« Le
propre de l'homme est d'aimer même ceux qui l'offensent et le moyen
d'y parvenir est de te représenter qu'ils sont tes parents ».
Marc-Aurèle (Pensées pour moi-même)
« L’homme
n’habite que le côté désolé de la terre ». Nietzsche
«
Grande honte à qui châtie autrui et soi-même à châtier oublie ».
Proverbe médiéval
« Un
traité de philosophie est pour une part un roman policier ».
Gilles Deleuze
"Une
embarcation en bois transportant environ 250 migrants clandestins,
dont des femmes et des enfants, (...) a fait naufrage à moins de 5
milles marins de la côte selon les témoignages de migrants
rescapés", a précisé le général Kacem dans un communiqué
parvenu à l'AFP. Avant le naufrage annoncé jeudi, le HCR et l'OIM
avaient fait état d'au moins 426 personnes mortes en tentant de
traverser la Méditerranée depuis le début de l'année. Malgré une
insécurité persistante, la Libye reste un important point de
transit pour les migrants fuyant les conflits et l'instabilité dans
d'autres régions d'Afrique et du Moyen-Orient et qui cherchent à
travailler en Libye ou à rejoindre l'Europe à la recherche d'un
avenir meilleur.
Les migrants sont «des
personnes humaines», «le symbole de tous les exclus de la société
globalisée», avait plaidé lundi 8 juillet le pape
catholico-gauchiste François, qui présidait une messe en la
Basilique Saint-Pierre marquant le sixième anniversaire de sa visite
sur l'île de Lampedusa. « Ce sont les derniers
abusés et abandonnés qui meurent dans le désert; ce sont les
derniers torturés, maltraités et violentés dans les camps de
détention ; ce sont les derniers qui défient les flots d'une mer
impétueuse; ce sont les derniers abandonnés dans des camps pour un
accueil trop long pour être appelé provisoire», a psalmodié
le souverain pontife. On peut seulement regretter qu'un nouveau
Libertad avec béquilles virvoltantes n'ait pas fait irruption dans
la Basilique pour invectiver et se moquer des jérémiades du pape.
Le 8
juillet 2013, quatre mois après son élection mais avant les vagues
d'arrivées massives et les grands naufrages des années 2013-2017,
le pape François s'était déplacé sur le petite île italienne
(située entre la Libye et la Sicile) pour dénoncer «la
mondialisation de l'indifférence» envers les migrants, comme le
faisait déjà n'importe quel militant bordiguien en 2003. Depuis
lors, le pape n'a eu de cesse de multiplier les appels en faveur des
migrants fuyant guerres et misère économique, semonçant souvent
durement la vieille Europe tout en admettant que les Etats doivent
aussi tenir compte de leur capacité d'accueil et d'intégration des
étrangers.
«Malheureusement,
les périphéries existentielles de nos villes sont peuplées de
personnes exclues, marginalisées, opprimées, discriminées,
abusées, exploitées, abandonnées, pauvres et souffrantes», a
par après encore déploré le saint père François. Surtout
qu'il y a beaucoup de chrétiens parmi ses migrants d'Afrique ! Et
pas mal d'arrivistes sans foi ni loi et de réfugiés politiques
anciens tortionnaires au Biafra ou ailleurs. Si au lieu de
culpabiliser les populations et les prolétaires d'Europe qui ne sont
absolument pas responsables des guerres au Moyen Orient, il utilisait
les fonds du Vatican pour créer des missions de développement sur
place, des dispensaires, des hôpitaux, il pourrait lancer des
campagnes de souscription humanitaire. Là il n'est pas plus crédible
qu'un chanteur gauchiste intermittent. S'il brisait aussi le tabou de
"croissez et multipliez" en disant qu'au contraire la
morale prescrit qu'on ne met pas un enfant au monde si on est
incapable d'assurer sa subsistance et son éducation, et donc que
oui, la contraception devrait être universelle... La religion
catholique reste la référence de la bourgeoisie en matière
sexuelle. La sexualité des pauvres est une hérésie. La sexualité
hédoniste du Nord n'imagine qu'une sexualité procréatrice et
limitée par le sida au sud selon la bourgeoisie et l'islam. Il n'y a
que les films pornos sur internet pour laisser entrevoir que le Sud
recherche aussi l'hédonisme en se fichant de dieu et de ses flics.
De même qu'on a tu la sexualité des immigrés dans le mouvement
ouvrier jusqu'au regroupement familial ; de même que les
migrants ne sont que des violeurs sauf ceux qui viennent avec femmes
en enfants.
L'AUTOFABULATION
DANS LE PASSE...
2e
Congrès de l'IC, juillet 1920, on lit ce qui va suivre dans les
tâches principales que se fixe ce congrès, concernant l'immigration
à l'époque, au chapitre des tâches du parti communiste et du
parlementarisme, plus précisément au chapitre VII « les
tâches du prolétariat des pays du pacifique » :
« La
tâche des partis communistes coloniaux et semi-coloniaux des pays
riverains de l’Océan Pacifique consiste à mener une propagande
énergique ayant pour but d’expliquer aux masses le danger qui les
attend et de les appeler à une lutte active pour l’affranchissement
national et à insister pour qu’elles s’orientent vers la Russie
des Soviets, soutien de tous les opprimés et de tous les exploités.
Les partis communistes des pays impérialistes tels que l’Amérique,
le Japon, l’Angleterre, l’Australie et le Canada ont le devoir,
vu le danger imminent, de ne pas se borner à une propagande contre
la guerre, mais de s’efforcer par tous les moyens d’écarter les
facteurs capables de désorganiser le mouvement ouvrier de ces pays
et de faciliter l’utilisation par les capitalistes des antagonismes
de nationalités et de races.
Ces
facteurs sont : la question de l’émigration et celle du bon
marché de la main-d’œuvre de couleur.
Le
système des contrats reste jusqu’à présent le principal moyen de
recrutement des ouvriers de couleur pour les plantations sucrières
des pays du sud du Pacifique où les ouvriers sont importés de Chine
et des Indes. Ce fait a déterminé les ouvriers des pays
impérialistes à exiger la mise en vigueur de lois prohibant
l’immigration et l’emploi de la main-d’œuvre de couleur, aussi
bien en Amérique qu’en Australie. Ces lois prohibitives
accusent l’antagonisme qui existe entre les ouvriers blancs et les
ouvriers de couleur, divisent et affaiblissent l’unité du
mouvement ouvrier.
Les
partis communistes des Etats-Unis, du Canada et d’Australie doivent
entreprendre une campagne énergique contre les lois prohibitives et
montrer aux masses prolétariennes de ces pays que des lois de ce
genre, excitant les inimitiés de races, se retournent en fin de
compte contre les travailleurs des pays prohibitionnistes. D’un
autre côté, les capitalistes suspendent les lois prohibitives pour
faciliter l’immigration de la main-d’œuvre de couleur, qui
travaille à meilleur marché, et pour diminuer ainsi le salaire des
ouvriers blancs. Cette intention manifestée par les capitalistes
de passer à l’offensive peut être déjouée efficacement si
les ouvriers immigrés entrent dans les syndicats où sont organisés
les ouvriers blancs. Simultanément, doit être revendiquée
une augmentation des salaires de la main-d’œuvre de couleur, de
façon à les rendre égaux à ceux des ouvriers blancs. Une
telle mesure prise par les partis communistes démasquera les
intentions capitalistes et en même temps montrera avec évidence aux
ouvriers de couleur que le prolétariat international est étranger
aux préjugés de race.
Pour
réaliser les mesures ci-dessus indiquées, les représentants du
prolétariat révolutionnaire des pays du Pacifique doivent convoquer
une conférence des pays du Pacifique qui élaborera la tactique à
suivre et trouvera les formes d’organisation pour l’unification
effective du prolétariat de toutes les races des pays du
Pacifique »1.
