Herbert Marcuse doit beaucoup à l’observation
des « nouveautés » du sieur Hitler, et pas seulement lui. Il a
produit des textes intéressants sur le nazisme qui ne sont toujours pas
traduits car pas à la mode. Le nazisme a laissé des traces qui ne sont pas
perdues pour tout le monde, hors les banalités diaboliques qui voilent son rôle
efficient de délégué de la bourgeoisie en guerre notamment cette vérité
intangible que le capitalisme n’a pour toute solution que la guerre mondiale !
Le fascisme défait a néanmoins triomphé dans l’idéologie dominante totalitaire
et sans vergogne. Ce n’est pourtant pas la première fois dans l’histoire de l’humanité
que les vainqueurs des guerres s’approprient non seulement les biens des
vaincus mais aussi le substrat de leur mystique.
La lecture banale d’un ouvrage
sur la Seconde Guerre mondiale a provoqué un déclic dans ma petite tête, me
rappelant que pour mener une guerre moderne il faut une solide industrie et
donc un bon prolétariat soumis, nombreux, renouvelable, de plus en plus « exogène »
j’allais dire immigré, de gré ou de force.
« Une main
d’œuvre relativement abondante soutint cet effort. Certes l’armée exerçait de
fortes pressions sur la population active, ponctionnant 2 millions d’hommes en
1943 pour regarnir les fronts. Cette politique lui permit de maintenir des
effectifs impressionnants puisque 6,5 millions d’hommes servaient encore sous l’oriflamme
nazie en juin 1944, formait 51% de la force de travail allemande (contre 36,2%
en Grande-Bretagne). Surtout les populations placées sous la botte nazie furent
invitées – ou contraintes – à soutenir la
machine de guerre allemande – volontaires attirés par la promesse d’un emploi
ou le mirage de hauts salaires, hommes et femmes astreints au travail forcé,
prisonniers de guerre « transformés » en ouvriers, contingents
d’esclaves peuplant camps d’extermination ou de concentration. En février 1944,
25 millions de prisonniers de guerre travaillaient en Allemagne auxquels
s’ajoutaient, en juin de la même année, 7 millions de civils recrutés, de gré
ou de force à l’étranger. La population laborieuse du Reich était donc
composée, pour près d’un tiers, d’éléments exogènes »[1].
Aux origines du mondialisme antiraciste et de l’ouverture
angélique des frontières
Léon Poliakov a
produit une œuvre considérable et inégalable sur l’histoire de la notion de
race, figure majeure de « l’étranger ». Il a rappelé que, au siècle
des Lumières, pour Buffon, les races exotiques étaient toutes dégénérées, sans
oublier les stupidités de Voltaire sur les juifs. Il rappelait aussi, dans un
article de 1989 que, pour Hitler, l’extermination des allemands considérés
comme « tarés » en 1937 aboutirait à « la production de l’homme
nouveau », le « surhomme » germanique[2].
Dans la même
compilation d’articles sur la politique d’extermination nazie[3],
Marlis G.Steinert démontre que Hitler avait bien compris les problèmes
fondamentaux de classes : « L’espace vital n’est pas seulement
compris comme un simple retour en arrière vers une utopie agraire, mais aussi
comme une source de matières premières et d’un marché. L’amélioration du sort des ouvriers tient également une
bonne place dans le programme, puisque Hitler voyait en eux l’élément le plus
vigoureux de la société allemande. Pour Zitelmann Hitler est bien un
révolutionnaire, prônant un socialisme sui generis, et partisan d’une égalité
des chances. Cette égalité bien entendu, n’était réservée qu’aux hommes
allemands, point aux femmes ou aux Artfremde, son cadre de référence restant
toujours le peuple allemand. Le but suprême : l’augmentation du nombre, de
la pureté et du bien-être de ce peuple. Tout le reste est subordonné à cet
objectif, aussi bien l’individu que l’Etat. Ce dernier n’est donc pas un but en
soi, mais un moyen pour atteindre un objectif, à savoir « le maintien et
le soutien d’une communauté d’êtres humains à concordance physique et
spirituelle » et « le maintien de l’existence raciale de
l’homme ». La recette des « improvisations » hitlériennes
aboutira comme chacun sait à un « génocide industriel ». Mille
sirènes nous assurent aujourd’hui que depuis l’élimination de l’hitlérisme les
frontières ne sont plus que des laisser-passer virtuels et que le monde entier
a banni à jamais toutes les formes de racisme, d’ostracisme et d’exclusion.
