"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 20 mars 2019

EN ATTENDANT LE PARTI GODOT



(polémique avec Claude Bitot)

« ...nous avons bien d'autres éléments pour reconnaître ce protagoniste de la tragédie historique qu'est la classe, pour en fixer les caractères, l'action, les objectifs, qui se concrétisent dans des traits d'une évidente uniformité, au milieu du changement d'une multitude de faits que le pauvre photographe de la statistique enregistrait dans une froide série de données sans vie ».

Bordiga (1921)

Préliminaires d'actualité :

Le pouvoir macronien s'est à nouveau planté. En une après-midi émeutière il a perdu tout le crédit politique qu'il pensait avoir reconquis avec son bla-bla national. Manu s'était autorisé une virée domincale à ski, l'autre à tapiner en boite de nuit, et le seul responsable fût ce pauvre tâcheron directeur de police de Paris, oui ce même directeur qui avait un peu trop parlé sur l' affaire Benalla et demandé d'y aller mollo avec les LBD. Tous ces faux derches étaient au courant de la venue des clans blac bloks et ont laissé faire pour venger l'humiliation du premier décembre. Encore raté !
Manu avait voulu piéger les gilets jaunes en laissant faire un maximum de casse dans l'espoir renouvelé mais impuissant à retourner l'opinion. Las, tout le monde s'en est aperçu, même les croulants sénateurs. Macron n'a aucune autorité, en réalité il est incapable d'asseoir une autorité permanente et cela va s'aggraver jusqu'à ce que la France soit ingouvernable. La crise des gilets jaunes, qui est en réalité surtout LA PREMIERE REVOLTE DU SECTEUR PRIVE DEPUIS LA GUERRE, est une crise profonde qui ne peut trouver sa solution au niveau des chimères des ignares et confus gilets jaunes1. La crise se manifeste de manière ambiguë comme le voit bien ce journaliste du Figaro G.Tabard : « Les Français montrent à Emmanuel Macron qu'ils peuvent «en même temps» être révoltés par la violence des casseurs et continuer à soutenir les «gilets jaunes» ; «en même temps» jouer le jeu du grand débat et exprimer leur défiance à l'égard du gouvernement.C'était sa formule, la griffe de son projet. Le fameux «en même temps» macronien se retourne aujourd'hui contre son auteur. Au nom de sa «pensée complexe», le chef de l'État voulait montrer qu'une action ne pouvait pas être univoque. Dans cette longue séquence, ce sont les Français qui lui montrent que leurs réactions sont «complexes» et expriment des motivations qui peuvent sembler contradictoires. Ils peuvent «en même temps» être révoltés par la violence des casseurs et continuer à soutenir les «gilets jaunes» ; «en même temps» jouer le jeu du grand débat et exprimer leur défiance à l'égard du gouvernement. C'est cette complexité que l'exécutif a sous-estimée. Le gouvernement avait cru ou avait espéré qu'une séquence chasserait l'autre. Qu'après le temps de la colère, celui du dialogue était venu ; qu'à l'attraction des ronds-points avait succédé celle des salles communales »2.

La masse même, pourtant pas massive, des gilets jaunes en manifs de rue est elle-même ambiguë avec son admiration des émeutiers comme nous l'étions des barricadiers de 68 : nos black bloks ne sont pourtant que de nouveaux vandales ; le prolétariat en guenilles est en santiags et cagoules de cuir motard de nos jours ; « la pourriture passive des couches inférieures de la société », populace et vagabonds, populace urbaine – ainsi que la nommait Marx et Engels, tient lieu de spectacle aux médias où il n'y a plus ni gagnant ni perdant. Drouet avait joué au bonze syndical appelant à bloquer ports et raffineries, il n'a eu que deux pneus crevés.
Le nouvel appel conjoint des bonzes syndicaux et de leurs cire-pompes gauchistes à une grande journée d'action, reprenant le slogan gilet jaune : « Fin de mois, fin du monde, même combat », a fait un bide comme toujours.


Où le MOUVEMENT GILET JAUNE ACCOUCHE DE SON PRINCIPAL THEORICIEN

Selon mon contradicteur Claude Bitot, je me suis excité en faveur du mouvement des gilets jaunes à ses débuts, y voyant le plus grand mouvement social depuis 68 avec un prolétariat (presque) en action même avec le drapeau tricolore, et je découvrirais seulement à présent qu'il est sans « culture politique » et sans perpective claire. Claude a dû lire un peu rapidement mes nombreux articles. Je n'ai pas ménagé mon soutien paritairement avec les mêmes critiques au début qu'à la phase terminale. Je crois n'en avoir jamais attendu monts et merveilles.

Cette entrée en matière est pourtant d'emblée une manière de minimiser l'extraordinaire importance que le tovaritch Claude a révélé accorder à cette révolte, qui, selon lui « remet à l'ordre du jour la question sociale » depuis au moins 1945. Ne s'est-il donc rien passé socialement depuis 1945 qui remette en cause Etat et bourgeoisie ?
En effet, et il a parfaitement saisi ma critique, je lui reproche dans ma première réponse, de miser sur un tel type de mouvement et non plus sur le prolétariat (théorie dont il a été un des meilleurs défenseurs pendant plus d'un demi-siècle). Le texte de Robin Goodfellow est autrement plus lucide malgré un fond politique bordiguiste mâtiné de tartufferies politiques héritées des barbaristes :
« Il est évident que le mouvement est interclassiste et que le prolétariat, tout en faisant valoir ses propres revendications, est à la remorque de la petite-bourgeoisie dont il constitue politiquement la gauche. Le prolétariat n’y existe pas en tant que parti politique indépendant mais la plupart des représentants du mouvement communiste semblent ignorer que cela fait plus de 90 ans que cette situation existe. C’est d’ailleurs pour cela que cette période est caractérisée de période de contrerévolution ».

UNE CLASSE OUVRIERE FONDUE AU SOLEIL DU CAPITALISME DECADENT ?

Après tant de Gorz, Castel, Mallet, Negri et autres charlatans de la sociologie gauchiste révisionniste, ce tovaritch vintage ne voit plus qu'une classe « fondant en même temps que les grands sites industriels du capitalisme », « des ouvriers complètement désemparés perdant tout réflexe de classe (…) votant pour un parti classé à « l'extrême droite » ; une classe ouvrière devenue aussi inculte politiquement que nos braves gilets jaunes. Plus aucune lueur d'esprit de classe dans cette classe ouvrière devenue décadente pour ne pas dire démoralisée ; pourtant dans la démoralisation il y a bien des lueurs de conscience des causes de cette démoralisation et qui sont des conditions justement pour en sortir. Ces lueurs, rejet des syndicats et de la pourriture des partis de gauche, n'en sont pas selon notre contradicteur : « il y a dans cette classe quelque chose de cassé : celle-ci ne se syndique plus et ne vote même plus pour des partis de gauche, cela attestant chez elle non pas une prise de conscience mai un dégoût propre à une classe finissante, pour ne pas dire décadente ».

