(extraits du livre de Sylvie
Aprile : Le siècle des exilés Bannis et proscrits de 1789 à la Commune,
CNRS éditions 2010)
QUELQUES REFLEXIONS HORS SUJET
SUR LA GOGOCHE GOUVERNEMENTALE (la poupée verte dans la maison rose)
Vous
l’avez remarqué j’ai réduit mes efforts d’analyse et de contribution politique
marginaliée vu la nullité de l’actualité politique bourgeoise et le peu d’intérêt
qu’elle nous inspire à nous les prolétaires. La droite bourgeoise n’a jamais
été aussi ridicule et inexistante. La gauche bourgeoise est molle à souhait, gestionnaire
habile du déficit infini de l’Etat, en attendant de refiler à nouveau guère
plus tard la patate pourrie à la faction de droite ; un entre-deux caractérise
cette période filandreuse, sans faire rugir les masses de prolétaires (bien
encadrés dans le chacun pour soi) c’est bien pourquoi la bourgeoisie avait
laissé « Flanby » éliminer Sarkozy (c’est la seule chose pour
laquelle je lui suis aussi reconnaissant). Contrairement à l’hystérie des
médias concernant l’affaire de Léonarda, Hollande a bien conclu l’affaire. La
sauce de l’agitation « humanitaro-démago » de ces pauvres
irresponsables bourgeois Verts n’a pas eu de prise sur « l’opinion »
(ni sur les lycéens en vacances), mais aussi sur le prolétariat, que ces
cuistres parvenus se chargent de taxer in fine dans leurs salons de facho parce
qu’il a le tort de se poser des questions sur l’accumulation des bidonvilles nouveaux « dépotoirs
du monde » (expression que vous retrouverez dans le texte qui suit dans la
bouche des députés britanniques en 1905…) et pour lesquels la bobologie bcbg de
la gauche caviar et leurs supplétifs gauchistes promettent la lune et les
allocs à tire Larigot… Ce qui ne sera jamais le cas pour l’immense majorité des
miséreux tant que règnera le capitalisme, et qu’il sera naturel de « voler »
pour survivre !
L’immigrationnisme
réformiste (fils du supranationalisme européen) est devenu un faible pouvoir de mystification de la gauche au pouvoir en temps
de crise mondiale, mais cette même gauche au pouvoir réussit le tour de force à
paraître « responsable » face à ses romantiques deux sous-ministres
verts grâce au policier Valls, qui tient sa place sans être ni facho ni
spécialement un tueur d’immigrés. La parodie d’internationalisme immigrationniste (réformiste bobo)
des romantiques ex-gauchistes promus au sommet de la faction bourgeoise de la
bobo-écologie ne coûte pas un rond à ces batteleurs de foire, mais elle est
leur principale contribution à la mystification d’une gauche qui serait anti-bourgeoise
(c a d pour les simplets, une camarilla en cravates de preux chevaliers anti-droite)
– plus ouverte que l’ouvrier lambda raciste et égoïste -, et, enfin, et surtout
argument précieux pour le Capital de dénier toute existence et projet politique
d’une classe ouvrière « du sol et d’ailleurs », qui si elle avait un
véritable pouvoir d’expression ne pourrait que poser en grand la question
historique de la fin des frontières et d’une réorganisation urgente de toute la
production mondiale pour une répartition égalitaire des richesses et non pas
cette pitoyable proposition plus romanesque qu'utopique digne des vases communiquants de la misère,
où gogoche gouvernementale et gogols gauchistes proposent d’ouvrir en grand les
frontières nationales et la sécurité sociale au monde entier...
Les émeutes de la petite bourgeoisie bretonne
ou les pétitions contre les taxes incessantes ne peuvent, elles non plus, en
rien ni intéresser ni mobiliser le prolétariat sur un véritable terrain politique de lutte contre toutes les factions capitalistes qui "occupent" pouvoir, contre-pouvoir, manie du pouvoir, ivresse du pouvoir et pouvoir de nuisance ininterrompue contre toute pensée cartésienne (ou lucide si vous préférez).