POUR HITLER LE PRINCIPAL DANGER RESTAIT LE
PROLETARIAT
L’immense
historien Martin Broszat est étrangement oublié. Son analyse de l’origine et de
l’évolution des structures du troisième Reich est pourtant passionnante pour
une compréhension de l’attitude du nazisme face à la classe ouvrière et les similarités
confondantes avec le mode de domination capitaliste actuel. Hitler n’est pas de
prime abord un méchant anti-ouvrier, en bon candidat éligible il veut d’abord
atténuer les effets de la crise économique sur la principale classe
productive : « …après des semaines de lutte pour la conquête du
pouvoir en politique intérieure, Hitler et ses collaborateurs se trouvaient
dans l’obligation pour prouver les capacités et la volonté de changement du
régime, de remporter une victoire sur la crise économique. Hitler était
parfaitement conscient que seule une amélioration manifeste de la situation
matérielle des masses indigentes pourrait confirmer et renforcer son prestige
personnel. (…) Avant même qu’on ait proclamé à l’été 1933 que la révolution
national-socialiste était dans l’ensemble terminée Hitler s’était
particulièrement efforcé de laisser l’économie en dehors de la lutte pour le
pouvoir. (…) Le choix de Schacht et non d’un homme du parti, pour cette
importante fonction[4]
était à l’évidence un calcul du gouvernement Hitler destiné à lui gagner la
confiance de l’économie nationale et internationale (…) Da ns parti, la nomination du
« franc-maçon de haut grade » Schacht se heurta à une opposition
semblable à celle provoquée par le transfert de secteurs économiques à Hugenberg ».[5] En
1933 il y avait encore 45 millions de chômeurs en Allemagne. Dans
l’improvisation Hitler finit par entériner la mise en œuvre d’un programme
visant à réduire le chômage, après avoir consulté les principaux industriels,
le programme Reinhart. Une émission de « bons du trésor pour le
travail » est lancée pour financer travaux publics (autoroutes, voies d’eau
bâtiments publics, etc.), une distribution de crédits aux secteurs de la
construction privée et une réduction d’impôts sous condition d’achats de
machines et d’outillages made in Germany. Le programme en arrière-fond, est
fondé sur l’idéologie nazie : encouragement au retrait des femmes de la
vie économique par des prêts au mariage, emploi prioritaire de chômeurs membres
de la S.A. ou de la S.S. Ce programme est de type capitaliste d’Etat et ne fait
pas plaisir à tous les industriels et la création d’emplois, outre sa fonction
de pacification sociale vient conforter des perspectives stratégico-militaires.
Le nombre de chômeurs ne tombe pourtant qu’à trois millions en 1934.
LA PERPETUATION L' OLIGARCHIE SYNDICALE
Au service de la
bourgeoisie allemande pour préparer la guerre, Hitler doit ensuite se
débarrasser de l’influence du nationalisme stalinien dans les syndicats[6].
En 1933, le parti hitlérien le NSDAP n’est pas très homogène vis-à-vis de la
question syndicale. Si la nécessité d’une mise au pas d’organismes vecteurs
d’une idéologie communiste évanescente et dévoyée semble nécessaire,
l’institution syndicale les conquêtes syndicales ne doivent pas être affectées.
Les syndicats de travailleurs et d’employés nationaux et chrétiens et la
direction de l’ADGB n’étaient pas hostiles à une « collaboration
positive » avec le nouveau régime. D’autant que les préoccupations
politiques restaient le cadet de leur souci les syndicats avaient approuvé la
répression des spartakistes. Le hic était que la majorité des ouvriers et des
employas restaient hostiles en 1933 au NSDAP. Le régime s’empara ensuite de la
fête ouvrière du 1er mai mettant en scène « une fête populaire
consacrée aux « forces productives » de toutes les classes. Devant
environ un million de spectateurs Hitler, sur le Tempelhofer Feld, évoqua avec
réprobation l’orgueil de classe le mépris absurde dans lequel était tenu le
travail manuel et la notion marxiste criminelle de « conflit social
fratricide ». Dans l’Allemagne nouvelle, l’isolement des classes et des
ordres (Stände) les uns par rapport aux autres devait cesser. Le
national-socialisme voulait réunir le peuple et éduquer les différentes
« classes » pour qu’elles se connaissent mieux et s’apprécient
mutuellement. Adoptant la gestuelle propre au missionnaire national, Hitler
glorifia la capacité de travail et l’assiduité du peuple promues au rang de
plus grand capital du pays d’un capital que l’on ne pouvait plus longtemps
inemployé. Le nouveau gouvernement appelait les citoyens à agir ensemble avec
l’aide de mesures résolues de créations d’emplois pour que disparaisse la peur
de l’insécurité professionnelle. Entièrement centré autour de la détresse
matérielle qui était pour tous une évidence immédiate (…) le discours
habilement composé d’Hitler, ne contenait (…) aucun élément concret concernant
les droits sociaux futurs des travailleurs »[7].
