En Allemagne comme en France, à la veille de la guerre le débat n'est pas vraiment concluant, même si la fraction maximaliste du socialisme international semble faire des concessions sur l'utilité des coopératives, elle reste très critique quand les tenants de cette soi-disant préparation des ouvriers à la gestion socialiste tentent l'alliance avec l'aile réformiste des syndicats... L'expérience des coopératives n'aura été que le premier pas du supermarché moderne récupéré par le commerçant Leclerc et les trotskiens qui avaient fondé la FNAC, nullement un apprentissage du socialisme ni du communisme. Donc.
Enquête : la
coopération et le socialisme par Louis Bertrand, député au
Parlement belge (1911)
En 1881, Edouard
Bernstein considérait la coopération avec mépris. Louis Bertrand
pensait que la ccopération réduirait « la puissance du
commerce privé », « par la suppression des
intermédiaires ».
Von Elm déporait le
manque d'intérêt du parti :
« Le parti est
neutre vis à vis de la création des coopératives, supposant
existantes des conditions préalables nécessaires, comme propres à
apporter quelques améliorations dans la situation économique de
leurs membres ; il voit encore dans la création de
coopératives, comme dans toutes les organisations des ouvriers
destinées à la défense de leurs intérêts, un moyen efficace à
l'éducation de la classe ouvrière pour diriger elle-même ses
affaires ; mais il n'accorde à ces coopératives aucune valeur
décisive pour l'affranchissement du prolétariat du joug du
salariat. »
La résolution du congrès
socialiste de Berlin stipulait contre divers congrès syndicaux
que les coopératives ne sont pas à même « d'influer sur
les conditions de production capitaliste ou d'améliorer la situation
de la classe ouvrière ». Pour Von Elm : « le secret
du succès réside dans la ssuppression du bénéfice du
commerçant » ; en Angleterre et en Allemagne : « le
grand nombre de consommateurs est intéressé dans une proportion
beaucoup plus grande à la prospérité des entreprises coopératives,
que les clients d'une affaire capitaliste privée, à celle-ci ».
Une pression croissante
de la municipalisation et de la socialisation pourrait seule « amener
à la coopération les grandes industries capitalisées ».
Ernst Lenz appuie la même
conception : « Le mouvement coopératif est devenu une
partie du mouvement social si important et si fertile pour la classe
ouvrière que le parti ne peut plus se borner longtemps à le
regarder favorablement ou à le laisser aller où il va (…) Il
faudrait se rappeler la parole de Lassalle sur le lamentable manque
de besoins des ouvriers. Est-il possible que le prolétariat regarde
indifféremment comment ses organisations vont dans des mains
étrangères et ne sont pas dirigées dans son esprit et qu'il tolère
qu'on lui dise que le mouvement coopératif a ses lois particulières
de développement et n'a rien de commun avec le mouvement social ».
En juin 1910 au septième
congrès des coopératives allemandes sont énumérés les devoirs
coopératifs des syndiqués par rapport aux sociétés d'achats en
gros :
« Le congrès
syndical....... recommande aux ouvriers et ouvrières organisés dans
les syndicats, la décision prise au congrès syndical de Cologne
(1905) de soutenir le mouvement coopératif, par leur entrée dans
les coopératives et par la propagande des idées coopératives ».
J.Barth croit bon de
conclure : « Il est indéniable que les décisions du
congrès de Munich exerceront une profonde influence sur le mouvement
ouvrier allemand, dans sa double forme coopérative et syndicale.
Cette union des coopératives et des syndicats, effectuée malgré
des divergences de nature, de terrain et d'activité, et malgré
aussi une ancienne rivalité entre coopérateurs et synicaux, marque
un pas énorme dans la voie de l'organisation de la classe ouvrière
allemande. Le prochain congrès syndical l'affirmera, à son tour, en
confirmant les décisions du Congrès coopératif ».
Le mouvement copératif
français avait début au début des années 1880, sociétés
dispersées et non fédéralisées. Pendant de la Bourse du travail
de Paris, une Bourse coopérative des Sociétés ouvrières de
consommation avait été créée en 1895 et fixé ses statuts. En
1900, premier congrès de la Bourse des Coopératives ouvrières de
consommation.
