de Fausto
Bucci et Rossano Quiriconi
en
collaboration avec Claudio Carboncini
La collection
est dédiée à notre amie Virginia Gervasini (1915 – 1993) : petit hommage à son
long engagement dans la révolution espagnole, dans la résistance française, et
en Sicile après la seconde guerre mondiale – à Portella delle Ginestre et à
Palerme –, pour un monde plus libre et plus juste.
La Ginestra
– Comitato pro ex Ilva
Follonica 1997
Préambule
Le premier qui
parla longuement de Mario De Leone fut, en 1974, l'un de ses vieux amis, le
docteur Berardino Fienga, dans sa maison de Naples, tapissée de livres, de
journaux et de chemises contenant des notes et des coupures. Répondant à nos
demandes, le vieux médecin évoqua les années les plus importantes de sa vie
généreuse et aventureuse, son non à la première guerre mondiale, "les deux
années rouges" et le fascisme, l'exil à Marseille, l'épopée espagnole,
Saint-Domingue et le Mexique, et, en même temps, les vies et les espérances,
l'engagement et les rêves, de Gennaro Avolio et de Mario De Leone, d'Armido
Abbate et d'Enrico Russo, de "Pacifico" et de Fernando De Rosa, de
"Fosco" et de Berneri, de Duilio Balduini et de Rosa Winkler, de
"Nathan" et de Barbieri.
Quelques
semaines après, le docteur nous faisait parvenir les photocopies de sa
correspondance avec De Leone en France et celles relatives au
« "Projet" pour la création des "groupes" ouvriers
d'action révolutionnaire », rédigé à Barcelone le 25 octobre 1936 par
Enrico Russo et ses camarades(1). Deux années plus tard, à Paris, Piero Corradi
nous remettait trois plis contenant les lettres écrites par Bordiga à
Michelangelo Pappalardi et à Bruno Bibbi en 1925-26, celles envoyées, en
1926-27, par Karl et Hedda Korsch aux "Groupes d'avant-garde
communiste"(2) et celles que De Leone avait adressées, du 4 septembre au
1° novembre 1936, à Korsch et à la
C.E. de la "Fraction italienne de la Gauche communiste"(3).
Les souvenirs,
les papiers et les conseils, du docteur Fienga nous ont aidés, ainsi que
d'autres billets et missives retrouvés en France, à tracer le contour d'une des
périodes les plus difficiles parmi les vicissitudes humaines qu'a connues De
Leone, à apprécier sa capacité à sourire des revers (« … Nous sommes allés
à l’encontre des commandements du Seigneur et nous avons été punis… »), et
à redécouvrir sa veine poétique qui affleure sans cesse, sa fidélité aux amis,
son amour pour la vie :
« Le trône
vacille… Mais dehors, le soleil léger inonde les rues. Je repense à Faust. Et
je donnerais moi aussi mon âme au diable pour vivre. Jamais la vie ne m'est
apparue aussi belle »..
La manière
délibérée avec laquelle De Leone se laissa glisser dans la révolution espagnole,
sa capacité à "lire" ces événements extraordinaires, uniques, sans se
laisser emprisonner par un modèle qui dépendait et découlait d'un parti central
et hypertrophique, ressortent de ses articles et de ses lettres à Corradi(4),
lesquelles nous ont fourni l'occasion non seulement de reparcourir ses
positions sur la guerre civile, mais aussi de revisiter – dans une simple
chronique – la polémique déchirante que la question espagnole provoqua dans la
fraction bordiguiste.
Et de
recomposer, patiemment, les existences de quelques "oubliés",
marquées par une pauvreté matérielle harcelante (et de longues persécutions),
mais riches d'idéaux et d'enseignements civiques : de Mario Bramati, tombé en
combattant pour la libération de Paris, après d'infinies tribulations (les
féroces agressions fascistes subies à Monza, la faim à Ivry, l'internement à
Barcarès et à Saint-Cyprien…), au juif Feingold ("Michel"), anéanti
dans un camp d'extermination nazi, d'Emilio Lionello, qui après un long séjour
dans les camps staliniens espagnols passa dans les camps français de
Saint-Cyprien et de Peaux pour finir ensuite dans les camps polonais, à Gildo
Belfiore, blessé à Huesca, enfermé au Vernet et déporté en Allemagne, et les
autres militants de la
Colonne Lénine qui, à Monte Aragón et Estrecho Quinto,
apportèrent leur contribution à la lutte que les travailleurs espagnols
menaient avec un grand courage contre les rebelles.
Sans en négliger d'autres, non moins
tourmentées : celles d'Emilia Buonacosa, de Celso Persici, de Duilio Romanelli
et d'Edoardo Magnelli, qui restèrent fidèles, en France, en Belgique et en
Espagne, dans les prisons et dans les îles de relégation, aux idéaux qu'ils
avaient embrassés dans leur jeunesse.
Des années
napolitaines à l'exil en Russie
Mario De Leone
naquit à Naples le 2 juillet 1889 dans une famille de la petite bourgeoisie
considérée comme agitée : le père, Tommaso, est un professeur qui travaille
pour les chemins de fer de l'État, la mère Giovanna Prodromo, fait la ménagère.
Mario fréquente les écoles techniques dans la capitale de la Campanie, et il obtient
le diplôme de comptable, puis il est engagé dans la Société napolitaine du
gaz. Il cultive cependant une vocation littéraire et le premier juillet 1914,
une de ses poésies ("Fornication d'automobiles") trouve place dans
"Lacerba", une importante revue florentine : « Collision
involontaire, / fornication enragée / de deux automobiles – volonté, / étreinte
de deux guerriers / hardis du mouvement, / syncope de deux cœurs – moteurs, /
effusion de sang – essence. / Stagnation du va-et-vient, / étang immobile de
curiosité, / plaintes. Plaintes de blessés. »
En 1915, un
autre de ses poèmes lyriques, "L'équipage", paraît dans l'"Écho
de la culture", un périodique napolitain dirigé par Francesco Grieco :
« Le long de la plage / dans la plus obscène des gargotes / chaque fois je
vous retrouve / vieil équipage aviné. / Vous avez des visages joyeux et hâlés /
patinés de couleur brunâtre/ la salinité, la canicule / vous ont tellement
tannés. / Que vais-je faire de mon visage / blême, fragile, où la pâleur /
délaye toutes ses langueurs? / Que vais-je faire de ce visage?… ».
Durant les mêmes
années, il donne à l'impression un ou deux volumes de vers, mais l'engagement
politique, qui l'amènera au Parti socialiste et au mouvement syndical, le
détourne de la poésie(1). La figure de référence des socialistes napolitains,
qui refusent le réformisme et l'entente avec la franc-maçonnerie, est, en cette
fin de la "belle époque"(*),
quelqu'un qui a le même âge que De Leone, l'ingénieur Amadeo Bordiga, qui,
depuis 1912, a fait son apparition sur la scène nationale. C'est Bordiga qui
s'est opposé, dans la
Fédération de la Jeunesse Socialiste,
au "culturisme" de Tasca au nom de la lutte de classe et qui a
réclamé l'expulsion du P.S.I. de Podrecca, de même que celle de Bissolati;
c'est Bordiga qui combat les dégénérescences "blocardes"(**), et qui développe, entre les
travailleurs de la Campanie,
une action de prosélytisme « avec un esprit de classe rigide, une base
organisationnelle ouvrière et syndicale, une finalité révolutionnaire, une
méthode intransigeante, et, si possible le boycottage du parlement ».
C'est Bordiga,
avec Gerardo Turi, qui se prononce contre l'intervention avec un non ferme qui
est partagé par De Leone(2); un non à ceux qui rêvent de champs de bataille, en
se grisant pour Trente et pour Trieste, un non aux hésitations du P.S.I., qui
se résolvent dans le mot d'ordre équivoque : « Ni adhérer, ni
saboter".
La guerre, qui
étouffe les libertés (les feuilles anarchistes sont supprimées, les feuilles
socialistes sont caviardées, la distribution de l'"Avanti!" est
interdite dans 12 provinces) et qui impose de très lourds sacrifices,
n'alimente pas seulement les germes réactionnaires qui déboucheront dans le
fascisme, mais elle détermine aussi – au travers des souffrances inhumaines des
tranchées – la radicalisation des révolutionnaires. Et à Naples, quand à la fin
de 1918 – le conflit étant terminé – on revient en quelque sorte à la
"normalité", beaucoup de survivants reprennent immédiatement leur
poste de lutte, en s'engageant généreusement dans le parti socialiste et dans
les fédérations de métier. « Des hommes comme Angelo Russo – a écrit
Colapietra – chez les cheminots, Borracetti et Mutarelli chez les traminots, De
Leone chez les employés des services publics, Troiano chez les employés de la
poste et du télégraphe, Cipriani chez les ouvriers de la sidérurgie, Ricciotti
et Enrico Russo chez les métallurgistes, militaient tous dans les rangs du
socialisme de gauche, et ce n'est qu'au cours de la guerre qu'ils se sont
affirmés avec une tendance nettement intransigeante et révolutionnaire ».
Un signe
important de cette renaissance est la parution dans la capitale de la Campanie, le 22 décembre
1918, d'un nouveau périodique socialiste – dirigé par Bordiga – qui s'appelle
"Il soviet" et qui accueille le 19 janvier 1919 un article
attribuable à De Leone, "Le prêt aux employés", signé Mario :
« … nous écrivons pour tirer la conséquence logique que la classe des
employés doit savoir lutter si elle veut vaincre, qu'elle doit savoir
s'organiser si elle veut conquérir la place qui lui revient dans le nouvel
ordre social… Vous avez entre vos mains l'arme du raisonnement qui persuade,
vous avez avec vos organisations l'arme pour battre le monstre. Arrêtez une
bonne fois pour toutes de mendier l'aumône! Celui qui travaille doit avoir
conscience de son état… ».
Devenu membre de
la Commission
exécutive de la Bourse
du Travail de Naples, De Leone est candidat sur la liste socialiste qui, le 13
juillet 1919, obtient aux élections de l'exécutif de la B.d.T., plus de 5 000 voix,
contre à peine 436 pour les socialistes "blocards". Michele Pagliuca,
premier des élus, reçoit 5 687 suffrages, et De Leone, qui arrive à la deuxième
place, 5 643. Une semaine plus tard, les 20 et 21 juillet, les ouvriers
napolitains (conduits par la
Bourse confédérale du Travail, dont un représentant a une
place permanente au siège de la ruelle Donnaregina) participent à la grève
générale internationale en faveur des soviets. Parmi les orateurs officiels
(Bordiga, Fobert et Borracetti à Naples, Sanna et Cecchi à Scafati, Schiavone à
Nocera), on trouve aussi De Leone, qui parle avec Vellinati et Reale à Barra et
Ponticelli, après qu'il a contesté, dans une lettre envoyée le 20 à " Il
soviet", la prise de position de la Fédération des services publics contre la
cessation du travail : « Cher Soviet, les journaux bourgeois de la ville
ont publié, avec une très grande abondance de caractères gras, une motion
approuvée par le Conseil de la fédération des services publics, qui refusait
l'adhésion à la grève de manifestation des 20 et 21 juillet, sous le prétexte
spécieux que les déclarations de Nitti avaient éliminé les causes de la
protestation prolétarienne… Je conteste la légitimité de cette délibération,
non seulement du fait du manque de sincérité qui la forme, mais aussi du fait
que la convocation du conseil fédéral n'a pas été notifiée à plusieurs
dirigeants d'associations, parmi lesquelles l'association des gaziers,
l'association des employés du gaz et l'association des électriciens de Torre
Annunziata. Monsieur Forni, qui est démissionnaire, devrait arrêter avec ce
système qui consiste à faire et à défaire capricieusement, sans respect de la
volonté et du droit d'autrui ». Le 31 juillet, De Leone nie sèchement,
dans la même feuille, appartenir à la franc-maçonnerie : « On me rapporte
la rumeur qui circule, à savoir que je serais entré dans le parti socialiste
tout en étant un franc-maçon régulier. Je démens cette affirmation parce
qu'elle ne correspond pas à la vérité »(3).
Il est plutôt
proche de Bordiga – il est, comme lui, abstentionniste – et il soutient en plus
d'une occasion "Il soviet" en recueillant (septembre 1919) 75,50
lires de souscriptions et en versant (août 1920) une autre contribution, avec
Rodolfo Fobert, Francesco Misiano et Enrico Russo. « Il a été – rappellera
"Prometeo" – à la gauche du parti socialiste, il lutta inlassablement
contre le réformisme et il en pointa toutes les déviations opportunistes. En
1920, il participa à la formation de la fraction abstentionniste qui
[représentait] la saine réaction du prolétariat révolutionnaire au marasme
collaborationniste du P.S…. »(4). En novembre 1920, deux mois avant le
Congrès de Livourne, il est, au siège socialiste de Borgo S. Antonio Abate,
l'un des auteurs de la motion communiste qui s'identifie largement aux
positions de la fraction bordiguiste. « Après 30 jours de discussions
serrées, les socialistes napolitains – a rappelé Gaetano Marino – votèrent en
majorité pour la motion de gauche… ».
De Leone adhéra
au Parti Communiste d'Italie en janvier 1921, avec le même Marino, le
professeur Ludovico Tarsia in Curia et le journaliste Ugo Arcuno(5), en un
moment très tourmenté par l'intensification préoccupante, dans la province
napolitaine, des violences fascistes. Tombèrent sous les coups des fascistes
armés, l'ouvrier de 54 ans Diodato Bertone, assassiné le 25 février à Torre
Annunziata, le jeune employé communiste Giuseppe Spina, blessé à mort à Naples
le 1° mai, et le travailleur Gaetano Caruso, tué le 18 mai à San Giorgio a Cremano. Le même mois,
les "noirs" dévastèrent le cercle communiste de la via Castellana à
Fuorigrotta et le 22 juillet, après les événements de Sarzana(*), ils tentèrent des "représailles"
contre l'imprimerie Cozzolino, "coupable" d'imprimer "Il
soviet". Enfin, après d'autres bastonnades et purges, les
"esclavagistes" commencèrent à agresser jusqu'aux catholiques.
C'est dans ce
contexte que le II° Congrès provincial du PCd'I se tient à Naples, en janvier
1922. Le rapporteur principal est Bordiga qui traite largement des problèmes
internationaux (et qui polémique, en matière de tactique, avec Radek); il ne
parle que vers la conclusion de la question syndicale et « du réseau dense
de groupes communistes infiltrés dans les syndicats ». Après lui, Giovanni
Sanna et Ludovico Tarsia prennent la
parole, puis, les congressistes, après avoir adressé un vibrant salut à Sacco
et Vanzetti, élisent les membres du nouveau Comité provincial, qui sont
Carrese, Estrano, Ciampi, Natangelo, Salvi, Vetere, Luigi Carrabba, Angelo
Russo et De Leone, « propagandiste actif » et qui fréquente – selon
la préfecture napolitaine – « toutes les réunions secrètes »
communistes. « Les trois derniers camarades – rapporte le journal de
Bordiga – constituèrent l'exécutif ».
De Leone ne reste que quelques semaines dans
l'exécutif parce que, en mars, il part pour l'Autriche et l'Allemagne, avec la
mission d'acheter pour la firme "Leonardo da Vinci" une certaine
quantité d'accessoires automobiles. Ses compagnons de voyage sont
l'ex-capitaine maritime Alfredo Morelli, V. Feola et Ferruccio Virgili, un
curieux personnage possédant des notions de mécanique, qui prétend être
ingénieur et avoir élaboré un projet aéronautique révolutionnaire. Le groupe,
après s'être arrêté à Vienne, rejoint Berlin où De Leone, Virgili et Feola
(Morelli restera au contraire pour quelque temps en Allemagne) obtiennent de
l'Ambassade des soviets les visas d'entrée en Russie. En mai, tous les trois sont
à Moscou où Virgili, qui a été recommandé par Bordiga, cherchera vainement
pendant plus de dix ans à donner corps à son invention avec les moyens que les
Russes lui ont fournis (6).
Quant à De
Leone, il s'établit dans un village des alentours de la capitale où, le 22
juin, on lui confie la gestion d'une coopérative agricole et de consommation.
Passé "mécani-quement" – comme tous les communistes étrangers – au
parti bolchevick (PCR), il est membre à partir de 1923 de la section italienne
du Club international des émigrés. Tout ceci se passe sans que rien ne filtre
sur son compte jusqu'à ce que, le 10 juin 1925, Tommaso De Leone demande au
Ministère de l'Intérieur que soit délivré à son fils un passeport pour un
voyage Moscou-Naples-Moscou.
Quinze jours plus
tard, Mario rencontre dans la capitale soviétique l'attaché commercial italien
afin d'avoir les adresses des industries principales qui produisent dans notre
péninsule les outillages agricoles dont il a besoin pour implanter une
fromagerie dans le "sovkhoze" expérimental de 170 hectares qu'il
administre au nom de la "Coopérative des émigrés italiens". Il ne
cache pas à son interlocuteur qu'il est inscrit au PCd'I et qu'il s'occupe de
l'organisation "économique" des réfugiés, ainsi que ce dernier se
dépêche d'en référer à l'Ambassade fasciste.
Malgré cela, la
validation de son passeport lui est accordée, grâce également au déchiffrage
erroné d'un télégramme avec lequel Rome en interdisait le renouvellement.
L'erreur porte sur un échange de lettres et de télégrammes transmis par
téléphone entre le Ministère de l'Intérieur, la Préfecture de Naples,
l'Ambassade en U.R.S.S. et le Ministère des Affaires étrangères qui, le 14 août
1925, suggère de le refouler au cas où il se présenterait à la frontière
italienne : « Malgré avis contraire exprimé par Préfecture Naples, a été
donné instruction, en date 23 juillet, à Ambassade à Moscou, refuser nouveau
passeport communiste italien De Leone Mario, qui avait intention de retourner
de Russie dans le Royaume. Par erreur déchiffrage télégramme, Ambassade Moscou
ayant renouvelé passeport, je prie V.E. vouloir donner instructions autorités
frontalières refuser entrée De Leone… Pour le ministre Paolucci De
Calboli ».
Mais le ministre
de l'Intérieur n'est pas du même avis : on ne peut pas empêcher un citoyen
italien de faire retour dans son pays; à condition qu'on lui retire le document
à sa rentrée et qu'on le surveille de manière adéquate. Pendant ce temps, des
ordres péremptoires sont donnés afin qu'il soit bloqué à la frontière.
Pendant qu'on
discute de cette question à Rome et à Naples, les communistes italiens qui
vivent à Moscou apprennent, en juin 1925 (sept mois avant le III° Congrès du
PCd'I à Lyon), par un communiqué, que De Leone partage certainement le
plaidoyer du Comité d'entente, constitué en Italie par certains représentants
de la gauche (Damen, Repossi, Perrone, etc.). Selon les exilés, « la
constitution éventuelle d'une fraction pour la préparation du congrès est
pleinement justifiée… ». Le groupe « déplore que les organes centraux
du parti développent leur campagne contre le Comité d'entente, considéré par
eux comme une fraction, avec des méthodes indignes d'insinuations larvées qui
empêchent toute sérénité de jugement pour la masse du parti », en diffusant
les doutes les plus ignominieux envers les camarades qui l'ont créé à seule fin
de renforcer « les capacités révolutionnaires du parti et de
l’Internationale ».
Le 24 août, De
Leone parvient au poste frontière de Tarvisio où il est fouillé
"infructueusement"; puis, après avoir subi la confiscation de son
passeport, il poursuit sa route vers Milan et il arrive le 2 septembre à
Naples. Le 14 il sollicite la restitution de son document pour retourner en
Russie et le 18 il épouse Giuseppina Minieri (ou Miniero). Le même jour, il est
fiché par la Préfecture
napolitaine. Sur le mod. A – destiné au Ministère de l'Intérieur –, il est noté
qu'il mesure 1,65 m., qu'il porte des lunettes, qu'il a les cheveux châtains et
le front haut. Ex-employé privé, il demeure en ce moment – récite le
"profil" – à la via D. Sorano chez ses parents, mais il est domicilié
en Russie; il est capable de faire des conférences et il en a fait parfois.
Ayant récupéré son passeport, De Leone quitte Naples le 29 octobre avec sa
femme et le 11 novembre, après avoir fait étape à Milan, il traverse la
frontière à Tarvisio, en direction de Moscou.
L'année 1926
commence avec la défaite de Bordiga et de la gauche au III° Congrès du PCd'I à
Lyon. En février, l'ingénieur napolitain prononce à Moscou un "puissant"
discours à la 6° session du Comité exécutif élargi du Komintern et il demande à
Staline, qui lui donne des réponses déconcertantes, ce qu'il adviendra de
l'U.R.S.S. si la révolution ne se produit pas en Occident. Dans les mois
suivants, la lutte entre Staline et Trotski se termine en faveur du premier et
le "prophète désarmé", ayant expérimenté les méthodes de bandit de
l'appareil, accomplit un repliement qui ne le sauve ni de la défaite ni de
l'exclusion du PCR qui s'est ensuivie. L'on ne sait rien de l'action politique
de De Leone durant ces mois-là : on ignore si, en février, il a écouté le
rapport fait par Bordiga sur la situation italienne, dans la chambre de Verdaro
au "Lux" de Moscou(7), et sous quelle forme il aurait participé à la
bataille des opposants. Le seul document qui le concerne au cours de cette
année, c'est une lettre (du 3 août 1926) du Commissariat pour la province de
Naples qui confirme sa présence en Russie. Ensuite, les sources de la police
enregistrent que, dans les premiers mois de 1927, il s'est adressé à
l'Ambassade italienne pour obtenir la prorogation de son passeport et que le 2
mai le Haut Commissariat de Naples s'est prononcé contre le renouvellement
parce que son retour au pays pourrait cacher « des buts inavouables de
propagande communiste ».
Six mois plus
tard, le 5 novembre 1927, le communiste napolitain assiste, avec une délégation
du PCd'I aux célébrations du X° anniversaire de la Révolution d'Octobre.
L'atmosphère politique est lourde et les opposants à Staline, qui résistent
encore (il s'agit en majorité de trotskistes russes), sont déportés dans
l'enfer sibérien où ils rejoignent beaucoup de leurs anciennes victimes
(libertaires, mencheviks, socialistes révolutionnaires…). Contrairement aux
bordiguistes, réfugiés en France et en Belgique qui sont depuis longtemps
exclus (comme Perrone, Ludovico Rossi, les frères Pierleoni) ou démissionnaires
(comme Pappalardi) du PCd'I, De Leone est encore inscrit au PCR et il fait
partie, à Moscou, du groupe nombreux et batailleur des "gauches" qui
comprend, entre autres, l'avocat di Cecina, Ersilio Ambrogi, Plinio Trovatelli,
le professeur Virgilio Verdaro, Arnaldo Silva et Pio Pizzirani (8).
La position du
groupe entier est de plus en plus délicate et difficile : l'intolérance des
staliniens ne fait que croître (dans son autobiographie, Trotski, exclu du
parti le 14 novembre 1927, parlera, en se référant à cette période, de
« terreur monstrueuse ») et les issues sont peu nombreuses,
compromettantes et risquées. Précipités, pour échapper au fascisme, dans un
univers encore plus sombre et redoutable, profondément déçus par le
"paradis soviétique", de nombreux dissidents commencent à caresser
l'idée de s'"évader" de cette réalité où l'on peut passer soudainement
de la condition de leader à celui de relégué, comme c'est arrivé à Trotski,
interné à Alma Ata en janvier 1928, ou de l'état de réfugié à celui de
prisonnier (c'est ce qui arrivera aux anarchistes Alfonso Pertini et Francesco
Ghezzi). À quelques semaines du transfert forcé de Trotski en Asie, De Leone,
conversant avec une personne de confiance de l'Ambassade fasciste, laisse
transparaître, en même temps que la nostalgie de ses parents et de sa ville
natale, « son découragement en raison de sa vie de réfugié politique »
et l'« effondrement » de ses illusions idéologiques en raison de la
différence relevée entre « théorie et pratique ». Pour « le
remettre sur la bonne voie », le siège diplomatique suggère au Ministère
de l'Intérieur de lui renouveler son passeport, ainsi que celui de sa femme,
mais en ne le lui remettant qu'au moment du retour au pays qui devrait avoir
lieu dans l'été de 1928.
La décision du
bordiguiste napolitain de reparaître en Occident semble cependant contredite
par l'intensification de son engagement politique et par l'acceptation de la
tâche, qui lui est proposée, en avril 1929, par la présidence de la section
italienne du Club international des émigrés, de préparer une revue d'articles
de la presse antifasciste internationale.
À partir de
janvier 1929, la section est dirigée par le communiste originaire de Massa(*), Robusto Biancani, dont la nomination
a été imposée par les sommets du Club (9).De Leone est secrétaire du Comité
directeur, dont sont membres le bordiguiste Plinio Trovatelli, Andrea Marabini
et Romeo Vacchi. Les discussions dans la section sont généralement d'une
« âpreté particulière » et les dissidents de gauche ont décidé,
« pour protester contre le système agressif de la majorité » qui
empêche la libre expression, de prendre une « position de passivité
absolue, dans les discussions ou lors des votes, même s'ils assistent aux
assemblées du groupe ». En mai 1929, ils participent en silence aux
réunions où sont discutés les problèmes de l'économie agricole de l'URSS, les
résultats de la 16° Conférence du PCR, la situation du PCd'I et la lutte contre
les opportunistes, en se refusant, à la fin, à voter et à s'abstenir. C'est un
mutisme qui irrite les staliniens dont les accusations – dans un contexte déjà
"empoisonné" par les exclusions très récentes de Verdaro, d'Ambrogi
et de Silva (10) – d'avoir « une attitude passive, en ne parlant pas et en
ne votant pas », font exploser De Leone : « Nous ne sommes pas des
imbéciles, et puisque nous ne pouvons pas manifester nos idées, nous préférons
vous écouter tout simplement ». S'ensuit un blâme de la majorité auquel De
Leone et Trovatelli repiquent par leurs démissions, qui sont cependant
refusées.
À la fin de
juin, l'opposant napolitain confirme à l'Ambassade italienne, où il est allé
pour faire inscrire au registre de l'état civil de sa ville la naissance de son
fils Ovidio, son projet de rentrer au pays. Les diplomates lui garantissent une
feuille de route valable pour dix jours, et, après quelques objections, il
accepte et il les informe qu'il quittera la Russie d'ici quelques mois. Considérant son
retour en Italie imminent, le Haut Commissariat de Naples réclame, le 30 juin
1929, une vigilance plus attentive aux frontières afin de l'intercepter et de
le fouiller. Le 29 août, les diplomates fascistes à Moscou, après avoir validé
pour douze mois les passeports de De Leone et de sa femme Giuseppina
(« avec la Suisse
pour destination »), rapportent à leurs supérieurs que l'exilé a
l'intention d'ouvrir un commerce d'agrumes à Genève. « Quand on lui a
demandé pourquoi il ne retournait pas au pays, il s'est retranché derrière
l'excuse selon laquelle il craint des ennuis à cause de son credo
politique ». L'Ambassade soupçonne au contraire que l'initiative
commerciale puisse masquer des activités subversives. Le 7 septembre, le
Ministère de l'Intérieur avertit le Consulat italien à Genève de l'arrivée
prochaine de De Leone, et il lui ordonne de le surveiller de près. L'homme –
souligne-t-on – est dangereux, ainsi que le montrent les rapports qu'il a avec
Marabini, Caroti, Misiano, Ambrogi, Germanetto et Togliatti, et sa venue dans
le pays helvétique semble très suspecte « si l'on tient compte que, en
même temps, un de ses pays, avec lequel il est lié par des rapports d’amitié et
des rapports politiques », Alfredo Morelli, a demandé à quitter
l'U.R.S.S.. « La coïncidence de leur départ de Russie avec l'excuse d’être
fatigués et déçus, l'entrée au Royaume de l'un et la présence en Suisse de
l'autre, c'est-à-dire de De Leone, plus connu comme communiste, donne raison à
ce Ministère de soupçonner qu'ils aient une mission à accomplir de la part du
parti… ».
Treize jours
plus tard, une fonctionnaire russe, la Kroustalova, dissout de son propre chef à Moscou
le Comité directeur de la section italienne du Club, en motivant la mesure par
l'hétérogénéité de la composition de l'organisme (deux membres proviennent de
la gauche, deux sont des "conciliateurs" et un seul est
"bolchevik"), l'inactivité des deux derniers mois et la présence, à
sa direction, de De Leone et de Trovatelli, qui ont été blâmés en mai : le
départ des deux bordiguistes du Comité est un autre pas vers la marginalisation
totale de la gauche (11). Entre-temps, désormais convaincus que De Leone est
arrivé à Genève, les fascistes lâchent dans la ville leurs espions, parmi
lesquels l'un rapporte le 17 octobre (mais c'est une information inventée pour
des raisons pécuniaires) l'avoir vu à la Pension de la Plage et au marché des fruits et légumes. Un
autre type raconte que l'exilé napolitain aurait fait la demande à la police
des étrangers de Berne, par l'intermédiaire de la Croix Rouge, d'un
permis de séjour provisoire à Genève, pour des raisons de santé, pour lui et
pour sa femme, et que l'autorisation n'aurait pas été accordée. Mais à Genève,
ajoute l'espion, De Leone n'est pas connu, et les communistes
"officiels" de la rue du Porron ne savent rien de son arrivée
prochaine. Ce n'est que le 5 novembre 1929 que le réfugié politique de la Campanie quitte la Russie. Accompagné
de sa femme Giuseppina, de ses deux fils tout petits et de Morelli, il traverse
la Pologne,
passe à Berlin et s'arrête en Suisse, tandis que se répand à Moscou la rumeur
de son exclusion – et de celle de Trovatelli – du PCR (12).
De la Suisse à Marseille
Les routes de
Morelli et de De Leone se séparent dans la République helvétique.
Le premier reste pour quelque temps à Zurich, le second est signalé à Lucerne et à Bâle. Puis, le 23
décembre 1929, le Ministère de l'Intérieur renouvelle aux préfets
« recommandation vigilance attentive frontière et recherches
Royaume » pour qu'ils retrouvent le « dangereux communiste De Leone
Mario dont on a perdu la trace »,
après l'insertion de sa fiche, le 23 octobre, dans le Bulletin des recherches.
L'information selon laquelle il aurait quitté Bâle le 28 décembre pour aller
s'établir à Mulhouse avec l'aide de Mario Valerio, un antifasciste de Cesena
considéré comme "dangereux" (1), est probablement infondée puisque le
31 décembre De Leone exprime depuis Genève son regret à Ambrogi « parce
que ton dévouement, ta fidélité et tes capacités mériteraient un meilleur
traitement, surtout du point de vue moral. Si tu parviens à venir ici, tu peux
compter sur l'assistance et sur l'aide, y compris financière, aussi bien de moi
que de Morelli, dans les limites de nos possibilités. Mais je reste assez
sceptique sur la possibilité qu'il te soit permis de t'en aller : l'exemple de
Verdaro peut être instructif, bien que qu'il ne corresponde pas exactement à
ton cas ».
Afin de
faciliter le transfert de son ami à Genève, De Leone a fixé un rendez-vous à un
député socialiste « qui pourra me préciser les conditions et m'informer
des pratiques qui faudra mettre œuvre… Je ne pense pas que tu fasses des
réserves, même s'il s'agit d'un socialiste; si tu penses que l'intérêt d'un socialiste
t'est politiquement préjudiciable (je ne le pense pas), écris-moi immédiatement
et je m'abstiendrai de lui parler ». Dans ce dernier cas, il pourrait être
fait appel à un avocat, bien que cela comporte des dépenses considérables.
Morelli s'intéressera aussi à la question, puisqu'en quelques jours il a obtenu
la "carte d'identité"(*) à
Annemasse où il a acheté un magasin d'alimentation. N'est pas non plus à
négliger la possibilité que l'Italie réclame, après qu'Ambrogi se sera installé
en Suisse ou en France, son extradition pour des crimes qui, en 1921 à Cecina,
entraînèrent la mort du fasciste Leoni : « … il me paraît nécessaire – je
ne sais pas si cela te sera demandé – que tu te procures une copie du jugement,
peut-être un extrait, ou même des coupures de journaux de l'époque afin de
démontrer le caractère politique des événements dont tu fus le protagoniste –
ou bien le spectateur, comme il te plaira ».
En ce qui le
concerne, il attend que le Gouvernement confédéral s'exprime sur sa demande de
séjour en Suisse. Il a reçu – ajoute-t-il – ses bagages en provenance de Russie
et il a eu des nouvelles d'Ottorino Perrone qui « … est pressé de toutes
parts pour qu'il précise les objectifs et les tâches de la fraction, au moyen
d'un document politique; mais il est rétif, du fait de son sens élevé de la
responsabilité. Responsabilité qui est plus grave si l'on pense que les
camarades de la fraction sont des prolétaires plus riches d'expériences
politiques que d'histoire, et qu'ils ont – sans exception – sur la nature de
l'État russe une conception qui ne concorde pas avec la nôtre. Si ce document,
qui a suscité le scandale de janvier dernier et votre exclusion, pouvait être
connu des camarades de la fraction, il mettrait beaucoup de choses en place et
il serait utile à tous… ». De Leone voudrait avoir des informations sur
Rousakov et Verdaro : « Que dit-on de Verdaro? Alfredo m'a dit qu'il
s'était occupé de Voli. Cela peut aussi signifier qu'il ne partira plus ».
Et enfin : « Remets les timbres de cette enveloppe à Verdaro. J'enverrai
les autres ensuite pour compléter la série… Panait Istrati a lui aussi publié
deux livres, que je crois anti-soviétiques; mais je ne les ai pas achetés pour
ne pas dépenser d'argent… »(2).
Le 4 janvier
1930, les autorités genevoises confirment au préfet de police de Naples que De
Leone est domicilié dans leur ville, puis le Consulat italien de Zurich
télégraphie qu'il a été vu, du 8 au 10 janvier, à Lucerne avec Sergio Sassi et
d'autres révolutionnaires, et ensuite la Division de la police politique signale sa
présence, le 15 mars 1930, à Annemasse, la localité de la Haute-Savoie où il
s'établit en mars 1931; il s'aperçoit immédiatement que cette ville grouille
d'indicateurs fascistes dont le travail est, assez fréquemment, facilité par
des légèretés inconsidérées de certains émigrés : « À ce propos, on doit
relever la désinvolture de …, qui s'était entouré d'espions auxquels il
accordait une grande confiance en les traitant d'amis, et en les tutoyant, etc.
Outre l'incident Piramo, il avait engagé un commis, un certain Medici de Milan,
qui aurait fait expulser ou arrêter une douzaine de camarades de la Fraction à Bruxelles
(même Ottorino [Perrone] aurait été expulsé si le syndicat dans lequel il
travaillait n'était pas intervenu)…, un certain Vittorelli, qui s'est ensuite
révélé être un agent du Consulat de Chambéry. Il avait toujours dans les jambes
un certain Virzi, un Sicilien, sur lequel j'ai également de graves soupçons. Et
un autre encore, Colasanti de Rome, véritable espèce de fasciste armé, chômeur
permanent, intime du président de la Chambre de Commerce.
Guerra, ex-chauffeur du consul italien de Genève… Moi aussi je connais ces
types et je suis obligé d'avoir avec certains d'inévitables rapports à cause du
commerce, mais je les traite avec froideur et défiance… ». Quant à sa
correspondance avec Perrone, elle est – dit-il – discontinue. Pourtant, la Fraction s'efforce
d'avoir des relations plus régulières avec lui pour éviter qu'il reste isolé,
et peu de jours après, "Bianco" (Bruno Bibbi) lui fait savoir qu'il
sera relié à la Fédération
de Lyon, de laquelle il recevra la collection de "Prometeo".
« Donc, cette chose – commente De Leone – qui te tenait tant à cœur, et
aussi à moi, c'est-à-dire ma régularisation, est arrangée ». Puis, après
avoir de nouveau fait allusion aux « types (et ils ne le sont pas tous)
qui font ici de l'espionnage », l'exilé napolitain demande l'envoi des
textes politiques de la
Fraction et des trotskistes pour pouvoir se former « une
opinion qui ne soit pas complètement erronée ». « Ce serait pour moi
d'un très grand intérêt d'avoir des documents qui expriment la pensée de
l'opposition russe sur les questions générales (non pas tant sur les querelles
des groupes qui, à mon avis, ont une importance secondaire), pour me rendre
compte s'il existe des différences avec notre Fraction, et quelle importance
elles ont. Par exemple, les divergences sur le Projet de résolution pour la
conférence européenne sont synthétisées par la différence on ne peut plus
terrible : que l'opposition russe veut simplement "redresser"
l'Internationale (et cela te paraît-il peu de chose?) en le remettant sur la
voie de Lénine, tandis que nous, nous voulons réexaminer toutes les
résolutions, y compris celles des premiers congrès, etc. Mais crois-tu vraiment
qu'une chose exclue l'autre? "Redresser" les partis, cela ne
signifierait-il pas une révision totale de tout le passé afin de comprendre ce
qui était bon et ce qui était faux, d'éprouver les décisions passées à la
lumière des nouvelles expériences? ». Le 16 avril, il obtient du Consulat
d'Italie de Chambéry la délivrance d'un passeport valable pour un an et durant
les mêmes jours il achète à Morelli le magasin d'Ambilly-Annemasse. Le mois
suivant, il est vu parfois avec l'anarchiste Paolo Bertazzi à Genève, dans
l'établissement du communiste Ruffinoni, et les"noirs", immédiatement
informés, décident que, en cas de retour dans son pays, il sera arrêté sans
faute.
Le 1° novembre
1931, De Leone fait le point, dans une lettre à Ambrogi, sur son activité
d'épicier : « Je suis ici depuis le mois de mars, et j'avais perdu tout
espoir de rester à Genève. Avec le commerce, mon espoir a été comblé, mais
c'est un travail exténuant, qui est non seulement ininterrompu mais qui est
même accentué les jours de fêtes… En matière d'argent ça va bien et c'est allé
bien, après le départ, pour tous et l'on réussira à économiser quelques sous.
Mais je crois que je n'aurai pas la patience pour longtemps encore, et je pense
déjà à l'éventualité de tout liquider au printemps et d'aller faire un autre
travail, à Nice ou dans quelque centre côtier des colonies françaises
d'Afrique ». L'activité, stressante, l'éloigne de tout : « Je n'ai
pas non plus écrit à Otto, qui ne sait même pas où je me trouve… ». Et
ensuite : « Je suis dans l'ignorance absolue de tout (je lis, quand
je peux, l'organe français) : j'ai appris seulement l'exclusion d'Amadeo
[Bordiga], mais je ne sais pas ce qu'il pense et ce qu'il fait; et l'existence
d'une opposition au CC dirigé par Leonetti… ».
Dans la boutique
(qui s'appelle : "Épicerie du Pont d'Ambilly, mercerie, laiterie,
primeurs, vins, produits d'Italie"(*)
et qui est située dans la rue de l'Hôpital à Ambilly-Annemasse), il se sert de
la collaboration d'une commise de Parme que les fascistes approchent afin
d'avoir des informations plus précises sur ce qu'il fait, car ils le
soupçonnent d'aider les "agents" communistes à franchir
clandestinement la frontière. Pendant ce temps, un de ses vieux amis, le
médecin Berardino Fienga, autrefois directeur du "Cri" et secrétaire
des communistes campaniens, auteur de quelques essais politiques et
littéraires, est arrivé à Marseille en provenance de Naples. Le 27 novembre, De
Leone lui fait savoir : « Russo, qui est à Bruxelles, m'a demandé ton
adresse par l'intermédiaire de Morelli, et je ne crois pas avoir mal fait en la
lui envoyant. Tu connais Morelli? Il a fait ses études à Naples, puis il a été
en Russie, d'où il est reparti en même temps que moi. Il est expulsé de Suisse
et de France où il avait du travail, alors qu'en Belgique il n'a pas encore
réussi à trouver d'arrangements. Qui sait si je ne viendrai pas te rejoindre à
Marseille! Je suis en effet en tractation avec une fabrique de biscuits d'ici;
je voudrais implanter un laboratoire et faire la production pour le Midi et les
colonies; le propriétaire de la fabrique voudrait que j'implante un dépôt à
Marseille et que je m'occupe de la vente dans le Midi. Cela devrait se décider
dans quelques jours… Comme le ciel de Provence me tente! ».
À Annemasse, les
fascistes lui sont encore sur le dos et un des leurs, qui est entré dans sa
boutique, raconte que « il est toujours le même et ne transige pas :
il se proclame trotskiste jusqu'à la moelle parce qu'il dit que c'est la seule
chose juste ». Énormités à part (les espions ne font pas la distinction
entre les bordiguistes et les trotskistes), De Leone traverse une période très
critique, parce que la maladie pulmonaire dont souffre sa femme Giuseppina
s'aggrave et qu'il est difficile de déterminer un lieu plus salubre où la faire
hospitaliser, pour tenter de ralentir la progression du mal, même s'il ne se
lasse pas de chercher en d'adressant à des camarades et des connaissances,
ainsi qu'il le fait le 11 janvier 1932 quand il demande à Perrone des informations
sur l'altitude, l'humidité et la température, d'une localité qui lui a été
indiquée. « L'éventualité d'un tel transfert – ajoute-t-il avec une
profonde tristesse – est plus que jamais à l'ordre du jour dans sa situation
sans issue… ». Le billet se termine
par une allusion à un autre ami napolitain, Roberto Marvasi, le vieux directeur
de l'"Étincelle", qui s'en tire avec peine : « Marvasi – qui
vivait à Naples avec une rente de 150 000 lires annuelles – vit maintenant
misérablement. J'aimerais bien pouvoir l'aider ». Il est, maintenant plus
qu'auparavant, dans l'impossibilité de soutenir comme il faudrait la Fraction, avec laquelle
il a des rapports « des plus irréguliers », et de fournir une
contribution politique à "Prometeo". Il en découle des incompréhensions
avec les camarades et c'est Ambrogi – qui est évidemment dans l'ignorance
absolue de ce qui se passe – qui le presse depuis Berlin, le 25 janvier 1932,
de mettre son intelligence et ses capacités au service de l'organisation, et
qui lui rappelle « l'engagement de solidarité que nous avions tous pris
envers Verdaro » : « Tu sais que ce que j'ai écrit à propose de toi à
la fraction, et je veux être encore convaincu que cela correspondait à la
vérité et que tu te décideras à faire profiter la fraction de tes qualités
personnelles… ». Deux jours auparavant, l'avocat di Cecina a assuré à
Verdaro, qui est sans travail à Bruxelles, qu'il aurait demandé à De Leone
« l’aide financière » qu’il s’était engagé à lui donner (4).
Deux lettres de
Perrone (5) ont une teneur qui n’est pas différente, et De Leone y répond le 10
février : « Au cours de ces derniers temps, j'ai reçu différentes lettres
de relance de Gatto [Verdaro], puis la tienne et une engueulade menaçante de
Massimo auquel j'ai donné une longue réponse claire et exhaustive, plus en
hommage à notre solide amitié que pour le fait en lui-même. J'ai fait, entre
autres, une proposition d'arrangement provisoire pour Gatto, tant que je serai
ici, et Massimo vous en informera s'il juge que cette proposition est
convenable. Tu es plus habile que moi pour faire les comptes, mais je ne sais
pas si c'est cette comptabilité que tu fais. Je sais seulement que les
conditions pénibles dans lesquelles mon modeste commerce se développe
actuellement me permettent de contribuer aux besoins de la Fraction dans une
proportion beaucoup moindre que celle qui serait, pour moi le premier,
désirable. Je te confirme l'engagement que j'ai pris avec Gatto, c'est-à-dire
que j'enverrai mensuellement 100 francs pour la Fraction et 50 francs
pour Gatto. L'envoi sera fait au début du mois, avec naturellement une marge de
quelques jours, étant donné que l'homme propose et … le client dispose.
J'expédie, cette fois, 200 francs que tu trouveras joints… Et je ne sais te
dire combien je regrette que cette affaire soit liquidée parce que, n'ayant
plus de raison de m'écrire pour me réclamer l'envoi d'argent, l'unique lien que
j'ai avec la Fraction
viendra à disparaître. L'unique, ce n'est pas exact, puisqu'il me reste celui
du journal que je reçois avec régularité. »
Huit jours plus
tard, il annonce au docteur Fienga qu'il sera à Marseille le 23, à 5 heures du
matin, et qu'il se présentera chez lui à 8 heures : « Je resterai une
paire de jours. Nous aurons ainsi le loisir de parler un peu du passé et de
l'avenir. Fais-moi retrouver un peu de ciel bleu et de chaleur, car ici, du
froid, ce n'est pas ce qui manque. ». Le 5 mars, rentré à Ambilly, il
remercie son ami de « l'accueil cordial et affectueux que tu m'as réservé.
