – devenue quelque peu emblématique du manque d’humanité de ses amis révolutionnaires – de ce jeune phalangiste fait prisonnier par le Groupe International le 22 août 1936, et exécuté sur décision de Durruti :
« J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l’avais respirée. […]
« Combien d’histoires se pressent sous ma plume… […] en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt prisonnier, tout tremblant d’avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu’on l’avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une carte de phalangiste ; on l’envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé les beautés de l’idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s’enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l’avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l’enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l’enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n’a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l’aie apprise qu’après coup. »

Simone n’était pas présente lors de cet engagement car, blessée, elle avait été amenée le jour même à l’hôpital. L’information sur le jeune prisonnier, elle la tient de ses amis du Groupe International, Ridel et Carpentier, venus la visiter à l’hôpital en septembre 1936 :
« La présentation des incidents, faits et événements correspond-elle à la réalité que Simone Weil a connue lors de son séjour en Espagne ? De l’avis des survivants du groupe international de la colonne Durruti auquel elle appartint, non. L’affaire du jeune phalangiste fait prisonnier par les miliciens internationaux lui a été contée par ces miliciens eux-mêmes qui s’indignaient de ce que le jeune homme eût été fusillé à l’arrière, avec l’approbation, dans l’indifférence, ou sur ordre — la précision n’a jamais été obtenue — de l’état-major de la colonne. Les réactions de Simone Weil furent celles des combattants. Mais la recherche d’une parenté avec Bernanos l’incita à généraliser. Il n’est pas question de nier ou de minimiser les horreurs d’une guerre révolutionnaire, ni de dissimuler les instincts de certains miliciens. Ce qui est indispensable, c’est d’établir un tableau complet des sentiments ou des passions qui purent se donner libre cours, et non pas de juger les révolutionnaires en bloc. » [2]
Phil Casoar, dans l’article qu’il a rédigé en 1999 voir ici [3] sous le titre « Louis Mercier, Simone Weil : retour sur une controverse », expose en détails plusieurs aspects de l’affaire et cite une autre source, le livre de Mathieu Corman, Salud Camarada !, publié en juillet 1937 :
« Dans Salud Camarada, Corman décrit ainsi la confrontation entre Durruti et l’adolescent :
“ Amené au comité de guerre de la colonne, le délégué-général, Buenaventura Durruti, lui dit, en l’enveloppant de son regard de fauve blessé :
‘ Tu es trop jeune pour mourir : nous ne fusillons pas les enfants ! Mais il faut que tu nous donnes ta parole de ne plus jamais rien entreprendre contre nous. Nous n’avons pas de prison pour t’enfermer. Ta parole suffira. Veux-tu me la donner ? ’
Le prisonnier imprima à sa tête un lent mouvement négatif :
‘ Non ! ’
‘ Tu as bien réfléchi ? ’
‘ Oui ! ’
‘ Tu l’auras voulu ! ’
Le tribunal populaire, constitué par le comité du village, le condamna à mort le même jour.
C’était un jeune mystique. Tout son corps tremblait quand on l’emmena vers le petit bois dont l’orée touche au village, ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire. En marchant, il murmura continuellement : ‘ Arriba España ! ’
On lui demanda s’il voulait être fusillé ‘ de dos ’. Il refusa. Les cinq miliciens se rangèrent face à lui. Il croisa les jambes, déchira sa chemise sur sa poitrine et commanda lui-même :
‘ Arriba España ! Fuego !… ’
Dans une lettre trouvée parmi des papiers, sa mère lui recommandait de se battre jusqu’à la mort… Il avait quinze ans… ” »