Tout
cela était très beau sur le papier mais resta non seulement
utopique sur le terrain mais contre indiqué avec la théorie de
« l'affranchissement national », l'encouragement donc aux
« libérations nationales », qui ne libéreront rien du
tout mais de surcroît augmenteront les divisions entre ouvriers
européens et colonisés. Le paragraphe suivant met même en cause
les ouvriers blancs « aristocrates » du colonialisme,
qui, il est vrai, étaient complices de leurs patrons impérialistes
et se sucraient aussi2 :
« Les
impérialismes anglais et américain continuent, comme par le passé,
à diviser le mouvement ouvrier en attirant à leurs côtés
l’aristocratie ouvrière par la promesse de lui octroyer une partie
de la plus-value provenant de l’exploitation coloniale. Chacun
des partis communistes des pays possédant un domaine colonial doit
se charger d’organiser systématiquement une aide matérielle et
morale au mouvement révolutionnaire ouvrier des colonies. Il faut, à
tout prix, combattre opiniâtrement et sans merci les tendances
colonisatrices de certaines catégories d’ouvriers européens bien
payés, travaillant dans les colonies. Les ouvriers communistes
européens des colonies doivent s’efforcer de rallier les
prolétaires indigènes en gagnant leur confiance par des
revendications économiques concrètes (hausse des salaires indigènes
jusqu’au niveau des salaires des ouvriers européens, protection du
travail, etc.) ».
L'appel
à réaliser l'unité ouvrière interraciale à l'intérieur des
syndicats était déjà une lubie bolchevique à l'époque, les
syndicats devant rester désormais des annexes des Etats pour
garantir partout paix sociale et absence de révolution ; et
surtout pour entretenir comme on le verra partout par la suite les
divisions nationales et raciales en milieu ouvrier. L'analyse est
pourtant conforme à celle que produisait concernant la division
semblable des ouvriers irlandais et anglais dans un courrier privé
en 1870 Marx :
« Ce
qui est primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial
d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée
en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires
irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en
qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport
à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante
et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes
de son pays utilisent contre
l'Irlande.
Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de
préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs
irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres
vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des
États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa
pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un
instrument stupide de la domination
anglaise en Irlande.
Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la
presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens
dont disposent les classes dominantes. Cet
antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière
anglaise,
malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de
la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente ».
Qu'il
me soit permis ici de mettre en doute ce simplisme inhabituel chez
Marx avec cet emballement à
nous assurer que le « dévoilement des mécanismes cachés de
la domination » (Au 19 ème comme au 21 ème siècles) serait
ou était l'antagonisme entre ouvriers anglais et irlandais, comme
des suiveurs de nos jours (plutôt maoïstes et bordiguistes) nous
chantent que le maintien au pouvoir de la bourgeoisie est dû à
l'antagonisme entre ouvriers blancs et migrants !3
Les mécanismes de la domination politique capitaliste sont bien plus
subtils et divers que ne le suppose cette affirmation impulsive et
erratique4.
La migration de nos jours n'est plus l'immigration économique du dix
neuvième. La bourgeoisie ne maîtrise nullement le flot des
migrations, même si son aile industrieuse, mais plus industrielle,
n'a plus besoin d'emplois industriels mais d'emplois des services à
côté d'un lumpenprolétariat de la technologie et de la finance.
Son utilisation idéologique, on peut même dire son détournement,
est patent par les forces obscures des impérialismes ; daech
annonça en décembre 2015 que pour « punir l'Europe de sa
participation à la guerre en Irak », on allait « noyer
l'Europe sous un flot de migrants » !
A
l'unisson d'Angélique Merkel et du pape on trouve la secte CCI, qui
dénonce certes l'hypocrisie immigrationniste doublée par la maraude
policière, mais nous assure que la classe ouvrière a la solution :
« Il
est important de comprendre que le prolétariat est seul à pouvoir
développer une véritable solidarité avec ceux qui sont en réalité
ses frères de classe et non des “ennemis” ou des “menaces”.
Ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos
conditions de vie, mais bien le capital. Les “droits de l’homme”
et le “droit d’asile” ne sont que des mensonges éhontés
provenant de la bouche de ceux qui sont responsables de ces
mouvements migratoires massifs. Les prolétaires n’ont pas de
patrie, ceux exploités dans les pays développés comme ceux fuyant
les horreurs du capitalisme. C’est une seule et même classe qui
doit combattre ce système en pleine putréfaction »5.
Voilà
il suffit de fondre les migrants dans l'entité classe ouvrière et
le tour est joué.C'est ce qu'on appelle l'utopie réactionnaire,
sans solution tangible, sans argumentation que morale, hors des
réalités sociales, économiques et impérialistes. On fait la leçon
comme le pape et on imagine une solidarité évidemment
« internationaliste » qui n'a pratiquement jamais existé
et qui n'est pas prête d'exister comme on le démontrera plus loin.
Revenons
pour l'instant à nos amis bordiguistes qui croyaient bien faire –
dans leur fieffée et inusable litanie invariante – en citant
Lénine encore en 2003, et surtout tablant sur une démonstration où
Lénine prétendait y démontrer un aspect révolutionnaire de
l'immigration :
« « Le
capitalisme a créé une sorte particulière de transmigration des
peuples. Les pays dont l’industrie se développe rapidement,
utilisant davantage de machines et évinçant les pays arriérés du
marché mondial, relèvent chez eux les salaires au-dessus de la
moyenne et attirent les ouvriers salariés des pays arriérés.
Des
centaines de milliers d’ouvriers sont ainsi transplantés à des
centaines et des milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait
entrer de force dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées
retardataires, les fait participer à un mouvement historique mondial
et les met face à face avec la classe internationale puissante et
unie des industriels.
Nul
doute que seule une extrême misère force les gens à quitter leur
patrie, que les capitalistes exploitent de la façon la plus éhontée
les ouvriers émigrés. Mais seuls les réactionnaires peuvent se
boucher les yeux devant la signification progressive de cette moderne
migration des peuples. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de
délivrance du joug du capital sans développement continu du
capitalisme, sans lutte des classes sur son terrain. Or,
c’est précisément à cette lutte que le capitalisme amène les
masses laborieuses du monde entier, en brisant la routine rancie de
l’existence locale,
en détruisant les barrières et les préjugés nationaux, en
rassemblant des ouvriers de tous les pays dans les plus grandes
fabriques et mines d’Amérique, d’Allemagne, etc… »
(...). « La
bourgeoisie cherche à diviser en excitant les ouvriers d’une
nation contre ceux d’une autre. Les ouvriers conscients, comprenant
qu’il est inévitable et progressif que le capitalisme brise toutes
les cloisons nationales, s’efforcent d’aider à éclairer et à
organiser leurs camarades des pays arriérés».
La
citation était extraite du tome 19 des OC de Lénine, on ne saura
donc pas si c'est quand il était chef d'Etat ou leader d'opposition
qu'il imaginait cette idéale internationalisation fraternelle des
prolétaires de tous les pays, mais je n'ai jamais noté que lors de
son court règne ni sous celui de son successeur Staline, il y ait eu
de grands appels aux migrants de tous les pays pour rejoindre (et
éventuellement trouver du travail) dans le bastion russe. A la
décharge de Lénine, les milliers de migrants de nos jours ne sont
pas particulièrement motivés par la perspective de se retrouver
regroupés et solidaires dans « les plus grandes fabriques et
mines », mais tout simplement fuient la guerre et la terreur,
comme d'autres fuirent le nazisme naguère et pas pour aller
« grossir les rangs du prolétariat révolutionnaire ».
Pour sauver leur peau, et dans les deux cas, hier comme aujourd'hui,
on les comprend. Mais le comprendre ne veut pas dire en faire des
héros de la classe ouvrière.
Certes
le capitalisme brise toutes les cloisons nationales, en laissant des
milliers se noyer, mais en maintenant plus encore ces cloisons
nationales par son double langage sur l'immigration. C'est bien de
double langage qu'il s'agit dont l'un consiste à faire la morale
contre une prétendue indifférence (alors qu'elle est impuissance)
et l'autre à affirmer la fatuité d'un intérêt national commun aux
classes.
UNE
TRILOGIE ANTI-RELIGIEUSE : MARX, FREUD ET NIETZSCHE…
Certainement
les trois missiles les plus géniaux lancés contre les trois ordres
immanents de la féodalité au capitalisme que Duby a si bien
démontés6.
Les philosophes modernistes Foucauld (1964) et Deleuze (1965) voient
une relation entre Marx et Nietzsche. La problématique posée par
Deleuze nous intéresse plus que la polémique des années 50 entre
le philistin Sartre et le structuraliste stalinien Althusser naguère
autour de la sclérose d'un marxisme anti-humaniste, donc stalinien7.