En France, à la même
époque le mouvement coopératif semble fusionner avec le
syndicalisme comme s'en félicite G.Boudios :
« Au Comité
confédéral de mai, notre Comité refusait d'entrer en pourparlers
avec l'Union Coopérative. Depuis, une controverse s'est établie
dans le Bulletin entre adversaires et partisans de l'Unité. (…)
Sous la poussée des difficultés de la vie, devant le cynisme de
spéculateurs, la C.G.T. A été amenée à inviter ses membres à
combattre en partie les influences néfastes de l'agiotage, en
apportant leur puissance de consommation à la coopération.
Enfin, nous ne verrons
donc plus dans nos syndicats, d'un côté les syndicalistes
coopérateurs et, de l'autre, des syndicalistes anti-coopérateurs.
Les efforts patients des syndiqués coopérateurs ont obligé la
fraction la plus révolutionnaire du syndicalisme à convenir que
ceux, que jadis, ils couvraient de quolibets, avaient raison puisque
la Confédération Générale du Travail a officiellement invité
tous ses membres à devenir coopérateurs.
Allons, vieux
coopérateurs syndiqués, ayons la victoire modeste, réjouissons-nous
de voir nos camarades de travail entièrement d'accord avec nous sur
la question coopérative.
Nous constatons également
que, d'une manière officielle, le Parti socialiste, après avoir
reconnu l'autonomie de la Coopération à Paris dans son congrès
national, et à Copenhague dans son congrès international, invite
ses membres à venir grossir les rangs des coopérateurs déjà
groupés. Sous la poussée des événements, les capitaliste sont
travaillé pour nous, en spéculant sur les denrées nécessaires à
la vie. (…) Nos adversaires voient d'un mauvais œil la force sans
cesse accrue de notre mouvement coopératif, et surtout de notre
service d'achats et de production en commun, le Magasin de Gros.
« A l'origine,
l'épicerie coopérative est incomplète, mais elle devient peu à
peu un magasin confortable muni de provisions de marchandises
considérables et variées. Puis elle se ramifie. La Société ouvre
des succursales dans les différents quartiers de la localité, le
nombre des magasins qui viennent se grouper autour de son
administration centrale et de son entrepôt principal augmente
continuellement. Le petit commerce coopératif est devenu un grand
établissement de distribution de denrées alimentaires.
Mais là ne se borne pas
son extension. Aux denrées alimentaires viennent s'ajouter peu à
peu d'autres objets de première nécessité, pour lesquels il faut
créer bientôt des services spéciaux ayant leur administration et
leurs établissements propres. Ce sont les services de combustibles,
des chaussures, des eaux minérales, etc., auxquels viennent
s'ajouter les boulangeries, les laiteries, les boucheries. Des
magasins spéciaux fournissent aux sociétaires les ustensiles de
ménage et de cuisine, et les vêtements. Cette extension
grandissante conduit parfois à la création de grands magasins
coopératifs, où le sociétaire peut aller s'approvisionner de
toutes les marchandises dont il a besoin, y compris les meubles, les
instruments de tous genres et les articles de maroquinerie. (…)
L'espérience a démontré
que leur activité est capable d'embrasser toute le domaine de la
civilisation, et qu'il n'existe pour ainsi dire plus aucun domaine
d'intérêt général auquel la Société de consommation ne soit
capable de collaborer ».
Les sociétés de
consommation doivent-elles s'affilier à un parti politique.
« La Coopération
de consommation n'est pas un mouvement de classe. L'intérêt
économique que les Sociétés de consommation et leurs Fédérations
défendent et cherchent à faire triompher dans l'économie sociale,
c'est sans contredit l'intérêt des consommateurs.