Tout en s’interrogeant sur la véracité du récit de Corman, qui n’était pas à Pina à cette date, Phil constate que certains éléments se retrouvent dans la lettre de Simone Weil à Bernanos. L’avait-elle lu ?
Cela faisait en tout cas plusieurs témoignages allant dans le même sens, et Phil conclut son article en s’interrogeant sur l’attitude de Durruti :
« En lui proposant un marché de ce genre, Durruti paraît manquer de discernement face à ce garçon buté dans son idéal : a-t-il essayé simplement d’imaginer la situation inverse, celle d’un jeune anarchiste mis en demeure par des phalangistes, pour sauver sa peau, de renoncer à reprendre les armes contre eux, voire de rejoindre leur rangs ? En fait, le leader anarchiste est tellement sûr de la justesse de sa cause qu’il se comporte comme un prêtre jésuite sommant un hérétique d’abjurer sa foi, sous peine de mort.
Le texte de Mercier, quoique très imprécis, porterait d’ailleurs à accréditer plutôt la version de Corman, concernant l’attitude de Durruti : en fin de compte, Durruti se serait lavé les mains du sort du jeune garçon (“ … dans l’indifférence… ”).
Pourquoi Durruti, qui savait se montrer magnanime et avait empêché plus d’une exécution sommaire, a-t-il cette fois-ci fait preuve d’une telle indifférence ? ».
C’est en consultant les archives franquistes que nous avons trouvé un document qui maintenant coupe court à ces questionnements.
Aux archives de Salamanque se trouvent les volumineux dossiers dits de la « Causa general », du nom de la vaste enquête menée village par village, ville par ville par les autorités franquistes pour inventorier les exactions et assassinats commis par « la chusma roja » et autres pendant la guerre civile. Les dossiers contiennent les dépositions de témoins, d’accusés emprisonnés et traités comme on le sait dans les geôles franquistes, et les déclarations de victimes ou parents de victimes.
En examinant les dossiers du « partido judicial » de Pina de Ebro, puis de celui de Tauste (village sur la route de Saragosse à Tudela), nous avons eu la surprise de tomber sur l’affaire de ce jeune phalangiste qui s’appelait Ángel Caro Andrés.
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Archivo Historico Nacional, FC -causa general Pina de Ebro, pp. 10 et 11.
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Archivo Historico Nacional, FC -causa general, Tauste, 1425, exp. 59, pp. 49 et 50.

Voici la traduction résumée, par nos soins, d’une partie de ces deux documents :

Déposition du père, Daniel Caro Andrés [4], instituteur et directeur du groupe scolaire de Tauste, adressée au juge de la « Causa general » de Saragosse :
« Quand commença le Glorieux Soulèvement, mon fils Ángel Caro Andrés, âgé de 16 ans, partit volontairement de Tauste pour défendre la patrie en danger et intégra le corps de la phalange n° 29 sur le front de Quinto.
Le 22 août 1936, au cours d’un combat nocturne sur la commune de Pina, au lieu dit Mejana del Blanco, il fut fait prisonnier par les rouges internationaux de la colonne Durruti [5]. Ce dernier lui laissa la vie du fait de son jeune âge et ordonna qu’on le place dans la mairie de Pina qui servait alors de prison.
Le jour suivant, mis au courant de l’histoire, des rouges ayant fui Tauste [6] demandèrent à Durruti de leur livrer le prisonnier pour le fusiller, mais il le leur refusa, toujours à cause de son jeune âge.
Alors, guidés par leurs instincts criminels, ils attaquèrent la prison au petit matin du 24 août, enlevèrent le prisonnier et l’assassinèrent près de l’Èbre ».

Quand Pina fut occupée par les troupes franquistes en mars 1938, Daniel Caro Andrés chercha et trouva les restes de son fils, qui furent inhumés dans le cimetière de Pina.
Daniel Caro Andrés cite le nom d’Andrés Cupillar Pintanel, natif de Tauste, enrôlé dans la colonne Durruti, qui aurait côtoyé à Osera les assassins qui se vantaient de leur acte.