Les principaux chefs des syndicats furent placés en détention provisoire tandis
qu’il était proposé aux fonctionnaires syndicaux du rang de continuer leurs
fonctions mais sous la direction des édiles du syndicat nazi NSBO. Mieux,
Robert Ley fit appel au désir d’unité traditionnelle du mouvement ouvrier en
proclamant la fusion des syndicats existants dans le Front du travail allemand
(DAF). Les hiérarques intermédiaires des syndicaux furent maintenus en poste pour
continuer leur travail ordinaire afin d’éviter la fuite massive des syndiqués.
Néanmoins, comme en Russie avec le syndicat de Zoubatov, les syndicalistes
ruèrent dans les brancards au début face à « l’appétit de profit des
patrons ». L’Etat hitlérien fût contraint réduire assez rapidement les
prétentions et des syndicats ouvriers et des syndicats patronaux. A l’automne
1933 les caïds petits bourgeois multiplièrent les critiques à l’encontre du
NSBO, encore trop révolutionnaire à leur gré. La mise en place de
fidéicommissaires du travail entraina une désyndicalisation croissante du DAF
et de la NSBO. Hitler poussa alors Ley à lancer dans les entreprises une
campagne en faveur de « l’idée de solidarité dans les entreprises ».
A la fin de l’année le sous-fifre chargé d’affaires de Hitler, Keppler annonça
la dissolution des associations autonomes de travailleurs dans le DAF :
« … Le Front du travail allemand est la réunion de tous les individus
engagés dans la vie professionnelle, sans différence de position sociale ou
économique. Dans ses rangs, l’ouvrier doit se tenir aux côtés du patron et ne
peut plus être inclus dans des groupes ou des associations qui servent à
défendre des intérêts ou des couches sociales et économiques particulières.
Dans le Front du travail allemand, ce qui prime, c’est la valeur d’une
personnalité, qu’elle soit ouvrière ou patronale (…) En accord avec la volonté de notre Führer Adolf
Hitler, le DAF ne doit pas être le lieu où se règlent les questions matérielles
de la vie professionnelle quotidienne… ».
La ressemblance
de cette idéologie d’union nationale crève les yeux avec la philosophie des
actuels syndicats oligarchiques du régime libéral républicain… Mais le résultat
des votes corporatifs en 1935 révélant une abstention massive ne furent pas
publiés par le régime nazi ! En 1936, la réapparition du livret de
travail, comme au Moyen âge et en Russie stalinienne confirma l’orientation
capitaliste d’Etat du régime.
Le régime
évolua, avec ses grands travaux et l’embrigadement militaire d’une économie de
guerre, vers une élimination quasi complète du chômage, ce qui n’était pas peu
pour les millions de prolétaires qui avaient vécus la dure époque de la
Première boucherie mondiale et la terrible crise économique sous le régime de
Weimar, sans oublier la terrible répression de la tentative de révolution du
début des années 1920 : « La sécurité des conditions d’existence
compensait pour beaucoup de salariés la perte de leur liberté et de leur
autonomie politique et sociale (cela) entrainait une sorte d’égalisation
psychologique (…) perçue positivement, en particulier par les classes sociales
inférieures qui voyaient dans ce phénomène une réduction de l’écart qui les
séparait jusque là des couches supérieures (…) Par ses ramifications très étendues,
ce système d’organisations et de structures national-socialistes offrait à des
millions d’ouvriers, d’employés et de « petits-bourgeois » la
possibilité d’échapper à leur origine professionnelle et sociale en faisant une
carrière politique ».
