« Nous ne partirons point pour le front, en laissant ces traîtres vivants, derrière notre dos ».
Péguy
« Les
curés se méfient, quand je serai mort ils commenceront à avoir
confiance ».
le
même
Le
lieutenant Péguy, comme beaucoup, pense que la guerre sera courte —
pas plus de trois mois — et annonce avec une emphase naïve à une
amie, le 4 août 1914 : « Je pars soldat de la République
pour le désarmement général et la dernière des guerres ».
Le 15 août, il assiste à la messe de l’Assomption à Loupmont ;
le lendemain, il écrit à sa femme, à Blanche Raphaël-Bernard (son
grand amour platonique) et à Jeanne Maritain (la soeur de Jacques)
leur demandant, s’il ne revenait pas, de faire chaque année le
pèlerinage de Chartres ; il prie aussi Blanche Raphaël de
réciter chaque jour le Notre Père, la Salutation angélique et le
Salve Regina. Sanglé dans son uniforme de lieutenant voilà sur le
champ de bataille tant attendu le fan de sa « Jeanne d'Arc des
batailles » dans la pose du commandement suicidaire.
L'expérience héroïque sera fort brève, et il n'aura pas le loisir
de la romancer ou de la mettre en quatrain, le soir de la première
journée de la bataille de la Marne.
Le
capitaine Guérin donne l’ordre de traverser le champ de betteraves
qui se trouve de l’autre côté. A peine a-t-il parlé qu’il
s’effondre. Péguy hurle : « Je prends le
commandement ! » Debout, il dirige le tir de ses hommes et
les exhorte : « Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! »
Refusant de se mettre à couvert, une balle l’atteint en plein
front. Les officiers ne s'abaissaient pas à l'époque pour
« ramper » comme les hommes du rang, et étaient donc
généralement les premiers flingués au-dessus des tranchées. Dans
un souffle, il murmure : « Ah ! mon Dieu !…
mes enfants !… » Il est cinq heures et demie.
Le
capitaine d’Estre, envoyé sur le champ de bataille, note le
lendemain : « Premier de la ligne, le chef de section, un
lieutenant, est tombé à sa place règlementaire. Je l’examine
avec un soin particulier, minutieusement, pieusement (…). C’est
un petit homme d’apparence chétive (…). Il est couché sur le
ventre, le bras gauche replié sur la tête. Ses traits (…) sont
fins et réguliers, encadrés d’une barbe broussailleuse, teintée
de blond, mais paraissant grisâtre du fait de la poussière, car il
est jeune encore, trente-cinq à quarante ans tout au plus ».
Le
24 octobre 1914, le revue hebdomadaire de Berlin Die Action rendit un
hommage paradoxal à « la morta d'un poeta », lui
consacrant sa page de couverture avec un portrait de Egon Shicle, qui
fût diffusé en cartes postales. Le directeur de la revue Franz
Pfemfert écrivit :
« Charles
Péguy – en qui nous, allemands, nous honorons la force morale la
plus puissante et la plus pure, qui s'exprime aujourd'hui dans les
lettres françaises, cet apôtre et éducateur, est tombé sur le
champ de bataille. Nous déplorons la mort de ce grand homme, qui a
dû porter les armes contre nous, comme celle d'un de nos meilleurs
écrivains propres. Son héritage nous le revendiquons. Charles Péguy
a vécu pour l'humanité, et il est mort pour l'idée grotesque, que
les pires de ses compatriotes se faisaient de l'honneur national ».
Le révolutionnaire allemand Pfemfert, internationaliste
fondateur du parti socialiste antinational puis du KPD, se plante en
beauté, Péguy était bien devenu un enragé nationaliste
revanchiste. Pas de quoi en faire un grand homme ni revendiquer son
héritage. Cela fait des années que l'anarchiste brouillon passé
brièvement au socialisme a épousé le nationalisme via sa
bigoterie. Péguy symbolise l'intellectuel girouette du XX e siècle
et l'aboutissement réactionnaire de leur radicalisme initial, après
avoir joué un rôle éminent comme centre de la vie intellectuelle à
Paris1.
Péguy vivant aurait été outré de cet hommage par un communiste
« apatride » et « incroyant ». Ancien
admirateur de la Commune, et qui fulminait encore en 1913 contre les
Versaillais, Péguy conchie ensuite toute guerre civile et
révolution.