Alors
quand on s’ennuie, nous les retraités d’une révolution qui n’a pas eu lieu
depuis 40 ans, il nous reste non pas la télé ni internet (à chier d’ennui où
règnent les arnaqueurs en tout genre et où seul le porno semble apte désormais à distraire les masses) qui est redevenu un minitel amélioré,
mais l’étude de l’histoire pour refaire incessamment le parcours des échecs, pour parier encore et toujours sur un avenir social et fraternel. Mais en
gardant en tête l’écueil inévitable qui pèse sur toutes les tendances et
fractions amies et ennemies, qui se réclament du « mouvement ouvrier ».
Il y aurait des connotations communes, tiens par exemple le terme « la
Commune » : anarchistes, staliniens, communistes de conseils
syndicalistes, électeurs de Poutou ou de Mélanchon ne se mettent-ils pas tous à
genoux à l’audition du seul terme de « communard » et ondirait qu’ils
semblent « communier » au même souvenir… Il existe un bondieuserie
politique traditionnelle qui est le produit naturel de la pensée conservatrice
de la gauche bourgeoise. Nous ne nous associons jamais aux commémorations
misérabilistes et conventionnelles des derniers staliniens et des derniers
trostkiens. Nous ne pouvons considérer l’expérience de la Commune de plus en
plus lointaine et datée, comme la révolution de 1789, qu’en tant que faits
historiques datés et désormais inimitables comme tels, même pour certains
marxologues de papier mâché qui jonglent avec une notion immémoriale et
invariante de la violence sanguinaire. Nous ne pouvons que nous placer au
niveau des principaux critiques de la Commune, les Elysée Reclus, Marx et… les
Communards eux-mêmes. Le récit qui va suivre est doublement intéressant, bien
que mal fagoté par une universitaire, d’une part parce qu’il nous plonge au cœur
de la misère des « proscrits » d’une révolution qui a terriblement
échoué, nous les confortables révolutionnaires bien nourris et logés du XXIe
siècle et, d’autre part, que c’est la galère totale après une révolution
échouée, souvent peu de solidarité, des haines inextinguibles… Ne boudons pas
la perversion de faire le parallèle avec notre époque bizarre ; les
chamailleries des communards exilés ne vous font-elles pas penser un peu – pour
les connaisseurs - à ce qu’il reste du vieux milieu maximaliste en France et
ailleurs, en plus moderne, c'est-à-dire autiste. Bonne lecture.
NB :
l’auteure qualifie en vrac les proscrits d’anarchistes, pour nous avec leurs
différences et contradictions, c’étaient les « révolutionnaires »
vaincus de l’époque !
….Les exilés du Second Empire ont
été confrontés à la Commune plus qu’ils n’y ont participé. Elle les divise
après la répression de la Semaine sanglante. La situation est délicate car
l’amnistie de ce nouvel exil devient une des conditions majeures de
l’organisation du champ politique en
France et à Londres. Peu nombreux mais jugés dangereux, les anarchistes
réfugiés à l’étranger jouent un rôle majeur dans l’élaboration d’une répression
politique[1]
à l’échelle européenne et une définition restrictive du droit d’asile. Les
exilés politiques sont aussi confrontés au développement d’une immigration de masse
venue de l’Est européen qui diabolise l’exilé en tant que terroriste ou
nihiliste.
… Les nombreuses et minutieuses
enquêtes menées par les contemporains et les spécialistes de la Commune
permettent malgré tout de dresser un tableau plus précis de la composition
socio-professionnelle de la proscription communarde.