Suivent les noms de 17 hommes incriminés dans cette affaire, pour la plupart natifs de Tauste [7]. Il semblerait qu’aucun d’entre eux n’ait été arrêté.
L’enquête sera diligentée jusque dans les années 1955 et 1965 pour trois d’entre eux, présentés comme des militants de gauche connus :

– José Pellicer Murillo, membre de la CNT, a fait partie des insurgés qui ont déclaré le communisme libertaire à Tauste le 7 octobre 1934.
– José Martínez Berlin, membre de la CNT ; a participé aux événements de Tauste en octobre 1934.
– Ramón (ou Raimundo) Hernando Lasheras, membre de l’UGT puis de la CNT, condamné en 1934 pour détention d’arme.

Un autre rapport de la Guardia civil de Tauste indique en 1964 :
« On sait qu’un groupe de Tauste où se trouvait Pellicer sema la terreur [pendant la guerre civile] dans plusieurs villages [côté républicain] et principalement à Pina, Gelsa et Osera. »

Il est assez savoureux de trouver dans les archives franquistes des documents à décharge en faveur de Durruti ; en tous cas, cela nous confirme qu’il faut toujours recouper autant que possible les témoignages et récits avec les documents, et réciproquement. C’est un gros travail, mais cela vaut souvent la peine.
Le fait que quantités d’archives soient maintenant numérisées, comme celles de la Causa General [//pares.mcu.es] ainsi que les numéros de certains quotidiens comme La Vanguardia de Barcelone [www.lavanguardia.es/hemeroteca] par exemple, facilite pas mal les recherches des historiens amateurs comme nous.
Les giménologues, 8 juin 2009.

[1] Dans les notes n° 6, 12 et surtout 16, p. 244, et 20, p. 256.
[2] Lettre de Louis Mercier à Jean-Paul Samson, datée du 16 décembre 1954, qui fut publiée dans Témoins n° 8 (printemps 1955).
[3] Présence de Louis Mercier, Collectif, ACL, Lyon, 1999.
[4] faite à Tauste le 7 novembre 1940 pour le premier document ; le deuxième est sans date.
[5] Dans le deuxième document, il est dit que « la Brigade Internationale était dirigée par un certain Luis, un Français qui parle espagnol ».
[6] après le 19 juillet 1936.
[7] José Salvador Sariñena, né à Gelsa ; José Pellicer Murillo ; Jesús Tudela Larraz ; Andrés García Melendez ; Mariano Obedé Arjol ; Ramón Hernando Lasheras, né à Mores ; Moises Candial Conde ; Luciano Navarro Alegre ; Francisco Borao Conde et son frère Saturnino ; Ignacio Bernal Sánchez ; Margarito Cañete Cañete ; Ángel Soria Morales ; Enrique Lorente del Olmo ; Pascual Laborda Laborda ; José Martínez Berlin et son frère Antonio. (Selon les dossiers, la liste comporte 15 hommes seulement.)

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mardi 21 octobre 2014

MIGRATION DU TRAVAIL OU EXODE GENERALISE?


De l'exode rural au capitalist dream...

La question de la migration ou de l'immigration est de plus en plus complexe et sans solutions nettes à court terme. Elle génère autant de fantasmes que de raisonnement faux ou simplistes. Elle n'est pas une question qui relèverait des seuls gouvernants ni prolétarienne en soi. Elle sert de référence ou de défouloir politique aux démagogues des partis des uns et des autres sans être abordée sérieusement au plan historique, industriel et social. Comme par hasard, à l'époque de la chute du bloc russe, alors que la bourgeoisie US dresse un mur face au Mexique, la question de l'immigration devient aussi un discours central en Afrique de l'Ouest, la xénophobie est encouragée; on invente même le concept d'ivoirité!1