Or, comme toutes les
classes de la société se composent de consommateurs, l'intérêt
des consommateurs est de fait l'intérêt général commun de tous
les membres de la société. En d'autres termes : toutes les
classes, tous les peuples sont solidaires en tant que consommateurs,
comme tels, les hommes ne connaissent pas d'intérêts opposés et
par conséquent, ils n'ont aucun motif à se livrer à des luttes de
concurrence et de classe et à des guerres entre peuples. L'intérêt
des consommateurs est une unité supérieure qui fait disparaître
tous les intérêts opposés sociaux et nationaux. (…)
La Coopération de
consommation aide à créer les fondements économiques d'une
civilisation sociale de l'humanité exempte de l'exploitation indigne
de l'homme par l'homme ».
LA POSITION DE GUESDE AU
CONGRES DE PARIS : si l'atelier prépare l'ouvrier à la lutte
collective, la coopérative peut préparer à ce même titre le
paysan... mais d'autres orateurs contestent cette dernière idée.
Gaston Lévy fournit un
excellent résumé de la dernière discusion au congrès :
« … Mais par
contre, si on lit les deux discours de Guesde et de Héliès, on
aperçoit distinctement les deux thèses. Guesde, se plaçant au
point de vue théorique , déclare : « La Coopérative
n'a de valeur que par l'usage qu'on en fait ; elle peut être
socialiste, comme patronale ou chrétienne. Seul compte, pour le
prolétariat, son parti de classe, qui l'affranchira par la conquête
du Pouvoir. On jugera donc la valeur socialiste de la Coopérative à
l'appui qu'elle apportera au Parti Socialiste. Les coopératives
resteront autonomes, oui, mais elles ne seront pas socialistes pour
cela et, en fait, le principe même de la Coopérative n'est qu'une
forme d'association évoluant dans les cadres de la société
bourgeoise, et par conséquent ne pouvant les dépasser. Des
individus se rassemblent pour acheter en commun ou produire en
commun, et pour répartir leurs produits ou leurs achats ; mais
ils ne s'arrêtent pas là ; ils font du commerce et touchent
des bénéfices. Et même si les ouvriers profitent du bon marché
des produits, en se généralisant, est-ce que les coopératives,
diminuant le prix de la vie, n'abaisseront pas le taux des salaires,
et cela d'autant plus qu'elles peuvent contribuer à déposséder les
1.500.000 petits commerçants qui viendront grossir l'armée des sans
travail ? La preuve, c'est que le pays où les salaires sont les
plus bas et les coopératives sont les plus répandues : c'est
la Belgique, dont les travailleurs émigrent en masse et viennent
abaisser le taux des salaires dans nos provinces du Nord. Dans les
campagnes, on peut dire que réellement, les coopératives font œuvre
d'éducation, dans le fait qu'elles transforment la mentalité
paysanne dans le sens collectif ; mais dans les villes, ce n'est
pas la même chose et c'est l'atelier lui-même qui prépare et
contient tous les germes d'une société socialiste ». Et en
tout cas, termine-t-il, il est impossible à des socialistes de
reprocher aux coopératives du Nord de verser des fonds au Parti,
puisque ce sont les mêmes reproches qui nous sont adressés par
M.Motte et ses amis.
Ce discours, dont la
forme était parfaite, et la séduction qui se dégage toujours de la
parole de Guesde, produisirent une grosse impression sur le Congrès :
elle ne pouvait guère être renforcée par les arguments de ceux qui
appuyaient ce point de vue, même quand c'était, soit Bracke avec
son érudition, soit Sanson avec la compétence particulière que lui
donne sa qualité de secrétaire de la Fédération des Coopératives
du Nord.
Compère Morel, lui, se
contenta d'insister encore sur les Coopératives agraires, tout en
faisant remarquer que les paysans qui y viennent, y vont par intérêt
plus que par idéal.
L'autre thèse, qui était
représentée par la motion de la Seine, fut défendue vigoureusement
par Héliès, qui répondit victorieusement aux arguments de Guesde
et eut un gros succès. Sa situation de directeur du Magasin de gros
des Coopératives de France lui permettait d'apporter une
documentation précise à l'appui de sa théorie, et il n'y manqua
point.
Il signala tout d'abord,
l'importance du mouvement coopératif international et français,
puis démontra que la coopération a par elle-même une valeur
sociale, d'abord en ce sens que son développement permet la
réglementation du marché des denrées et empêche l'augmentation de
la cherté de la vi, puis au point de vue éducatif, en associant la
feme et l'enfant au grand désir de revendication sociale, et en
assurant plus de bien-être.
