« Retrouver la fierté du
prolétariat et le récit commun tel est le récit commun, quel beau
programme politique nous propose Boris Cyrulnik ! ». C'est
avec cette ironie méprisante de bourgeoise du PAF que la mère
Natacha Polony dénigre l'interview du maître en résilience dans
l'Obs de cette semaine.
La lecture de l'OBS m'ennuie
terriblement depuis des années. L'hebdo des grands bobos est en
général en décalage avec l'actualité car à trop vouloir s'y
coller il prend toujours un métro de retard. La bonne gauche
élitaire y répand ses leçons à usage interne contre les pauvres
tâches racistes, sales et lepénistes que nous sommes. Plus du tiers
d'une pagination glacée est consacré à la bonne bouffe pour les
lecteurs de Neuilly-Passy-Saint Germain, les limousines d'occase et
les hôtels particuliers de trente hectares. Passons, la culture n'a
pas d'odeur selon moi, elle survit aux hôtels particuliers et personne n'en est propriétaire, même au
volant d'une Bugati série Jean Daniel. Et si pour la promo de son
dernier livre, le psy le plus huppé et le mieux considéré de l'édition bourgeoise déblaye
sérieusement le terrain sur l'utilisation assommante et répétitive
du danger islamiste, et en allant au fond du problème, que risque
l'OBS ? Certainement pas que je résilie mon abonnement.
COMMENT DEVENIR UN « GOGO »
de l'islam ?
- Dans le langage populaire, un gogo est une personne
crédule qui, par exemple, se laisse prendre facilement aux canulars
et peut même devenir le dindon
de la farce.
Le terme vient du personnage Gogo de la comédie Robert
Macaire, de Saint-Amand,
Benjamin
Antier et Frédérick
Lemaître, probablement formé à partir du verbe « gober ».
Je t'embrasse Cyrulnik ! Même si je dénonce le contenu réactionnaire de ton raisonnement politique, mais parce que toi et moi arrivons à la même conclusion.
Et si l'on en croit les propos échangés et les résumés fournis, ce n'est pas de la psychologie qu'il fait le bonhomme mais... de l'histoire et des guerres comme causalité des horreurs de la décomposition capitaliste, dont le terrorisme sanglant n'est qu'une partie. Ah la citation de Michelet (comme je vais m'en resservir souvent!) : « Quand l'Etat est défaillant, les sorcières apparaissent » (Cyrulnik cite en substance, on eût aimé l'originale).
L'histoire permet toujours de mieux comprendre le présent, parce qu'elle nous a précédé et parce qu'elle contient de semblables répétitions. Les cause de la montée du nazisme ne sont pas l'antisémitisme comme nous le radote la doxa de la gauche caviar et ses bobards antifas, c'est l'humiliation du Traité de Versailles et la crise de 1929. La montée du nazisme déclenche un processus d' « héroïsation ». Cyrulnik rappelle que, vu le haut niveau culturel de l'Allemagne de Weimar, la théorie nazie faisait rire au début. Il ne manque qu'un élément dans son raisonnement, ou en tout cas il commet une erreur, il croit qu'il s'agit d'une « faillite de l'Etat », alors que nous savons qu'il s'agit bien plutôt de la deuxième phase de la contre révolution ; malgré le premier sabotage par la social-démocratie de la tentative de révolution du prolétariat allemand, comme les ouvriers ne voulaient pas désarmer, il fallait démultiplier le nombre de flics, et cela ne pouvait être réalisé par une simple embauche de fonctionnaires supplémentaires mais en enrôlant massivement le lumpen d'époque, les soldats humiliés rendus à une vie civile de clochards, avec une passion mauvaise, perverse, mais « héroïsante » car couplée avec le joujou patriotique.
Revenons à la diva : il est Voltaire le riche, je suis Rousseau le pauvre. Il évoque un effondrement culturel effrayant, « toutes les sectes du monde accourent pour faire leur marché » ; encore un maillon dans le raisonnement, il évoque la Syrie d'aujourdhui, oubliant du coup l'Allemagne. Mais ce maillon nous pouvons le relier nous à l'Allemagne de 1933 où la haine se répandant en peu de temps fait aussi s'effondrer toute référence culturelle ou disons de conscience universelle.
L'Etat n'est pas défaillant en 1933 en Allemagne, bien au contraire, il se renforce avec les SA d'Hitler, même si au début cela déplaît aux généraux. De même les principaux Etats impérialistes de nos jours ne sont pas défaillants – peu importe la disparition d'Etats locaux, de toute manière ex-Etats fantoches de la néo-colonisation – et, j'ose le dire, ONT BESOIN DU TERRORISME qui frappe les populations civiles, pour excuser leur perverse domination bourgeoise.