La décadence du capitalisme, une démographie qui ne peut plus être absorbée par l'industrie mondiale ni plus considérée comme simple reproductrice d'une "armée de réserve" du chômage, et des guerres incessantes qui jettent des centaines de milliers de personne sur les routes de la misère et plus directement vers d'immenses camps de réfugiés, tout cela vient modifier toute compréhension du phénomène de migration mondiale à la manière du passé, celui de la deuxième moitié du XXe siècle en tout cas.
Partout les puissances dominantes ont dressé des murs ou développés des moyens de surveillance et de refoulement sophistiqués, de Lampedusa à Jerusalem mais aussi en Afrique et à la frontière du Mexique et des Etats Unis où, depuis 1989, 1132 km de tronçons de mur, de surveillance électronique et de barrières anti-véhicules tentent d'empêcher tout franchissement frontalier aux "clandestins".
D'une façon générale, comme expression de la misère exponentielle provoquée par la crise capitaliste le nombre des clandestins, s'il n'excède pas forcément le nombre des "admis" pose un réel problème, quoique pas à tout le monde, pas aux exploitants agricoles ni aux patrons d'usine près de la frontière du Mexique versant USA, et encore moins aux gauchistes angéliques. Le questionnement en Europe posé par l'afflux de clandestins à Calais ou à Lampedusa est qualifié de xénophobe par les biens pensants autistes – mais c'est de l'ordre du débat, on n'égorge pas ici -
mais que penser du sort réservé au Mexique par les sinistres groupes para-militaires aux pauvres travailleurs clandestins pris dans leurs sales filets?

Indépendamment des marchands de sommeil et de travail payé au rabais, et des agitateurs moralistes professionnels de l'impuissance politique, la bourgeoisie mondiale démontre depuis un demi-siècle une incapacité à analyser et à prévoir les conséquences à long terme de la migration : le migrant n'est pas un individu rationnel qui choisit le départ quand les politiques se durcissent, le processus migratoire s'inscrit dans le temps long (recherche d'ascenseur social, tradition migratoire, migration politique, migration de survie..)2 alors que les mandats électoraux des délégués politiques du capitalisme ne durent que quelques années.
L'inadéquation entre les objectifs et les mesures aléatoires des Etats bourgeois qui laissent le phénomène migratoire dans un flou intégral; par exemple en militarisant la frontière avec le Mexique, la bourgeoisie américaine renforce les réseaux illégaux et ne réduit pas le flux de migrants principalement mus par la dépendance de leurs pays de départ aux transferts financiers. Obama qui avait promis dans son discours électoral de régulariser tous les sans papiers a dû faire marche arrière face à la réalité; son rival Mc Cain s'était tiré une balle dans le pied en prônant une solution vaine: sanctionner les employeurs de sans papier afin de réduire le flux de migrants économiques.
Il n'est plus possible de réguler l'immigration comme au temps du travail forcé3 et aléatoire sous la colonisation où, époque des trente glorieuses, la migration du travail restait motivée par la recherche de revenus additionnels, avec un caractère saisonnier, sans regroupement familial au pays de destination. Chaque puissance coloniale gérait sa propre main d'oeuvre "importée". L'accession aux indépendances nationales a brouillé les cartes pour la provenance des diverses anciennes colonies, la migration de travail en son double politique: recherche du refuge politique face aux dictatures du nouveau tiers-monde et surtout fuite de la misèrede "jeunes capitalismes" mort-nés cornaqués par des camarillas de partis militaires. L'immigration individuelle, la survie et la débrouille, tend à prendre le pas sur une ancienne immigration plus communautaire, plus solidaire, plus ouverte à l'intégration ouvrière, et flirte avec des réseaux criminels4, voire islamistes désormais.
Pour reconstruire au lendemain de 1945, les pays détruits d'Europe et en particulier la France auront besoin de faire venir massivement la main d'oeuvre des colonies, fixant une population bariolée qui a établi ses quartiers depuis des générations et fait partie naturellement de la France: Barbès pour les Algériens, Montreuil est aujourd'hui le plus grand village soninké au monde. De nos jours, alors qu'il ne s'agit plus de reconstruire, mais de mieux répartir, indépendamment des chiffres maquillés ou pas des instances statistiques internationales, il existe un flux, une amplification significative et non maîtrisable de migrations transcontinentales face aux conflits armés terrifiants, aux crises environnementales cycliques et à l'effondement non seulement de pans entiers économies industrielles occidentales mais aussi du "commerce de commission"5.
Enfin, si on peut relativiser le cas de l'immigration en Europe ou aux Etats Unis, et que le phénomène des réfugiés et des "déplacés" est bien plus considérable encore en Asie et en Afrique, sans compter par exemple les pays arabes limitrophes du terrible conflit en Syrie, il n'en reste pas moins qu'on n'en est qu'au début, que l'explosion des migrations internationales – non comme rationalité économique et industrielle mais comme fuite éperdue – n'en est qu'à son début, les arrivées massives aussi bien sur les marchés du Sud que du Nord se profilent face au nombre croissant d'Etats en déroute (Somalie, Soudan, Yémen, Afghanistan, Irak, Libye, Mali, République Centrafricaine, etc.).
Il faut bien le souligner enfin, la rencontre de la courbe démographique des migrations planétaires et d'un capitalisme qui étouffe ou veut annihiler les forces productives en surplus, pose non le simple problème de gérer la misère du monde, mais de réorganiser entièrement la société hors du capitalisme, sinon celui-ci, tôt ou tard, "régulera" démographie et immigration par la guerre mondiale.