La classe que je me représenterais encore comme classe révolutionnaire ne serait plus qu'un amas de professions minables, improductives (sic) autrement dit ces pauvres livreurs de pizzas du « tertiaire », en gros d'horribles gens insignifiants « qui ne sont plus dans la production » et auxquels Marx n'aurait jamais songé à commander même une pizza royale. Marx n'avait-il pas évolué, ou changé, sa définition du prolétariat ; dans le Manifeste est prolétaire « celui qui pour vivre est contraint de vendre sa force de travail » ; mais dans le Capital : « il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier ». Donc, en conclut donc le tovaritch Bitot : « était prolétaire pas n'importe quel salarié ». Or, quand bien même je me fiche des éventuelles variations littéraires de Marx ou sautes d'humeur, ce ne sont pas des individus qui sont productifs en soi mais une classe entière où le livreur de pizza va servir son modeste déjeuner au technicien pressé, lequel est bien heureux de retrouver son bureau propre le lendemain grâce à « l'improductrice » femme de ménage. Comme toutes les querelles des divers exégètes intellos sur les nuances entre travail productif et improductif, Bitot s'enferme dans une rigidité conceptuelle assez étrangère à... Marx.
Prévoyant cette objection, Bitot vient affirmer que Marx ne visait comme révolutionnaires, non pas cette « masse de domestiques du tertiaire » (merci pour eux), mais que « les prolétaires modernes » qui « dans l'esprit de Marx seraient à même dans le communisme de faire fonctionner les machines pour le compte de la société et non plus pour le compte du capital » (…) alors que le salariat des services ajourd'hui : « n'est jamais entré dans une usine, ne connaît rien de la production et serait bien en peine de la prendre en main » (…) ; disparus « les ouvriers métallurgistes professionnels en bleu de chauffe (…) car les plus qualifiés, les plus conscients, les plus révolutionnaires » (…) le capitalisme en a terminé avec cette couche dangereuse du prolétariat et du même coup réduit à néant les espoirs révolutionnaires qui avaient été fondé à partir de la classe ouvrière ».

Je ressens là comme un mélange d'ouvriérisme et de fantasme de classe ouvrière paradisiaque coincé dans une conception rigide de corps de métier. Les métallurgistes comme les mineurs ont connu leur heure de gloire ; leur travail collectif leur donna souvent pourtant plus uen conscience corporative que de classe et comme tels, même au temps de la tentative communiste en Russie, vu leur taux d'illettrisme, je ne pense pas que Marx envisageait de virer ingénieurs et chefs de projet tout de suite. D'ailleurs Claude a mal lu mon livre « Dans quel 'Etat' est la révolution », où je montre que la réorganisation d'une nouvelle société ne peut pas privilégier telle ou telle classe, mais suppose la disparition des classes et une tout autre façon d'ordonnancer le travail humain. Le grand nombre d'ouvriers paupérisés ou marginalisés des "classes dangereuses" n'est pas une nouveauté par rapport au temps de Marx; il en faisait d'ailleurs le décompte sans les considérer comme portion congrue ou inconsciente la masse des chômeurs, des pauvres assistés, des estropiés, des veuves. Il en concluait que cela caractérisait le paupérisme qui forme avec la surpopulation relative la condition d'existence de la richesse capitaliste, mais qui favorise aussi l'esprit de révolte contre "l'injustice sociale" même si ces couches ont un esprit de solidarité moindre que dans les grandes concentrations du travail. C'est un récurrent snobisme chez les marxologues académiques (apolitiques) de vouloir à tout prix faire une distinction entre travail productif et improductif. Dans les théories sur la plus-value écrites entre 1861 et 1863, Marx avait analysé la distinction entre travailleurs productifs et improductifs dans des pages à la fois drôles et pertinentes mais sans théoriser une capacité particulière des ouvriers productifs en vue de gérer l'Etat de la période révolutionnaire ni comme propriétaires d'une conscience de classe plus développée que les prolétaires improductifs.  Dans le "18 Brumaire de Louis Bonaparte, ou dans la section VIII du Livre I du Capital, Marx fait une distinction par contre entre prolétariat et "sous prolétariat" qu'il condamne parce qu'il est propice à la propagation d'idées réactionnaires, mais on doit relativiser ce reproche dans un contexte de lutte de classes où le niveau de précarisation (migrants et immigrés), d'exclusion (dépossession) et de marginalisation d'une grande partie de la population pauvre (que les modernistes nomment multitudes en y incluant le monde du travail de façon indistincte)  pose de façon plus urgence encore l'exigence de changement de société face au paupérisme qui se généralise et qui est le facteur fondamental de la conscience de classe. La notion de prolétariat ne recouvre plus simplement le salariat, et ce n'est pas une hérésie anti-marxiste.

Marx pense que le prolétariat vaincra pour deux raisons, en premier lieu parce « les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne ». En second lieu, parce qu’ils sont plus nombreux : « Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité ». L’union du prolétariat acquiert une volonté suffisante pour défaire le pouvoir politique de la bourgeoisie. C’est dans ce sens que « la lutte du prolétariat est […] une lutte nationale ». Comme la conquête de l’autonomie, elle est inévitable parce que la propriété privée des moyens de production crée une « guerre civile plus ou moins larvée […] jusqu’à l’heure où cette guerre éclate en révolution ouverte, et où le prolétariat fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie ». Certaines caractéristiques de la bourgeoisie contiennent le germe de sa propre destruction : « L’ouvrier moderne descend toujours plus bas, au-dessous même des conditions de vie de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme s’accroît plus rapidement encore que la population et la richesse. Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir plus longtemps son rôle de classe dirigeante […]. Elle ne peut plus régner, parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est obligée de le laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu de se faire nourrir par lui. La société ne peut plus vivre sous la domination de la bourgeoisie, ce qui revient à dire que l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec celle de la société » et Marx de conclure que « la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables ».

Le souci de Marx resta toute sa vie celui inscrit dans le Manifeste communiste de 1847, l'unité du prolétariat dans et par la lutte, sans distinction de qualifications professionnelles ou du rapport des ouvriers et des employés à la production, et avec le souci d'intégrer la masse des exclus. En 1844, le jeune Marx accorde d'ailleurs la primeur au terme prolétariat plutôt qu'aux termes de classe ouvrière: "le prolétariat est le produit de la dissolution des « classes moyennes », des « couches intermédiaires », de la « petite bourgeoisie".

Quelle pirouette comique de la part de Bitot, par après, d'affirmer: « je n'ai donc pas abandonné le marxisme, ce sont les analyses de Marx sur le prolétariat qui m'ont abandonnées »... donc c'est bien un abandon du marxisme !3

Même rigidité auto-satisfaite pour l'espoir de révolution, comme tous nos petits profs retraités modernistes, il n'y a qu'à attendre, la révolution tombera du ciel : « je n'ai pas abandonné l'idée de révolution, qui elle se posera lorsque le capitalisme finira par s'écrouler » ! Invraisemblable qu'un vieux de la vieille nous sorte une telle billevesée idéaliste ! Jamais dans les milliers de débats sur le sujet depuis 1917 dans le mouvement révolutionnaire, aucune de nos grosses têtes n'a imaginé que le capital s'effondrerait un jour tout seul ! Ils ont tous affirmé et répété qu'il faudra vraiment l'aider à s'effondrer ; c'est comme si un algérien naïf vous disait : « ne vous inquiétez pas, le clan des truands derière Bouteflika va finir par s'écrouler »...

VERS UN PARTI POUR FAIRE RENAITRE LES GILETS JAUNES ?

