"Avec
la garantie que la paix va régner pendant de nombreuses années, le
monde est sur le seuil d'une grande expansion commerciale."
Herbert Hoover (novembre 1928)
« Tout
désastre financier est vite oublié. (...) Lorsque des circonstances
identiques ou très proches se reproduisent, parfois à quelques
années d’intervalle seulement, elles sont saluées par une
nouvelle génération, souvent jeune et toujours suprêmement
confiante en elle-même comme une découverte brillamment novatrice
dans le monde de la finance et plus largement de l’économie ».
JK Galbraith
Des
milliers d'avocats se retrouvent au chômage subitement à cause d'un
stupide virus. Ce n'est pas très grave, il s'agit d'une profession
parasitaire quasi inutile en temps de guerre et de crise mondiale,
comparée aux professions d'infirmières et d'éboueurs. On ne voit
plus le nez des employés de banque, confinés avec leurs
coffre-forts, professions qui seront devenues inutiles dans le monde
futur où exploitation et argent auront été abolis, avec comme
moyen d'échange la carte rouge, qui, à mon initiative, est appelée
à remplacer l'ignoble CB et ses versions Elite ; et dont la
valeur sera constituée par les heures de travail effectives que vous
aurez effectuées.
Tout
le monde semble se rendre compte de la gravité croissante de la
crise actuelle, qui n'est plus seulement sanitaire, sauf Alain Minc1.
La hantise du chômage est en train de succéder à la peur du virus.
A la crainte du chômage massif et de longue durée s'ajoute la
peur... de ne plus avoir un rond à la banque, ou de se faire piquer
sa petite épargne. La plupart des gens ne savent pas qu'en temps de
guerre ou de grave crise économique l'Etat a tout pouvoir pour se
servir, et donc pas seulement en baissant les salaires. Ceux qui n'y
ont pas réfléchi ont été toutefois interloqué par la fille Le
Pen. Sur TF1, mardi soir, Marine Le Pen a affirmé qu'en cas de crise
financière, «la banque ira directement ponctionner dans les comptes
en banque des déposants». Emoi (et moi?) dans les rédactions !
Le Figaro saute sur l'occasion : « Les
banques peuvent-elles «piocher» dans l'épargne des Français ? ».
Et tente de rassurer l'effroi qui vous a saisi :
« La
déclaration de Marine Le Pen est exagérée et imprécise sans être
totalement fausse. Depuis le 1er janvier 2016, selon une directive
européenne transposée en France, les comptes clients dotés de plus
de 100.000 euros de dépôts peuvent en effet être prélevés pour
contribuer au sauvetage de leur banque. Les petits épargnants ne
risquent donc pas, comme l'explique Marine Le Pen, de voir leurs
économies disparaître, d'autant que les déposants ne seront
sollicités qu'en troisième recours.
la
directive relative au redressement des banques et à la résolution
de leurs défaillances (BRRD) a été transposée par ordonnance à
la France le 21 août 2015, avant d'entrer en vigueur le 1er janvier
2016.
Jusqu'alors,
les établissements bancaires en faillite se tournaient vers les
actionnaires puis les créanciers. Désormais, ils auront une
troisième possibilité: les déposants, qui ne seront toutefois
sollicités qu'en troisième recours. Dans un premier temps, les
ressources internes de la banque (le capital et les obligations)
peuvent être immédiatement utilisés pour couvrir le déficit de la
banque. Puis, en dernier lieu, les dépôts bancaires de plus de
100.000 euros.
(…) Depuis
le 1er janvier 2016, la ponction des comptes bancaires est légale en
France ! C’est à cette date qu’est entrée en vigueur dans
notre pays la directive BRRD ou DRRB en français, pour « directive
sur le redressement et la résolution des banques ». Cette
directive européenne transposée en droit français autorise une
banque au bord de la faillite à ponctionner directement les comptes
de ses clients. Jusqu’ici, les établissements bancaires en
faillite se tournaient vers leurs actionnaires puis leurs
créanciers ».