Deux idées majeures nous guideront au cours de cet article:
L'immigration, même difficilement contrôlable, reste indispensable au capitalisme. Ce n'est pas le cas pour le prolétariat car ce phénomène peut être utilisé en trompe l'oeil pour le diviser, le pousser à l'absence d'estime pour lui-même, et au repli autarcique national ou ethnique. L'immigration vient plus participer de l'exhibition de la misère du monde et refléter l'anarchie grandissante du mode de production capitaliste. L'immigration traitée comme une généralité, au lieu d'addittionner ou d'unifier les mécontentements sociaux contre les élites dominantes cyniques, ou de féconder une prise de conscience révolutionnaire prolétarienne, avive les divisions de la misère. Il faut sérier les divers types d'immigrations, les majeures des mineures, la migration des prolétaires de celle des aventuriers. Mais même après avoir fait cela on ne trouvera pas la science infuse de l'unité internationale autrement que dans des événements politiques et sociaux qui dépassent l'analyse sociologique ou empirique, et qui, nous l'espérons favoriseront l'unité de classe inter-nationale et anti-ethnique.

IMMIGRATION NATURELLE OU EXODE ACTUEL?
Est-ce la porte ouverte aux HORDES AFFAMEES promises par Louis Dumont dans les années 1960?
Non et pour deux raisons qui vont vous surprendre. La première est que ce ne sont pas les plus pauvrent qui migrent et émigrent, ni les moins qualifiés, ce sont bien plus souvent les enfants de cette petite bourgeoisie du tiers-monde flouée par les libérations nationales fictives qui veulent tenter de parvenir ailleurs ou maintenir leur statut social. La deuxième, et c'est un phénomène plus intéressant, est le développement de la migration de femmes seules; selon Papa Demba Fall: "la migration internationale est de plus en plus un lieu d'expression de femmes qui migrent seules et de manière autonome afin de satsifaire les besoins liés au statut de chefs de ménage"6. L'analyse est restrictive, la migration féminine n'a pas eulement une causalité familiale mais aussi et peut-être surtout une fuite face au machisme religieux dominant dans les pays du Sud. Et la "fuite des cerveaux" s'explique par le désir d'échapper aux dictatures militaires (comme l'enfer carcéral d'Erythrée).
Contrairement aux divers naïfs ou anges bcbg du gauchisme ou du maximalisme ringard, ce constat nous amène à dire que ces migrations ne sont pas plus naturelles que ne l'était le travail forcé par le colonisateur avant 1946, ni une prolongation de la régulation naturelle du besoin de main d'oeuvre au niveau mondial par le même capitalisme que celui florissant de jadis. P.Demba Fall a raison de qualifier plutôt le phénomène migratoire moderne d' "exode international". L'exode, dans l'histoire et comme phénomène n'est ni une partie de plaisir ni un signe de progrès, c'est le nom donné à la fuite massive de populations civiles devant une guerre ou une catastrophe naturelle. Exode de personnes de plus en plus seules, coupées de toute communauté, l'émigration dans les pays africains confirme, ce que d'aucuns s'échinent à ne pas voir en Europe, que "les préjugés ethniques et religieux restreignent singulièrement les possibilités d'intégration" (P.Demba Fall).
L'immigration ne participe plus au développement du capitalisme ni de la classe ouvrière, comme au XIXe et XXesiècle.
La demande chronique de main d'oeuvre corvéable dans les services et le bâtiment ne s'accompagne ni d'une solidarité ni de garanties sociales comme pour la classe autochtone. Même l'argument du vieillissement dans les pays riches se retourne contre les prolétaires européens qui ont encore besoin de travailler puisqu'on éloigne leur retraite face à la "préférence jeune immigré et soumis". Même l'argument de la nécessité de maintenir de hauts taux de production en pays riches ne tient pas la route puisque les "délocalisations" permettent d'exploiter mieux encore les possibles immigrés s'ils restent chez eux!
Il est devenu à la mode chez les élites politiques bourgeoises de compatir à "l'échec du développement" et à "la faillite de l'aide au développement" du Sud. Les libérations nationales n'ont pas tenues leurs promesses "d'égaliser le développement du capitalisme moderne", mais tous les pays dits développés et dominants n'ont pas tenus leurs promesses de consacrer 0,7% de leur PNB à l'aide au développement. 