Martin Broszat
ne nous dit pas à quel prix cette « mobilité sociale » va être payée
prochainement, par une classe ouvrière d’en bas surtout constituée
« d’immigrés prisonniers », des milliers et des milliers de
« travailleurs forcés », polonais, russes, juifs, français, etc.
LE FREINAGE DU BOYCOTT DES MAGASINS APPARTENANT A
DES JUIFS
Les simplismes
de l’histoire dominante ne rentrent pas dans les détails de cette mesure inique
hitlérienne et… aléatoire. L’on vit tel écriteau un temps : « Magasin
fermé sur ordre de la police pour cause d’augmentation des prix, propriétaire
en détention provisoire à Dachau ». Le programme nazi avait longtemps
prêché la liquidation des grands magasins en vue de la « mise en propriété
collective », mais dut faire marche arrière mécontentant le petite
commerce chauvin. Les grands magasins étaient devenus définitivement à l’époque
du capitalisme moderne des entreprises de vente rationnelle et pourvoyeurs de
dizaines de milliers d’emplois : « Les travailleurs comme le gros capital
avaient donc tout intérêt à ce que soit évité à tout prix un éventuel
effondrement de cette branche commerciale. Ce fut leur résistance commune qui
fit aussi échouer, au début de l’été 1933 le projet de création d’une taxe
nationale drastique sur les grandes surfaces »[8].
Mais en 1938 lorsque fut venu le contingentement de l’économie de guerre, après
l’incendie de 29 grands magasins juifs, les grands magasins
« aryens » se conformèrent au mieux au rationnement de guerre ;
et les consommateurs étaient déjà très nombreux sous l’uniforme et la
limitation des besoins civils la règle… Dans la foulée, contrairement à une
généralité des gauchistes moyens, la petite bourgeoisie commerçante fût
intégralement bafouée balayée par une économie industrielle menant à l’abandon
de l’économie de consommation au profit d’une économie orientée vers l’armement
et la production de matières premières.
LE NSDAP ET L’ENTREPRISE PRIVEE RECRUTENT UNE MAIN
D’ŒUVRE
(immigrée de force)
En 1943, plus
question de transiger avec besoins civils ou petit commerce : « Les
deux structures (NSDAP et entreprise privée) purent donc dans le contexte de
« guerre totale » où se trouvait le pays se compléter de manière
quasi idéale, en particulier lorsque les organes spéciaux de l’Etat du Führer
liés au parti furent en mesure d’utiliser leurs pouvoirs d’exception et les
moyens de contrainte dont ils disposaient pour assurer la productivité maximale
d’une économie de guerre dirigée dans l’esprit d’une entreprise privée (…)
Cette problématique n’est donc pas séparable du succès que remporta le plan de
quatre ans ni des résultats extraordinaires obtenus par Speer qui, comme
ministre de l’Armement réussit en 1943-1944 à tripler la production allemande
d’armement par rapport à 1941 malgré la suprématie aérienne des Alliés :
« (les administrations officiellement chargées de l’emploi étaient tenues
à l’écart). Au lieu de faire appel à ces dernières Sauckel recruta de nombreux
employés de bureaux de placement qu’il organisa en commandos d’intervention
mobiles qui avec l’aide de la police raflaient dans les territoires occupés des
millions de « travailleurs étrangers » et les injectaient de force
dans l’industrie d’armement du Reich (…) La généralisation de la pratique qui
consistait à faire travailler de force des travailleurs étrangers, alors que
les possibilités de l’Allemagne n’étaient pas épuisées (l’engagement des femmes
allemandes dans la production pendant la Seconde Guerre mondiale restant
inférieur à celui des femmes anglaises) affecta aussi profondément le système
des camps de concentration. Le nombre total des détenus dans les camps qui, dès
1942, s’élevait à 100 000 (contre 25 000 en 1939) passa de 1942 à
1945 à un demi-million (à 95% non allemands et pour l’essentiel russes,
polonais et juifs). Les détenus des camps de concentration « de valeur
inférieure » - selon Himmler – se prêtaient particulièrement bien en
raison de leur disponibilité et parce qu’il était facile de les transférer à
« l’emploi » et en cas de besoin à l’extermination par le travail
quand il fallait s’attaquer « sans tenir compte des pertes » à de
nouvelles tâches ou lorsque la production d’armement subissait une modification
(…) Dans les tunnels souterrains où ces détenus furent envoyés il y eut de
« forts gaspillages en hommes ». La discrétion assurée par la
surveillance SS sur les détenus ainsi que les mesures prises par la SS et la police
dans cette « zone interdite » (saisie de biens-fonds etc.)
