Le couteau est à la mode dans les faits divers dramatiques comme en une des méthodes de propagande de guerre des belligérants. Les décapitations de "l'Etat islamique" suscitent l'horreur et la désapprobation morale des dirigeants capitalistes occidentaux. Les "cibles" des assassins encagoulés sont journalistes, ingénieurs ou simples touristes. Oubliées les exactions américaines à Guantanamo. Oubliés les meurtres de l'armée russe en Tchétchénie. Oubliés les massacres en Syrie et en Ukraine à l'aune de la vidéo d'un pauvre otage agenouillé à la veille d'être égorgé. Oubliée l'inhumanité du capitalisme par la focalisation sur des tueurs masqués qui ont eu besoin de commander à une maison d'édition française "l'islam pour les nuls", qui ne sont pas plus islamistes que vous êtes martiens.
Au cours des fougueuses sixties, le philosophe français le plus crétin en politique, Sartre avait osé écrire: "... en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds".
A l'époque les théories tiers-mondistes, guévaristes et maoïstes faisaient florès, le pouvoir était "au bout du fusil". On ne saurait trop insister sur le fait que cet encouragement au meurtre dans la guerre de "libération nationale" n'était qu'une variante moderniste dégénérée de l'anarchisme de la bombe par le fait1. Au meurtre "exemplaire" du gros riche succédait le meurtre exemplaire du sale "blanc impérialiste" dans une propagande simplement nationaliste, typiquement stalinienne et complice des petits bourgeois arrivistes des nations flouées par le développement inégal du capitalisme. Le stalinisme a disparu en faisant croire que c'était le communisme qui avait été responsable des millions de morts des guerres qui avaient succédé à la Seconde boucherie mondiale. Mais cet esprit stalinien d'apologie du meurtre individuel, comme la gloriole de la baïonnette flanquée dans le corps de l'ennemi en 1914, survit parmi les multiples corps d'armée mercenaires aujourd'hui un peu partout qui "exécutent" l'ennemi (selon les journalistes accrédités) et non pas tuent, massacrent. Sur le web n'importe quel adolescent peut voir, par exemple sur le sordide site humoron, l'exécution de deux cent soldats syriens, attachés face contre terre et tués un à un comme des perdrix. Cette "exécution" comme celle des enfants de Gaza, des civils d'Irak ou de Syrie, de ceux de Centre Afrique comme d'Ukraine, n'émeut pas tant nos braves dirigeants occidentaux que tel égorgement de journaliste otage. Pourtant les méthodes criminelles sont les mêmes des deux côtés. Avant l'an 2000 les attentats étaient sensés être "l'arme des Etats faibles" quand les "Etats forts" bombardaient "proprement" des milliers de civils. AujouRd'hui, mieux que les attentats devenus plus difficiles en raison d'un efficace quadrillage policier, les décapitations sont assurées de marquer les esprits grâce à leur répercussion par le Big Brother informatif universel.
L'horreur, qui reste masquée dans son dénouement final pour le simple spectateur, est visible malgré tout quelque part sur le réseau Big Brother d'Internet. Vue ou pas en son intégralité, l'horreur d'un tel acte a pour effet de paralyser, d'ôter toute réflexion critique. Les images éloignées de massacres à la machette au Rwanda restent dans les mémoires. Recensons tout d'abord la régularité des égorgements de journalistes ou ingénieurs depuis le début des années 2000, en laissant de côté des décapitations beaucoup plus nombreuses par les cartels de la drogue en Colombie et au Mexique.
Les jihadistes de l'État islamique ont revendiqué mardi dernier l'exécution par décapitation d'un second journaliste américain, Steven Sotloff, dans une vidéo qui a provoqué «l'écoeurement» des chefs d'Etat occidentaux.
Dans cette vidéo intitulée «deuxième message à l'Amérique», on peut voir Steven Sotloff, à genoux, vêtu d'une blouse orange. Debout à côté de lui, un homme masqué, vêtu de noir et armé d'un couteau condamne l'intervention des États-Unis en Irak et porte son arme à la gorge du journaliste de 31 ans. Le bourreau, qui s'exprime avec un accent britannique, présente ensuite à la caméra un autre otage, un Britannique identifié comme David Cawthorne Haines, et menace de l'exécuter.