Qui
croire ? La crise des subprimes en 2008 n'a-t-elle pas ruiné
des milliers de petits épargnants américains ?
Et
le krach de 1929 ? qui a été lié à l'éclatement d'une
bulle spéculative. C'était un temps où "le
laveur de carreaux » suivait les cours de la bourse. Nos
anarchistes et gauchistes ne plaident dans l'ordinaire de leurs
manifs trade-unionistes que pour la paye, sans savoir que les
ouvriers depuis le XX ème siècle ont aussi une autre source de
revenu que le salaire, ils peuvent être actionnaires. C'est bien la
preuve de l'embourgeoisement de la classe ouvrière, nous ont assuré
longtemps les bobos modernistes ! Alors que des titres, pour
« petits porteurs » peuvent être un complément de
salaire2.
En
1929, un Américain sur cent possédait un portefeuille d'actions.
Quel est le prolétaire des bureaux ou des professions insignifiantes
qui ne possède pas aujourd'hui un Livret A, une assurance vie ?
Et
bien il va tout perdre lui aussi (et moi aussi) au rythme où va la
crise pandémique !
En
une journée de 1929, des millions d'épargnants américains de
toutes les classes perdent leurs économies. C'est véritablement un
effondrement du « pouvoir d'achat » qui entraîne une
chute de la demande et ralentit la production. Quatre millions
d'Américains sont au chômage en 1930, huit millions en 1931, douze
millions en 1932. En 2020, on approche presque le double déjà. La
crise en 1929 se répand au monde de façon fulgurante. En 2020, elle
est déjà répandue... sans être partie des Etats-Unis ni
directement d'une crise financière, mais d'une jeune taupe nommée
Covid-19 !
Vaut-il
mieux perdre ses économies ou perdre sa vie ? Ceux qui sont en
bonne santé, et sont rodés aux gestes barrières avec masque
certifié, croient tout du moins que, comme autrefois, l'or pourrait
être une valeur refuge. Plus de dix millions de travailleurs sont en
ce moment en travail partiel, 50% de l'ensemble ne travaille pas.
Cela laisse beaucoup de temps pour consulter sur internet comptes et
titres, d'autant que le confinement a favorisé l'épargne
involontaire... et que la question économique fait partie du souci
quotidien plus des prolétaires que des banquiers. L'or demeure de
l'ordure à spéculateurs. Si l'Etat doit ponctionner nos comptes en
banque, il ponctionnera éventuellement ton seul ligot d'or ou les
deux Napoléon dont tu as hérité de ta grand-mère. Au-delà de
l’actuelle crise sanitaire et de ses innombrables impacts,
existe-il un risque de faillite des établissements bancaires ?
Et donc un risque de se faire piquer ses petites économies ?
Déjà qu'il a été claironné depuis quelques années que, avec
l'inflation aléatoire, les taux d'intérêt ne rapportent plus rien.
Les
salariés ne peuvent pas échapper aux banques. Le versement des
salaires est obligatoire par chèque ou virement. Et puis avec 1500
euros par mois, l'agiotage ne sera jamais fructueux. A tout moment
l'Etat, tout comme il peut supprimer l'aide au chômage, peut geler
les contrats d'assurance-vie, interdire la vente d'or ou le
confisquer, lancer des emprunts forcés. Les loyers qui ne peuvent
être payés dans les quartiers paupérisés par habitants et petits
boutiquiers ne pourront pas compter sur la mansuétude des banques.
Comme au début du voyage planétaire du coronavirus (était-ce une
gripette?) l'inquiétant krach financier mondial que se profile, on
tend toujours à espérer qu'il ne soit qu'une « crisette »,
sans oser imaginer une faillite générale du capitalisme.