Ces "purpetielli affocati" et ces "vuoccoli arraggiati"(*) ne seront pas facilement
oubliés! ». Passant ensuite en revue les affaires qu'ils ont projetées
d'entreprendre ensemble, il se dit opposé à la reprise de l'entreprise de
représentation d'un certain Pignatel. De même, la question de la fabrique de
biscuits d'un certain Vullo, située à Gaillard, près d'Ambilly, lui semble
"embrouillée" du fait de la présence d'un autre associé qu'il
faudrait indemniser. L'entreprise a pourtant un bon chiffre d'affaires et des
bénéfices annuels assez élevés, et c'est pour ça que le 11 mars il en
contrôlera le bilan. Quant à la politique, il a « lu dans la
"Stampa" l'information relative au suicide de Slutski.
Malheureusement, elle est vraie. C'est une autre infamie que l'on doit aux
centristes. Je t'envoie une coupure qui concerne la condamnation de quelques
communistes napolitains. Il n'y a pas le camarade dont tu as parlé et que j'ai
cru par erreur accusé dans ce procès ».
Le 12, il
revient sur l'affaire de la biscuiterie de Gaillard, en insistant cette fois
auprès de Fienga pour l'acheter, parce que les demandes de Vullo sont très
avantageuses. Pour conclure l'opération, il suffit que tous les deux versent
cinquante mille francs, chiffre qu'il pourrait retirer de la vente du magasin
de Pont d'Ambilly. La structure productive serait ensuite transférée à
Marseille. Afin de mieux examiner la question, le docteur Fienga se rend à
Ambilly où un compromis de vente est signé avec Vullo concernant la reprise de
la fabrique et du terrain sur lequel elle se trouve et dont il faudra se
débarrasser au plus vite afin de récupérer une partie des dépenses. Mais
trouver un acquéreur en temps de crise est problématique et De Leone hésite
parce qu'il craint d'entraîner son ami dans une
aventure risquée. « … je ne voudrais pas que mon optimisme, ou,
pour être plus exact, mon pessimisme atténué, te crée des soucis et des ennuis.
C'est pourquoi je te fais, tout à fait sérieusement et sans regret, la
proposition suivante : si tu parviens à trouver un associé avec un apport
supérieur au mien, je lui céderai ma place, bien entendu sans exigence ».
Berardino Fienga lui répond : « Pour ce qui concerne ce que tu me dis de
faire, à savoir l'affaire avec un tiers, tu dois savoir que cette affaire, ou
bien je la fais avec toi, ou bien je ne la fais pas, bien que te laissant libre de faire prendre
ma place par un tiers qui pourrait disposer de davantage de capitaux, si tu le
veux et le trouves, et cela naturellement sans aucune prétention de ma part
pour la cession de ma place ».
Au cours des
semaines suivantes, le contrat est enfin signé et les machines sont
transportées à Marseille (la nouvelle adresse de l'affaire est : Savoy – Cakes,
rue Montevideo, 21, Marseille), et ensuite la fabrication de friandises est
lancée. Et, afin d'augmenter le chiffre d'affaires, De Leone se transforme en
commis voyageur à la recherche de nouvelles commandes, sans trop de succès,
comme il le reconnaît le 12 septembre : « … j'ai travaillé comme un coolie
pour grappiller les commandes ci-jointes. Nîmes offre des possibilités plus
grandes; mais ce n'est pas la saison propice. Et puis le prix – hélas! – est
notre épée de Damoclès. Demain, je serai à Montpellier ». Et dans le
post-scriptum : « Il est 10 heures et je suis dans un café » pour entendre « le propriétaire qui doit me
donner une réponse. Au diable! ». Le magasin d'Ambilly ayant été vendu au
socialiste Domenico Pavesi, il habite maintenant à Marseille, au Boulevard
Victor Hugo, Beaumont, dans des difficultés considérables, parce que la biscuiterie
ne marche pas bien et que son vagabondage, à la "chasse" de clients,
donne peu de résultats.
Le plus grand
résultat de ses déplacements continuels est peut-être la confusion dans
laquelle ils jettent les fascistes qui, privés d'informations précises sur lui,
se demandent au début de 1933 si un certain professeur Angelo D'Alberti ou
D'Alberto, « à l'accent méridional », qui, après être demeuré pendant
dix ans en U.R.S.S., aurait tenu à Lyon deux conférences sur la situation
italienne et sur la situation russe, ne serait pas le professeur Virgilio
Verdaro ou bien le comptable Mario De Leone. Le premier enseignait le marxisme
dans une école de propagande en Russie, et le second – confondu peut-être avec
Virgili – était affecté à l'industrie militaire soviétique et travaillait dans
une usine de dirigeables. Le 22 mai 1933, De Leone écrit à nouveau à Ambrogi,
rappelé entre-temps de Berlin à Moscou : les « principaux problèmes à
résoudre actuellement pour moi sont : la santé de ma femme et le pain quotidien.
Tous les deux pressants : le premier très urgent… ». N'ayant pas obtenu
l'hospitalisation dans un sanatorium, sa femme « est obligée de recourir à
la thérapie plus expéditive du pneumothorax… ». De graves difficultés
demeurent malgré tout, en particulier celle du « placement des
enfants », dont la solution est indispensable pour éviter que sa femme,
une fois revenue à la maison, ne soit forcée de reprendre « l'habituelle
corvée éreintante du ménage » avec les enfants. Ce serait une imprudence très
grave. « Il n'est pas besoin d'ajouter que, malgré mon infinie lassitude
d'esprit et de corps, que je vaincs seulement par un effort de volonté que je
me croyais incapable de fournir, ma collaboration ne serait pas sans
enthousiasme et sans utilité ». Il écrit pourtant le même jour à Virgili,
qui est encore en Russie : « … si je ne me trouvais pas sur le plan
incliné sur lequel je me trouve … et avec les complications de santé, de
travail, etc., je réussirais sans aucun doute à m'en tirer. Parce que, en
France, mais tout spécialement à Marseille, il suffit d'un peu d'activité
intelligente pour vivre… Puisqu'il n'est possible de conserver ni pudeur ni
dignité, je t'invite – indépendamment de l'issue des tractations avec Ersilio –
d'intervenir en ma faveur : si tu le veux, si tu le peux, directement ou
indirectement. Le trône vacille – disait le fameux orateur Pizzirani. Mon
bateau est en danger. Je lance un SOS extrême. Le recueille qui peut. Si mon
recours n'est pas accepté, c'est aujourd'hui que doit arriver ma première
saisie. Et ceci signifie que d'ici quinze jours je n'aurai plus ni entreprise
ni meubles ni logement. Mais dehors, le soleil léger inonde les rues. Je
repense à Faust. Et je donnerais moi aussi mon âme au diable pour vivre. Jamais
la vie ne m'est apparue aussi belle ».
Un billet
adressé au docteur Fienga photographie la situation : « Cher Dino, si tu
peux m'envoyer 10 francs pour … ne pas changer un billet de 1000! », puis
une lettre du 26 juillet 1933 annonce que la biscuiterie sera liquidée dans peu
de temps. Et le 9 septembre : « Cher Dino, nous sommes allés à l'encontre
les commandements du Seigneur et nous avons été punis. Toulon est une place
imprenable. Comme tu le vois, pratiquement rien question affaires. J'ai fait
tous les hôtels, beaucoup de pâtisseries et quelques bars du centre. Ratage
pour différentes raisons »(6). Quelques jours plus tard, l'exilé caresse
l'idée, avec Ambrogi, de retourner en U.R.S.S. : « … Et je constate avec
satisfaction que, malgré la véritable chasse à l'homme que l'on fait ici aux
gens de gauche (peut-être ignores-tu les récents épisodes de Bezons, etc.) ce
gouvernement [le gouvernement soviétique, NdR], aurait autorisé mon retour.
Lequel n'est pas exclu mais est problématique pour les raisons contenues dans
la lettre ci-jointe à Ferruccio, qui t'en donnera communication… Si Ferruccio
venait en Occident, on pourrait concrétiser avec lui toutes les modalités de
mon transfert… ». Quant à la situation économique, « je ne suis pas
encore "hors de danger", mais je crois malgré tout avoir dépassé le
moment le plus mauvais… ».
Le moment le
plus difficile est peut-être celui de la saisie de la fabrique à laquelle il
fait allusion le 26 septembre : « Cher Dino, le furoncle est mûr. Demain,
mercredi, à 15 heures, un excellent huissier compatissant procèdera à
l'opération chirurgicale. Sic transit. Aujourd'hui ma femme entre en clinique
et les enfants avec elle. Es-tu toujours un habitant des bords de mer? ».
L'entreprise tombée en faillite, De Leone reste à Marseille où il vit en 1934 en
exerçant le métier de représentant. Mais le sort s'acharne contre lui et sa
famille : sa femme s'éteint à Toulouse, à la clinique des "Trois
Lucs", victime de la maladie et des privations subies. Et l'exilé, ne
pouvant pas élever seul ses fils, il doit les envoyer à Naples où sa mère et sa
belle-sœur Gilda Minieri en prendront soin (7). Quant à lui, il ne quitte pas
Marseille où le climat, en tout cas, est plus chaud que celui d'Ambilly, et il
commence à participer avec une certaine fréquence aux réunions de la Fédération bordiguiste
locale en versant de l'argent de temps en temps ("Topolino" envoie
quelques francs…) en faveur de "Prometeo". C'est dans cette grande
ville portuaire que le rencontrèrent en 1935-36 le maximaliste Giuseppe Fusero,
qui en rappellera l'activisme dans un témoignage, et le jeune Raffaello Fienga
: « À l'époque, j'étais étudiant à l'Académie des Beaux Arts de Marseille
et je participais activement au mouvement de la jeunesse anti-fasciste, fondé
par Henri Barbusse. Mario De Leone était "un révolutionnaire
limpide" ».
De la révolte
de Franco
à la formation de la Colonne "Lénine"
Le 17 juillet
1936, les généraux Sanjurjo et Mola s'insurgèrent contre la République espagnole
afin d'anéantir les organisations du prolétariat et d'imposer une dictature
réactionnaire dans le pays. Mais la rébellion – une "médiation"
ambiguë de Martinez Barrio ayant échoué en quelques heures – doit se mesurer
avec deux "obstacles", sinon imprévus, du moins sous-évalués : la
grève générale proclamée le 18 par les syndicats anarchistes et socialistes de la C.N.T. et de l'U.G.T., et la
combativité extraordinaire des travailleurs qui est sans égale entre les deux
guerres (1). Les travailleurs se jettent sur les militaires et, armés de
bâtons, de quelques rares fusils (2) et d'une très grande ardeur, les mettent
en déroute à Barcelone, à Madrid, à Malaga, à Saint Sébastien… Les séditieux
l'emportent en revanche à Cadix, Séville, Oviedo et Saragosse, et le soir du 20
ils ont le contrôle de l'Andalousie, de la Navarre et d'une grande partie de l'Aragon,
tandis que les ouvriers sont maîtres de la Catalogne, de la Castille, du Levant et du
Pays basque.
Le
"golpe" a deux conséquences : il déchaîne, en même temps que la
guerre civile, la révolution sociale qu'il prétendait exorciser, et il effrite
– bien qu'en ne le détruisant pas entièrement – l'État démocratique bourgeois.
Dans la Catalogne
libertaire, on enregistre une floraison très importante et spontanée
d'organismes révolutionnaires (comités de village, conseils, etc., composés en
majorité, et souvent exclusivement, de travailleurs, désignés par la base) et
les ouvriers deviennent les patrons de l'économie, en expropriant tout, des
usines aux magasins et aux laboratoires; dans les villages aragonais, reconquis
quelques jours plus tard, les collectivisations agricoles sont également
radicales et généralisées; à Madrid, en revanche, le nombre des comités est
très réduit et les réquisitions limitées. Même le signes extérieurs du
bouleversement, qui frappent à Barcelone les observateurs étrangers, sont, dans
la capitale, presque négligeables, alors que dans toute l'Espagne
anti-franquiste les églises et les couvents, qui n'ont pas été brûlés, sont
fermés (3).
En quelques
heures, les gouvernants républicains perdent le pouvoir. La Généralité catalane (le
gouvernement régional dirigé par le leader de la "Esquerra"
autonomiste, Companys) sort à genoux des combats de juillet. Une grande partie
de ses prérogatives passent au Comité central des milices antifascistes
(C.C.M.A.), « véritable organe de gestion et de gouvernement », dont
font partie les anarchistes (F.A.I.-C.N.T.), le Parti ouvrier d'unification
marxiste (P.O.U.M.), les socialistes, l'"Esquerra", les
"rabassari", les staliniens (P.S.U.C.), tous désignés d'en
"haut" par leurs organisations respectives. Le Gouvernement de Madrid
(dirigé depuis le 19 juillet par le républicain José Giral) maintient un
simulacre d'autorité, qu'il tente d'exercer en légalisant – comme le fait la Généralité catalane –
les mesures du comité. La composition pluraliste du C.C.M.A. montre toutefois
que les anarchistes, force hégémonique en Catalogne et épouvantail de la
bourgeoisie (le P.O.U.M. qui a des positions un peu plus radicales, est un
groupe plus modeste), n'entendent pas imposer leur dictature, ni liquider les
autres forces antifascistes, démocrates bourgeoises ou prolétariennes, mais
qu'ils cherchent – même s'ils ne les trouvèrent pas et finirent par entrer avec
leurs ministres dans les gouvernements "restaurés" – des voies
différentes de celles qui, en Russie, ont débouché dans le despotisme
communiste. Les libertaires, bien qu'ils aient eu la force pour le faire, n'ont
ni chassé Companys le 21 juillet – ainsi que le rappellera l'anarchiste Abad de
Santillán – ni supprimé les autres organisations catalanes, parce que les
dictatures ne sont jamais fécondes et qu'elles ne pourront jamais l'être, mais
ils ont employé leur force dans la lutte contre Franco et pour chercher à
édifier une nouvelle société. Et le P.O.U.M. proclame : « La dictature du
prolétariat ne peut pas être exercée par un seul secteur du prolétariat, mais
par tous les secteurs sans exception aucune. Aucun parti ouvrier, aucune
centrale syndicale, n'a le droit d'exercer la dictature » (4). La survie
des deux gouvernements – considérée par beaucoup comme un danger pour la
révolution – ouvre la voie, dans le camp antifasciste, à ce que le trotskiste
Vereeken appellera la « seconde guerre civile » entre les couches
moyennes, qui trouvèrent leur porte-parole chez les modérés et les staliniens,
et le prolétariat, qui se reconnaîtra dans une large mesure dans les
anarchistes et dans le P.O.U.M..
Les nouvelles
des victoires ouvrières et de l'échec du "golpe" – premier coup
d'arrêt dans l'ascension du fascisme en Europe – se répandent rapidement
au-delà des Pyrénées, suscitant des enthousiasmes extraordinaires chez les
exilés italiens (5), et beaucoup d'entre eux (en majorité des anarchistes, des
giellistes, des maximalistes et des trotskistes) partent le 23 ou le 24 juillet
pour Barcelone et Madrid.
Le 26 juillet,
les événements ibériques sont à l'ordre du jour de la réunion de la Commission Exécutive
de la Fraction
italienne de la gauche communiste qui se tient à Bruxelles. Les bordiguistes
excluent qu'il puisse y avoir une révolution sans la destruction de l'État
bourgeois et la prise du pouvoir politique par le prolétariat, guidé
inévitablement par le parti communiste, et ils considèrent que la démocratie et
le fascisme ne sont que des formes différentes de la domination capitaliste,
qu'il faut combattre avec la même intensité.
Pour Verdaro, il
n'y aucun doute : « Étant donné la situation objective en Espagne,
l'absence du parti de classe, l'influence délétère de l'anarcho-syndicalisme,
nous devons exclure la possibilité que le prolétariat puisse passer à une
intervention directe pour chercher à imposer sa solution… ». Si la
présence libertaire est – pour le professeur de Balena – extrêmement négative,
l'absence du parti de classe est un obstacle insurmontable au développement de
la révolution.
Ce qui se passe
en Espagne, dit Perrone, ce n'est pas « un simple coup de mains des
militaires », mais c'est un bouleversement plus vaste entre d'une part les
fractions de droite et de gauche de la
bourgeoisie, « en vue du triomphe définitif de l'une ou de l'autre »,
et d'autre part le prolétariat, « unique force capable de résoudre les
problèmes sociaux » du pays. « La fraction, en cohérence avec
tout son passé, ne peut que revendiquer la seule base de classe, celle qui est
à l'opposé de celle sur laquelle les ouvriers espagnols ont été attirés ».
Les masses ne doivent pas prendre parti pour l'un ou l'autre des adversaires,
mais rester sur le terrain des grèves et des batailles revendicatives, sans se
laisser entraîner sur des fronts militaires où – dirigées par des forces
ennemies et du fait de leur infériorité technique – elles sont vouées à la
défaite.
Enrico Russo
conjecture deux phases de lutte : celle qui est en cours, qui pourrait se
terminer par la victoire du Front populaire ou par celle des droites; une
seconde phase – si les rebelles sont battus – dans laquelle la bourgeoisie de
gauche cherchera à désarmer les travailleurs en les noyant dans le sang. Une
conclusion qui, elle, n'est pas inévitable si le prolétariat sait profiter « de
la circonstance favorable » de son armement pour se placer « sur des
positions plus avancées ». L'ex-métallurgiste napolitain propose, à la
fin, la rédaction d'un manifeste, l'organisation de formes de solidarité de
classe avec les autres partis de l'émigration, l'envoi en Espagne d'une
délégation pour « aider les groupes communistes du pays ».
Pour Borsacchi,
s'il y avait un parti révolutionnaire en Espagne, celui-ci appellerait, comme
en Russie en 1917, les ouvriers aux armes pour combattre la menace fasciste de
Franco-Kornilov, en dénonçant le fait qu'elle ait été engendrée par
Azaña-Kerenski. Opposé aux blocs interclassistes, Borsacchi est favorable à
l'indépendance ferme du prolétariat, laquelle « ne compromet pas le
développement ultérieur de la lutte ». Finalement, les propositions de
Russo sont approuvées – sans divisions, selon le procès-verbal –, et on décide
« de transmettre aux fédérations les procès-verbaux de la réunion »
pour une discussion plus ample sur les divergences.
Pendant ce
temps, dans l'Espagne anti-franquiste, afin de s'opposer à l'action des
rebelles, naissent les milices volontaires sur l'initiative des anarchistes de la F.A.I. et de la C.N.T., de
l'"Esquerra" catalane, du P.O.U.M., des communistes staliniens du
P.S.U.C. et du P.C.E., des socialistes du P.S.O.E. et de l'U.G.T. et d'autres
groupes prolétariens et démocratiques. Font partie de ces colonnes, comme la
colonne poumiste qui se prépara le 28 juillet à Sariñena pour se diriger vers
Huesca, le poète anarchiste Mario Traverso, Giuseppe Capizzi qui tombera à
Siétamo le 1° août, le journaliste di Barga (et représentant de la Ligue des droits de
l'homme), Bruno Sereni qui sera blessé quelques heures après dans la même
localité, Carlo Dante Pini, Giuseppe Guarneri, Piero Milano et d'autres exilés
italiens.
La Fraction bordiguiste
revient sur le conflit espagnol – selon les sources fascistes – le 1° août à
Bruxelles, lors d'une réunion de la Fédération belge. Russo, Duilio Romanelli,
Borsacchi, Fausto Atti et Giovanni Consonni, se déclarent favorables à la
proposition des trotskistes italiens (qui ont pris depuis peu le nom de
"Bolcheviks-léninistes italiens adhérents à la Quatrième Internationale")
d'intervenir militairement dans la péninsule ibérique avec des "légions
révolutionnaires", tandis que Verdaro et Perrone repoussent sèchement
cette hypothèse. La rupture entre les différentes âmes de la Fraction est, à partir de
ce moment, définitive (6).
Le 8 août –
tandis que, à Madrid et à Barcelone, les violentes protestations de la C.N.T. et du P.O.U.M. font
échouer les efforts des modérés et des staliniens (de plus en plus
représentatifs des classes moyennes, frappées et effrayées par la révolution)
pour restituer une partie de l'autorité perdue au Gouvernement central et à la Généralité, lesquels
ordonnent la mobilisation de trois classes (première tentative de créer un
embryon d'armée traditionnelle, alternative aux milices) et forment, sous la
présidence d'un autonomiste, une équipe ministérielle qui inclut des membres du
P.S.U.C. – les membres de la C.E.
bordiguiste, réunis de nouveau à Bruxelles, se mettent d'accord sur les points
suivants : le rôle contre-révolutionnaire du Front populaire et l'absence d'une
orientation classiste en Espagne, la nécessité de développer une action de solidarité
révolutionnaire dans l'émigration, l'envoi dans la péninsule d'une délégation
qui rencontrera, d'une part, les opposants de gauche, « pour contribuer à
la formation d’un Parti Communiste » et, d'autre part, les forces
syndicales, « agissant dans le camp prolétarien », pour donner une
autre orientation à la lutte.
Les divergences
concernent, en revanche, la possibilité de créer en Espagne un parti
révolutionnaire, l'armement du prolétariat et le rôle des
anarcho-syndicalistes.
1) Selon Perrone
et Verdaro, l'absence du parti de classe exclut la maturation d'une situation
révolutionnaire et empêche la poursuite de la lutte de classe, de la part des
masses, vers la destruction de l'État bourgeois et la conquête du pouvoir. Le
parti révolutionnaire d'ailleurs ne s'improvise pas, pas même quand il existe
des conditions favorables (deux voix); pour Russo, si « l’absence du parti
de classe » porte préjudice à « n’importe quelle situation favorable
aux développements révolutionnaires », la tendance confuse des militants à
créer de nouveaux organismes peut fournir les éléments pour l'édifier : le
parti de classe peut donc naître durant la lutte, en lui conférant une
orientation révolutionnaire et en légitimant l'intervention en Espagne (3
voix).
2) L'armement du
prolétariat « sous la direction du Front populaire », dit Perrone,
n'est pas une prémisse favorable au développement de la lutte de classe, mais
il est – comme les expropriations, les collectivisations, etc. – une concession
momentanée de la bourgeoisie pour sauver le capitalisme. Il sert à désarmer
politiquement le prolétariat, en attendant d'arriver demain à le désarmer
matériellement. Le fait que les ouvriers aient des armes – dira ensuite la
majorité – ne représente pas, en l'absence d'une direction de classe, un fait
positif, comme l'a démontré la grande guerre dans laquelle des millions de
prolétaires se sont mutuellement exterminés (3 voix); pour Russo, l'armement du
prolétariat a été imposé au Front populaire par les circonstances. Les masses ne
se trouvent donc pas « sous la direction incontrôlée du gouvernement de
Front populaire ». Il est même imaginable qu'ils puissent, après la
défaite du fascisme, se servir des armes contre la bourgeoisie de gauche, dans
la mesure où celle-ci tentera de les désarmer. Pour ce qui concerne le conflit
entre les courants capitalistes, il renvoie à la position prise en 1917 par
Lénine contre Kornilov et Kerenski (2 voix).
(3) Pour
Perrone, la fonction de l'anarcho-syndicalisme, qui nie le parti de classe et
ne se pose pas la question du pouvoir, est contre-révolutionnaire (1 voix);
pour Russo, l'anarcho-syndicalisme, par son refus du parti, est un facteur
négatif pour l'évolution de la lutte. Il pense cependant que « l'œuvre de
construction du parti de classe » avancera peut-être mieux « à
travers une lutte politique vigoureuse » conduite parmi les masses liées
aux anarchistes, plutôt que dans les autres organisations (4 voix).
Au même instant,
Tito (presque sûrement De Leone), un camarade de la future minorité, souligne
dans un long article – publié par "Prometeo" seulement le 11 octobre
– que la décision du Gouvernement démocratique espagnol (« renouvelé …
deux fois en quelques heures ») de remettre les armes au prolétariat,
« au lieu que … l'on se hâte de négocier un compromis avec les chefs
militaires insurgés », a eu « une importance énorme », et que la
lutte, bien qu'elle reste « formellement » circonscrite dans les
limites d'un conflit « entre groupes bourgeois » et « qu'elle
tire parti de la défense de la république démocratique et contre la menace de
la dictature fasciste, s’élève maintenant à une signification plus ample, à une
valeur de classe plus profonde : elle devient le levain, le ferment, le
propulseur, d’une véritable guerre sociale ». Après le 20 juillet –
continue "Tito", dont les appréciations des événements se situent aux
antipodes de celles de Perrone et de Verdaro – l'autorité de l'État a volé en
éclats : le véritable gouvernement dans l'Espagne républicaine est celui des
ouvriers, l'autre, « le gouvernement légal, est une coquille vide, un
prisonnier inepte de la situation ». Le contrôle des opérations de guerre
est passé « dans les mains des milices » et les confiscations de
biens, les incendies d'églises, les condamnations et les exécutions sommaires
(« y compris d'étrangers »), sont l'expression sensationnelle de ce
bouleversement auquel le gouvernement bourgeois ne s'oppose pas, puisqu'il se
borne à légaliser les mesures prises par les masses. « On met la main sur
les banques et sur la propriété des fabriques et des entreprises abandonnées
par leurs patrons, on nationalise les usines qui produisent pour la
guerre », on restreint la semaine de travail à 40 heures, on augmente les
salaires de 15%, on réduit de moitié les loyers. Le gouvernement existe encore
malgré tout et il n'y a pas de doute que, « le danger passé », il
essaiera de reprendre désespérément l'autorité qui s'était évaporée. « Une
nouvelle phase de lutte commencera pour la classe ouvrière ».
Le conflit
espagnol – continue Tito – est né des contradictions entre la droite et la
gauche bourgeoises, et le prolétariat, armé par le « gouvernement
démocratique … comme moyen extrême de sa défense », s'est aligné sur le
courant qui est « dominé par l'idéologie du Front populaire ».
Cependant, « l'état de dissolution de l'économie bourgeoise exclut toute
possibilité de remise en ordre, aussi bien avec la victoire du fascisme qu'avec
la victoire de la démocratie. Seule une intervention autonome à venir du
prolétariat pourra résoudre la crise de régime de la société espagnole. Mais
même l'issue de cette intervention est conditionnée par la situation
internationale. La révolution espagnole est étroitement liée au problème de la
révolution mondiale. La victoire d'un groupe ou de l'autre ne peut pas résoudre
le problème général qui consiste dans la modification des rapports fondamentaux
des classes à l'échelle internationale et dans la désintoxication des masses
hypnotisées par le serpent du Front populaire ».
On ne peut pas
de toute façon dissimuler – fait le point Tito – que le succès des révoltés
aurait des effets très différents de celui de leurs antagonistes. « La
victoire des militaires n'aurait pas seulement la signification de la victoire
sur la méthode démocratique de la bourgeoisie, mais elle signifierait aussi la
victoire sensationnelle … sur la classe ouvrière qui s'est engagée à fond et en
tant que telle dans la mêlée. La classe ouvrière serait clouée à la croix de sa
défaite de façon irrémédiable et totale », comme c'est arrivé en Italie et
en Allemagne, et une « rafale de répression plus violente s'abattra »
sur les travailleurs du monde entier. Pour "Tito", l'idée criminelle
selon laquelle le triomphe des rebelles accélèrerait la marche des travailleurs
vers la révolution ne mérite même pas d'en parler. « Nous ne discutons
même pas la conception selon laquelle, après la victoire des réactionnaires, le
prolétariat retrouvera sa conscience de classe plus rapidement ». La
défaite des militaires au contraire ne renforcerait pas le Gouvernement du
Front populaire, parce que « les masses encore armées, pleines de
l'orgueil de la victoire douloureuse et contestée, et fortes d’une expérience
acquise durant l'ampleur de la bataille, demanderont de faire les comptes avec
ce gouvernement ». Et le temps nécessaire à la formation du parti de
classe se raccourcirait. Il est par conséquent totalement impossible de
partager les positions de Perrone et de Verdaro : « Notre abstentionnisme
dans la question espagnole signifie la liquidation de notre fraction, une
espèce de suicide par indigestion de formules doctrinaires. Amoureux de
nous-mêmes comme Narcisse, nous nous noyons dans l'eau des abstractions dans
laquelle nous nous mirons, tandis qu'Écho se meurt de langueur et d'amour pour
nous ».
Dans les jours qui
suivirent, la nature inconciliable des divergences à l'intérieur de la Fraction trouve sa
confirmation dans les départs de Russo et de Bruno Zecchini pour Barcelone, et
dans les motions opposées sur l'Espagne qui sont présentées par Piero Corradi
et Ottorino Perrone lors d'une réunion de la Fédération parisienne.
Corradi nie que les événements soient "simplement" réductibles à un
conflit inter-bourgeois qui n'intéresse pas le prolétariat, parce que les
militaires ont déclenché la lutte contre lui et non contre la bourgeoise
démocratique. La riposte des travailleurs, en dépit des succès obtenus, a été
mal orientée parce que, en l'absence du parti de classe, elle n'a pas été
engagée « immédiatement contre les éléments de gauche au même titre que
contre ceux de droite… ». De son côté, le Front populaire, afin d'éviter
que les ouvriers ne s'opposent aux rebelles avec des organismes dotés
d' « une physionomie nettement de classe », s'est rangé contre
la droite et il a permis l'armement des masses, dans l'espoir que leur action
ne se tourne pas contre l'ordre capitaliste. La présence d’une force
révolutionnaire en Espagne – continue Corradi – pourrait permettre aux
travailleurs de prendre la direction de la bataille, et de se débarrasser ainsi
de la bourgeoisie démocratique. C’est pourquoi il demande que la Fraction envoie des
camarades et des ressources dans la péninsule ibérique, si les camardes qui s’y
trouvent déjà les réclament. Quant à l’issue du conflit, la victoire des
rebelles signifierait « l'écrasement complet et total du prolétariat
espagnol », alors que la bourgeoisie de gauche laisserait à la classe
ouvrière une seconde chance(*) de
s'opposer aux tentatives du Front populaire de briser « toute velléité
révolutionnaire ». Précisant que les positions de la C.E. qui expriment le mieux
ses opinions sont celles de Russo et de Borsacchi, Corradi observe avec une
certaine préoccupation « que la lutte qui s’engagerait sur le terrain
social unirait contre le prolétariat les deux fractions de la bourgeoisie ».
La guerre
civile, qui trouve en Espagne la droite et la gauche « solidaires dans
l'œuvre de massacre de la classe ouvrière » n'est pas – dit Perrone – une
guerre militaire, mais une guerre sociale, et le prolétariat ne pourra la
gagner qu'en visant, avec les instruments de classe, à la dislocation de
l'organisme économique bourgeois (« même au prix du démantèlement du front
militaire ») et à la conquête du pouvoir. Le capitalisme cherche au
contraire à transformer la guerre civile en guerre traditionnelle, en faisant
passer les travailleurs espagnols et "étrangers" du front de classe
« au plan militaire qui est la tombe des revendications sociales du
prolétariat ». La
Fraction doit s'opposer au départ des ouvriers pour les
fronts de guerre et inviter les prolétaires à aider le prolétariat espagnol, en
intensifiant les agitations et les grèves dans leur propre pays.
"Vercesi" demande ensuite que les camarades déjà partis en Espagne et
la délégation qui s'y rendra se chargent d'y favoriser l'"éclatement"
de fortes agitations sociales dans les territoires contrôlés par la droite et
dans ceux qui dépendent du Front populaire, unique voie pour préparer les bases
sur lesquelles pourra naître le parti de classe dans la péninsule ibérique. La
motion de Corradi obtient 5 voix, parmi lesquelles celles d'Ernesto Corradi (7)
et d'Emilio Martellini originaire de Grosseto, celle de Perrone est soutenue
par Bruno Bibbi et par trois autres camarades.
Au cours des
jours suivants, alors qu'en Catalogne on forme le Conseil de l'économie (dont
font partie le secrétaire général du P.O.U.M., Nin, et l'anarchiste Diego Abad
de Santillán), Renato Pace, Salvatore Velotto, Costante Mengoni, Enrico
Cesarin, Emilio Lionello, Gildo Belfiore et Francesco Fortini, tous adhérents
ou sympathisants de la
Fraction (et avec eux Giuseppe Morini et le milanais Ciccio
ou Ciccetto, tous deux depuis longtemps à l'extérieur du PCd'I (8)), ayant
repoussé « violemment » (9) les analyses de Perrone et de Verdaro,
rejoignent – aidés par "Justice et Liberté" – Barcelone où ils
s'unissent à Russo et à Zecchini pour s'enrôler dans les milices. Les histoires
personnelles de ceux qui, dans la
Fraction, soutiennent que l'on doit combattre en Espagne sur
le plan militaire contre les insurgés et sur le plan de classe pour démanteler
l'État bourgeois, sont assez différentes les unes des autres : Russo provient
du syndicat et du maximalisme, les frères Corradi ont vécu l'expérience
ouvriériste de "Réveil communiste", Martellini, originaire de
Grosseto, et Carlo Mazzucchelli sont avec les "prométéistes" depuis
la fondation, tandis que Lionello, Pace, Zecchini et Romanelli, ont souffert en
Italie de la prison et de la relégation, avant l'émigration clandestine en
France et en Belgique (10). L'un d'eux, Renato Pace, se souviendra que le
"Centre" (Perrone et Verdaro), bien que n'ayant encore aucune
information précise sur les événements espagnols, avait décidé « que
c'était un mouvement qui ne nous concernait pas parce que c'était une lutte
entre les couches de la bourgeoisie. Au contraire, et particulièrement à Paris,
dans la base ouvrière, on commença à discuter sur ce sujet… Il y a eu des
réunions assez tumultueuses… C'est à Paris qu'il y avait le groupe le plus important [de la Fraction]…, les nouvelles
plus exactes, plus précises, commencent à arriver, et elles prennent … de plus
en plus un caractère révolutionnaire parce que, si la sédition a été étouffée,
là où elle a été étouffée, elle a été étouffée par la classe ouvrière. Nous
avons décidé de partir et il a fallu finalement quelques jours pour en avoir
les possibilités financières, parce que nous devions traverser toute la France. Nous sommes
partis de Paris… Nous n'étions pas nombreux, nous étions une dizaine, 10 ou 12
au maximum. Nous sommes arrivés à Perpignan…., la police nous a arrêtés, et
ensuite elle nous a laissé continuer. Nous sommes entrés du côté de Port Bou,
il y avait un tunnel qui divise la
France de l'Espagne, et nous sommes entrés en passant sous ce
tunnel… en chantant l'Internationale. Bref, il semblait que c'était le
commencement de la fin pour le capitalisme…, il y avait tant d'enthousiasme,
tant de volonté de se battre, nous sommes restés quelques heures à Port Bou et
ensuite, après avoir pris le train, nous sommes arrivés à Barcelone au matin…
Barcelone présentait un spectacle extraordinaire… Une situation chaotique,
désordonnée, mais on sentait palpiter la révolution…, les trams étaient peints
en rouge et noir [les couleurs des anarchistes] et l'on voyait partout les
signes de la lutte. Dans les casernes, les signes de la lutte étaient
formidables… ».
Les nouveaux
arrivants fondent la
Fédération barcelonaise de la Fraction et ils adhèrent,
dans la caserne de Pedralbes, à une colonne libertaire : « Nous avons vu
ensuite que l'on n'était pas d'accord, et alors nous avons pris contact avec
ceux du P.O.U.M. et nous sommes allés dans … une caserne de cavalerie… »,
le "Cuartel Lenin". Mais tous les volontaires ne quittèrent pas
Pedralbes : Fortini reste avec les anarchistes italiens (Marzocchi, Pio Turroni,
Renato Castagnoli, Celso Persici, etc.), les "giellistes" et les
républicains (Rosselli, Angeloni, Enrico Giussani, Angelo Monti, Antonio
Zanchini, etc.), avec lesquels il combattra, le 28 août, à Monte Pelato. Les
volontaires, qui se sont rendus au "Cuartel Lenin", s'enrôlent –
Virginia Gervasini les enregistrera – dans le "Groupe international"
de la colonne Lénine qui comprend un certain nombre de trotskistes (Cristofano
Salvini, Guido Lionello, Piero Milano, Giuseppe Guarnieri, Placido Mangraviti,
Domenico Sedran) et de maximalistes (Giuseppe Bogoni, Francesco Martini, Anteo
Luzzatto, Etrusco Benci, Goliardo Consani, Pietro Fancelli
("Castello"), Giuseppe Fusero, Vincenzo Plutino, Renzo Picedi,
Umberto Cirella, Rafaele Serra et plus tard Marino Roasino), quelques
antifascistes d'origine gielliste ou socialiste (parmi lesquels Bruno Sereni),
le stalinien Costa, les anarchistes Pasquale Fioravanti et Mario Traverso et
quelques réfugiés sans parti (Giuseppe Borgo, Paolo Psalidi, Aldo Gambedotti).
Le 17 août, la Fédération marseillaise
de la Fraction
charge De Leone de se rendre comme observateur en Catalogne. Le 19, l'exilé se
rend à Barcelone, où il rencontre Bruno Sereni, encore convalescent d'une
blessure subie à Siètamo le 1° août. « Au mois d'août, arriva à Barcelone
en provenance de Marseille – écrira le journaliste(*)
– un homme de stature moyenne, vêtu de
noir. Il avait les cheveux tout blancs, le visage pâle, le sourire las, et,
derrière ses lunettes, un regard résigné. Nous demandâmes qui il était, d'où il
venait, ce qu'il était venu faire. On nous dit qu'il s'appelait Mario De Leone,
qu'il était comptable à Naples, antifasciste, qu'il était venu étudier sur
place la révolution ».
Le départ de De
Leone de Marseille coïncide avec le virage qui, le 17 août, se produit à
Bruxelles dans la
Commission Exécutive de la Fraction. Au terme
d'une réunion, la motion, vainement présentée par Perrone quelques jours
auparavant à Paris, est approuvée quasi à l'unanimité (seul Borsacchi réaffirme
la validité des délibérations du 8 août) : la nouvelle majorité, bien qu'elle
assure que les « positions publiques » de l'organisation
« devront surtout tenir compte des éléments communs aux deux
tendances », ne garantira aucune visibilité politique à la minorité
jusqu'au 20 septembre, ni dans "Prometeo", ni dans "Bilan",
ni par d'autres moyens. « On n'imprime pas des manifestes – polémiquera à
juste titre Mazzucchelli – sans tenir compte de la pensée d’une moitié de la Fédération ». De
Leone est lui aussi opposé au tournant. « Le fait important et prééminent
– écrira-t-il le 23 septembre, en revenant
sur ce qui s'était passé – n'est pas l'attitude de la C.E. à l'intérieur de la Fraction, qui peut se
définir comme du linge sale qui se lavera en famille, mais la position politique
despotiquement prise en public par la
C.E. et qui peut avoir liquidé pour toujours notre
mouvement ».
Le manifeste,
daté du 18 août (que l'exilé napolitain sera justement chargé de présenter à
Nin à Barcelone), reflète en effet le point de vue de la nouvelle majorité, en
ignorant les dissensions internes. Le 18 juillet – y lit-on – la bourgeoisie
espagnole avait l'intention, pour résoudre les contradictions sociales, de
passer le pouvoir de la gauche à la droite, comme elle l'avait fait à d'autres
reprises de 1931 à 1936. Mais l'opération a échoué parce que les travailleurs
sont entrés en lutte. Le capitalisme, ne pouvant « vaincre par une attaque
frontale et uniforme », a alors chargé les courants bourgeois de droite et
de gauche de combattre simultanément le prolétariat. Dans les régions agraires,
les militaires ont écrasé les paysans avec une terreur sauvage; dans les
centres industriels, les ouvriers ont "dompté" les rebelles, avec des
armes rudimentaires et leur très grand courage, mais, tandis qu'ils étaient sur
le point de se lancer sur les « bastions du capitalisme pour détruire la
machine étatique de l'oppression », le Front populaire, réapparaissant sur
le terrain, les a détournés de la lutte de classe pour les orienter – ce qui a
été facilité par l'absence du parti de classe – sur les fronts de guerre, afin
de combattre d'autres travailleurs dans un conflit inter-bourgeois entre la
démocratie antifasciste et la droite réactionnaire, où ils n'ont, de par leur
infériorité technique, aucune chance de vaincre des militaires de métier. Après
avoir permis aux généraux d'organiser la révolte dans l'armée républicaine, le
Front Populaire a évité, sous le prétexte de battre Franco, la destruction de
l'appareil "économique et politique" capitaliste, il a obtenu la
cessation de la grève générale et de toutes les luttes revendicatives, et il a
mobilisé les ouvriers pour qu'ils fassent fonctionner les usines à plein
rendement.
En Espagne –
poursuit le manifeste – il n'existe pas, contrairement à ce qu'affirment la
droite et la gauche, de frontières territoriales ou militaires, mais seulement
des frontières de classe. Les militaires et le Front populaire sont, « au
même titre », des ennemis des prolétaires et ils jouent des rôles
différents parce que ce n'est qu'ainsi que le capitalisme pourra écraser les
ouvriers. Plutôt que de vaincre Franco pour se défendre mieux demain de la
bourgeoisie démocratique, les masses doivent renverser totalement l'orientation
actuelle de la lutte, en abandonnant les tranchées de Teruel et de Huesca, où
elles ont été intentionnellement dispersées, pour retourner dans les villes et
dans les campagnes afin de se battre pour leurs revendications de classe,
unique voie pour créer les prémisses de la défaite des rebelles et du triomphe
de la révolution.
Ivre de joie en
raison des massacres de paysans en Estrémadure et en Andalousie, le capitalisme
tolère, dans l'Espagne antifranquiste, l'armement des prolétaires pour sauver
la société bourgeoise, et il les fait se massacrer entre eux sur les cols de
Guadarrama et dans les Asturies, comme soldats des armées d'"union
sacrée", dans une guerre impérialiste entre fascisme et antifascisme. Le
manifeste se termine par la dénonciation de ceux qui invoquent l'aide des
gouvernements démocratiques au Front populaire espagnol : ils ne sont que
« les porte-parole de la guerre impérialiste au même titre que les
fascistes de tous les pays ».
À Barcelone, les
miliciens bordiguistes sont encore cantonnés dans la caserne "Lénine"
du P.O.U.M., où, le 20 août, se tient un "meeting" auquel assistent
Gorkin, Goronella et Marceau Pivert : « C'est en suscitant d'intenses
émotions que les camarades italiens chantèrent "Bandiera rossa" et
les camarades français "L'Internationale", et ils terminèrent tous
par le cri de guerre : "Les soviets partout"(*) ».
Trois jours plus
tard, la C.E.,
après avoir décidé de dépêcher une délégation en Espagne, renvoie la
reconnaissance de la
Fédération de Barcelone au moment où seront connues les bases
politiques qui ont amené à sa formation, tout en demandant « à ses membres
de rompre toute entente avec le Poum, de dissoudre la colonne, étant donné que
les communistes ne peuvent pas former une "colonne" dans une armée
bourgeoise, et qu'ils doivent au contraire se disséminer parmi les prolétaires
pour développer en leur sein une action de réveil en correspondance avec les
mouvements de classe dans les villes et dans les campagnes ». Le maintien de la colonne "Lénine"
et l'entente avec le P.O.U.M. signifient « admettre la possibilité d'une
évolution de l'antifascisme vers la révolution » et « rompre avec les
positions fondamentales de la
Fraction ». La
C.E. n'a pas l'intention de résoudre les divergences internes
– et le problème, qui est désormais posé, de la scission – par des mesures disciplinaires,
mais grâce à une « évolution ». Pour l'instant, elle se propose de
favoriser « une activité uniforme » entre la délégation, qui ira en
Espagne, et les camarades qui y sont déjà, en se réservant de déclarer, si la
collaboration se révélait impossible, que ceux « qui s'opposent aux
directives ci-dessus n'engagent pas la responsabilité de la Fraction ». Le refus
« des conceptions fondamentales » de la « révolution
actuelle » perdurant, la crise se conclura de façon différente, mais
seulement quand les miliciens reviendront de la péninsule ibérique.
Les demandes de la C.E. d'abandonner les fronts
militaires et de dissoudre la
Colonne Lénine sont antithétiques avec les positions de Russo
et de ses camarades qui insistent sur le
fait qu'ils sont entrés à Barcelone dans les milices ouvrières « pour
soutenir le prolétariat espagnol dans sa lutte grandiose contre la bourgeoisie.