«Je suis de retour, Obama, et je suis de retour à cause de ton arrogante politique étrangère envers l'État islamique», déclare l'homme masqué dans cette vidéo de cinq minutes.
Cette mise en scène est en tout point semblable à celle de la vidéo diffusée le 19 août - premier message à l'Amérique - où un insurgé à l'accent britannique décapitait le journaliste américain James Foley, âgé de 40 ans. L'homme avait ensuite indiqué que Sotloff - également montré dans cette première vidéo - serait le prochain, si les frappes aériennes n'étaient pas interrompues.
Rappel de précédentes exécutions d’Occidentaux par des groupes jihadistes depuis 2002 :
Américains
- 23 jan 2002: PAKISTAN - Le journaliste Daniel Pearl, correspondant du quotidien américain The Wall Street Journal, est enlevé à Karachi (sud). Une vidéo montrant sa décapitation est remise un mois plus tard au consulat des Etats-Unis.
- 28 oct 2002: JORDANIE - Le diplomate Laurence Foley, responsable de l’agence américaine pour le développement (USAID), est tué à bout portant alors qu’il quittait son domicile d’Amman.
Le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak, est condamné en 2004 à la peine capitale par contumace pour cet assassinat. Zarqaoui a été tué en 2006 dans un raid américain au nord de Bagdad.
- 11 mai 2004: IRAK - Une vidéo montrant la décapitation du jeune entrepreneur Nicholas Berg, enlevé début avril à Bagdad, est diffusée sur un site internet lié à Al-Qaïda.
Selon des sources de sécurité américaines, l’Américain aurait été exécuté par le chef même du réseau d’Al-Qaïda en Irak.
- 18 juin 2004: ARABIE SAOUDITE - Un site internet islamiste diffuse des photos montrant la décapitation de l’ingénieur Paul Marshall Johnson, enlevé quelques jours auparavant à Ryad. Le 19 août 2014, quatorze membres d’une cellule d’Al-Qaïda sont condamnés à Ryad pour leur implication dans le meurtre.
- 20 sept 2004: IRAK - Le groupe de Zarqaoui annonce la décapitation de l’ingénieur Eugene Armstrong, kidnappé le 16 septembre à Bagdad, avec un de ses compatriotes Jack Hensley et le Britannique Kenneth Bigley. L’exécution de Hensley est annoncée le lendemain.
Britanniques
- 8 oct 2004: IRAK - Annonce de l’assassinat de l’ingénieur Kenneth Bigley, trois semaines après son enlèvement par le groupe de Zarqaoui.
- 3 juin 2009: SAHEL - Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique sa première exécution d’un otage occidental, Edwin Dyer, enlevé en janvier dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger. Le touriste était aux mains du groupe de l’Algérien Abdelhamid Abou Zeïd et aurait été égorgé par Abou Zeïd lui-même. Ce dernier a été tué en 2013 par l’armée française dans le nord du Mali.
Italiens
- 14 avr 2004: IRAK - Les ravisseurs de Fabrizio Quattrocchi, employé d’une société de sécurité, annoncent son exécution, deux jours après son enlèvement, pour "punir" l’Italie de son refus de retirer son contingent d’Irak.
- 20 août 2004: IRAK - Le journaliste Enzo Baldoni est enlevé sur la route entre Bagdad et Najaf. Son exécution filmée est revendiquée le 26 août par l’Armée islamique en Irak.
- 15 avr 2011: GAZA - Vittorio Arrigoni, militant pro-palestinien, est retrouvé pendu dans une maison de Gaza, quelques heures après avoir été pris en otage par un groupe de salafistes jihadistes.
Français
- 19 avr 2010: NIGER - Michel Germaneau, ancien ingénieur de 78 ans, est enlevé dans le nord du Niger puis transféré au Mali. Le 22 juillet, un raid franco-mauritanien pour tenter de le libérer — au cours duquel sept membres d’Aqmi sont tués — échoue. Le 25 juillet, Aqmi revendique l’exécution du retraité.