Une chose est sûre avec Bitot, si la classe ouvrière « métallurgiste » a disparu, au moins une nouvelle classe, certes bâtarde, celle des gilets jaunes l'a remplacée : « je soulignais fortement la nécessité de ce parti en ce qui concerne l'avenir d'un tel mouvement qui n'est pas fini mais qui va renaître avec plus de force et d'intensité (alors que JL semble avoir tiré un trait dessus attendant que le « prolétariat » entre en scène) ». J'imagine assez bien les deux routiers Drouet en secrétaire général du parti « jaune » et son adjoint Fly Rider casquette à l'envers secrétaire adjoint, Jacline pour le programme électoral en jaune, et sans doute Pricilla secrétaire de l'union des femmes libérées des taxes.

Claude est estomaqué que je moque le promoteur d'un parti rédempteur d'un prolétariat disparu, léniniste caricatural sans le manche et sans la lame. Attaquons donc le Jean-Louis ad hominem, ce type « sans nuance », disciple du gourou Chirik concepteur d'un parti qui ne prend pas le pouvoir et d'une classe ouvrière « qui ne se salit pas les mains au pouvoir »... Ce n'est que de l'anarchisme ! C'est comme un vieux relent de bordiguisme chez une grenouille laïque. Mais c'est triste de ta part Claude car tu sais très bien qu'en 1991 nous avions travaillé tous deux sur la question de l'Etat de transition qui avait donné lieu à un bon travail comment (qui est publié sur mon site Archives maximalistes) et où tu ne déformais pas mes positions et donc celles du CCI ; échange politique si fructueux puisqu'il t'avait servi pour ton premier ouvrage aux Cahiers Spartacus.

QU'EST-CE QUE LE PARTI COMMUNISTE ?

Ce n'est un relent mais une resucée bordiguienne qui nous est ressorvie par après. Tout ce bla-bla sur le parti historique depuis le Moyen âge comme embryon à chaque époque des révolutions successives où ce n'est souvent que des bandes limitées ou deux ou trois forte personnalités devient une démonstration fétichiste, onirique et fabulatrice qui esquive les vraies questions posées pour le ou les partis modernes. Claude attend le parti comme moi j'attends la révolution, mais notre seul argument est : le plus tôt serait le mieux because il ne nous reste pas longtemps à vivre sur cette planète.

En voulant conserver le vieux jus faisandé du bordiguisme, le tovaritch Bitot fuit complètement ce que le bordiguisme avait de tranchant et de marxiste4. Il nous invente un parti « hors-classes » ; un machin qui conviendrait sans doute aux tovaritchs « hors-classes » Drouet, Nicolle, Rodriguez et Priscilla, voire leur petit avocat manche à balai dans le cul, mais aux masses exploitées ! C'est même un parti communiste « témoin de Jéhovah » pour : « éclairer les masses en diffusant parmi elles un programme clair répondant à leurs attentes, prendre la direction de leurs luttes5 et une fois le pouvoir pris jouer un rôle central dans son exercice ».

Voilà le tour est (mal) joué, tovaritch Bitot nous refait le coup de Brejnev ! Alors que nous les gilets jaunes originaux et vierges nous souhaitions nous passer d'un parti de gouvernement (un peu comme le CCI le promet avec un peu de chance si on renverse le capitalisme) et pas nous faire chier tous les jours avec des référendums, because y a pas que la politique dans la vie sous le capitalisme ou dans le communisme.

CE QUI A ENGENDRE LE PARTI BOLCHEVIQUE, LA GUERRE ?

Aux origines le parti bolchevique ne pouvait qu'être un parti de rien du tout. Il oublie de nous rappeler que le petit groupe s'était fondé sous les auspices et dans le cadre de la II ème Internationale, avec un souci étrange et quelque peu prétentieux : seule une classe ouvrière ultra minoritaire au cœur d'un océan de paysans pouvait prétendre diriger la révolution ; que le parti de Lénine ait reçu un coup de pied au cul au début des révoltes contre la guerre ne change rien aux fonds baptismaux « socialistes » de ce parti et à ses engagements ultérieurs. Les principes de ce parti n'ont pas été forgés par la réaction spontanée des masses contre la guerre mondiale (qu'il camoufle pudiquement du concept de « situation catastrophique » mais par des années de lutte contre l'oppression tsariste et par une délimitation principelle avec les partisans du terrorisme petit-bourgeois.
Tovaritch Bitot nous sort une autre explication de son sac à malices : tout cela est peau de balle, au vrai « c'est la situation de guerre et l'impossibilité de la bourgeoisie d'y mettre fin (…) qui amena les ouvriers les plus avancés, les plus intelligens, les plus révoltés, à s'organiser en parti de classe révolutionnaire ». Tout cela est bien évidemment faux. La bourgeoisie voulait continuer la guerre et les masses se sont organisées oui mais en soviets et en conseils ouvriers ; elles ont longtemps était plus attirées par les partis libéraux et mencheviks, puis elles ont pris le parti monolitique dans la gueule en particulier au moment de Kronstadt.
Malgré cette invention d'un parti « produit d'une situation catastrophique », tovaritch Bitot nous refait le coup de la gloire du parti bolchevique sans lequel nulle révolution n'eût eu lieu tandis que ces abrutis de gauchistes allemands « ne voulaient pas entendre parler d'un « parti de chefs ».. tien cela aurait plus à nos ignares gilets jaunes ! Même l'ultra-gauchiste Bordiga ne trouve plus grâce aux yeux veloutés de tovaritch Bitot, il a traîné la savatte pour accoucher lui aussi d'un parti mort-né vers 21-23. Ailleurs ? Que dalle ! Et depuis ? Rien, il peut recoupier André Gorz en lisant par-dessus l'épaule de Marcuse : « Le capitalisme après 1945, avec son Etat-providence, sa société de consommation, intégra complètement la classe ouvrière, ce qui rendit tout à fait impossible sa résurrection ». Vu les mots religieux funèbres usés régulièrement par le tovaritch, je présume qu'il a suivi le catéchisme dans l'enfance sans se soucier du sexe de beautés qui nous l'enseignaient, contrairement à moi.

VERS LA NON-CLASSE REVOLUTIONNAIRE version Bitot

Les années 1970 ont vu fleurir pléthore d’« adieux au prolétariat » (selon la formule d’André Gorz en 1980 à la suite de Marcuse) au motif que celui-ci ne constituait non seulement plus « le » sujet révolutionnaire, mais n’était même plus un sujet politique consistant tout court ; qu’il s’était embourgeoisé, devenu pour l’essentiel une gamme de « classes moyennes » aux conditions de vie améliorées, sans identité autre qu’une participation active à la « société de consommation » . Les intellectuels gauchistes rangés des voitures brûlées en Italie comme en France ont alors repris la notion féodale de « multitudes » pour varier celle, cramée, de peuple ; tovaritch Bitot lui a créé la notion de non-classe. Il faut relire les commentaires de Dangeville autour de ses citations lumineuses de Marx sur la complexité de la création de la classe laborieuse et l'instabilité de son statut de classe exploitée et corvéable à merci :