Nous sommes à ses côtés, prêts à tous les sacrifices, pour le triomphe de la
révolution ». Se souvenant de la situation désespérée dans laquelle le
fascisme a précipité le prolétariat en Italie, et de la dégénérescence
stalinienne, les membres de la
Fédération considèrent que le parti de classe ne pourra
naître en Espagne qu'en soustrayant les masses aux influences de la II° et de la III° Internationales :
« Nous faisons confiance au développement des événements actuels qui, par
leur dynamique, pourront créer en Espagne et ailleurs le parti de la
révolution ». Il s'ensuit une invitation au P.O.U.M. pour que, en en
finissant avec les atermoiements et en se refusant à tout soutien à la
bourgeoisie, il œuvre, comme les bolcheviks en 1917, à la destruction du
capitalisme et à la conquête du pouvoir, ainsi qu'une appréciation très
chaleureuse de ses militants extra-ordinaires : « L'avant-garde existante
au sein du Poum a devant elle une grande tâche et une responsabilité extrême.
Nous partons pour le front de la bataille dans la colonne internationale des
miliciens du Poum qui sont poussés par un idéal politique qui est commun à ces
ouvriers espagnols héroïques et magnifiques : l'idéal de combattre jusqu'au
dernier, non pas pour sauver la bourgeoisie qui est en miettes, mais pour
abattre depuis les racines toutes les formes du pouvoir bourgeois et pour faire
triompher la révolution prolétarienne. Afin que nos efforts à tous ne soient
pas vains, il faut que l'avant-garde révolutionnaire du Poum parvienne à
vaincre ses ultimes hésitations et se mette résolument sur la voie de l'Octobre
espagnol! Elle doit choisir aujourd'hui entre l'appui à la bourgeoise, même
s'il est indirect et involontaire, et l'alliance avec les ouvriers
révolutionnaires du monde entier ».
Dans l’imminence
du départ pour le front, Russo parle, avec Nin et Hervás, au « Cuartel
Lenin », rue Tarragona. « Tous les travailleurs du monde – dit
l'ancien syndicaliste qui, parmi « de forts applaudissements, élève un
chant à la solidarité internationale » – sont à vos côtés ». Des
milliers d'ouvriers « allemands, russes, italiens et français, le fusil à
la main, défendront » concrètement la révolution espagnole. Et le 28 août,
les miliciens de la
Colonne Lénine (« formée sous la discipline du
P.O.U.M. ») protestent contre l'exécution à Moscou de 16 vieux bolcheviks,
compagnons de Lénine : un crime qui compromet l'unité du prolétariat.
Le 29, un
article de "Prometeo", qui reflète les orientations de la C.E., soutenue par Bruno
Bibbi(12), Otello Ricceri et Aldo Lecci, parmi les plus convaincus de la nature
impérialiste de la guerre menée en Espagne, traite des milices. On s'y demande si
les milices antifascistes sont la forme embryonnaire d'une force qui veut
construire un ordre nouveau, ou bien si elles sont une fleur à la boutonnière
que la bourgeoisie exhibera demain pour sauvegarder ses privilèges : privée de
ses instruments répressifs (armée et police), elle s'appuie sur les
"bonzes" des organisations syndicales pour inciter les masses à se
sacrifier en sa faveur, après les avoir exploitées jusqu'à hier.
Deux conditions
sont d'ailleurs indispensables pour que les milices aient un caractère
prolétarien : qu'elles naissent non pas de l'"Union sacrée" entre les
travailleurs et la bourgeoisie, mais de leur « divorce le plus
marqué », et qu'elles servent – sous la conduite des premiers et non
« sous le drapeau de l’ennemi de classe » – d'instrument pour
décocher le coup décisif au capitalisme, par la reprise de la lutte de classe
qui, en juillet à Barcelone, a eu raison en quarante-huit heures des forces
réactionnaires et qui pouvait entraîner la mutinerie de l'armée de Franco.
La "manchette"(*) – polémique à l'encontre de la
minorité – qui flanque le titre du journal est sur la même ligne : « Les
prolétaires qui partent pour l’Espagne ont le devoir de considérer que leur
geste politique a une importance exceptionnelle pour les luttes du prolétariat
espagnol. Y aller sous le contrôle – même technique – des forces de la
contre-révolution du Front populaire et de « Justice et Liberté »
signifie s’enchaîner au char capitaliste. Pour pouvoir développer un travail
prolétarien, il faut partir en dehors de tout contrôle ennemi ».
Sur la première
page du journal, dominée par un titre, qui est également un mot d'ordre :
« Contre le courant qui conduit au massacre prolétarien ! », la
majorité se pose la question de savoir si la situation espagnole est
révolutionnaire, ou si elle n'est pas plutôt, comme elle le considère, un
« sursaut désespéré des masses dans un cercle clos » duquel elles ne
tireront aucun avantage. Il ne faut pas, de toutes façons, se laisser fourvoyer
par les "formes" de la bataille qui ne coïncident pas du tout avec
ses objectifs. Le prolétariat espagnol, bien qu'il soit armé, est en fait
victime d'une terrible contradiction puisque, commandé par les forces
capitalistes qui se sont nichées en lui, il ne vise pas à ses objectifs de classe,
mais il se dirige vers une « nouvelle et féroce défaite ». La guerre
n'oppose pas le fascisme à la démocratie, mais le prolétariat à la bourgeoisie,
et c'est « un artifice grossier et criminel » de considérer, sur la
base des « conquêtes obtenues par le prolétariat à Barcelone ou dans
d'autres centres » que l'on puisse avancer « sur la voie de la
révolution, sans rompre brutalement avec toute l'orientation … de la
lutte ». Les conquêtes que la classe ouvrière « croit obtenir ici et
là » n'ont aucune valeur positive et « elles représentent en réalité
la forme extrême du plan ennemi, le maillon extrême de sa domination, une
concession formelle d'un instant contre une abdication totale du prolétariat
sur les problèmes fondamentaux de sa classe, en Espagne et dans les autres
États ». Le "mélange" entre le Front populaire et les généraux
insurgés, pour passer à une « réorganisation plus cruelle de sa
domination », ayant échoué le 18 juillet, le capitalisme a changé de
tactique, en chargeant ses deux courants « d'un rôle … apparemment
opposé », mais qui tend, avec le soutien des deux, à « l'étranglement
des masses ». Et que l'on ne se fasse pas d'illusions sur l'éclipse
momentanée du gouvernement de Front populaire : elle était nécessaire pour
éviter « l'attaque prolétarienne contre la machine de l'oppression
capitaliste », qui continue malgré tout de fonctionner à plein régime,
même si ce sont les anarchistes qui dirigent la vie économique et politique.
Et, n'ayant pas détruit cette machine, les ouvriers sont appelés à la soutenir,
« pour empêcher la victoire de Franco », lequel ne peut être battu
qu'en balayant le capitalisme qui l'a engendré. Il ne s'agit donc pas de
promouvoir l'"union sacrée" avec le Front populaire pour combattre
d'abord Franco et passer ensuite à l'attaque contre Azaña, mais d'opposer la
directive du « déclenchement de la lutte de classe dans les villes et dans
les campagnes » à la guerre impérialiste qui vise au massacre des
travailleurs sur les fronts militaires afin de préserver l'esclavage
capitaliste.
Un autre article
examine les manœuvres du capitalisme mondial, « démocratique, fasciste ou
soviétique », destinées à coincer les ouvriers espagnols dans la fausse
antithèse démocratie-fascisme, pour éviter, avec « le massacre fratricide
des prolétaires sur les champs de bataille » « autour des drapeaux
bourgeois », que la lutte des travailleurs ne débouche en Espagne sur la
voie révolutionnaire « et ne devienne ainsi le signal d’une bataille
mondiale et de classe des exploités ». À ce front qui va de la Grande-Bretagne à
l'Allemagne, à l'U.R.S.S., le prolétariat international doit répondre par
l'arme des grèves – des grèves de plus en plus étendues – dans les différents
pays : unique forme incisive de solidarité avec les masses espagnoles qui
doivent abandonner la défense des collines de Guadarrama et celle de Saint
Sébastien afin de reprendre, dans les villes et dans les campagnes, la lutte de
classe contre la bourgeoisie du Front populaire et contre la bourgeoisie
fasciste.
Piero Corradi répond
à "Prometeo" : le prolétariat espagnol ne se bat pas pour la défense
de la république bourgeoise mais pour celle de sa vie et de ses organisations
de classe. La lutte contre Franco, « c'est la lutte pour son émancipation,
c'est la lutte pour la révolution sociale ». Et il n'est pas encore dit
qu'Azaña, Largo Caballero et les staliniens, réussiront à maintenir le combat
« dans l'orbite de la légalité bourgeoise et de la défense de la propriété
privée ». Corradi précise que la lutte sur les deux fronts ne signifie pas
qu'il faille attaquer en même temps Franco et Azaña-Caballero, mais prendre la
direction de la bataille contre Franco au cours de son évolution, de façon à
éliminer – quand la situation sera plus favorable – la bourgeoise de gauche, « en
lui substituant les organismes de classe, les conseils ouvriers, les comités
révolutionnaires, syndicaux, etc. » et en procédant à la transformation
socialiste. Les travailleurs espagnols sont rassemblés dans le P.O.U.M., dans la C.N.T., dans la F.A.I., qui « sont les
uniques organisations révolutionnaires du prolétariat espagnol, … même si elles sont insuffisantes du point
de vue révolutionnaire. C'est en raison de ces considérations qu'un groupe de
camarades est parti en Espagne pour apporter sa contribution, non pas comme
simples critiques, mais comme combattants convaincus que les critiques ont plus
de poids si elles sont accompagnées de la critique des armes ».
La « lutte
antifasciste doit être la lutte pour la révolution sociale : c'est au cours de
cette lutte que l'on peut influer dans cette direction. Si l'on dit au
contraire qu'il s'agit de deux fractions de la bourgeoisie qui se battent et
que cette lutte n'intéresse pas le prolétariat, l'on se situe sur une position
négative qui permettra l'écrasement du prolétariat. LA VICTOIRE DE FRANCO,
C'EST LA DÉFAITE DU
PROLÉTARIAT, et il n'est pas certain que sa défaite soit la victoire d'Azaña.
Elle pourrait être la défaite de tous les deux et la victoire du
prolétariat ». Arracher les travailleurs à l'influence des « forces
de la conservation sociale » et les orienter dans la direction juste, cela
dépendra des anarchistes et du P.O.U.M.. Après s'être solidarisé avec les
camarades qui luttent sur le front de Saragosse, Corradi déclare : « Je me
désolidarise avec le dernier numéro du journal et je ne partage pas du tout la
manchette qui dit que ceux qui vont en Espagne « même sous le contrôle
technique de "Justice et Liberté" » s'enchaînent « au char
capitaliste ». « Je ne veux certainement pas me solidariser avec J.L.
ni la défendre, mais je ne peux pas admettre que ces camardes, ces
révolutionnaires, qui sont partis avec J.L. se soient enchaînés à la
bourgeoise. Le journal aurait dû s'élever contre la spéculation nationaliste
que cet organe fait en affirmant que la Colonne Internationale
(la Colonne
giélliste-anarchiste, ndr) veut sauver l'honneur de l'Italie. Cet honneur que
l'Italie aurait perdu en Abyssinie. Démasquer cette immonde spéculation est
notre devoir ».
À la fin d'août,
un essai non signé rappelle dans "Bilan", la revue théorique de la Fraction, que la présence
du parti de classe et son influence sur les masses ont toujours été considérées
par les marxistes comme une condition "sine qua non" pour la victoire
du prolétariat. Par ailleurs, le parti ne s'invente pas, ne s'improvise pas et
ne s'importe pas, et son absence en Espagne, qui est à attribuer à
l'arriération du pays, exclut toute possibilité d'issue révolutionnaire. Le
résultat des événements apparaît donc comme établi, et l'armement général des
prolétaires n'implique pas du tout que, encadrés comme ils le sont sous les
drapeaux ennemis du Front populaire, ils reprennent la démolition du système
capitaliste et de l'État bourgeois, et même cette éventualité est désormais
exclue parce qu'ils ne se battent plus pour leur propre cause, mais pour la
cause antifasciste, pour un objectif qui n'est plus l'objectif de classe,
lequel les conduira à la défaite. Et de plus, les grèves et les luttes
revendicatives ont cessé ou se sont raréfiées à l'extrême, tandis que s'élèvent
continuellement les appels des anarchistes et des socialistes pour que les
ouvriers intensifient la production, de façon à assurer la victoire de
l'antifascisme. Aux militants qui, ayant connu la répression féroce du
fascisme, craignent que le triomphe des rebelles en Espagne ait des
conséquences identiques pour le mouvement ouvrier ibérique, le dilemme
"pour ou contre" le Front populaire et la crainte obsessionnelle de
la victoire de la droite ne doivent pas faire oublier que le prolétariat ne
peut pas se poser le problème en ces termes, parce que c'est le capitalisme qui
est le seul arbitre de ses formes (démocratiques ou fascistes) de gouvernement.
Les ouvriers ont une seule voie de sauvetage : celle qui consiste à se
réorganiser sur des bases de classe pour sa défense, dans l'attente que
mûrissent les conditions pour s'insurger. Et si des choix de cette nature
diminuent les possibilités de succès du Front populaire, la victoire des
droites – selon le représentant de la majorité – n'aura pas d'avenir, parce que
les masses s'organiseront pour briser une fois pour toutes les forces de la
réaction capitaliste, en évitant, comme cela s'est produit en Italie et encore
plus en Allemagne, que les sociaux-centristes « ne préparent le lit à la
répression sanglante de la droite ».
Estrecho
Quinto et Monte Aragón :
« Quand
la lune se lève à Marechiaro… »(*)
Ayant quitté
Barcelone le 28 août, la colonne Lénine (dont le Groupe international comprend,
en plus des Italiens, 10 Français, 7 Arabes, 3 Belges, 1 Suisse, 1 Portugais, 2
Allemands, 1 Tchèque et 1 Roumain) prend position entre Huesca, Quicena et
Tierz. « Le chef de la colonne – écrit Albert Just – est un ingénieur
industriel italien, le capitaine Russo, qui travailla en tant que tel à l'état-major
italien durant la Grande
Guerre et qui, poursuivi par le fascisme, s'est réfugié à
Bruxelles. Russo, bien que jeune, est un vieux militant du communisme
international. Secrétaire général de la Bourse du Travail de Naples, il a été un des
principaux membres de l'opposition communiste italienne et c'est un vieil ami
de Juan Andrade, de Gorkin et de Nin… Les cinquante camarades qui composent la Colonne Lénine se
trouvaient tous à l'étranger quand la sédition fasciste débuta en juillet.
S'exposant à mille dangers, il sont venus dans notre pays et, de Barcelone, où
ils s'organisèrent sous la direction de Russo et le contrôle du P.O.U.M., ils
suivirent la route qui mène à Barbastro, Sariñena, Alcalà de Obispo et
Bellestar ».
« Nous
sommes partis de Barbastro », racontera Pace. « La première action a
été de couper une voie de communication entre Barbastro et Huesca aux alentours
du fort Aragón… Il y avait une ferme, et après quatre ou cinq jours, nous nous
sommes aperçus qu'elle était occupée… Dans la ferme, ils étaient une
cinquantaine, entre phalangistes et militaires, qui se trouvaient justement
dans notre dos. Alors, le matin, nous allons donner l'assaut à cette ferme. La
première vague de camarades qui entrent dans la cour, les franquistes … en
tuent cinq ou six avec des grenades. Il nous a fallu alors les assiéger, nous
les avons assiégés et nous attendions "el dinamitero". Nous avons dû
attendre trois jours "el dinamitero" pour qu'il arrive avec la
dynamite… Et donc, "el dinamitero" a posé ses mines tôt le matin, et
puis on leur a donné l'ultimatum. Dès que … nous avons dit que tout sauterait
en l'air, on a entendu une fusillade à l'intérieur, ils se sont entre-tués
parce qu'il y avait ceux qui disaient qu'il fallait se rendre et ceux qui
disaient le contraire. Ensuite, ils sont sortis les mains en l'air, on n'a rien
fait aux soldats, ils faisaient ce qu'ils voulaient, ils retournaient chez eux,
les officiers ont été fusillés le lendemain par six là où il y avait encore nos
six camarades tués, il y avait un fasciste belge, il y avait un lieutenant
espagnol. Le capitaine avait réussi à s'échapper, on ne savait pas comment il
avait fait. Le lendemain, nous l'avons pincé et fusillé… ».
Le 4 septembre
(le même jour où les modérés et les staliniens marquent, dans la "seconde
guerre civile" contre le pouvoir des comités et des conseils, un point
important en leur faveur avec la formation d'un nouveau Gouvernement central
qui est présidé par le socialiste Largo Caballero et dont les ministres sont
les représentants républicains, et ceux du P.S.O.E. et du P.C.E.), De Leone
informe Piero Corradi de l'arrivée à Barcelone de la délégation de la C.E., composée du juif
polonais Feingold ("Michel") et deux Italiens, Turiddu Candoli et
Aldo Lecci ("Tullio"), ce dernier étant entré en Espagne grâce à un
laissez-passer des métallurgistes de Marseille (1). Selon Bibbi, les trois
délégués « avaient la charge de discuter avec le P.O.U.M. et d'inviter ses
chefs à développer une politique indépendante : refuser l'entente avec l'antifascisme,
lutter contre toutes les différentes ailes de la bourgeoisie, chercher à donner
une solution prolétarienne au problème du conflit ». Aussi bien Lecci que
Candoli sont des membres de la
Fédération bordiguiste de Marseille, laquelle a joué un rôle
décisif dans le tournant du 17 août. « Lecci a dit qu'il ne fallait
absolument pas aller [en Espagne], … la Centrale s'est fait désirer un peu, ce fut nous,
ceux de Marseille, – dira Candoli – qui avons déclenché la bagarre dans nos
groupes… ».
Les désaccords
sont immédiats entre les trois délégués et De Leone, lequel refuse de se
joindre à eux et repousse « en bloc » la motion de la C.E. du 23 août, malgré
« l'ordre » de "Michel". Les demandes de rompre avec le
P.O.U.M. et de dissoudre la colonne Lénine lui paraissent « injustes,
ridicules et inapplicables », étant donné que rien ne lie les bordiguistes
au parti espagnol et que leurs rapports ne sont jamais allés au-delà de
« quelques discussions sans conclusion » qu'il a eu lui-même avec ses
dirigeants, sans parvenir à une entente quelconque. La dissolution de la
colonne Lénine est, enfin, tout simplement irréalisable : « La colonne,
ensuite, resterait la même puisqu'elle a été formée par le POUM qui ne
songerait pas du tout à la dissoudre même s'il y avait une dizaine de miliciens
en moins ». Et puis, De Leone nie à la C.E. la faculté de ne pas reconnaître la Fédération barcelonaise
et de considérer comme étrangers à la Fraction les camarades qui la composent, parce
qu'ils l'ont constituée en partant des « mêmes bases idéologiques »
que Mazzucchelli, que Corradi et que de beaucoup d'autres membres qui sont
restés en France ou en Belgique. Il ne reste rien d'autre à faire à la C.E. que d'admettre le Groupe
de Barcelone dans l'organisation ou bien d'exclure ses membres et ceux qui se
solidarisent avec eux.
L'exilé conteste
que la lutte qui se déroule en Espagne corresponde – comme le prétend la C.E. – à un dessein préétabli
du capitalisme de liquider le prolétariat : « Mais c'est faire preuve de
cécité que d'affirmer que tout ce qui s'est passé et est en train de se passer
en Espagne se déroule selon un plan méphistophélique de la bourgeoisie et que
les masses ouvrières suivent ce plan, dociles et impuissantes, comme des
pantins entre les mains du Front populaire, qu'aucun caractère de classe ne
peut être attribué aux convulsions du prolétariat espagnol, que celui-ci est
encadré dans une armée bourgeoise, qu'il est exclu que le prolétariat puisse
trouver dans ces mouvements la conscience pour la formation du parti, etc..
Seuls le parti pris et l'engouement pour une thèse peuvent vous faire nier la
vérité consacrée. Les ouvriers se sont armés contre la volonté du gouvernement;
ils ont agi et ils agissent même aujourd'hui sur un terrain de classe, en
particulier en Catalogne; le font militaire n'est pas constitué par une armée
bourgeoise, mais par des milices ouvrières autonomes, etc. ».
Ensuite, après
avoir exposé à quel point la
Fraction est prête à se jeter en France et en Belgique dans
des agitations syndicales, même quand elles sont contrôlées par des "chefs
confédéraux" alliés de la bourgeoisie et que les objectifs sont uniquement
revendicatifs, De Leone s'insurge : « Eh bien, ce mouvement espagnol
horripilant, diaboliquement organisé au profit de la bourgeoisie, a donné
jusqu'à présent quelque chose – une bagatelle! – à la classe ouvrière :
destruction de l'Église, destruction de l'armée, destruction du latifundium et
de la propriété terrienne moyenne, confiscation et collectivisation de
l'industrie et du grand commerce, des centaines de milliers de fusils (et des
canons, des mitrailleuses et des avions) entre les mains des organisations ouvrières…, sans parler de l'excitation
révolutionnaire latente chez les autres prolétaires du monde, en particulier au
Portugal, en Italie, etc.…Vous ne voyez pas le caractère de classe des
événements et vous exagérez leur côté négatif… ». L'exilé n'est pas
d'accord, enfin, avec la façon de procéder – peu "opportune" – de
Lecci, Feingold et Candoli : « J'ai proposé en vain à la délégation, qui a
voulu demander la permission d'aller au front pour discuter avec les camarades,
d'en faire venir quelques-uns à Barcelone, geste plus approprié, moins
dangereux et plus conciliant. La permission fut refusée…. ».
La discussion
entre Lecci et Russo, en outre, est inutile. La proposition de
"Tullio" – nous rapportera Candoli, pour lequel, « en Espagne,
il n'y avait rien de révolutionnaire, rien de rien » – de retirer la
colonne Lénine du front et de faire une assemblée de miliciens « pour voir
s'ils réussissaient un peu à prendre une position vraiment
révolutionnaire », est refusée par Russo. Une rencontre entre les trois
délégués, Zecchini et Pace, quand "Biondo" et "Romolo"
viennent en permission à Barcelone, n'a pas de meilleur résultat. Selon Lecci,
pour qui les combats correspondent aux objectifs des fascistes et de la
bourgeoisie démocratique d'user les forces ouvrières, il y aurait chez les deux
volontaires, en dépit d'une certaine disponibilité à agir dans les
organisations de base, une confusion considérable dans les principes, ainsi que
l'obstination « à vouloir reconnaître le front de classe dans le front
militaire ». À son avis, on ne peut pas continuer, "en ce qui
concerne la situation espagnole, à parler de période révolutionnaire, si l'on
ne veut pas offrir un spectacle « dégradant d'antifascisme mal
corrigé » auquel il faut préférer la séparation, vers laquelle tendraient
(« la volonté de rompre avant de discuter ») les camardes de la
minorité.
Les positions de
Pace et de Zecchini ne sont pas celles décrites par Lecci. Les deux miliciens
soutiennent que le succès des travailleurs espagnols serait, à la différence de
celui de Franco ou du Font populaire, « le point de départ de la reprise
mondiale de la révolution… ». Le prolétariat a pris les armes – disent-ils
– pour « défendre ses conditions de vie et ses organisations de l'assaut
de la réaction. Les ouvriers espagnols prennent les armes contre Franco pour
les mêmes raisons que les ouvriers ont pris les armes contre Kornilov ». Et, si
le dilemme est encore celui du capitalisme et du prolétariat, et si la
bourgeoisie « reste virtuellement au pouvoir » parce que le parti de
classe est absent, la révolution n'est pas encore dans la courbe descendante et
les possibilités de victoire des travailleurs « ne sont pas à exclure de
manière définitive », à condition qu'ils continuent « à combatte
sur le front militaire contre Franco », pour jeter les bases de l'armée
rouge de demain, « et sur le front social pour accélérer la décomposition
de l'État capitaliste ».
La discussion
avec Berneri n'est pas non plus concluante. Mais tandis que le directeur de
"Guerre de classe", qui connaît bien Lecci, est très courtois, les
autres anarchistes réagissent aux argumentations des bordiguistes avec fureur :
« Ah, ils nous menacèrent les pistolets à la main, certains, pas
tous ». Un autre entretien avec Juan Andrade, de la gauche du P.O.U.M., se
conclut de manière moins orageuse, même si, immédiatement après, les délégués
courent quelques risques. Lecci et ses camarades sont en effet chassés, par
ordre de Gorkin, de l'hôtel Falcón où ils logeaient aux frais du P.O.U.M.,
après que le directeur de "La batalla" a reçu d'Andrade un de leurs
documents, âprement critique envers son parti. Et seule l’aide de l’anarchiste
de Carrare Romualdo Del Papa, qui leur fournit de l'argent pour dormir dans une
pension, les sauve d'un des « paseos » qui, après le crépuscule, ont
encore lieu dans les rues de la ville. Mais De Leone essaie de
dédramatiser : « La délégation ne court aucun danger, sauf celui de
finir comme le comte Ugolin(*) si on
ne lui fournit pas d’argent ».
Pendant que ces
rencontres se succèdent, le Groupe international de la colonne Lénine occupe
d'autres positions sur la route qui va de Huesca à Barbastro, y compris
quelques moulins et l'asile d'aliénés, puis il résiste à l'offensive entreprise
par les rebelles de Huesca pour libérer 400 factieux coincés à Monte Aragón.
« Au mois de septembre – écrira Bruno Sereni – les fascistes déclenchèrent
une série d'attaques combinées avec aviation et artillerie dans le secteur où
se trouvait Russo et les siens… Beaucoup des nôtres périrent dans la défense de
la position ». Parmi les morts, on compte les Français Joseph San Jos,
Roger Laurens et Daniel Trobo Quindos, tandis que parmi les blessés on signale
Jean-Claude Lafargue et Gildo Belfiore. « À la fin, les fascistes à bout
de forces et constatant le nombre croissant de pertes, reconnurent que la
position était inexpugnable ».
Le 20 septembre,
la majorité rend publiques, pour la première fois, les divergences internes en
imprimant les procès-verbaux des réunions de juillet et d'août dans
"Prometeo", dans les pages duquel elle dénonce par ailleurs avec
force la nature impérialiste de la guerre qui est « capitaliste, impérialiste,
contre-révolutionnaire, anti-prolétarienne » et qui entraîne « le massacre de milliers
d'ouvriers espagnols, la destruction de leurs organisations et l'instauration
de la plus féroce des dictatures ». Le Front populaire a détourné le
prolétariat des grèves générales et des revendications de classe, avec
lesquelles il menaçait la structure capitaliste et même Franco, pour le jeter
dans un conflit pour la conquête du territoire « où il ne peut être
qu'exterminé », et il a réalisé, avec la corruption et la cuite
antifasciste, une "Union sacrée" entre la bourgeoisie et les
travailleurs qui n'est pas différente de celle construite par Franco avec la
terreur blanche. Les prolétaires espagnols et "étrangers", manipulés
par le Front populaire, sont victimes d'une tromperie effrayante puisqu'ils
pensent se battre pour la révolution sociale alors qu'ils opèrent au contraire
« sur le terrain et sur le chemin de l'ennemi », comme « soldats
non du socialisme, mais du capitalisme ». Pour rendre vains les plans de
la bourgeoisie qui visent « à exécuter le prolétariat tout entier »,
ils doivent revenir à le lutte de classe, en abandonnant la lutte militaire,
parce que si « on s'arme sur le front du capitalisme, on se désarme »
sur celui « du communisme ». « On n'acquiert pas de titres de
crédit dans l'armée impérialiste – c'est la réponse de Corradi à la
"Déclaration…" – pour pouvoir développer un travail révolutionnaire
parmi les masses, mais, sur le front impérialiste, on devient des agents du
capitalisme… ». On reprend donc le chemin qui, en juillet, a conduit à la
défaite des révoltés à Barcelone et qui pouvait mener à la mutinerie des
soldats de Franco et à la chute de Saragosse, si les anarchistes et le P.O.U.M.
n'avaient pas consolidé la machine capitaliste. Les libertaires et le P.O.U.M.
« sont des pions dans la manœuvre du capitalisme parce qu'ils font croire
au prolétariat qu'il combat pour le socialisme ou l'anarchie, qu'il se défend
contre Franco, en édifiant des armées qui occupent des positions impérialistes »,
que « des ouvriers dirigés par des états-majors militaires
improvisés » peuvent « battre des armées dirigées par des
spécialistes… ».
Étant revenu en
France – avec Candoli – pour deux semaines, De Leone informe la C.E., le 23 septembre, qu'il a
l'intention de reprendre sa liberté d'action. À Barcelone – écrit-il – Lecci et
"Michel" sont en train d'élaborer avec une certaine lenteur un
document sur la situation espagnole qui, s'il avait été prêt, aurait pu être
utilement remis le 18 septembre aux délégués du Comité Central du P.O.U.M..
« L'ambiance aurait également été propice puisque tous les délégués de
l'organisation de Madrid ainsi que ceux de la Jeunesse et d'autres
organisations catalanes étaient résolument orientés à gauche et ont présenté
des thèses extrêmes où était clairement posée le problème de la nécessité de la
lutte sur les deux fronts ». Puis,
De Leone donne quelques informations sur le Comité Central des Milices
Antifascistes et sur le Conseil de l'économie de la Catalogne. Ouverts
à toutes les formations antifascistes, ils sont toujours – rapporte-t-il –
contrôlés par les anarcho-syndicalistes, tandis que la gauche
autonomiste « n'a aucune voix au chapitre. Tout le pouvoir de fait
est encore, et ce malgré les diverses tentatives de réorganisation bourgeoise,
différentes de celles que je vous ai honnêtement signalées, concentré entre les
mains des a[narcho]-s[yndicalistes] au travers du C.C.M.A. ». Au cours des
jours suivants, l'exilé se rend, de Marseille, à Lyon et à Pontcharra, où il
rencontre Carlo Mazzucchelli et d'autres camarades.
Le 26, le
processus de restauration dans l'Espagne anti-franquiste accomplit un pas en
avant considérable avec la naissance d'un gouvernement catalan dirigé par le
républicain Tarradellas, qui inclut trois ministres anarchistes et le
secrétaire général du P.O.U.M., Nin. L'entrée des libertaires et du P.O.U.M.
dans le cabinet régional (en octobre, d'autres anarchistes deviendront
ministres dans le deuxième gouvernement Caballero) est suivie de la dissolution
(le 1° octobre) du Comité Central des Milices Antifascistes, point de repère
des comités révolutionnaires, nés d'"en bas" lors des journées de
juillet, et symboles du nouveau pouvoir (2). Pendant ce temps, les insuccès
continuels des colonnes (à Badajoz, à Irún et, le 27 septembre, à Tolède)
renforcent – dans un cadre où des préoccupations justifiées d'efficacité
militaire se mêlent à des objectifs de rétablissement de l'ordre démocratique
bourgeois – ceux qui insistent sur la militarisation, sur le commandement
unifié et sur une discipline adéquate, ainsi que le font, avec des objectifs
différents, les modérés, les staliniens et les anarchistes (entre autres,
Durruti, Mera et García Oliver), qui se trouvent partiellement ou complètement
d'accord – afin d'éviter l'épouvantable malheur de la défaite totale – avec De
Leone lui-même et avec Enrico Russo (3).
Le 28 septembre,
le "Comité de Coordination" naît à Paris, sur l'initiative de la
minorité de la Fraction.
Le Comité « nie toute solidarité et responsabilité »
avec les positions prises par la majorité; il approuve les choix des camarades
« qui, à l'encontre du vote opposé par la C.E., se sont rendus en Espagne pour défendre,
les armes à la main, la révolution espagnole, y compris sur le front
militaire »; il considère que les conditions de la scission existent déjà,
mais « l'absence des camarades combattants enlèverait aujourd'hui à la
discussion un élément indispensable, politique et moral, de
clarification »; il accepte de renvoyer la solution définitive des
divergences au prochain congrès et il reste organisationnellement dans la Fraction « à
condition que lui soit accordée la libre expression » de sa pensée
« aussi bien dans la presse que dans les réunions publiques ». Il décide d'envoyer en Espagne son propre
délégué (qui sera De Leone) afin de travailler jusqu'à la complète émancipation
du prolétariat « de toute influence capitaliste et de toute occasion de
collaboration de classe, en associant également à ce travail politique, quand
ce sera possible, les camarades qui se trouvent aujourd'hui au front »; il
autorise les membres de la minorité à ne pas diffuser la presse et les
documents qui respectent les positions officielles de la Fraction, il exige la
publication de la motion, « et il conclut en envoyant un salut fraternel
et ses vœux de solidarité au prolétariat espagnol qui, dans les milices
ouvrières, défend la révolution mondiale ».
Deux jours plus
tard, les milices obtiennent un succès concret sur le front aragonais, après
les nombreuses défaites subies en Estrémadure, au Pays basque et en Castille.
Deux colonnes de syndicalistes et d'anarchistes, et une formation de gardes
d'assaut, attaquent Monte Aragón et le château d'Estrecho Quinto. Les deux
positions sont abandonnées par les rebelles qui se retirent vers Huesca, mais
leur repli est entravé par la centurie poumiste de Puig et par le groupe
international de la colonne Lénine, qui « jouèrent un rôle prééminent –
écrira le quotidien du P.O.U.M. – dans l'assaut et la conquête d'Estrecho Quinto
et de Monte Aragón ». Les fascistes tentent alors de fuir vers Fornillos,
mais, pris entre deux feux, ils laissent sur le terrain plus de 100 morts,
tandis que 413 des leurs se rendent aux gardes d'assaut du capitaine Menéndez.
Quant aux poumistes, ils récupèrent une grande quantité d'armes perdues par les
franquistes en déroute, parmi lesquelles 15 mitrailleuses, 8 mortiers, etc..
L'épilogue de cette journée mémorable sera raconté ainsi par un des militants
de la colonne Lénine, Bruno Sereni : « La conquête de Monte Aragón fut
fêtée, en grande intimité, dans une cabane de bergers, à la lumière d'une
bougie posée sur une bouteille et avec un peu de mousseux. Lors de cette nuit
inoubliable, Russo, inspiré par les étoiles qu'il voyait à travers les trous du
toit, nous chanta : "Quanno spunta a' luna a Marechiaro" ».
C'est un succès
qui console les membres du Groupe international des lourds sacrifices qu'ils
ont supportés au cours des jours précédents quand ils ont perdu, sous les
canonnades et les assauts, plusieurs camarades, parmi lesquels Renzo Picedi, un
maximaliste d'Arcole, à peine âgé de vingt-deux ans : « Les tranchées
tenues par le Groupe international ont été matraquées par un feu d'artillerie
infernal, plus de 150 coups de canon, précis et concentrés, pour préparer
l'attaque. Huit des défenseurs ont été tués par ce bombardement, et une
vingtaine blessés. Les morts, en majeure partie des Français et des Belges. Un
Italien, Renzo Picedi. Le bombardement ayant cessé, les fascistes montèrent à
l'attaque quasiment à découvert, sûrs de ne plus trouver de défenseurs dans les
tranchées, mais ils furent fauchés par le feu des mitrailleuses… ».
Les miliciens de
la colonne Lénine, « dirigés par le camarade Russo », ceux de la
deuxième colonne du P.O.U.M., « commandés par le camarade Puig », et
les autres vainqueurs de Monte Aragón et d'Estrecho Quinto, rentrent le 4
octobre à Barcelone avec discrétion, « sans se faire précéder ni suivre
par des manifestations, des interviews et des exhibitions photographiques »,
mais la population, informée de leur arrivée, accourt quand même pour les
fêter.
Dans le numéro
de "Bilan" qui est distribué au cours de ces jours-là, la majorité de
la Fraction
dénonce le fait que la tolérance de l'armement des travailleurs s'accompagne,
dans l'Espagne anti-franquiste, de tentatives du gouvernement de Largo
Caballero de rendre plus efficaces les milices avec le commandement unique et
avec une orientation « particulièrement capitaliste ». La phase
initiale, dans laquelle les masses, mal armées militairement, avaient un fort
armement politique, a été suivie – écrit-on – par la phase actuelle dans
laquelle elles disposent d'armes meilleures, mais où elles ont perdu les
objectifs prolétariens et ont abouti à des positions bourgeoises. Oublieuses de
la nécessité d'anéantir le capitalisme, elles se situent désormais sur un plan
de collaboration interclassiste et d'"Union sacrée", et l'Espagne
n'est plus le théâtre d'un conflit révolutionnaire, mais celui d'une guerre
impérialiste entre deux blocs : le bloc démocratique et le bloc fasciste. À ce
stade, seule une « rupture brutale » qui mobiliserait sur le
terrain social les forces prolétariennes encore puissantes en Catalogne, malgré
les fléchissements de la C.N.T.,
pourrait rétablir les frontières de classe.
Étant revenu à
Barcelone, où il représente maintenant la minorité, De Leone écrit le 8 octobre
à Corradi : « Tous les camarades de la colonne Lénine sont au repos. Ils
devraient repartir lundi. Mais, étant donné qu'à partir du 20 courant les milices
seront militarisées, certains camarades se réservent le droit d'examiner la
situation afin de décider s'ils partiront ou non ». Feingold et Pace –
ajoute-t-il – sont en voyage à Madrid, tandis que Zecchini, Lecci et Russo,
sont allés à Terrasse pour y tenir un meeting. Le 10, l'exilé napolitain
affronte à nouveau le problème de la militarisation, refusée par de nombreux
volontaires de la colonne Lénine, hostiles aux armées, aux grades et à la
discipline traditionnelle : « … le 20 prochain, les milices ouvrières,
bien que restant avec certaines prérogatives liées aux organisations politiques
dont elles sont issues (je n'ai pas encore pris connaissance du décret en
question et je ne peux donc rien préciser), sont cependant unifiées et
organisées selon les méthodes et la discipline de l'armée régulière ». La
transformation, pour justifiée qu'elle soit pour des raisons d'ordre militaire
[les nombreuses défaites rappelées, (NdR)], modifie « le caractère de
l'intervention des révolutionnaires étrangers dans les milices
ouvrières », et il est probable que la colonne ne repartira pas pour le
front. Cela pose le problème de l'utilisation en Catalogne des camarades qui
n'ont pas l'intention de retourner en France ou en Belgique. Pace et
"Michel" sont toujours à Madrid, tandis que Russo « a acquis une
grande influence sur des zones entières de la province » où vivent les
miliciens du P.O.U.M. qu'il commande.
Le lendemain,
"Prometeo" propose de nouveau les analyses de la majorité : les
rebelles – lit-on dans un article – ont été battus en juillet dans beaucoup de
centres industriels grâce à "l'arme de classe" de la grève générale,
qui a arrêté, dans les premiers jours, l'avancée de la droite. Mais pour
poursuivre sur la même voie, il fallait le parti révolutionnaire, « instrument
indispensable pour donner une consistance politique à l’impulsion spontanée et
de classe des masses ». Son absence a eu pour conséquence de proposer à
nouveau, « douloureusement, cruellement, inéluctablement », la
solution capitaliste. Hors jeu durant la première semaine de lutte, le
gouvernement de Front populaire est revenu en lice en feintant les masses pour
les faire sortir du terrain de classe et en les attelant au char de la
bourgeoisie. « Plus de grèves générales, plus d'attaque, l'unique concevable,
celle que l'on dirige contre le mécanisme économique et politique du
capitalisme, d'où le fascisme tire son origine, mais sauvegarde de cet appareil
pour mener avec succès l'attaque militaire contre le fascisme ».
« Attrapé » et « étranglé » dans le « piège », le
prolétariat a perdu de vue le dilemme « capitalisme-socialisme » pour
aboutir, « délogé de ses positions de classe », à la fausse antinomie
« fascisme-antifascisme », en compromettant ainsi définitivement son
combat et en s'acheminant vers la défaite. Vainqueur des rebelles en juillet,
il a subi une défaite après l'autre depuis qu'il s'est situé sur des positions
antifascistes et militaires.
Pour éloigner le
prolétariat des objectifs de classe, le capitalisme s'est servi de toutes les
ruses, depuis le « gouvernement d'extrême gauche » de Barcelone, à
participation anarchiste et poumiste, à la socialisation et à la répartition
des terres, depuis la fuite des capitalistes à la « chute du
clergé », qui ne sont rien d'autre que des concessions momentanées pour
sauver des intérêts bourgeois avec l'aide des anarchistes et du P.O.U.M.,
tombés eux aussi dans le piège parce qu'ils « ne se fondent pas sur la
politique marxiste de la lutte de classe ».
La
C.E.
s'arrête ensuite un instant sur « les problèmes fondamentaux
controversés » de la
Fraction, qui sont encore à éclaircir puisque la minorité n'a
pas produit une analyse des événements espagnols qui étaye les positions
qu'elle défend. Par ailleurs, étant donné que les divergences sont
« d'ordre capital » et incompatibles avec la discipline commune, qui
en empêcherait la maturation et l'expression, la minorité et la majorité se
sont séparées organisationnellement et le Comité de Coordination est né, auquel
la majorité a accordé tout l'espace possible. « Ce Comité a pris une série
de décisions que la C.E.
s'est bornée à enregistrer sans y opposer la moindre critique et elle a pris
les mesures nécessaires pour faciliter l'activité la plus complète de la
minorité ». La majorité refuse encore de reconnaître la Fédération de Barcelone
parce qu'elle est née « sur la base de l'enrôlement dans les milices qui
sont devenues progressivement des organismes dépendant de l'État
capitaliste ». Les votes des camarades, qui en font aujourd'hui partie et
qui étaient inscrits à la
Fraction en juillet, seront comptabilisés dans les groupes
auxquels ils appartenaient avant qu'ils ne se rendent en Espagne. Les
divergences qui existent avec eux seront définies au prochain congrès,
puisqu'ils interprètent certains documents fondamentaux de la gauche d'une
manière différente de la majorité. Le congrès devra aussi se prononcer sur la
position de ceux qui ont adhéré à la Fraction à Barcelone « sur la base politique
de l'enrôlement dans les milices ». La C.E. réaffirme enfin « que l'unité de la Fraction, brisée par les
événements d’Espagne, ne pourra se rétablir que sur la base de l'exclusion des
idées politiques qui, loin de pouvoir apporter une aide solide au prolétariat
espagnol, ont accrédité parmi les masses des forces qui leur sont profondément
hostiles et dont le prolétariat se sert pour l’extermination de la classe
ouvrière en Espagne et dans tous les pays ».
Dans le même
numéro, Borsacchi, d'accord pour l'essentiel avec la majorité, répond à De
Leone et à Mazzucchelli que l'on ne doit pas parler de « capacité
démoniaque » de la bourgeoisie à agir de manière unie contre la classe
ouvrière, mais plutôt de contiguïté logique entre les courants capitalistes de
droite et de gauche, du fait de leurs intérêts communs. S'il était juste que le
prolétariat prenne les armes en juillet, celui-ci devait ensuite viser – mais
il ne l'a pas fait – à la destruction de l'État et à la conquête du pouvoir au
travers des soviets. À ce stade-là – continue-t-il – on doit se séparer
brutalement et sans aucune ambiguïté du P.O.U.M., des anarchistes, et de tous
ceux qui ont cherché un armistice avec la bourgeoisie démocratique. Après avoir
contesté la lecture que la minorité fait du mot d'ordre de Lénine durant le
putsch de Kornilov en 1917, le bordiguiste florentin se prononce à nouveau
contre la guerre en deux temps (d'abord contre Franco et ensuite contre
Companys) demandée par les nouveaux "ministrables", parce qu'il
s'agit d'une orientation qui a mené, dix ans auparavant, à la catastrophe
chinoise et qui, en Espagne, se propose de sauver l'édifice chancelant de l'État capitaliste. Afin de
conserver le pouvoir, la bourgeoisie s'est abaissée aux concessions formelles
les plus larges (le « réformisme épileptique » dont parle
"Michel") et elle est parvenue à bloquer, grâce à l'asservissement
des anarchistes, la lutte de classe. Si les analyses divergentes des journées
de juillet – écrit Borsacchi – ne portaient pas atteinte aux fondements
théoriques de la Fraction,
on ne peut plus être membre de celle-ci quand on reste, comme la minorité, dans
les colonnes d'un parti, le P.O.U.M., lié de manière ministérielle au char
bourgeois. Si l'on peut admettre – dit Borsacchi – des opinions différentes sur
la question de la désertion des milices, on ne peut tolérer aucun désaccord
quand, pour mettre la "muselière" aux masses et aux milices, on
propose le commandement unique et la discipline. La victoire sur Franco est
indissolublement liée à la défaite du capitalisme, alors que la lutte en deux
temps conduit « à la fosse commune, au massacre des prolétaires, comme à
Badajoz, comme à Irún ».