Il y a, on le voit bien, moins de
travailleurs manuels parmi l’ensemble des exilés que parmi la population
arrêtée pour insurrection. C’est une « élite » de la Commune que l’on
rencontre en exil. Sur 1130 réfugiés, les professions libérales (journalistes
et étudiants inclus) représentent 16,2% et les employés 11,3%. Le héros de
Descaves, Philémon s’emporte contre les « piaffeurs », « la fine
fleur de la proscription », « les grandes bottes » :
« Ce n’est pas la première fois que perce, chez mon voisin, le vieil
antagonisme entre les deux formes de la productivité. Il regarde, je le sais
comme des parasites sociaux tous ceux qui ne créent pas ou ne perfectionnent
pas, de leurs mains, un objet quelconque, utile autant que possible ».
L’élite communarde, tant
militaire que politique, trouve asile davantage en Angleterre qu’à Bruxelles et
la Suisse a surtout accueilli des réfugiés venant des soulèvements des villes
de province. Les lieux et organisations où se retrouvent les communards
empruntent au passé de la proscription. On y trouve des logements et quartiers
communs, surtout dans les premiers temps de l’exil. Plus encore que sous le
Second Empire, tous les témoignages insistent sur les conditions matérielles
très difficiles des exilés à leur arrivée. Un dénuement dont témoigne
Lissagaray : « Beaucoup n’avaient d’autre gîte que les parcs publics
ou l’auvent d’une porte. L’hiver survint et la mortalité devint effrayante. On
vit presque journellement de longs cortèges d’hommes hâves et déguenillés,
suivant un cercueil sordide (…) recouvert d’un drap rouge. Qui dira les noms et
le nombre de ceux qui ont succombé au froid et à la faim ? ».
Cette description, qui joue
délibérément sur le registre dramatique n’en semble pas moins refléter la
réalité. Trouver un emploi reste un problème. La proscription communarde donne
comme les autres des leçons de français. Les entreprises de presse belges sont
encore un débouché pour certains d’entre eux. Vaughan devient journaliste à ce
moment de sa vie : il collabore à La Bombe La Trique (journal satirique
lancé par le leader socialiste belge Bertrand), La Gazette de Hollande avec le
communard Tabaraud, ou encore au Moniteur industriel belge dirigé par Meeus, un
belge ayant participé à la Commune. Les proscrits tentent à nouveau
l’expérience d’une presse d’exil mais l’impossibilité de trouver un lectorat
fidèle conduit à un nouvel échec. Vallès réclame sans cesse à ces
correspondants de placer ses articles dans la presse française.
Vallès, comme d’autres exilés et
à leur suite, de nombreux historiens de la Commune, réemploient le terme de
mort civile et font ressurgir les craintes qui s’y rattachent. L’expression est
employée par Vallès dans une lettre à Hector Malot du 29 octobre 1879, et par
Vermesch qui écrit à Vuillaume : « Nous sommes condamnés à mort, par
conséquent morts civilement, ce qui veut dire que nous ne pouvons ni nous
marier ni reconnaître nos bâtards ni servir de tuteurs (…) ».
Les capacités d’action dont les
communards disposent varient dans le temps. Depuis 1861, les dispositions
concernant les passeports sont annulées. Les étrangers ne sont plus soumis à la
« police des passeports » qui les obligeait dès leur arrivée dans un
port de mer ou dans une commune frontière, à déposer leur passeport en échange
d’une carte de sûreté sous peine d’être renvoyé. La circulaire Favre du 26 mai
1871 réintroduit une législation plus ferme : « Le gouvernement belge
usera des pouvoirs dont il est armé pour empêcher l’invasion sur le sol belge
de gens qui méritent à peine le nom d’homme et qui devraient être mis au ban de
toutes les nations civilisées. Ce ne sont pas, d’après nous, des réfugiés
politiques. Nous ne devons pas les considérer comme tels et nous devons nous montrer
très rigoureux en fermant la frontière à tous les communards sauf les bannis.