LA
CRISE PEUT-ELLE ETRE RUISSELANTE … COMME LA GUERRE
L'économiste
Milton
Friedman, qui avait inventé
le principe de la "monnaie hélicoptère" en 1969, disait
que pour résoudre la crise, il fallait faire voler un hélicoptère
de la banque centrale au-dessus des villes pour déverser des tonnes
de billets à la population. Autrement dit, les banques
centrales,
au lieu de donner de l'argent aux États, le donneraient directement
aux citoyens.
Ceci devant permettre
de relancer directement la consommation et
donc la croissance. Sauf qu'en 2019 en France, l'État français a
investi 17 milliards d'euros de mesures "gilets jaunes", la
consommation n'est pas vraiment repartie et, en général et les
gilets jaunes aussi, on a déposé en revanche 16,5
milliards d'euros sur nos livrets A3.
On
est ému et secrètement dubitatif lorsque l'on voit la pluie
d'argent qui est déversée pour aider entrepreneurs et salariés, la
débauche d'explications digne d'un soignant qui panse un blessé qui
pisse le sang de partout, en affirmant que tout va bien, que tout ira
mieux, et qu'enfin on l'espère4.
On
dit que la guerre peut être la solution. Pour certains mais jamais
pour tout le monde. L'histoire du financement étatique et du rôle
de la monnaie reste à faire. Le
financement de la Première
Guerre mondiale
fut
très lourd et pesa sur le franc, retardant le rétablissement de sa
convertibilité en or. Les dépenses pour la guerre étaient
évaluées à 20 milliards de francs (le budget pour 1914 était
de 5 milliards) : les dépenses réelles furent de
140 milliards. Seuls 15 % étaient couverts par l'impôt
(dont l'impôt
sur le revenu
voté
en 1914 et appliqué en 1916-1917). La Banque de France utilisa le
stock d'or pour gager les premières dépenses à hauteur de 5 %
à 8 % comme il était d'usage, car la BCE n'existait pas. Une
autre solution pour couvrir les frais de guerre fut l'emprunt :
auprès de la population française sous forme de « bons de la
défense » : 75 milliards à court terme, et
25 milliards en emprunts à long terme. Il y eut aussi des
emprunts à l'étranger : un milliard
au
Royaume-Uni
et
aux États-Unis.
Tout cela entraîna une inflation
importante
et une baisse du franc sur le marché des changes. En avril 1920, le
franc avait déjà perdu près de 70 % de sa valeur vis-à-vis
du dollar par rapport à la parité d'avant-guerre.
La
France perdit surtout des millions d'hommes dans la boucherie (comme
l'Allemagne), mais sa monnaie perdit sa valeur et « sa
victoire » la conduisit à rançonner l'Allemagne, ce qui
servit à produire le nazisme. Cela ne l'empêcha pas de subir
plusieurs dévaluations ; le gouvernement du Front popu en fît
deux, abandonnant en octobre 1936 la convertibilité en or. En 1940,
l'occupant allemand imposera un taux prohibitif de 20 francs pour 1
reichsmark
(il était de 13 francs en septembre 1939). Après 1945 le monde
entier devra se baser sur la monnaie du vainqueur : le dollar.
À
la Libération
les Américains
tentèrent d’imposer le « billet
drapeau »
(US
Occupation franc).
Mais De
Gaulle
s’y opposa et fît retirer cette monnaie de la circulation, la
considérant comme de la contrefaçon.
Les américains avaient déjà fait le coup en 1943 en Corse libérée,
mettant en circulation des billets du Trésor fabriqués à Londres
et libellés en franc. C'est avec la même goujaterie qu'ils
procéderont avec le mark allemand en 19485.
La monnaie n'est pas un objet sacré ni une institution nationale ou
citoyenne, mais un vulgaire trafic de devise
Le
26 décembre 1945, la France ratifie les accords
de Bretton Woods :
la convertibilité en or est suspendue pour toutes les monnaies sauf
pour le dollar américain, qui devient la monnaie de référence dans
le cadre du Fonds
monétaire international
(FMI).
Toutes les monnaies du nouveau système
monétaire international
sont
définies en dollar et seul le dollar est défini en or sur la base
de 35 dollars par once
d'or
fin.