Contrairement à Foucault, Deleuze articule Nietzsche et Marx autour
de l’idée que l’histoire n'est pas linéaire mais pose la
nécessité d'un avenir et reste dépendante de l'événement.
Deleuze se démarque de Foucauld pour sa passion pour l'histoire
universelle dont Foucauld se fichait. Il a des lueurs de génie. Tout
groupe politique est aussi « une personne », un « moi »,
une volonté divine, guère plus qu'une boursouflure messianique8.
Avec
l'effondrement de la plupart des croyances politiques, les errements
du monde actuel au prix de tant de pertes humaines défient la raison
et même le meilleur soliloque marxiste. Des ressemblances avec les
foules abruties du nazisme, du sport et des concerts de rock avec les
manifestations religieuses musulmanes, indouistes, etc. confirment la
pérennité des masses d'esclaves, de foules idiotes que crucifiait
Nietzsche. C'est dans l'entre-deux guerres, avec l'échec de la
révolution russe et le reflux du mouvement ouvrier mondial que l'on
s'est focalisé autant et pour la première fois sur l'oeuvre de
Nietzsche. Cet auteur n'est nullement réductible au nazisme pas plus
que Marx au stalinisme. On l'a caricaturé comme théoricien du fort
contre les faibles, mais il n'identifiait pas le surhomme aux
puissants, mais à celui qui ne craint jamais de se démarquer de la
foule lâche et obéissante. Plus que le philosophe de l'élite il
est celui du soupçon, comme Marx est celui du doute. Il est le
premier lanceur d'alerte de la décadence. Il est plus intraitable
sur la religion que Marx qui pouvait se permettre de rester tolérant
à son époque9.
Dans
les pires années de la contre-révolution, il n'est pas étonnant
que les petits cercles révolutionnaires s'appuient finalement plus,
même inconsciemment, sur Nietzsche mais moins sur Freud que sur
Marx.
Face
aux foules vociférantes de la contre-révolution dans leurs meetings
staliniens ou fascistes, ils posent à l'élite persécutée, se font
doctrinaires. Il faut même s'armer d'un certain cynisme pour se
démarquer d'un courant impétueux qui emporte tout sur son passage.
Marx a dénoncé avant tous l'aliénation sociale, la religion comme
opium du peuple. Pour Nietzsche « dieu est mort » mais
les hommes se prennent pour des dieux et se mentent à eux-mêmes.
Freud a démonté la morale sexuelle répressive du christianisme,
cette religion de la résignation et de la soumission. Louise Michel
associait parait-il la figure du surhomme aux idées de justice
sociale et de révolution, pas au niveau sexuel ; d'ailleurs les
« surhommes » minoritaires des minorités communistes des
années terribles sont plutôt chastes comme la « vierge
rouge » 10.
A relire leurs publications c'est toujours « parle à ma tête,
j'ai mal à mon cul ». Tout est dominé par le nihilisme
régnant, le désarroi, le doute.
Nietzsche
est alors pleinement d'actualité pour les plus cultivés ;
l’épuisement politique est le symptôme d’une volonté devenue
inapte à vouloir, une résignation au néant, « grande
lassitude », au stade du nihilisme passif, qui en conduit
certains à prendre des risques inconsidérés ou même à se
suicider comme des migrants et des flics de nos jours. Le marxisme
n'est-il pas un nihilisme avant l'heure ? Qui recèle ou
nécessite une bonne dose de cynisme pour s'élever aux concepts
politiques de classe et abandonner les jérémiades sentimentales des
esclaves des religions, de tous ces plaignants qui ont pitié d'un
monde sans pitié, de Merkel au CCI11.
La dialectique marxiste n'est pas en vérité très humaniste, disons
humanitaire, lorsqu'elle pose la nécessité de la violence. Parce
que les mièvreries humanitaires, qui servent encore d'arguments
fallacieux à la gauche bourgeoise et à ses succédanés gauchistes,
ne risquent pas plus de changer le monde ou de conscientiser les
masses de prolétaires que le culte de la non-violence ; il y a
une proximité et une même superficialité chrétienne entre la pose
de l'idéologue bourgeois et la vertu humaniste prônée par la
militance « insoumise », et surtout la même morale
chrétienne immigrationniste, car charité bien ordonnée commence
par soi-même. Le labyrinthique Deleuze avait entrevu certaines
affinités du marxisme avec la figure nietzschéenne de l’homme
supérieur. Car l’homme supérieur – le Prolétaire, le Camarade
ou l’Homme de l’avenir – projette l’image idéalisée de
l’homme lui-même, figure de sa réalisation totale où l’homme
récupère les attributs de Dieu et prend sa place :
« On
sait que, chez Nietzsche, la théorie de l’homme supérieur est une
critique qui se propose de dénoncer la mystification la plus
profonde ou la plus dangereuse de l’humanisme. L’homme supérieur
prétend porter l’humanité jusqu’à la perfection, jusqu’à
l’achèvement. Il prétend récupérer toutes les propriétés de
l’homme, surmonter les aliénations,
réaliser l’homme total, mettre l’homme à la place de Dieu,
faire de l’homme une puissance qui affirme et qui s’affirme.12
Mais en vérité l’homme, fût-il supérieur, ne sait pas du tout
ce que signifie affirmer ».
J'ai
connu des militants des années 1970 qui se vivaient comme des héros
du prolétariat et révéraient les ancêtres de la « Gauche
communiste » comme des saints (sains...) antistaliniens et
antifascistes !
L'ECHEC
DU CAPITALISME ANTIRACISTE ET DU COMMUNISME UTOPICO-STALINIEN
Je
me permets de recopier l'article quelque peu chiadé d'intello bardé
de diplômes de Igor Krtolica, avec ce désagréable côté savant et
dandy, dans Actuel Marx n°52 de 201213.
«(...)
Le tableau du prolétaire au XIXe siècle se présente ainsi :
l’avènement de l’homme communiste ou la société des camarades,
le futur Soviet, puisque
sans propriété, sans famille et sans nation il n’a pas d’autre
détermination que d’être homme,
Homo
tantum.
Mais c’est aussi le tableau de l’Américain, avec d’autres
moyens, et les traits de l’un et de l’autre se mélangent ou se
superposent souvent. L’Amérique
pensait faire une révolution dont la force serait l’immigration
universelle, les émigrés de tous les pays, autant que la Russie
bolchevique pensera en faire une, dont la force serait l’universelle
prolétarisation,
“Prolétaires de tous les pays”… : deux formes de la lutte
de classe. Si bien que le messianisme du XIXe siècle a deux têtes,
et ne s’exprime pas moins dans le pragmatisme
américain que dans le socialisme finalement russe.
C’est
aussi l’échec historique des deux révolutions, l’américaine
puis la soviétique, immédiatement trahies. « On ne peut pas
séparer la faillite des deux révolutions, l’américaine et la
soviétique, la pragmatique et la dialectique. L’émigration
universelle ne réussit pas mieux que l’universelle
prolétarisation.
À
l’instar de Nietzsche, de nombreux écrivains américains
(Melville, D. H. Lawrence ou encore Whitman) dénoncent la confusion
de la société de frères avec l’amour chrétien et marquent
« l’opposition radicale de la fraternité avec la ‘charité’
chrétienne ou la ‘philanthropie’ paternelle » . Le sens
moderne de l’amitié, de la fraternité ou de la camaraderie, ne
réduit pas la différence à l’identité, générique ou
universelle, mais en fait un principe de mise en relation. La
communauté est une connexion de fragments sans totalisation,
patchwork, archipel ou mur de pierres sèches, « où chaque
élément vaut pour lui-même et pourtant par rapport aux autres ».
La
nouvelle politique exige donc de faire de la différence un rapport,
« rapport sans rapport ou sans rapport autre que
l’incommensurable » . Le
rapport ne s’instaure ni avec le semblable ni avec le prochain,
mais avec le lointain, qui est sans commune mesure, différence non
soumise à l’identité.
