Un vieux embrasse un jeune. |
« Je voyage, non pour connaître l'Italie, mais
pour me faire plaisir ». Stendhal (soixantehuitard écrivain)
« Les feux d'artifice de Lamartine se sont
transformés en fusées incendiaires de Cavaignac ». Marx
(anti-romantique professionnel)
Gare !
On va nous en mettre plein les oreilles et les mirettes via la télé
d'Etat (la 5) avec les crétins Cohn-Bendit et Goupil pour ossifier
et ridiculiser un peu plus et toujours la signification de mai 68.
Une armada d'anciens cons battus va défiler plus nombreux que ceux
de 14-18. On va gazer le spectateur avec la poudre sociologique et
l'auguste geste du lanceur de pavé, quand depuis le début de l'an
2018, c'est le cinquantenaire de la mystification syndicaliste
gauchiste qui rape le grand soir commémoratif, et fait croire aux
gamins et gamines des lycées huppés qu'ils sont promis à une
répétition victorieuse du baiser sans entraves et jouir sans fin.
Les vedettes soixantehuitardes et leurs petits imitateurs de l'ombre
trotskiste sont devenus ministres, journalistes, magistrats, mais il
reste des miettes pour les anonymes qui le resteront, qui ont marché,
jeté leur pavé, fumé en AG, migré au Larzac et voté Giscard pour
l'avortement.
Avant
de me rendre au bar à vins où devait être présenté le livre de
Lola Miesseroff « Voyage en outre-gauche » (Libertalia), que j'avais apprécié
pour son aspect chorale de témoignages plutôt rafraîchissant et
pas barbant essai de politisation, j'avais lu une critique sur le
site bordélique Indymédia, critique bordélique également mais qui
pouvait ponctuellement sonner juste : « … une litanie de
vieux radicaux ravis, semble-t-il, qu’on leur donne une dernière
fois la parole, 50 ans après, pour étaler leur trivialité, et bien
souvent leur vulgarité, rabâchant les formules creuses de leur
jeunesse, dont ils espèrent tirer sans risque aujourd’hui un petit
bénéfice, peut-être, en terme d’aura sulfureuse et de
reconnaissance sociale. Car la radicalité, la rébellion de nos
jours, ça se porte bien, et ça se monnaye. Et eux qui n’ont
jamais travaillé qu’à détruire le vieux Monde, j'imagine, comme
leur maître Guy Debord, ils aimeraient bien que ça se sache et
qu'on leur en tienne gré. Ils comprendront en outre que pour
leurs anciens camarades, qui sont bien sur terre, eux, cinquante ans
après, et qui n’ont rien appris : « tout ce qu'on
veut, c'est bien bouffer, bien boire, bien baiser et trouver à faire
quelque chose de marrant » (p.109). Cette phrase
restera, grâce à vous, Lola, comme un étendard, un marqueur (comme
on dit aujourd’hui) de cette radicalité situationniste, aussi
prétentieuse que trompeuse. Peu ragoutante, à vrai dire »1.
Problème,
ce critique n'a pas retenu des témoignages pas du tout baba cool ni
hédonistes, ni un sérieux effort de l'auteure pour donner en note
des précisions sur tel groupe ou individu pour les néophytes. Il y
a il est vrai hélas toute une partie vers la fin consacrée à une
triste mouvance « communisatrice » exaltant cette
vieillerie de refus du travail et cette lubie d'une disparition du
rôle révolutionnaire du prolétariat ; les variétés de
salaire étudiant ou citoyen étant le luxe aléatoire des bobos
germanopratins revenus de leur gauchisme infantile. Par contre ces
remarques acerbes de ce critique du livre de Lola (qui l'a apprécié
comme moi) conviennent pleinement à la présentation littéraire que
nous eûmes à subir ce dimanche après-midi au bar du coin, la
Vierge de la Réunion.
Attablée, l'assemblée n'était composée que de vieux, pas des
demi-vieux mais de vrais vieux, comme on les voyait jadis quand on
était jeune, sans imaginer que quand on est vieux on ne se voit pas
vieux, quoique, je peux en témoigner, l'esprit reste en éveil pas
forcément gaga mais catalogué et ostracisé par l'apparence. Pas
des vieux bêtes mais pas une chère tête blonde au milieu des vieux
machins grisonnant c'est moche, ça fait Ehpad. Tant mieux. Preuve de
plus que les jeunes n'ont que foutre de conférences ou de vente
boutiquière de livres sur mai 68. Laissez-nous mourir nous les
vieux, mourir de notre belle mort rentière et nostalgique mais qu'il
vous soit interdit de découper bêtement la société entre jeunes
et adultes comme s'en moquait Bordiga début 1968. Je le craignais,
mais ce fut bien : « pépé ! Raconte-nous ta guerre
de 14-18 ». Et fixette sur l'événement franco-français, rivalité Paris/province et pas à l'aune de la crise économique ni des événements précédents au niveau mondial.