Le jour même, le franc est dévalué de 60 %. Le dollar
s'établit à 119,10 Francs.
Le nouveau franc est créé en 1960 ; il est démonétisé en
1999 et remplacé par l'euro. Il cache une hausse du coût de la vie,
comme on dit.
UNE
SOLUTION : L'EFFACEMENT DES DETTES
Le
29 décembre 1917, Lénine signait un décret ne reconnaissant plus
les « dettes tsaristes ». Ainsi, des sommes colossales
ayant servi à moderniser l'économie russe, les chemins de fer, dès
la seconde moitié du XIXe siècle n'ont jamais été remboursées.
Cette décision frappe les principaux souscripteurs, que sont par
ordre de grandeur, la France et la Grande-Bretagne, sans oublier la
Belgique. Cent ans après des
Français porteurs d’emprunts (de leur grand-mère) émis pour
financer les chemins de fer russes et garantis à l’époque par le
gouvernement impérial, ont dû se résoudre à ne plus rien espérer
tirer des maudits assignats russes. Encore ne s'agit-il là que d'une
vieille histoire concernant des particuliers floués par les Etats
russe et français, victimes d'abus de confiance... en leur propre
vénalité. On est tombé dans un tout autre monde en ce début de XX
ème siècle où les principaux endettés sont les Etats, qui
tiennent par le fonctionnement à plein régime de la planche à
billets. Ce qui aboutit toujours, pour les plus petits au défaut de
paiement ou à de longues tractations pour un moratoire ou un
effacement des dettes, ce dernier étant bien plus possible sous le
coup d'une révolution, par exemple comme en 1917.
La
“planche à billets” revient à créer de la monnaie ex-nihilo,
c'est-à-dire sans création de richesse correspondante. En effet, en
temps normal, pour pouvoir créer de la monnaie, la banque centrale
d'un pays doit disposer de compensations à l'actif de son bilan, en
l'occurrence de l'or, des réserves de changes et des titres
(notamment des obligations d'Etat). C'est ce que l'on appelle les
contreparties de la masse monétaire. De la sorte, il existe une
correspondance entre la monnaie en circulation et la réalité
économique du pays. Cela permet notamment d'éviter les dérapages
inflationnistes
Le
seul danger de cette stratégie est que la conséquence inévitable
d'un excès de création monétaire est une inflation galopante. En
effet, si la monnaie en circulation ne correspond pas à une création
de richesse équivalente, la différence se traduit par davantage
d'inflation : si les quantités ne s'ajustent pas, ce sont les prix
qui le font. Ces excès de liquidités sont en train de susciter
l'augmentation des prix à la consommation. Ces « excès »
d'arrosage financier vont alimenter des bulles financières de plus
en plus dangereuses. Ce sont des prêts à des Etats surendettés. Le
surendettement massif s'est toujours terminé par un défaut de
paiement ou une guerre.
Avec la planche à billets il s’agit de simples jeux d’écriture
par lesquels l’institut d’émission achète des titres
financiers, des dettes d’État et même des titres d’entreprise
qu’elle gardera dans son bilan. Ce déversement de liquidités est
une trouvaille des économistes modernes pour faciliter ou relancer
la vie économique, en permettant aux États surendettés de
financer leurs déficits ; et les déficits explosent avec le
confinement généralisé.
Le
patron de la Banque de France a dit sans fard : « il
faudra bien rembourser ». Qui va rembourser alors qu'il est
inimaginable de pourvoir rembourser des sommes pareilles même dans
le long terme ? Récemment l'Etat islandais avait lâché prise,
et est allé quémander une aide au FMI.
Ils
ne s'en vantent pas, mais les Etats ne peuvent pas emprunter autant
qu'ils le voudraient.
Une dette de 100% du PIB signifie que, pour rembourser la totalité
de sa dette, un pays devrait travailler pendant un an et consacrer la
totalité des revenus ainsi produits au remboursement de sa dette.
