“ La semaine où François Hollande s'est transformé en Guy Mollet ” [1]
Le gros dossier de la semaine, c’est bien
sûr la guerre en Syrie. Y aller, ne pas y aller, les hebdos — leurs
éditorialistes — ont leur avis sur la question. Comme Olivier Besancenot, dont le
mag propose ce mercredi une grande interview come-back, "Les Inrocks"
sont farouchement contre. “ Quand j’ai voté Chirac au second tour de la
présidentielle de 2002, sans aucun enthousiasme, encore traumatisé par un
certain 21 avril mais bien conscient du ridicule de la situation, je ne pouvais
imaginer qu’il aurait le courage, moins d’un an plus tard, de résister à Bush,
écrit Frédéric Bonnaud. Disons que pour une fois, j’ai été récompensé de mon
vote contraint. Je me souviens aussi m’être dit que Jospin et Védrine l’aurait
faite, eux, la guerre de Bush. C’était avant les révélations de Wikileaks à
propos des dirigeants socialistes venant faire la queue à l’ambassade des
Etats-Unis et la semaine d’août 2013 où François Hollande s’est transformé en
Guy Mollet. On a des intuitions, parfois ”. Plutôt en forme, le rédac chef du
journal rock. C’est pas fini. “ Ni la France, ni les Etats-Unis ” n’ont le
droit de “ punir ” qui que ce soit ” “ Le pire reste le choix des mots,
poursuit-il : “ La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision
infâme de gazer des innocents ”, a déclaré François Hollande le 27 août. Ce
punir-là ne passe pas. Si gazer quoi que ce soit est effectivement infâme,
comme l’ont fait Saddam Hussein et ses alliés de la CIA avec les soldats
iraniens en 1988, comme est infâme de répandre 80 millions de litres d’ “ agent
orange ” (un défoliant, une arme tout à fait chimique) sur le Vietnam et ses
voisins, comme l’a fait l’armée américaine à partir de 1961, ni la France, ni
les Etats-Unis n’ont le droit de “ punir ” qui que ce soit. Surtout sans mandat
de l’Onu ”. Ca, c’est dit. Et puis, ça a le mérite d’être clair. “ Le
président, patron des punisseurs ” Etrange affaire : on retrouve dans l’édito
de Christophe Barbier des “ fragments de discours ” de Frédéric Bonnaud. “
François Hollande doit assumer et expliquer son étrange vocabulaire, écrit le
directeur de la rédaction de “ L’Express ” : “ punir ” et “ coup d’arrêt ” ne
sont pas des expressions innocentes. Pour avoir “ puni ” Kadhafi en 1986, les
Américains l’ont arrimé vingt-cinq ans de plus sur son trône de dictateur.
Quant à la stratégie du “ coup d’arrêt ” — c’est-à-dire du statu quo —, elle
nous a légué la Corée du Nord. En guerre, on doit abattre et non punir,
renverser et non arrêter. Il lui faut aussi expliquer pourquoi il n’œuvre pas
plus pour fléchir Poutine, abandonnant ainsi le rôle précieux joué par Paris
depuis de Gaulle et qui permit notamment, grâce à Chirac, de sauver le Kosovo
en 1999 sans humilier Moscou. Puis le chef de l’Etat aura à résister aux
soubresauts géopolitiques des semaines à venir. Si les Etats-Unis renoncent à
attaquer Assad, le président français devra avaler son chapeau avec sa
conscience dedans ou devenir le patron des “ punisseurs ” ”. Voilà pour la partie
“ vocabulaire ” qui avait aussi soulevé le cœur du rédac chef des “ Inrocks ”.
Mais l’analogie ne s’arrête pas là. “ Hollande en chef de guerre ? Il n’est pas
le chef et il n’y a pas de guerre ” “ Coincée entre la fermeté russe et la
faiblesse américaine, privée du soutien de l’Onu, abandonnée peut-être par
l’Australie et une partie des pays arabes, la France pourrait alors vivre un
mini-Suez, poursuit Christophe Barbier. Si, en revanche, Barack Obama compose
avec lui un duo efficace et victorieux, Hollande ne sera pas au bout de ses
peines, obligé de justifier devant sa majorité un atlantisme qu’on a plus vu à
gauche depuis… Guy Mollet ! ” Hé oui : comme Bonnaud, Barbier compare Hollande
à Guy Mollet. “ Un monde marqué par une nouvelle tension russo-américaine, où
la France se substitue à la Grande-Bretagne, où l’Europe sombre définitivement
dans l’inexistence géopolitique, où l’Onu perd ses restes de crédibilité et où
se dressent contre nous des ennemis déterminés : c’est ce qui se cache derrière
l’écueil syrien, conclut le journaliste. François Hollande croit peut-être
échapper aux soucis de politique intérieure par un puissant épisode
international ; il plonge, en fait, seul, dans l’eau noire de l’inconnu ” ”.