J’ai confiance dans l’énergie du gouvernement ; il ne permettra pas que la
Belgique soit déshonorée par la présence de tels criminels qui sont la honte de
l’humanité ». On note une nette évolution : le terme de réfugié est
réservé à celui qui peut être accueilli. Le banni, l’exclu est assimilé à un
criminel relevant du droit commun.
Le 27 mai est diffusée une liste
de noms de personnes dont le séjour en Belgique est interdit. A contrario, les
solidarités semblent plus fortes entre militants belges et français : les
membres de l’AIT locale ont offert un soutien matériel aux réfugiés et ceux-ci
adhèrent à la section belge. La rencontre entre communards et militants belges
se fait toujours au sein des associations de libre-pensée, dont l’existence
était déjà liée à la présence française depuis 1851. Le thème des expulsions de
communards fait partie des « actions » de la « gauche
parlementaire » belge qui y trouve un motif d’intervention politique.
Contraints au mutisme, c’est la gauche belge qui se fait leur porte-parole.
La rencontre entre français et
anglais s’épanouit dans un autre cadre celui des sociétés de solidarité
ouvrières. Il s’agit d’une solidarité de classe proche de celle qu’avait
rencontrée Nadaud. Cela n’est guère surprenant, car les ouvriers, parmi les
exilés sont bien plus nombreux que ceux qui les ont précédés.
Comme pour les proscrits du
Second Empire, la politique d’exil n’est souvent qu’une illusion politique et
l’entretien de la mémoire de la Commune est une façon de maintenir un semblant
d’action. Le regard porté par les protagonistes est ici encore souvent très
critique : Lissagaray n’hésite pas à déclarer que « la vie des
proscrits de la Commune n’a pas d’histoire politique ». La mémoire joue un
rôle central dans la vie de la communauté et repose sur des mécanismes déjà
rencontrés. Lorsqu’un nouveau venu arrive à Bruxelles ou à Londres,
l’attribution de subsides est liée à la vérification de ses dires. La commission
interroge les exilés et se réfère à L’Histoire de la Commune de 1871 de
Lissagaray.
Ils découvrent
« l’exilite » et l’espionnite. Cortepon écrit à Vallès :
« L’exil, le terrible exil développe fatalement chez ses victimes une
maladie mentale particulière que j’appellerai
si vous le voulez bien : l’Exilite, maladie qui trouble la vue et
l’empêche de dépasser un certain rayon… Je l’ai connue, cette maladie et vous
la connaissez mon cher ami. On est loin… l’on piétine fébrilement sur place
pendant que le temps marche. L’on rumine des colères, démodées alors, et
conséquemment perdues… La pensée, s’alimentant trop exclusivement de sa propre
substance, se ronge et s’étiole et ne nous laisse plus qu’un stock sans valeur
adéquate quand vient à sonner l’heure des puissantes et fécondes colères d’une
époque nouvelle… ». Sur un ton plus humoristique, Vallès écrit à l’un de
ses correspondants : « Vous avez la goutte, moi j’ai l’exil. Je
ne veux pas vous arracher de larmes, je ne me drape pas, je ne pose pas au
martyr, je m’embête. C’est vraiment embêtant de manquer de patrie ».
A partir de l’installation des
communards en exil, la police et les réfugiés français retrouvent les conduites
qu’on avait vu apparaître sous le Second Empire. Les pratiques de la police de
la République du moins dans les premiers temps, ne diffèrent guère de celle de
la police impériale. La crainte d’une nouvelle insurrection les relations
nouées par les milieux de l’AIT confortent le maintien d’une surveillance à
l’identique.