« Le développement de l’industrie n’a pas pour seul effet d’accroître le prolétariat, mais encore de l’agglomérer en masses de plus en plus compactes. Le prolétariat sent sa force grandir. Les intérêts, les situations se nivellent de plus en plus en son sein à mesure que le machinisme efface les différences dans le travail [non la production] et ramène presque partout le salaire à un niveau également bas. La concurrence accrue à laquelle se livrent les bourgeois et les crises commerciales qui en découlent rendent le salaire des ouvriers de plus en plus instable. Le perfectionnement incessant et toujours plus poussé du machinisme rend leur condition de plus en plus précaire. Les heurts individuels entre les ouvriers et les bourgeois prennent de plus en plus un caractère de collision entre deux classes. Bientôt les ouvriers s’efforcent de monter des coalitions contre les bourgeois ; ils se groupent pour défendre leur salaire. Ils vont jusqu’à fonder des associations durables pour constituer des réserves en vue de révoltes éventuelles. Ça et là, la lutte éclate sous forme d’émeutes. »
Certains auteurs telle Sarah Abdelnour, qui a publié en 2012 le livre, Les nouveaux prolétaires, défendent la pertinence spécifique aujourd’hui du terme de prolétariat, et même s’il est nécessaire pour l’auteure d’en « réactualiser la notion ». 
L’ouvrage de S. Abdelnour a le mérite d’affirmer que les lumpenprolétaires sont tout autant des prolétaires que les travailleurs employés qui sont, eux, toujours près d’entrer à leur tour dans l’armée industrielle de réserve. Marx du reste, dans le livre I du Capital, avait déjà analysé en détail l’hétérogénéité de la population prolétaire et proposé une véritable classification des types de chômage (de « surpopulation relative ») du plus ponctuel au plus permanent, marquant même que ce chômage « présente toujours des nuances variées à l’infini » , et il fut prolongé en cela par Rosa Luxembourg dans son importante Introduction à l’économie politique  : dans les deux cas, le prolongement naturel de l’analyse fut la prise en compte de l’hétérogénéité des représentations, inscriptions et mobilisations politiques potentielles. Ce n’est pas d’aujourd’hui, donc, qu’il est clair qu’une population de chômeurs, par définition exclus des cadres de socialisation assortis à la possession d’un emploi stable, vivant dans des conditions d’insécurité sociale majeure, est comparativement bien moins accessible à la propagande d’un syndicat ou d’un parti qui tendent à s’adresser de façon plus ciblée, et dans la durée, à une classe de travailleurs, justement, à l’identité professionnelle ou politico-culturelle ancrée. De ce fait, les zones de combativité du prolétariat contemporain sont plus variées qu’on ne pourrait le croire trop facilement : ce sont autant celles du travail employé (usines, entreprises, petite bourgeoisie employée ou fonctionnaire), que celles des espaces où marginalité, exclusion, désidentification sociopolitique prédominent, espaces bien trop désertés par les syndicats et les partis.

On a dit que « prolétariat » disait plus que classe ouvrière : cela devient évident à l’aune de cette double ouverture, d’un côté au « sous-prolétariat », de l’autre à la petite bourgeoisie, en raison des dynamiques permanentes de différenciation et de recomposition évoquées. Autre façon de dire que, depuis Marx et Engels même, le problème de l’hégémonie ouvrière dans une situation d’alliance de classes, n’a jamais été celui d’un ouvriérisme quelconque6.


Revenons à notre théoricien de la non-classe qui ne veut pas se compliquer la tâche avec la complexité du prolétariat moderne.

Un autre parti communiste verra le jour : « A partir d'une non-classe (déjà perceptible avec le mouvement aclassiste des « gilets jaunes ») qui ne pourra plus se reconnaître dans une classe du fait de la décomposition complète de toutes les classes, demi-classes, pseudo-classes (…) consécutive à la chute du capitalisme qui surviendra à la suite de sa phase terminale. Non-classe qui sera au fond une classe, la classe des laissés-pour-compte que le capitalisme dans son effondrement aura engendrés et précipités dans la misère, elle deviendra l'immense majorité de la société ».

On a compris qu'il s'agit du parti des « livreurs de pizzas » auxquels on croyait avoir échappé en introduction à la promesse d'un parti présumé livré chaud et consommable. Ce devra être une « forte » pizza, pardon un « fort parti » nous assure le tovaritch, « le parti compvat et monolithique de demain ». Je l'adresse ici aux connaisseurs de notre « milieu », ce parti ne vous rappelle-t-il pas un courant maximaliste qui a eu ses heures de gloire ? Mais qui lui faisait référence au prolétariat et pas à une non-classe ?

Le 15 avril 1921, Bordiga écrit un article qui explique que les thèses sur le rôle du parti communiste dans la révolution prolétarienne, adoptées par le second congrès de l'Internationale communiste, stipulent que « le parti de classe ne peut comprendre dans ses rangs qu'une partie de la classe, jamais sa totalité, ni peut-être même sa majorité ». On est loin des facéties de tovaritch Bitot.



NOTES

1Ils sont récupérables tôt ou tard avec leur quête chimérique d'une « vraie démocratie », et Bordiga le prévoyait si bien : « La bourgeoisie elle-même ressent à notre époque une sympathie et une inclination nullement illogiques pour dans sa fraction la plus intelligente elle accepterait volontiers de réformer son appareil étatique et représentatif pour faire une large place aux syndicats "apolitiques", et même à leurs revendications de contrôle du système productif. La bourgeoisie sent que tant qu'on peut maintenir le prolétariat sur le terrain d'exigences immédiates et économiques qui l'intéressent catégorie par catégorie, on fait œuvre conservatrice en évitant la formation de cette dangereuse conscience "politique" qui seule est révolutionnaire, parce qu'elle vise le point vulnérable de l'adversaire, la possession du pouvoir ».
2« On peut prendre l'exemple du 24 mai 1968 : l'opinion publique était jusque-là favorable aux manifestations étudiantes et aux grévistes, mais tout bascule après des affrontements particulièrement violents et les deux morts – le commissaire Lacroix à Lyon et un jeune homme à Paris – qui sont attribuées aux manifestants. On apprendra bien plus tard que ce dernier a en fait été tué par un éclat de grenade offensive de la police et pas poignardé par la "pègre manifestante", comme l'avait dénoncé le lendemain le ministre de l'Intérieur.
La nouveauté aujourd'hui, c'est la diffusion des informations sur les réseaux sociaux, en particulier les images des blessés graves, et la diffusion sur tout le territoire national et dans le monde entier, en boucle sur les chaînes d'information en continu, des images des lieux symboliques de la France attaqués et brûlés. Ces images ont à coup sûr un impact fort sur l'opinion publique, même si elles tranchent avec la figure plus rassurante qu'ont présentée les "gilets jaunes" sur les rond-points ».
3Je ne pinaille pas sur tous les aspects surprenants ou incongrus de la lettre de Claude, mais il faudra qu'il m'explique oralement ce qu'il entend par une telle classe «  réduite par son ultra-machisme à la portion congrie » ; à mon que ce soit une faute de frappe = machinisme.
4D'une certaine façon, outre tombe, le Bordiga de 1921 lui répond : « Une interprétation tout à fait fausse du déterminisme marxiste, une conception limitée du rôle que jouent dans la formation des forces révolutionnaires, sous l'influence de départ des facteurs économiques, les faits de conscience et de volonté, conduisent un grand nombre de gens à rechercher un système "mécanique" d'organisation qui, en encadrant quasi automatiquement la masse d'après la place des individus qui la composent vis-à-vis de la production, suffirait à la rendre prête a agir pour la révolution avec le maximum d'efficacité révolutionnaire ».