Double exigence en réalité, celle d’instaurer des connexions pour
lutter contre le particularisme (méfiance), et celle de maintenir
l’incommensurabilité des termes connectés pour conjurer la fusion
dans le Tout ou l’Universel (amour, charité). Tel est pour Deleuze
le sens du pragmatisme américain, philosophique et littéraire. La
question de « la communauté de ceux qui n’ont pas de
communauté », comme disait Bataille, la
communauté de l’homme sans terre, sans peuple, le Prolétaire ou
le Frère, doit donc se poser sous « ce double principe
d’archipel et d’espérance » :
d’archipel, car ce sont des singularités
qui entrent en rapport ; d’espérance, car elles entrent bien
en
rapport,
à la mesure de la confiance qu’elles se portent mutuellement. « Si
les parties sont des fragments qui ne peuvent pas être totalisés,
on peut du moins inventer entre elles des relations non
préexistantes »].
« Le problème collectif alors, c’est d’instaurer, trouver
ou retrouver le maximum de connexions (…) dont une société est
capable, les flux qu’elle supporte, invente, laisse ou fait
passer ».
La
nouvelle croyance, la croyance pragmatiste qui expulse la foi
messianique, théo-anthropologique, suppose une « conversion de
la croyance »],
où la croyance ne s’adresse plus à un autre monde ou à un monde
transformé (foi chrétienne ou révolutionnaire). Elle porte sur ce
monde-ci, mais pas tel qu’il est ou tel qu’il peut être. Elle
s’adresse à quelque chose qui n’est pas donné, même sous la
forme d’un possible à réaliser : croyance à la possibilité
de créer de nouvelles connexions, de nouvelles manières de sentir
et de penser, de nouvelles possibilités de vie qui nous relient au
monde ».
L'AUTONOMIE
OUVRIERE ET SES ALEAS
« Il
n'y a pas de phénomènes moraux, rien qu'une interprétation morale
des phénomènes ». Nietzsche (Par-delà le bien et le mal)
Qu'on
continue à vouloir faire entrer de force les migrants en général
dans la catégorie classe ouvrière ne gêne personne et ne trouble
surtout pas le pouvoir, mais cela relève de la fable, et surtout de
la délimitation imposée par les Marx et Proudhon, où cette classe
finit par être théorisée comme élitaire et « sélectionnée »,
voire l'aristocratie de l'avenir. Marx a d'ailleurs repris la notion
de « séparatisme ouvrier » de Proudhon. Le
mouvement ouvrier doit se « séparer » du reste de la société. Ce
que Proudhon explique ainsi : « La séparation que je recommande est
la condition même de la vie. Se distinguer, se définir, c’est
être ; de même que se confondre et s’absorber, c’est se perdre.
Faire scission, une scission légitime, est le seul moyen que nous
ayons d’affirmer notre droit (...).
Que la classe ouvrière, si elle se prend au sérieux, si elle
poursuit autre chose qu’une fantaisie, se le tienne pour dit : il
faut avant tout qu’elle sorte de tutelle, et (...) qu’elle agisse
désormais et exclusivement par elle-même et pour elle-même ».
Marx
n'en resta pas à cette vision corporative de la classe ouvrière. La
dialectique est mouvement et pas cette vision étriquée
individualiste que reprendra le mouvement syndical anarchiste de
« l'ouvrier maître de ses actes et arbitre de ses destinées »
(cf. Victor Griffuelhes), avec cette prétention du syndicalisme
révolutionnaire à se suffire à lui-même. Proudhon, en bon artisan
parlait des classes ouvrières alors que chez Marx elle est unicité,
ce que rejette le bobo universitaire Daniel Colson, qui a raison
pourtant de rapprocher Nietzsche de la pensée anarchiste
traditionnelle plutôt no future, même si Nietzsche attaquait
violemment l'anarchisme comme simple variante du socialisme ;
son raidissement anti-social garde tout de même un aspect féodal14.
Il faut distinguer avec Marx le mouvement de la classe ouvrière, ses
actions, grèves et manifestations, de la classe elle-même qui ne
garantit rien puisqu'elle est composée aussi bien d'athées, de
chrétiens, de musulmans, d'anarchistes, de syndicalistes
réformistes, de marxistes, de pâtissiers, d'espagnols, etc. La
classe ouvrière est appelée à se renouveler constamment dans sa
dimension internationale, dimension que ne pouvait percevoir le petit
bourgeois Proudhon à l'époque des nations triomphantes.
Comment
se fait-il que même pour la classe ouvrière comme mouvement
l'internationalisme, le souci des migrants à chaque époque soit
resté anecdotique ? Parce que cette classe aurait eu finalement
cette morale d'esclaves que dénonçait Nietzsche ? Quand les
élites parasites, curés, idéologues et doctrinaires des « éthiques
médiatiques » se tuaient en vain à la culpabiliser et lui
donner mauvaise conscience anti-chrétienne ou fasciste pour leur
hostilité (incompréhensible pour des idéalistes bourgeois) face à
« l'invasion étrangère » ?
Le
pouvoir doit toujours diffuser une morale « accueillante »
(dont se foutent les exclus), les morales antifascistes et
antiracistes, puis féminiphiles se sont substituées à la
domination exclusive du christianisme au temps jadis. Comme idéaux
de référence et de révérence. Quels que soient les groupes
économiques et politiques, la domination s'exerce par le biais d'un
Idéal. Celui que Nietzsche appelle le « chrétien, le faible,
l'anarchiste, le socialiste » obéit parce que l'Idéal lui en
démontre la nécessité ; c'est celui qui a intériorisé la
nécessité d'obéir et de reconnaître la supériorité idéale,
purement idéale, du « fort », disons du « conscient »
ou qui croit l'être. Or l'idéal n'est pas du tout LA réalité.
L'intégration ne marche plus, l'intégration
progressive de jadis n’était pas sans révéler : « …
les limites d’un internationalisme ouvrier hautement revendiqué
dans les discours des dirigeants mais régulièrement remis en cause
sur les lieux de travail ou par les appels au protectionnisme lors
des congrès. Les travaux consacrés à l’immigration italienne,
juive ou polonaise ont montré la régularité de réactions
xénophobes qui se sont exprimées avec une violence particulière au
moment des crises économiques pour perdre temporairement de leur
intensité ensuite. Les tensions entre intégration et exclusion ont
traversé non seulement les appareils syndicaux français mais aussi
les pratiques organisationnelles des migrants qui pouvaient être
conduits à développer leurs propres structures pour socialiser les
nouveaux arrivants, les protéger du racisme des ouvriers français
et avancer des revendications spécifiques propres aux enjeux
politiques de leur pays d’origine »15.
LE
TRANSNATIONALISME QUI SE MOQUE DE L'INTERNATIONALISME
Le
cosmopolitisme capitaliste ridiculise encore et toujours
l'internationalisme, rêvé par la gauche marxiste et l'ultra-gauche
anarchiste, avec ce double langage qui exalte l'accueil à tous crins
mais bride et laisse dans la merde la majorité des migrants. Les
réactions d'hostilités, souvent fondées – invasion musulmaniaque
et augmentation des faits divers – sont traitées avec ce mépris
de curés et de parasites politiques. Imaginez l'inverse, si des
blancs européens allaient chercher du travail dans ces pays largués
par le capital, mais par miracle, retrouvant telle la Chine plein
emploi et taux de croissance... ils subiraient le même sort. Des
entrepreneurs blancs en Afrique sont régulièrement assassinés. Ne
tentez point de monter une boite à Madagascar sans monnayer avec la
mafia locale sinon vous serez rapidement occis. C'est une banalité
de l'histoire de l'humanité que les hommes en général comme les
premières tribus ne se sont pas laissés envahir sans réaction face
aux vikings comme face au sarrasins. Ajouter de la misère à la
misère a d'ailleurs été toujours une politique perpétuelle des
classes dominantes, et l'alliance des miséreux un idéal
pratiquement jamais réalisé ni réaliste.