L’Angleterre refuse toujours
d’extrader les communards, mais une collaboration entre la police anglaise et
les autorités françaises active se met en place ou plutôt se renforce. Comme
l’écrit encore Vallès, les exilés connaissent « cette vie de naufragés qui
s’attribuent les uns aux autres la perte du bâtiment et s’entredéchirent sur le
radeau ! ». La conséquence majeure en est qu’il faut épurer les rangs
des exilés. Le journal La Fédération est spécialement créé pour diffuser les
révélations les plus scandaleuses. Aux conflits mêlant l’idéologie et le passé
s’ajoutent des conflits de classe : l’écrasement de l’insurrection a rendu
inopérantes les solidarités ouvrières et bourgeoises qui s’étaient
partiellement reconstruites depuis 1848. Les affrontements se portent alors
souvent sur le terrain de l’origine sociale de l’adversaire.
La résolution des conflits passe
comme auparavant par un arbitrage de la communauté, la constitution de jurys et
commissions d’enquête. Les manquements à l’honneur, les divisions sont marqués
par les mêmes sanctions à la disposition des exilés : l’exclusion ou le
duel. Ce qui apparaît plus neuf c’est la place de l’injure qui vient s’ajouter
à la pratique de la calomnie et à l’usage des rumeurs. La solidarité s’exprime
pourtant : elle unit exilés et déportés pour lesquels se mettent en place
des collectes de subsides et d’informations. La transportation en
Nouvelle-Calédonie et la célébrité de certains déportés comme Rochefort ou
Louise Michel font, plus encore que sous le Second Empire, de l’ombre aux
exilés.
Les contacts entre les
différentes communautés sont maintenus par les correspondances, les voyages et
surtout par le « ricochet de l’exil » - l’expression est de Lucien
Descaves – qu’est l’expulsion qui crée une circulation contrainte entre les
proscriptions de toute l’Europe. Les exilés participent plus qu’auparavant
encore à des luttes et à des groupements à visée internationale. Aux Etats Unis
se développe une francophonie radicale : les communards ont fourni
outre-Atlantique à l’AIT, alors en plein essor, des cadres formés et auréolés
d’un certain prestige. La traversée des Etats Unis par Rochefort, après son
évasion de la Nouvelle-Calédonie, a aussi sensibilisé l’opinion publique
américaine au sort des communards.
(…) Les vétérans s’insèrent plus
ou moins aisément dans la communauté des communards en exil, notamment à
Londres (…) Le nouvel exil de Pyat est bien différent du premier. Rentré en
France par nostalgie en 1869 son rôle durant la Commune est secondaire – ce qui
lui sera reproché. Vuillaume et Lissagaray ironisent sur les poses et les
déclarations théâtrales du personnage. Dans son nouvel exil, Pyat n’a plus
l’audience d’antan. La notice du Maitron résume en quatre lignes les dix années
qu’il passe en Angleterre. Pyat n’exerce plus sa plume que pour invectiver les
communards. Lucien Descaves dans « Philémon, vieux de la vieille »,
le dépeint encore avec une certaine tendresse : « Celui-ci, réduit à
l’impuissance par des exils successifs, avait adopté un projectile la lettre
ouverte grâce auquel le plus éloigné de ses ennemis n’était jamais hors de
portée. En a –t-il craché des lettres ouvertes et des toasts, le vieux
tireur ! A-t-il assez éparpillé le gros plomb des journalistes et des
orateurs démagogues ! Théâtre à part (et il est d’essence romantique) ses
œuvres tiennent dans une cartouchière ». Malgré tout, après l’amnistie,
Pyat redevient actif, dans la mouvance du « blanquisme vierzonnais ».
Il recommence même une carrière parlementaire : en 1888, il est élu dans
les Bouches-du-Rhône, mais meurt l’année suivante.
(…) Une seule organisation
rassemble les proscrits des deux générations : le club La Fraternelle qui
a pour lieu de réunion « The Spread Eagle », à Charles Street. Là,
les réfugiés donnent des conférences, portant aussi bien sur la littérature que
sur les causes de la Commune. Fondée par les exilés du Second Empire, cette
société de secours mutuel sert toujours à procurer des fonds aux réfugiés. Si
cet exemple d’action commune entre les deux proscriptions est souvent cité, il
exprime en réalité une solidarité de plus en plus rare.