Avec la fin des grandes idéologies dominantes à cheval
sur le 19 e et le 20 e siècle, des figures d'excentriques comme
Péguy nous séduisent. Iconoclastes, inclassables, délirants mais
séduisants, plusieurs auteurs nous intéressent encore mais pour un
moment de leur trajectoire ou pour leur art, les Nietzsche et
Baudelaire par exemple. Ils ont été à la fois révolutionnaires et
réactionnaires. Ce ne sont pas des penseurs systémiques mais, comme
poètes, ils touchent souvent juste et profond ; c'est pourquoi
j'ai souvent cité ponctuellement Péguy et compris que le pèlerin
de Chartres plaise encore à chaque nouvelle génération. Il a une
rigueur et un style cassant, peu phrasé, elliptique, parfois
épileptique, marqué par la répétition, la litote, l'anaphore
systématique, en un mot il sort de l'ordinaire littérateur
dixneuviémiste même dans ses derniers délires religieux2.
C'est un éternel moderne psychorigide malgré un parcours politique
chaotique qui a mal fini. Au propre et au figuré.
DE LA MYSTIQUE DREYFUSISTE A LA MYSTIQUE PATRIOTIQUE
Il a fait et défait la plupart de ses combats. Il a été
courageux en se portant en première ligne pour la défense du
capitaine Dreyfus, mais il a finalement regretté ce combat,
considérant qu'il avait nui à l'unité nationale... en vue de la
guerre sanctifiée, alors que l'affaire Dreyfus, comme je n'ai cessé
de le dire depuis plus de trente années a servi surtout de ciment à
l'Union nationale, et que le capitaine a été (en partie) exonéré
des accusations fourbes de la camarilla militaire pour aller
commander lui aussi dans les tranchées. La querelle tout au long de
l'affaire, qui dura dix ans, fût terrible dans Paris surtout, elle
divisait les familles3.
Péguy enterre l'Affaire mais ses explications sont très confuses4 :
« L'Affaire
Dreyfus est bien morte, elle ne nous divisera plus... Tout le travail
des politiciens (ILS AVAIENT PEUT-ETRE RAISON puisque de cette
réconciliation est tout de même sortie cette nouvelle grandeur de
la France) a été de nous réconcilier sur cette affaire... Quand on
se réconcilie sur une affaire c'est qu'on n'y entend plus rien...
PERDRE LE GOUT DU PAIN, c'est mourir. FAIRE PERDRE... exactement
FAIRE PASSER LE GOUT DU PAIN, c'est tuer. Exactement dans ce sens
nous ayant fait passer le goût de l'affaire Dreyfus, ils nous ont
fait littéralement mourir à l'Affaire Dreyfus et au Dreyfusisme.
RESTAIT A SAVOIR SI CE FUT UN BIEN GRAND DOMMAGE ».
Ce que j'en comprends c'est que, ayant plongé
complètement dans la bigoterie nationaliste et dans
le nationalisme
bigot, Péguy, qui ne passe plus son temps qu'à se confesser5
retourne sa veste et donne raison à ses supérieurs militaires, ces
salopards de généraux falsificateurs et assassins, qui vont envoyer
au massacre des centaines de milliers de Dupont et de Cohen.
le fou patriotique aux manoeuvres (1913) à droite |
A lire les jérémiades de Péguy on peut interpréter,
avec nos connaissances actuelles, son involution comme liée à une
grave dépression alliée à sa mégalomanie et à son grave
égocentrisme. Son délire mystique patriotique est d'un désespéré,
mais d'un désespéré qui croit., mais d'une pensée incertaine
Quelque part, à un point nommé le bigot se prend pour le créateur
soi-même, comme le fan du chanteur de variétés s'identifie à
celui-ci, comme le membre d'une secte (religieuse comme politique) se
mire dans le gourou6.
Lorsque Péguy est touché par « la grâce »,
le miracle n'est pas bien épais malgré la confusion mentale qu'il
étale avec force répétitions comme un moine psalmodiant.
L'illumination baigne en réalité dans l'idéologie du revanchisme
qui fouette la marche à la guerre. Il n'est plus original dans ses
excentricités verbales. A peine âgé de quarante ans il est atteint
précocement de gériatrie aiguë, se replongeant dans l'espérance
perdue pour Jeanne d'Arc lors de sa première communion, et révisant
pour se laisser happer par elle à nouveau, une religion dont il
flétrissait « l'imagination perverse ».