Le numéro du 11
octobre comprend aussi les interventions de deux membres de la minorité, Carlo
Mazzucchelli et Emilio Martellini. Le premier est péremptoire : « … il ne
s'agit pas de faire bloc et encore moins de se mêler avec l'antifascisme. Les
cam.[arades] qui sont au front ne se sont mêlés avec personne et la lettre du
cam. Biondo en fait foi. Il s'agit … de vaincre la réaction militaro-fasciste
parce que sa victoire signifie la mort complète … de tout mouvement prolétarien
en Espagne… ». Si les rebelles triomphaient, il ne resterait aucune
possibilité de construire un parti ou une fraction révolutionnaire.
« Heureusement que personne ne vous suit sur votre voie sectaire ».
Et ensuite : « Vous donnez au capitalisme espagnol une force
ultra-démoniaque, une intelligence supérieure. En effet [il aurait] déclenché
l'attaque des deux côtés et les prolétaires, pauvres idiots, [tomberaient] par
paquets pour Azaña ou pour Franco. Comme si [c'était] vous autres depuis
Bruxelles [qui avez] répondu immédiatement à l'attaque aussi bien à Barcelone
qu'à Madrid… ». Et puis, que le capitalisme, pour détruire le prolétariat,
se serve en même temps de la démocratie bourgeoise et du fascisme, c'est une
affirmation démentie par les expériences italienne et allemande, où le régime
démocratique a été balayé par la droite. La minorité – nie "Tre" –
n'a jamais proposé d'entrer dans le Front populaire et, « quoiqu'en dise
Michel », la tactique appliquée contre Kornilov reste valable parce que –
et c'est prophétique – « la victoire militaire, en détruisant jusqu'aux
racines tout mouvement classiste, exclut pour des lustres toute reprise
ouvrière ». « C'est une autre chose que de collaborer comme
ministres dans un gouvernement bourgeois, et l'état de choses actuel en
Catalogne est autre chose. Topo [De Leone] dit clairement que la dualité
de pouvoir n'existe même plus. Elle est
brisée. Et donc, ne cherchez pas des histoires : il y a là-bas quelque chose
qui a changé. Reconnaissez-le ouvertement. Ce serait digne de révolutionnaires.
Mais comme ce sont les anarchistes qui prédominent, votre sectarisme vous
conduit à mentir tout en sachant que vous mentez. On peut craindre le pire de
la part des anarchistes, étant donné leur "contre tout pouvoir", mais
le cam. Biondo [Zecchini] qui est sur place et non à Bruxelles ou à Lyon dit :
« Mais, de leur part (les anarchistes), on est en train de reconnaître le
principe d'organisation de la discipline… ». Donc? ».
Puis "Tre"
attaque à fond : « Ceux qui se battent contre Franco ne font pas partie
d'armées d'Union Nationale, en particulier en Catalogne, ce sont des hommes
libres de tout préjugé et leur but est très différent [de celui] que vous
voulez nous le dire. Malheureusement, il y a en ce moment deux phases de lutte.
Libre à vous de n'en voir qu'une seule. Il y manque tous les facteurs. Libre
à vous de vouloir le triomphe de la réaction afin de pouvoir, après, reformer
le mouvement. Mais dans les cimetières. C'est ce que voulaient également les
centristes en Allemagne. Libre à vous de les suivre. Moi pas. ». Le
capitalisme « n'a incorporé absolument rien. Les luttes actuelles, les
expropriations, etc., le prouvent… ». Et ensuite : « Il n'existe
aucun organisme à partir duquel pourraient germer les tendances
révolutionnaires, dites-vous, mais c'est seulement à partir des ouvriers qui
suivent ces organismes que naîtra cet embryon d'organisation : sinon, où
irez-vous le trouver? Dans les phalanges fascistes? Mais pour toucher ces
ouvriers, il faut les suivre dans les colonnes, … la propagande … doit être
faite dans des lieux appropriés sans abandonner nos conceptions prolétariennes.
Ceci, les camarades de la fraction de Barcelone n'ont pas manqué de le
faire ». La conclusion est sèche : « Je crois moi aussi que la
situation actuelle pose le problème de la scission. Je réponds à votre
excommunication des camarades de Barcelone en donnant ma pleine solidarité à
ces camarades qui ont travaillé régulièrement et qui travaillent pour la Fraction et la
révolution. Je laisse aux tchékistes de Marseille et à ceux qui les suivent la
demande d'exclusion du cam. Candiani et l'envoi sur place d'hommes
"sérieux". On ne fait pas d'excommunications, on ne demande pas
d'exclusions, avant de connaître les faits. On n'imprime pas des manifestes
sans tenir compte de la pensée d'une moitié d'une fédération. À de tels gestes,
la réponse est la division. Et je l'applique, en passant à une lutte déterminée
contre les positions contenues dans la résolution de la C.E. ».
Et Martellini, à
son tour, se déclare solidaire des camarades qui, en se sacrifiant en Espagne,
« tentent de sauver non seulement le prolétariat espagnol et international
de la démagogie du Front populaire et de l'antifascisme, mais aussi notre
Fraction elle-même du déshonneur politique vis-à-vis de ce prolétariat ».
Le 12 octobre,
les miliciens bordiguistes refusent le décret de militarisation et ils
"démissionnent" de la colonne Lénine : « Les camarades en
question, bien qu'ils restent fermes sur le principe de la nécessité de la
lutte armée sur le front, n'ont pas accepté d'être encadrés dans une armée
régulière qui n'est pas l'expression du pouvoir du prolétariat… Les camarades
en question, en abandonnant leur poste de miliciens de la colonne
internationale Lénine, restent toujours mobilisés à la disposition du
prolétariat révolutionnaire espagnol… ».
C'est une
décision « prise de façon confuse, hâtive, sans conviction », observe
le 13 De Leone, lequel marque ainsi en quelque sorte son désaccord avec les
cinq camarades qui ont abandonné la
Colonne, pour transférer leur engagement du terrain militaire
au terrain de classe. Au moins trois d'entre eux – ajoute-t-il – seraient
disposés à retourner au front. « La motion laissait en outre à Russo la
faculté de repartir, étant donné le caractère particulier de son mandat. S'il
n'était pas parti lui non plus, la colonne internationale et deux centuries
d'Espagnols ne seraient pas parties, ce qui aurait eu des conséquences d'une
grande gravité ». Les démissions des cinq miliciens de la Colonne Lénine
prêtent le flanc aux critiques de la majorité (4). De Leone, qui en est
conscient, demande au Comité de Coordination de répondre aux
« spéculations » de la
C.E. « avec la plus grande énergie, étant donné … que le
retrait des camarades ne signifie pas du tout la répudiation du choix de
l'intervention sur le front militaire, toujours indispensable au prolétariat.
Étant donné le résultat négatif, du point de vue de la guerre, de la formation
de milices volontaires et indépendantes et de l'action autonome contradictoire,
et parfois antithétique entre elles, qu'elles développent dans le but
d'échapper au terrible malheur de perdre la guerre, c'est-à-dire de perdre tout
définitivement, il fallait en arriver à une centralisation et à une unité de
commandement… ». Le même jour, le dissident napolitain demande à Gorkin un
« travail technique et politique » pour les cinq camarades, mais en
cherchant également d'autres arrangements qui permettraient de maintenir le groupe
de Barcelone sur pied. Dans le cas où il n'y aurait pas de solution, il suggère
que les cinq camarades partent pour Paris où ils renforceraient la minorité
dans la Fédération
locale, en vue du congrès de la
Fraction. En ce qui le concerne, il restera au
"Falcón" où il a été accepté comme « délégué de la
minorité », jusqu'au retour du front de Russo, prévu entre deux et trois
semaines, après la reddition de Huesca que l'on donne pour certaine (5).
Le 17 octobre,
De Leone écrit à Corradi qu'il se mettra à chercher un travail le lendemain
avec Bramati et Mengoni. Le 18, Pace commencera son travail de tourneur et
Zecchini travaille déjà comme mécanicien à Barbastro. Tous – sauf lui – se sont
inscrits à la C.N.T..
Quant aux démissions de la colonne Lénine, il insiste pour que soit réfutée,
« avec toute la force possible, la spéculation que la C.E. fera sans aucun doute à
propos du retrait des camarades, surtout si l'on considère que l'on ne renonce
pas à la participation et ensuite parce que les camarades ne sont pas repartis
pour Paris mais sont restés ici ». Pour ce qui concerne la Fédération de
Barcelone, se pose à la C.E.
l'alternative claire et nette entre la scission et la reconnaissance, mais il
refuse cette dernière comme une conséquence du départ des camarades de la
colonne Lénine. « La reconnaissance doit se faire sur une base de
principe. Puisque leur participation aux milices et notre position politique de
solidarité ont été considérées comme si graves que la C.E. a renoncé [à] appliquer
des sanctions pour résoudre les divergences par un congrès, il est logique que
jusqu'à ce congrès le groupe doive être reconnu, sans quoi il faudrait
appliquer la sanction d'exclusion (non d'expulsion) de la vie organisationnelle
de la Fraction ».
Le Comité de
Coordination et le Groupe de Barcelone s'expriment sur cette dernière question
peu de jours après. Le Comité déclare que si la C.E. persiste dans son refus, « la minorité
ne pourrait que considérer cette position comme l'exclusion de toute la
minorité de la Fraction ».
Le Groupe de Barcelone soutient que, au cas où la C.E. ne reconnaîtrait pas la Fédération, « il
est nécessaire d'en finir avec tout délai et atermoiement, et de procéder
immédiatement à la scission sans même attendre le congrès. La scission devra être
appliquée aussitôt également au cas où la reconnaissance du Groupe serait
acceptée par la C.E.
comme une conséquence du retrait, qui s'est produit, des camarades hors des
milices, étant donné que ce retrait … non seulement ne renie pas la
participation antérieure aux milices, mais qu'il confirme le principe de la
défense armée sur le font de la
Révolution espagnole ».
Le 25 octobre,
les membres de la
Fédération barcelonaise rédigent un "Projet pour la
constitution de groupes ouvriers d'action révolutionnaire", « afin de
contribuer, d'une part, plus efficacement à la révolution espagnole et, d'autre
part, de promouvoir la constitution de groupes analogues dans tous les centres
de l'émigration italienne, et de les mettre en contact avec des groupes similaires
d'autres pays… ». Quatre jours plus tard, De Leone informe Corradi qu'il
recevra « verbalement de Candiani toutes les informations qu'il lui a
demandées ». « Il faut que je te dise, à propos de Candiani, que je
ne crois pas du tout qu'il soit inscrit au POUM, lequel du reste lui a fait un
traitement aigre-doux qui ne correspond pas à l'importance exceptionnelle des
services que Candiani a rendus avec un absolu désintéressement, quand d'autres,
dans sa situation, ont plongé à pleines mains dans l'auge des honneurs et des
récompenses matérielles ». La question de l'adhésion au P.O.U.M. –
continue De Leone – n'a jamais été examinée sérieusement « parce que nous
avons toujours été accablés par les questions abstraites, qui nous cassent les
pieds, de la C.E.
et de ses délégués », ni résolue « par un sens politique qui nous a
manqué du fait de l'héritage de dix années de navigation dans les nuages des
abstractions de la Fraction ».
Dans l'impossibilité pour la
Fraction de s'insérer avec un rôle autonome et déterminant
dans les événements espagnols, « nous aurions pu, avec meilleur profit,
tenter un déplacement, sur de positions plus avancées, de cette partie – très
nombreuse – des masses qui sont à la base du P.O.U.M., afin de les libérer de
l'influence de dirigeants politiciens et opportunistes. De toute façon, je
crois que la question n'est plus aujourd'hui d'actualité, étant donné la
rapidité avec laquelle les événements se déroulent. Au sein du P.O.U.M. – et
sans aucun mérite de notre part –, les conditions sont déjà mûres pour une
orientation classiste de ces masses de la base ». Enfin, le bordiguiste
napolitain explique que l'intervention de l'U.R.S.S. « est subordonnée à
la condition du maintien de la république démocratique et du gouvernement Caballero,
ce qui signifie qu'il s'agit d'un soutien à des fins nationales et
diplomatiques russes, et qu'en dernière analyse elle a un caractère
contre-révolutionnaire. La preuve en est que les aides sont débarquées et
dirigées exclusivement vers Madrid tandis que rien, absolument rien, ne doit
rester en Catalogne ».
La
reconnaissance de la
Fédération de Barcelone est rendue publique par la C.E. dans le numéro de
"Prometeo" qui sort le 1° novembre. La décision a été adoptée afin
d'éviter la rupture immédiate : « La C.E., dans l'état actuel imparfait d'élaboration
des normes élémentaires de vie d'une organisation qui traverse une phase de
crise, bien qu'elle soit convaincue de la justesse de sa décision précédente,
mais pour acheminer l'ensemble de la Fraction vers la phase ultérieure de la
discussion du programme et face à l'ultimatum du C[omité] de C[oordination],
rectifie sa décision antérieure et passe à la reconnaissance du groupe de
Barcelone ».
De son côté, la
minorité de la Fédération
parisienne, qui se réclame des positions de Lénine en août 1917, d'une façon
différente de Borsacchi, répète qu'elle avait demandé de lutter contre Franco,
sans pour cela soutenir Azaña ou Largo Caballero. Mais les prolétaires
espagnols ne peuvent pas accepter – insiste-t-on – l'abandon des fronts
militaires et le défaitisme dans les milices ouvrières, de la même manière que
l'on demande de le pratiquer dans l'armée rebelle. « Qu'on ne veuille
faire aucune différence entre les deux fronts, c'est vraiment incompréhensible
et pratiquement contre-révolutionnaire, parce que cela ne peut que favoriser le
triomphe de Franco et la défaite du
prolétariat… ». Des divergences sur la question de la désertion ne sont
pas admissibles. Le désaccord avec Borsacchi – et avec la majorité – est radical
: « Non, ce ne sont plus des divergences, ce sont des positions opposées,
qui nous conduisent à ceci : une partie des camarades part pour le front pour
combattre, une autre partie va au front, pour provoquer la désertion. Ce sont
là les divergences fondamentales qui mènent sur les deux barricades
opposées ». Les grèves et les sabotages dans les usines
"républicaines" sont aussi inadmissibles parce qu'ils se concluront
au détriment des camarades qui se battent sur le front et qui ont besoin de
munitions, d'armes et de véhicules. Dans cette période révolutionnaire, la
lutte de classe s'identifie à la lutte armée et le prolétariat doit
« revendiquer la direction exclusive de la lutte, la destruction de la
vieille structure étatique bourgeoise, qui ne pouvait que susciter et faciliter
l'attaque fasciste ».
Le 1° novembre,
De Leone écrit son dernier billet, puis, le 5, il s'éteint subitement d'un
infarctus à la "Pension Parisien", Plaza del Teatro, 2-4, malgré
l'assistance que lui a prodiguée le docteur Fienga : « … on nous a
transférés dans une pension qui se trouvait dans le palais du théâtre… et lui,
il était là, j'avais une chambre et lui aussi avait une chambre. Un jour, il
est allé manger et il est venu s'asseoir derrière bureau. Moi aussi, je suis allé
prendre mon repas et puis je suis revenu, et comme ma chambre était après celle
de De Leone, en passant, j’ai vu la porte ouverte et je suis entré. Il m'a
parlé de différentes choses…, à un certain moment, il a dit : "J'ai une
douleur là dedans" et je lui ai dit : "Prends une aspirine"… Il
s'est levé, s'est approché du lavabo pour prendre de l'eau et il est tombé. Je
l'ai pris, je l'ai mis sur le lit, en bas il y avait une ambulance, je me suis
fait donner une seringue, je lui ai fait une piqûre, puis une autre.. mais il
était déjà mort » (6).
Les obsèques de
De Leone sont annoncées le 7 par le quotidien du P.O.U.M., "La
batalla" : « Aujourd'hui, à quatre heures de l'après-midi, auront
lieu les funérailles du camarade De Leone, vieux militant du communisme italien,
mort jeudi. Le cortège partira du siège du P.O.U.M., Plaza del Teatro, où le
corps restera exposé toute la matinée. Nous invitons les organisations
ouvrières, et en particulier les sections étrangères, à rendre un dernier
hommage au camarade De Leone » (7). Au terme d'une cérémonie solennelle,
De Leone est enterré dans le cimetière de Barcelone, dans un tombeau sur lequel
le docteur Fienga fait mettre cette plaque : « À / Mario De Leone / doux
poète mais combattant tenace / l'ami de la jeunesse / turbulente et rêveuse /
en mémoire de l'amitié / qu'il repose ». Se souvenant du disparu, la
majorité écrira dans "Prometeo" : « Durant la décennie où il se
trouva en Russie, dans laquelle il s'était rendu pour des motifs de travail, il
prit depuis le début position contre la dégénérescence centriste. Parmi nous,
il était l'expert et il développait son activité surtout dans le milieu russe
où il avait acquis parmi les ouvriers un ascendant intolérable pour les
centristes qui finiront par l'exclure du parti… ». Et plus loin, cherchant
à ramener, dans une certaine mesure, ses désaccords sur la question espagnole
aux nombreuses douleurs qui avaient marqué son existence : « Les
dernières années de vie ont été pour De Leone un véritable calvaire : aux catastrophes
financières, s'ajouta la mort de sa compagne, qui laissait deux enfants encore
d'âge tendre. Cela a certainement non seulement contribué à sa fin prématurée –
il n'avait pas encore cinquante ans – mais aussi influé sur la détermination de
certaines de ses attitudes, autrement inexplicables. Précisément chez lui, chez
notre De Leone, si calme, toujours étranger à toute forme d'aventurisme
politique ».
En novembre
1937, un certain Tony Bekker tenta une spéculation politique sur la mort de De
Leone en affirmant dans un article bourré de mensonges, publié par le journal
fasciste "Stampa sera", que l'opposant napolitain, arrivé en Espagne
avec Maurin et Gorkin, aurait été empoisonné avec un café par un barman du
P.S.U.C., le parti stalinien de la Catalogne. « Le POUM décréta des funérailles
solennelles pour De Leone et les membres de l'organisation troskiste (sic!)
défilèrent sur la Rambla
avec d'énormes affiches et bannières au vent. Suivaient les délégations de la FAI, d'autres partis, et les
gardes de la
Généralité. Uniques absents, les représentants du PSUC. Ce
fut un signe clair de la lutte féroce qui était sur le point d'éclater ».
Appendice
Dix lettres de
Mario De Leone
Une lettre d'Aldo
Lecci
Une lettre de
Virginia Gervasini
Document n°1
Barcelone,
le 4 septembre 1936,
Cher
Piero, Michel(1), Tullio et Alfredo(2), sont arrivés ici en provenance de La Seyne. Nous enverrons
des rapports fréquents. La présente a un caractère personnel. Je te demande de
m'expédier en recommandé un Bilan, un Prometeo (non pas le dernier
numéro du 29 août, mais le numéro précédent dans lequel il devrait y avoir un
article de Tito intitulé "La Révolution Espagnole"),
et une copie de la motion présentée par toi en opposition à celle de la C.E.. Je me suis déclaré
contre la motion de la C.E..
On peut supposer que la même attitude sera prise par les camarades qui sont au
front. Saluts fraternels à Emilia et à tous les camarades. Écris à : De Leone,
Hôtel Falcón, Plaza del Teatro, Barcelona, Espagne.
Document n°2
Marseille,
le 23 septembre 1936,
Aux
camarades de la C.E.,
Chers
camarades, dans ma lettre précédente du 29 courant, je vous ai avertis de mon
retour et de celui d'Alfredo. Lui, il est rentré en raison de la restriction
des dépenses et moi (qui n'étais pas à la charge de la délégation) pour
régulariser ma position par rapport à vous et pour reprendre ma liberté
d'action. Les événements espagnols ayant été diversement interprétés au sein de
notre organisation, du fait également du manque d'informations directes, il a
été décidé par vous, sur la proposition de la féd. de Marseille, d'envoyer un
observateur dont les observations auraient dû servir à orienter la Fraction et à éviter des
coups de tête arbitraires et pernicieux. C'est moi qui ai été désigné par
l'org. de Marseille et cette nomination a été autorisée par vous. Après la
réception des fonds de Paris, et les accords pour le passage, je suis parti le
17 août et je me suis trouvé sur place le 19. En onze jours, je vous ai envoyé
six lettres qui contenaient les impressions et les chroniques des choses vues
et apprises. Ma correspondance s'est arrêtée avec l'arrivée des trois délégués
auxquels j'ai donné, avec diligence et impartialité, des informations, des
conseils et de la documentation. J'ai refusé de faire partie de la délégation
et j'ai rejeté la motion en bloc. J'ai considéré ses conclusions comme
injustes, ridicules et inapplicables : rupture des relations avec le Poum,
dissolution de la colonne, non-reconnaissance de la féd. barcelonaise, etc..
J'ai proposé en vain à la délégation, qui voulut demander la permission d'aller
au front pour discuter avec les camarades, d'en faire venir quelques-uns à
Barcelone, geste plus approprié, moins dangereux et plus conciliant. La
permission fut refusée et la délégation est encore en train d'attendre pour
prendre ces contacts qu'il aurait été possible de prendre en 24-48 heures au
profit de tous. Depuis le premier jour de son arrivée, la délégation a été
obligée, par manque d'argent, de mendier (aucun autre mot ne correspondrait à la
réalité) le gîte et le couvert, et même des subsides(!!) à ce POUM avec lequel
on devait fièrement rompre les relations! Après dix jours de tolérance, la
délégation est mise définitivement à la porte. L'unique parole de réprimande et
de mépris à l'égard de Gorkin(3) le fut de ma part. À partir du 12, la
délégation vit en pension et mange au restaurant, à ses frais. Je reste jusqu'à
mon départ dans l'auberge du POUM en cachette(*). La délégation ne court aucun danger,
en dehors de celui de finir comme le comte Ugolin si on ne lui
fournit pas d’argent. Permettez-moi deux observations objectives : vous envoyez
un observateur qui vous demande de revenir et vous déconseille d'en envoyer
d'autres, si on ne leur assure pas préalablement les moyens de revenir. Pourquoi
me faire rester, inquiet et bloqué, sans préparer à temps mon retour? Je ne
peux pas vous taire ici un soupçon qui est né en moi, et qui est en partie
confirmé par de petites voix entendues ici et là, à savoir que votre
préoccupation pour mon sort (moi qui pourtant me trouvais là pour votre compte)
était assez faible, tandis que votre préoccupation d'envoyer quelqu'un, pour me
punir de je ne sais quelle incapacité à vous représenter et les
camarades du front pour leur acte de rébellion vis-à-vis de la C.E., était plus ardente. Si
vous me confirmez le manque de fondement de cela, je ne pourrais que m'en
réjouir, plus pour vous que pour moi-même. La délégation s'occupe du recueil de
la documentation nécessaire pour rédiger un texte qui devra fixer les positions
de la Fraction
(si vous pouvez encore parler en son nom!) et pour le présenter au POUM. Si ce
texte avait été prêt, il aurait pu être examiné dans une réunion du Comité
Central jusqu'au 18 où furent étudiés aussi les relations internationales.
L'ambiance aurait également été propice puisque tous les délégués de
l'organisation de Madrid ainsi que ceux de la Jeunesse et d'autres
organisations catalanes étaient résolument orientés à gauche et ont présenté
des thèses extrêmes où était clairement posée le problème de la nécessité de la
lutte sur les deux fronts. Mais l'opportunisme de Nin(4) eut gain de cause avec
les résolutions adoptées qui acceptent n'importe quelle solution (junte
militaire ou gouvernement ouvrier, etc.) pourvu qu'elle soit soutenue par la FAI et par la CNT.
Mes
rapports avec les dirigeants du POUM, comme je vous l'ai déjà écrit, se
réduisirent à quelques discussions sans conclusion et, lors de la dernière de
celles-ci, je présentai à Nin le manifeste de la Fraction. Avec eux,
j'exprimai loyalement le point de vue de la Fraction, bien que nos désaccords internes aient
été amplement connus. Un éclaircissement peut être utile à propos des
formations militaires de volontaires ouvriers. Le C.C. des milices, de même que
le Conseil de l'Économie, sont deux organismes nés de la révolution dans
lesquels les anarcho-syndicalistes ont la prééminence absolue. Mais ces organes
sont fondés sur la représentation de tous les partis antifascistes, et donc
aussi de la gauche catalane, qui n'a cependant aucune voix au chapitre. Tout le
pouvoir de fait est encore, et ce malgré les différentes tentatives de
réorganisation bourgeoise, différentes de celles que je vous ai honnêtement
signalées, concentré entre les mains des a. s. au travers du C.C.M.A.. Toutes les
organisations qui y participent ont le droit de constituer, selon une certaine
part proportionnelle, et je ne sais pas si elle est respectée, des formations
militaires qui, bien qu'elles soient armées, équipées et payées, par l'État,
sont toutefois autonomes et indépendantes de lui. Ce sont des milices de parti,
et c'est celui-ci qui fournit les commandants, qui choisit les secteurs, qui
engage les actions de guerre, qui pourvoit au ravitaillement en armes,
munitions, outils, matériel sanitaire, vivres, etc.. Chaque parti ou org.
syndicale a son commandement militaire qui se coordonne avec le commandement
central des M.A.. Le POUM organise une colonne internationale, et nos camarades
s'y introduisent après une brève expérience répugnante dans une autre colonne.
Ceux qui ont accepté de défendre la révolution avec les armes sur le front
militaire, doivent donc s'insérer dans une formation militaire. Celle du POUM
étant la plus proche politiquement, c'est là que nos camarades vont. Quel crime
est-ce là? Il faudrait non pas condamner l'entrée dans les milices du POUM,
mais condamner absolument l'entrée dans les milices, non pas parce qu'elles
sont du POUM ou de la FAI,
mais parce qu'elles sont des milices en tant que telles. Et vous-mêmes, face à
cette mesure décisive, à cette sanction absolue, vous avez hésité, et vous avez
bien fait. Et vous vous en remettez au prochain congrès qui défera le nœud amer
qui nous serre aujourd'hui l'âme.
Enfin, l'adhésion aux milices n'implique
pas l'adhésion politique, comme membres d'un parti, des miliciens eux-mêmes.
Comment rompre avec le POUM? Politiquement, il n'y a aucune entente.
Militairement? Alors, c'est l'abandon du front, des milices, c'est-à-dire
l'acceptation d'une tactique que ces camarades ont violemment rejetée en
rompant avec vous et en partant. La colonne, ensuite, resterait la même parce
qu'elle a été formée par le POUM qui ne songerait pas du tout à la dissoudre
même s'il y avait une dizaine de miliciens en moins. Quant à la constitution de
la Féd.
barcelonaise, je vous informe qu'elle était déjà constituée à mon arrivée. À
part le fait que personnellement je l'approuve, je n'avais aucune autorité ou
mandat pour m'y opposer et pour la considérer, ainsi que vous le faites, comme
inconstitutionnelle. Partout où il y a
des camarades de la
Fraction, ils ont le droit – qui est aussi une obligation –
de se constituer en groupes, en fédération, etc.. Vous ne reconnaissez pas la
constitution qui a eu lieu de l'org. de Barcelone. Vous n'y avez aucun droit. À
moins que vous ne considériez ces camardes comme déjà exclus. En vertu de quoi?
Avec quelle autorité? Vous demandez à savoir sur quelles bases politiques ce
groupe s'est constitué. Eh bien, il s'est constitué sur les mêmes bases
idéologiques sur lesquelles je me trouve, ainsi que Tre, Piero et beaucoup
d'autres camarades qui ne sont pas partis, mais qui approuvent le départ et
l'attitude politique de Candiani, etc.. Si vous voulez maintenir la mesure de
non-reconnaissance du groupe de Barcelone, vous devez être cohérents et
conséquents : excluez tous ces camarades qui se solidarisent avec les camarades
de ce groupe. Pouvez-vous faire cela en l'état actuel des choses? Vous écartez
les mesures disciplinaires jusqu'à ce qu'une clarification des positions
politiques permette d'établir qui avait raison. Il ne vous reste donc qu'à
reconnaître le groupe de Barcelone. Ou sinon, à étendre la non-reconnaissance
également à ces camarades qui se solidarisent avec lui, ce qui ne servirait pas
la clarification et contredirait votre décision de donner à l'opposition le
droit de s'exprimer librement, même de façon contradictoire et y compris dans
un organe approprié. Donnez-moi une réponse précise pour que je sache si je
dois me considérer encore comme un membre effectif de la Fraction ou bien un
membre "non reconnu". Le fait important et prééminent n'est pas
l'attitude de la C.E.
à l'intérieur de la Fraction,
qui peut se définir comme du linge sale qui se lavera en famille, mais la
position politique despotiquement prise en public par la C.E. et qui peut avoir
liquidé pour toujours notre mouvement. Sur les positions politiques, je me
réserve le droit de vous présenter un document si possible d'entente, en accord
avec les camarades "minoritaires". J'observe rapidement que les
positions que vous avez prises pourraient aussi être considérées comme
correctes sur un plan abstrait : contre tout compromis et contre tout front
militaire bourgeois. Mais c'est faire preuve de cécité que d'affirmer que tout
ce qui s'est passé et ce qui est en train de se passer en Espagne se déroule
selon un plan méphistophélique de la bourgeoisie et que les masses ouvrières
suivent ce plan, dociles et impuissantes, comme des pantins entre les mains du
Front populaire, qu'aucun caractère de classe ne peut être attribué aux
convulsions du prolétariat espagnol, que celui-ci est encadré dans une armée
bourgeoise, qu'il est exclu que le prolétariat puisse trouver dans ces
mouvements la conscience pour la formation d'un parti, etc.. Seuls le parti
pris et l'engouement pour une thèse peuvent vous faire nier la vérité
consacrée. Les ouvriers se sont armés contre la volonté du gouvernement; ils
ont agi et ils agissent même aujourd'hui sur un terrain de classe, en
particulier en Catalogne; le front militaire n'est pas constitué par une armée
bourgeoise, mais par des milices ouvrières autonomes, etc.. Certes, ce serait
mieux si, au lieu du compromis, on faisait à coup sûr une belle Révolution
selon vos schémas. Mais la réalité est ce qu'elle est. La masse est en
mouvement sur le terrain militaire et sur le terrain social. Alors que nous
faisons du sabotage (vous m'expliquerez mieux oralement) contre le front des
milices ouvrières, je vous demande si nous ferons le même sabotage quand les
ouvriers français, belges, etc., seront encadrés dans une armée bourgeoise lors
de la prochaine guerre. Alors que nous ridiculisons et injurions la lutte des
ouvriers espagnols, nous nous jetons la tête la première dans n'importe quel
mouvement syndical en France, ou en Belgique, bien que nous sachions que ces
mouvements sont dirigés par des chefs confédéraux alliés de la bourgeoisie et
ont des objectifs bien peu révolutionnaires : congés, augmentations, etc.. Eh
bien, ce mouvement espagnol horripilant, diaboliquement organisé au profit de
la bourgeoisie, a donné jusqu'à présent quelque chose – une bagatelle! – à la
classe ouvrière : destruction de l'Église, destruction de l'armée, destruction
du latifundium et de la propriété terrienne moyenne, confiscation et
collectivisation de l'industrie et du grand commerce, des centaines de milliers
de fusils (et des canons, des mitrailleuses et des avions) entre les mains des
organisations ouvrières, sans parler des
avantages économiques et syndicaux, et sans parler de l'excitation
révolutionnaire latente chez les autres prolétaires du monde, en particulier au
Portugal, en Italie, etc.. Vous ne voyez pas le caractère de classe des
événements et vous exagérez leur côté négatif (sans doute important),
c'est-à-dire l'existence d'un gouvernement pro-bourgeois dans le coma, ce que
vous appelez le compromis. Les conséquences que vous tirez de cette prémisse
sont extrêmement logiques. Seule une analyse sérieuse de la nature et du
caractère de l'économie espagnole peut nous donner une indication approximative
pour décider de la justesse de vos positions. Malgré tout, souvent la réalité
dépasse et modifie les schémas. Essayez de préparer le plus possible de
matériel permettant de comprendre la situation espagnole, la nature de ce
capitalisme et son caractère politique. Dans l'attente que la conclusion des
événements fournisse le mot de la fin sur notre désaccord.
Saluts cordiaux. Topo.
Document n°3
Copie
d'une lettre de Tullio, expédiée de Barcelone à Marseille, et transmise à
Bruxelles.
Très
chers,
Nous
recevons votre lettre du 16 datant de 15 jours. Changez l'adresse et
servez-vous de celle de la
FAI. Entre-temps, Topo et Alfredo seront arrivés et vous
aurez de nos nouvelles. La situation est inchangée, et deux camarades sont
venus du front pour prendre connaissance des décisions de la Fraction. Il y a chez
eux beaucoup de confusion dans les principes et ils s'obstinent à vouloir
reconnaître le front de classe dans le front militaire, mais à côté de ça il y
a cependant une volonté de ne pas rompre et une tendance à appliquer notre
méthode de travail à la base des organisations prolétariennes. Nous attendons
que les autres rentrent au repos pour arriver à une solution dans un sens ou
dans l'autre. À propos de ce que vous
nous dites, il semble qu'il se soit déjà produit une brèche là-bas. Ce qui est
sûr, c'est que, chez beaucoup de camarades et chez les plus responsables, il y
a la volonté de rompre avant de discuter. Si cela advient, ce ne sera pas un
grand mal, car si, après les données de fait existantes de la lutte
prolétarienne, on veut encore parler aujourd'hui de période révolutionnaire et
des possibilités de développement de la lutte prolétarienne dans le chaos
actuel, il vaut mieux en finir que de donner un spectacle aussi dégradant
d'antifascisme mal corrigé.
On est
entrain de vivre ici une tragédie sociale dont on ne trouve, par analogie, les
caractéristiques dans aucun mouvement passé. Les conquêtes prolétariennes sont
au fur et à mesure enlevées et légalisées par des gouvernements qui regroupent tous
les partis de la bourgeoisie de gauche et les org. ouvrières. La guerre est
dure et sanglante, et sans changements. Cela répond-il à un plan conjugué de la
bourgeoisie fasciste et antifasciste pour user les forces ouvrières? Je n'en
suis pas convaincu. Je ne m'étends pas, un rapport complet envoyé à la Centrale est en route,
insistez pour en avoir une copie, nous sommes en train de regrouper tout le
matériel afin qu'on puisse discuter en toute clarté et en connaissance de
cause, pour dissiper tout malentendu. Si derrière la critique, et la rébellion
contre l'incapacité organique de la
Fraction, avec laquelle je suis d'accord, se cache la
révision des principes, cela on devra le dire avec netteté. Les manœuvres peu
honnêtes de quelques éléments, Topo par exemple, ne réussiront qu'à avoir
l'effet de clarifier une situation qui était devenue insoutenable. Je ne pense
pas du tout que Libero ait le rôle auquel vous faites allusion. Envoyez de vos
nouvelles sans arrêt. Saluts fraternels, Gino.
29.9.1936
Document n°4
Marseille,
le 3 octobre 1936,
Chers
camarades, je me suis arrêté à Lyon mais j'ai dû rejoindre Tre(5) à Pontcharra
(un village proche où il se trouvait pendant quelques jours pour passer les
vacances). Je l'ai informé des décisions prises à Paris. Il est d'accord. Je
lui ai donné l'adresse de Piero. La sienne est : Carlo Mazzucchelli, 22, rue
Creuzet, Lyon.
Envoyez-lui
les fiches. J'ai parlé avec quelques sympathisants de la Fraction (Spaghetti,
Fabiani) (6) qui sont aussi d'accord avec nous. Je compte partir mardi ou
mercredi. Je vous joins une copie d'une lettre de Tullio que vous garderez pour
vous. L'original a été envoyé à Brux.. Grâce à l'intervention d'une camarade
syndicaliste de Marseille que j'ai vue hier, Tullio et Michel ont trouvé le
gîte et le couvert. J'espère arriver à temps pour le retour du front des
camarades. Les insinuations de Tullio à mon égard peuvent se rapporter au fait
que, avant de quitter Barcelone, j'ai écrit aux camarades du front en les
mettant au courant de ma position concernant l'ordre de Michel de me faire
accepter la fameuse motion de la
C.E.. Quant à l'intention que me prête Tullio de vouloir la
scission à tout prix et sans discussion, vous pouvez juger de mon attitude lors
de la réunion de lundi. Je vous écrirai de Perpignan, et vous aurez ainsi la
confirmation de mon départ, après lequel vous pourrez écrire à mon nom à la FAI tant que je ne vous aurai
pas donné d'autre adresse. Entre-temps, si vous voyez Stelio(7) (adresse : chez
Sam Korman, 166, Bd. De Charonne), demandez-lui s'il a pu établir un contact et
s'il nous permet de nous en servir. Nous aurons demain une réunion ici avec
quelques camarades femmes de La Seyne. Saluts cordiaux, Topo.
Document n°5
8-10-36
Très
chers, malgré les restrictions à l'entrée, je pars maintenant de Perpignan et
je réussirai sans aucun doute à entrer. Je vous écrirai aussitôt. J'ai su par
le comité d'ici qu'il y a 4 ou 5 jours, le capitaine d'une colonne étrangère a
été sérieusement blessé et transporté à Paris pour subir une opération. Nous
espérons que ce n'est pas Russo(8). Fraternellement, Topo.
Document n°6
Barcelone,
8-10-36 au soir,
Très
cher, je suis ici. Tous les camarades de la colonne Lénine sont au repos. Ils
devraient repartir lundi. Mais, comme à partir du 20 courant, les milices
seront militarisées, certains camarades se réservent d'examiner la situation
pour décider s'ils partiront ou non. Michel et Pace(9) sont en voyage.
Bruno(10), Tullio et Russo, sont ce soir en province (à Terrasse) pour y faire
un meeting, et donc je les verrai demain. Ce soir, parmi les nôtres, je n'ai vu
que Giacchetta à la bonne humeur inépuisable. Belfiore(11) est blessé, mais pas
gravement. Je lui rendrai visite demain. Situation assez nouvelle. Le 6
courant, il y a eu un défilé militaire de tous les corps; on dit – aux bobards
près – qu'ils étaient 50 000 en armes.
Confidentiel
: tous les chefs de parti ont été convoqués en avion par Blum qui a promis
toutes les armes et tout l'appui, à condition que le mouvement ne
"dégénère" pas, c'est-à-dire que la République bourgeoise
soir maintenue. Cela a été accepté. La nouvelle de la blessure d'un capitaine
de colonne italienne faisait allusion à Magrini(12). Je préparerai quelque
chose pour le prochain Prometeo. Faites la même chose. Dès que Prometeo sortira
avec notre motion, envoie seulement la coupure comportant la motion dans une
lettre, et ensuite deux lettres séparées, une feuille détachée de Prom. (pages
1 et 2) et dans une autre lettre, l'autre feuille (pages 3 et 4), nous espérons
qu'ainsi quelque chose arrivera. À Port de Bouc, j'ai vu Bonomi(13) à qui j'ai
remis le billet d'Emilia(14). Saluts fraternels, Topo.
Envoyez
de vos nouvelles sans arrêt. Saluts fraternels, Gino.
29.9.1936
Document n°7
Barcelone,
le 10.10.36.
Très
cher, je te confirme ma lettre d'avant-hier. Celle-ci est expédiée également
par l'intermédiaire d'un BL en partance. Nouveauté : le 20 prochain, les
milices ouvrières, tout en restant avec certaines prérogatives liées aux
organisations politiques dont elles sont issues (je n'ai pas encore pris
connaissance du décret en question et je ne peux rien préciser), sont cependant
unifiées et organisées selon les méthodes et la discipline d'une armée
régulière. Cette modification, d'ailleurs justifiée par les contingences de
caractère strictement militaire, changent la nature de l'intervention des
révolutionnaires étrangers dans les milices ouvrières. Il est donc probable que
la colonne Lénine où se trouvent nos camardes ne reparte pas pour le front, ce
qui devait avoir lieu ce matin et qui a été renvoyé à lundi, mais qu'elle soit
dissoute.
Si cela
se réalise, il demeurera le problème de l'utilisation dans des travaux
politiques ou techniques de nos camarades qui, ne voulant pas se laisser
encadrer dans des formations militaires espagnoles, ni ne voulant retourner
dans leur pays d'origine, ont l'intention de rester ici pour fournir dans
d'autres domaines le concours de leur activité. La question sera résolue demain
et je t'informerai des décisions qui seront prises. Pace est toujours à Madrid
avec Michel. Bruno est revenu de Valence où la tension révolutionnaire a connu
une accentuation qui dément les jérémiades alarmistes et défaitistes des
pleurnicheuses de la C.E.
: désarmement et renvoi – après des heurts qui ont provoqué 7 morts – de toutes
les gardes civiles et financières (carabiniers) et formation d'une Garde
Prolétarienne Antifasciste (G.P.A.) avec 2 000 membres dont 1 000 de la FAI. Il y a ici aussi
quelque chose qui mûrit. Russo a acquis une grande influence dans des zones de
province entières où se trouvent les militants du Poum qui sont sous ses ordres
dans les milices. On étudie comment utiliser cette influence, également dans le
cas de son renvoi de la colonne. Après une enquête sommaire, il apparaît que
les doléances de Bruno, etc., contre Russo, ont des bases je dirais infantiles
et sans conséquences. Je te remets les lettres d'Emilia, que tu salueras pour
moi. Celle pour Giuseppe(15) qui est au front, je l'ai donnée à Persici(16)
avec toutes les recommandations possibles. Envoie-moi la motion imprimée.
Saluts fraternels. Topo.
J'ai
reçu ta lettre destinée à Bruno il y a peu de jours.
Document n°8
Déclaration.
Un
groupe de camarades de la minorité de la Fraction italienne de la gauche communiste, qui
désapprouve l'attitude officielle prise par la Fraction elle-même envers
la Révolution
espagnole, a rompu brusquement tout lien disciplinaire et formel à l'égard de
l'organisation et s'est mis sans hésitation au service de la Révolution, en faisant
partie des milices ouvrières et en combattant au front.
Aujourd'hui,
une nouvelle situation se présente, pleine d'inconnues et de dangers pour la
classe ouvrière : la dissolution du Comité Central des Milices Antifascistes,
organe issu de la
Révolution et garantie du caractère de classe des milices, et
la réorganisation de celles-ci en une armée régulière dépendant du Conseil de
Défense, déforment le principe de la milice ouvrière volontaire.
Les
nécessités du moment historique que nous sommes en train de vivre imposent une
vigilance extrême des éléments d'avant-garde du prolétariat, afin d'empêcher
que les masses encadrées dans la nouvelle organisation militaire puissent
devenir un instrument de la bourgeoisie, lequel sera un jour utilisé contre les
intérêts de la classe ouvrière. Ce travail de vigilance pourra être d'autant
plus efficace que les organisations de classe acquerront la conscience de leurs
intérêts et orienteront leur action politique dans un sens exclusif de classe.
Le travail politique dans ces organisations prend une importance primordiale
qui n'est pas moins intéressante que la tâche militaire au front.
Les camarades en question, bien que restant
fermes sur le principe de la nécessité de la lutte armée au front, n'ont pas
accepté d'être encadrés dans une armée qui n'est pas l'expression du pouvoir du
prolétariat, et parce que, dans cette armée régulière, il serait impossible
d'exercer une fonction politique directe. Ils peuvent au contraire contribuer
aujourd'hui avec un meilleur résultat à la cause du prolétariat espagnol dans
le travail politique et social, indispensable pour préserver et renforcer
l'efficacité idéologique révolutionnaire des organisations ouvrières qui
doivent regagner sur le terrain politique et social l'influence que les
nouvelles conditions ont affaiblie sur le terrain de la direction militaire.
Les camarades en question, bien que quittant leur poste de miliciens de la
colonne internationale Lénine, restent toujours mobilisés à la disposition du
prolétariat révolutionnaire espagnol, résolus à continuer de consacrer sur un
autre terrain leur activité et leur expérience, jusqu'au triomphe définitif du
prolétariat sur le capitalisme sous toutes ses formes de domination.
Barcelone,
le 12 octobre 1936.
Document n°9
Barcelone,
le 13 octobre 1936
Très
chers, le départ de la colonne a eu lieu hier, après une semaine de permission.
Russo est parti. Mais les cinq autres camarades sont restés ici parce que, à
cause de la réorganisation des milices sur la base d'une armée régulière, on a
cru opportun d'établir, par une motion présentée lors d'une réunion générale de
la colonne, la position de notre groupe, à savoir que, étant donné la situation
nouvelle qu'on a créée à l'égard les militants révolutionnaires étrangers,
l'aide à la révolution espagnole doit être déplacée du terrain militaire sur le
terrain politique et social. La motion laissait en outre la faculté à Russo de
repartir en raison du caractère particulier de son mandat. Si lui non plus
n'était pas parti, la colonne internationale et deux centuries d'Espagnols ne
seraient pas parties, ce qui aurait eu des conséquences d'une grande gravité.