L’âge est sans doute un paramètre
majeur : les anciens quarante-huitards, appartenant à une autre génération
fréquentent peu les cafés « communards ». En juillet 1878 cependant,
une « Commission des victimes du 2 décembre » envoie à l’Assemblée
nationale une lettre qui associe intimement les deux proscriptions (…) le mot
de Commune n’est pas prononcé… Suit la litanie des privations et persécutions
subies avant et après 1870. L’image du proscrit qui est donnée est celle d’un
travailleur « qui a vendu ses outils » et qui, « vu son parcours
et son âge avancé – n’oubliez pas que les plus jeunes d’entre nous touchent à
la cinquantaine – ne peut plus prendre place dans l’atelier ».
(…) Dans les années 1890, il ne
reste plus à Londres que treize réfugiés de la Commune, et la raison majeure de
leur enracinement est leur grand âge. Les communards londoniens qui ne rentrent
pas confirment que la proscription de rupture et non de maintien provient
généralement d’un changement d’activité plus que d’un engagement politique
indéfiniment maintenu. Le communard Brunel, ex-officier, est devenu professeur
à l’école navale de Darmouth. Victor Richard tient une boutique d’épicerie qui
est à nouveau un lieu de rendez-vous et de sociabilité de la dernière
génération d’exilés du siècle : celle des anarchistes[2].
L’amnistie réclamée est obtenue
en 1879. Elle conduit à un retour d’exil massif qu’il est difficile de
dissocier des déportés de Nouvelle-Calédonie. En six semaines, en
septembre-octobre 1879, ce sont près de 2000 communards qui sont rapatriés et
reviennent en majorité à Paris ; près de 700 rentreront entre mars et août
1880. On conçoit que ce retour collectif sans précédent, les arrivées des
bateaux, les foules massées sur les quais de gare aient frappés les esprits et
suscité une importante littérature.
A nouveau, le retour sert à
critiquer les exilés. La presse conservatrice n’en finit pas de révéler leurs
turpitudes. Le Gaulois fustige dans ses colonnes, les « sinécures »
dont ils sont censés bénéficier grâce aux faveurs de la municipalité parisienne
ou de l’Etat. (…) Les nécrologies s’accordent encore ici à répéter « qu’on
ne guérit pas de l’exil ». La misère de la proscription se perpétue
souvent après le retour, d’autant que pour les ouvriers la réinsertion
professionnelle se fait dans un contexte économique défavorable : celui de
la grande dépression des années 1880. Les vieux métiers ont évolué, l’ancien
savoir-faire est dépassé ».
Ce
rapatriement des exilés de la Commune a été l’aboutissement d’un marchandage
avec l’Etat anglais, comme ne le montre pas suffisamment l’auteure, ou beaucoup
plus loin. Tombant à l’époque de la vague d’attentats anarchistes (qui se
réclament des aspects les plus sanglants ou plus arriérés de la Commune)
permettent à la bourgeoisie britannique de mettre fin à sa tradition libérale
en termes de droit d’asile. L’auteure est incapable d’analyser l’utilisation
des attentats anarchistes contre tout le mouvement ouvrier par la machiavélique
bourgeoisie anglaise et met donc tous les anarchistes (cf. combattants de la
Commune) dans le même sac… et les rend responsables des lois scélérates comme
en Allemagne, et comme je l’ai déjà critiquée dans la première note.
En
1905 est votée concomitamment une loi qui limite l’immigration. Les bombes
anarchistes coïncidant
« avec une période d’immigration de masse et généralement miséreuse de
milliers de juifs venus de Russie, de Pologne, de Lettonie ou de Lituanie. Leur
arrivée joue certainement un rôle majeur dans cette nouvelle perception de
l’étranger et les anarchistes servent d’argument dans la presse et au Parlement
pour réviser la législation. Les conservateurs avancent l’idée que la
Grande-Bretagne risque de s’isoler de la scène européenne par la protection
qu’elle offre aux anarchistes. Pour contrebalancer ces propos en rupture avec
la politique traditionnelle, ils accusent les pays européens de contribuer par
leurs expulsions continuelles de terroristes à faire du royaume britannique
« le dépotoir du monde ».