On ne nous présenta pas un mais trois livres, le premier d'un
soixante-huitard décédé dont il ne restait que le préfacier, et
l'autre traitant des trimards, c'est à dire artisans marginaux
itinérants et katanguais de la Sorbonne. Ce n'était pas du tout le
programme attendu. Mais le pire. On égrena moult souvenirs d'anciens
combattants de la « révolution », voire de la poésie
barricadière ; ce pauvre auteur disparu croyant intelligent de
critiquer les limites des barricades « alors qu'il eût fallu
mener la lutte de guérilla armée dans les rues de Paris ».
Quant aux trimards ce n'était pas ces beaufs sédentaires cloîtrés
devant leur TV, mais des types qui bougeaient qui faisait le coup de
poing. L'auteure témoigna de la nécessité de ces costauds pour
protéger les étudiants aux mains fragiles, mais aussi de la fable
du meurtre du commissaire à Lyon, mort en réalité d'une crise
cardiaque. Entre témoignage ras-du-bitume et nostalgie hédoniste
d'une vie irrémédiablement gâchée après un mois de bonheur, on
était édifié à pleurer devant le monument aux morts des arpèges
soixantehuiteux.
Une bonne partie de la salle était constituée de mes anciens
camarades du CCI éjectés à des périodes successives de ce qui est
devenu une secte disparue (sur Paris) et d'ailleurs une bonne moitié
de l'ancienne section parisienne. J'observais leur mine effarée pour
ne pas dire contrite ou empreinte de commisération pour ce qu'il
fallait entendre. J'ai d'ailleurs signalé cela au début de ma
critique : « mesdames les écrivaines, une grande partie
des éléments fondateurs du groupe Révolution Internationale en 68
vous fait l'honneur de sa présence ! ».
- oui mais après, dit le dadet préfacier de la table dite tribune (il n'avait que 15 annuités en 68 et prétendait tout connaître des situs et du monde entier au volant de son solex).
- Mais son produit surtout, ce qui importe plus que l'événement passé, rectifiai-je.
Quitte à doucher les enthousiasmes gériatriques, j'ai déploré
l'excès de romantisme consacré au souvenir de mai 68 et la
stupidité de l'idéologie barricadière qui aurait dû s'émanciper
par la guérilla urbaine alors qu'il ne pouvait être question
d'aller plus loin ni de jouer au far west. Le titre de l'ouvrage de
Lola « outre gauche » est fort bien trouvé car il brise
les qualifications idiotes telle la notion d'ultra-gauche alors que
68 a mis à bas la gauche et le syndicalisme comme références
prolétariennes. Alors que le qualificatif de maximalisme, comme je
le défends après Rosa et Bordiga, convient mieux pour définir ce
milieu révolutionnaire qui est réapparu après 1968, distinct d'une
certaine petite marge anarchiste. Quoique mai fût libertaire plus
que anar dans le sens étroit du terme. Quoique nous eussions été
plus grèvegénéraliste nous les militants que prenant en compte à
côté un ébranlement de la société, certes impulsé par la
pression de la classe ouvrière, mais à la fois culturel et
sociétal.
La caractérisation comme romantiques attardés de nos écrivains
attablés les fit bondir d'indignation, et foncer se faire servir un
verre de rouge. J'avais pris soin pourtant de ne pas les qualifier de
bobos ringards, mais ils avaient bien perçu pleinement le sens de ma
saillie. Cultivés, ces auteurs savent très bien que le romantisme
est le goût des chimères des intellos désoeuvrés et des suites
amères de la révolution française. Comparaison est offense. Et
pourtant ils ne font que véhiculer les mythes de 68, et vanter la
vie marginale, zappant leur propre passé hippie.
Heureusement, ils eurent un soutien en la personne de Max, ex
militant dilettante du CCI, les yeux embués par l'alcool au point de
ne plus voir les classes sociales et, mielleux, de communier au
charme désuet de la nostalgie barricadière2.