Le
transnationalisme n'est qu'une variante du cosmopolitisme industriel
et touristique bourgeois. Sur le web on y trouve une définition
nuancée :
« Depuis
plusieurs années, le lien entre migrations, espace transnational et
diaspora est exploré aussi bien dans le domaine des recherches
empiriques que dans celui de la réflexion théorique, sans pour
autant que se dégage un consensus sur la pertinence de ce lien ni
sur le caractère véritablement novateur de sa prise en compte dans
le champ des travaux sur les migrations internationales. Il apparaît
aussi que les pratiques transnationales nouvelles ne constituent pas
tout le réel des migrations contemporaines. Les pratiques
« classiques » restent prépondérantes comme en témoigne
l’ampleur soutenue des transferts de fonds. Si les diasporas
prolifèrent dans le monde virtuel, souvent sous la forme de projets
politiques, elles s’inscrivent plus rarement dans la réalité
sociétale. On voit la nécessité de distinguer la diaspora noire en
tant que projet politique porté par certaines élites
afro-antillaise et la réalité sociale multiple et hétérogène
vécue par les migrants et leurs descendants. La dimension
diasporique s’affirme dans l’espace virtuel d’Internet où se
multiplient les sites dédiés aux diasporas africaines ou à
diverses visions de la diaspora noire, mais s’exprime peu dans la
réalité des pratiques observées chez les migrants. Les
constructions identitaires disposent d’une très grande marge de
choix dans laquelle les influences du milieu de résidence, de la
culture qui y est dominante et d’offres idéologiques et politiques
qui s’y trouvent conservent une part prépondérante »16.
L'expansion
de ce transnationalisme ne corrobore donc nullement une extension de
l'internationalisme ni une homogénéisation du prolétariat. C'est
d'effritement des nations et des classes qu'il faudrait enfin
constater pour nos idiots utiles d'un marxisme ossifié :
« Le
paradoxe est que les nations retrouvent d’autant plus de force
identitaire que l’État-nation, sans aller jusqu’à abandonner
une souveraineté inscrite dans ses frontières territoriales, perd
de sa légitimité et cesse d’être une ressource d’identité.
L’expérience migratoire et la situation d’entre deux des
« communautés diasporiques » encouragent, selon A.
Appadurai, la dissémination d’identités locales/nationales à
l’échelle mondiale et créent les conditions de l’émergence de
« transnations » indigènes : « Pour chaque
État-nation ayant exporté une part significative de sa population
aux États-Unis à titre de réfugiés, de touristes ou d’étudiants,
il existe à présent une transnation délocalisée conservant un
lien idéologique particulier avec un lieu putatif d’origine, tout
en étant par ailleurs une collectivité totalement diasporique.
Aucune conception existante de l’américanité ne peut rendre
compte de cette vaste gamme de transnations »17.
« Sur
le plan idéologique, le transnationalisme est clairement étranger
au cosmopolitisme libéral qui cultive la multiplication et la
cohabitation des différences, ou au pluralisme religieux
encourageant les « bricolages
individuels » et la consommation esthétique des formes
cultuelles. Arrimé à des « communautés transnationales »
multipolaires, le transnationalisme ne s’inscrit pas dans une
« culture globale » de sujets délocalisés et
déterritorialisés, inscrits dans des réseaux interindividuels et
des logiques d’entreprises mondiales. La
transnationalisation comme processus social et culturel et le
transnationalisme comme idéologie reposent sur un jeu d’aller-retour
entre un centre localisé, historique ou imaginaire, concentrant
toutes les ressources, et des communautés diasporiques. Les
trans-migrants restent attachés par un lien ombilical à des lieux,
sorte de « village global », et des personnages
fondateurs, l’autorité restant liée à la filiation. La
transnationalisation comme procès d’émergence de transnations,
issues des interactions coloniales et des contextes migratoires,
interroge les formes de la globalisation autant que la formation même
de l’idée de nation »18.
Comment
ne pas penser aux émigrés français qui demeuraient entre eux après
avoir fui la Révolution française :
« Dans
les rangs disloqués de l'Emigration, bien des frivolités, des
médiocrités, des perversités, peu de lâchetés et de brutalités,
beaucoup de désinvolture et d'illusion caractérisent un monde qui
entendait se survivre à lui-même, et qui ne comprenait qu'à demi
la leçon de la Destinée »19.
Mais j'arrête là car on va croire que j'adhère à la théorie de
l'éternel retour de Deleuze.
LEGITIMITE
DU REJET CONTRE FLAGORNERIE MEDIATIQUE
En
2018, Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches
internationales fait preuve d'une rare lucidité, que l'on eût aimé
retrouver chez nos marxistes rancis :
« La montée de leur rejet dans les pays occidentaux témoigne
d’un profond malaise. On pourra multiplier à l’envi les études
sur les avantages socio-économiques de ces mouvements de population,
sans faire bouger les lignes. C’est ne pas comprendre que si les
hommes sont égaux cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont
interchangeables. Ce serait les réduire à leur seule composante
économique de producteur/consommateur sans considération pour les
autres aspects de leur personnalité qui ne peuvent entrer dans
aucune comptabilité. Ils ont une histoire singulière, un
enracinement, une langue, des croyances, des habitudes vestimentaires
ou culinaires, bref des coutumes et des cultures qui diffèrent de
celles de leur pays d’accueil. On pourra toujours alléguer que les
chiffres de flux sont faibles par rapport à la population totale,
mais ce serait oublier qu’il s’agit de moyenne statistique et que
la répartition n’est pas harmonieuse et se polarise. Ce serait
oublier que ces faibles flux viennent renforcer une installation déjà
importante dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’échec
de l’intégration, notamment des dernières générations. Plutôt
que se disputer sur les chiffres des migrants, il conviendrait
d’observer un recensement auquel se livre l’Insee année après
année, à savoir celui des prénoms des enfants nés en France, et
notamment du taux d’octroi des prénoms musulmans. Sur les vingt
dernières années ce taux est passé de 6 à 20 %. Il atteint
29 % en Île de France et 51 % en Seine-Saint-Denis. On comprend
mieux comment cela a pu déstabiliser les populations déjà
résidentes et contribuer au rejet des flux migratoires
supplémentaires. À part une frange indéniablement xénophobe et
raciste la majorité de ceux qui se retrouvent dans le mot d’ordre
« on est chez nous ! » témoigne plutôt d’un
sentiment d’abandon, de relégation, de perte de repères et
exprime un besoin d’aide et d’assistance de la part de l’État
révélant tout à la fois une situation de déclassement social, de
perte de leur univers culturel habituel et d’un sentiment
d’insécurité. Ils forment les gros bataillons du « virage à
droite » de la société et on se tromperait à les ignorer. On
a assisté en France à un silence de plus en plus prononcé de la
gauche autour des valeurs de patrie, de nation, de souveraineté et
d’identité. Les forces de droite se sont engouffrées dans ce
boulevard offert. La gauche, laminée en 20 ans, même unie demain,
serait dans l’incapacité de pouvoir revenir au pouvoir sans
renouer avec ces valeurs20.
Le
caractère tout à la fois inévitable et impossible de la
multiplication des flux migratoires conduit à la crise grave que
l’on connaît. Réduire l’aspect inévitable suppose de réguler
les arrivées, et s’attaquer à l’impossibilité suppose de
prendre à bras le corps la question de l’intégration, sans perdre
de vue que la première tâche de l’internationalisme consiste à
aider ces migrants à vivre chez eux et à renverser leurs régimes
politiques détestables. À défaut d’y réussir, les bâtiments de
guerre remplaceront bien vite les bateaux humanitaires en
Méditerranée »21.
LE
MYTHE ECULé DE LA SOLIDARITé OUVRIERS FRANçAIS ET IMMIGRéS
L'immigration
date de la révolution industrielle, et les bagarres avec les
ouvriers étrangers à cette époque n'obéissent pas à un
quelconque racisme comme l'invente le plaisantin Noiriel, mais à la
concurrence. Jusqu'au milieu du XX ème siècle, l'immigration à
dominante européenne montre une réelle unification dans la grève
des ouvriers européens. La Première Guerre mondiale a opéré à
une accélération de l'immigration pour remplacer les millions de
cadavres autochtones. L'immigration n'est pas en soi subversive. Lors
de la crise de 1929, les Etats renvoient les immigrés chez eux pour
éviter la guerre civile interne avec un chômage galopant.
Après
guerre on peut vérifier la réussite scolaire et sociale de nombreux
enfants d'immigrés, ce qui est la preuve qu'ils ne se voyaient pas
éternellement composants immobiles de la classe ouvrière, ou
hérauts éternels d'une classe ouvrière « internationaliste ».