- 24 nov 2011: MALI - Philippe Verdon — qui, selon sa famille, travaillait sur un projet de cimenterie — est enlevé par Aqmi dans son hôtel à Hombori (nord-est). Le 20 mars 2013, un porte-parole d’Aqmi affirme qu’il a été exécuté «en réponse à l’intervention de la France dans le nord du Mali».
Polonais
- 7 fév 2009: PAKISTAN - Le géologue Piotr Stanczak est
décapité après avoir été détenu pendant plus de quatre mois
par des militants islamistes qui l’avaient enlevé dans le
nord-ouest du Pakistan.
Une telle liste si elle rappelle des
pics de propagande occidentale contre cette obscure guerre mondiale
que nous mènerait l'hydre islamiste masquée et conquérante, fait
là aussi passer au second plan le meurtre massif et régulier de
civils par les armées des Obama, Poutine et leurs alliés
charitables, humanitaires en particulier par l'entremise de leurs
ventes d'armes.
LE FACTEUR-clé de L'ANONYMAT
Les guerres apparaissent en général
opaques. Leurs combattants doivent donc rester anonymes. Là réside
le secret du meurtre impavide. Quelques facétieux d'Anonymous ont
compris la faiblesse de cette stratégie il y a quelques années.
Pour faire libérer un de leurs militants détenu par un cartel de la
drogue, ils avaient menacé de dévoiler l'identité des membres du
cartel en question. La réussite fût totale. L'otage avait été
relâché bien qu'après avoir subi les tortures habituelles.
Comprendre la psychologie du tueur
anonyme ne peut se situer au niveau du simple examen du type frustré
par une société cynique et inégalitaire. Il faut saisir à quel
moment et comment le futur tueur ou égorgeur peut passer à l'acte
débarrassé de tout sentiment humain.
Le premier moment d'insensibilisation
est le port de l'uniforme. Doté d'une tunique commune à une foule
d'autres individus, l'impétrant ne s'appartient plus. Il ne peut
plus obéir à une conscience de classe ou même à une simple
conscience individuelle cartésienne. Il est désindividualisé.
C'est cette désindividualisation qui le rend violent sans remords.
Il agit pour tous et au nom de tous en raison de l'honneur qui lui
est confié d'exécuter la besogne (sale de préférence). Son
sentiment des responsbilité individuelle est quasiment dissous. Est
altérée la conscience normale de tout individu en temps de paix
civile. Ses comportements sont conditionnés par les circonstances de
la situation immédiate, qui est souvent très simple: sauver sa
peau. Car si vous n'obéissez pas dans la foule en uniforme vous êtes
cuit, aux ordres d'un Durruti comme aux ordres d'un quelconque
djihadiste barbu. C'est ce bon Gustave Le Bon qui avait parfaitement
identifié le mécanisme: "dans la foule, tout sentiment, tout
acte est contagieux", "La qualité mentale des individus
dont se compose la foule ne contredit pas ce principe. Cette qualité
est sans importance. Du moment qu'ils sont en foule, l'ignorant et le
savant deviennent également incapables d'observation". A cet
égard il n'est pas étonnant que des adolescents, qui ont vécu en
Europe riche au milieu de bandes, régies par le même principe de
contagion suiviste, filent s'enrôler dans les zones de combat
(impérialiste masqué), vues comme moments révolutionnaires. On
retrouve le même phénomène dans les émeutes primaires qui
culminent dans des lynchages. Le spontané est vite au second plan de
l'explosion. Les individus les plus actifs, les plus cruels (donc les
plus "radicaux") sont en situation de précarité
économique et sociale. Les brutes épaisses et les dictateurs sont
en général des déclassés ou des arrivistes bafoués. Sous le
régime de Vichy en France, comme en Allemagne sous Hitler, les pires
tortionnaires pervers se retrouvèrent promus aux postes de
commandement des organismes policiers et militaires. Le développement
du phénomène terroriste n'est donc pas le propre de la seule
religion d'Allah (traditionnellement belliqueuse) mais intrinsèque à
la guerre moderne dès lors qu'on ne peut plus trouver de
justification crédible pour les millions de prolétaires
internationalistes. Les individus paumés, sans identité collective,
en trouve une lorsqu'ils sont embrigadés. Il y a leur groupe, leur
camp, leur troupe militaire et le reste du monde. L'esprit de corps
est une source puissante de déshinibition comportementale, porte
ouverte à l'acte de tuer, comme affirmation de la force du groupe.