Durant cette année fictive, les habitants de ce pays ne pourraient
ni manger, ni s'habiller, ni payer leur électricité, leur gaz, leur
essence, leur loyer, etc.
D'abord,
en situation de grave crise comme actuellement, il vaut beaucoup,
beaucoup mieux que les Etats s'endettent pour soutenir l'activité
plutôt qu'ils ne le fassent pas. En s'endettant pour financer des
mesures de soutien à l'activité, les Etats évitent des
destructions massives d'emplois, la perte irréversible de certaines
entreprises, voire d'industries entières.
La
dette de l'Etat est certes un pari plus risqué que jamais. Mais elle
évite la possibilité de violences sociales massives, que ni le
petit nombre de flics ni la peur du virus ne pourraient empêcher.
Les
dettes des particuliers et des petites entreprises ne pourront pas
être couvertes par les fonds de garantie, elles sont trop énormes
désormais. L'Etat n'est déjà pas crédible avec son endettement à
tout va et la contradiction où il est coincé entre l'exigence de
reprise du travail et son impossibilité de garantir une protection
des prolétaires.
UNE
AUTRE SOLUTION : LA GUERRE
Des
héritiers de Galbraith expliquent que ce n’est pas le New Deal,
mais la Deuxième Guerre mondiale, qui a permis la sortie de crise,
en s’appuyant notamment sur les propos de sir William Beveridge (
le père du welfare state britannique) selon lequel : « le
seul remède souverain que le capitalisme ait jamais découvert
contre le chômage, c’est la guerre ».
Cependant,
en 1918 le monde ne ressemblait plus à ce qu’il était en 1914.
Alors que le capitalisme était au début du 20e siècle la forme
d’organisation économique dominante, au cours de la Première
Guerre mondiale, en 1917, la révolution russe en imposait une
nouvelle, le socialisme, faisant naître dans le prolétariat
international des espoirs de changement complet de société. D’un
autre côté, le centre de gravité de l’économie mondiale a
changé. Les vingt années qui suivirent furent marquées par
d'intenses luttes de classes d'un niveau qu'on n'a jamais connu
depuis la fin des années 1960 dans le monde. La Seconde Guerre
mondiale apportera les marchés que la bourgeoisie attendait, en
Europe, mais surtout aux États-Unis. Ce n'était pas gagné. En
mars 1919, le premier ministre britannique, David Lloyd George
écrivait une lettre à son homologue français, Georges Clemenceau :
« l’Europe
toute entière est gagnée par l’esprit révolutionnaire (…).
L’ordre établi, sous ses aspects politiques, social, économique,
est remis en question par les masses de la population d’un bout à
l’autre de l’Europe ».
Le représentant américain à Paris, Edward M. House, exprimait les
mêmes appréhensions dans son journal intime : « le
Bolchevisme gagne partout du terrain (…). Nous sommes assis sur une
poudrière qu’une étincelle peut faire sauter à tout moment ».
De nombreux pays étaient en proie à des désordres sociaux, tant
chez les vainqueurs que chez les vaincus, comme par exemple : la
Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Turquie, la Grèce,
l’Autriche… et bien sûr l’Allemagne (avec la révolution
spartakiste en novembre 1919). De plus, autre signe de ce
mécontentement manifeste, les armées françaises et britanniques
furent aussi secouées par des mutineries de soldats. Des grèves
eurent également lieu en Angleterre. Des troubles éclatèrent aussi
en Italie et en Espagne.
La
révolution russe de 1917 avait marqué les consciences dans le
prolétariat montrant grandeur nature, qu’une autre (autre que le
capitalisme) forme d’organisation sociale et politique était
possible, d’où les craintes des dirigeants politiques et des
milieux d’affaires. Ainsi, les armées françaises et britanniques
envoyées pour combattre la révolution bolchevique refusèrent
parfois de combattre (ce fut notamment le cas à Arkhangelsk). Les
troupes françaises durent être évacuées à Odessa et d’autres
ports de la Mer noire après des mutineries.