Dans son panégyrique de Bergson il dévoile le
militaire hystérique qui sommeillait en lui (comme on dit
aujourd'hui que dort en chacun de nous un facho). Romain Rolland le
moque :
« Quelle
conception de vieux routier de la guerre de cent ans ! Péguy se
croit toujours au siège d'Orléans ! Son Dieu est le roi de
France, qui a besoin de la Pucelle. Péguy est nécessaire à Dieu.
Il le lui affirmerait face à face, si Dieu se permettait de le
contester, - comme il le fait, par l'intermédiaire de son Eglise.
Ah ! La Jeanne d'Arc, au front butté, qui baisse ses cornes de
jeune taure contre Mme Gervaise, est bien sa fille et son
portrait... »7.
Le délire du chrétien Péguy est celui du raté
social, de l'étudiant qui a échoué à tous ses examens, et c'est
pourquoi il s'identifie à la mystique juive, au peuple d'Israël
« cette race même de la non réussite », et sa défaite
éternelle « depuis septant et nonante siècles ». Mais
plane au-dessus de sa tête malade la disqualification nationale
depuis 1870, la haine du boche qui veut détruire la France qui seule
a succédé à la légendaire Grèce pour l'époque moderne. Face à
« l'immense appareil de l'empire » (allemand) « la
première race de la guerre » (la France) « n'a pas été
exterminée ». Péguy a fait le front unique avec Dieu contre
l'Allemagne, avec Jésus, un homme comme les autres mais fait premier
baron.
Il psalmodie tant de fois avec le mot race qu'il
pourrait passer pour un néo-nazi auprès de nos gentils antiracistes
réformateurs patentés du vocabulaire, lequel est décrié désormais
comme plus raciste que la grammaire française et les noms de rue de
colonialistes non éradiqués de la langue hexagonale et du fronton
des lycées.
Les allemands sont plutôt protestants n'est-ce pas ?
Ils ne peuvent pas comprendre comme les juifs ce qu'est un vrai
croyant catholique : IL « sait qu'ils ne peuvent pas se
représenter ce que c'est un catholique. Et les protestants sont
encore plus éloignés, plus incapables de se le représenter que les
juifs ». Son dernier manuscrit se termine ainsi :
« Samedi, 1er août 1914 ». Les déclarations de guerre
mutuelle entre puissances coloniales se succèdent du 31 juillet à
la première semaine d'août.
A la nouvelle du meurtre de Jaurès, Péguy exulte,
hurle de joie, comme tous les antisémites d'extrême droite qui vont
s'ingénier à récupérer le Péguy soldat chrétien mort au combat
pour la défense de la patrie, oubliant ses amitiés juives, comme le
rapporte Romain Rolland :
« Or, si Péguy est resté fidèle jusqu'au
dernier jour à des sympathies – on pourrait dire, à des
préférences, - ç'a été son penchant déclaré pour les juifs. Il
l'affichait. Il revendiquait avec respect, avec tendresse, ses
grandes amitiés juives : Bernard Lazare, Marix, Bergson.
Johannet8,
qui n'était point suspect de partager son goût, observait sans
plaisir qu'aux Cahiers, « il circulait un air juif ».
Péguy poussait la forfanterie jusqu'à se montrer fier du
patronage juif, sans lequel les Cahiers n'auraient pu vivre.
C'est l'argent juif, dit Johannet, qui a payé les éditions des
poèmes catholiques, d'Eve et des Tapisseries. J'ai entendu
moi-même Péguy se vanter du soutien de Rothschild, pour la
diffusion de ses Cahiers en Orient. Il se targuait d'une initimité
avec les juifs, qu'aucun chrétien n'avait jamais eugoogle e,
n'aurait jamais »9.
Il assure que le juif est plus attaché à la France que le français.
Ce qui fonde cet amitié et cette solidarité est la commune loyauté
nationale où Péguy invite tous à aller rigoler, à son poste de
combat, en attendant de se retrouver pour rigoler au paradis (cf.
Note testamentaire).
Péguy, imbu de Kant, est l'homme de l'idéalisation
lyrique sans nuances. Il généralise hâtivement à partir de cas
particuliers, ce qui est paraît-il typique des crânes d'oeuf
normaliens. Sa culture est restreinte :
« Intellectuel autant, mais sur un autre plan
que le « Parti intellectuel », objet constant de ses
invectives, il se disait « peuple » ; et il ne
l'était point, nullement peuple paysan, sinon par miracle (instable)
du génie. Par son enfance, par ses souvenirs et par son milieu
direct, il appartenait tout au plus à un certain peuple citadin, qui
est bien plus près de la petite bourgeoisie, qui y aspire et qui,
dans le cercle de son horizon, ne va pas plus loin »
(Romain Rolland).