Héliès insista sur
l'action de la Coopération pour l'apprentissage de l'administration.
« Ce qui créera, dit-il, la société socialiste, c'est la
capacité de la classe ouvrière dans l'organisation et la production
et de la répartition des produits ; mais, pour cela, il nous
faut une autonomie complète des Coopératives, qui sont des
organismes de la classe ouvrière et qui d'ailleurs s'organisent et
se fédèrent selon le principe même que ses délégués ont admis
au Congrès de Monthermé. Et d'ailleurs, toute son action est
empreinte d'un caractère socialiste . L'Humanité y
a trouvé son appui, toutes les grèves sont soutenues par les
coopératives. La production elle-même est en partie touchée, mais
ce ne sont plus des petites coopératives autonomes devenant la
propriété de quelques individus ; ce sont des organismes de
production possédés par l'ensemble des consommateurs fédérés par
le M.D.G. Le chiffre d'affaires des magasins de gros est déjà
considérable, mais, malgré tout, les coopératives ne suffisent
pas, et le rôle des socialistes qui y pénètrent est de le faire
comprendre aux coopérateurs. Mais on ne peut pas non plus faire
dépendre la révolution sociale seulement de la prise du pouvoir
politique et la classe ouvrière, majeure dans ses organismes,
prépare elle-même sa libération.
« Les
coopératives réclament leur autonomie ; nous n'avons pas à
faire peser sur elles cette suspicion, qui consiste à ne leur
reconnaître une valeur socialiste que si elles subventionnent le
parti politique qui est créé pour servir la classe ouvrière et non
pour s'en servir ».
Vaillant
insista, en termes heureux, sur le fait que, partout où la classe
ouvrière se rassemble pour une action commune, elle répand un
stimulant de la force socialiste et ce sont les actions de masse de
la classe ouvrière qui sont les véritables actions socialistes.
Tarbouriech,
défendant une motion similaire à celle de la Seine, rappela toute
la valeur socialiste des coopératives du Jura, qui, comme celle de
St-Claude, n'ont pourtant jamais admis les versements au parti
politique.
Albert
Thomas et Poisson étaient également intervenus chaleureusement en
faveur de la motion de la Seine, qui fut adoptée par 202 voix contre
142.
De
cette discussion, qui a terminé le congrès, on ne peut pas conclure
que le Parti ait affirmé réellement qu'il devrait se passer des
subsides des Coopératives. Les uns les réclament ouvertement, les
autres les admettent possibles, soit sous une forme soit sous une
autre ; et l'on paraît encore assez éloigné d'une forme
de coopérative communiste, d'où tout bénéfice serait banni, et
qui serait simplement la répartition des produits achetés ou
fabriqués en commun. Peut-être aussi est-ce incompatible avec le
développement des Coopératives ? ».
Et la guerre de 1914
arriva...
Les appelations de
queqlues coopératives françaises :
L'économie sociale
(Neufmanil, Ardennes) ; La Ruche (Monthermé-Laval-Dieu,
Ardennes) ; La Laborieuse (Troyes, Aube) ; L'avenir du
Prolétariat (Trélazé) ; Coopérative syndicale de
consommation (Lure) ; L'Alliance des travailleurs (Montceau les
mines) ; L'économie parisienne (Paris 3e) ; La nature pour
tous (Paris, rue de Bretagne) : La famille nouvelle (Paris, 173
bd de la Villette) ; La ménagère (Paris, rue de la
Jonquière) ; Restautant coopératif de Belleville (19 rue de
Belleville) ; L'abeille ( 57 av des Batignolles) ; Chez
nous (Puteaux) ; « L'émancipatrice » (Choisy le
roi) ; L'Union d'Amiens.
PS : je n'ai pas
retrouvé le chapitre sur le travail des coopératives dans les
prisons. Et Rosa ne semble pas avoir goûté du débats sur les
coopératives réformistes et anarchistes-réformistes...