UNE MYSTIFICATION DATANT DU REPARTAGE DU MONDE EN 1945
Le 20 janvier 1949, Harry Truman, le président américain qui a signé la fin de la guerre, lance au monde un appel au développement d'une aide aux pays du tiers-monde destinés à être détachés des pays colonisateurs, plus pour faire face au danger "communiste stalinien"que pour éradiquer la misère: "Nous devons nous engager à bâtir un nouveau programme mettant à profit nos avancées technologiques et notre progrès industriel pour aider au relèvement et à la croissance des aires sous-développées. Plus de la moitié des peuples du monde vit dans des conditions proches de la misère. Leur nourriture est insuffisante. Ils sont victimes de la famine. Leur vie économique est primaire et stagne. Leur pauvreté est un handicap et une menace pour eux et pour les zones plus développées (sic!). Pour la première fois dans l'histoire, l'humanité possède la connaissance et la capacité de sortir de la souffrance ces peuples.
Les Etats Unis sont à l'avant-garde des nations pour le développement des techniques industrielles et scientifiques. Les ressources matérielles que nous pouvons apporter pour aider les autres peuples sont limitées. Mais nos ressources impondérables en connaissance technique sont en croissence constante et inépuisable. Je crois que nous devrions rendre disponible aux peuples pacifiques les avantages de notre stock de connaissances afin de les aider à réaliser leur aspiration à une meilleure existence. Et, en coopération avec les autres nations, nous devrions favoriser l'investissement dans les aires qui ont besoin de développement.
Notre but devrait être d'aider les peuples libres du monde (resic!), par leurs propres efforts, à produire plus de nourriture, plus de vêtements, plus de matériaux d'habitation, plus de pouvoir pour alléger leurs fardeaux".
Depuis la fin de la fiction de l'hyper-puissance russe, si l'aide ronflante promise ne s'est pas développée extraordinairement, le baratin multicultiraliste est venue couvrir les fausses promesses. L'aide d'urgence apparaît ponctuellement plus que l'aide dite durable.
La vérité est toute simple pour expliquer cette aide aléatoire, versatile et parcimonieuse: LE CAPITAL A BESOIN DE LA MAIN D'OEUVRE DES PAYS DU SUD. Si l'aide avait été et était conséquente, l'immigration de travail aurait été infime. Evidemment que les petits bourgeois ou les prolétaires dans les pays sous-développés développés à leur tour avec une industrie moderne et leurs riches matières premières, ils n'auraient pas besoin de s'expatrier au loin. C'est pourquoi toutes les instances, conseillers gauchistes des multinationales et des partis officiels s'ingénient à découpler aide au développement de la question de la "fuite immigrée" vers moins de misère7. Et chacun de nier qu'un réel développement du capitalisme dans les zones arriérées (mainenues dans l'arriération après avoir été pillées) aurait pu tarir l'immigration massive depuis une trentaine d'années. On affirme même que l'aide au développement du SUD favorise les immigrations; ce qui est vrai puisque par exemple l'aide à la scolarité permet de fuir plus rapidement des pays dirigés par des caciques militaires corrompus en ayant une chance d'être intégrable en pays riche.