Cette
décision offrira l'occasion à la
C.E. de faire des spéculations, auxquelles il vous faudra
répondre avec la plus grande énergie, étant donné non seulement le fait que le
retrait des camarades ne signifie pas du tout le désaveu de la position
initiale d'intervention sur le front militaire, mais aussi que l'on admet en ce
moment la nécessité pour le prolétariat de continuer la lutte sur le front
militaire. Étant donné le résultat négatif, du point de vue de la guerre, de la
formation de milices volontaires et indépendantes, et de l'action autonome
contradictoire et parfois antithétique entre elles que celles-ci déployaient
dans le but d'échapper au terrible malheur de perdre la guerre, c'est-à-dire de
perdre tout définitivement, il fallait en arriver à une centralisation et une
unité de commandement. De toute façon, les Comités du front seront conservés et
reliés au Conseil de la
Défense (formé comme auparavant le C.C. des Milices par les
organisations ouvrières et par les bourgeois de gauche), lequel Conseil donne
les directives au Conseiller de la
Défense, c'est-à-dire au ministre de la guerre.
La
décision des camarades a été prise de manière confuse, précipitée, sans
conviction. Trois des cinq camarades au moins (à part Belfiore qui est à
l'hôpital dans des conditions très satisfaisantes (il sort déjà, il n'a pas de
fièvre), et qui attend d'entrer dans une maison de convalescence) seraient
encore aujourd'hui disposés à retourner au front. Deux camarades qui revenaient
justement de Madrid à ce moment-là ont pris part à la discussion. De toute
façon, on n'a pas eu de complications. J'ai eu aujourd'hui une entrevue avec
Gorkin à qui j'ai demandé du travail technique et politique pour les cinq
camarades. Demain, je saurai quelque chose. De plus, on est en train de
chercher le moyen de trouver du travail à certains d'entre nous par une autre
voie, ce qui permettrait de conserver le groupe d'ici et de déployer un travail
à la base selon les possibilités. Si toutes nos tentatives devaient rester
infructueuses, on déciderait de partir. Mais dans ce cas le retour devrait se
faire à Paris pour éviter la dispersion, que Michel a proposée, en faisant
s'établir certains à Marseille, certains à La Seyne, etc.. Le renforcement de notre groupe de
Paris peut avoir des conséquences décisives pour nos débats internes et pour
l'issue du congrès.
À nous
tous, nous disposons de 1150 francs et de 600 + 100 pesetas. On a résolu d'attendre
huit jours, et si entre-temps il n'y avait aucune solution, on déciderait le
retour. J'ai reçu 120 pesetas, qui correspondent à 200 francs, du porteur de
cette lettre, et tu voudras bien lui remettre cette somme. Cette opération nous
permet d'augmenter nos réserves collectives et je crois qu'elle n'aggravera pas
trop la situation de votre caisse. Une déclaration de nos camarades, qui
précise leur point de vue, sera formulée demain et présentée au Poum. Une copie
vous sera transmise et vous en demanderez l'insertion dans Prometeo. Je resterai dans les locaux du
Poum, puisque je suis accepté comme délégué de la minorité. Même si les
camarades devaient partir – ce qui se produirait seulement si c'était
absolument nécessaire –, je pense rester encore quelque temps, d'autant plus
que, dans deux ou trois semaines, c'est-à-dire après la prise de Huesca que
l'on donne pour certaine, Russo reviendrait ici et que l'on pourrait déterminer
toutes les perspectives de travail.
Du point
de vue militaire, la situation s'est sensiblement améliorée par rapport à ce
qu'elle était deux semaines auparavant, en particulier pour ce qui concerne les
fournitures de matériel de guerre. En effet, il semble que la Russie agisse activement.
Je sais qu'en Russie, après les exécutions de vieux bolcheviks, il existe un
état de tension qui préoccupe le grand chef et que le Komintern prépare un
autre tournant(*), et
cette fois-ci à gauche. Ce ne serait pas pour nous surprendre, ni pour nous
réjouir. C'est une autre manœuvre, et cette fois ce serait peut-être pour se
refaire une virginité parmi les masses qui commencent à se dégoûter, et cette
manœuvre serait le symptôme de la guerre. Il paraît qu'un navire soviétique a
été mis sous séquestre aux Baléares par des navires italiens. Comme vous le
voyez, on marche rapidement vers la guerre. Je vous recommande d'envoyer
Prometeo par morceaux, par coupures, entier sous bande, sous enveloppe fermée,
en somme de toutes les façons possibles, dans l'espoir que quelque chose nous
arrive. Expédiez toujours à l'adresse que je vous ai donnée. Renato vous prie
de lui faire parvenir toujours à la
FAI la correspondance qui arrive pour lui. Avez-vous écrit
aux camarades d'Amérique? Écrivez souvent et de manière concise, et répétez
dans la lettre suivante les informations essentielles de la précédente. Il vaut
mieux expédier toujours en recommandé. Saluts fraternels de tous. Topo.
Document n°10
Barcelone,
le 17 octobre 1936
Très
cher Piero(17), la séparation de nos camarades d'avec la colonne a été justifiée
par une déclaration politique que tu trouveras ci-jointe. Elle réfute avec
force la spéculation que fera sans aucun doute la C.E. à propos du retrait des
camarades, en considérant avant tout qu'on ne renie pas la participation, et
ensuite parce que les camarades ne sont pas repartis pour Paris mais qu'ils
sont restés ici. Concernant la possibilité du travail politique, c'est une
chose sérieuse qui doit être bien étudiée : pour l'heure, l'essentiel est de
s'en tirer économiquement. Bruno est déjà parti hier à Barbastro, en zone de
guerre, mais à 50 km du front, et donc sans risques, en qualité de mécanicien.
Renato(18) devrait lui aussi trouver du travail demain, ici à Barcelone, comme
tourneur. Bramante (19) et Costante (20) cherchent et ils finiront par trouver
quelque chose. Le problème c'est Giaccheta (21) qui n'a pas de métier et qui ne
plaît pas trop aux autres du fait de ses tendances égocentriques. Belfiore a
été transféré dans une maison de convalescence pas très loin d'ici. Ses
conditions sont assez bonnes. Il a eu la vie sauve grâce à l'abnégation des
camarades (Renato et d'autres) qui, sous la mitraille, l'ont transporté dès
qu'il a été blessé pendant trois kilomètres jusqu'à l'hôpital. Un retard aurait
été fatal. Je suis au Falcón. À partir de demain, je me mettrai moi aussi à
chercher du travail. Les camarades se sont inscrits à la CNT. Ils habitent dans
une maison particulière.
Russo,
autorisé par le Groupe, est reparti le 12 pour le front. Sa position
particulière, étant donné ses attributions de commandement, ont justifié cette
autorisation. Demande la publication de la déclaration, y compris dans Bilan. À
propos du communiqué de la C.E.
qui, en dépit des accords passés en ma présence, ne veut pas reconnaître le
groupe de Barcelone, je ne peux que te donner mon opinion, puisqu'on n'est pas
parvenu à examiner la question dans une réunion officielle. Je suis d'avis de
ne pas céder. Ou la reconnaissance ou la scission. Refuser la
"concession" qui vous sera peut-être proposée de reconnaître le groupe
comme conséquence de sa séparation de la colonne. La reconnaissance doit avoir
lieu sur une base de principe. Puisque sa participation aux milices et notre
position politique de solidarité ont été considérées comme si graves que la C.E. a renoncé à appliquer
des sanctions afin de faire résoudre les divergences par un congrès, il est
logique que, jusqu'au congrès, le groupe doive être reconnu, sans quoi ce
serait appliquer la sanction d'exclusion (non d'expulsion) de la vie organisée
de la Fraction. La
mesure consistant à compter les votes de ces camarades comme présents dans les
organisations auxquelles ils appartenaient précédemment n'a aucune signification, si ce n'est une moquerie.
Qu'est-ce que cela signifie? Rien du tout. Même si, en comptant leurs votes, la
minorité était en majorité à Paris, étant donné l'état des choses nous ne
pouvons pas prendre la direction de la Fédération parisienne parce que nous sommes la Minorité, c'est-à-dire un
autre courant qui ne peut plus diriger une organisation qui n'accepte plus la
politique et la discipline de la
C.E.. Par conséquent, il n'y a qu'à s'entêter et exiger le
respect intégral de l'accord qui a été passé.
Dans le
cas de la scission, il y aurait toute une série de problèmes politiques et
pratiques à résoudre et, dans ce cas, on devrait les examiner ensemble. Ta
visite ici serait donc plus qu'opportune, à condition de te garantir de toute
surprise au cours de ton absence, c'est-à-dire de toute tentative de
désagrégation parmi nos camarades. Un seul numéro de Prometeo est arrivé.
Aucune lettre. Michel est déjà parti. Tullio s'en ira dans deux jours. Dans la
lettre précédente, je t'ai donné communication des conditions économiques du
groupe. J'omets des informations sur la situation locale étant donné que cette
lettre est portée par une camarade de la SFIO qui est chargée de te voir et de te dire mes
impressions. De toute façon, la situation est encore bonne, même du point de
vue militaire. La presse fait beaucoup d'éloges à l'égard de la Russie, y compris les anarchistes.
Cherche à savoir quand quelqu'un partira, afin de lui confier ta
correspondance, sinon nous resterons perpétuellement sans nouvelles. Quoi qu'il
en soit, adresse toujours ta correspondance à la FAI. Saluts fraternels
à tous. Topo.
P.S. du
21.10 : Renato et Bramati prendront leur travail vendredi ou samedi dans une
usine à 80 km d'ici. 26 autres éléments de la colonne sont revenus. Russo est
ici. J'ai reçu ta lettre du 19 et un Prometeo en deux enveloppes. Vicenzo (22)
qui avait des lettres pour toi est parti il y a dix jours, mais j'ai su
aujourd'hui qu'il s'est fait coffrer en France.
Document n°11
Motion
votée à l'unanimité par le Groupe de Barcelone lors de la réunion du 23 octobre
1936.
Le
groupe de la minorité de Barcelone, ayant pris note de la déclaration de la C.E. publiée dans le Prometeo
du 11 octobre, repousse la décision prise de non-reconnaissance du Groupe
lui-même et invite le Comité de Coordination de la minorité à imposer le
respect intégral des accords de Paris qui incluaient la reconnaissance
immédiate du Groupe de Barcelone, tout en déclarant que si la C.E. persiste dans son
attitude, il sera nécessaire d'en finir avec tout atermoiement et ajournement
et de procéder aussitôt à la scission sans même attendre le congrès.
La scission
devra être appliquée immédiatement, même dans le cas où la reconnaissance du
Groupe serait acceptée par la
C.E. comme une conséquence du retrait qui s'est produit des
camarades hors des Milices, étant donné que ce retrait, comme cela est expliqué
dans la déclaration en date du 12 octobre, non seulement ne renie pas la
participation précédente aux Milices, mais confirme le principe de la défense
armée sur le front de la
Révolution espagnole. Le groupe décide de plus de préciser sa
pensée à propos de la situation espagnole dans un document politique dans le
but de polariser les sympathies qu'il peut avoir acquises en Espagne ou à
l'étranger, et dans le but d'étendre le plus possible son influence politique
parmi les ouvriers révolutionnaires de tous les pays.
Document n° 12
Projet
pour la constitution de groupes ouvriers d'action révolutionnaire.
C'est
dans des circonstances tragiques pour la classe ouvrière que l'incendie social
s'est allumé en Espagne : échec assourdissant de la démocratie bourgeoise et
progressiste, son remplacement par des régimes répressifs et dictatoriaux qui,
dans la crise incurable de l'économie capitaliste, accentuent jusqu'à la
douleur la préparation technique et spirituelle de la guerre inévitable; insertion de l'État soviétique dans le
mécanisme des intérêts bourgeois par suite d'une tactique erronée qui l'a amené
à mettre toujours plus sa confiance dans des accords protocolaires plutôt que
dans l'action des masses; immobilisation du prolétariat, physiquement pulvérisé
par une réaction policière, et idéologiquement halluciné par une exaltation
chauviniste soit de caractère fasciste soit de front populaire, qui a corrompu
les organismes de classe et les a asservis aux intérêts capitalistes;
abdication de l'Internationale Communiste pour ce qui concerne la défense
active de la classe ouvrière. C'est dans de telles conditions historiques d'une
importance exceptionnelle que se développe le mouvement espagnol qui devient de
ce fait le centre de la lutte bourgeoisie-prolétariat : d'un côté la
bourgeoisie espagnole et de plus en plus toute la bourgeoisie espagnole et
mondiale, de l'autre côté le prolétariat espagnol et tout le prolétariat
mondial, qui sentent que c'est le dernier acte de l'attaque armée que, depuis
les premières années de l'après-guerre, le capitalisme en crise est en train de
déclencher contre le prolétariat, et en même temps la prémisse de la guerre
impérialiste qui devrait couper le nœud gordien.
Situation
rendue encore plus tragique du fait que, immobilisée par l'action de ses
dirigeants dans une condition négative, la classe ouvrière ne parvient pas,
bien qu'elle ait l'intuition du fond du problème, à exprimer sa solidarité
fraternelle par une intervention décisive de classe, capable d'imposer à ses
propres gouvernements de briser le cercle qui serre le peuple espagnol à la
gorge, quoique son anxiété, exprimée par le cri de "des armes pour
l'Espagne", soit évidente. Et cette solidarité, cette passion, est un
tourment dans les rangs du prolétariat italien qui a connu, le premier, la
réaction fasciste. De cette passion, est sortie en se vivifiant une espérance
au sein de l'émigration italienne : le besoin d'opérer, dans le feu de
l'expérience en cours, un regroupement des forces révolutionnaires qui puisse
préparer les cadres d'un parti capable, de manière active et décisive, d'agir
dans la situation italienne et internationale.
Et
aujourd'hui, durant le cyclone qui s'abat sur le prolétariat espagnol, comme
hier, pendant la bourrasque abyssine, aucun des partis qui se réclament de la
classe ouvrière n'a réussi à s'adapter aux nécessités historiques de l'heure et
à remplir sa fonction. Tous : les moignons des partis, les groupes, les
fractions, dans lesquels se dilue et se délaye ce qui reste du mouvement
révolutionnaire italien, aujourd'hui comme hier, sont en train de donner la
preuve de leur incapacité constitutive à une action constructive, orientée vers
les besoins spécifiques de la situation italienne. La guerre mondiale qui
s'approche trouve l'avant-garde révolutionnaire immobilisée et impuissante,
cristallisée autour des petits secrets de personnes ou de groupuscules
sectaires, qui tentent de justifier leur inactivité ou leurs erreurs par des
discours pseudo-marxistes qui, en définitive, ne servent qu'à étouffer l'ardeur
révolutionnaire chez les militants, lesquels ont pourtant démontré, par leur
résistance d'hier et leur conduite d'aujourd'hui, qu'ils sont beaucoup plus
sincères que les dirigeants qu'ils s'imposent à eux-mêmes.
Et
pourtant, c'est dans la lutte que se forge le plus rapidement et avec la plus
grande cohésion le parti de la révolution qui sera apte à combattre toutes les
déviations opportunistes, à résister à tous les racolages du Front populaire, à
aller au but, c'est-à-dire à la
Révolution, qui doit donner le pouvoir, tout le pouvoir, à la
classe ouvrière. C'est en partant de ces prémisses qu'un groupe de militants
italiens, qui ont combattu aux côtés des ouvriers espagnols dans les milices
ouvrières comme volontaires, a décidé de constituer à Barcelone un GROUPE
OUVRIER D'ACTION RÉVOLUTIONNAIRE afin, d'une part, de contribuer plus
efficacement à la révolution espagnole et, d'autre part, de promouvoir la
constitution de groupes analogues dans tous les centres de l'émigration
italienne, et de les mettre en contact avec des groupes similaires d'autres
pays, déjà constitués ou à constituer. Se mettant à la disposition de
l'avant-garde révolutionnaire espagnole, pour la soutenir contre la réaction,
avec tous les moyens de l'action et de la propagande, le Groupe se propose
d'étudier, en collaboration avec les groupes qui se constitueront, les
problèmes spécifiques de la révolution italienne, avec une vision réaliste des
solutions, sans se laisser imposer des schémas exclusivement doctrinaires ou
des programmes dépassés. Sans négliger l'étude des questions générales, le
Groupe s'occupera de la solution à donner aux problèmes particuliers de la vie
politique italienne (le fédéralisme, les allogènes, les colonies, etc.) afin de
disposer d'une tactique efficace capable de nous faire comprendre et donc de
nous insérer comme une force active et dynamique dans tous les événements.
Nous
nous adressons à tous les révolutionnaires italiens qui ne sont pas compromis
comme représentants de mouvements historiquement liquidés ou étrangers aux
intérêts spécifiques de la classe ouvrière, qui sont disposés, sur la base du
Manifeste communiste et de la tactique léniniste, à lutter pour créer l'arme
puissante pour la victoire de la révolution italienne et internationale : le
parti de classe.
Barcelone,
le 25 octobre 1936.
NOTA :
Le programme et la tactique des G.O.A.R.
seront établis par une réunion dès que possible, si notre initiative est suivie
par la constitution de groupes similaires dans d'autres centres de notre
émigration. Entre-temps, afin de préparer la documentation de la réunion, un
Bulletin sera publié par le Groupe de Barcelone, et, dans ce Bulletin, seront
examinés amplement les problèmes auxquels il a été fait seulement allusion ici,
et étudiées certaines questions posées et non résolues aussi bien par la
révolution russe que par la révolution espagnole : fonction du parti, du
syndicat, de l'État, etc..
Document n°13
Barcelone,
le 29 octobre 1936,
Très
cher Piero,
Je suis
en possession de tes deux lettres des 20 et 23 courants. Toutes les
informations que tu me demandes te seront verbalement données, et avec
abondance, par Candiani (23). Et il n'y a donc pas lieu d'y insister. Il faut
que je te dise, à propos de Candiani, que, pour autant que je sache, il n'est
pas inscrit au POUM, lequel d'ailleurs lui a réservé un traitement aigre-doux
qui ne correspond pas à l'importance exceptionnelle (24) des services que
Candiani a rendus avec un désintéressement absolu, quand d'autres, dans ses
conditions, ont plongé à pleines mains dans l'auge des honneurs et des
récompenses matérielles.
Du
reste, la question de l'entrée au POUM n'a jamais été examinée avec le sérieux
que réclamait cet acte politique, étant donné que nous sommes toujours affligés
par le casse-pieds des questions abstraites de la C.E. et de ses délégués.
Cette question devait être résolue avec un sens politique qui nous a fait
défaut du fait de l'héritage de dix années de navigation dans les nuages des
abstractions de la
Fraction. En effet, au lieu de nous limiter à faire des
constatations plus ou moins bizarres et plus ou moins véridiques à propos des
déformations que le mouvement révolutionnaire espagnol a subies, et face à une
situation d'impuissance absolue de notre part à nous insérer dans les
événements et à les influencer en tant que force déterminante, chose impossible
à réaliser, nous aurions pu avec meilleur profit tenter un déplacement sur des
positions plus avancées de cette partie – très nombreuse – des masses qui sont
à la base du POUM, pour les libérer de l'influence des dirigeants policards et
opportunistes. Je crois de toute façon que la question n'est plus aujourd'hui
d'actualité, étant donné la rapidité avec laquelle les événements se déroulent.
Les conditions pour une orientation classiste de ces masses de la base sont
déjà mûres – et sans aucun mérite de notre part – au sein du POUM.
Dans la
direction – c'est-à-dire dans la
C.E. –, les deux tendances se déchirent avec acharnement, et
chez les militants de base l'embarras et l'intolérance prennent une consistance
croissante. La position du POUM est devenue très incommode. Exclu sur l'ordre
des communistes du pacte qui unit la
CNT-FAI à l'UGT-PSUC et qui a trouvé une expression
sensationnelle dans les 16 points d'un programme de réalisations (expropriation,
collectivisation, contrôle des banques, etc.), lequel a commencé à trouver une
exécution avec un premier décret de collectivisation de la terre, il ne pourra
pas mener sa barque habilement plus longtemps : ou bien il se résignera à
dépérir progressivement jusqu'à disparaître de la vie politique, ou bien il
prendra le taureau révolutionnaire par les cornes et marchera avec
détermination vers des positons classistes, avec une orientation et un
programme révolutionnaires. Dans le premier cas il sera écrasé dans la
légalité, dans le second cas, il devra se préparer à vivre dans l'illégalité
avec beaucoup de possibilités de succès futur, étant donné que la situation
espagnole – et cela il faut bien se le mettre en tête –, malgré la diversion
douloureuse de la guerre civile de type militaire, ne pourra plus être contenue dans le lit stérile des
solutions démocratiques.
Vous qui
lisez aussi la presse bourgeoise, vous pouvez vous rendre compte de la
situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons et dont il est inutile de
souligner la gravité. On peut aujourd'hui, à bon droit, reprocher aux
avocassiers de notre C.E. leur couardise et le sabotage de la révolution
espagnole, étant donné que si leur super-criticisme pouvait trouver une
quelconque justification au moment où la révolution progressait, leur
abstention ne trouve plus de justification aujourd'hui où, il faut le dire, la
révolution est en danger. L'on peut déduire de cela qu'une contribution active
à la révolution mondiale ne sera jamais l'affaire de ces messieurs. Et même
s'il se produisait des mouvements en Italie, on trouverait toutes les
justifications pour les couler.
Quant à
l'intervention de l'URSS, je crois que tu n'as pas saisi le sens de
l'appréciation que je donnais dans ma lettre précédente. En effet : l'appui
actif de l'URSS est conditionné par le maintien de la république démocratique
et du gouvernement Caballero, ce qui signifie qu'il s'agit d'un appui à des
fins nationales et diplomatiques russes et que, en dernière analyse, il a un
caractère contre-révolutionnaire. La preuve en est que les aides sont
débarquées et dirigées exclusivement vers Madrid tandis que rien, absolument
rien, ne doit rester en Catalogne. On en déduit que l'objectif de
l'intervention n'a rien à voir avec la solidarité avec la classe ouvrière
révolutionnaire espagnole, mais qu'elle sert à maintenir le pouvoir de la
démocratie bourgeoise, c'est-à-dire d'un allié de l'État russe. De plus, ces
aides, qui servent aujourd'hui à combattre le fascisme, pourront demain servir
à mater toutes les velléités révolutionnaires du prolétariat, étant donné que
les armes ne sont livrées que dans les mains sûres de leur laquais socialiste
Caballero.
J'ai dit
que cette intervention russe était un autre élément de confusion et de complication,
parce qu'elle revalorisait, dans le camp prolétarien aussi bien espagnol
qu'international, les personnalités staliniennes, et que donc nous ne pouvions
pas nous en réjouir. Ciccio (25) a reçu seulement les journaux, mais pas Bilan.
Cecchino (26) va bien et il [est] au front; j'ai eu hier de ses bonnes
nouvelles par un camarade qui est au front avec lui. La lettre pour Vasconi
(27) nous a été remise, et le soir même réexpédiée au front. Je me réjouis du
retour de Vicienzo dont j'ai eu de très mauvaises nouvelles, parce qu'on m'a
dit qu'il était retenu à Perpignan, ce qui pouvait signifier, étant donné ses
affaires, six mois de mauvaise humeur. Vous le saluerez vivement pour moi et
lui direz de s'occuper un peu plus de politique.
Belfiore
est toujours dans sa maison de convalescence. La radiographie a révélé un dépôt
d'éclats dans son abdomen, qui cependant ne le gêne pas. Mais il serait
opportun par la suite qu'il se fasse opérer pour en être libéré. On ne lui a
rien trouvé d'autre qu'une congestion au poumon, pour laquelle il a besoin d'un
long repos. Ses conditions sont pourtant très bonnes et il n'est pas du tout
découragé, au point que, contrairement à la décision prise par notre groupe,
conformément à la déclaration faite pour motiver le retrait de la colonne de
nos camarades, il pense qu'il faut continuer à lutter sur le terrain militaire
et, dès que ses conditions de santé seront suffisantes, il demandera à
retourner au front.
Je ne
m'explique pas le silence de Tre qui est en général d'une grande ponctualité
dans toutes les affaires du parti, et aussi dans le suivi de la correspondance.
Je lui écrirai d'ici, moi aussi. J'écrirai aussi aux camarades d'Amérique dont
tu me donnes l'adresse. Donnez-moi des nouvelles, après la visite de Candiani.
À Magnelli (28), un salut en napolitain et à vous tous des saluts espagnols.
[Mario
De Leone].
Document n°14
Barcelone,
le 1° novembre1936,
Au
Comité de Coordination,
Chers
camarades, notre groupe s'est réuni aujourd'hui, en profitant du passage de Bramati
et de Pace. Le groupe a décidé de vous communiquer que le voyage de Candiani
n'a pas de caractère officiel, étant donné qu'il n'a reçu aucune mission du
groupe lui-même. Nous vous écrirons demain plus amplement. Saluts fraternels,
Topo.
Document n°15
Varèse,
le 17 décembre1974,
… Dans
la liste des noms, je ne vois pas celui d'Enrico Russo, bordiguiste,
napolitain, ami de Fosco depuis l'Italie, peut-être du même village, résidant
en 1930-1931 à Bruxelles (groupe Prometeo) et nommé commandant de la division
Lénine du P.O.U.M.. Ami de Mario De Leone, il arriva à Barcelone vers le mois
d'août 1936. Nous sommes allés parler, avec De Leone et Fosco (29) avec les
marins soviétiques (je crois que De Leone parlait le russe), l'équipage du
premier bateau soviétique qui apportait des vivres (des armes et des munitions)
à Barcelone. Le port de Barcelone était rempli de gens qui saluaient le bateau.
Malheureusement, ce blé fut payé par beaucoup de vies de camarades dissidents.
De Leone habitait dans une pension sur la Plaza Teatro, en face
de l'Hôtel Falcón, qui était devenu une partie du siège du P.O.U.M.. Il fut
trouvé mort d'un infarctus, dans son lit. Nous avons assisté à ses funérailles
qui furent imposantes. Je me souviens qu'il mourut très vite après son arrivée
à Barcelone…
Virginia
Gervasini.
Notes de l'Appendice
(1) Il s'agit – presque certainement – du
juif polonais Feingold, dit "Jacobs" ou
"Michel". Membre de la
Fraction et du Bureau international, Feingold fut livré,
après la reddition de la France,
aux nazis à La Seyne,
mais, peu de temps après, il s'évada et se réfugia à Marseille où il fut aidé
par Lecci, Candoli et Pattaro (ou Pataro), et par la compagne française de ce
dernier. Au cours des mois suivants, il intervint dans les réunions clandestines
de la Fraction
à Toulon et à Marseille, avec Lecci, Bottaioli, Candoli, Balilla Monti et
Pattaro. Lié sentimentalement à une anarchiste toscane, il fut capturé par la Gestapo à Marseille en
1943 et déporté dans un camp d'extermination où il disparut (La gauche
communiste italienne (1927-1952), (Naples?) : "Courant Communiste
International", 1984, p. 225). Lecci décrivait Feingold ainsi : « Il
avait des lunettes, maigre, maigrelet… » (Lecci Aldo, Test., Florence, 28
novembre 1973, AB, M5, 20).
(2) Turiddu
Candoli (dit
"Alfredo") est né à Cervia en 1900. Appelé sous les drapeaux en 1917,
il combattit dans les tranchées jusqu'à l'armistice. Inscrit à la Fédération de la Jeunesse socialiste, il
passa en 1921 dans les rangs communistes. Ouvrier dans une fabrique de pâtes
alimentaires, il participa à la lutte armée contre le fascisme : « J'étais
dans l'organisation militaire, elles étaient formées par celui d'Imola qui
dirigeait les actions… Il avait été en Hongrie… » avec Bela Kun, en 1919.
Avant que le PCd'I défende à ses membres d'en faire partie, Candoli collabora
avec les Arditi del popolo, dont il se souvenait, avec une grande sympathie,
comme des « types qui n'avaient pas froid aux yeux » : « Quand
ils venaient et qu'ils avaient besoin, nous étions là avec eux. Et eux, ils
venaient quand nous avions besoin, parce que différentes descentes de la part
des fascistes furent affrontées avec l'aide des camarades de Ravenne, il y
avait parmi eux un certain Manoni, qui passa ensuite au parti, et passa au parti
aussi un certain Acquacalda, qui fut tué à Lugo. Manoni fut blessé à Lugo…
Politiquement, ils n'avaient aucune tendance. Ils étaient antifascistes,
Acquacalda en particulier. Au contraire, Manoni était fondamentalement
communiste. Et puis il rentra subitement dans les rangs et il fut arrêté [pour]
bande armée, et parce que notre bande armée ne stoppa pas à Cervia, elle fut
arrêtée avec des camarades de Ravenne. Il y avait un certain [Ludovico] Rossi,
qui après être passé à l'anarchie à l'étranger, passa d'abord aux
pappalardiens, un mouvement fondamentalement ouvriériste, et Rossi était le
secrétaire de notre fédération communiste… ».
Fiché en 1922 par la
Préfecture de Ravenne, Candoli fut signalé pour sa
dangerosité : « Il est jeune, violent et audacieux, capable de commettre,
en particulier dans des occasions de désordres, n'importe quelle action
violente ». Bastonné par les fascistes, arrêté et dénoncé pour
« constitution de bande armée pour faire s'insurger les habitants du
Royaume contre les pouvoirs de l'État », il dut se réfugier à Aulla, et de
là à Rome, où il reprit la lutte contre
le fascisme armé. « Et à Rome, la bataille commença. Et ce fut dans une
embuscade que nous on a faite à la "Disperata" de Florence (on leur a
pris le fanion), qu'ils m'ont attrapé ensuite ». Il travailla dans la
capitale durant environ deux ans comme courrier interne à l'Ambassade russe, où
il connut Kamenev, déjà en disgrâce. Émigré clandestinement en Suisse, il passa
ensuite en France, demeurant pour quelque temps à Nanterre. Ayant déménagé à
Olbagne (?) et frappé d'une mesure d'expulsion, il partit à Toulon, où il fut exclu du PCd'I en
1931.
Peu de mois après, il entra dans la Fraction bordiguiste, devenant membre de la Fédération de
Marseille. Revenu en septembre 1936 d'Espagne, il logea pendant longtemps,
entre 1940 et 1943, le camarade juif Feingold ("Michel") et il
participa à presque toutes les réunions clandestines qui ont été tenues par la Fraction en France
méridionale. Rentré en Italie en 1946, il s'inscrivit au Parti Communiste
Internationaliste, en suivant, après la scission de 1952, la tendance
Bordiga-Maffi (ACS, Rome, CPC, b. 998, ad nomen; Candoli Turiddu, Test.,
Cervia, 5 janvier 1974, AB, M5, 10).
(3) Julián
Gómez Gorkin s'inscrivit à la Jeunesse socialiste en
1917 et il adhéra en 1921 au Parti communiste dont il fut exclu en 1929.
Dirigeant de l'Opposition communiste espagnole et, ensuite, du Bloc obrer i
camperol, représentant du P.O.U.M. et directeur de "La batalla" de
juillet 1936 jusqu'à la suppression du quotidien, il fut arrêté le 16 juin 1937
et il fut le principal accusé dans le procès qui se déroula à Barcelone
(octobre-novembre 1938) contre les poumistes. En dépit de la campagne forcenée
orchestrée par le stalinisme (et soutenue aussi, avec un zèle déplorable, par
les communistes italiens (cf. Le procès du P.O.U.M.. Les preuves des liens
trotskistes avec l'O.V.R.A. et la
Gestapo, "La voce degli italiani", n°244, 18
octobre 1938; Rodillo A., L'écrasement de la cinquième colonne poumiste,
garantie de la victoire des républicains espagnols, ibidem, n° 264,
11 novembre 1938) pour que les accusés soient envoyés à la mort, la cour les
condamna à des peines de détention, allant de 11 à 15 ans. Réfugié en France en
1939, Gorkin trouva l'asile politique au Mexique où il donna en 1941 à
l'impression le livre : "Caníbales políticos". Objet de cinq
attentats de la part des staliniens, il retourna en France en 1948 où il
s'occupa de l'édition des mémoires du "Campesino". Par la suite, il
publia d'autres travaux sur l'assassinat de Trotski et sur la guerre civile
espagnole, parmi lesquels : "El proceso de Moscú en Barcelona".
(4) Andreu
Nin (1892-1937), autonomiste
catalan, puis anarcho-syndicaliste, devint communiste au début des années vingt
alors qu'il se trouvait en U.R.S.S. avec une délégation de la C.N.T.. Il resta en Russie
jusqu'à 1930, soutenant Trotski dans la bataille contre Staline. Revenu en
Espagne, il fut, avec Andrade, parmi les plus grands représentants de la
"Izquierda comunista", le groupe qui en septembre 1935, en fusionnant
avec le "Bloc obrer i camperol", donna naissance au P.O.U.M., dont
Nin devint le secrétaire général en juillet 1936. Ministre de la Justice dans le
gouvernement catalan de Tarradellas de septembre à décembre 1936, il fut arrêté
après les événements de mai 1937 et assassiné par les staliniens. Sur sa
"disparition", voir la dénonciation de "Sonia" (Virginia
Gervasini). Où est Andres Nin? "Le soviet", n° 12, 31 août
1937, p. 1-2.
(5) Carlo
Mazzucchelli (dit
"Tre") est né à Cassano Magnago en 1902. Maçon, il s'inscrivit au
PCd'I en 1921 et il fut un des représentants communistes "les plus en
vue" dan son pays natal. Émigré en Belgique et exclu du PCd'I, il
participa à Pantin, en 1928, à la fondation de la Fraction. Ayant
déménagé à Lyon et étant suspecté d'avoir agressé – avec Bruno Bibbi, Aldo
Lecci et l'anarchiste, originaire de Massa, Socrate Franchi – le président
fasciste de l'association locale des anciens combattants, Giuseppe Negri, il
écrivit une note sur l'unité syndicale, qui parut dans "Prometeo" en
octobre 1931. En 1933, il intervint à nouveau dans le journal avec deux
articles : La trahison de l'Internationale et Au sujet de la
discussion. En 1936, il se rangea dans la minorité et il fut un critique
sévère de la C.E..
Étant revenu en Italie en 1945, il entra au Parti Communiste Internationaliste.
En 1948, il exprima son désaccord avec Perrone au Congrès de Florence.
« En général – dit-il, entre autres – on ne tient pas assez compte que les masses croient
encore au mythe russe, et tant qu'elles ne le chasseront pas de leur esprit,
tous leurs points de vue seront déformés et leurs perspectives d'action
révolutionnaires bloquées ». Après la scission de 1952, il resta au PCInt.
(tendance Damen-Bottaioli) jusqu'à sa mort (Tre – Milan. À propos de l'unité
syndicale, "Prometeo", n° 62, 25 octobre 1931; Tre : La
trahison de l'Internationale, ibidem, n° 86, 2 avril 1933; Tre : Au
sujet de la discussion, ibidem, n° 88, 4 juillet 1933; ACS, Rome, CPC, b.
3192, ad nomen; Documents de la gauche italienne, Milan : "Prometeo", [1980?], p. 29).
(6) Deux sympathisants qui parfois
souscrivaient pour "Prometeo".
(7) "Stelio" était l'un des
pseudonymes du trotskiste ambigu Pistone.
(8) Enrico
Russo (dit "Amedeo
Bellini" et "Candiani") est né à Naples en 1895. Ouvrier
métallurgiste et représentant de premier plan du mouvement syndical napolitain
en 1919-1920, il resta au P.S.I. après la scission de 1921. Candidat sur les
listes napolitaines d'"Unité prolétarienne" (présentées par les
"serratiens" et par le PCd'I) aux élections législatives de 1924, il
obtint 458 voix. Passé au PCd'I, il prit parti le 21 avril 1926, à la réunion
qui se tint via Santi Quaranta au Lavinaio « pour liquider les derniers
restes du bordiguisme dans l'organisation napolitaine ». « Le
résultat… – a écrit Gaetano Marino – fut que nous avons rompu tout lien avec
les bordiguistes; furent appelés à diriger le travail dans la province de
Naples, Arcuno, Marino, Donadio, étudiant en pharmacie, Russo, syndicaliste, et
Brandi, secrétaire des boulangers de luxe (qui passa aux syndicats fascistes en
1927) ». Plusieurs fois arrêté, Russo fut fiché le 20 novembre 1926.
« Il fait de la propagande parmi les masses ouvrières – signala le préfet
de Naples – avec de bons résultas, et du fait de son activité poussant à la
révolte et néfaste, il est parvenu à obtenir la solidarité des ouvriers et des
établissements métallurgiques dans lesquels il a travaillé, en occupant
toujours une position prééminente. Il est capable de tenir des conférences.
Dans la période de l'occupation des usines, il tint de nombreux meetings
importants, excitant le peuple à la révolte et à la violence ». Condamné à
trois ans et demi de relégation, il émigra clandestinement, en décembre 1926, à
Marseille, où il entra au Parti Communiste Français. Membre, avec Mario La Rocca et Nicola Di
Bartolomeo, du comité régional des groupes communistes de langue italienne, il
fut impliqué le 19 juin 1927 dans les incidents qui éclatèrent entre
socialistes et communistes à l'occasion de la commémoration de la mort de
Matteotti, et il dut quitter la cité portuaire et déménager à Paris, où il fut
arrêté pour avoir parlé au meeting du 1° mai 1928. Expulsé de France, il se
rendit en Belgique. Exclu du PCd'I, il adhéra à la Fraction bordiguiste,
pour laquelle il signa le 15 septembre 1930, le document du "Secrétariat
international provisoire de l'opposition communiste", Sur les
perspectives et sur les tâches de la révolution chinoise, avec Ravazzoli et
Tresso pour la Nouvelle
opposition italienne, Andrade et Gorkin pour l'Opposition communiste espagnole
et d'autres. Auteur, en 1931, d'un article sur la question syndicale et les
conditions des ouvriers étrangers, il participa en 1935 au Congrès de la Fraction, où il présenta,
avec Verdaro et P. Corradi, une résolution, majoritairement approuvée, par
laquelle le groupe cessait d'être la « fraction d’un parti passé
définitivement aux rangs de l’ennemi ».
Revenu de Barcelone, il eut une discussion à Paris, à la fin de 1936,
avec Guido Picelli, qui s'apprêtait à partir pour l'Espagne après avoir
rencontré d'autres réfugiés anti-staliniens (Angiolino Luchi, Alfonso Leonetti,
Michele Donati, Giuseppe Bogoni). Il suggéra à Picelli (comme il nous le
raconterait sur un mode coloré en 1971) : « Soyez prudents ! »,
et l'autre répondit : « Ne te fais pas de soucis » [Dialogue en
dialecte napolitain (NdT)]. Revenu en Belgique et désormais en dehors de la Fraction, il devint
membre de l'Union communiste, avec les frères Corradi et Renato Pace. Arrêté en
1939 à Bruxelles, où il vivait dans une grande misère, il fut interné dans le
camp français de Saint-Cyprien et le 14 juillet 1940, il fut livré aux
fascistes italiens. Relégué aux Tremiti, il fut dénoncé pour avoir dit que
« l'Allemagne et l'Italie allaient mal finir. Elles feront la fin de
Napoléon… ». Libéré en septembre 1943, il fut un des protagonistes de la
scission du P.C.I. à Naples et le principal représentant de la Confédération Générale
du Travail. Directeur en 1944 de "Battaglie sindacali", il adhéra au
début de 1947 au P.S.L.I. et fit partie de sa direction nationale, puis, de
1953 à 1955, il dirigea le journal "Battaglia socialista". Il
s'éteignit à Naples en 1973 (Russo Enrico, Test., Naples, 25 octobre 1971,, AB,
M7; ACS, Rome, CPC, b. 4498, fasc. 25124; Marino G., Mémoires d'un
communiste napolitain (1920-1927); "Movimento operaio", n. s., n°
5, septembre-octobre 1954, p. 748-749; Candiani [E. Russo]. La question
syndicale et la main d'œuvre étrangère, "Bolletino interno de la Frazione di sinistra",
n° 2, avril 1931; Di Bartolomeo N., Affirmations sur les principes de
l'unité syndicale…, Naples : M. Ciccarelli, [1945?]). En 1931, De
Leone traça ce bref "profil" de Russo : « À Naples, du fait
d'une certaine activité développée dans la section métallurgique, il en devint
le secrétaire…; en suite de quoi il s'inscrivit au P.S. où il resta même après
la scission [de 1921]. Il a dû venir au P.C. avec les terzini. Tant que nous
sommes restés dans le PS, il eut constamment une position anti-bordiguiste »
(De Leone, M. Lettre, Annemasse, 10 avril 1931, BDIC, copie dans AB).
Le 10 juillet 1974, le docteur Fienga nous écrivit à propos de Russo :
« Il entra au P.C.I. avec les terzini; il se rapprocha des bordiguistes à
l'étranger avec lesquels il ne fut d'ailleurs pas toujours d'accord… »
(Fienga B., Lettre, Naples, 10 juillet 1974, AB). Le 8 juillet 1975, l'ancien
médecin envoya à l'AICVAS cette "biographie" de son vieil ami :
« … métallurgiste, marié avec des enfants, il fut secrétaire de la Fiom à Naples, puis
secrétaire de la Bourse
du Travail après Antonio Cecchi, et ensuite, quelques mois avant de partir de
Naples, secrétaire provincial du P.C.I.. À l'étranger, il vécut en France où il
fut persécuté par la police et par le groupe de Togliatti; il trouva abri en
Belgique, et il adhéra à Bruxelles au groupe bordiguiste. En Espagne, il fut
dans la colonne Lénine… Russo commanda l'action victorieuse contre le château
d'Aragon. Opposé à la militarisation, il n'entra pas dans l'armée [populaire
espagnole]. Le fascisme étant tombé, très suivi par les masses ouvrières
napolitaines, il fut secrétaire de la Confédération Générale
du Travail renaissante, où il fut ensuite remplacé par Di Vittorio. Il fit
partie de la section communiste de Montecalvario, formée de vieux communistes
en désaccord avec les jeunes communistes venus à Naples avec Togliatti (Reale,
etc.) … » (Fienga B. à Giuseppe Marchetti, Naples, 8 juin 1975, copie dans
AB).
(9) Renato
Pace (dit "Romolo") est
né en 1903 à Rome. Après l'école élémentaire, il apprit le métier de mécanicien
et, en 1918, il adhéra au P.S.I., puis il passa en 1921 au PCd'I. Secrétaire de
la Fédération
de la Jeunesse
communiste du Latium, il est condamné le 3 décembre 1926 à la relégation pour
la "durée maximale" de cinq ans. Ayant pris le maquis, il fut arrêté
en janvier 1927, au cours d'une réunion politique clandestine. Son recours
contre les effets rétroactifs des mesures de sécurité publique ayant été
refusé, il fut conduit le 6 janvier 1927 aux
îles Tremiti. Transféré ensuite à Ustica et à Ponza, il vota, avec
Bordiga, Antonino Poce et 35 autres membres de la gauche, contre le document
avec lequel le stalinien Giuseppe Berti réclamait la condamnation de Trotski,
passé désormais – selon ses dires – parmi les contre-révolutionnaires « du
fait de ses articles honteux dans la presse bourgeoise ». Arrêté en 1930 à
Ponza pour avoir violé les obligations de la relégation, il purgea trois mois
de prison. Libéré le 1° janvier 1932, il resta à Rome jusqu'au 2 mai quand la Commission provinciale
l'assigna à la résidence forcée pendant trois ans. Un autre recours ayant été
repoussé, il est de nouveau conduit à Ponza. Autorisé le 4 décembre 1932 à
rendre visite à son père sérieusement malade, il trompa la surveillance et
s'expatria clandestinement en Yougoslavie. Il traversa l'Autriche, vécut
pendrant deux mois à Zurich, puis il repoussa à Paris les propositions de Berti
de se rendre en Russie. Il avait entre-temps reçu de Kiev quelques lettres du
communiste Luigi Calligaris, qui démasquaient le "paradis soviétique"
: « Calligaris, je ne sais pas comment il a fait pour me pêcher, car,
quand je suis arrivé à Paris, j'ai enfin reçu ses lettres, il était encore
libre. Il me disait alors qu'il travaillait dans une usine de Kiev, que, comme
réfugié politique… il avait un traitement de faveur, qu'il allait bien… Mais il
dit que les conditions sont comme ci, comme ça, et telles étaient les
conditions des ouvriers russes, bref, un désastre, et du point de vue politique
il semble qu'il militait dans un groupe d'opposition ».