« facillitèrent la réalisation d’un « programme d’urgence » de
la production d’armement dont Hitler attendait, à tort, un effet décisif sur le
déroulement de la guerre »[9].
« … le
noyau dur du mouvement nazi était fixé sur la guerre pour des raisons de
politique intérieure (…) la politique intérieure du régime hitlérien était,
depuis 1933 orientée vers la préparation de la nation au combat… pour
transformer la société en une vaste communauté de combat (…) Il s’agissait, comme le chancelier
l’avait déclaré juste après sa nomination en 1933, à des officiers supérieurs
de la Wehrmacht sous le sceau du secret avant tout de conquérir un « grand
espace vital ».
La guerre pour
Hitler n’était pas une simple opération militaire : « Il s’agissait
d’une guerre « raciale » qui était aussi une affaire de politique
intérieure (…) On peut dire que la radicalisation de la substance de cette
politique était inextricablement liée à la dissolution progressive de la forme
normale d’un gouvernement civil centralisé ». La dégénérescence de l’Etat
hitlérien en un despotisme de cour face à cette lutte prioritaire « à
l’intérieur ». M.Broszat fait référence au décret du 7 octobre 1939 :
« Le décret autorisait Himmler à « éliminer les influences néfastes
de ces éléments de population étrangers à la nation et qui représentent un
danger pour le Reich et la communauté du peuple allemand ». Outre la
névrose anti-communiste (version stalinienne concurrente) le but du décret
(oral) chargeait « Himmler de se débarrasser des juifs et des polonais et
faire s’installer des colons allemands dans les territoires polonais annexés ».
L’Etat juif d’Israël, de nos jours, ne fait pas autre chose avec sa
colonisation des territoires en Palestine ! Au printemps 1940 Himmler fit
évacuer les habitants juifs et polonais de sept villages du district de
Katowice pour y faire construire le plus grand camp de concentration,
Auschwitz.
Cette révélation
de M.Broszat – plus lucide et mieux informé que Ian Kershaw sur la
domestication de la classe ouvrière allemande[10] -
est importante et mérite qu’on s’y arrête après cette longue collecte d’éléments
qui permettent de comprendre le succès initial de l’Etat hitlérien puis sa
dégénérescence dans la guerre. L’argument racial de Hitler n’était qu’une
couverture idéologique du capital allemand obsédé par la recherche de « l’espace
vital » souci de tout capital national assiégé par la crise économique,
pour ne pas dire par les puissances capitalistes rivales. Il apparaît bien que
le prolétariat allemand avait été dompté d’abord par la répression « socialiste »
des renégats du gouvernement de Weimar puis par une habile politique de plein
emploi et de récupération des oligarchies syndicales. La fixation sur les juifs
comme bouc-émissaires ne fut que la seconde étape difficilement admise par la
population prolétaire dans les années 1930 puis carrément substituée au
prolétariat communiste (vaincu et atomisé) comme menace intérieure durant la
guerre pour « unifier la nation » et solidifier « l’esprit
combattant » des troupes contre un ennemi imaginaire figurant le capital
anglo-américain. Ne pouvant plus avancer à l’Ouest (échec des projets d’invasion
de l’Angleterre) le capital allemand ne pouvait que chercher à coloniser l’Est.
Or à l’Est, sous régime stalinien caricature de communisme, les troupes
allemandes ne trouvèrent pas les commissaires juifs de l’ancien comité central
du parti bolchévique héroïque mais des populations polonaises et juives mêlées,
populations ouvrières et pauvres. Il ne fallait en aucun cas que les soldats,
prolétaires en uniforme puissent recommencer des fraternisations comme en 1918
avec des « frères de classe », pauvres petits commerçants ou ouvriers
« étrangers ». Les shoaphiles oublient toujours de rappeler que
polonais et russes étaient considérés et traités comme « sous-hommes »
comme les juifs, ou plutôt les russes juifs ou les polonais juifs. L’appartenance
religieuse comme aujourd’hui les musulmans en général, signifiait l’étrangeté, cet
étrange ennemi qui étouffe la nation ou menace de l’envahir. Lors de la
Première Guerre mondiale les noirs colonisés de l’armée française avaient
encore mieux figuré l’étranger barbare.