La
main invisible du marché restait la messe. Toute
forme de dirigisme économique était rejetée. Pourtant, le krach de
1929 a redonné à l’Etat un rôle économique majeur, que la
Deuxième Guerre mondiale renforça plus encore. On peut retrouver le
même optimisme à courte vue qui règne chez nos décideurs dans le
marasme causé par le virus.
En
1930, Hoover déclara : « Tous
les signes indiquent que les pires effets du krach sur l’emploi
auront été surmontés d’ici à deux mois ».
Roosevelt
employait le mot guerre comme Macron, comme si le pays était face à
une « invasion
ennemie venue de l’étranger ».
En 1938, une personne sur cinq était encore au chômage. Lorsque
l’Europe entre en guerre, l’économie américaine bénéficie
d’un effet d’aubaine en devenant l’« arsenal des
démocraties en guerre ». Après sa réélection en 1940,
Roosevelt fait voter une loi de prêt-bail qui permet de vendre des
armes aux pays engagés dans la guerre. Mais, suite au prétexte de
l’attaque japonaise de Pearl Harbor, les États-Unis entrent en
guerre et deviennent une immense industrie qui survient aux propres
besoins du pays et de ses alliés. Par ailleurs,
Les
États-Unis ne virent pas dans un premier temps d’un mauvais œil
l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne car il apportait de
la stabilité politique6,
des marchés (IBM, Coca Cola, notamment investirent en Allemagne à
cette époque) et un rempart contre le communisme. Le 6 janvier 1942,
le message de Roosevelt est clair. Il faut produire : 60 000
avions, 45 000 chars, 20 000 canons de DCA, 18 millions.
Les
États-Unis ont suivi, à quelques années d’intervalle,
l’Allemagne Nazie qui mobilisa toutes ses ressources pour
développer une industrie de guerre. Le chômage baissa rapidement,
il passa d’environ 6 millions à 700 000 entre 1933 et 1937. La
militarisation de l’industrie allemande se fit progressivement,
mais sûrement. Les dirigeants des entreprises furent satisfaits de
bénéficier des commandes militaires, alors qu’elles étaient en
situation de crise. De plus, le nazisme « faisait
(…) disparaître par des garanties de livraison et de prix les
incertitudes » ;
comme nos fournisseurs de masques chinois... Le nouveau pouvoir
apportait non seulement une sécurité économique pour les
entreprises (par le biais des commandes militaires), mais de plus les
industriels allemands pensaient aux avantages qu’ils pouvaient
obtenir sur le plan social, la terreur pour continuer à « confiner »
le mouvement ouvrier. Ces commandes militaires avaient une autre
valeur et un autre impact économique que les millions de masques
envoyés par la Chine avec lesquels elle ne va pas gagner « sa
guerre », ni relever son économie fragilisée également par
la pandémie.
Pourquoi
sont-ce les commandes d’armements qui en Europe, comme aux
États-Unis, ont relancé durablement l’économie ? Alors
qu’en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis,
les entrepreneurs étaient fondamentalement contre toute forme de
dirigisme économique ? Ce
n’est pas l’augmentation du prix du pétrole en 1973 qui a mis
fin aux trente glorieuses. Les signes de crise étaient manifestes
dès le milieu des années 1960 en Europe, comme aux États-Unis7.
Plus probablement la fin de la reconstruction. A-t-on oublié que le
capitalisme est intrinsèquement instable.
Une instabilité économique, sociale, technologique, scientifique,
politique et militaire qui est en train de le mener à sa perte.
Les
crises de 1929 et de 2020 ont en commun de s’être produites à un
moment où le marché était la solution à tous les maux économiques
et sociaux, celle de 2020 est beaucoup plus grave, mais pour l'ordre
bourgeois, parce qu'il n'est plus en mesure de faire la guerre. Il
reste un point commun entre 1919 et 2020 qui est à la fois la
brutalité et la durée de la crise, et la perplexité des élites,
des docteurs et des économistes face au phénomène. Quels ne furent
pas en 1920, comme en 2020, les économistes pour qui l’économie
était saine et qu’il fallait avoir confiance dans l’avenir.