Depuis Paris, il alla habiter à La Plaine-St Denis,
partageant pour quelques mois une chambre avec Duilio Romanelli. Sévère
critique de la stratégie stalinienne qui avait facilité en Allemagne le
triomphe nazi, il se rapprocha des dissidents bordiguistes, en adhérant ensuite
à la Fraction
: « … à peine arrivé à Paris, j'ai fait la connaissance de Corradi,
Corradi Piero, un militant de la Fraction. J'étais déjà alors sur des positions
critiques par rapport au parti, on a discuté, nos positons concordaient
passablement et j'ai pris contact avec eux ». Et la nuit entre le 22 et le
23 septembre 1933, il est arrêté à Saint Denis, tandis qu'il sortait de
l'habitation de Renato Riccioni, avec Romanelli, Virgilio Verdaro, Luigi
Danielis, Costante Mengoni et Amerigo Zadra, presque tous membres effectifs ou
sympathisants de la
Fraction. Pendant ce temps, il était exclu du PCd'I et son
nom était publié, au début de 1934, par un des journaux du parti, "La
nostra bandiera", afin qu'on le chasse de France. Frappé d'une mesure de
"refoulement"(*), il
est signalé, à la fin de la même année, à Paris où il habitait rue de Bercy.
Après avoir refusé la militarisation, Pace resta en Espagne, travaillant comme
tourneur dans les usines de production de guerre de Saillent, où il se trouvait
encore, quand, le 12 mars 1937, il fut fiché par le préfet de Rome.
« C'est un communiste fervent – écrivait le fonctionnaire fasciste – et un
propagandiste qui s'enflamme pour ses idées; il a pris part à toutes les réunions
et congrès du parti, en se signalant comme un élément violent et dangereux pour
l'ordre public ». En mai 1937, Pace se battit à Barcelone, dans le
voisinage de l'hôtel Falcón, contre les staliniens et leurs alliés : « D :
Avez-vous tiré? R : Oui, oui. D : Étiez-vous tous là, tous en groupe? R : Oui,
nous étions tous là, nous sommes rangés du côté de la classe ouvrière, parce
c'était alors… la dernière tentative pour défendre, comprends-tu, une des
conquêtes de la révolution, la dernière tentative ». À la fin de l'année,
après avoir été occupé pendant 6 ou 7 mois dans les usines Tabora de Sens, il
rentra en France, où il adhéra à l'"Union communiste". « Quand
je suis revenu d'Espagne, j'ai reçu la dernière lettre de Calligaris depuis la Sibérie…, où il me disait
: "Je suis en Sibérie". Il me parlait du pays, de la localité, des 30
degrés au-dessous de zéro avec une seule couverture, Calligaris était
tuberculeux de guerre, il était… dans l'armée autrichienne parce qu'il était de
Trieste, il avait fait la guerre avec les Autrichiens et il était tuberculeux
de guerre, cela a été la dernière nouvelle que j'ai eue de Calligaris… ».
Interné par les autorités françaises le 24 décembre 1941, il fut rapatrié en
mai 1942. Immédiatement arrêté, il est condamné à la relégation pour cinq ans.
Libéré seulement à la fin d'août 1943, il devint partisan dans la brigade
Matteotti aux alentours de Rome. Après la libération, il adhéra au Parti
Communiste Internationaliste, dans les rangs duquel il resta jusqu'en 1964
(Pace Renato, Test., Rome, 16 janvier 1972, AB, M5, 13; ACS, Rome, CPC, b.3633,
ad nomen; ibidem, Relégation politique, fascicules personnels, ad nomen; Jacopo
(G. Berti); [Rapport], mars 1930,APC).
(10) Bruno
Zecchini (dit "Il
biondo") est né à Venise en 1903. Mécanicien motoriste, il adhéra à 16 ans
à la Fédération
de la Jeunesse
socialiste, et il passa, en janvier 1921, à la Fédération de la Jeunesse communiste, où
il soutint toujours les positions de Bordiga. Arrêté le 18 avril 1921 à Venise
au cours de la grève générale, il subit en 1923 une perquisition domiciliaire
qui conduisit à la confiscation d'un document du secrétaire de la Fédération de la Jeunesse communiste de
Venise qui le signalait comme un camarade exemplaire. "Délégué du Comité
syndical national des métallurgistes", il déménagea à Milan en 1924, où il
se fit remarquer comme agitateur et propagandiste. Suspendu pendant six mois
par le PCd'I en 1926 pour ses positions de gauche, il s'opposa à la mesure en
adressant au Comité Exécutif du Komintern un recours signé aussi par son
beau-frère Ottorino Perrone, par Fortichiari, Damen, Repossi, Giusto Della
Lucia et d'autres. Plusieurs fois agressé à Milan par les fascistes armés, il
est "invité" le 27 novembre 1926 au siège du groupe fasciste Sciesa, situé
Galleria Vittorio Emmanuel, « pour dire où se trouvait Perrone lui-même et
donner des éclaircissements sur d'autres communistes ». Mais après une
heure et demie d'"interrogatoire", il réussit à s'enfuir, en
accomplissant un « saut mémorable » par une fenêtre, qui lui
occasionna des lésions qui ont guéri en 15 jours. Une tentative d'expatriation
clandestine ayant échoué le 21 décembre (il est arrêt à Varèse avec sa sœur
Ida), il fut renvoyé « avec feuille de route obligatoire » à Venise
où il reçut une sommation et, le 1° mai 1927, il fut incarcéré parce que
soupçonné d'avoir diffusé, avec Edoardo Rigato, Secondo Banzato et Enrico
Cesarin, des manifestes communistes qui incitaient à la révolte contre le
fascisme. Fiché le 10 mai comme « communiste dangereux », il fut de
nouveau arrêté le 24 juillet 1927 avec Banzato, Cesarin, Rigato et Luigi
Grassi, sur l'accusation d'avoir tenté de réorganiser le parti communiste à
Venise. Déféré au Tribunal spécial et acquitté pour insuffisance de preuves, il
est envoyé en relégation à Lipari pour quatre années. Libéré en 1932, il
s'expatria clandestinement avec Cesarin et Vittorio Morucchio. Exclu en février
1933 du PCd'I, il adhéra à Bruxelles à la Fraction de gauche. Expulsé l'année suivante de
Belgique, il vécut à Paris jusqu'à la guerre civile espagnole.
Après le refus de la militarisation, il travailla comme mécanicien à
Barbastro jusqu'en avril 1937, moment où il quitta l'Espagne pour s'établir à
nouveau à Paris. Dans l'après-guerre, il fut membre du Parti Communiste
Internationaliste et ensuite du Parti Communiste International (tendance
Perrone-Maffi-Bordiga), jusqu'à sa mort qui survint à Paris en 1967 (Lionello
Ernesto, Test., Venise, 26 décembre 1975, AB, M2, 18; Recours présenté à
l'Exécutif de l'Internationale Communiste par les éléments de gauche frappés
par des mesures disciplinaires, s.d., APC; ACS, Rome, CPC, b. 5560, fasc. 2069;
ibidem, Min. Int., Dir. Gen. P.s., aff. gen. et ris., 1935, b.33E; Un
militant exemplaire : Bruno Zecchini, "Il Programma comunista",
23 novembre – 6 décembre 1967, n°20).
(11) Gildo
Belfiore est né à Padoue en
1906. Après avoir adhéré en 1920 à la Fédération de la Jeunesse socialiste, il
passa en 1921 aux jeunes communistes. Collaborateur des Arditi del popolo, il
fut dénoncé en 1922 pour port abusif d'armes. Émigré en France en 1924, il
travailla, en qualité d'ouvrier, à Paris, à l'usine Decho. Retourné au pays en
1927, il s'expatria de nouveau en 1930, et il demeura quelque temps à Chambéry,
avant de revenir à Paris. Expulsé de France, il fut condamné en 1935 à deux
mois de prison pour y avoir séjourné illégalement. En 1936, il vivait dans des
conditions d'indigence extrême, avec Mario Bramati, à Ivry, dans un
"bidonville", et il sympathisa avec la Fraction de gauche.
Blessé à Huesca (où il fut sauvé grâce à l'abnégation de Renato Pace), il
s'enrôla ensuite dans la
Brigade Garibaldi et il fit partie d'un groupe dénommé
"Gatto Mammone", avec Modesto Davi, Antonio Lomi, Remo Pizzo et
d'autres. Après la guerre d'Espagne, il connut la filière des camps
d'internement français (Gurs, Vernet...). Livré en 1943 aux fascistes italiens,
il fut relégué à Ventotene en février. Libéré à la chute du fascisme, il fut
déporté en Allemagne le 10 septembre 1944. Dans l'après-guerre, il réintégra au
Parti Communiste Italien (ACS, Rome, CPC, b.441, ad nomen; ibidem, Relégation
politique, fascicules personnels, ad nomen; Alfonso Masset, Adolfo Brani...,
Gildo Belfiore et d'autres. Lettre envoyée à "La voce degli
italiani", La vie de la Brigade Garibaldi, "La voce degli
italiani" n°113, 13 mai 1938; Belfiore G., À la commission pour la
reconnaissance des mesures en faveur des réfugiés politiques, 30 mai 1959).
Francesco Fortini se souvenait d'avoir connu Belfiore « en Espagne
où il est venu me trouver dans la tranchée en compagnie de Bruno Zecchini, puis
il est venu plusieurs fois seul pour m'apporter des journaux à distribuer, nous
sommes restés ensemble plusieurs heures et il m'a dit qu’il était de la ville
de Padoue... C'était un plaisir de l'écouter, il avait la parole facile...
Après la guerre, j'ai demandé [de ses nouvelles] à Pace et celui-ci m'a dit
qu'il avait réussi à le retrouver, mais que depuis qu'il avait réintégré le
parti ils avaient rompu toute correspondance » (Fortini Francesco. Lettre,
Paris, 4 février 1977, AB).
(12) "Magrini" était le
pseudonyme d'Aldo Garosci, historien et journaliste, qui
combattit à Monte Pelato dans la colonne formée par les anarchistes italiens et
par "Justice et liberté". Parmi ses oeuvres sur l'antifascisme et la
guerre d'Espagne, rappelons La vie de Carlo Rosselli,
Rome-Florence-Milan : Éditions U, [1946?], 2 vol.
(13) L'anarchiste Ernesto Bonomini. Meurtrier du fasciste Niccola Bonservizi, il avait purgé huit années de
prison en France. En Espagne, il accomplit des tâches délicates et il collabora
à "Guerra di classe", la feuille publiée à Barcelone par Berneri (et
ensuite par Aldo Aguzzi et Domenico Ludovici) (ACS, Rome, CPC, b.740, ad
nomen).
(14) Emilia
Buonacosa est née le 19
octobre 1895 à Pagani (Salerne), et elle fut adoptée, toute petite, par Luigi
Aufiero et Assunta Albano. Guère plus qu'adolescente, elle commença à
travailler dans les conserveries Cirio de Nocera Inferiore, où elle subit un
terrible accident. Opposée à l'intervention italienne dans la guerre, elle s'engagea
avec force, au cours des "deux années rouges", dans les agitations
politiques et économiques de la région de Nocera, adhérant au cours de ces
mêmes années au mouvement libertaire, peut-être sous l'influence d'un des
hommes importants de sa vie, le "vannier" anarchiste Ernesto Danio,
auquel elle fut liée sentimentalement pendant deux ans (Danio fut relégué à
Lipari de 1927 à 1932, et il fut ensuite "prévenu" en 1933 en raison
de son hostilité persistante envers le régime de Mussolini (après avoir été
dénoncé pour avoir dit à un groupe d'ouvriers et de cochers de Pagani :
« Vous avez payé régulièrement vos cotisations, mais quand vous êtes au
chômage personne ne vous assure plus le pain », et : « Mais pourquoi
donc crier par force vive le fascisme? Moi, je ne veux pas crier », [cette
dernière citation est en dialecte et la traduction est approximative (NdT)]),
il fut donc inclus, après son expatriation clandestine, sur la liste des
"fauteurs d'attentats", et, en 1936, à 56 ans, il prit part à la
défense de Madrid et à l'expédition pour la reconquête des Baléares).
Pour en revenir à Emilia, après sa séparation d'avec Danio, sa vie
s'entrelaça – vers la fin de 1922 – avec celle de l'ex-déserteur Federico
Giordano Ustori, un anarchiste de Canosa, remis en liberté après avoir été
acquitté, le 1° juillet 1922, de l'accusation d'avoir participé à l'attentat du
Diana. Après avoir épousé Ustori, Buonacosa émigra clandestinement en France à
la fin de 1926, demeurant d'abord à Lille et ensuite à Paris où elle fit partie
avec son compagnon, avec Schiavina et Rasi, du groupe anarchiste "Il
monito" ["L'avertissement"], qui publiait le périodique
homonyme. Ustori s'éteignit soudainement dans la capitale française, à 39 ans,
le 2 novembre 1930, en raison des complications d'une intervention
chirurgicale. « Tu connais son passé – écrivit dans "Il Risveglio
anarchico" un camarade qui avait eu l'occasion de l'apprécier – et
beaucoup de ses luttes et de ses tribulations... La nouvelle de la mort
déchirante d'Ustori sera ressentie douloureusement par beaucoup de camarades
qui l'ont connu en Suisse où il était venu en 1915 pour échapper à l'appel sous
les drapeaux, à la plus terrible des servitudes. Il passa dans différentes
villes, et il résida aussi pour quelque temps à Genève d'où il fut expulsé pour
avoir participé à une manifestation pacifiste. La guerre une fois terminée, il
rentra en Italie et il travailla comme linotypiste à Umanità Nuova. Mais accusé
faussement de complicité dans l'affaire du Diana, il se réfugia une seconde
fois en Suisse… Ayant été extradé, l'absence absolue de toute preuve de sa
culpabilité le fit acquitter. Il vécut ensuite la vie dangereuse du
révolutionnaire connu, menacé perpétuellement par le fascisme… ».
Ustori ayant disparu, Emilia continua son activité politique en
collaborant en France avec Domenico Ludovici, Randolfo Vella, Michele Centrone
et Nestor Makhno, l'anarchiste ukrainien qui avait donné beaucoup de fil à
retordre aux bolcheviks. « Cette femme est très probablement dépositaire –
tel était le soupçon des fascistes italiens – de nombreux secrets, car elle
compte des amitiés dans tous les camps, elle reçoit beaucoup de correspondance,
en particulier d'Amérique. Elle est continuellement en voyage, elle s'occupe de
tous les camarades en toute occasion et, étant donné qu'il est moins facile de
prendre des mesures de police contre elle, les anarchistes individualistes s'en
servent souvent et volontiers pour leur travail… ». S'étant liée avec
Piero Corradi, Emilia fut assidue, de 1930 à 1935, aux réunions antifascistes
qui avaient lieu à Paris, puis, à la fin de 1936, elle partit pour l'Espagne où
elle s'occupa des relations avec les anarchistes qui se trouvaient sur le front
aragonais. « Camarade d'un très grand courage et pleine de détermination »
(c'est ainsi que s'en souvenait un ex-milicien d'Espagne), elle participa, en
mai 1937, aux combats qui opposèrent à Barcelone les libertaires et les
poumistes aux modérés et aux staliniens. Revenue en France vers la fin de
l'année, elle fut accusée par les espions de Mussolini d'avoir préparé, durant
son séjour dans la péninsule ibérique, en compagnie de l'anarchiste Romano de
Russo, un attentat destiné à être perpétré en Italie. Arrêtée à Paris le 9
juillet 1940 par les nazis et livrée le 19 octobre aux fascistes, elle fut
envoyée en relégation pour cinq ans et conduite à Ventotene, malgré le recours
qu'elle forma contre cette mesure.
À la chute de Mussolini, elle ne fut pas libérée immédiatement, mais elle
fut transférée au camp de concentration de Fraschette di Alatri, où, le 27 août
1943, elle rédigea (elle en était aussi la première signataire) et adressa au
Ministère de l'Intérieur une protestation énergique (signée également par
Vicenza Raineri, par Julija Deskovic, par Maria Zalar, par Giovanna Bobek, par
Apollonia Kemperle, par Desanka Belamaric et par d'autres reléguées et
internées politiques, italiennes et slovènes) contre le mauvais traitement que
les prisonnières subissaient. Relâchée le 6 septembre, elle resta jusqu'en 1946
à Nocera Inferiore chez ses parents adoptifs (qui furent toujours un solide
point de repère dans sa vie tourmentée et généreuse), puis elle retourna à
Paris, où elle habitait encore dans les années soixante-dix (ACS, Rome,
Relégation, Fascicules personnels, b.164; ibidem, b. 314; Bibbi Bruno, Test.,
Carrare, 20 décembre 1973, AB, M4, 15; Morini Giuseppe, Test.,
Montreuil-sous-Bois, 29 septembre 1977, AB, M40, A; Federico Ustori, "Il
risveglio anarchico", n° 809, 15 novembre 1930; ACS, Rome, CPC, b.1614,
fasc. De E. Danio; ibidem, b. 2421, f. 53949; ibidem, b. 2422, f. 1204).
(15)
Giuseppe Morini est né à
Pellegrino Parmense le 13 avril 1904 dans une famille de socialistes. Son père
était membre de la coopérative de consommation de Varone qui fut détruite par
les fascistes en 1922. Ouvrier maçon, Giuseppe s'inscrivit très tôt à la Fédération de la Jeunesse socialiste, puis
il adhéra en 1921 au PCd'I et il collabora avec les Arditi del popolo pour
endiguer les violences et les dévastations des fascistes armés. Après deux échecs
de tentatives d'expatriation clandestine, il réussit finalement à entrer en
France le 9 mai 1923 avec Gualtiero Negri, Luigi Forni et Alfredo Gerbella (ce
dernier devait tomber plus tard en Espagne). S'étant établi à Paris, il intégra
en 1924 les rangs du Parti Communiste Français (PCF) et en 1926 il prit la
carte syndicale de la C.G.T.U.,
Fédération du bâtiment. Ayant refusé en 1928 les invitations des dirigeants du
PCd'I de déménager à Moscou, il ne renouvela pas sa carte au PCF. En contact
avec les opposants de gauche (Pappalardi, "Fosco", Bruno Proserpio,
Aulisio, Zanchini), il n'adhéra pas cependant aux groupes bordiguistes, ni aux
groupes trotskistes. Accusé d'avoir dévasté avec d'autres réfugiés le café d'un
fasciste à Dudelange et trouvé en possession d'armes et de munitions, il fut
arrêté avec Annibale Cairo et expulsé, en octobre 1928, du Luxembourg. Entré en
Belgique, il y déploya pendant quelques années une activité communiste intense,
en se cachant – paraît-il – sous le nom de "Bompari". Inscrit dans la Rubrique de frontière et,
à partir de 1932, dans le Bulletin des recherches, soupçonné de faire partie de
"Comités d'action", qui n'étaient pas mieux spécifiés, il continua de
vivre, semi-clandestinement, en Belgique et en France. Opposé à la militarisation
des volontaires en Espagne, il revint à Paris à la fin de 1936. Après la chute
de la France,
il entra au "maquis"(*) et
prit part aux combats pour la libération de Paris (Morini G., Test.,
Montreuil-sous-Bois, 29 septembre 1977, AB, M40, A; ACS, Rome, CPC, b. 3421, ad nomen).
(16) Celso
Persici est né le 9
décembre 1896 à Crespellano (Bologne). Ouvrier du bâtiment, il adhéra au
syndicalisme révolutionnaire avant de passer au mouvement anarchiste. Arrêté le
14 décembre 1919 pour "excitation à la haine de classe", il fut
acquitté le 14 mars 1920 "pour absence de preuves". Du 7 au 9
novembre de la même année, il participa à un congrès de jeunes révolutionnaires
qui eut lieu à Bologne. Dénoncé de façon répétée, il fut fiché le 21 août 1924
par la Préfecture
de Bologne, qui en signala les déplacements de secrétaire du Cercle libertaire
d'études sociales de Bazzano, la correspondance qu'il avait eue avec Borghi et
Binazzi et l'attitude "hautaine" à l'égard des autorités. Émigré en
France en 1925, avec sa femme Libertaria Proni (une révolutionnaire qui devait
être inscrite en 1933 dans le Bulletin des recherches), il assista le 5 juin
1925 à une réunion de l'Union syndicale italienne à Paris. Abonné en 1930 à
"La lotta anarchica", il fut accusé l'année suivante par les espions
fascistes de vouloir retourner en Italie, avec son frère Antonio, pour y
accomplir un attentat sensationnel. Inclus dans la liste des
"terroristes" bolognais résidant à l'étranger et membre – avec Giulio
Bacconi – du Groupe anarchiste de Marseille, il déploya une propagande intense
contre l'agression fasciste de l'Abyssinie.
Expulsé de France, il se réfugia en mars 1936 à Barcelone, où, le 19 et
le 20 juillet, il se battit contre les rebelles et il fonda dans les jours
suivants, avec d'autres anarchistes, un Comité révolutionnaire. Par la suite,
il s'occupa, avec Ludovico Rossi, Renato Castagnoli, Ernesto Bonomini, Enzo
Fantozzi et Francesco Barbieri, de l'organisation des premières colonnes de
volontaires et il se consacra au contrôle de la frontière pyrénéenne ainsi que,
dans une série de dépositions déconcertantes, le rapportèrent en 1939 et 1940
Vindice Rabitti, Emilio Strafelini et Riccardo Zanelli, en livrant aux préfets
de police de Bologne et de Trente des centaines de noms d'antifascistes. En
août 1937, Persici retourna à Marseille, où il resta jusqu'en 1938, quand il
fut chassé, encore une fois, du territoire français. Ayant trouvé asile à Oran
et arrêté pour infraction au décret d'expulsion, il resta en prison pendant un
an. Rentré à Marseille, il déménagea à Nice après 1945, où l'un de nous fit sa
connaissance trente années plus tard (ACS, Rome, CPC, b. 3879, fasc. 27716).
(17) Piero
Corradi est né le 28 mai
1906 à Paris, où son père Luigi, originaire de Pellegrino Parmense, travaillait
comme commerçant. Rentré en Italie avec sa famille, le jeune Piero retourna en
France le 21 juillet 1923, avec son frère Ernesto. Une photographie, en notre
possession, le montre à Paris, en compagnie de Lazzaro Bazzoni et d'autres
communistes italiens, qui arboraient des faucilles, des marteaux et des
drapeaux rouges. Dans la capitale française, il adhéra en 1924 aux Groupes
communistes de langue italienne du PCF qui étaient dirigés par Lanfranchi,
Macchi et Zanardi. Opposé à la "bolchevisation", avec laquelle la
majorité du Parti Communiste Russe avait pour objectif de liquider les
opposants dans tous les partis communistes, il participa en 1925 à la fondation
du Comité d'entente parisien, avec Ludovico Rossi, Giovanni Tornielli ("Nero"),
Bruno Bibbi ("Bianco" ou "Alfredo"), Fernando Borsacchi
("Pieri"), Giovanni Bottaioli ("Butta") et Michelangelo
Pappalardi, lequel était déjà hors du PCd'I, étant donné qu'il en avait
démissionné à Marseille en 1923 (sa tentative d'y revenir, car il en fit la demande
sur la suggestion de Bordiga, ne fut pas acceptée).
« Nous étions en majorité dans les Groupes du Parti et nous tenions
des réunions de Fraction… à l'insu du Parti. Nous avons été découverts à cause
d'un camarade qui avait reçu une convocation de Rossi, qui cumulait la fonction
de secrétaire fédéral du Parti et celle de secrétaire du Comité de la Gauche; nous étions en
réunion de fraction, dans un local du Parti, Michele était en train de
vulgariser les articles de Bordiga, quand Gnudi nous tomba dessus. Il prit
immédiatement prétexte, non seulement [du fait] que nous tenions des réunions
fractionnistes, mais qu'elles étaient présidées par un élément qui était à
l'extérieur du Parti. Rossi prit la responsabilité de la réunion et il fut le
premier à être exclu ». Corradi ne fut exclu, lui, qu'en 1927. « Mon
exclusion, ainsi que celle de mon frère, a eu lieu en 1927, suite à la réunion
publique du Parti qui a fini à coups de poing ». Hors du PCd'I, il adhéra
(avec Guglielmo Spadaccini, Renato et Bruno Pierleoni, exclus depuis longtemps
du PCd'I, Alfredo Bonsignori, Ludovico Rossi et Guido Checchi, dit
"Mostaccino") au groupe ouvriériste de Pappalardi, un des deux
"moignons" du bordiguisme en France.
S'étant détaché en 1929 du professeur de Campobasso, car en désaccord
avec la condamnation du léninisme parue dans les colonnes de "L'ouvrier
communiste", il devint, avec son frère Ernesto, membre effectif de la Fraction de gauche. Lié à
l'anarchiste Emilia Buonacosa, il avait à Paris un petit atelier où il travailla
pendant quelque temps avec Duilio Romanelli. Inscrit dans la Rubrique de frontière et
dans le Bulletin des recherches, il fut inclus en 1933 parmi "les
révolutionnaires fauteurs d'attentats" de la Préfecture de Parme,
avec son frère Ernesto et Luigi Melli. À la fin de cette année-là, il publia
dans "Prometeo" – en le signant Alpinesi – l'article : La lutte de
classe en Allemagne et l'incendie du Reichstag. Signalé pour son assiduité
aux manifestations antifascistes (avec les trotskistes "Fosco", Piccini
et Bavassano, le bordiguiste Bruno Bibbi, les anarchistes Ernesto Bonomini et
Quisnello Nozzoli, les gellistes Carlo Rosselli et Bruno Pierleoni, etc.), ami
de Renato Castagnoli et d'Antonio Zanchini, il signa en 1935, avec Russo et
Verdaro, au Congrès de la
Fraction, une résolution où, ayant pris acte que la
dégénérescence centriste avait désormais conduit à « la trahison ouverte
qui s'exprime dans l'engrènement de l'État russe dans une des constellations
impérialistes qui débouchent sur un nouveau massacre mondial », les
prolétaires sont invités à sortir des partis stalinisés, « qui sont passés
au service du capitalisme mondial ». Le document s'achevait ainsi :
« Il est entendu que, étant donné ces considérations, nous ne pouvons plus
nous appeler fraction d’un parti passé définitivement dans les rangs de
l’ennemi. On accepte la dénomination de fraction italienne de la gauche
communiste ».
L'année suivante, il devint le principal représentant en France de la
"minorité" de la
Fraction et il exprima son désaccord avec les positions de la C.E. sur la question
espagnole dans quelques interventions claires et nettes. Fondateur le 27
septembre du "Comité de Coordination", il entra ensuite dans
l'"Union communiste" : « Parmi les membres de la minorité, il y
a toujours eu des contacts entre ceux qui sont allés en Espagne et ceux qui n'y
sont pas allés. Au retour d'Espagne, la rupture avait déjà eu lieu avec la Fraction, nous nous
sommes intégrés dans un groupe de camarades français, parmi les quels le
camarade Davoust. Dans ce groupe, il y avait aussi des camarades d'autres
nationalités ». Signalé en 1942 à Heereskraftfahrpark, une usine de
Lublin, il adhéra en 1945 au Parti Communiste Internationaliste (résolution
Candiani, Gatto, Piero, Le Congrès de la Fraction italienne de la Gauche,
« Prometeo », n° 123, 13 octobre 1935 ; Corradi P., Test.,
Paris, 10 novembre 1976, M7, 9 ; Corradi Piero, Lettre, Paris, 7 décembre
1975, AB ; Corradi P., Lettre, Paris, 28 décembre 1975, AB ; Oreste
(E. Gnudi), Lettre, s. d. (juin 1926), APC, b.498, idem, Lettre, 26 juillet
1926, ibidem ; ACS, Rome, CPC, b. 1480, fasc. 22390. Un passage de
l’article Pour sortir du marais, paru en août 1929 dans le n° 1 de « L'ouvrier communiste »,
fait probablement référence à la séparation de Piero et Ernesto Corradi d'avec
Pappalardi. Cf. aussi : Min. de l'Int., Div. Police politique, etc.).
(18) Il s'agit de Pace.
(19) Mario
Bramati (dit
"Monza" et "Bramante") adhéra au PCd'I en 1921, et il subit
ensuite, à Milan et à Monza, des agressions féroces et répétées de la part des
fascistes. Ayant émigré clandestinement en France en 1927, il souffrit d'une
faim indicible de l'autre côté des Alpes. Obligé d'habiter dans des taudis
croulants à Saint Denis, à Vincennes et à Ivry, il dut s'adapter à une existence
parmi les plus incertaines, entre chômage et misère. S'étant rapproché de la Fraction de gauche, il
fut volontaire en Espagne. Ayant refusé la militarisation des colonnes, il
travailla comme mécanicien, avec Renato Pace, dans l'usine de Saillent. « Pace
est allé à l'extérieur de Barcelone – se rappelait Emilio Lionello – pour
travailler avec ce Bramati Mario qui est mort… ». En mai 1937, il se
rangea dans la cité catalane du côté des anarchistes et du P.O.U.M. et il
combattit sur les barricades contre la réaction modérée-stalinienne. Retourné
en France à la fin de 1938, il passa par les camps d'internement de Barcarès,
Saint Cyprien et Peaux, avec Emilio Lionello, Enrico Crespi et d'autres
ex-miliciens d'Espagne. Enrôlé de force dans les compagnies de travail, il fut
employé dans les travaux de fortification de la frontière franco-belge. Entré
au "maquis", il tomba en 1944 en combattant contre les nazis pour la
libération de Paris.
Emilio Lionello nous a parlé de Bramati dans différents passages de son
témoignage : « Il y avait moi, en somme, Pace, Romanelli, un certain
Bramati Mario qui est mort aux environs de Paris et qui était en Espagne avec
nous, c'était un sympathisant du groupe bordiguiste, une très brave
personne ». Et plus loin : « Depuis Paris (nous sommes partis pour
l'Espagne), Cecchin, Mutello, Pace, moi, celui de Padoue dont je ne souviens
pas comment il s'appelait [Belfiore], ce Bramati Mario qui était de Monza, nous
dormions ensemble dans une baraque, à l'extérieur de Paris… » (Lionello
E., Test., Venise-Mestre, 26 décembre 1975, p. 4-5). Le trotskiste Domenico
Sedran ("Carlini") a rappelé lui aussi le calvaire de Bramati dans un
témoignage que nous avons recueilli à Follonica en octobre 1980 (AB, P9, 25) et
Francesco Fortini nous a dit de lui : « Tous les autres, y compris
Mutello, Bramati, Morini, sont allés au contraire dans les milices du POUM et
ont contribué à la constitution de la colonne Lénine qui s'est battue à l'asile
d'aliénés de Huesca et à Quicena » (Fortini F., Test., Paris, 6 novembre
1976, AB, M 42).
(20)
Costante Mengoni (dit
"Mutello"), sympathisant de la Fraction. Né à Cis le
6 mars 1905, ouvrier, communiste, il émigra en août 1924 en Belgique où il
travailla pendant huit ans comme mineur. Expulsé en 1932, il alla à Paris où il
mena pendant quelques années une vie de "clochard"(*). En Espagne, il combattit sur le
front aragonais dans la colonne Lénine, puis il passa à la colonne
anarcho-gielliste, et il y resta pendant quelques mois : « Il était – nous
a raconté Francesco Fortini, son ami intime – un type extraordinaire : il
avait un sang-froid incroyable…, une
fois, au front, une mitrailleuse s'enraya…, avec son calme, Mutello, sous une
pluie de balles, commença à s'affairer pour la débloquer et il y
réussit ». Revenu en France, il fut arrêté en février 1939 et interné au
camp du Vernet. Livré aux fascistes en 1942, il fut relégué à Ventotene, bien
qu'il ait eu une attitude peu résolue les jours précédents. Libéré en 1943, il
mourut en 1968 (ACS, Rome, CPC, b. 3227, ad nomen; Fortini Francesco, Test.,
Paris, 6 novembre 1976, AB, M 42).
(21) Emilio
Lionello (dit
"Giacchetta") est né à Venise le 28 avril 1909. Charpentier
métallique, il s'inscrivit à la
Jeunesse communiste en 1926. Arrêté pour activité
antifasciste le 23 novembre 1927, il fut condamné en 1929 par le Tribunal
spécial à 4 ans et 2 mois de réclusion. Une fois sa peine purgée et soumis à 3
ans de surveillance spéciale, il émigra clandestinement en Yougoslavie avec
Edoardo Rigato et Enrico Baldisseri. Accusé d'avoir agressé un fasciste à Paris
en avril 1933, il fut frappé d'une mesure d'expulsion. Exclu du PCd'I avec
Renato Pace et d'autres dissidents, il fut dénoncé publiquement, le 27 janvier
1934, par la feuille communiste "La nostra bandiera" : « Nous
recevons du Groupe de Saint Denis (La
Plaine) communication de l'exclusion du parti de Romolo
(Pace), Giacchetta, Negrus,… ». Chassé de France en 1935, il revint malgré
tout à Paris, où il habita longtemps dans les baraques de la banlieue(*).
Après avoir refusé la militarisation des colonnes, il resta à Barcelone
où il travailla en usine; c'est là qu'il fut "surpris" par les
événements de mai 1937 : « Je me trouvais… au Parisien. Je dormais là; il
y eut quelques combats, sur les Ramblas, près du Barrio Chino, puis il y a eu
quelques coups de feu localement. Il y avait aussi Pace et d'autres. Mais ce ne
fut pas grand chose. En d'autres endroits, il y a eu des fusillades, ils ont
arrêté des voitures, ils ont tué ceux qui étaient dedans, il y avait un
désaccord très fort entre les anarchistes et les communistes. Ensuite, ça a été
l'assassinat d'Andrès Nin, de Berneri, de Barbieri, ça a été l'assassinat de
Landau, j'avais écouté quelques conférences de lui à Paris, je le
connaissais ». Arrêté quelques semaines plus tard, il expérimenta – comme
le trotskiste Placido Mangraviti – la dureté des prisons et des camps de
concentration espagnols, où il participa à certaines manifestations bruyantes
de protestation contre les staliniens. « Ils nous ont amenés au Modello de
Barcelone et nous y sommes restés quatre mois. Après, je suis sorti, je suis
retourné travailler en usine. J'étais dans un bar le soir, ils ont fait de
nouveau une razzia, ils m'ont trouvé avec un document du P.O.U.M., ils m'ont
coffré. Le chef de la police était un ex-fiancé de la femme de ce Lionello [le
trotskiste Guido Lionello]. Pour différents motifs, ils ne m'ont plus lâché
jusqu'à la libération. Dans un premier temps, nous avons fait différentes
révoltes, dedans, nous avons mis le feu à la prison, tout cela, renversé les
chariots, parce qu'on était libre dans les cellules, il y a eu différentes
mutineries avec des morts, des blessés, tout cela, et ensuite, tout nus, ils
nous ont emmenés, cellule par cellule. Nous étions des centaines et des
centaines, tous des prisonniers politiques de gauche, nous étions le bras des
politiques, il y avait des anarchistes, ceux du POUM, Gironella, … un autre,
avec des lunettes, du POUM, ils nous ont transférés dans de petites prisons,
ils en ont envoyé d'autres dans des camps de travail. Quand il y en avait un
qui s'échappait, ils fusillaient ceux du groupe central de cinq et les deux
autres groupes qui suivaient, ils l'ont fait plusieurs fois. Dans un second
temps, ils nous ont envoyés nous aussi dans les camps, un anarchiste italien
nous a sauvés… ». Revenu en France en 1939, il fut interné dans les camps
de Saint Cyprien et de Peaux : « C'est là que s'est produite la plus
grande bataille … entre communistes et leurs adversaires, c'est-à-dire nous en
somme. J'étais dans le groupe des dissidents, avec Guido Lionello, il y avait
aussi un socialiste, un lieutenant blond, dont je ne me souviens pas du nom.
Après que nous avons été expulsé, j'ai rencontré Gennaro Gramsci, j'ai
rencontré différents types qui y ont été, des trotskistes, des bordiguistes et
quelques groupes d'anarchistes ». La deuxième guerre ayant éclaté, il fut
transféré à la frontière belge « pour y faire des canaux antichars »,
puis, après la percée du front, il rejoignit Bruxelles et en 1940, il retourna
en Italie. Arrêté à la frontière, il fut envoyé au camp de concentration de
Castello di Montalbano, dans lequel il fut retenu jusqu’à la chute du fascisme.
Déporté en Pologne après le 8 septembre 1943, il revint à Venise au cours du
second semestre de 1945 (Lionello E. Test., Venise-Mestre, 26 décembre 1975,
AB, M, 18 ; ACS, Rome, CPC, b. 2791, ad nomen).
Nous publions quelques passages d’une protestation dramatique signée par
Lionello et d’autres révolutionnaires détenus en 1938 à Barcelone dans les
prisons républicaines : « … Dernièrement, des centaines de
prisonniers antifascistes ont été brutalement arrachés des prisons catalanes et
employés à des travaux de fortification dans des camps de concentration. Cette
mesure est absolument arbitraire. Aucune exception n'était prévue : bons et
mauvais, garçons de 15 ans et vieux aux cheveux blancs, condamnés, inculpés… En
un mot, les mêmes méthodes qui sont en usage dans les pays à régime fasciste.
Malgré tout, ce nouvel affront fut supporté en silence. Nous sommes des militants
antifascistes et nous ne pouvions pas refuser de nous rendre sur le lieu de
combat qui nous avait été assigné. Nous aurions préféré le fusil et la
tranchée, mais nous avons accepté sans protester la pelle et la pioche… Notre
position était si sincère que, avant de partir pour le camp de travail, nous
avons chanté les hymnes révolutionnaires dans nos prisons antifascistes… Quelle
erreur de notre part! Le camp de travail devait être un nouveau degré de notre
calvaire, le couronnement diurne des abus policiers et judiciaires, à cause de
la terreur que les agents de la
Tcheka et du SIM ont fini par imposer, au milieu de la
bassesse générale. Dans les camps de fortification, pour humilier une fois de
plus les sentiments révolutionnaires de nos camarades, les prisonniers
antifascistes ont été sciemment mêlés aux fascistes et aux vulgaires
délinquants de droit commun… Dans les camps de concentration, on travaille 11
heures par jour durant lesquelles il est rigoureusement interdit de parler aux
autres. Saleté et misère font la loi. Beaucoup de nos camarades ont été
victimes de la gale. D'autres, gravement malades, ne sont soignés en aucune
façon… Jusqu'à il y a peu, les prisonniers étaient frappés avec la crosse des
fusils ou des fusils mitrailleurs, mais l'une de ces armes étant partie toute
seule et ayant blessé 5 ou 6 détenus, on a obtenu une amélioration (sic!), et
pour frapper on n'utilise maintenant que des matraques et des nerfs de bœuf. Le
chef omnipotent des camps de fortification est le commandant Astorga, membre du
Parti Communiste d'Espagne et ex-détenu pour sept mois à la Prison Modello où,
pour incompatibilité avec les prisonniers antifascistes, il était enfermé dans
la 59° galerie destinée aux prisonniers fascistes les plus connus. Cet homme
est le seigneur et maître de la vie de nos camarades dans les camps de
concentration. Personne ne contrôle ses caprices et personne ne rend compte de
ce qu'il fait. Il est investi de pouvoirs illimités. Le régime de terreur a
atteint son point culminant lors de l'assassinat froidement prémédité de 12
détenus parmi lesquels se trouvaient des camarades inoubliables…
Il y a quelques jours, deux prisonniers ont essayé de s'évader. Ceci
étant venu à la connaissance du commandant Astorga, il a fait réunir tous les détenus,
en mettant à part les 12 prisonniers qui occupaient la même baraque que les
fugitifs. Ces douze jeunes n'avaient rien à voir avec l'évasion. Parmi eux –
antifascistes, fascistes et délinquants de droit commun – il y avait peu de
cordialité. De plus, les prisonniers n'étaient pas tenus de se surveiller
mutuellement. Et d'ailleurs, après onze heures de travail, ils n'étaient
certainement pas en condition pour veiller toute la nuit. Malgré ces
circonstances, et pour qu'ils servent d'exemples, les douze jeunes ont été
fusillés… ». Parmi les signataires de ce long document, Nicholas
Sundelevitch, Walter Schwartz, Karl Braunig, Lionello, le trotskiste Victor
Ondzik, les poumistes Gironella, Llorens, Vila et d'autres (Protestations
des prisonniers antifascistes de Barcelone sur les assassinats et tortures
infligés dans les camps de travail(*),
"Independant news", n° 48, 30 juillet 1938, p. 3-4).
Nous avons un portrait de Lionello grâce à la plume de Bruno Sereni :
« Lionello, plus connu sous le nom de Giacchetta, vénitien de Venise, âgé
de seize ans, fut condamné à quatre ans de prison par le Tribunal spécial. Au
pénitencier, il est devenu un érudit du marxisme, et aujourd'hui il peut nous
anéantir en citant Marx de mémoire. Une fois sorti de prison, il fit si bien
qu'il réussit à fuir en Yougoslavie; il arriva à pied en Autriche. À Vienne, il
fut aidé par la camarade Lerda qui lui donna les moyens pour arriver à Paris en
traversant la Suisse. En
France, sans métier, sans carte d'identité et de séjour, il a mené une vie que
seul celui qui a fait un long séjour dans un pénitencier fasciste peut avoir la
résistance morale et physique de supporter » (Sereni B., À l'asile
d'aliénés de Quicena, "Libera Stampa", n° 104, 7 mai 1937).
(22)
Salvatore Velotto (dit "Vicenzo"
ou Vicienzo") est né à Barra (Naples) le 18 octobre 1899. Chaudronnier et
vendeur ambulant, il adhéra au PCd'I en 1921. Dénoncé pour avoir écrit dans la
rue, en mars 1923, des phrases à la louange du communisme, il fut arrêté le 28
septembre 1924, alors qu'il sortait de la maison de Bordiga. Incarcéré en
novembre pour avoir lancé des "cris séditieux" et participé aux
heurts contre la force publique au cours des funérailles du communiste Rafaele
Perna, il fut condamné par contumace à 9 mois de réclusion. Émigré en 1926, il
s'arrêta à Marseille où il vivait encore en 1930. Expulsé de France et de
Belgique, il séjourna en Allemagne et en Lettonie. Revenu en France après la
guerre civile espagnole, il fut condamné à 3 ans de détention pour infraction à
un décret d'expulsion. Livré aux autorités italiennes en 1942, il fut assigné à
la relégation pour 5 ans (ACS, Rome, CPC, b. 5346, fasc. 16182; Div. Pol. Pol.,
etc.). Francesco Fortini rappelait Velotto de la manière suivante : « Il
vivait dans un hôtel près de la
Gare de Lyon. Je crois que [nous étions] peu à savoir qu'il
[avait] de fausses cartes, mais parfaites, qui lui permirent de vivre si l'on
peut dire légalement jusqu'à la guerre. Je l'ai vu en Espagne : il était avec
Morini et Cesarin dans l'artillerie du POUM, derrière nos tranchées. Je
retrouvai Vincenzo en prison à la
Santé tandis qu'il allait à la douche; il me dit :
« S'ils ne te livrent pas aux Allemands, quand tu sortiras, avertis les
camarades et surtout Fanfulla (Di Martino), son pays et ami d'enfance »,
avec lequel il avait été dans la même section de Barra depuis la scission de
Livourne » (Fortini Francesco, Lettre, Paris, 16 mars 1977, AB).
(23) Pseudonyme de Russo. Revenu en
France vers la fin d'octobre, Russo parla des événements espagnols dans des
conférences remplies de monde qu'il tint à Paris et à Lyon. Les espions de
Mussolini s'occupèrent aussi de ses initiatives, puisque l'un d'eux rapporta le
6 novembre 1936 de Paris : « Russo Enrico tiendra, sur une invitation
unitaire, une conférence à Paris dimanche prochain. Au début de la lutte en
Espagne, Russo est parti pour le front, élément habile, énergique, officier
capable, il y a été immédiatement pris en grande considération. Mais Verdaro et
les autres bordiguistes de Bruxelles ne pensaient pas la même chose que Russo
sur la question espagnole. Ils ont affirmé qu'elle ne pouvait pas intéresser
les révolutionnaires, et que ceux qui se laissaient transporter par le premier
bruissement de feuilles, pour se cabrer comme un poulain furieux, accomplissaient
une œuvre mesquine, à moins que certains inadaptés ne cherchent un emploi. Le
coup était mauvais mais direct. Russo s'est rebellé, il a soutenu son point de
vue, il a affirmé l'incompréhension de Verdaro et des autres sur la question
espagnole, et que la thèse soutenue par eux était le fruit d'une incapacité et
engendrait la trahison. D'où une lutte acharnée. Au côté de Russo, se
trouvèrent immédiatement les frères Corradi et presque toute la Section de Paris; le
groupe de Marseille et De Leone, qui avait été invité par les bordiguistes à Barcelone pour
étudier la situation. Il est plutôt surprenant que le groupe de Paris invite [à
la] conférence de Russo au nom de la minorité de gauche communiste, dans la
mesure où il devrait représenter la majorité… ».