On remarquera enfin que l'uniforme est
le même chez les super flics dits nindja comme chez les tueurs de
l'Etat islamique. Et au passage la gradation en terme d'Etat pour des
cartels hétéroclite de pillards, qui confirme "l'état"
du monde à feu et à sang, officialisant des bandes armées telle
une entité nationale officielle. Les "combattants" de
l'Etat démocratique comme ceux de l'Etat islamique sont masqués. On
ne sait plus qui est le chef dans les bandes d'assassins armés comme
on ne sait plus qui sont les financiers qui ordonnent des manoeuvres
économiques criminelles. Pour un peu on dirait qu'il le faut pour ne
plus avoir à se regarder devant la glace. Au fond, cet anonymat est
pourtant bien symbolique de la guerre moderne capitaliste: elle doit
masquer des combattants sans vergogne et sans autre but que la
jouissance de violer et tuer l'autre.
LE PROLETARIAT LUTTE LUI A VISAGE
DECOUVERT
Tout autre est le comportement de la
"foule prolétarienne". Si elle est capable de discipline,
elle s'oppose férocement aux actes délictueux, quoique dans son
enfance le mouvement ouvrier n'ait pas toujours su discerner des
actes de violence normaux contre les institutions d'actes déplorables
contre des personnes. On peut regretter des exécutions sommaires
pendant la Commune de Paris et en Russie en 1917, mais on ne fut pas
capable d'égaler à ces époques la cruauté qui régit les guerres
inter-capitalistes actuelles. Mieux les exactions regrettables furent
sanctionnées par la défaite des révoltes et révolutions de la
foule prolétarienne, et obligèrent à tirer des leçons
fondamentales sur les limites de la violence, alors que la
bourgeoisie de nos jours, non seulement démultiplie des actions de
ses bandes armées, mais opère de mille façons pour continuer à
les "masquer", ou à en faire porter la responsabilité aux
mercenaires d'en face.
Ce n'est donc pas par plus de guerres
ou moins de guerres que le prolétariat pourra reprendre le chemin
pour le renversement de la domination capitaliste, mais en ne faisant
pas de la violence en soi sa doctrine. La violence doit rester un
aspect secondaire des révolutions à venir. La conscience et la
force de conviction dans la description de l'état du monde à feu et
à sang et dans l'affirmation de la possibilité d'un autre monde,
sera une arme bien plus considérable face au discours pacifiste de
toutes les bandes armées humanitaires qui ensanglantent l'humanité,
au nom de la paix sociale disparue.
1Publiés
par les éditions Mille et une nuits, qui infestent toutes les
librairies et proposent un format de poche peu cher et accessible à
tout étudiant fauché, le brouet de Besancenot et Löwy, deux
petits caïds de l'ex LCR reconduits aux mêmes fonctions au NPA,
réalisent l'hyménée du trotskysme et de l'anarchisme, tout en y
mêlant des pans de l'histoire du mouvement ouvrier, saupoudré de
citations de Rosa Luxemburg ou Benjamin Péret; la récupération
est poussive. Les comparses ne liquident pas seulement toute
l'histoire du mouvement révolutionnaire réel, mais esquivent la
complicité du trotskysme et du stalinisme, sans compter les
successives erreurs criminelles du courant dit Ivème
Internationale, qui a soutenu à peu près tous les coups d'Etat
militaires et maoïstes des sixties. Dans ces épousailles perverses
avec l'anarchisme, nos trotskiens repentis saluent l'anarchisme
moderne dans ce qu'il eût de plus sordide, notamment pendant la
fameuse "révolution espagnole", présentée comme le nec
plus ultra de l'autogestion plouc, et les apologises du meurtre
"révolutionnaire" Durruti à l'égal du triste Guévara.
Ces oeillades coquines en direction des intellectuels anars ne
devraient pourtant pas leur gagner des électeurs nouveaux confiant
en la mauvaise foi historique des derniers bâtards du trotskysme.