Là, on touche à un élément nouveau par rapport à l’argumentation développée
dans “ Les Inrocks ” : c’est pour détourner l’attention des problèmes de
politique intérieure que Hollande — cet inconscient, ce fou… — nous précipite
dans le noir inconnu, nous dit Barbier. Qui, histoire d’enfoncer le clou, de
bien nous faire sentir le ridicule de l'homme et le drame de la situation, nous
le dit en grand : “ Ceux qui se réjouissaient de voir à nouveau Hollande en
chef de guerre peuvent s’inquiéter : il n’est pas le chef et il n’y a pas de
guerre ”. Hollande atteint du syndrome Mitterrand Moins pusillanime, mais pour
le moins réservé, “ Challenges ” confesse de son côté avoir des doutes quant au
bien-fondé de la position prise par le président. “ François Hollande s’enlise
sur le terrain militaire ”, titre l’hebdo. “ Huit mois après le Mali, François
Hollande endosse à nouveau le costume de chef de guerre. Avec moins de succès,
constate-t-il. (…) Le chef de l’Etat risque de se retrouver très isolé. Le
voilà accusé de précipitation. Pourquoi a-t-il pris un tel risque ? Sur le
fond, nul doute que la décision est sincère. Comme le raconte un de ses
proches, c’est un sujet qui le touche, qu’il a souvent évoqué durant la
campagne présidentielle. Mais sur la forme, le chef de l’Etat s’est laissé
déborder. “ Il a été pris par la volonté de se construire une image d’homme
d’Etat en s’impliquant dans la politique du Moyen-Orient. Comme François
Mitterrand ”, commente un conseiller ”. Atteint du syndrome Mitterrand, notre
président ? Pour l’hebdo éco, en tout cas, il n’y aurait pas, chez lui, de
volonté délibérée de détourner l’attention des Français des questions
intérieures. Reste qu’en optant pour la guerre comme il l’a fait, il court le
risque de perdre le bénéfice des quelques points qu’il a acquis au cours de
l’été : “ dans le dernier Ifop, rappelle “ Challenges ”, il a gagné 2 points d’
“ opinions positives ”, et les “ très défavorables ” ont chuté de 7 points.
Mais, à terme, l’affaire syrienne, qui, pour l’heure, ne passionne pas les
Français, pourrait ruiner ces efforts, car elle alimentera les dissensions à
gauche ”. BHL : “ Puisse François Hollande tenir bon sur la Syrie ” Gentil, “
Le Point ” ? L’hebdomadaire qui, la semaine dernière, rhabillait le président
en “ Inspecteur Gadget ”, se montre étonnamment compatissant. Comme en réponse
à Christophe Barbier, Franz-Olivier Giesbert écrit : “ Ne moquons pas la
solitude de M. Hollande : ses convictions sont tout à son honneur. Mais le
châtiment (mérité) infligé à Bachar-el-Assad n’aurait de sens que si, au lieu
de donner des ailes aux salafistes, il favorisait les sunnites modérés, très
nombreux mais sans vrai soutien extérieur et dont on sait qu’ils ne
massacreraient pas, après la victoire, les minorités chiites, alaouites ou
chrétiennes ”. Et que dit Bernard-Henri Lévy dans son “ Bloc-Notes ” ? “ Puisse
François Hollande tenir bon sur la Syrie ”. “ Personne ne parle de “ faire la
guerre à la Syrie ”, explique-t-il. (…) Mais la loi internationale existe. (…)
Y déroger, se dérober à ce mandat, saboter cette juste intervention décidée et,
je le répète, initiée par la France : là serait la violation du droit ; et là,
pour les démocraties, la source d’un discrédit durable et qui, cette fois, sans
aucun doute, déstabiliserait le monde ”. VGE/Jean Daniel : les Etats-Unis — et Obama
— dans la ligne de mire C’est à noter : même Valéry Giscard d’Estaing, dans sa
“ Chronique de la pensée multiple ”, du “ Point ”, toujours, n’accable pas
François Hollande, mais préconise d’ “ adopter une attitude ferme et claire
vis-à-vis de la crise actuelle qui ne dépende pas directement des pulsions et
des hésitations de son partenaire américain ”. Et cela, principalement, en
convoquant “ une réunion du Conseil européen ”. “ Le grand voisin du
Proche-Orient que constitue l’Union européenne doit faire entendre une voix
unique sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, au lieu de multiplier
les gesticulations nationales ”, écrit l’ancien président de la République.