Un autre espion écrivit de Lyon le 12 novembre : « En permission du
front espagnol où il combat en qualité de capitaine dans une des diverses
colonnes antifascistes, monsieur Russo, d'une quarantaine d'années environ,
napolitain, a été de passage ici mardi soir pour un cycle de réunions dans les
milieux politiques antifascistes italiens. Réunion strictement privée, réservée
aux seuls invités. J'ai noté : Barbato (Alfredo Barbati, NdR) pour les
maximalistes; Trombetta et Scarmagnan pour les socialistes; Fabbri pour la Lidu, les deux fils Fabbri,
les deux frères Pierleoni (Bruno et Renato, NdR) et Mustaccino (Guido Cecchi,
NdR), pour"g.l.", Bevini pour les anciens combattants, Costana pour
le front unique, Gino et Giovanni pour les communistes, deux représentants du
comité anarcho-syndicaliste espagnol, et une quinzaine d'anarchistes italiens à
la tête desquels Buonsignore (l'anarchiste de Maremme Alfredo Bonsignori,
ensuite milicien en Espagne, NdR).
La raison de ce cycle de réunions : Russo, théoricien d'une certaine
notoriété, orateur persuasif et en même temps sympathique, fit un examen
général attentif des événements d'Espagne, de leur préparation générale, de la
fin et des objectifs de ceux qui les ont préparés, le fascisme international
avec ses représentants, Hitler et Mussolini. Bien qu'il se déclare marxiste pur
sang (je crois que les moyens pour faire ce cycle de conférences lui ont été
fournis par les autorités catalanes), il met en garde les différents
représentants de notre émigration politique en France contre l'intervention
sournoise, après trois mois où l'on demande des armes en Espagne, de l'État
soviétique. Il explique avec sa rhétorique facile que le peuple espagnol, même
s'il doit se servir des armes qui lui sont envoyées par la Russie pour vaincre Franco
(il commence ici à se faire des illusions sur celui qui vaincra), ne se
soumettra pas à un régime de type communiste russe, et qu'il faudra laisser le
droit aux travailleurs espagnols d'expérimenter dans la péninsule ibérique, qui
sera demain entre leurs mains, ce régime syndical anarchiste qui est déjà
instauré à Barcelone. Les ouvriers internationaux tireront un enseignement
utile de cette expérience pour abattre le fascisme d'abord, et les démocraties
ensuite. À part les deux communistes présents qui firent certaines réserves,
tous les présents se mirent d'accord avec l'orateur pour une propagande à cette
fin » (AC, Rome, CPC, b. 4498, fasc. 25124).
(24) Il n'y a aucun doute sur la grande
importance des services rendus par Russo sur le front aragonais. Le 17 mai
1939, l'Espagnol Juan Blanch, dit J. B. Tarres,
a dit à ce sujet à Bruxelles : « J'avais connu Russo au front,
lequel était commandant des Milices et qui s'est distingué lors de la prise de
Mont Tarragone (Aragón, NdR), HOMME DONT LE NOM SERA RETENU DANS L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE
CONTRE FRANCO »(*)
(ibidem)
(25) Il s'agit de Ciccio ou Ciccetto, un
Milanais, qui ouvrit ensuite un restaurant à Barcelone (Morini G., Test.,
Montreuil-sous-Bois, 29 septembre 1977, AB, M 40, A).
(26)
Francesco Fortini (dit
"Cavallini", "Cavalieri", "Giacomo Verzini",
"Giovanni Varenna" et
"Cecchino") est né à milan le 30 mai 1905. inscrit au PCd'I depuis
1921, il émigra clandestinement en Suisse en 1928. Après une rencontre avec
Romano Cocchi à Bâle, il s'établit à Paris, travaillant pendant quelques années
sur des chantiers de construction, sous la dépendance des "tâcherons"(**), et ensuite il déménagea à Saint
Denis. Le 4 septembre 1931, en se rendant à la Gare de Lyon pour protester contre la visite du
quatuorvir Emilio De Bono à l'exposition coloniale fasciste, il se jeta sur lui
en criant : « Assassin! » et en s'agrippant à lui. Mais, aussitôt
assailli par les policiers français, accourus pour protéger le dirigeant du parti
fasciste italien, il est sauvagement frappé à coups de crosse de fusil et même
avec une bicyclette. Sérieusement blessé à un poumon, il est retenu à
l'infirmerie de la Santé seulement pendant très
peu de jours (les autorités françaises craignaient un scandale du fait de la
brutalité avec laquelle il avait été malmené), avant d'être accompagné, dès
qu'il fut en mesure de se tenir debout, à la frontière franco-belge et d'être
expulsé. À Bruxelles, il est aidé par le socialiste Lazzarelli, secrétaire du
Fonds Matteotti, puis il a été arrêté et condamné à 3 mois de prison pour
immigration clandestine. La peine une fois purgée, il est emmené à la frontière
du Luxembourg. Revenu en France, il fut le protagoniste, en avril 1932, d'une
violente protestation dans les locaux du Consulat italien à Paris, où il
détruisit, avec Riccardo Molina, Mario Luschi et Umberto Silvestri, deux
portraits de Mussolini et de nombreux objets. Chassé de France, il rentra
clandestinement à Paris où il vécut pendant plusieurs années dans la plus
profonde indigence, en compagnie de Costante Mengoni. Écarté du PCd'I et
calomnié par lui, selon les habitudes des staliniens, il est inclus le 18 avril
1933 par la Préfecture
de Milan dans les listes des fauteurs d'attentats. Par la suite, il se rapprocha de la Fraction de gauche grâce
à Piero Corradi par lequel il fut longtemps aidé.
En août 1936, il partit pour l'Espagne, avec Velotto, Mengoni, Cesarin,
Morini et Bramati, et il s'enrôla dans le colonne des giellistes et des
anarchistes italiens, avec lesquels il combattit à Monte Pelato le 28 août.
Revenu en France, il fut arrêté à Paris en 1940 – en tant qu'étranger – et
détenu pour quelques mois. Relâché, il resta dans la capitale française où il
habitait encore à la fin des années soixante-dix (Fortini Francesco, Lettre,
Paris, 21 janvier 1976, AB; ACS, Rome, CPC, b. 2129, fasc. 98454; "Le
petit parisien", n° 20122, 2 avril 1932).
(27)
Vasconi était, peut-être,
le communiste Luigi Vascon, né à Megliadino San Vitale (Padoue) le 21 octobre
1889, ouvrier agricole, chef de syndicat et responsable à Santa Margherita
d'Adige de la section du PCd'I. Plusieurs fois dénoncé pour activité
subversive, il émigra en France dans les années vingt. Au mois de janvier 1937,
il fut signalé à Perpignan avec Enrico Russo, Angelica Astolfi et Amedeo
Gennai, tandis qu'il s'apprêtait à entrer en Espagne. Revenu en France, il
résidait, le 4 janvier 1943, à Sainte Lirade (ACS, Rome, CPC, b. 5328, fasc.
98789).
(28)
Edoardo Magnelli était originaire
de Francavilla Marittima (Cosenza), où il était né le 28 juillet 1896. Après
avoir fréquenté l'Institut technique de
Catanzaro, il fut embauché à la gare ferroviaire de Bologne comme secrétaire
surnuméraire. "Socialiste révolutionnaire", il déploya une très
intense propagande contre l'intervention de l'Italie dans la première guerre
mondiale. En 1916, il invita les travailleurs, dans les colonnes du périodique
"Guerra di classe", à s'"insurger" contre la Fédération des métiers
et les Coopératives socialistes, qui dénaturaient « le concept de la lutte
de classe » lorsqu'elles demandaient aux ouvriers d'aller travailler dans
les zones de guerre. « Par la fureur aveugle avec laquelle il professait –
écrivirent les autorités de police – ses principes révolutionnaires et anti-guerre,
par sa très grande activité susmentionnée dans la propagande délétère de ces
principes, par l'influence dont il jouit désormais parmi les éléments les plus
irréfléchis et violents du Parti socialiste local et de toute la région, par le
caractère audacieux et résolu, violent, dédaigneux de tout principe d'ordre et
d'autorité, il est à considérer comme un individu très dangereux aussi bien
comme propagandiste que comme homme d'action… ». Fiché par la préfecture
de Bologne le 12 juin 1916 et signalé comme « complice des
déserteurs », Magnelli fut licencié le 2 octobre 1917 des chemins de fer.
Renvoyé, avec feuille de route, à Francavilla, il déménagea en 1919 à Naples où
il fut agressé, le 23 février, avec Gino Alfani, par les forces de l'ordre
durant une manifestation. Élu, le 13 avril, membre de la Commission de la presse
par le Congrès socialiste de la
Campanie, il prit en 1920 la charge de secrétaire de la Bourse du Travail de
Scafati. Retourné à Bologne, il y dirigea la Ligue des ouvriers du bois jusqu'au 23 novembre
1920, quand il fut arrêté sur l'accusation d'avoir participé, 48 heures
auparavant, aux très graves événements du Palazzo d'Accursio, où avaient été
tués 11 socialistes et le conseiller "combattant", l'avocat Giulio
Giordani. Acquitté et libéré en février 1921, il entra au PCd'I. Émigré
clandestinement en France à la fin de 1922 et expulsé de ce pays pour avoir
participé en 1925 aux protestations contre l'attaque menée au Maroc par le
général Pétain contre les patriotes d'Abd el Krim, il trouva asile à Bruxelles
et à Anvers. Chassé de Belgique et du Luxembourg, il revint à Paris en 1931, où
il adhéra à la Fraction
de gauche et soutint "Prometeo" par de petits dons. Retrouvé en avril
1939 à Paris, où il était resté jusqu'alors illégalement, il fut condamné à 6
mois de prison par le Tribunal de la capitale et invité le 14 septembre, au
moment de sa mise en liberté, à quitter la France sous 48 heures. Arrêté à Bardonecchia le
17 septembre, il fut envoyé en relégation pour 3 ans à Sant'Elia a Pianisi
(Campobasso), où, dès que sa peine a été purgée, il fut détenu à partir du 15
septembre 1942 comme interné « dangereux dans des conditions de
guerre ». La chute du fascisme ne provoqua même pas sa remise en liberté
et le 25 août 1943 le préfet de Cosenza (dont dépendait Francavilla) demanda
qu'il reste à Sant'Elia, parce que, « dangerosité attendue relégué
politique … de par ses très mauvais précédents, on ne considère pas comme
opportune sa présence cette province zone militairement importante… ». Ce
n'est qu'en décembre que Magnelli fut libéré et qu'il retourna à Francavilla et
ensuite à Naples où il habitait encore 14 ans plus tard (Magnelli E., La
parole aux autres : Confédération du Travail ou Union Syndicale?
"Il martello", Piombino, n°10, 25 août 1917; Battistelli Libero, Les
événements du Palazzo d'Accursio et l'assassinat de Giordani,
"Quaderno de La lotta", Bologne, 1969, p. 29 et suivantes; [Fraction
de la gauche communiste…] À tous les comités Fédéraux, 8 août 1931,
BDIC, copie en AB; ACS, Rome, CPC, b. 2929; ibidem, Relégation, fasc.
personnels, b.592). En 1931, Magnelli – qui n'était pas encore membre de la Fraction – était en
contact à Paris avec la bordiguiste Agostina, compagne d'un autre
"militant" de la gauche, Federici. Bruno Bibbi nous raconté à propos
de Magnelli : « … Anvers, où habitait Magnelli, un camarade napolitain, un
brave élément, dont je ne sais pas s'il est encore vivant. De toute façon,
Magnelli est resté fidèle même après 1945 à la fraction et au groupe (Bibbi
Bruno, Test., Carrare, 20 décembre 1973, AB, M4, 15).
(29) "Fosco" était le pseudonyme
du trotskiste Nicola Di Bartolomeo (sur lui : Casciola P., Notes
d'histoire du trotskisme italien (1930-1945), Foligno : Centre d'études P.
Tresso, 1986, p. 35-48).
Notes
Abréviations
AB : Archives du Comité pour la défense du Parc de la Petraia, du Comité pour la
défense de l'ex Ilva et du Groupe naturaliste. Follonica.
APC : Archives du Parti Communiste Italien. Institut
Gramsci. Rome.
App. : Appendice
ACS : Archives centrales de l'État. Rome.
BDIC : Bibliothèque de documentation internationale
contemporaine. Nanterre.
CPC : Sommier politique central.
D.a.g.e.r. : Division des affaires générales et
réservées.
Dir. gen. p. s. : Direction générale de la sécurité
publique.
Div. pol. pol. : Division de la police politique.
Doc. :
Document.
Fasc. : Fascicule.
Min. Aff. esteri : Ministère des Affaires
étrangères.
Min. Int. : Ministère de l'Intérieur.
Test. : Témoignage.
Préambule
(1)
Le "projet" est publié en app., doc. 12.
(2)
Le groupe ouvriériste se constitua en 1927 sur l'initiative de Michelangelo
Pappalardi, un professeur de lettres, né à Campobasso le 8 novembre 1896
dans une famille très religieuse (trois de ses sœurs étaient des nonnes).
Étudiant à l'Ateneo de Naples et partisan de Bordiga, Pappalardi fut arrêté le
20 janvier 1921 après l'assassinat d'un adjudant des carabiniers, dans un
conflit qui se passait à Castellamarre di Stabia, où le socialiste du Molise
était, depuis avril 1920, secrétaire de la Bourse du Travail. Candidat aux législatives de
1920 sur les listes du PCd'I, il fut acquitté par la Cour d'Assises de Naples le 6
mars 1922 et remis en liberté. En avril, il succéda à Antonio Cecchi à la
direction de la Bourse
du Travail de Naples, qu'il conserva jusqu'à la fin de l'année, où il émigra
clandestinement, avec Luigi Bello, en Autriche, pour ensuite se rendre en
Allemagne et en France. Ayant démissionné du PCd'I, il résida pendant quelque
temps à Marseille avec Bruno Bibbi, par lequel il fut aidé longtemps, et
généreusement. S'étant installé à Paris, il y fonda, en 1926, un "Groupe
autonome communiste", dont faisaient partie Lodovico Rossi, Bruno et
Renato Pierloni, ainsi que Guglielmo Spadaccini, qui venaient d'être exclus du
PCd'I, et il eut des rapports étroits avec Karl et Hedda Korsch qui se
prolongèrent pendant toute l'année suivante. Expulsé de France en 1927, il y
revint et il fonda les "Groupes d'avant-garde communiste"; il publia,
jusqu'à la fin de 1929, "Le réveil communiste" ("Il risveglio
comunista"), dans les pages duquel il polémiquait avec
"Prometeo" sur les questions qui l'avaient amené, en juillet 1927, à
la rupture avec les "perronistes" : la nature de l'URSS, le
"redressement" du Komintern, les rapports entre léninisme et
"marxisme occidental", la nécessité de la Fraction. Rédacteur,
de 1929 à 1931, de "L'ouvrier communiste", il écrivait dans le
premier numéro : « Gorter avait raison et Lénine tort. La ligne léniniste
a mené aux pires défaites », la révolution mondiale a trouvé dans les
partis communistes ses saboteurs. « Aujourd'hui … il ne s'agit plus de
sauver le Komintern en se cramponnant désespérément au léninisme comme le fait
presque toute l'opposition, il s'agit de condamner, à la lumière de
l'expérience historique, le léninisme lui-même ». En France, malgré la
solidarité concrète de différents camarades, il vécut dans de graves
difficultés ainsi que cela ressort d'une de ses lettres du 16 août 1932 :
« Je t'assure d'ailleurs que même si tu me refusais toute aide, je
n'emprunterais pas le chemin du retour, et je ne viendrais pas frapper à ta
porte, à moins d'y être obligé par une force insurmontable. Malgré
mes neufs années d'exil et de misère, j'ai encore assez de fierté… ». En
1939, il suivit Guglielmo Spadaccini à Buenos Aires et le 8 décembre 1940 il
s'éteignait dans la capitale argentine (Pour sortir du marais,
"L'ouvrier communiste", n°1, août 1929; ACS, Rome, CPC, b. 3724, ad
nomen). Faisaient partie des "Groupes d'avant-garde communiste",
Lodovico Rossi (figure exemplaire de révolutionnaire, adversaire irréductible
des staliniens, puis anarchiste et volontaire en Espagne), Bruno et Renato
Pierloni, Guglielmo Spadaccini, Adolfo Belloni, Guido Cecchi
("Mostaccino"), Alfredo Monsignori, Piero et Ernesto Corradi, Luigi
Bello et Renzo Carrà (ACS, Rome, Min. Int., Dir. Gen. p. s., D.a.g.e.r.,
section 1°, 1930-1931, K1, b.32 : Mouvement pappalardien).
La
lettre qui suit est une lettre envoyée par Bordiga à Pappalardi :
« Naples, le 28 octobre 1926. Très cher Michele, je te réponds de la part
de tous. J'ai sur la conscience vos lettres suivantes : les tiennes du 4/08 et
du 4/09, celles de Bruno [Bibbi] du 3/07 et du 18/10… Canaille, diras-tu. Je
l'accepte. Parmi les autres raisons, il y a eu celle de mon absence
intermittente de Naples (les miens étaient à Formia) qui me compliquait le
travail … d'archivage. Ensuite, je comptais un peu sur les autres camarades et
sur les Milanais que j'ai vus récemment. Sur les problèmes que vous soulevez,
j'ai résumé mon opinion dans les quelques notes que je joins. Pour les affaires
italiennes, beaucoup de camarades voulaient réagir aux mesures disciplinaires
que tout le monde connaît. Ensuite, nous nous sommes mis d'accord sur la ligne
… de droite soutenue par moi, et l'on fera un recours dont tu auras copie.
Quant aux Allemands, il y a quelques discordances entre nous et eux, parmi
lesquelles celles dont tu nous avais bien avisé. Ils auraient cependant
beaucoup de bonne volonté à se laisser influencer par nous : mais ils sont trop
faciles à compromettre. Ils ont fait d'étranges manœuvres avec le groupe
Fischer, ce que je désapprouve. Tandis qu'ils se sont précipités ensuite pour
se solidariser avec l'opposition russe de manière inconditionnelle, en
reconnaissant Tr.(otski) plus à gauche que Zin.(oviev), même si auparavant ils
le considéraient comme à droite, ils sont maintenant indignés par la soumission
contre laquelle ils voudraient un manifeste international, ou du moins dans le
sens que nous ramassions le drapeau que les autres ont laissé tomber.
« Je
suis résolument pour une ligne d'action d'attente. Je connais les objections,
mais je leur ai rappelé qu'une des erreurs de l'Internationale actuelle a été
d'avoir coupé le travail d'élaboration "spontané" pour organiser
matériellement un "bloc d'oppositions". Malgré l'influence de la
révolution d'Oct.(obre) et de Lénine, l'erreur a été irrémédiable. Lénine
lui-même, de toute façon, même après avoir prononcé l'acte de décès de la
deuxième, et malgré le "temps" infernal des événements, a attendu de
1914 à 1919. Même ceux qui considèrent que "le 4 août est passé" ont
donc encore du temps. Il faudrait bien autre chose pour discuter de cela. On
comprend qu'aujourd'hui le confusionnisme travaille et se diffuse : malgré
cela, nous ne devons pas nous faire flanquer dehors. Je t'écrirai plus souvent.
Donne-moi des nouvelles. J'ai lu les opuscules, ils vont bien, à part quelques
modifications – très secondaires – qui, apportées à la forme, ont parfois
légèrement changé la pensée. Mais c'est pour moi peu de choses. Je n'ai pas eu,
tu le diras à Bruno [Bibbi], les livres de Trotski. Je ne sais pas pourquoi,
mais la Corr.[espondance]
Int.[ernationale] ne m'arrive plus depuis des mois. Quant aux autres
publications, j'ai la R.[évolution]
P.[rolétarienne] jusqu'au numéro de mai, les Cahiers jusqu'au n° 56. Je voudrais la R.[évolution] P.[rolétarienne] dans la mesure où
vous pensez qu'elle est intéressante. Je ne risque pas de suivre en totalité le
matériel des Allemands parce que je n'ai entre les mains personne qui connaisse
bien l'allemand… Il n'est pas exact que Prometeo sortira… Bruno [Bibbi] a mal
compris Ottorino [Perrone], certainement. Vous avez tous beaucoup de saluts
amicaux. (écrit au stylo) Amadeo. (écrit au stylo) Saluts, Ippolito
[Ceriello] ». (Copie dans AB).
(3)
Sur la Fraction
: La gauche communiste italienne, 1927-1952, S.I. : Courant communiste
international, 1984; Bilan, 1933-1938 : articles sur la guerre d'Espagne, Revue
internationale, n°1, novembre 1976.
(4) Toutes les correspondances de
Corradi relatives à la guerre civile espagnole, ainsi qu'un témoignage de
Virginia Gervasini sur De Leone, sont reproduits en appendice.
Des années
napolitaines à l'exil en Russie
(1) « Poète discret, il collabora
à des revues littéraires d’avant-garde… » (Fienga, à Giuseppe Marchetti,
Naples, 8 juillet 1975, Copie en AB). Bruno Sereni fait allusion aux livres de
De Leone (que nous n'avons pas retrouvé, mais qui seraient utiles pour
reconstruire sa formation culturelle et pour mieux connaître son chemin vers
l'engagement politique) : « S'étant ensuite consacré au socialisme et à
l'organisation syndicale, il cherchait dans les éventaires des bouquinistes
deux de ses livres de poésies très bien accueillis par la critique et par le
public qu'il se dépêchait de jeter dans les flammes de la cheminée »
(Sereni, À Barcelone avec les combattants, "Libera Stampa", n°
171, 28 juillet 1937).
(2) Après la mort de De Leone, les
membres de la Fédération
de Barcelone de la Fraction
de gauche écrivirent : « Durant la guerre mondiale, il se rebella contre
la formule opportuniste et équivoque du Parti socialiste italien : "Ni
adhérer, ni saboter" et il lutta infatigablement pour transformer la
guerre impérialiste en guerre civile de classe » (El gruppo de
Barcelona de la fracción de la
Izquierda comunista italiana, "La batalla",
n°87, 11 novembre 1936).
(3)
De Leone, Déclaration dans "Il soviet" n° 32, août 1919. Selon la
préfecture de Naples, De Leone aurait pris la carte du P.S.I. en juillet 1919 :
« De Leone Mario, ex-employé de la Société napolitaine du Gaz, a attiré l'attention
de la police locale en juillet 1919, alors qu'il s'inscrivait au parti
socialiste et était nommé membre de la Commission exécutive de la Bourse confédérale du
Travail » (Préfecture de Naples. Min. Int., Naples, 18 juillet 1925, ACS,
Rome, CPC, b. 1673, fasc. 615).
(4)
Souscription permanente pour "Il soviet", "Il soviet" n°
41, 5 octobre 1919 et n° 20, 8 août 1920; Le groupe de Barcelone de la Gauche communiste
italienne. Le camarade De Leone, "Prometeo", n° 138, 22 novembre
1936. Bruno Sereni a écrit que « De Leone avait été un membre de la
commission exécutive de la
Bourse du Travail de Naples. Avec l'ingénieur Bordiga, il
appartint de la fraction abstentionniste du PSI, laquelle devait plus tard à
faire partie du parti communiste » (Sereni, À Barcelone avec les
combattants, Libera Stampa, n° 171, 28 juillet 1937).
(5)
Fienga. Nous les renégats du dieu qui a failli, Naples : "La
meridionale", 1951, p. 30 (De Leone y est rappelé comme un "poète
délicat"). Pour la
Préfecture de Naples, l'adhésion de De Leone au PCd'I aurait
eu lieu en novembre 1921, mais l'information n'est pas digne de foi (Préfecture
de Naples. Profil du 18 septembre 1925, ACS, Rome, CPC, b. 1673, fasc. 615).
(6)
Ferruccio Virgili est né à Falconara, le 5 mai 1891. S'étant installé à
une époque non précisée à Naples, où il était mécanicien à l'Ansaldo, il était
devenu franc-maçon. Revenu en Italie le 7 mai 1934, il fut radié en 1938 des
listes des antifascistes (ACS, Rome, CPC, b.5435, fasc.17969; sur le voyage en
Russie : Berardino Fienga. Textes, Naples, 11 novembre 1974, AB, M7, 16). Sur
le peu de connaissances techniques de Virgili : D. Corneli. Le stalinisme en
Italie et dans l'émigration antifasciste, p. 35-37.
(7) Gatto Mammone (Virgilio Verdaro). Comment
on est en train d'assassiner la camarade Mariottini dans la Russie des Soviets,
"Prometeo", n° 127, 26 janvier 1936, dans lequel on peut lire que
pour blâmer la Mariottini
« on doit se souvenir du fait qu’elle n'avait pas dénoncé à la Guépéou une réunion
soi-disant illégale qui, durant l'Élargi de 1926, se serait tenue dans ma
chambre du Lux, où je me trouvais malade et dans laquelle Bordiga, encore
membre de l'exécutif de l’I.C., fit un bref rapport sur la situation
italienne ». Sur la présence de Bordiga à Moscou en février-mars 1926 :
"Les dix premières années de vie du Parti Communiste Italien" :
documents inédits des Archives Tasca présentés par Giuseppe Berti,
Annales/Institut Feltrinelli, 8, 1966, p. 258-273; De Clementi à Amadeo Bordiga,
Turin : Einaudi, 1971, p. 240-246.
(8)
Copie de la note de l'Ambassade de Moscou du 24 mai 1928, objet : Communisme
italien en Russie. Sur les célébrations du dixième anniversaire de la
révolution russe, cf. Trotski, Ma Vie, Paris, Rieder, 1930, v.3,
p.273-275. Pizzirani avait été condamné à la prison à vie le 3 avril 1923 pour
les événements du Palazzo d'Accursio à Bologne.
Virgilio
Verdaro, dit "Gatto Mammone" (“pour
son incroyable predilection pour les chats"), est né à Balerna (Lugano) le
28 juin 1885. Citoyen helvétique, polyglotte estimé, il est licencié es lettres
et il enseigne l'histoire à Florence. Inscrit au P.S.I. depuis 1901,
anticlérical et antimilitariste, il professe – c'est ce que rapportera la Préfecture de Police
florentine le 2 novembre 1918 – "les principes socialistes
révolutionnaires" et il déploie dans la cité toscane « une active
propagande de sabotage de notre guerre ». Interné à Cortona et à Cosenza,
il est condamné à Forlì le 3 août 1917 à deux mois de réclusion. Au cours des
"deux années rouges", il tient d'innombrables meetings et conférences
en Toscane et ailleurs. Représentant national de la Fraction communiste
abstentionniste, il collabore à "Il Soviet" et il préside à Florence,
en mai 1920, la Conférence
nationale de la
Fraction. Ayant adhéré au PCd'I en 1921, il est expulsé
d'Italie quelques mois plus tard. Une tentative pour y revenir clandestinement
ayant échoué, il réside à Steinach et à Vienne, puis il émigre en U.R.S.S..
À Moscou, il
enseigne à l'Université pour les étrangers et il loge dans une chambre de
l'Hôtel Lux, où Bordiga, membre de l'Exécutif du Komintern, fait, en février
1926, un court rapport sur la situation italienne. Avec sa seconde femme,
Emilia Mariottini, il travaille à une "Histoire du mouvement ouvrier international"
qui lui sera confisquée par les autorités soviétiques. Signataire avec Ersilio
Ambrogi, au début de 1927, d'une lettre à Perrone, il est exclu du Part
Communiste Russe (« sur l’instigation du parti italien sous prétexte qu'il
faisait cause commune avec le trotskisme ») le 10 mai 1929 avec Ambrogi et
Arnaldo Silva. En mai 1931, il quitte la Russie, où il est obligé d'abandonner sa femme
enceinte car il est totalement privé de ressources. Après avoir rencontré, en
juin, Bibbi à Paris, il réussit, à la seconde tentative, à entrer en Belgique,
où il appuie Perrone dans la rédaction de "Prometeo", et il y
développe pour la Fraction
une intense activité politique qui l'amène souvent en France. Là, à
Saint-Denis, il est arrêté en 1933, avec Amerigo Zadra, Mengoni, Pace, Duilio
Romanelli et Luigi Danielis, à la fin d'une réunion dans la maison de Renato
Riccioni ("Calzolari"), et il est expulsé vers la Suisse.
À Moscou,
pendant ce temps, la situation de la Mariottini, après la naissance, en octobre 1931,
de son fils Vladimiro, est devenue très difficile : ayant réfusé de se
dissocier de son mari, elle est expulsée en novembre 1933 du parti et licenciée
de son travail. « Se pose alors à cette dernière – c'est ainsi que Verdaro
dénoncera en 1936 le drame de sa femme et les lourdes responsabilités des
dirigeants du PCd'I – le dilemme monstrueux : ou signer la déclaration de
rompre tout rapport avec le "contre-révolutionnaire" ou sinon la faim
pour elle et pour son enfant. La
Mariottini refuse ce marché abject; on l'expulse du parti, on
la chasse de son travail, on lui enlève la carte de pain. Le syndicat refuse
d'intervenir; le Mopr [le Secours rouge, ndr] fait de même. De chagrin, la Mariottini se fait du
mauvais sang. Elle tombe gravement malade. Et le petit aussi. Ils restent
pendant trois jours dans l'impossibilité de se procurer de la
nourriture ». Le 8 décembre 1934, le bébé meurt de privations et la mère est chassée
de sa maison.
À Bruxelles,
Verdaro participe à presque toutes les réunions de la C.E. et en 1935 il signe avec
Russo et P. Corradi, au congrès de la Fraction, une résolution par laquelle les
bordiguistes cessent de se réclamer du PCd'I, désormais stalinisé et ennemi du
monde du travail, pour prendre le nom de "Fraction italienne de la Gauche communiste".
Puis, "Gatto Mammone" rend public dans "Prometeo" et
"Bilan" le calvaire que les « gangsters de Moscou » – et
leurs complices italiens, qu'il harcèle durement – continuent à infliger à la Mariottini qui est
encore retenue dans la capitale russe (et qui devra y rester jusqu'à la fin de
1936, quand, après tant de souffrances, on lui permettra enfin de partir pour la France).
Convaincu,
depuis le 26 juillet 1936, qu'une "solution prolétarienne" ne
pouvait s'annoncer en Espagne, Verdaro
fait partie de la majorité de la Fraction. Auteur, dans le n° 139 de
"Prometeo", de l'article : La nouvelle position de la minorité
signifie équivoque et duplicité, et dans le n° 35 de "Bilan" d'un
essai intitulé : La tragédie espagnole, il continue à s'occuper de la
parution du journal et de la revue, et en octobre 1938, il rédige
"Octobre". Puis, en mai 1940, il revient en Suisse où il reste
jusqu'en 1947, quand son article: En marge d'un anniversaire paraît dans
"Prometeo". Entré au parti socialiste et élu conseiller municipal du
Canton du Tessin, il s'éteint à Pontassieve au début des années soixante.
Informé de son décès, Amadeo Bordiga écrit une longue lettre de condoléances à la Mariottini (…).
Nous
reproduisons ci-après une lettre envoyée par Verdaro à Ambrogi en 1931 :
« Très cher, comme je te l'ai déjà écrit, j'ai facilement résolu le
problème de mes papiers personnels. Il semble cependant que je m'arrêterai à
Bruxelles; le passeport suisse, au-dessus de tout soupçon, me facilitera du
reste d'éventuels déplacements ailleurs. On ne pourra pas trouver aussi
facilement la solution au deuxième problème : celui des dispositions à prendre
du point de vue économique, mais ce n'est pas un problème isolé en soi. Mario
[De Leone], tu le sais, veut changer de métier et de résidence, et serait-il
disposé à transporter ses pénates à Bruxelles…? Crois-tu que ce soit
précisément ce qu'il faut faire de rester à Berlin où tu vas consommer tes
ressources financières alors que l'épée de Damoclès est toujours suspendue sur
ta tête et que tu ne dois ta tranquillité momentanée qu'à la complaisance de
Severins et des sociaux-démocrates? Bruxelles est aujourd'hui la ville la plus
favorable pour un proscrit politique : elle le fut également dans le passé,
souviens-toi de Marx qui y a écrit le Manifeste communiste… [Et] tous ensemble
– Mario, toi et moi, et pas Marx, tu entends! – … ne serait-il pas possible de
trouver le moyen d'installer des kiosques pour joindre les deux bouts? … Du
point de vue politique et du point de vue objectif de notre [activité] de
fraction, je crois également qu'il serait utile de concentrer toutes les forces
: Ottorino est obligé de faire tout presque seul depuis tellement de temps –
ici à Bruxelles, un camarade tout au plus peut lui fournir une certaine aide –,
et d'autre part il est écrasé par son travail de bureau… ». L'aide des
camarades de Paris – « tous de bons camardes » – consiste « me
semble-t-il dans l'idée, qui du reste fait son chemin parmi eux, de vouloir
transporter également à Bruxelles, à côté du journal, le Centre directeur de la
fraction ». « En centrant ici à Bruxelles toutes les forces
disponibles : Mario, toi, … on pourrait
facilement et rationnellement se partager le [travail politique] selon les aptitudes
et les dispositions particulières de chacun de nous, [et si ] chacun de nous a
des lacunes, tous ensemble nous sommes en mesure de compléter les déficiences
de l'autre et de constituer un bon "ensemble" (?) que nos centristes
ne réussiront sûrement jamais à mettre en place. Je ne crois pas que nous
puissions nous permettre le luxe d'une "sentinelle avancée" à Berlin,
qui … pourrait être "soufflée" d'un moment à l'autre… Je te joins le
projet de réponse d'Ottorino au "Vieux" (Trotski, ndr)… »
(Verdaro à [Ersilio Ambrogi], juillet 1931, BDIC, copie dans AB).
(9)
Robusto Biancani est né à Tatti le 28 avril 1899. Soldat au cours de la
1° guerre mondiale, socialiste, il est passé au PCd'I en 1921. Condamné – avec
Giuseppe Maggiori, Domenico Marchettini ("Il ricciolo" ["Le
bouclé"]) et Albano Innocenti – à la prison à perpétuité par la Cour d'Assises de Grosseto
pour l'assassinat en 1922 d'un pays, considéré comme fasciste, et de son neveu
(un jeune ingénieur républicain de Vetulonia), il se réfugia à Moscou. Inclus
dans la liste des "auteurs d'attentat" de Grosseto (avec le
maximaliste Adolfo Catoni et les anarchistes Angiolino Bartolommei, Beroldo
Bianchi, Settimio Soldi, etc.), il résidait encore dans la capitale soviétique
durant le second semestre de 1936. Marié avec une femme russe et père de deux fils,
il envoya le 23 avril 1937 à un certain Martelli de Tatti un tract dont le
titre était : Les troupes italiennes trompées par Mussolini fraternisent sur
le front de Guadalajara avec les volontaires du Bataillon Garibaldi et avec les
républicains espagnols. En rapport épistolaire avec un de ses
parents de Massa, le mineur Natale Spreafico, Biancani fut arrêté durant les
purges staliniennes et assassiné à Butovo le 3 juin 1938, avec Arnaldo Silva,
Gino Comelli, Gino De Marchi, et Mario Menotti (…).
(10)
Lettres et documents d'Ersilio Ambrogi, 1922-1936, p. 249 et sq. Les trois
exclus, accusés entre autres de conserver des relations avec des éléments
chassés du PCd'I, avaient motivé, dans leurs réponses, leurs infractions
disciplinaires en dénonçant la bureaucratisation du PCR et les graves
difficultés qui en découlaient pour les opposants, en soutenant le droit des
exclus à s'organiser en fraction, et en réaffirmant que le Comité central du
PCd'I, nommé par le Komintern après l'arrestation de Bordiga en 1923, ne
représentait pas les communistes italiens.
(11)
Lettres et documents d'Ersilio Ambrogi, p. 264-267. La C.E. de novembre 1936 se
référa à cet épisode : « Quand le groupe des émigrés politiques de Moscou
retrouva un sursaut d'énergie contre les castrés politiques du centrisme
italien, De Leone fut élu secrétaire de ce groupe. Naturellement, sa nomination
fut immédiatement annulée d'en haut et le comité de Moscou du PCR imposa un
nouveau secrétaire ayant sa confiance…, le fameux provocateur Vecchi, le futur
héros de la tragi-comédie de Sartrouville » (En mémoire de Mario De Leone,
Prometeo, n° 138, 22 novembre 1936). Ayant quitté l'U.R.S.S., Eros Vecchi (qui
est né à Mirandola en 1902) aida les fascistes à arrêter Camilla Ravera. Sa
trahison ayant été découverte, il fut attiré par quelques communistes italiens
le 25 octobre 1930 dans un piège à Sartrouville et il y fut
"condamné" à mort. Mais, bien qu'un des projectiles des exécuteurs
l'ait touché à la tête, il réussit à s'échapper, provoquant ainsi un scandale
sensationnel.
(12)
Ambassade d'Italie en U.R.S.S. au Min. Int., Dir. Gen. p.s., CPC. etc., etc..
Plinio Trovatelli est né à Piombino le 20 janvier 1886. Tourneur dans un
établissement local, il fut "militarisé" en 1915 et transféré dans
les installations sidérurgiques de Savone. Membre du PCd'I en 1921, il est
désigné comme délégué en mai pour participer au III° Congrès de
l'Internationale Communiste qui devait se tenir à Moscou dans les deux mois
suivants, pour examiner, entre autres, la "question italienne".
Parvenu à Berlin avec Franz Cinseb, il fut arrêté en juin à Görlitz. Relâché
alors que le congrès avait déjà commencé, il interrompit son voyage vers
Moscou, il revint en Italie, où en 1922 il joua le rôle de "garde
rouge" auprès de la délégation russe qui participait à la Conférence
internationale de Genève. Arrêté à Savone en 1923, il émigra en juin en France,
où il resta jusqu'à son expulsion en 1925. Il partit alors pour Moscou où il
travailla d'abord dans les bureaux de la Gomsa et ensuite à l'Institut aérohydrodynamique
Zaghi dans lequel il resta six ans. Fiché par la Préfecture de Livourne
le 4 juillet 1928, il fit partie, avec De Leone, de la direction du Club des
émigrés italiens dans la capitale russe. Accusé d'"opposition
trotskisto-bordiguiste", il est exclu du PCR à la fin de 1929. Inclus,
quatre ans plus tard, par la préfecture de Livourne, parmi les "auteurs
d'attentat" de la province, il fut rayé de la liste le 24 janvier 1934
avec d'autres communistes. En Russie il s'était pendant ce temps « isolé
le plus possible », se consacrant seulement au travail qu'il menait dans
l'entreprise cinématographique "Mejrabpomfim", dirigée par Misiano.
Le 18 décembre
1936, en plein durant les purges staliniennes, il s'adressa à l'Ambassade
italienne de Moscou afin d'avoir un passeport pour la Belgique. Au cours de
l'entretien, il raconta que, bien que pensant depuis longtemps à se présenter
au siège diplomatique, il s'était « abstenu jusqu'à présent de le faire,
non seulement en raison des conséquences éventuelles d'une telle
démarche », mais aussi parce qu'il était marié avec une femme russe, Daria
Balandina, avec laquelle il avait eu un fils. Bien que l'ambassadeur ait
soupçonné qu'il ait voulu se joindre au groupe bordiguiste de Bruxelles, il lui
délivra le document le 15 février 1937, rapportant à ses supérieurs que le
réfugié, évité à Moscou par les autres émigrés, à l'exception d'Emilia
Mariottini et de Renato Cerquetti, avait renoncé aux « erreurs
passées ». Le 24, la même source ajoutait que Trovatelli, bien que n'étant
pas disposé à répudier sa foi anti-fasciste, avait pris l'engagement de ne pas
mener d'activité politique en Belgique. Trois mois après, l'ouvrier de Piombino
attendait encore en Russie que sa femme et son fils soient autorisés à le
suivre. En juillet, Trovatelli se présentait, avec Ersilio Ambrogi, à
l'Ambassade italienne de Bruxelles, où il raconta qu'il avait refusé les
propositions qui lui avaient été faites en Belgique par les membres du Secours
Rouge international et par le Fonds Matteotti. Surpris quelques mois plus tard
par la gendarmerie locale tandis qu'il aidait des bordiguistes à distribuer
dans la rue des feuilles anti-staliniennes, il est frappé par une mesure
d'expulsion, suspendue grâce à l'intervention du Fonds Matteotti. À partir de
ce moment-là, il se tint à l'écart de la politique active, se bornant à
travailler dans le magasin de chaussures de l'anti-fasciste Ovidio Moriani.
Rejoint au début de 1938 par sa femme et son fils, on le remarqua quelquefois
fois à Bruxelles avec le professeur Verdaro. Revenu au pays le 18 juillet 1942,
il arriva trois jours plus tard à Piombino où il termina son existence
tourmentée en y mourant le 24 décembre suivant.
De la Suisse à Marseille
(1)
Bâle, 1° janvier 1930, Min.Int. au Consulat général à Genève. Télégramme, Rome,
4 janvier 1930. Mario Valerio, né à Zurich le 10 mars 1902 de parents
originaires de Schio, avait été signalé en 1919 comme un révolutionnaire
« dangereux du point de vue politique ». Inscrit en 1929 dans la Rubrique des frontières
et surveillé pendant quelque temps comme « anarchiste dangereux » et
« à arrêter », il demeurait encore en 1941 en Suisse et il était
vivement hostile au fascisme (ACS, Rome, CPC, b. 5298, ad nomen).
(2)
De Leone à Ersilio [Ambrogi], Genève, 31 décembre
1929, BDIC, copie dans AB. Au début de 1921, quand le fasciste armé Leoni fut
tué, Ambrogi était maire de Cecina. Fut arrêté avec lui Alfredo Bonsignori
("Gracco"), plus tard membre des groupes "ouvriéristes" de
Pappalardi en France et volontaire en Espagne dans les colonnes anarchistes.
Rousakov était Alexander Russakof (?), le beau-père de Victor Serge. Combattant
dans la révolution de 1905, puis exilé en France, il avait cherché en 1921,
avec les anarchistes Emma Goldman et Alexander Berkman, une médiation avec les
marins de Kronstadt qui s'étaient insurgés contre les bolcheviks (Serge, Mémoires
d'un révolutionnaire, p.186, 215, 403, 405). L'écrivain roumain Panait
Istrati (1884-1935) avait atteint la célébrité en 1923 avec le roman Kyra
Kyrakina. Présent en Russie à la fin des années vingt, il était reparti
« pour la France
absolument exaspéré par cette expérience » (ibidem p.405-406).
(3)
A Mario, Berlin, 25 février 1932, BDIC. Rappelé en
Russie, Ambrogi adhéra au stalinisme ("Une équivoque dissipée. Massimo
rejoint le front de la contre-révolution centriste", Prometeo, n°
102, 15 avril 1934). Dante Corneli a fait la pleine lumière sur le parcours
politique d'Ambrogi. Un aperçu très critique sur l'avocat di Cecina se trouve
dans un article de Gatto Mammone [V. Verdaro] : Comment on est en train
d'assassiner la camarade Mariottini dans la Russie des Soviets, "Prometeo", n°
127, 26 janvier 1936.
(4)
[E. Ambrogi] à Verdaro, Berlin, 23 janvier 1932,
BDIC, copie dans AB. Ambrogi insistait le même jour, dans une lettre à Perrone,
sur les conditions pénibles de Verdaro en Belgique : « Maintenant,
Verdaro m'écrit en me faisant part des mêmes besoins, et il ajoute qu'il en
arrivera à ne plus pouvoir sortir de chez lui parce que ses chaussures sont au
bout. Je lui ai envoyé 110 marks pour les chaussures en lui faisant remarquer à
cette occasion que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi. D'après ce
qu'il m'écrit, il est à ta charge personnelle et à celle du pauvre Morelli qui
n'a finalement aucune obligation envers nous. Je demande donc que l'Exécutif de
la Fraction
mette ce cas à l'ordre du jour sans retard, et qu'il le résolve… ».
Verdaro avait auparavant un travail rémunérateur. La Fraction l'a fait
installer à Bruxelles, bien qu'elle sache que sa situation en Belgique serait
très incertaine. « Dans ce cas, il me semble que la fraction a le devoir
de lui assurer, dans les limites des possibilités, le minimum indispensable, du
moins tant qu'on n'aura pas réussi à le caser. Le problème qui se pose est le
suivant : est-ce que l'activité de Verdaro correspond à ce que la Fraction en attendait?
Dans le cas contraire, il faudra que Verdaro, même en déménageant, même en
allant en Suisse, trouve le moyen de s'adapter à la situation normale des
chômeurs… » ([E. Ambrogi] à Ottorino [Perrone], Berlin, 23 janvier 1932,
BDIC, maintenant dans AB). Sur la question, cf. Ottorino [Perrone] à Massimo
[E. Ambrogi], 10 février 1932, BDIC, copie dans AB.