Deux autres femmes, déjà éméchées vinrent poser des questions
pas bêtes du genre « quel espoir aviez-vous ? »,
« à quoi pouvez-vous servir aujourd'hui aux jeunes ? ».
Hic ! Beueueueu... Mais le brouhaha des buveurs avait déjà
coulé toute discussion sérieuse. Michel tenta bien de rappeler
l'aspect dominant du mouvement de la classe ouvrière, les grèves depuis plusieurs années dans les autres pays et l'inanité
des propositions alternatives de violences3.
Mais on ne pouvait plus vraiment discuter à l'eau vive du sens
général de 68, en particulier du fait étonnant que les termes
« classe ouvrière » étaient le credo de tous, des
étudiants comme des journalistes, et que comme je l'avais dit au
début que Mai avait été provoqué initialement par la vision des
violences policières contre ces braves ouvriers ou passants, simples
téléspectateurs ni trimards ni militants excités. L'aspect massif
du mouvement concernant autant la classe prolétarienne que les
couches moyennes avait montré un phénomène déjà décrit par
Marx, la petite bourgeoisie tombant (certes provisoirement) dans le
prolétariat par le truchement de ces milliers d'étudiants
poursuivant des cursus universitaires inutiles, gonflement
d'effectifs inattendus mais ne remettant pas en cause sélection
bourgeoise et inégalités sociales. J'ai dû répondre à
l'insistance d'une des deux femmes (« mais comment allez-vous
leur transmettre aux jeunes ? ») : « et bien
ils se transmettront eux-mêmes, ils boufferont certainement plus de
vache enragée que nous, ils feront leur expérience, voilà tout ».
Bonsoir m'sieur dames !
Ma compagne, enfant à l'époque et loin d'être une prolétaire,
avait été choquée par la violence du débat qui se terminait en
querelle d'ivrognes. Elle ne comprenait pas que deux mondes
s'affrontaient, non pas les anciens et les modernes ni les anciens
contre les anciens, mais les tenants de la théorie de l'émancipation
du prolétariat et les petits commerçants des idéologies
parcellaires et hippies. Elle me fit cependant cette réflexion très
très pertinente : « ce ne fut pas une révolution mais
une évolution qui a cassé jusqu'à nos jours rapports hiérarchiques
et autorité de façade ». Bien dit. Je vous laisse y
réfléchir.
En conclusion, n'attendez surtout pas que des cuistres littérateurs
allument l'étincelle de la révolution, surtout prolétarienne.
NOTES
2Malheureusement
on trouve toujours dans les différentes époques dans les milieux
révolutionnaires ou aux alentours des gens de mauvais esprit, calculateurs ,
avides de reconnaissance, mais aussi délateurs et lyncheurs, qui
favorisent une ambiance délétère, mais au niveau de leur voisin
de palier. On a connu ainsi plusieurs individus dans les 70 et 80
qui se faisaient passer pour des groupes, qui n'étaient souvent
guère plus de deux, qui se dénommaient « guerre de classe »,
« La guerre sociale », « La banquise », etc.
qui se prenaient pour des caïds ou des clones de Guy Debord en
passant leur temps à calomnier. Il n'en reste rien que quelques
dérangés du ciboulot qui animent telle radio masquée, tel forum à voyeurs qui se fait
appeler « socialisme ou barbarie » ou « bignole ou grosse vache », qui ne connaissent rien à rien, demi-cloches
qui passent leur temps à poster leurs insultes grossières ;
ces courageux ventripotents du clavier doivent pourtant savoir que
leurs déjections partent automatico à la poubelle sur farce book ou depuis mon
blog, malgré leur obstination caractérielle de marginaux
désoeuvrés. Politiquement ils sont comme les "invisibles", ils n'existent pas. Et ne se montrent jamais en public.
3
Ton intervention Michel était claire dans l'ensemble, sauf lorsque
tu as dit « la bourgeoisie tente de faire oublier la plus
grande grève générale de l'histoire », non, les termes
« grève générale » c'est du bidon, on n'a pas de
grève générale en pleine révolution russe et la grève générale
est impossible (cf. approvisionnements) en période moderne, non ce
que la bourgeoisie veut faire oublier c'est la « généralisation »
des luttes hors des consignes syndicales, c'est ce souvenir qui est
le plus dérangeant. De même lorsque tu as dit que ces auteurs
défendaient les libérations nationales, non c'est l'olibrius
préfacier qui rapportait le désir de guérilla de l'auteur
disparu, une pitrerie gauchiste soixantehuitarde et incongrue pour
la classe ouvrière, et même irresponsable.
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