DE LA MYSTIQUE ANTISEMITE A LA MYSTIQUE PACIFISTE
Une réflexion de Péguy est indubitable, les juifs
(riches) aiment la France mieux que les français...
et les
socialistes. Dans ses aspects primaires le mouvement ouvrier en
France est marqué par un antisémitisme, assez général au début
du dix-neuvième siècle et qui connaît des horreurs (les pogroms en
Russie). L'absence de claire dénonciation de cette mystique perverse
héritée de l'époque féodale et monarchique explique la lenteur
voir l'absence de réactions des six partis et syndicats ouvriers au
début de l'Affaire Dreyfus, voire l'attitude équivoque des
intellectuels leaders de partis comme Guesde et Jaurès10.
Avec la même attitude psychorigide de Péguy, Guesde et Jaurès ont
refusé d'abord de prendre partie dans la lutte « entre deux
camps bourgeois ». Le revirement de Jaurès en faveur de
Dreyfus est plus le produit d'un questionnement petit bourgeois
qu'une claire prise de conscience du combat politique qui n'est pas
ouvriériste : « Jaurès adopte les mots d'ordre politique
de la bourgeoisie de gauche » (Bruhat) dans une optique
réformiste et sans lendemain ; ce combat visant à défendre la
République (préparant l'union nationale toutes confessions
confondues) sera la matrice de l'antifascisme (pour partie c'est
Guesde qui avait raison mais flancha). Pour Lénine, décriant comme
Rosa l'antisémitisme, la république en France « était un
fait, et aucun danger sérieux ne la menaçait ». Dénoncer la
forfaiture judiciaire n'impliquait pas de défendre la république
bourgeoise, c'est que que firent pourtant la majorité des
dreyfusards.
La veille de Noël 1894 (année où Dreyfus est
déporté), Jean Jaurès avait été expulsé de la Chambre des
députés. On lui reprochait des propos antisémites tenus à la
tribune. Le parlementaire a en effet dénoncé « la bande
cosmopolite », en se moquant des « foudres de Jéhovah
maniées par M. Joseph Reinach »11.Joseph
Reinach faisait partie d'un groupe de juifs qui furent largement
éclaboussés par le scandale financier de la Compagnie de Panama, au
cours duquel son beau-père fut très compromis. Ancien secrétaire
de Gambetta, Reinach était député des Basses-Alpes depuis 1893. Le
journal La Petite République, qui fut l'un des premiers
grands quotidiens socialistes et l'organe de liaison des divers
groupes socialistes de l'époque, était animé par Jaurès, avec
Alexandre Millerand, Viviani, Jules Guesde. Le journal avait surnommé
Joseph Reinach "Youssouf" et le désignait comme un « Juif
ignoble »... La Petite République s'intéressait
beaucoup à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi
de la République bourgeoise ». En 1895, le quotidien socialiste
dénonce les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui
écrasent l'Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards
(...) ces financiers cosmopolites ». La même année,
évoquant le cas d'Isaïe Levaillant, ancien préfet et directeur de
la Sûreté générale, démis brutalement de ses fonctions en raison
d'une sombre affaire de prévarication et devenu un dirigeant du
Consistoire central, le journal déplore la « formidable
puissance malfaisante des juifs, en matière administrative et
judiciaire ».
Jaurès, ne déroge pas à la mystique antisémite
répandue dans le mouvement ouvrier (comme s'en flatte le blogueur
qui répercute cette info). Le 7 juin 1898, il écrit : « La race
juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une
sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du
prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme
capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et
d'extorsion ». Bof cela démontre que Jaurès a toujours
été très limité en marxisme et en politique.
Quand l'Affaire Dreyfus aboutit, dans un premier temps,
à la condamnation de l'accusé, Jaurès estima que celui-ci avait
échappé à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement
de la puissance juive » (notre blogueur masqué ne cite pas ses
sources). Mais, dans les derniers mois de 1898, Jaurès changea de
cap et se rangea dans le camp des dreyfusards, en lui apportant un
concours très actif, ce que l'extrême droite ne lui pardonna
jamais. Un Jaurès antisémite viscéral et invariant sur le sujet
leur aurait bien convenu. Mais pour les fanatiques de tout bord il
est inconvenant de changer d'avis.