(5)
Ottorino [Perrone] à Mario [De Leone], février 1932,
BDIC, copie en AB; Ottorino [Perrone] à Massimo [E. Ambrogi], 8 février 1932,
ibidem.
Ottorino
Perrone (dit "Vercesi") est né à
L'Aquila, [dans les Abruzzes], en 1897.
Socialiste et antimilitariste actif avant 1915, licencié es sciences
économiques, il adhéra à la tendance abstentionniste. Entré au PCd'I en 1921,
il s'oppose à la ligne gramscienne. Membre du Comité d'Entente, il participa au
Congrès de Lyon où il défendit, dans un discours mémorable, les positions de la
gauche. Suspendu pendant un an par le PCd'I et agressé plus d'une fois par les
fascistes, il émigra en France vers la fin de 1926. Expulsé en 1928, il
s'installa à Bruxelles où il devint comptable dans une coopérative socialiste.
Principal représentant de la
Fraction de gauche, il rédigea d'innombrables documents et
rapports politiques et il s'occupa – pendant des années pratiquement seul, puis
avec Verdaro – de la publication de "Prometeo", de "Bilan"
et d'"Octobre", pour lesquels il écrivit une grande quantité d'essais
et d'articles, au point que l'histoire des bordiguistes à l'étranger, de 1926 à
1939, s'identifie dans une grande mesure avec ses élaborations.
Après
avoir dissout la Fraction
en 1939, il resta à Bruxelles, et il adhéra avec F. Borsacchi, en 1945, la
libération ayant eu lieu, aux comités anti-fascistes, tout en prenant la charge
de délégué de la Croix
Rouge italienne en Belgique. En raison de ces choix, qui
marquaient une rupture avec son passé, il fut exclu le 20 janvier 1945 de la Fraction par un
communiqué conjoint du Comité de Marseille (dont étaient membres Lecci, Candoli
et Giovanni Bottaioli) et de la "Gauche communiste de France", qui
dénonçait l'intégration du "courant révisionniste", dont faisait
partie Perrone et Borsacchi, dans les rangs de la bourgeoisie
"démocratique". « Lecci – se rappellera Candoli – fut l'un des
plus inflexibles et il l'exclut de la fraction ».
Inscrit
quelques mois plus tard au Parti Communiste Internationaliste, Perrone s'opposa
en 1948 à la ligne soutenue par Damen et Lecci au Congrès du parti à Florence,
et en 1952, quand le PCInt fit scission, il suivit la tendance de Bordiga et de
Bruno Maffi. En 1957, il mourut à Bruxelles (…).
(6)
De Leone à B. Fienga, 25 juillet 1933 et 9 septembre
1933, copies dans AB. Du docteur Berardino Fienga (1893-1975), que nous
avons bien connu et dont nous gardons un souvenir reconnaissant, nous nous
limitons ici à rappeler – étant donné la complexité de son parcours culturel et
politique – qu'il fut directeur du "Cri" (1917-1918), de "Le
renouveau" (1919), et de "Chroniques bibliographiques de
médecine" (1926), et auteur d'innombrables livres parmi lesquels
"Arménie sanglante" et "L'Angleterre contre l'Irlande".
Républicain anti-interventionniste, puis secrétaire des communistes campaniens,
il est arrêté à Naples en 1926 après l'approbation des lois d'exception. Émigré
en 1930 en France, il proposa à la fin de 1935 aux antifascistes italiens
d'envoyer en Ethiopie une mission sanitaire pour assister les patriotes
abyssins. Volontaire en Espagne, à Madrid et à Barcelone, où il s'occupa des
services médicaux du P.O.U.M., il reparut ensuite au Mexique où il fut l'unique
Italien à être admis dans l'habitation de Trotski. Étant revenu en 1946 à
Naples, il devint bibliothécaire à la "Nazionale". Collaborateur de "La
rivière", de "La parole du peuple", de "Bataille
socialiste" et d'autres journaux, il devint finalement tertiaire laïc
franciscain.
(7)
Fienga B.. Nous, les renégats du dieu qui a
failli, p. 31; Fienga B; à Giuseppe Marchetti, Naples, 8 juin 1875, copie
dans AB. Bruno Sereni a écrit sur la famille de De Leone : « De Leone
figura à Moscou parmi les Italiens les plus en vue et les plus estimés. En
Russie, il eut deux enfants, Ovidio et Wanda. Des divergences politiques avec
le Komintern l'obligèrent à quitter la Russie… Il y a deux ans, à Marseille, sa femme
mourut et il regretta de ne pas l'avoir aimée suffisamment afin de compenser
les sacrifices qu'elle avait supportés stoïquement, en partageant avec lui la
misère et l'exil » (Sereni B., À Barcelone avec les combattants,
"Libera Stampa", n° 171, 28 juillet 1937). Le préfet de Naples
informa le Ministère de l'Intérieur que les deux enfants avaient été
accompagnés par Adriana Montigudet à Naples et confiés à leur tante, Gilda
Minieri Pacchio (Préfecture de Naples au Min. Int., Naples, 3 décembre 1936,
ACS, Rome, CPC, b. 1673, fasc. 615).
De la révolte
de Franco à la formation de la
Colonne "Lénine"
(1)
Les travailleurs espagnols avaient montré leur combativité lors de la
formidable grève des ouvriers du bâtiment qui, du début de juin 1936 jusqu'à la
veille de la révolte militaire, avait chamboulé Madrid. L'appréciation de
Grandizio Munis qui, faisant référence aux journées de juillet 1936, a parlé
d' « événements merveilleux » qui ont transformé d'un jour à
l'autre l'Espagne de pays arriéré qu'il avait été en l'avant-garde de la
révolution mondiale, est sans aucun doute pertinente – et à souligner – (Munis
G., Jalones de derrota : promessa de victoria, Paris : La vieille taupe,
1972, p. 226). Le courage et l'ardeur des masses laborieuses espagnoles n'ont
d'ailleurs jamais été niées par la majorité de la Fraction bordiguiste, qui
les a même appréciés plus d'une fois (cf. par exemple l'hommage à l'anarchiste
Ascaso, tombé le 20 juillet à Barcelone lors de l'assaut de la caserne
Atarazanas (Francesco Ascaso, "Prometeo" n° 135, 29 août 1936).
(2) Quelques
heures après avoir pris le 19 juillet la présidence du Gouvernement central, le
républicain José Giral ordonna – cédant aux pressions du leader socialiste de
l'U.G.T., Francisco Largo Caballero – la distribution des armes aux
travailleurs, distribution qui eut lieu dans certains centres et pas dans
d'autres. À Madrid, un militaire fit donner aux ouvriers 5 000 fusils. À
Barcelone, les demandes de fusils à Companys et au chef suprême de la police,
faites les 18 et 19 juillet par la
F.A.I.-C.N.T., n'entraînèrent pas de "livraison
d'armes". Au moment décisif,
toutefois, une partie des gardes civils et d'assaut se rangea aux côtés des
travailleurs dans la capitale catalane (Broué P., Témime É., La révolution
et la guerre d'Espagne, Milan : Sugar, 1962, p.104, 119, 155; Abad de
Santillán D., Contribución a la historia del movimento obrero español…,
Puebla : Càjica, 1970, 3, p. 323; Escofet F., Al servei de Catalunya i de la
república : la victoria…, Paris, Ediciones catalens, 1973, vol. 2, p. 290,
etc.).
(3)
« Pour ce qui concerne les petites
entreprises, les artisans, les boutiques, je dois dire – se souviendra Renato
Pace, qui attribuait aux syndicats le mérite des expropriations – que tout a
été collectivisé…, on voyait vraiment qu'il y avait la révolution, mais qu'il
manquait une direction… ». Et plus loin, il soutiendra : « On ne
peut pas parler, pas même durant les
premiers mois, de dualisme du pouvoir, parce que le pouvoir n'était qu'un, le
pouvoir était seulement celui de la classe ouvrière, chaotique, désordonné,
parce que le gouvernement était exclusivement là… » (Pace Renato, Test,
Rome, 16 janvier 1972, AB, M5, 13). Sur les collectivisations et l'autogestion
: Abad de Santillán D., Por qué perdimos la guerra, Madrid : G. del
Toro, 1975, p. 117-121; Leval G., Colectividades libertarias en España,
Madrid : Aguilera, 1977; Mintz F., L'autogestion dans l'Espagne
révolutionnaire, Paris: Bélibaste, 1970. Selon la C.E. de la Fraction bordiguiste, les
conseils et les comités d'usine étaient, au contraire, sans la destruction de
l'État bourgeois et la conquête du pouvoir, des organismes de collaboration de
classe, dont se servait le Front populaire espagnol pour éloigner les ouvriers
des objectifs révolutionnaires et augmenter la production dans les usines afin
de parvenir à la victoire militaire de l'anti-fascisme (Pourquoi il n'y a
pas de révolution en Espagne, "Prometeo", n° 139, 22 novembre
1936). Mario De Leone et la minorité exprimaient des jugements totalement
différents.
(4) Abad
de Santillán D., Por qué perdimos la guerra, déjà cité, p. 100; Jehan, La
guerre en Espagne, "Prometeo", n° 12, décembre 1936, p. 26. Sur
la force des anarchistes, Renato Pace dira : « Quand en novembre [1936] il
y eut une tentative de débarquement sur la côte catalane de la part des
fascistes, les anarchistes, et seulement eux, ont mobilisé deux cent mille
ouvriers, ils les ont amenés sur la côte, et armés pour la défendre d'une
invasion éventuelle… Ceci te dit la force qu'ils possédaient… ». Et plus
loin, condamnant leur "ministérialisme" : « Pour ce qui concerne
les anarchistes, je ne crois pas qu'il y ait des mots pour blâmer leur
conduite. Ils avaient dans les mains une force formidable, ils avaient la
possibilité, particulièrement en Catalogne, de faire ce qu'ils voulaient et ils
ont envoyé des ministres au Gouvernement… » (Pace Renato, Test. Rome,
16 janvier 1972, AB, M5, 13).
(5) Guerre
civile en Espagne, "Le petit
marseillais", n° 24872, 21 juillet 1936; Les rebelles en déroute,
"Le radical", n° 27863, 22 juillet 1936; Derniers soubresauts de
la rébellion espagnole, "L'œuvre", n° 7601, 23 juillet 1936, etc..
« Des
informations dignes de confiance signalent que, également en Belgique, les
antifascistes italiens – en particulier les anarchistes et les trotskistes –
s'agitent en faveur du front populaire espagnol. Le ferment est d'autant plus
vif qu'est répandue la conviction qu'il s'agit d'une lutte à la vie à la mort
entre l'antifascisme et le fascisme. On sait jusqu'à présent que des réunions
ont été tenues par les anarchistes au Café des Huit heures, avec la
participation des habituels Cantarelli Vittorio, Paini Adelino, Sartoris
Camillo, Girolo Eugenio, Montaresi Pietro, Rusconi Pasquale, Bianconi Marcello,
qui tous manifestèrent un grand enthousiasme pour les événements de Barcelone
et firent des projets continuels de départ… ». (Dir. Gen. p. s., CPC).
(6)
Sur la réunion de Bruxelles du 1° août 1936, cf. : Copie de lettre
confidentielle, Bruxelles, 6 août 1936, ACS, Rome, CPC, b. 4498, fasc. 25124,
publiée dans : Guillamón Iborra, Les
bordiguistes dans la guerre civile espagnole, p. 12, 15. « Des
réunions ont été tenues également par les trotskistes, avec l'intervention de
Russo, Verdaro, Romanelli, Borsacchi, Atti, mais – toujours selon les
informations jointes – les opinions auraient été divergentes puisque Verdaro et
Perrone auraient exprimé – à la différence des autres – un avis opposé aux
enrôlements. Il semble que, parmi les trotskistes italiens de Bruxelles, seuls
Russo Enrico et Romanelli Duilio [Romanelli, au contraire, ne partit pas, ndr],
se soient effectivement enrôlés et soient partis pour l'Espagne » (Dir.
Gen. p. s., etc.).
Duilio
Romanelli est né à Rome en 1900. Électricien et
boxeur amateur, membre du PCd'I depuis 1921, arrêté en 1925 parce qu'il a été
trouvé en possession de tracts exaltant Lénine, il fut condamné le 13 février
1926, à 11 mois de réclusion pour offenses à Mussolini. Relégué à Ponza et à
Lipari jusqu'en 1932, il s'expatria clandestinement et après avoir subi des
arrestations, des détentions et des expulsions, en Yougoslavie, en Autriche et
en Allemagne, il rejoignit la
France en mars 1933. Inclus par la Préfecture de Rome dans
la liste des auteurs d'attentats, il est arrêté à Paris sur l'accusation
d'avoir agressé, en compagnie d'Emilio Lionello, un fasciste durant le
"Noël de Rome". Après avoir vécu pendant quelques mois à La Plaine-Saint Denis
avec Renato Pace, il est chassé de France et condamné par deux fois par le
Tribunal de la capitale pour infraction à la mesure d'expulsion. Exclu du
PCd'I, il a adhéré à la
Fraction de gauche et, au début de 1934, il s'est exhibé
quelques fois sur le ring de Caen. Il a
travaillé ensuite dans l'atelier que Piero Corradi avait à Paris, d'où il
envoya, le 16 mars 1934, une lettre à Bordiga : « … l'affection qui me lie
à toi et aux tiens me pousse à t'écrire… Comme tu le vois, je suis ici depuis
un an pour échapper à un retour dans l'île, mais sincèrement je ne saurais te dire
si j'ai bien fait… J'ai parcouru presque toute l'Europe et partout où je me
suis approché, ils me chassent comme indésirable… ».
Contraint de
quitter la France,
il mena à Bruxelles une vie misérable et incertaine, faisant le manœuvre sur
les chantiers, comme il l’écrivait à sa mère le 27 septembre 1936 :
« Tous les espoirs d'un travail stable se sont écroulés, je vis comme un
paria…, pour m'habiller j'utilise les vêtements déjà en partie portés par les
autres. Ne sois pas impressionnée, c'est la vie de millions d'êtres comme moi,
auxquels, parce qu'ils demandent un peu plus à cette société, on a enlevé ou on
a cherché à enlever leur dignité d'êtres humains. J'ai espéré jusqu'à présent
que, en plus de la tolérance de résider en Belgique, ils me donneraient le droit
de travailler, mais ils en sont restés aux promesses, et chaque fois que je
trouve à faire quelque chose, je dois abandonner sous la menace d'être expulsé
aussi d'ici… ». Assidu aux réunions de la Fraction à Bruxelles, et
favorable, en principe, aux positions de Russo et de la minorité sur la guerre
d'Espagne, il était encore en Belgique en 1940. Déporté au mois de septembre en
Allemagne avec d'autres travailleurs étrangers, il fut reconduit à Bruxelles
deux mois plus tard. Arrêté par les nazis et livré aux fascistes, il fut
assigné, en août 1941, pour 5 ans à Ventotene. Libéré après la chute de
Mussolini, il serait mort – selon des informations qu'il ne nous pas été
possible de vérifier – dans un camp d'extermination nazi (ACS, Rome, CPC,
b.4392, fasc.19647; Bibbi Bruno, Test., Carrare, 20décembre 1973, AB, M5, 15;
Pace Renato, Information).
À propos des
"étrangers", nous aimons bien reproduire un passage du discours
qu'Arquer fit aux miliciens de la colonne, qui étaient sur le point de partir
le 24 juillet 1936, sous son commandement, pour l'Aragon : « Ici, il n'y a
pas d'étrangers, mais seulement des antifascistes et des combattants de la
liberté » (Arquer Jordi, Test., Barcelone, février 1979, AB, M7, 15).
(7) Ernesto
Corradi est né à Paris le 1° juillet 1909.
Marchand de volailles, puis mécanicien, il adhéra très jeune au PCd'I duquel il
fut exclu en 1927. Membre du groupe ouvriériste de Pappalardi, il entra à la Fraction en 1929. Inséré
en 1933 dans les listes des "auteurs d'attentats" par la préfecture
de Parme, il fit partie en 1936 de la "minorité", et il rejoignit
ensuite l'Union Communiste. Après 1945, il resta en France (ACS, Rome, CPC, b.
1479, ad nomen).
(8) On trouve une
allusion sur "Ciccio" dans le témoignage de Morini (Morini Giuseppe,
Test., Montreuil-sous-Bois, 29 septembre 1977, AB, M40, A.).
Enrico Cesarin
était un ouvrier agricole originaire de Venise où il était né en 1903. Ayant publiquement offensé Mussolini, il fut
condamné le 20 août 1926 à 5 mois de prison et à 416 lires d'amende. Licencié,
en représailles, de la manufacture des tabacs de Venise et arrêté le 1° mai
1927, avec Edoardo Rigato, Luigi Grassi et Bruno Zecchini, pour avoir diffusé
« des manifestes subversifs imprimés clandestinement » et
« incitant à la lutte contre le fascisme », il est mis sous
surveillance policière le 10 mai. De nouveau arrêté le 24 juillet avec
Zecchini, Rigato, Grassi et Secondo Banzato, sous l'accusation d'avoir
constitué une section communiste, il fut acquitté le 1° mai 1928 par la Commission d'instruction
du Tribunal spécial. Mais il ne fut pas libéré et le 15 juin il fut transféré à
Lipari où il resta jusqu'à la fin de 1931. Reconduit à Venise, il émigra
clandestinement en France en septembre de la même année où il vécut en faisant
le peintre. Après la guerre d'Espagne, il revint à Paris. Ayant enfreint un
décret d'expulsion, il est incarcéré en France pour 6 mois. Interné ensuite au
camp du Vernet, il fut livré aux fascistes en juillet 1940. Relégué à Tremiti,
il est relâché après le 25 juillet 1943 (ACS, Rome, CPC, b. 1272, ad nomen).
(9) Nous
transcrivons partiellement le rapport d'un espion fasciste sur Enrico Russo et la Fraction. L'informateur,
après avoir décrit les difficultés et la faim endurées par Russo à Bruxelles,
écrivait le 5 décembre 1936 : « Il est parti pour l'Espagne en expliquant
les raisons de son départ à de nombreux camarades : il leur a écrit pourquoi il
n'était pas d'accord avec le Comité Central. Sa position était simple : en
Espagne, le fascisme tentait de prendre le pouvoir. Il était aidé, dans cette
tâche, par les fascismes italien et allemand. Il fallait mettre le fascisme en
échec. Vaincre Franco, battre en même temps Mussolini et Hitler, en les
frustrant de leurs espoirs et de leurs plans. Puis, dans un second temps, quand
l'armée des généraux rebelles serait réduite à néant, on se serait révolté
contre le gouvernement madrilène de Front populaire et on l'aurait même écrasé,
en faisant triompher dans toute l'Espagne ces principes révolutionnaires qui
dominaient déjà en Catalogne, où le pouvoir était entre les mains du
prolétariat, de la FAI
et du POUM, et où le principe de la collectivisation de toutes les industries
et de toutes les entreprises était déjà en application. Dans le même temps où
il proférait ces paroles, Russo partait pour Barcelone, où il rencontrait son
camarade Mario De Leone qui partageait les mêmes idées. À Paris, la
quasi-unanimitéé de la section bordiguiste était avec Russo : il y avait avec
lui ses deux ou trois camarades de Lyon; avec lui également, du fait de
l'influence de De Leone, la section de Marseille, de même que le groupe de La Seyne et de Toulon. À
Barcelone, tous les éléments bordiguistes qui s'y étaient rendus prirent
position en faveur de Russo et De Leone. Russo avait été officier. On lui
confia le commandement de la colonne internationale Lénine et il partit pour
Huesca. Peu de jours suffirent pour le faire apprécier et estimer de tous. Il
était le meilleur officier du secteur : peut-être l'unique officier qui savait
ce qu'était la guerre.
Il devint
populaire en peu de temps et la
Généralité lui proposa de le nommer colonel sous ses ordres.
Il refusa. Mais pendant que Russo récoltait les honneurs à Huesca, le C.C. de la Fraction ne restait pas
inerte. Perrone, de Bruxelles, se rend à Paris une première fois et il parvient
à faire adhérer une partie de la section aux directives du C.C.. Il confie à
Bianco la tâche de poursuivre la lutte.
C'est en vain que les frères Corradi font tous leurs efforts pour
conserver leur position de majorité. On commence à parler de la militarisation
des milices en Espagne et cela confirme les thèses du C.C.. Perrone retourne à
Paris, il se rend à Lyon, à Marseille, à Toulon. La mort de De Leone est un
autre coup dur pour Russo et son mouvement. Ainsi, tandis que, dans un premier
temps, la majorité de la section de Paris se replace sur la position du C.C.,
il en est de même ensuite pour le groupe de La Seyne et de Toulon, et, de façon unanime après la
mort de De Leone, pour le groupe de Marseille. Pendant ce temps à Barcelone,
Russo avait refusé la militarisation, et il avait démissionné du poste de chef
de la colonne internationale. Le POUM insiste pourtant pour qu'on lui fasse un
passeport afin qu'il retourne en France et en Belgique, et qu'il revienne ensuite
à Barcelone en tant qu'inspecteur technique des milices du POUM, ce que Russo
accepte. À Paris, Russo tient une conférence, où il est vivement combattu par
le représentant de la majorité de la Fraction, Bianco; mais il ne réussit pas, même à
la réunion de la section, à obtenir à nouveau la majorité. À Lyon, où il se
rend, il a avec lui deux camarades de la localité. En Belgique, toute entente
est impossible. Verdaro, Vercesi, Perrone, combattent la position prise par
Russo avec animosité, et la lutte interne dans la Fraction se transforme en
une lutte de scission. La minuscule Fraction italienne de la gauche communiste
est désormais virtuellement scindée et elle présentera deux pauvres moignons.
De la fraction bordiguiste, quand elle était unie, j'ai dû vous dire :
certainement moins de 80 militants dans tout le vaste monde. La scission
affaiblira considérablement la
Fraction… » (Paris, 5 décembre 1936, ACS, Rome, Min.
int., Dir. Gen. p.s., Div. Aff. Gen. , 1936, K1, b. 34 : Mouvement
bordiguiste).
(10) Martellini
– un ouvrier agricole né à Grosseto le 19 janvier 1887 et inscrit au PCd'I
depuis 1921 – émigra en 1924 en Belgique où il souscrivit, avec les anarchistes
Italo Giannoni et Antonio Armeni ("Toppa"), originaires de Massa,
ainsi que le communiste Russo Facchielli, originaire de Grosseto, au
"Libre accord", une feuille libertaire romaine. Membre de la
"gauche" bordiguiste, il envoya au Komintern le 3 janvier 1927, un
document de protestation, signé également par Severino Aldovini, Antonio
Gabassi, Bruno Proserpio, Giovanni Tornielli, Giovanni Boero et onze autres
opposants (Au C.E. de l'I.C., 3 janvier (?) 1927, APC). Quant à Pappalardi,
lors de la dernière conversation qu'il eut avec Piero Corradi en 1936, il était
d'accord avec les analyses de la "minorité" sur les événements
espagnols (Corradi P., Information). Sur les parcours politiques des opposants
à la "majorité", cf. Gigi [Luigi Danielis]. Les origines de
l'ex-minorité, "Prometeo", n° 141, 24 janvier 1937. Danielis
insistait dans son "article" sur la rencontre entre le
« confusionnisme maximaliste » (qui provenait de la « dernière
fournée vers le communisme effectuée en 1924 avec l'unité prolétarienne sur le
terrain électoral ») et les ex-partisans de Pappalardi qui, en 1927, en
soutenant la nature capitaliste de l'U.R.S.S., avaient rompu avec les camarades
qui fonderont la Fraction
l'année suivante, quitte à y adhérer par la suite, sans se préoccuper d'étayer
les anciennes thèses, qu'ils soutenaient encore. Maintenant, ils « ont
déchiré les voiles » et ils se sont mis à défendre « l'État catalan
où il semble qu'on socialise au fur et à mesure que l'armée avance ».
(11) Jehan,
un membre de la fraction belge de la gauche (dit "Melis" et
"Mitchell", mort à Buchenwald avec son fils), écrira dans un essai,
dans la première moitié de 1937, qu'il y a eu « une complicité tacite de la République de Front
Populaire » dans l'organisation du "complot" militaire (Jehan, La
guerre en Espagne, déjà cité, p. 22-23).
(12) Bruno
Bibbi (dit "Bianco" et
"Alfredo") est né en 1901 à Carrare, où son père Domenico avait été
l'un des fondateurs du parti ouvrier et le premier abonné de Carrare de
l'"Avanti!". Entré en 1915 à la Jeunesse Socialiste,
Bruno fut embauché en 1918 comme tourneur à l'Ansaldo de La Spezia. En 1919, il
fonda à Avenza une section du P.S.I. et, en 1921, il adhéra au PCd'I. Plusieurs
fois agressé par les fascistes armés (« … le jour de Santa Croce, pendant que je me promenais sur
le pont d'Avenza…, passa une escouade de fascistes, ils m'éreintèrent de coups, j'en ai encore la
tête, ici, là, pleine de cicatrices… »), il se défendit dans certaines
occasions avec efficacité, puis, à la fin de 1922, il émigra à Marseille, où il
fut rejoint par Gino Lucetti : « C’était un type humain, généreux, un type
plein de bonne volonté, et quand il épousa l’anarchisme, il devint une sorte
d’autodidacte. Durant l’année où nous avons vécu ensemble à Marseille, je
lisais Lénine, Trotski, et lui, il avait lu tous les livres anarchistes, de
Fabbri, Kropotkine, etc. ».
Il faisait le
ferrailleur sur les chantiers et il était membre de la Fédération des
communistes italiens, à partir de laquelle il passa aux Groupes communistes de
langue italienne du PCF. Responsable – selon les sources policières – d'une
"centurie prolétarienne", opposé à la "bolchevisation",
menée en Italie par la direction gramscienne, il fut expulsé de Marseille à la
fin de 1924. Exclu pour la première fois du parti en 1925, après des désaccords
(et des coups) avec Ignazio Silone, il déménagea à Paris, en amenant Pappalardi
avec lui, et il fut parmi les fondateurs du Comité parisien d'entente. En avril
1926, étant revenu en Italie pour deux semaines, il se trouva à Milan, Piazza
del Duomo, où il avait un rendez-vous avec Perrone, précisément au moment où la
nouvelle de l'attentat de la
Gibson contre Mussolini était diffusée et où la chasse aux
subversifs était lancée : « Heureusement je me rappelai le chemin, je suis
allé à sa rencontre, … nous sommes allés loin, à l'extérieur, sinon il y avait
un massacre, parce que, lui, il y laissait certainement la peau, étant donné
qu'il avait déjà été agressé plusieurs fois par les fascistes ». Avec
l'aide de Rosolino Ferragini, Bibbi put rentrer sans dommages, peu de jours
après, à Paris. En contact épistolaire avec Bordiga (c'était lui ce
"Bruno" avec lequel Bordiga écrivait depuis Naples en 1926), il
représenta, en compagnie de Guglielmo Spadaccini, la gauche dans la capitale
française. Exclu du parti vers la fin de 1926, il fut fiché en 1927 par la Préfecture d'Apuania :
« Il est d'un caractère arrogant, rebelle, il s'est révélé ainsi depuis
qu'il allait à l'école. Il a fréquenté la première école technique, mais il
s'est constitué une culture propre, en lisant constamment, en particulier des
opuscules subversifs… ».
L'année
suivante, il eut un rôle prééminent dans la fondation de la Fraction de gauche :
« Nous avons fait une réunion à Pantin, une réunion dans laquelle il y
avait tous les groupes de la
Gauche (Grenoble, Marseille, Paris, etc.) et à laquelle
devait participer l'unique intellectuel qui était avec nous, c'est-à-dire
Perrone, mais celui-ci fut arrêté alors qu'il venait à la conférence. Il y
avait un brave camarade, un certain [Carmine] De Caro de Naples…, il y avait
Aldo Lecci, Giovanni Bottaioli, Gabassi, Guido Gasperini, Tre [Mazzucchelli], …
Barbonti, Balilla Monti, Ferruccio, Nero [Giovanni Tornielli]… ». Chassé
de France et de Belgique, il travailla, dans des conditions semi-clandestines,
pendant plusieurs années, dans une usine de Paris. Opposé à la collaboration
avec les trotskistes de la N.O.I.,
il se prononça pour l'exclusion de "Fosco" (Di Bartolomeo) et de
"Gandi" (Giovanni Campeggi) de la Fraction. Après
avoir soutenu en 1936, avec Lecci et Ricceri, les positions de Perrone et de
Verdaro sur la guerre d'Espagne, il fut expulsé encore une fois de France en
1937 : « C'était là une période où il y avait un tas d'expulsions. Les
Français chassaient les réfugiés politiques en Belgique, les policiers belges
les renvoyaient en France. Il y en avait qui pendant des mois faisaient la
navette entre les deux ». Livré aux fascistes en 1940, il est envoyé en
relégation à Ventotene. Après la libération, il adhère au Parti Communiste
Internationaliste, et il suivit en 1952 la tendance de Maffi et de Bordiga, à
laquelle il resta lié jusqu'à sa mort. (Bibbi Bruno, Test., Carrare, 20
décembre 1973, AB, M5, 15; idem, Test., Carrare, 25 février 1977, AB, M5, 19;
ACS, Rome, CPC, b. 634, ad nomen; Oreste (E. Gnudi). Lettre, s.d. (juillet
1926), APC, b. 498; idem. Lettre, 26 juillet 1926).
Estrecho
Quinto et Monte Aragón : « Quand la lune se lève à Marechiaro »
(1)
De Leone à P. Corradi, Barcelone, 4 septembre 1936, copie dans AB; sur la
délégation en Espagne cf. Bibbi Bruno : Précisions sur une page de
l'histoire de la Fraction
de gauche, [1974], copie dans AB; Lecci Aldo, Mémorial, s.d., ibidem.
Aldo Lecci
(dit "Tullio", "Mario Marini", "Francesco Paoli")
est né à Florence le 5 août 1900. Longtemps boulanger à la boulangerie Bagnoli,
il s'inscrit en 1917 à la section de la Jeunesse socialiste de la via dell'Agnolo (dont
Aldo Lampredi était secrétaire) et en janvier 1921 il adhéra au PCd'I. Membre
des "groupes d'action communistes", il fut nommé par Renato Bitossi –
après l'assassinat de Lavagnini – responsable des formations de défense armée à
Santa Croce, San Salvi, au Bandino et à Ponte a Ema. Émigré en 1923 en France,
après différents accrochages avec les "esclavagistes" (à la Croce del Balastro, à
Campiobbi, etc.), il passa au PCF. Membre de la gauche bordiguiste, opposé à la
"bolchevisation", il fut chassé en 1925 avec Otello Ricceri, Castelli
et Rastrelli, de Paris, à cause d'une "bagarre" avec les
"noirs". Forgeron à Lyon dans la firme Cognasso jusqu'en 1929, il fut
exclu du Parti Communiste après le Congrès de Lyon, avec seize autres membres
de la gauche au cours d'une réunion où volèrent sièges et coups de poing. Les
noms des exclus furent ensuite publiés – selon une coutume répandue de délation
– par les journaux communistes en langue italienne. En 1928, il eut un rôle
prééminent dans la fondation de la
Fraction de gauche à Pantin et, en 1929, il fut chassé de
France. Réfugié en Belgique, il fut arrêté à Bruxelles en 1930 pour avoir
protesté, à l'intérieur de l'ambassade fasciste, contre les exécutions, à
Trieste, de communistes italiens et slovènes. Expulsé de Belgique, il retourna
à Lyon où il fut l'un des plus importants représentants de la Fédération bordiguiste,
avec Carlo Mazzucchelli et Russo Facchielli, originaire de Grosseto. Le 23
décembre 1930, présent avec Gusmano Mariani, Socrate Franchi, Giuseppe
Scarmagnan, et d'autres à la réunion organisée par les anarchistes en faveur de
Francesco Ghezzi arrêté par la
Guépéou en Russie, il s'engagea à faire soutenir par
"Prometeo" la campagne en faveur de sa libération.
Secrétaire, à
la fin de 1931, "de la fraction prométéiste lyonnaise", il se
montrait – rapporta un commissaire fasciste – un animateur « très
actif », il organisait « des réunions » et « des
conférences dans lesquelles » il intervenait « presque toujours comme
orateur », et il cherchait à établir « des contacts avec les éléments
de gauche des organismes antifascistes des départements du Rhône, de la Loire, de l'Isère… ».
En 1933, il rentra clandestinement en Italie où il rencontra Repossi et
Fortichiari, mais il ne parvint pas à se mettre en contact avec Bordiga (une
autre tentative en 1936 d'Agostina, la compagne de Federici, ne fut pas plus
couronnée de succès). Déménageant à la fin de 1934 à Marseille, il alla à
Barcelone en août 1936 avec une délégation de la Fraction dont faisaient
partie "Michel" et Candoli. Étant rentré en octobre à Marseille, il
se remit à travailler comme soudeur aux "Aciéries du Nord". Opposé en
1939 à la dissolution de la
Fraction, il développa pendant la guerre une activité clandestine
à Toulon, à Marseille et à La
Seyne, et il logea pendant quelques mois Feingold
("Michel") dans sa chambre. Au début de 1945, informé de l'adhésion
de Perrone aux Comités antifascistes en Belgique, il fut le plus déterminé à
vouloir son exclusion de ce qui restait de la Fraction. Revenu
en Italie en mai 1945, il adhéra au Parti Communiste Internationaliste et il
prit part, en décembre, à la
Réunion de Turin. Après avoir polémiqué en 1948 avec Perrone
au Congrès de Florence, il resta dans le PCInt. après la scission de 1952 et il
mourut à Florence en 1974 (Lecci Aldo, Test., Florence, 28 novembre 1973, AB,
M5, 20; idem, Mémorial, Florence, 14 juillet 1967, AB; Bibbi Bruno, Test.,
Carrare, 20 décembre 1973, AB, M5, 15; ACS, Rome, CPC b. 2752, ad nomen; ACS,
Rome, Min. Int., Dir. Gen. p. s., D.a.g.e.r., 1929, K1, b. 20; Mouv. Communiste
de gauche trotsk., Belgique).
(2)
En 1939, le trotskiste Di Bartolomeo écrira : « Chacun sait que les
comités, les seuls véritables comités ouvriers et révolutionnaires qui ont
existé durant la guerre civile espagnole, ont été supprimés après les accords
préliminaires entre le P.O.U.M., la
C.N.T.-F.A.I., et tous les autres partis du front
antifasciste au mois de septembre 1936… ». Plus loin, le révolutionnaire
napolitain ajoutera que la C.C.M.A.,
malgré la diversité des comités révolutionnaires et la présence, en son sein,
de représentants des partis bourgeois, était un organisme progressiste par
rapport à la Généralité
de Catalogne (Roland [N. Di Bartolomeo]; Le P.O.U.M. et l'expérience de la
guerre civile en Espagne, "La vérité", n° 4, 1939, p. 14-15).
Pour Jehan, le C.C.M.A. était au contraire un « amalgame politique à
prédominance capitaliste, parce que les partis socialiste et stalinien avaient
la majorité des délégués » (Jehan, La guerre en Espagne, déjà cité,
p. 27). De Leone était d'une opinion différente (Topo [M. de Leone]. Aux
camardes de la C.E.,
Marseille, 23 septembre 1936, copie dans : AB; voir dans l'Appendice : doc. 2).
(3) Topo
[M. De Leone]. Barcelone, 13 octobre 1936, voir en Appendice : doc. 9; Broué P.
et Témime É, La révolution et la guerre d'Espagne, déjà cité, p.237. Le
Groupe de Marseille répondra à Russo, qui s'était prononcé en faveur de la
discipline et du commandement unique le 5 novembre lors d'une réunion de la C.E., en contestant la
« gravité exceptionnelle » de ses déclarations. « Laissons de
côté l'attitude napoléonienne : "J'avais déjà pensé à revenir à la
fin du mois, si le front était calme…" qui tue l'élément politique et ses
rapports avec l'organisation, mais dans la situation grave, désespérée »
dans laquelle les prolétaires espagnols sont, « mitraillés par les
mercenaires de Franco et poignardés dans le dos par le Front populaire »,
ils pourraient trouver « la seule voie de salut désespérée » dans
l'insurrection contre le Gouvernement de Front populaire dans les endroits non
encore envahis par le fascisme. Le camarade Candiani expose les positions
d'"inclus" dans le processus d'encerclement des prolétaires
espagnols. Partisan du commandement unique et de la discipline, mais sur la
base de comités politiques et de soldats, de congrès de combattants rouges
(mais dirigés, agités et imposés par qui? Note du groupe). Nous arriverons
ainsi à créer un embryon d'armée rouge. « Nous sommes dans une position
d'attente ». « Si j'avais un parti derrière moi » (lequel?).
Tout ceci complété par l'attitude hostile des camarades du Comité de
Coordination dont l'indépendance est désormais un fait accompli (Résolution,
"Prometeo", n° 139, 22 novembre 1936).
(4) Ce
sera Verdaro qui écrira, à propos des "démissions" des miliciens de la Colonne Lénine, que
l'ex-minorité s'était arrêtée à mi-chemin. « Mauvais, très mauvais. Il a
été adopté en effet une position dont nous ne savons pas si elle est plus
balourde que criminelle. Prenant prétexte de la militarisation, elle a déserté
le front militaire, elle a abandonné les prolétaires qu'elle avait incités
jusqu'alors à s'enrôler et elle s'est transférée sur l'arrière du front pour
faire … justement ce qu'on nous a reproché, à nous de la Fraction, en nous taxant
de défaitistes. » Les déclarations des ex miliciens qui ont l'intention
« de contribuer plus efficacement à la cause du prolétariat espagnol par
le travail politique et social » sont incohérentes. Si l'on croit encore
qu'il faut lutter – ou faire lutter les autres – « sur le front militaire,
on ne peut détourner sa propre activité et sa propre expérience sur un autre
terrain ». Si l'on croit à la « guerre révolutionnaire », celui
qui ne la mène pas la sabote. À moins que l'on se place sur le terrain de la Fraction « qui
considère comme fatal tout "front militaire" et qui soutient le
retour sur l'unique front que la classe ouvrière peut revendiquer, le front de
classe. Et l'on devient alors des "défaitistes", des
"saboteurs". Des défaitistes et des saboteurs parce que nous nous
insurgeons contre l'accaparement abject de prolétaires pour lesquels, à la
traite des noirs, des blancs, s'ajoute aujourd'hui la traite des
"rouges" pour le compte du capitalisme mondial », tolérée par la France et la Belgique et par la
bourgeoisie mondiale, qui « se frotte les mains : autant de
subversifs en moins chez elles ».
Et puis il
demande à la minorité si elle approuve ou non « l'accaparement que l'on
fait des prolétaires pour en faire de la chair à canon sur les fronts
militaires d'Espagne… ». « Le camarade Candiani a été, à ce propos,
réticent et extrêmement ambigu. Du moins avec nous, car avec d'autres il a été
plus explicite. Il est encore pour aller en Espagne, mais plus sur le front
militaire. Il est démissionnaire à cause de la militarisation et en même temps
il ne l'est pas. Il serait resté sur le front, s'il avait été espagnol, ou s'il
avait eu derrière lui une organisation forte. Ces distinguos … doivent cesser.
La minorité doit se prononcer de façon la plus claire et en accepter pleinement
la responsabilité » (Gatto Mammone [V. Verdaro]. La nouvelle position
de la minorité signifie équivoque et duplicité, "Prometeo", n°
139, 22 novembre 1936).
(5) Topo
[De Leone]. Barcelone, 13 octobre 1936, copie dans AB; voir dans Appendice,
doc. 9 et doc. 10. Sur le retour de Russo au front, "La batalla"
écrivait le 13 octobre : « Hier, les glorieuses centuries Puig et
Russo … sont parties à nouveau pour le front après qu'elles sont restées
quelques jours à Barcelone. Cette dernière est constituée de camarades du monde entier qui sont venus pour lutter
aux côtés des travailleurs espagnols. Les deux centuries ont joué un rôle
prééminent dans l'assaut et la conquête des positions fascistes d'Estrecho
Quinto et de Monte Aragón… C'est au total 80 hommes de cavalerie et 192
d'infanterie qui sont partis. » ("La batalla", n° 62, 13 octobre
1936).
(6)
Fienga B., Test., Naples, 20 octobre 1974, AB, M2, 5. Le docteur Fienga se
souvenait des sollicitations de De Leone pour qu'il déménage de Madrid, où il
était allé initialement, à Barcelone : « … mon fils, avant de venir à
Madrid, était passé à Barcelone où il avait rencontré Mario De Leone, qu'il
connaissait déjà depuis Marseille, parce que De Leone avait été mon associé
dans une entreprise vouée à l'échec. Il trouve De Leone qui lui dit :
« Mais pourquoi ton père ne vient-il pas à Barcelone? ». Il me fit
savoir qu'il me voulait là. Il m'obtint le permis d'aller à Barcelone… De Leone
me présenta à Nin et Nin m'envoya à la caserne Lénine, qui était une caserne de
cavalerie, pour mettre un peu d'ordre dans le secteur sanitaire… » (Fienga
B., Test., Naples, 20 octobre 1974, ibidem). Sur la mort de De Leone, cf.
Candoli Turiddu, Test., Cervia, 5 janvier 1974, AB, M5, 10. La nouvelle de la
mort de De Leone à Barcelone « pour paralysie cardiaque » fut
communiquée par Adrianna Montigudet à Gilda Minieri Pacchio, belle-sœur du
disparu, le 14 novembre 1936 (Préfecture de Naples au Min. Int., Naples, 3
décembre 1936, ACS, Rome, CPC, b. 1673, b. 615).
On arriva à la
scission définitive de la
Fraction quelques semaines après la mort de De Leone (Motion
de la C.E.,
« Prometeo », n° 140, 20 décembre 1936). Après s’être refusée à
considérer comme démissionnaires les membres de la minorité, la C.E. les expulsa pour
« indignité politique », et en tant que « partisans de
conceptions aberrantes par rapport aux principes théoriques et pratiques qui
sont à la base de la Fraction »
(Motion…, ibidem, n° 141, 24 janvier 1937, p. 4, col. 2).
(7)
Enterrement de De Leone, "La batalla", n° 84, 7 novembre 1936.
Quatre jours après, le quotidien poumiste publia la nécrologie de De Leone,
signé par le groupe de Barcelone (El grupo de Barcelona de la fracción de la Izquierda comunista italiana.
El camarada De Leone, ibidem, n° 87, 11 novembre 1936). Même les
maximalistes rappelleront que De Leone avait été « un des premiers membres
de la Fraction
de gauche » et qu'il avait consacré « toute sa vie à la cause de
l'émancipation du prolétariat » qui perdait « avec lui un de ses plus
sincères défenseurs » (La mort soudaine du camarade De Leone,
"Avanti!", n° 17, 15 novembre 1936).
(*) En français dans le texte (NdT).
(**) Expression désignant les politiques
partisanes de la formation de blocs (NdT).
(*) Le 17 juillet 1921, Sarzana (en Ligurie, près
de La Spezia)
est au centre d'un des épisodes les plus emblématiques des années de montée du
fascisme : une expédition armée de fascistes venant d'Avenza fait le coup de
feu avec un groupe d'Arditi del Popolo; les carabiniers arrêtent 11 fascistes.
Le 21 juillet, pour libérer leurs camarades, 5 à 600 fascistes armés arrivent à
Sarzana; après un échange de coups de feu, 5 fascistes sont tués, tandis que
les autres fuient de manière désordonnée dans les champs, poursuivis par la
population et les Arditi del Popolo. Le bilan est finalement de 18 morts et de
30 blessés. (NdT).
(*) Ville proche de Carrare en Toscane (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français évidemment dans le texte (NdT).
(*) Ce sont deux plats épicés typiques de la Campanie, le premier à
base de poulpes et le second peut-être de moules (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) Il s'agit de Sereni (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*)
« Quanno spunta a’ luna a Marechiaro, pure li pesce nce fanno a
ll’amore... »
[Quand la lune se lève à Marechiaro, les poissons aussi font l’amour…] :
il s’agit du début d’une chanson très connue du répertoire napolitain (NdT).
(*) Le comte Ugolin Gherardesca est fait
prisonnier par l'archevêque de Pise, Roger de Ubaldini, le 1° juillet 1288. Ce
dernier, devenu le maître de la ville, le fait enfermer avec deux de ses fils
et deux de ses petits-fils dans la tour de Gualandi et il jette les clefs dans
l'Arno, condamnant ainsi les prisonniers à mourir de faim. C'est Ugolin qui
succombe le dernier après avoir essayé, dit-on, de se nourrir de ses enfants.
La légende est passée à la postérité grâce à la Divine Comédie
de Dante (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) En français dans le texte (NdT).
(*) Toute cette citation est en français (NdT).
(**) En français dans le texte (NdT).
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