5Là déjà du coup, Drouet, Nicolle et Priscilla démissionnent derechef ! Et moi aussi.
6Sur le site Le grand soir, contribution de Emmanuel Barot.

mardi 19 mars 2019

ENCORE SUR LES GJ MAIS SUR LA QUESTION DU PARTI

Le drapeau tricolore au fond est celui, officiel, du port d'Etaples
Voici une lettre de réponse à quelques critiques que j'avais portées aux conceptions du camarade Claude Bitot séduit lui aussi par le mouvement des gilets jaunes malgré ses incohérences (je parle des GJ). Nous avons l'habitude de la polémique fraternelle lui et moi depuis une vingtaine d'années. Claude varie l'intonation et l'adresse soit en s'adressant à moi directement soit à la troisième personne, comme s'il était sûr qu'un public nous écoute au même moment, mais il n'est jamais hautain ni abaissant. N'étant pas un curé rouge ni un disciple de Marc Chirik (contrairement à ce qu'il affirme) j'apprécie toujours ses démonstrations vivantes et bien plus en prises avec les modifications du monde capitaliste actuel que nos radoteurs marxistes des sectes ou individus maximalistes, même si je ne suis pas d'accord avec l'orientation hors du marxisme qu'il a choisi depuis pas mal d'années lui, ancien disciple de Bordiga (je provoque!) en s'enfonçant singulièrement dans le même bourbier imaginaire et "moyenniste" que les bourgeois de Terra Nova (voir mon article précédent). Claude tu ne démontres pas vraiment comme plausible ton invention d'un parti sans prolétariat, aussi te répondrai-je plus tard. Ne prends pas froid.
Bien amicalement à toi, JLR
LETTRE AU CAMARADE ROCHE

Sur son site il a publié mon texte sur les « gilets jaunes » et je l’en remercie. Il l’a accompagné d’un certain nombre de commentaires auxquels je désire répondre.
Il me fait remarquer, « qu’on ne peut pas miser sur ce mouvement qui en effet est une non-classe, typique des classes intermédiaires sans culture politique et incapable de prendre une orientation claire ». Tout d’abord je constate qu’au début du mouvement des « gilets jaunes » ce n’était pas ce langage qu’il tenait s’excitant à son propos, y voyant le plus grand mouvement ayant eu lieu depuis 68, donc dans son esprit le prolétariat en action, ou presque, quitte pour cela à justifier le drapeau tricolore qu’on voyait fleurir dans les manifestations, lui considérant qu’il s’agissait là d’un symbole encore révolutionnaire alors que le drapeau rouge était celui des staliniens !!! Maintenant qu’il voie que ce mouvement ne répond pas ses espérances, il est beaucoup moins enthousiaste, découvrant qu’il est « sans culture politique » et n’est capable d’aucune « orientation claire ». Belle découverte ! Qu’attendait-il de lui ? Qu’il fasse la révolution parce qu’au tout début du mouvement il s’était pris « de vouloir marcher sur l’Elysée » ?! Celui-ci était un mouvement remettant à l’ordre du jour la question sociale que le capitalisme après 1945 avait à sa manière résolue, mais que maintenant entré pour de bon dans sa phase terminale il ne peut plus empêcher le retour, donc il était complètement illusoire d’en attendre monts et merveilles du point de vue politique et idéologique. Le principal mérite de la Commune de Paris disait Marx c’est son existence, toute proportion gardée moi je dis de même à propos du mouvement des « gilets jaunes », son mérite c’est d’avoir existé et cela en dehors des partis et des syndicats qui se sont vus rejetés. Voilà un bon point pour lui.
Mais venons-en au premier reproche que Roche me fait : celui de miser sur un tel type de mouvement et non plus sur le prolétariat pour dans l’avenir faire la révolution, cela parce que je limite le prolétariat à la seule classe ouvrière, elle, concède-t-il, « en effet rabougrie et paralysée depuis des décennies par ses illusions syndicales ». « Rabougrie » en effet mais pas à cause des syndicats. Roche leur attribue une puissance qu’ils n’ont plus depuis belle lurette, eux qui tous additionnés ne regroupent que 10% des salariés et parmi ces derniers les ouvriers se comptent sur les doigts d’une main, ceux-ci ayant depuis longtemps abandonné ces misérables organisations – comme d’ailleurs ils ont laissé tomber avec le « grand parti des travailleurs » qu’était le PCF. Dans leurs manifs poussives avec ballons géants, sono tonitruante, fumigènes colorés, pour leur donner artificiellement un aspect spectaculaire et imposant, ils ne mobilisent que les planqués des services publics pour la défense de leurs statuts. En fait, si la classe ouvrière est devenue « rabougrie » c’est en raison d’une tout autre cause. C’est parce que dans le capitalisme en phase terminale (importante cette appréciation du capitalisme sans laquelle on ne peut comprendre ce qui se passe) elle est devenue une classe fondant en même temps que les grands sites industriels du capitalisme. Et les ouvriers complètement désemparés perdant tout reflexe de classe se sont mis alors en bonne partie à voter pour un parti classé à « l’extrême droite » (sous-entendu « fascistes » par les médias capitalistes). C’est dire le désarroi qui a saisi la classe ouvrière celle-ci ne faisant pas davantage preuve que les « gilets jaunes » de « culture politique » et de capacité « à prendre une orientation claire » pour parler comme Jean-Louis. Désarroi, il est vrai, à la mesure de ce qui lui arrivait, celle-ci se voyant remise en cause par le système qui l’avait fait naître. Bien sûr il reste des ouvriers, peut-être 3 à 4 millions, comme d’ailleurs il reste 1 million de paysans. Mais il y a dans cette classe quelque chose de cassé : celle-ci ne se syndique plus et ne vote même plus pour des partis de gauche, cela attestant chez elle non pas une prise de conscience mais un dégoût propre à une classe finissante pour ne pas dire décadente. Mais pour Jean-Louis rien de grave, oui la classe ouvrière est « rabougrie », mais il reste « l’autre prolétariat », tellement nombreux que c’est à lui que l’avenir appartient. Mais quel prolétariat au juste ? Celui qui bosse chez Mc Do ? Qui livre à domicile des pizzas ? Celui qui à la sortie des grands temples de la consommation vous dit d’ouvrir votre sac pour voir si vous n’avez pas fraudé ? Plus généralement, une masse de vendeurs dans les magasins, d’employés dans les municipalités et les banques, et, pourquoi pas, de fonctionnaires dans l’Etat, eux aussi salariés comme d’ailleurs le sont les flics et les soldats de carrière ? Bref, tout un « tertiaire », qui effectivement pullule car très nombreux ? 