PARENTHESE SUR LES ALEAS DE L’ANTIRACISME DES VAINQUEURS
Durant toute la
durée de la guerre les « Alliés démocratiques » aussi oligarchiques
dans leur fonctionnement étatique que l’Etat nazi ne se sont pas souciés du
sort des populations juives en particulier. L’armée américaine libératrice ne s’est
pas choquée des nombreux viols lors du débarquement en Normandie ni au-delà,
mais a toujours plus sanctionné les soldats noirs. Historiquement la
bourgeoisie américaine est plus « brillamment » raciste que son
homologue allemande. En 1913 le président Woodrow Wilson avait instauré la
ségrégation de la fonction publique fédérale. Ce n’est qu’en 1948 que le
président Harry S.Truman ordonne la déségrégation dans l’armée américaine. La
ségrégation raciale aura continué dans ce pays jusqu’aux années 1960, où il a
fallu que des courageux militants comme Rosa Parks et Martin Luther King
engagent une lutte de longue haleine contre cette honte. La ségrégation raciale
demeure omniprésente pourtant aujourd’hui encore dans la population civile et
dans les prisons.
L’IMMIGRATION A DOUBLE TRANCHANT RACISTE ET ANTIRACISTE
L’idéologie
américaine n’a pas repris bien sûr les délires de Hitler contre les
bouc-émissaires juifs mais elle en a gardé l’esprit. L’antiracisme affiché et
qui fait jurisprudence favorise tout autant le racisme vis-à-vis de « l’étranger »
soumis à des quotas, héros des faits divers qui retrouve sa figure tutélaire
dans le qualificatif de « terroriste », musulman dorénavant. Le terme
de « terroriste » était d’ailleurs couramment utilisé par les nazis
concernant tous leurs opposants et les termes « terroriste juif »
étaient assez efficaces pour les soldats conquérants constamment conditionnés à
la névrose de « l’ennemi intérieur » qui n’était plus le prolétariat
de 14-18 fauteur de révolutions dans « son propre pays ».
Le bon job de
Hitler a été de remplacer la classe par la race comme la démocratie moderne
remplace la classe ouvrière par les citoyens, et aspirants citoyens immigrés. Tout
le révisionnisme universel de l’histoire et de la confrontation des classes s’inspire
du modernisme d’Hitler et de son combat contre le ringardisme des classes
sociales. On ne parle guère de communauté nationale que chez les débiles de l’extrême
droite, la mode est à la communauté mondiale indifférenciée. Hitler n’était au
fond qu’un simpliste n’est-ce pas ? Tous les juifs étaient mauvais. Pour l’idéologie
dominante mondiale pas seulement américaine l’ambivalence est de rigueur :
il y a les bons et les mauvais immigrés ceux qui sont intégrables (à la
production de base) et ceux qui ne le sont pas. Peu importe les résiduels et « inutiles ».
Les races apparaissent elles-mêmes pourtant divisées en classes : « …
l’Amérique noire est en train de devenir de plus en plus polarisée entre, d’un
côté une classe moyenne relativement stable de Noirs éduqués à l’université qui
ont eu accès à l’ensemble des biens et des services qui incarnent le « rêve
américain » et qui sont de plus en plus à même de transmettre leur statut
privilégié à leurs enfants ; de l’autre un sous-prolétariat opprimé et
appauvri, piégé dans des quartiers déshérités totalement ravagés et n’ayant d’autre
perspective que l’accroissement de la marginalisation du désespoir et de la
violence quotidienne qui affligent les ghettos contemporains »[11].
Autre apport de
l’époque de Hitler et là Kershaw nous est utile même s’il ne partage pas cet
avis : l’individualisme : « …on a par exemple affirmé que le
règne du chacun pour soi en économie de guerre affaiblit durablement la
solidarité ouvrière et prépara l’apparition du « nouveau type d’ouvrier,
plus ‘sceptique’, plus individualiste et plus préoccupé de réussite personnelle
que décrivaient les sociologues dans les années cinquante ». Peut-être s’agit-il
là d’une projection sur le IIIe Reich de comportements nés en grande partie du
redressement économique de l’après-guerre et du « miracle » allemand.