L'interprétation facho suit : « Jaurès fut
récompensé de cette évolution lorsqu'il fonda, en 1904, le
quotidien L'Humanité auquel collaboraient entre autres René
Viviani, Aristide Briand, Léon Blum, Tristan Bernard, Lucien Herr.
Pour financer son journal, Jaurès eut l'appui du banquier Louis
Dreyfus, de Lévy-Bruhl, de Salomon Reinach et d'autres membres de
leur communauté ».
Notre facho de l'ombre s'appuie sur un nationaliste
juif, Emile Cahen qui : « s'en expliqua en 1906 dans Les
Archives israélites : « Les grands services rendus à la cause
de la justice et de la vérité par M. Jaurès lui ont créé des
titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites
français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l'avaient, il
faut bien le dire, aidé à fonder son journal.12
»
Et voilà comment se restaure la mystique antisémite,
même si nous, on se fout qu'il y ait eu des contributions
d'origine.. israélite, d'ailleurs tout à fait compréhensibles dans
l'enfer de la polémique et des risques encourus pour les personnes
injustement accusées.
Mais ce qu'il importe de comprendre ici - c'est que bien
sûr Jaurès avait sorti des conneries, lesquelles participaient du
patriotisme rance des blanquistes et des anciens communards ralliés
au général Boulanger (un des massacreurs de la Commune également)13
– et même en abandonnant un soutien antisémite aux généraux
menteurs, sa revendication de la paix servait à préparer la guerre,
car dans la logique pacifiste : si vis pacem para bellum !
Même s'il n'avait pas été zigouillé. Jaurès n'avait pas le
calibre d'un Liebknecht.
Les masses allaient se la farcir fraîche, joyeuse et
bien sanguinolente. Les deux anciens amis sont frères siamois dans
la mort14.
Jaurès a été zigouillé dans un café et Péguy flingué connement
et sans bavures au champ d'honneur du sacrifice patriotique.
NOTES
1J'espère
pouvoir vous faire lire ici la première traduction d'une grande
part de l'ouvrage du Guy Debord américain, Christopher Lasch –
seul de ses ouvrages et le premier à ne pas avoir été traduit,
curieux. Comme les écrits de Herbert Marcuse pendant la guerre,
trop dérangeants pour le système ? Lasch démonte les
virevoltes de la diva Norman Mailer – un excentrique à la Péguy
- et en particulier cet épisode dans l'immédiat après-guerre où,
dans une réunion de la bonne bourgeoisie US au Waldorf-Astoria il
se la joue marxiste affirmant que seul le socialisme pouvait sauver
le monde et que la Russie n'était pas socialiste. Provoquant la
stupeur de ses congénères, il fera marche arrière - « ne
revenant plus s'aventurer dans le sectarisme politique » - et
la jouera excentricité voire border line avec tous les nouveaux
gadgets féministes, sexualité, etc. Mailer était influencé par
Malaquais qui lui rapportait les analyses de la Gauche Communiste de
France, donc de Marc Chirik. Militants du CCI et ex-militants, et
tout ce milieu dispersé qui me lit en cachette, découvriront dans
ce texte les zig-zags d'une diva pour accéder à la célébrité en
se servant par petites touches du radicalisme prolétarien des
héritiers français de l'IC. Les camarades américains devaient
pourtant connaître ce livre de Lasch, pas lâche du tout, que j'ai
exhumé d'une benne poubelle de la bibliothèque de Brooklyn en 1988
lors de mon séjour à New York en 1988. Des deux côtés de
l'Atlantique on aura eu cet « anti-intellectualism of the
intellectuels » dont se moque si bien Lasch, dont je ne
saurais trop recommander « culture du narcissisme » et
« révolte des élites » (ed Champs Flammarion). Ce
« New radicalism in America (1889-1963) » pourrait être
classé pourtant dans la tradition des grands critiques
réactionnaires comme Burke et Tocqueville, qui ont pourtant n'en
déplaise à la gauceh à oeillères, produit de très pertinentes
critiques des « radicalismes » au pouvoir ou des commis
culturels d'Etat à leurs époques respectives.