Dans les années terribles de la Deuxième Guerre mondiale, la
plupart des immigrés ne se comportent pas en bolcheviques mais se
mettent au service des résistances patriotiques ! En mai 68 des
milliers d'ouvriers portugais et espagnols retournent dans leur pays
par peur de la guerre civile. C'est dans les années 1990 que la
migration intempestive devient un problème sociétal et politique
qui s'aggravera dans les années 2000 avec les fuites massives des
guerres.
Au
moment de la guerre d'Algérie, ou de l'autre côté de la guerre de
« libération de l'Algérie », on ne peut vraiment pas
parler d'internationalisme entre des ouvriers français appelés à
tuer pour le pouvoir colon et des ouvriers algériens enrôlés dans
un nationalisme néo-musulman. La paralysie
générale de mai 68 montre bien ces nombreux ouvriers maghrébins en grève avec leurs collègues français mais c'était comme un métro aux heures de pointe, un embouteillage involontaire et parfaitement ordonné par la CGT. Lors des années suivantes, en tout cas en France, les grèves sont toutes cloisonnées, une grève du nettoyage n'est jamais mêlée à une grève des services publics. Dans les grèves des grandes usines la solidarité entre français et immigrés et même immigrés est une blague comme on va le voir. Mobilité et précarité sont la loi d'airain réservée plus encore aux nouveau migrants du Sud, qui ridiculise la notion de « régularisation des sans-papiers » agitée par les bobos gauchistes, plus marchands d'illusions que défenseurs des prolétaires immigrés ; leur agitation comme celle des clowns intermittents est en général éphémère, le temps des spotlights et de l'éthique médiatique, et après les pauvres immigrés se retrouvent à nouveau isolés et dans la merde, comme je l'ai vérifié souvent dans les 70 et les 8022. Jean-Philippe De dieu a mené une enquête approfondie qui met à nu la fable de l'internationalisme en milieu ouvrier, avec une mention spéciale pour le travail tordu des syndicats qui non seulement empêche une véritable solidarité internationale (mais pas toujours, les arriérations tribales ou religieuses sont parfois combattues en vain par des syndicalistes encore naïfs et honnêtes).
générale de mai 68 montre bien ces nombreux ouvriers maghrébins en grève avec leurs collègues français mais c'était comme un métro aux heures de pointe, un embouteillage involontaire et parfaitement ordonné par la CGT. Lors des années suivantes, en tout cas en France, les grèves sont toutes cloisonnées, une grève du nettoyage n'est jamais mêlée à une grève des services publics. Dans les grèves des grandes usines la solidarité entre français et immigrés et même immigrés est une blague comme on va le voir. Mobilité et précarité sont la loi d'airain réservée plus encore aux nouveau migrants du Sud, qui ridiculise la notion de « régularisation des sans-papiers » agitée par les bobos gauchistes, plus marchands d'illusions que défenseurs des prolétaires immigrés ; leur agitation comme celle des clowns intermittents est en général éphémère, le temps des spotlights et de l'éthique médiatique, et après les pauvres immigrés se retrouvent à nouveau isolés et dans la merde, comme je l'ai vérifié souvent dans les 70 et les 8022. Jean-Philippe De dieu a mené une enquête approfondie qui met à nu la fable de l'internationalisme en milieu ouvrier, avec une mention spéciale pour le travail tordu des syndicats qui non seulement empêche une véritable solidarité internationale (mais pas toujours, les arriérations tribales ou religieuses sont parfois combattues en vain par des syndicalistes encore naïfs et honnêtes).
« La
marginalisation des travailleurs subsahariens dans les syndicats
français reflète la convergence qui s’établit entre les
pratiques sociales des migrants africains, les stratégies patronales
à l’encontre des mobilisations ouvrières et la politique menée
par les organisations syndicales françaises à l’égard de ces
courants migratoires.
L'engagement
syndical était souvent perçu par les ouvriers subsahariens comme
une affiliation d’ordre politique susceptible de nuire à leur
maintien même dans l’entreprise et à la pérennisation d’un
revenu salarial. Cette attitude distanciée peut découler non
seulement du développement tardif du syndicalisme mais aussi du
détournement des libertés syndicales par les appareils partisans en
Afrique. La réactivation de certaines représentations attribuées
aux organisations syndicales qui avaient été acquises dans les pays
d’origine se trouva renforcée dans le contexte politique de la
France des années 1960 et 1970 où, parallèlement à
un durcissement de la lutte contre l’émigration illégale, le
ministère de l’Intérieur tentait de prévenir les atteintes à un
« ordre public » par une action répressive concernant
autant les militants français que les militants étrangers. Les
positions de la CFDT et plus encore celles de la CGT, qui
n’apportèrent guère de soutien aux revendications portées par
les travailleurs étrangers en situation irrégulière ou de
réponses spécifiques à la crise du logement, notamment dans les
municipalités gérées par le parti communiste, entraînèrent une
défiance marquée des migrants envers les organisations ouvrières.
Celle-ci s’exprima avec une intensité particulière via
l’émergence
d’actions collectives autogestionnaires comme la grève des foyers
Sonacotra23
à partir du milieu des années 1970 et l’autonomisation
progressive du champ
militant dans les années 1980.
Cette
réticence à s’investir dans le militantisme syndical, qui n’est
pas propre aux travailleurs subsahariens trouve également son
origine dans le caractère supposément temporaire de leur séjour en
France. Jusqu’à ce que la suspension des flux migratoires mette
fin en 1974 à la possibilité de migrations pendulaires
autorégulées, la durée d’emploi dans un même établissement
était généralement réduite afin d’assurer une plus grande
périodicité des retours au pays. Affinant la théorie du split
labor market,
Edna Bonacich a fait remarquer que l’organisation ethnique des
marchés du travail ne découlait pas seulement des classifications
raciales à l’œuvre dans les sociétés d’immigration mais aussi
de la signification donnée par les migrants à leur séjour. En
prévoyant pour ce dernier une durée circonscrite, les saisonniers
cherchaient plus à maximiser leur épargne en un laps de temps très
court qu’à s’insérer sur le marché de l’emploi. Cette vision
« instrumentale » de leur activité professionnelle a pu
les conduire, selon Michael Piore et Charles Sabel, à négliger la
valeur sociale accordée au travail dans le pays d’immigration au
profit du statut social que leur épargne leur permettait d’acquérir
dans leur pays d’origine. La recherche de l’optimisation du
revenu salarial motivait des changements fréquents d’emploi qui,
couplés aux pratiques de gestion patronale ainsi qu’à l’embauche
dans des petites et moyennes entreprises ne disposant pas
nécessairement de traditions de lutte ouvrière ont ajourné
l’engagement syndical. Diverses enquêtes soulignent ce turn
over particulièrement
élevé.
Une
deuxième étude effectuée au début des années 1970 dans
quinze entreprises industrielles de l’Ouest parisien révélait que
le taux de rotation des travailleurs africains était de trois mois.
Selon le rédacteur de l’enquête, cette brièveté était
également encouragée par les chefs d’entreprise qui jouaient sur
la mobilité et l’absence de qualification de la main-d’œuvre
africaine pour accroître, par la précarité des contrats, la
flexibilité de ses modes de production. À la Régie Renault, le
taux estimé de renouvellement était ainsi de 5 à 10 %
par an ; 27 % des travailleurs demeuraient dans
l’entreprise moins d’un an, 85 % moins de trois ans et
seulement 6 % plus de cinq ans. Une troisième enquête
réalisée auprès de cinquante travailleurs sénégalais et
mauritaniens dans un foyer de la région parisienne à Clichy mettait
elle aussi en valeur cette mobilité des travailleurs subsahariens,
conséquence de la faiblesse de leurs revenus et de la dureté de
leurs conditions de travail. Parmi les travailleurs interrogés,
principalement des manœuvres, 60 % affirmaient avoir
régulièrement changé d’emploi depuis leur arrivée, 80 % à
plus d’une reprise et 48 % à plus de deux reprises,
principalement pour des raisons de rémunération [
Les
« réunions des nationalités africaines » ou les
« groupes de langues » respectivement mis en place par la
CFDT et la CGT ont contribué à une mise en altérité de
l’immigration. Ces entités collectives appliquées aux migrations
subsahariennes par les centrales françaises ne tiraient leur
dénomination flottante que du renvoi routinier à d’autres
courants migratoires dont l’importance numérique et l’histoire
linguistique permettaient de fonder l’exercice de catégorisation
sur le critère d’une nationalité commune et d’une langue
partagée. Le principe d’unification tendant à regrouper par
défaut les migrations subsahariennes en un seul et même agrégat
montre ses limites opératoires. L’identité « réelle »
est loin de correspondre à l’identité « attribuée ».