Et c’est ce prolétariat-là, qui prenant le relais du prolétariat industriel « rabougri », serait la classe qui porte « l’avenir dans ses mains », pour parler comme Marx dans son manifeste ? Si c’est ça maintenant le prolétariat, un prolétariat qui n’est plus dans la production, mais dans la vente, le nettoyage, la surveillance, la livraison et je ne sais quoi encore, alors le vieux Marx qui en 1856 disait dans son Appel au prolétariat anglais que l’époque moderne avait produit en même temps que les machines, les hommes nouveaux, les prolétaires d’usines, doit se retourner dans sa tombe ! Il est vrai, en ce qui concerne la définition du prolétariat le Marx du Manifeste avait simplement dit qu’était prolétaire celui qui pour vivre est contraint de vendre sa force de travail. Mais le Marx du Capital allait, lui, être plus précis : « il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier ». Donc était prolétaire pas n’importe quel salarié, seulement le salarié qui dans la production était en mesure d’engraisser le capital, lui procurer une survaleur, faire de telle sorte que A, l’argent engagé dans la production, devienne A’, c’est-à-dire se voit augmenté d’un profit. Ce qui n’est pas le cas du salariat du tertiaire, lui improductif pour le capital car ne le faisant fructifier en rien, au contraire celui-ci lui en coûte, tellement car devenu si nombreux, qu’il projette une automatisation d’une bonne partie de ses activités (exemple, le remplacement des caissières dans les supermarchés par des caisses automatiques), ce qui permettra au capital de réduire ses faux-frais et du même coup d’augmenter ses gains. Jean-Louis me dira que cette distinction entre travailleurs productifs et travailleurs improductifs n’a pas beaucoup d’importance, tous sont esclaves du capitalisme. Oui, bien sûr, mais Marx dans son Appel cité plus haut ne s’adressait pas à n’importe quel groupe social d’opprimés, à une masse de domestiques du tertiaire comme cela se passe aujourd’hui dans le cadre du capitalisme en phase terminale devenu effectivement désormais décadent, il s’adressait à une classe nouvelle que le capitalisme industriel avec les machines avec créé, les prolétaires modernes qui utilisaient ces machines, et qui dans l’esprit de Marx seraient à mêmes dans le communisme de les faire fonctionner pour le compte de la société et non plus pour le compte du capital. Cela fait donc une sacrée différence entre le salariat relié à la production industrielle et le salariat relié à des « services » comme cela se passe aujourd’hui, qui lui n’est jamais entré dans une usine, ne connaît rien de la production et serait bien en peine de la prendre en main si d’aventure on lui demandait d’exercer une telle tâche. Bien sûr, le capitalisme avec son machinisme avait mutilé la classe ouvrière en multipliant en son sein les simples OS travaillant à la chaîne, isolant ainsi le plus beau fleuron de cette classe : les ouvriers métallurgistes professionnels en bleu de chauffe dont maintenant on se moque bien content qu’ils aient disparu, mais qui eux étaient bien souvent à l’origine des conflits avec le capital, car les plus qualifiés, les plus conscients, les plus révolutionnaires. Avec son ultra-machinisme, son automatisation de la production, ne laissant subsister que quelques ouvriers complètement robotisés, le capitalisme en a terminé avec cette couche dangereuse du prolétariat et du même coup réduit à néant les espoirs révolutionnaires qui avaient été fondé à partir de la classe ouvrière.
Je n’ai donc « pas abandonné le marxisme » comme Jean-Louis le claironne dans la présentation de mon texte, ce sont les analyses de Marx sur le prolétariat qui m’ont abandonnées lorsque je me suis rendu compte de ce que le capitalisme avait fait d’une telle classe la réduisant avec son ultra-machisme à une portion congrue, ne laissant subsister qu’une mince couche d’ouvriers tous les autres ayant été virés car trop chers leur emplois se voyant délocalisés vers d’autres cieux, c’est-à-dire ces jeunes et pimpants pays capitalistes que sont la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Inde, les pays de l’est, où, tout aussi robotisés ils ont cet avantage de coûter beaucoup moins chers, donc de rapporter beaucoup plus. Mais je n’ai pas abandonné l’idée de révolution, qui elle se posera lorsque le capitalisme finira par s’écrouler car évidemment économiquement il n’est pas éternel. Seulement, il fallait la repenser. C’est ce que j’ai commencé à faire en 2013 avec un livre intitulé Repenser la révolution avec laquelle celle-ci n’aurait plus pour sujet le prolétariat, mais une immense majorité qui ne pourrait plus être assimilée au prolétariat vu que c’était le capitalisme lui-même qui dans ses pays de vieille souche s’était mis à le liquider. Ce qui me valut une cinglante diatribe de la part de Jean-Louis. Je passe dessus, lui aussi d’ailleurs. Tournons la page. Mon tort dans cet essai ce fut, je le confesse, de n’avoir pas suffisamment mis en avant le rôle du PARTI COMMUNISTE. En écrivant un Manifeste communiste pour le XXIe siècle, j’ai rectifié le tir, remettant au premier plan le rôle de celui-ci. Bien qu’il n’ait pas lu mon manifeste, c’est ce que Jean-Louis a perçu quand il a vu que dans mon texte sur le mouvement des « gilets jaunes » je soulignais fortement la nécessité de ce parti en ce qui concerne l’avenir d’un tel mouvement qui n’est pas fini mais va renaître avec plus de force et d’intensité, alors que lui semble avoir tiré un trait dessus attendant que le « prolétariat » entre en scène.
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Ce qui me vaut un autre reproche de la part de Jean-Louis Roche : je serai le promoteur d’un « parti rédempteur » c’est-à-dire d’un « léninisme caricatural », celui du Que faire ? du Lénine de 1902, celui qui avec ses intellectuels apporte de l’extérieur la conscience à la classe, pense à sa place comme le font tous les partis bourgeois, pour ainsi « intégrer les masses à un parti unique », comme l’ont fait les partis hitlérien et stalinien, lui me faisant « une fleur » en disant qu’avec ma conception « idéaliste » du parti c’est seulement celle stalinienne dont il s’agit. Merci Jean-Louis ! Je reconnais là tes dons de polémistes mais qui parfois manquent de perspicacité et de délicatesse car ne faisant pas toujours dans la nuance… Aussi, je vais donc répondre à Jean-Louis sur comment je comprends le parti, mais auparavant, en tâchant de n’être pas trop polémique à mon tour et que cela ne devienne un cassage de gueule idéologique, je vais lui signifier à partir de quel point de vue, lui, il parle pour me faire une telle critique.
Jean-Louis n’est pas un « conseilliste », il ne dit pas qu’il ne faut pas de parti, il dit, comme son maître à penser Marc Chiric, qu’il en faut un, mais point trop n’en faut, car c’est la classe qui compte. Tellement, que lorsqu’il s’agira de prendre le pouvoir il ne faudra pas que celle-ci se salisse les mains avec le pouvoir nouveau qui se sera mis en place, elle devra rester prudemment dans l’opposition. En quelles mains sera-t-il alors ? Mystère et boule de gomme ! Tout ça je l’ai entendu lorsque j’ai quelque peu fréquenté Chiric. Moi j’appelle ça de l’anarchisme, l’anarchisme de celui qui honteux d’être un anarchiste voudrait se faire passer pour quelqu’un d’autre, un marxiste par exemple. Jean-Louis en bon élève de Chiric a écrit un livre là-dessus intitulé Dans quel Etat est la révolution ? même si à la fin du livre on ne sait toujours pas dans quel Etat est la révolution. Autrement dit, la position de Jean-Louis comme celle de son mentor Chiric c’est l’anarcho-marxisme. Position très commode qui consiste à aboyer contre l’anarchisme quand il a affaire à des bobos libertaires « antifas » dont il a une sainte horreur – moi de même d’ailleurs – cela en faisant appel à Lénine, Bordiga même (il n’a peur de rien, mais si Bordiga avait connu sa position…) et en même temps d’envoyer dans les cordes un zigoto de mon genre avec un bon direct du droit appelé « léninisme caricatural » ! On peut dire ça autrement : il est pour le parti contre tous ceux qui sont contre, et contre le parti contre tous ceux qui sont un peu sérieusement pour. Après ça allez savoir ce qu’il pense exactement de la nature et de la fonction du parti et vous aurez bien de la chance….