Plus franc et direct, Jean Daniel dit la déception que lui a causée l’attitude
d’Obama : “ Pour la première fois, appuie le patron de “ L’Obs ”, ce grand
acteur a fait un four. D’abord, toute allusion à l’indépassable ligne rouge est
abandonnée. On n’a donc pas compris s’il voulait vraiment punir les Syriens,
s’il était pressé de le faire, ni ce qu’il ferait si le Congrès, dont il
sollicite l’accord sans qu’il en ait jamais été question auparavant, lui refuse
le feu vert. C’est une terrible déception qui ne peut que conforter Bachar
al-Assad, mettre François Hollande dans un sérieux embarras, déconcerter
l’opinion syrienne, qui fait déjà mauvaise figure, réjouir les Britanniques,
qui se sont déjà défilés, et encourager les Russes cette semaine à
Saint-Petersbourg pour la réunion du G20 ”. Hollande, “ le petit ”, lâché par
Obama, “ le grand ”, voilà un constat que nul n’avait fait jusque-là. Cela,
bien sûr, ouvre la voie à tout un tas d’interprétations et de réflexions. Mais
cela méritait peut-être d’être dit, non ? Et les experts, ils en pensent quoi,
de la guerre ? En dehors des éditorialistes, que pensent les “ experts ”
géopolitiques de la position française et de celle de François Hollande en
particulier ? Vous allez rire, mais vos hebdos n’ont pas jugé indispensable de
leur demander leur avis. A l’exception de “ L’Express ” et de “ Challenges ”
qui, surprise , ont fait appel au seul et même homme. Il est vrai que
Jean-Pierre Fillu, “ professeur des universités à Sciences-Po, historien et
arabisant, a séjourné en juillet dans les zones tenues par l’opposition dans le
nord du pays ” et sait a priori de quoi il parle.
A quoi ressemblerait “ le jour d’après ”
les frappes : l’avis de l’expert “ Washington comme Paris assurent que les
frappes envisagées n’ont pour objectif ni de faire tomber le régime syrien ni
même de créer un nouveau rapport de force sur le terrain. Si c’est le cas, à
quoi ressemblera, une fois les Occidentaux en règle avec leur conscience, le “
jour d’après ” ? ”, lui demande “ L’Express ”. —“ Les chances de règlement
politique en sortiront renforcées, affirme Jean-Pierre Fillu. Aujourd’hui,
Bachar el-Assad, qui bénéficie d’une suprématie militaire écrasante grâce au
soutien inconditionnel de la Russie et à l’intervention directe de l’Iran et de
ses supplétifs libanais, ne voit aucune raison de concéder quoi que ce soit.