La réunion des « nationalités africaines » organisée
en mai 1971 par la CFDT à Rouen en présence d’un responsable
de la CNTS témoigne des obstacles rencontrés par les ouvriers
subsahariens pour construire une identité collective ouvrière en
France.
La
pluralité des appartenances politiques des migrants a également
contrarié l’agencement d’un consensus sur les modes d’action
et de protestation. À la Régie Renault, dont la population
étrangère en 1973 était constituée par près de 13,3 %
de travailleurs subsahariens (2 845 personnes) contre 30 %
de Marocains (6 416) et 22,6 % d’Algériens (4 836).
Les « groupes de nationalités » mis en place par la
section syndicale de la CGT de Boulogne-Billancourt ont été minés
par d’importantes dissensions partisanes. Les expériences
d’alphabétisation menées dans le secteur métallurgique par la
CGT semblent avoir été perturbées par la politisation de certains
travailleurs africains qui convertissaient ces sessions pédagogiques
en arènes politiques.
Apparemment,
la CFDT ne comptait pas de militants africains dans ses instances
représentatives. L’analyse des pratiques syndicales à l’échelle
locale permet de mieux affiner les modes opératoires de cette
relégation. Lors de la réunion des « nationalités
africaines » de mai 1971, les ouvriers subsahariens
dénoncèrent les dérives électoralistes de délégués qui
« profit [ai] ent de l’ignorance de certains immigrés pour
les inscrire sur leurs listes afin que ces derniers leur apportent
des voix lors des élections en sachant pertinemment qu’ils ne
passer [aient] pas ». L’un de ces ouvriers a souligné :
« Malgré l’aide incessante que nous attendons de nos
camarades français, ceux-ci semblent ne pas [nous] entendre.
Certains d’entre eux négligent totalement leurs collègues
immigrés. Pourtant, à chaque fois qu’on est amené à faire une
action, on souhaite et on réclame leur présence (…). On ne doit
pas seulement penser aux immigrés au moment des élections
professionnelles, mais ceux-ci doivent être considérés comme des
hommes à part entière dans la vie, en particulier dans la vie
syndicale et à tous les échelons »].
Des critiques similaires furent émises lors d’une session
consacrée aux responsables immigrés, organisée en janvier 1984 :
« C’est pas la responsabilité qui manque, notait un
participant, c’est la prise en compte qui manque ». Les
responsables CFDT qui avaient organisé la réunion ne semblent avoir
partagé que partiellement ces critiques : « Les
communautés africaines comme les maghrébines et les turques, notait
l’un des animateurs, participent très activement à la vie
syndicale dans les entreprises sans que pour cela le type de
fonctionnement de la vie syndicale en France soit toujours adapté
aux formes de luttes que doivent mener ces travailleurs. Les
différentes luttes menées, soit dans le métro, soit celle des
éboueurs de la Ville de Paris l’ont largement démontré. C’est
probablement dans cette communauté que la relation avec les
associations françaises est la plus claire. Ils considèrent ces
associations comme des associations de service, point ».
Cette
constatation peut en partie s’expliquer par le fragile engagement
des migrants subsahariens dans les organisations ouvrières. Elle
mérite également d’être évaluée à la lumière des nouvelles
identités syndicales et professionnelles générées par les
mutations du travail. Serge Paugam a ainsi remarqué que « l’adhésion
syndicale dépend aussi fortement du secteur d’activité et plus
précisément de l’entreprise. Les responsables syndicaux le
savent. Cela tient à la fois à la tradition, à l’ardeur
revendicative des salariés (...)
Après
la décolonisation, la répartition internationale du travail
syndical opérée par les centrales africaines et françaises sur la
question de l’immigration résulte, d’une part, de
l’instrumentalisation des centrales africaines par les partis
uniques pour lesquels la formation politique de la population
migrante devait s’ajuster aux mobilisations partisanes de leur pays
d’origine, d’autre part, de la position des centrales françaises
qui ont privilégié les relations de coopération avec leurs
homologues africaines ou de médiation avec les pouvoirs publics
français plutôt que des actions collectives en faveur des libertés
syndicales en Afrique ou en direction des travailleurs africains en
France. Cette répartition du travail manifeste les tensions entre
« pratiques de mobilisation » et « pratiques de
relation institutionnelle » qui traversent le mouvement
syndical de manière récurrente et qui ont pour conséquence la
marginalisation des travailleurs africains au sein d’organisations
se réclamant pourtant encore de l’internationalisme. Elle témoigne
plus largement de la bureaucratisation d’un mouvement ouvrier
déconnecté des luttes sociales de l’immigration,
bureaucratisation qui n’est pas étrangère à l’autonomisation
du champ militant et à la crise de la représentation syndicale en
France .
Les
tensions xénophobes qui ont miné depuis ses origines
l’internationalisme ouvrier se sont exprimées avec une acuité
particulière par l’essor ces dernières décennies d’une
racialisation des rapports sociaux dans le monde du travail. Cette
tendance traduit la déstructuration d’un groupe ouvrier que les
syndicats étaient parvenus jusqu’alors à plus ou moins unifier et
qui est aujourd’hui traversé par de profonds clivages entre des
ouvriers français « blancs », déclassés ou menacés de
déclassement, et des ouvriers étrangers ou « “visibilisés”
comme étrangers » . Les recherches ethnographiques et
historiques conduites sur des entreprises telles que Peugeot ou
Renault ont permis de saisir les enjeux de ces clivages pour les
travailleurs issus du Maghreb. Elles sont en revanche pour le moins
parcellaires, voire inexistantes pour les ouvriers originaires de
l’Afrique subsaharienne qui ont été ou sont encore employés en
grand nombre dans des secteurs comme l’industrie automobile ou les
services de nettoiement. Cette profonde asymétrie prive les
chercheurs de la possibilité de saisir les variations dans le temps
des typifications et des discriminations raciales à l’œuvre en
milieu ouvrier et des réponses syndicales qui ont pu leur être
apportées. Elle condamne ainsi la population noire à une
« invisibilité » aussi bien sociologique que politique
? »24.
Au
début des années 1970, je crois bien être le seul à avoir souvent
questionné de ci de là : « pourquoi n'embauche-t-on pas
des ouvriers immigrés dans les services publics ». Un délégué
CGT avait dû me répondre sans doute laconiquement :
-
parce qu'ils ne sont pas français.
NOTES
1Repiqué
sur le site « Matière et Révolution » de Robert Paris.
2On
n'a jamais oublié la réputation par exemple des « pieds
noirs » en France, dont certains retrouvèrent la même
position de « garde-chiourmes » (celui qui gardait les
esclaves dans l'Antiquité) comme contremaîtres et flics au retour
dans l'hexagone.
3L'idéologie
religieuse du 19e siècle a été largement supplantée parle
consumérisme et le portable, et l'imprégnation est physique :
« les
capacités d’innovation des individus vont plutôt dans le sens de
la soumission à la logique des structures que dans le sens de la
résistance et de la subversion, comme on peut le vérifier en
examinant les stratégies de la plupart des individus de la plupart
des groupes sociaux, y compris chez les très distingués
professionnels de l’innovation créatrice, libre et jaillissante
que seraient les cadres ou les artistes ou les intellectuels, dont
les poussées d’anti-conformisme et les révolutions de palais
sont généralement parfaitement contenues et gérées par l’ordre
établi. Le système capitaliste se fout éperdument des
« transgressions symboliques ». Mieux même, il les
organise et les cultive. Non, on n’insistera jamais assez sur le
fait que l’ordre établi est aussi installé dans les têtes et
dans les tripes et que ce qui fait sa force, du moins chez nous, ce
ne sont pas ses sbires, mais c’est, comme le soulignait déjà
Spinoza, cette « volonté qu’il installe en nous de nous
plier à son usage », notre « sens pratique, socialement
constitué » dirait Bourdieu » (Alain Accardo).