Le constat du terreau : « Au Proche-Orient, il y a 14 millions d'enfants traumatisés, orphelins, mutilés, abandonnés, non éduqués ou survivant dans des familles misérables. Quand on est en détresse, on est vulnérable. Quand on coule, on s'accroche à tout ce qui flotte. C'est dans le chaos que poussent les héros. Les meneurs d'âmes vous indiquent le chemin, la cause de mal et les moyens de s'en sortir. Dans des conditions dramatiques, un grand nombre de jeunes deviennent ainsi des armes consentantes ».
DES ARMES CONSENTANTES
La belle image, si parlante quand les âmes sont devenues des « armes » ! Quand les trois quart de ces
armes consentantes (80%) sont issues de milieux de croyance (pas seulement musulmane, mais aussi catho, juive, etc.) - la croyance religieuse reste un des plus sûrs chemin vers l'héroïsation terroriste (c'est moi qui le dit). Avec en plus carences éducatives et culturelles : « Quand on est largué par la culture, on cherche un sauveur » ; qui a oublié qu'on a attribué à Goebbels « Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver » (la saillie est d'un autre caïd nazi). Attention à cet endroit, n'allez pas croire que je rejoins l'approximation débile des bordiguistes comme quoi le terrorisme arabe annoncerait le retour de la lutte des classes, je pense toujours comme le CCI, que le terrorisme manifeste au contraire l'absence de la lutte de classe et un « héroïsme négatif » étranger au prolétariat.
Notre diva psy des médias a mené une enquête décoiffante dans les collèges ou lycées de banlieue, en particulier à Marseille. Il n'y a pas trouvé des abrutis, de la graine de terroriste, mais des gamins avides de réponse, questionnant sans arrêt, qui veulent comprendre mais ne trouvent personne pour expliquer, dit-il, moi j'aurais dit « pour leur indiquer une perspective ». Il a aussi été visiter les camps de réfugiés, c'est l'horreur capitaliste qui reprend le dessus même au plus profond de la misère : « Dès qu'il y a un camp, en 48 heures, la loi du plus fort revient ».
Le psy enquêteur s'aperçoit que, leur répondant paisiblement, il rend heureux les gamins, et ajoute sans craindre de choquer le monde Charlie bobo : « Eh bien, certains de ces gosses malheureux, leur seule dignité, c'est Mohammed Merah : on le craint. J'ai vu ça aussi avec les enfants des rue en Colombie. Leur seule dignité passe par la bagarre, la violence. Les gosses me disaient : tu te rends compte, Mohammed Merah, c'était un minable et maintenant on le craint. C'est vrai, il a tout raté... ».
Cyrulnik frappe fort enfin, après avoir clairement discerné les causes de l'enfantement débile, lequel n'a en réalité produit que des « pigeons » : « Quand il y a un chaos culturel, il y a un centre organisé, et tout autour il y a des gogos. Ce sont des gogos de l'islam, les Merah, les Coulibaly... Ils se sont fait escroquer comme quand on entre dans une secte. Eux qui se disent « révolutionnaires » ou « bras armée de dieu » ne sont que des pantins déculturés (…) Ils sont ainsi des proies faciles pour un chef totalitaire qui cherche à imposer sa loi. Il suffit de leur faire croire qu'ils seront héroïsés et vivront auprès de dieu après leur mort. C'est ainsi qu'on fabrique des gogos armés ».
Rien de lié à une quelconque révolution, mais c'est toujours corrélé à la guerre, comme le dit Gwen. « Une « épidémie de croyance » peut se déclencher en quelques jours. Comme on l'observe dans les périodes de guerre, où, tout à coup, on voit des rumeurs se propager avec une conviction folle et sans aucune preuve. C'est pour ça que j'emploie l'expression de « délire logique » (…) ET c'est cohérent. Mais c'est délirant, parce que c'est coupé de la réalité. Et les gens sont fermement convaincus parce qu'ils sont désespérés, qu'ils ont peur. En période de guerre ou en période de déstructuration sociale, on voit que des rumeurs se déclenchent, intenses et avec une vitesse stupéfiante. Comme avec Hitler autrefois, on est en plein théâtre émotionnel. (…) les fanatiques qui se font exploser dans une foule pour tuer le plus d'ennemis possibles ne se suicident pas, ils offrent leur mort à dieu. Ce n'est pas un « attentat-suicide ». Encore un maillon faible dans le raisonnement de notre diva nationale : non, c'est plus pragmatique, moi je pense qu'ils se disent prosaïquement : « je me fais sauter mais au moins je ne pars pas seul » ; j'ai toujours pensé que c'est un drôle de courage de se suicider seul mais moins effrayant de le faire... à plusieurs ! Peut-être parce que j'ai dans mon subconscient une âme de terroriste ? Ne dit-on pas qu'on « s'éclate » toujours mieux à plusieurs que seul ?