L’ENNUI AURA ETE LE FACTEUR LE
PLUS MARQUANT POUR LES REVOLUTIONNAIRES EXPATRIES ET DEVENUS INACTIFS
(…) L’ennui, symptôme classique
de l’exil, apparaît dans toutes ses variantes lors de ces séjours même brefs.
La vie politique de la colonie française est répétitive, rythmée par le retour
les mêmes dates clefs et des mêmes discours, qui contribue au sentiment de
vacuités temporelles si typiques de l’exil. On assiste à un phénomène de
dépolitisation individuelle, par perte d’intérêt ou par impossibilité. Malato
consacre trois pages de son autobiographie londonienne à raconter comme il a
entrepris la fabrication de vin de banane.
De l’ennui, on passe aux
conflits, commencés en France et en Grande-Bretagne au cours de la décennie
précédente, entre partisans de l’action individuelle et de la bombe et les
anarchistes communistes plus divisés sur la question des attentats favorables à
l’organisation et, de plus en plus, au syndicat. (Emile Pouget marqué par son
séjour en Angleterre) « est frappé par les résultats obtenus par les
trade-unionistes et laisse paraître son « admiration » dans le Père
peinard qu’il continue de publier à Londres ».
De
radicaux de la bombe, et comme présumés héritiers hystériques de la Commune,
les anarchistes tombent dans l’autre extrême qui guette et menace d’annihilation
tout le mouvement ouvrier à l’orée du 20ème siècle : le plat
réformisme syndical dont la lettre de demande
de réintégration des communards par « la commission des victimes du 2
décembre » en 1878 n’avait été que le hors d’œuvre pitoyable et « interclassiste »,
le premier pas vers la soumission au nouvel ordre républicain bourgeois,
ouvrant la voie à des générations de filous et collabos syndicaux,
accessoirement fidèles électeurs de la gauche caviar.
[1]
L’auteure universitaire s’exprime là comme un pied les anarchistes ne
participent pas à l’élaboration de la répression politique qui les prend pour
cibles et boucs-émissaires , même si une fraction d’entre eux avait cru
bon de choisir le terrorisme, pour venger la Commune! Cette auteure a
d’ailleurs très mal rédigé son ouvrage, avec des phrases bancales ou peu
réfléchies, mais le contenu reste intéressant et instructif.
[2]
L’auteure écrit plus loin : « Les colonies anarchistes de
Grande-Bretagne se caractérisent ainsi par la coexistence en leur sein d’une
élite très internationalisée et d’autre part une masse d’anonymes, modestes et
peu enclins à un regroupement sur une base linguistique, entre francophones et
dans le monde ouvrier ». L’auteure n’explicite pas son propos, on n’y
comprend rien avec cette phrase ; en fait il y a bien des tensions intra-communautaires,
communes à tous les types d’exilés, hantise de l’espion et règne de la
méfiance. En tout cas, la différence des langues n'a jamais été une barrière linguistique pour les ouvriers proscrits, au contraire mille témoignages confirment que l'ouvrier expatrié français en Angleterre en 1871, ou maghrébin en France en 2013 n'aime jamais tant que se mêler à ses compagnons de classe de tout pays, dîner chez lui, le recevoir à son tour, partager les activités ludiques; de même que les autres classes, bourgeois et paysans - qui n'invitent l'ouvrier réfugié qu'à aller aux soupes populaires, ont une propension calculée à se fréquenter dans leur milieu, en poussant leurs progénitures très tôt à l'étude des langues étrangères... connaissance qui permet d'amplifier le commerce externe, pas l'échange humain.
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