4En
2003, les bordiguistes faisaient eux aussi du copier-coller :
« De
même aujourd’hui la classe capitaliste est parfaitement
consciente que la division entre prolétaires immigrés et français
est un facteur clé de la paralysie de la classe ouvrière et elle
entretient par tous les moyens cette division, cette hostilité, ce
racisme, ce sentiment de supériorité nationale; cela se traduit
dans les syndicats et jusque dans beaucoup d’organisations qui se
disent «ouvrières» ou «révolutionnaires» par une indifférence
foncière envers le sort de cette fraction importante du
prolétariat ».Sur la question de l'immigration (cf.les foyers
Sonacotra) les bordiguistes ont fait preuve du pire opportunisme en
se mettant à la queue des petits chefs immigrés maoïstes ou
simplement beaux parleurs. Cette pitié du petit bourgeois pour
l'ex-colonisé peut même expliquer leurs éternelles contorsions
pour le terrorisme sous-développé et religieux, pour certains par
exemple le djihad ne serait que l'effet boomerang de la violence
coloniale subie par les ancêtres des actuels radicalisés et divers
imbéciles décoloniaux.
5Le “droit d’asile”: une arme pour dresser des murs contre les immigrés , Révolution Internationale, 18 juillet 2019
6Cf.
Les trois ordres de l'imaginaire du féodalisme de Georges Duby,
ouvrage sur lequel je reviendrai ultérieurement puisqu'il nous sert
encore à déshabiller le mode de domination de « l'élite »
bourgeoise et ses comportements excluants et destructeurs, de la
motte castrale aux buildings newyorkais... Paris, Dauville, Le
Touquet, ces ghettos à bourgeois, mottes castrales des couples
bobos qui vous marchent dessus, même au restaurant. Paris ville
intégralement bourgeoise : « Ouvriers
et
employés
ont totalement disparu du marché immobilier parisien », titre
un journal du matin ! La révolution devra à nouveau partir
des campagnes...
7Pour
ceux qui ne connaissent pas ou ont oublié, lire :
https://blogs.mediapart.fr/nicolas-dutent/blog/060212/le-marxisme-est-il-un-humanisme-sartre-et-althusser-par-andre-constantino-yazbek
et aussi la biographie de Deleuze :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_Deleuze
8Lors
de ma démission du CCI en 1996, sans avoir lu Deleuze, je
fustigeais un « moi groupal » peu différent de l'esprit
stalinien inquisiteur et policier.
9C’est
ce que confirme Paul Ricœur, dans son ouvrage, dialogue avec
Jean-Pierre Changeux « La nature et la règle » où il
écrit : « S’il y a une catégorie à abandonner, c’est
bien celle de la toute-puissance (de Dieu) dans la mesure où elle
n’est pas une catégorie purement religieuse, mais
théologico-politique. On l’a calquée sur le modèle des pouvoirs
politiques absolus […] et en retour on s’est servi de cette
image d’une divinité toute-puissante pour justifier le pouvoir
politique ».
10La
sexualité des prisonniers et des persécutés n'est jamais traitée
en général dans la littérature et chez les historiens. Pourtant
en période de guerre ou de révolution elle est peut-être plus
intense (cf. les deux tomes du livre de Besson). On a dit que
Bordiga à Moscou était un sacré queutard... A la fin de la guerre
d'Espagne, quand on comprit que c'était cuit, ça baisait à tire
larigot. Sur la période de la résistance française, mon père me
raconta que certains étaient prêts à tout pour baiser, même à
trahir leurs camarades.
11L'admirable
polémiste anarchiste infirme Libertad, premier dénonciateur de
l'individu libre et souverain, décèle bien le dessous de cet
humanisme de façade chez le pape anarchiste non violent Hans
Ryner : « Ryner
reste muet et s’évade derrière « sa conscience »
d’une façon si vague, qu’on le sent ébranlé. Mais les raisons
donnés au commencement le retiennent. Ryner est un homme que
l’inactivité professionnelle a amené à la maladie dangereuse du
moi, non du moi fat et orgueilleux qui s’émousse à se clamer à
tous, mais d’un moi silencieux, constant objet d’une adoration
muette. Dans
l’époque actuelle de faiblesse et de lâcheté, où tant de gens
veulent couvrir leur veulerie et leur inaction d’un système, d’un
manteau quelconque, des livrets du genre de celui-ci sont à
détruire comme l’absinthe et la morphine. Les hommes ne sont pas
assez forts pour s’évader des poisons et de leurs effets ».
12https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2012-2-page-62.htm :« En
faisant de la production sociale une institution du désir et en
mettant le désir dans l’infrastructure, Deleuze et Guattari
professent un marxisme hétérodoxe autant qu’un freudisme
déviant, dont on sait qu’il est directement inspiré de Spinoza.
Mais, en vérité, c’est aussi une position strictement
nietzschéenne, suivant la coextension de la volonté de puissance
et des complexes de pouvoir. Dans
le Traité politique, Spinoza évacue les résidus….
De ce point de vue, c’est donc Nietzsche pas moins que Spinoza qui
permet à L’Anti-Œdipe
de
« dépasser le parallélisme stérile entre Freud et Marx »
14
« Il ne peut naître de culture supérieure que là où il
existe deux castes tranchées de la société; celle des
travailleurs et celle des oisifs, aptes au vrai loisir ; ou en
termes plus forts : la caste du travail forcé et la caste du
travail libre. Le partage du bonheur n’est pas un point de vue
essentiel, quand il s’agit de la création d’une culture
supérieure ». (Culture et caste)
19« Le
mouvement des idées dans l'Emigration française (1789-1815) de
Fernand Baldensperger (fin du tome second, Plon, Paris 1921).
20Cette
remarque n'engage que cet universitaire, moi mes valeurs restent la
prise du pouvoir par le prolétariat et la fin des frontières mais
pas dans la décomposition actuelle où on n'appelle plus un chat un
chat et où il serait honteux de se dire français et
internationaliste parce qu'on est né dans un ancien pays
colonisateur ! De même je ne pense pas que la solution à la
crise migratoire soit d'accueillir tous les malheureux de la terre
mais d'en finir au plus vite avec le capitalisme, en laissant les
gens là où ils sont nés avec de réels moyens pour vivre heureux,
voyager, échanger ; et cela ne sera réalisable que dans un
monde ayant banni esprit de lucre, de compétition et de concurrence
acharnée pour écraser l'autre.
21
Le
journal du Monde,12 octobre 2018 par Michel
Rogalski :Migrations
: l’internationalisme entre inévitable et impossible.
22Cf.
La lutte du foyer Jeanne d'ARC en 1972 où Foucauld et Geismat
étaient venus parader avec la maoïste violée. Je retrouvai deux
mois plus tard ces immigrés yougoslaves squattant un vieil immeuble
au Petit Clamart, sans plus aucune banderole maoïste.
23Touché
par les critiques de nos compères bordiguistes, j'avais réussi à
pousser avec pugnacité le CCI a intervenir dans la foire aux
Sonacotra, justifiée sur la question des loyers mais ubuesque
politiquement. Finalement on n'avait pas perdu grand chose en y
intervenant tardivement. Notre présence à Garches fût lamentable,
les petits chefs du CCI Michel le corse et Lucky Luke Christian
pissaient dans leur culotte et m'empêchèrent d'y intervenir en AG.
Je me souviens avoir piqué une colère noire contre ces petits
phraseurs des congrès picrocholins du CCI. Mon intervention
n'aurait pourtant pas apporté la conscience ni de l'extérieur ni
de l'intérieur, j'aurais phrasé moi aussi sur le nécessaire
internationalisme et la fraternité de classe. La foire aux
Sonacotra servit surtout aux étudiants noirs beaux parleur à
libérer les belles maoïstes blanches, vu la répugnance qu'avaient
les bourgeoises désoeuvrées d'alors pour les français petits de
taille, chauves et court de zizi. (témoignages recueillis pour de
vrai lors de mes multiples rencontres féminines sur les sites ad
hoc).
24Jean-Philippe
Dedieu :
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2011-1-page-145.htm