Après les suppositions de la diva psy sur le fait qu'ils imagineraient qu'on les « reconnaitrait » ou qu'on les aimerait enfin après leur mort, c'est du pipeau, faut pas les prendre pour plus gogos qu'ils ne sont ; ça les psys sont aussi capables de le faire que leurs collègues gourous ou recruteurs islamistes.
Lorsqu'il est pressé par le journaliste intervieweur de se pencher quand même aussi sur le sort des victimes (ces blancs jouisseurs complices de leurs généraux qui bombardent là-bas), Cyrulnik trouve le moyen de fournir une autre explication dérangeante pour la doxa bourgeoise universelle avec sa novlangue de la victimisation : « En 1946, dire qu'on était victime, c'était avouer qu'on était un débris, un vaincu, un humain chassé de l'humanité. En 1985, l'aveu de la mortification se transformait en récit de victoire (…) Le contexte culturel venait de modifier la signification du fait (…) C'est la réduction des informations qui donne forme au monde perçu. Plus tard, la représentation de ce qu'on a perçu modifie encore la mémoire du passé ».
Evidemment Cyrulnik n'étant pas un maximaliste communiste acharné, ne va pas développer que l'antiracisme n'était pas à la mode en 1946 parce que l'antifascisme suffisait pour les masses de gogos désarmés après le plus grand massacre de tous les temps où il était bon de crier « à chacun son boche » (le massacre de 39-45 reste bien supérieur aux millions attribués à Staline), mais en 1985 l'antiracisme correspond bien aux idéologies victimaires de la guerre mondiale terroriste, chaque communauté nationaliste peut rivaliser en victimologie pour justifier ou excuser ses propres massacres ; tant le nationalisme juif, que arabe, palestinien, kurde, tibétain, etc.
L'antiracisme n'est ainsi qu'une prolongation du feuilleton sinistre de l'antifascisme, parce que ce dernier scénario a terriblement vieilli.
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin, et qui fait déjà jaser la presse bcbg. Comme Cyrulnik invoquait son enfance puis les soins qu'il a prodigué une fois installé psy aux ouvriers - et vient de dire une « énormité » sur ses malades : « Ils étaient fiers d'être ouvriers, ils n'étaient pas humiliés » -
le journaliste n'en peut plus et fait une remarque qui n'est pas tout à fait une question: « Il y avait une fierté du prolétariat, aujourd'hui il est certain qu'on l'a bien entamée ». Et voici la réponse brut de fonderie, vous en déduirez ce que vous voulait, moi c'est tout déduit :
« J'ai été laveur de carreaux pendant mes premières années de médecine, pour gagner ma vie. Je travaillais au forfait de 5 heures à 8 heures du matin, parce qu'à 8 heures les gens des bureaux arrivaient. Je rêvais que j'en sortirais, mais je ne savais pas si ce serait le cas (…) si ça n'avait pas marché j'aurais probablement été dépressif, j'aurais été en échec toute ma vie. Donc ces gosses-là vivent dans ce monde-là, et si on ne leur propose pas un projet, la seule dignité qui leur reste sera la brutalité, la violence. Ce sont des proies vulnérables les gogos de l'islam, comme les SS étaient des gogos du nazisme, comme beaucoup d'allemands ont été des gogos du nazisme ».
PETIT PLUS culturel:
mais je ne vous invite pas à vous abonner à l'OBS, qui est au trois
quart chiant, un autre article flamboyant sur LE PLUS GRAND CINEMA DU
MONDE, actuellement :LE BELGE ;
Avec l'article « les belges
broient du nord », on a la liste des bons: Jaco van Dormael,
Bouli Lanners, Felix van Groeningen, Robin Pront, sans oublier les
anciens Delvaux, les frères Dardenne, Chantal Ackerman, et les
derniers d'origine marocaine Adil El Arbi et Billal Fallah.
Un cinéma qui est centré sur les deux
questions centrales pour comprendre la période : l'état de la
classe ouvrière et la décomposition capitaliste (et de l'être
humain). Les films belge sont empreints d'une noirceur terrible, d'un
désespoir total devant la décomposition de l'être humain :
« C'est la tonalité du cinéma du plat pays, depuis vingt
ans : un paysage peuple de fantômes atroces, de crapules issues
du lumpen, de personnages sans horizon, vivant dans l'ombre (…)
Rien n'est blanc ou noir, ce qui est important c'est la rage du
personnage. (…) Cette incommunicabilité s'est retrouvée dans
l'enquête sur les terroristes de Molenbeek : les flics flamands
ont refusé de transmettre leurs renseignements aux policiers wallons
(…) rarement cinéma aura été aussi proche de la réalité
macabre d'une société. Depuis vingt ans l'humour noir camoufle à
peine le constat amer. A la maison de la radio à Bruxelles, une
porte blindée sépare les émissions en français et les émissions
en flamant ».