Sur Wikipédia, la propagande gauchiste-bourgeoise masque le truc pour le rendre acceptable (le marchande de l'immigration comme donnée naturelle du "libéralisme humaniste et antiraciste": "Les représentations dominantes (sic) actuelles sur les migrations internationales dans les pays européens se sont forgées dans un contexte de crise économique et de précarisation de l'emploi qu'ont connu ces pays à partir des années 1970. L'arrêt des migrations de travail, encouragées durant la période précédente des Trente Glorieuses fut l'une des premières mesures, fortement médiatisée, pour faire face à la montée du chômage. Constamment réaffirmé depuis et souvent renforcé, cet arrêt des immigrations de travail s'est transformé un temps en France en politique d' "immigration zéro", afin de répondre, entre autres, à la montée de l'intolérance et de la xénophobie".
Le "entre autres" est risible quand l'on sait qui attise quoi.
Il faudrait ouvrir grand les frontières à la fuite immigrée du monde entier car, nous dit-on, par après, les politiques de contrôle aux frontières coûtent bien trop cher! Un internationaliste de salon bourgeois nous explique ensuite:
"En restreignant trop la liberté de circulation, on affecte négativement les échanges de toutes sortes entre pays et on limite les possibilités de formation au Nord des jeunes élites des pays en développement".... lesquels petits bourgeois s'empresseront de réussir carrière au Nord en oubliant leur Sud misérable!

L'AIDE DES MIGRANTS A LEUR PAYS D'ORIGINE EST UN PIS ALLER
Pour les naïfs qui pensent encore que l'immigration serait un phénomène constitutif d'une classe prolétarienne internationale, il suffit d'examiner le rapport qu'ils maintiennent au pays. Un rapport de sujétion et de dépendance à leur Etat national et à leur famille. L'envoi des fonds des travailleurs émigrés à leur pays – source de devise appréciable pour les balance sde paiement des pays d'origine - serait supérieur à toute l'aide publique internationale à développement des laissés pour compte du développement inégal du système capitaliste. Ce n'est ni un péché ni une honte, mais la preuve d'abord de l'incapacité du Capital à développer la même productivité partout et d'autre part un dévouement louable de prolétaires besogneux, qui peuvent encore moins avoir envie de faire grève qu'une mère seule ni risquer d'être renvoyés au pays pour trouble à l'ordre national français, avec rétention de salaires8.
Mieux encore, l'exportation du surplus de main d'oeuvre non qualifiée, comme celle de cadres au chômage, constitue une soupape de sécurité à des troubles sociaux récurrents dans les pays du Sud.
Les grandes puissances maintiennent une attitude charitable face au Sud, manient promesses et leçons fallacieuses pour maintenir arriération économique et religieuse afin de conserver ces immenses réservoirs de main d'oeuvre, et refuse un des mots d'ordre du communisme:


Tu aideras mieux ton prochain si tu l'apprends à pêcher plutôt qu'en lui donnant du poisson.