La
planche à billets va-t-elle tuer le covid-19 ou faire éclater la
bulle ?
NOTES
3Ce
livret est devenu insensiblement une arnaque. En 2018 un
hebdomadaire titrait : « Livret
A: les Français ont perdu près de 4 milliards d'euros en 2018 ».
4La
presse financière exulte : « La
Banque centrale européenne (BCE) a fait ce qu’il fallait pour
éteindre l’incendie. Au total, elle va injecter un peu plus de
1 000 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année.
Cet argent est essentiellement consacré à racheter les obligations
des pays de la zone euro. En clair, la BCE éponge les dettes des
Etats, leur permettant de financer l’urgence, en particulier le
chômage partiel et les prêts aux entreprises. Pour l’instant, ce
plan a à peu près fonctionné. Les marchés se sont calmés ».
5Juin
1948 : Le dimanche, le pays connaît les queues les plus
longues de son histoire. Chaque titulaire d'une carte d'alimentation
ne peut changer que 60 anciens Reichsmark. Contre cette somme, il
reçoit immédiatement 40 nouveaux marks, imprimés en secret aux
Etats-Unis et acheminés dans le pays fin 1947 dans 23.000 caisses
portant la mention « poignées de portes ». Les 20 marks restants
leur seront versés en août. Et le lundi 21, le pays connaît le «
miracle des vitrines » : les marchandises auparavant distribuées
contre des tickets de rationnement ou plus souvent vendues au marché
noir sont à nouveau disponibles. Sans restrictions.
Depuis
1945, près de 400 projets de réforme monétaire avaient été
préparés, par les Allemands comme par les Alliés. Tous
s'accordaient sur un point : il fallait impérativement éponger
l'énorme masse monétaire en circulation, qui représentait dix
fois les besoins, conséquence des dépenses de guerre des nazis.
Toutes proportions gardées, il s'agissait de procéder comme le 1er
novembre 1923, lors de l'introduction du Rentenmark _ devenu onze
mois plus tard Reichsmark_ après une période d'hyperinflation
consécutive au premier conflit mondial, qui avait conduit le dollar
au niveau de 4.200 milliards de marks...
Outre
le change des 60 premiers Reichsmark, les experts sont tombés
d'accord pour remettre les compteurs quasiment à zéro. La moitié
des sommes disponibles sur les comptes épargne est changée
immédiatement, 100 Reichsmark donnant 10 deutsche Mark. Le reste
est bloqué puis changé en octobre à raison de 3 deutsche Mark
pour 100 Reichsmark. Au détriment des acteurs du marché noir,
notamment des paysans. Les dettes sont, elles, converties au taux de
10 deutsche Mark pour 100 Reichmark, et les salaires, à celui de 1
pour 1. Selon Ludwig Erhard, qui deviendra ensuite le symbole du
relèvement du pays en tant que ministre de l'Economie entre 1949 et
1963, puis chancelier durant trois ans, 93,5 % de la masse monétaire
sont ainsi retirés de la circulation. Comme en 1948-1949, la
monnaie a précédé la politique : le deutsche Mark a été adopté
à l'Est le 1er juillet 1990, trois mois et trois jours avant la
réunification. Alors que les experts jugeaient réaliste un taux de
change de 1 deutsche Mark pour 5 Ostmark, le chancelier Kohl a
choisi de procéder à un échange de 1 pour 1 jusqu'à 6.000 marks
(et 1 pour 2 au-delà).
https://www.lesechos.fr/2002/02/le-miracle-du-deutsche-mark-1055099/
Une récente émission de la chaîne parlementaire a aussi bien
rappelé la filouterie des américains.
7Sophie
Boutillier doit connaître les analyses du CCI.