Cela dit, cette question du parti devait quand même titiller Jean-Louis car j’avais remarqué lors d’une réunion en janvier 2017 à propos d’un livre sur Bordiga, que c’est lui qui avait demandé qu’on aborde cette question. Moi je m’étais proposé de l’exposer mais comme personne ensuite n’a donné suite à une telle proposition, je me suis tenu prudemment sur la réserve, ce qui fait que tout ça est resté dans le vague. Aussi, allons-y sur cette question. Je ne vais pas m’étendre mais aborder deux points essentiels : 1) qu’est-ce que le parti communiste, c’est-à-dire sa nature et sa fonction ; 2) comment le comprendre historiquement.
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Le communisme, en tant qu’utopie, philosophie, existe depuis la nuit des temps. Mais avec le capitalisme un changement se produit : il devient mouvement agissant. Quand ? Lorsque dans la société capitaliste il se passe de très violentes crises, des cataclysmes, et donc des malheurs extrêmes pour les hommes qui sont sous la coupe d’un tel système. Pourquoi une telle apparition du communisme dans le capitalisme ? Dans les sociétés qui ont précédées celui-ci il y avait également de grandes calamités (famines, épidémies, guerres, impôts de l’Etat écrasant les manants, etc.), et même si parfois il y avait des révoltes de gueux, cela faisait partie de l’ordre des choses, ou bien c’était Dieu qui l’avait voulu ainsi, ce qui fait que ces calamités étaient acceptées avec fatalité. Ce n’est plus ce qui passe avec le capitalisme. Celui-ci avec son développement des forces productives bouleversant sans cesse la société, lui étant « révolution permanente », les désastres qui sous son règne arrivent apparaissant non plus comme appartenant à la nature des choses, mais comme engendrés directement par lui, ce qui les rend beaucoup moins acceptables. D’où le communisme se présentant comme solution. C’est arrivé plusieurs fois dans l’histoire : en 1796, dans le cadre de la grande crise de l’Ancien Régime précapitaliste, dans les années 1840 en raison de la misère noire engendrée par les débuts du capitalisme, en 1917 à cause de l’horrible guerre industrielle capitaliste entraînant des hécatombes jamais vu dans l’histoire, le communisme devenant alors pour les possédants cet horrible « spectre » menaçant leur société. C’est donc d’une situation que surgit le communisme. Et alors que constate-t-on ? A chaque fois que celui-ci surgit se crée une organisation appelée le Parti communiste avec lequel, sous une forme plus ou moins développée, s’incarne le communisme: en 1525, de façon tout à fait embryonnaire, c’est le parti avec Münzer, en 1796 celui avec Babeuf, en 1848 celui avec Marx, en 1917 celui avec Lénine, eux chefs de parti. Quel est le groupe social dont le parti communiste se fait le porte-parole ? Cela peut être une classe, le prolétariat, mais aussi une plèbe comme en 1796, voire des paysans en révolte comme cela eut lieu en 1525. Quelle est sa composition sociale en interne ? Elle est hors-classes : le parti est cette minorité d’individus qui ne se préoccupant pas de la fiche d’état civile avec laquelle les range la société existante, ont fait du communisme la solution à la crise violente qui frappe alors la société. Autrement dit, il est le parti des communistes, car lui seul est communiste, pas la classe, pas la plèbe en révolte contre ses conditions d’existence. Etant en interne hors-classes il est du même coup une anticipation de la société sans classe communiste. Voilà pour la nature du parti. Passons maintenant à sa fonction. Celui-ci a une tâche unique : celle d’œuvrer à l’accomplissement de la révolution et par-delà à celui du communisme. En d’autres termes il n’est pas de ces partis qui tout se disant socialiste ou communiste passent leur temps et consacrent toute leur énergie à l’obtention de réformes et qui de ce fait n’ont à leur actif aucune action révolutionnaire, tout en prétendant qu’ils font cela en attendant la révolution. On peut être sûr que jamais ils ne la feront ! Telles furent l’AIT et la IIe Internationale qui dans leur pratique ne furent en rien des partis communistes révolutionnaires agissants. Un parti communiste c’est fait pour faire la révolution et rien d’autre ! Ce qui signifie pour lui éclairer les masses en diffusant parmi elles un programme clair répondant à leurs attentes, prendre la direction de leurs luttes et une fois le pouvoir pris jouer un rôle central dans son exercice. Voilà pour ce qui concerne la fonction du parti. Maintenant passons au deuxième point, c’est-à-dire sa présence historique.
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En 1851 Engels, en conclusion de son livre sur La guerre des paysans de 1525 en Allemagne, écrivait que « c’est le pire qui puisse arriver à un chef d’un parti extrême que d’être obligé de prendre le pouvoir en main à une époque où le mouvement n’est pas mûr pour la domination de la classe qu’il représente ». Ce « parti extrême » c’était le parti communiste de Münzer (lui tout à fait embryonnaire) qui prenait la tête de la révolte de malheureux paysans contre les princes féodaux qu’avait trahi le parti bourgeois de Luther s’alliant avec les princes. En 1847 dans La critique moralisante et la morale critisante, Marx notait que Babeuf et son groupe de conjurés avaient été en 1796 « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant ». Parti qui projetait de se mettre à la tête de la plèbe des faubourgs qui avait subi un sort cruel durant l’hiver 1795-96 et s’était déjà révoltée en germinal et prairial 1796. Dans les deux cas observés par Engels et Marx il y a donc l’existence d’un parti communiste, même si c’est d’une façon encore embryonnaire, surtout en 1525, sans que la classe ouvrière moderne soit présente. Maintenant voyons ce qu’il en fut du parti lorsque celle-ci entra en scène.
Un parti communiste ayant pour base la classe ouvrière et la conduisant pour faire la révolution cela n’eut lieu qu’une fois. En Russie en 1917, à l’occasion de l’épouvantable guerre industrielle qui s’était déclenchée en 1914. Auparavant existait bien un petit noyau, la fraction de Lénine se rattachant plus ou moins au Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) mais c’est entre avril et octobre 17 que naquit véritablement dans cette grande cité ouvrière de meurt la faim et de soldats refusant de continuer d’aller à la guerre qu’était Petrograd, le parti qui allait ensuite être mondialement connu sous le nom de Parti bolchevik celui-ci profitant par la même occasion de s’appeler communiste – pendule remise à l’heure donc. Qu’est ce qui avait engendré un tel parti ? Le prolétariat ? La lutte des classes qui s’était enclenchée du fait des privations de la guerre ? Les intellectuels révolutionnaires ? On peut voir ça comme ça, mais c’est la situation catastrophique qui avait entrainé une telle lutte à mort des ouvriers et des soldats contre le capitalisme et sa guerre qui permit au Parti bolchevik d’exister vraiment, sinon pfft ! de parti il y en aurait peut-être eu un, mais de type frelaté, semi réformiste, semi révolutionnaire, inachevé donc, la révolution avec lui se terminant en eau de boudin. C’est la situation de guerre