C’est là le principal obstacle à un règlement politique. Si l’on parvient à
déconnecter l’avenir du régime de celui du dictateur, dont le départ est
inéluctable, on pourra espérer aller de l’avant. Des frappes occidentales
peuvent y contribuer. A la condition qu’elles ne soient pas purement
symboliques et qu’elles touchent notamment les rampes de missiles balistiques
qui contribuent, avant même les armes chimiques, la principale menace pour la
population ”. Même limitées, les frappes ont leur importance —“ Déconnecter
l’avenir du régime de celui de Bachar el-Assad, est-ce possible ? ”, rebondit
l’hebdo. —“ Oui, répond l’expert. Même après deux ans et demi de guerre, l’Etat
syrien ne peut pas être réduit à la machine de terreur de Bachar et de ses
services de renseignement. Il y a des patriotes en zone gouverementale, y
compris dans la fonction publique. Beaucoup d’administrations, par exemple,
continuent de verser leurs salaires aux fonctionnaires qui sont en zone
révolutionnaire. Pour se reconstruire, la Syrie de demain aura besoin de
cadres, d’ingénieurs, de médecins, de professeurs… Mais, pour cela, il faut que
l’hypothèque de la dictature sur l’Etat soit levée. Et, pour y parvenir, il
faut que Bachar ne soit plus en mesure de massacrer toute personne qui tendrait
la main à l’opposition. Il y a un an, le Premier ministre Riad Hijab a fait
défection, parce qu’il se savait menacé. L’ancien vice-président Farouk
al-Charah est en résidence surveillée. Des frappes, même avec un impact
militaire faible, peuvent contribuer à disjoindre ces Syriens patriotes du
régime qui les a pris en otages ”. Pourquoi la France a intérêt à intervenir en
Syrie “ Quel intérêt a la France à intervenir aux côtés des Etats-Unis dans
cette affaire ? ”, demande “ L’Express ”. —“ François Hollande inscrit ses pas
dans ceux de François Mitterrand. La référence, c’est Mitterrand en septembre
1982, au lendemain des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila.
Face à un crime qui choque la conscience universelle, Mitterrand, hier,
Hollande, aujourd’hui, sont convaincus qu’il faut une réaction collective, non
seulement pour que ce crime ne reste pas impuni, mais aussi pour montrer qu’il
y a une société des nations et que celle-ci n’est pas seulement une coalition
d’intérêts. En dehors de ces considérations, il y a sans doute, aussi, chez le
président, l’idée qu’il faut redonner une puissance politique à l’Europe dans
une région où l’Amérique se désengage. Obama considère que les guerres du
Moyen-Orient sont des crises sans intérêt dans lesquels il n’y a que des coups
à prendre. Son objectif est de trouver un terrain d’entente avec les Russes et
d’abandonner ces dossiers aux Européens pour se tourner vers l’Asie ”. —“ La
France ne pourrait-elle pas tenir le même raisonnement ? ”, réagit le mag. —“
Nous n’avons pas le luxe d’un océan… ” Hou, ça, ça calme… Pourquoi est-ce
important d’intervenir, au-delà des raisons morales Dernière question de
"L'Express" : “ Fallait-il employer ce terme, très moral, de “ punir
” ? “ Il est très moral, en effet, acquiesce Jean-Pierre Fillu. Mais il dit
aussi le caractère limité de l’ambition ”. Ah, tiens, l’emploi de ce mot
serait-il donc raisonnable et sage ? Voilà, en tout cas, un point de vue qui
tranche avec celui de Frédéric Bonnaud et de Christophe Barbier… Et puisqu’on a
abordé le versant “ moral ” de l’affaire, liquidons-le. “ Pourquoi est-ce si
important d’intervenir, au-delà des raisons morales ? ” demande “ Challenges ”
à l’expert. —“ C’est autour de la Syrie que va se recomposer le nouveau
Moyen-Orient, explique Fillu. Damas est le pivot historique culturel et
symbolique de la région. Le clan Assad abuse aujourd’hui de cette position
centrale pour semer le chaos dans la région ”. Curieux comme la situation, ses
enjeux, paraissent plus clairs — trop ? — quand ils sont expliqués par un “
expert ”, plutôt que commentés par un éditorialiste… Bien sûr, on aurait
préféré que les hebdos sollicitent l’avis de plusieurs spécialistes plutôt que
d’un seul. Mais bon, faut faire avec ce qu’on a, hein
PS: une partie de la bourgeoisie française (gaulliste) avec Villepin s'est prononcée contre l'intervention militaire et n'envisage comme solution que la partition, à partir d'une conférence réunissant tous les belligérants; c'est l'hypothèse la plus raisonnable (du point de vue bourgeois) un peu comme en Yougoslavie, pour endiguer les querelles religieuses et surtout satisfaire les différents appétits des impérialismes en lice.
[1] Premier
ministre « socialiste » qui arrive au pouvoir en 1956 avec pour
projet initial la « solution » militaire face au FNL algérien ! Et quelle cata ensuite!