2Notamment
son dernier poème kilométrique qui a proprement fait chier ses
meilleurs amis écrivains, contient des perles littéraires
incontestables (cf. « Eve »). Dans le film de Bruno
Dumont - Jeannette l'enfance de Jeanne d'Arc - qui vient de sortir,
et qui est un soap opéra musical et visuel (tourné à côté de
chez moi ici dans le ch' nord) que j'adore ; ce cinéaste
atypique fait chanter à une magnifique petite fille les textes les
plus calotins de Péguy, c'est con mais c'est beau, cela peut
séduire un croyant comme un incroyant. Comme l'a remarqué le
cinéaste, les textes chantés de Péguy sont plus « buvables ».
3Ainsi
que me le rapporta Marcel Cerf dans l'interview que je lui ai
consacrée (cf. le blog archives maximalistes). Cerf était un petit
bonhomme charmant, prolétaire et écrivain juif français,
petit-fils de communard, mort au début des années 2000 à plus de
cent ans. Il fût secrétaire des Amis de la Commune de Paris (assoc
de néo-staliniens) ; avec Goupil (ne pas confondre avec le
guru gauchiste de Coluche) et Sabatier on avait été leur porter la
contradiction dans une salle très houleuse de la mairie du 13 ème
. Je sortais à l'époque avec sa petite-fille, qui est cantatrice.
4Les
majuscules semblent être de Péguy et pas de Romain Rolland dans
son étonnante biographie en deux tomes, Albin Michel 1948.
5La
confession est une démarche typiquement religieuse, qui vise à se
faire pardonner. En gros,
Péguy reconnaît avoir « péché »
en soutenant un étranger à la croyance catholique, comme il avait
« péché » avec ses croyances précédentes anarchistes
et socialistes. Longtemps après l'autocritique stalinienne aura la
même fonction que la triviale confession de la curaille.
Derrière la Sorbonne 2016 (photo JLR) |
6Le
phénomène du fascisme reste incompréhensible si l'on oublie qu'il
y avait des centaines de milliers de petits Hitler. C'est pareil
pour les religions, quelle fierté et outrecuidance que de nommer
son enfant Mohamed pour la religion musulmane, et chez les cathos
nos tonnes de Jean, Paul, et même Jésus (Brésil, Portugal) etc.
7Ceux
qui ont vu « Jeannette » de Bruno Dumont, ont pu se
marrer du dédoublement de Mme Gervaise.
8René
Johannet, ami de Péguy et journaliste de l'Action française.
9Péguy,
p.196.
10Lire
l'honnête article de Jean Bruhat dans les Cahiers du bolchevisme,
plus politiques que ceux de Péguy mais très opportunistes
staliniens :
http://archivescommunistes.chez-alice.fr/pcf2/doc37.pdf
11Je
repique ce passage, avec des pincettes, d'un blog d'extrême droite,
Mythes et antimythes
(http://anti-mythes.blogspot.fr/2010/01/24-decembre-1894-jean-jaures-antisemite.html).
Ce blogueur masqué est tout heureux de se cacher derrière les
conceptions erronées et finalement déjà plutôt nationalistes des
Guesde et Jaurès. Guesde finit ministre d'Etat bourgeois en guerre,
Jaurès pacifiste d'Etat, ce qui était l'autre mâchoire de l'Union
nationale !
12J'en
connais qui font encore de nos jours les mêmes généralisations
hâtives à la Péguy et Jaurès : « Macron comme
Pompidou est un produit des Rothschild », la banque « juive »
Goldman&Sachs. Oui cela est vrai mais partiel et partial et
n'explique pas la marche du capital.
13Voilà
qui met à mal une vision évangélique de la classe ouvrière par
les militants fanatiques des sectes marxistes léninistes qui
s'étonnent par exemple du vote de nombreux ouvriers pour le FN. Le
prolétariat n'est pas une classe pure, voire sacrée !
14Au
tout début de l'affaire Dreyfus et face à la prise de position
odieuse de Jaurès, Péguy est tout aussi odieux contre ce « traître
au socialisme », « ce gros bourgeois ventru, aux bras de
poussah ». "Nous savons bien que la
race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée
par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la force du
prophétisme, nous savons bien qu'elle manie avec une particulière
habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de
mensonge, de corset, d'extorsion".
( Discours de
J. Jaurès au Tivoli en 1898 ; cité par B. Poignant,
Ouest-France 13 décembre 2005 )