1"Boucs émissaires commodes, accusés de tous les maux, les immigrés sont tenus pour responsables de la criminalité et de l'insécurité qui règne dans les centres urbains. Le développement des sentiments nationalistes ou xénophobes trouve très vite un écho favorable dans toutes les couches sociales (...) loin de constituer un fait isolé, on constate que des pays jadis considérés comme des foyers d'accueil sont devenus des pays d'émigration ou ont clairement réaffirmé, à travers la politique dite de préférence nationale, leur hostilité à l'égard des étrangers (...) La liste est longue de ressortissants africains expulsés d'un pays voisin. Aucun pays n'échappe à cette pratique qui prend parfois une tournure d'autant plus macabre que la diffusion en temps réel de l'événement provoque des scènes de vengeance dans le ou les pays d'origine des victimes" (cf. La dynamique migratoire ouest africaine de P.Demba Fall).
2Pour certains groupes ethniques (Mauritanie, Mali, Sénégal) la migration est un rite de pasage dans le cursus individuel, "il faut partir pour être un homme", avoir un statut social; le capital social est d'avoir déjà un membre de la famille sur place au coeur d'un réseau d'accueil structuré "qui fonctionne comme un des principaux leviers de l'exode international" (cf. P. Demba Fall), op.cit.).
3Aboli en 1946, abolition trop tardive pour empêcher le processus des libérations nationales, pilotées par les deux grands blocs rivaux pour dépouiller un peu plus les puissances vaincues de 1918 et 1945. Le recutement de travailleurs immigrés sera désormais opéré par des bureaucrates spécialisés des colonies d'origine, en lien avec les patronats respectifs dans les ex-métropoles colonialistes, au fur et à mesure...
4"C'est dans le souci de rebondir que des migrants quittent leur première destination pour s'installer dans un nouveau pays de cocagne. Hommes seuls, ils n'hésitent pas à intégrer les réseaux occultes ou criminels" (cf. P. Demba Fall, p.13, écrit en 2007 et utilisant un document de 1999, La population africaine au XXIe siècle). Relevant le "culte du migrant" (que l'on trouve chez tout jeune africain, comme chez tout révolutionnaire de salon européen), Demba Fall décrit le nouveau parcours du combattant: "Ceux qui ne peuvent se procurer un visa auprès des services consulaires voires des réseaux mafieux de leur pays d'origine, choisissent alors d'emprunter les routes du Sahara (qui) relève de la terre promise et est plus qu'aléatoire".
5Classique dans le tiers-monde, dont traitait Marx et auquel je fais référence dans mon livre "Immigration et religion".
6Cf. La dynamique migratoire ouest-africaine entre ruptures et continuités, Dakar 2007.
7Sauf les ONG dont l'objectif, inavoué comme dit Semba Fall, est tout de même "comment aider les Africains à retourner ou à rester chez eux".
8C'est bien pire en Afrique lors d'expulsions de travailleurs combatifs, qui pose la question d'une sécurisation des transferts de fonds: "La perte de biens enregistrés par des migrants lors d'expulsions brutales (600 ouest africains expulsés de Zambie en 1984) ou de tragiques événements survenus dans le pays d'accueil (240 000 mauritaniens rapatriés du Sénégal et 80 000 sénégalais chassés de Mauritanie en 1989) pousse les migrants à envisager, avec les banques de leur pays d'origine, des systèmes de transport de fonds plus fiables (...). Mais notez bien l'immigré s'embourgeoise:"si une bonne partie des revenus du migrant est affectée à l'entretien des familles restées au pays, le migrant désormais préoccupé par le prestige lié à la propriété immobilière, s'oriente de plus en plus vers l'amélioration qualitative de l'habitat" (cf. Demba Fall). Après l'ouvrier-consommateur on ne jettera tout de même pas la pierre à l'immigré-consommateur...