et l’impossibilité de la bourgeoisie d’y mettre fin en raison de son alliance avec les pays belligérants de l’ouest, la France et l’Angleterre, qui amena les ouvriers les plus avancés, les plus intelligents, les plus révoltés, à s’organiser en parti de classe révolutionnaire. Seulement voilà, ce parti-là, communiste, révolutionnaire, plein d’ouvriers, mais aussi armé d’intellectuels (car il en faut bien pour instruire les ouvriers avancés comme disait Lénine, c’est-à-dire cette petite fraction dissidente des classes aisées ayant eu, elle, accès à l’instruction, ceux qui prétendent s’en passer n’étant que des petits bourgeois intellectuels ouvriéristes démagogues et irresponsables), en mesure de fiche en l’air le pouvoir capitaliste (car évidemment sans le Parti bolchevik pas d’Octobre 17, seulement des soviets collaborationnistes du pouvoir de Kerenski et à la fin liquidés manu militari par un autre Kornilov qui aurait, lui, cette fois réussi), ce parti-là donc, hors de Russie, fit pschitt ! En Allemagne la paix revenue des évènements révolutionnaires eurent bien lieu mais qui bien vite se dégonflèrent. Le Parti communiste qui s’était constitué à la fin de décembre 1918 n’eut jamais de prise véritable sur les masses ouvrières. Dominé à ses débuts en son sein par ses gauchistes majoritaires qui ne voulaient pas entendre parler d’un « parti de chefs »(en fait qui ne voulaient pas de parti dirigeant la lutte - la révolution n’est pas une affaire de parti » disait l’ultragauchiste Otto Rhüle), dut rapidement scissionner pour ensuite chercher à se reconstituer artificiellement sur une « base élargie » avec tout un pan du Parti socialiste soit disant indépendant, ce qui signa sa fin comme parti révolutionnaire. En fait, mort-né fut un tel parti. En Italie le parti faux cul socialiste qui durant la guerre ne voulait ni adhérer ni saboter, arriva avec son pseudo « maximalisme » à faire trainer suffisamment les choses en longueur, afin que durant le bienno rosso de 1919-20 rien de vraiment révolutionnaire n’ait lieu, ce qui fait qu’une fois la vague de colère passée, le parti fasciste soudoyé par les industriels n’eut plus qu’à entrer dans la danse, liquidant avec ses « expéditions punitives », parti socialiste réformiste, bourses du travail, coopératives, et bien sûr le parti communiste avec à sa tête Bordiga, qui n’avait pu se constituer qu’en 1921, et qui lui aussi fut un parti communiste mort-né (après 1923 il se fait gramsciste, puis staliniste). Ailleurs, en France, Angleterre, Espagne, Belgique, Hollande, Suède, Norvège, Suisse, Autriche, Yougoslavie, Grèce, ne parlons pas des USA, en guise de parti presque rien, en fait que dalle ! Pas l’ombre d’un vrai parti communiste ouvrier, que des pseudos qui allaient vite se faire staliniens. Tel est le bilan qu’il est possible de faire du parti communiste à base prolétarienne qui depuis n’a jamais refait surface.
Que faut-il en conclure ? Qu’avec un tel parti c’est fini ? Oui. Car depuis un siècle de l’eau a passé sous les ponts. Le capitalisme après 1945, avec son Etat-providence, sa société de consommation, intégra complètement la classe ouvrière, ce qui rendit tout à fait impossible sa résurrection, toutes les tentatives de créer un parti tombant misérablement à l’eau, y compris celles qui plus modestement se bornaient à créer de petits groupes visant à préparer la voie à sa création. Mais ce n’était pas fini. A partir de 1975, le capitalisme entré dans sa phase terminale se mit à démanteler par pans entiers le prolétariat le remplaçant par du « tertiaire », ce qui fait qu’aujourd’hui celui-ci en tant que classe n’est plus qu’une ombre, n’existant même plus comme classe prolétarienne réformiste, et que vouloir que ressuscite un tel parti de classe n’est plus maintenant qu’un rêve donquichottesque.
Ce qui ne signifie pas qu’un autre parti communiste ne puisse voir le jour. Comment ça ? A partir de quelle base sociale il se constituera ? A partir d’une non-classe (déjà perceptible avec le mouvement aclassiste des « gilets jaunes ») qui ne pourra plus se reconnaître dans une classe du fait de la décomposition complète de toutes les classes, demi-classes, pseudo-classes (« nouvelles classes moyennes » comprises qui comme tout le monde se retrouveront le bec dans l’eau), elle consécutive à la chute du capitalisme qui surviendra à la suite de sa phase terminale. Non-classe qui sera au fond une classe, la classe des laissé-pour-compte que le capitalisme dans son effondrement aura engendrés et précipités dans la misère, elle devenant l’immense majorité de la société. Parti par conséquent qui ne sera en rien une création « idéaliste » (comme me l’attribue Jean-Louis) mais qui verra le jour en raison de la situation de détresse, elle bien matérielle, qui saisira cette non-classe.
Ce qui toutefois distinguera ce parti c’est qu’il devra être un fort parti communiste. Pourquoi ça ? Comme je l’ai rapidement signalé dans mon texte sur les « gilets jaunes », depuis un siècle le capitalisme ne s’est pas contenté de se développer économiquement, il a mis en place un système de domination que même les Mussolini, Hitler, Staline n’avaient pas réussi à mettre au point, ceux-ci n’arrivant pas à la cheville de ce capitalisme totalitaire qui gouverne désormais la planète. « Les fascistes ont perdu la guerre, mais c’est le fascisme qui l’a gagné » disait Bordiga. Tout à fait pertinente cette appréciation. Ce que l’on peut ajouter, c’est qu’en guise de totalitarisme le capitalisme dit « libéral » est allé en la matière bien au-delà des espérances du fascisme. Désormais, c’est dans tous les domaines de la vie des hommes que sa domination s’exerce : pas seulement dans la politique comme c’était le cas avec le fascisme, mais dans leur travail, leurs loisirs, leur environnement urbanistique, leur imaginaire. Il en a résulté une humanité affaiblie, diminuée, effectivement « inculte » politiquement comme dit Jean-Louis à propos des « gilets jaunes », donc plus influençable que celle qui l’a précédée, car ayant été complètement intoxiquée par ce système capitaliste moderniste possédant des moyens d’assujettissements autrement plus puissants – propagandistes (télés), techniques (confort) économiques (consommation) – pour attacher les hommes à son système que n’en avait l’ancien capitalisme d’il y a un siècle, lui beaucoup moins perfectionné. Si l’on ne comprend pas ça on ne comprend rien au capitalisme auquel on a désormais affaire. Et du même coup on ne comprend pas pourquoi désormais la présence du parti communiste sera plus que jamais nécessaire pour éclairer et guider cette masse qui aura été abêtie, décervelé, rendue décadente par un tel capitalisme. Ce qui impliquera un fort parti communiste pour combattre les fétichismes que celui-ci avait promu et divulgué, à commencer par celui de la démocratie, qui elle n’est pas autre chose que l’instrument politique de sa domination totalitaire ; et aussi un fort parti communiste sur le plan interne qui devra se faire compact, monolithique même, pour pouvoir mener à bien une telle tâche.
Voilà mon cher Jean-Louis ce que je pense de la nature et de la fonction du parti. J’espère ne pas avoir été trop long et ennuyeux. Ce faisant, je n’ai pas trop fait dans la théorie abstraite. J’ai voulu traiter ce sujet d’une manière vivante, historique, faisant valoir que le parti communiste après avoir eu une vie dans le précapitalisme, puis dans le plein capitalisme, en aura encore une dans le post-capitalisme. Je sais, tu ne seras pas convaincu, tu continueras de penser autrement, néanmoins j’espère de toi un peu d’honnêteté pour ne pas dire n’importe quoi à propos de ma conception du parti – conception qui à défaut d’être « hitlérienne » serait « stalinienne »….
Bien à toi
CB