Tout aussi hypothétique, quoique pas impossible en soi, est la thèse selon
laquelle l’atomisation de la société sous le nazisme aurait favorisé un « repli
dans la sphère du privé » et une « dépolitisation » - deux
traits caractéristiques de la société de consommation fondée dur la « réussite
individuelle » au temps de « miracle économique ».(p.278).Il
concède que le IIIe Reich a poursuivi la modernisation des structures
économiques et sociales de l’Allemagne. Mais il oublie sa contribution
paradoxale à la continuité de capitalisme dans sa version « antiraciste »…
Au moins Kershaw
est un des rares historiens officiels et largement publié, quoique récupéré par
tous les clans d’historiens officiels bourgeois à poser les questions qui
dérangent :
« Cependant
le rapport qu’entretiennent les historiens non juifs avec l’holocauste est
forcément différent de celui de leurs collègues juifs. En outre, si nous
entendons tirer une « leçon » de l’holocauste il me paraît
indispensable d’admettre – tout en reconnaissant son caractère unique dans l’histoire
au sens où il n’a pas de précédent – que notre monde ne s’est pas mis
définitivement à l’abri d’atrocités similaires impliquant éventuellement d’autres
peuples que les allemands et les juifs[12].
Le problème général change alors de nature : il ne s’agit plus de vouloir « expliquer »
l’holocauste par l’histoire juive seule ou encore par les relations entre juifs
et allemands, mais d’essayer de
comprendre la pathologie des Etats modernes, de s’interroger sur la « civilisation »
cette mince couche de vernis dont sont recouvertes des sociétés industrielles
avancées ».(p.165)
Il ne développe
pas l’affirmation lumineuse à la page suivante : « l’insertion
systématique du racisme dans la lutte des classes ». Ce qui est l’objet essentiel
de la stigmatisation idéologique bourgeoise par mon texte que vous venez de
lire. Un simple constat.
[1] Olivier
Wieviorka « Histoire du débarquement en Normandie », ed du Seuil
2007, p.184 ;185.
[2]
Contrairement à l’idéologie américaine fabulatrice des années 1980, Poliakov
rappelle que non seulement polonais et russes étaient menacés d’extermination
comme les juifs mais la logique de la guerre capitaliste : « …une
étude attentive des archives nazies révèle que le projet d’extermination totale
n’a pas été élaboré au cours des années qui précédèrent la guerre, mais qu’il a
surgi en quelque sorte spontanément, au fur et à mesure de l’aggravation des
persécutions . Même le terme de Endlösung, la « Solution
finale », ne signifiat au début que « l’élimination des juifs du
corps national allemand » c'est-à-dire leur expulsion d’Allemagne, et ce
n’est que par étapes qu’il se chargeait d’un sens de plus en plus
sinistre » (cf. Sur les traces du crime ed Berg international, 2003).
[3] Sous la direction de François
Bédarida (ed Albin Michel, 1989.
[4] Au poste de président de la
Reichsbank… On pense à « l’ouverture » d’un certain Sarkozy !
[5] En 1918, Alfred Hugenberg
rejoint le Deutschnationale
Volkspartei ou DNVP
(Parti national du peuple allemand), qu'il représente à l'Assemblée nationale de Weimar (qui
produit, en 1919, la constitution de la République de Weimar), puis au Reichstag. Il devient
secrétaire du DNVP après une défaite électorale désastreuse en
1928. Il reste membre du Reichstag
jusqu'en 1945,
malgré la dissolution du DNVP (et de tous les autres partis) à l'arrivée au
pouvoir du NSDAP.
Dans les dernières années de la République de Weimar, jusqu'à la désignation
d'Adolf Hitler comme Reichskanzler
(chancelier) en 1933, Alfred Hugenberg et le DNVP collabore avec le NSDAP dans
leur opposition au premier et second cabinets Brüning et, jusqu'à un certain
point, à la République elle-même. Pourtant, il choisit de soutenir von Papen
en 1932. Il devient ministre de l'Économie, de
l'Agriculture et de l'Alimentation
dans le premier cabinet d'Hitler en 1933, tout en espérant que
celui-ci ne resterait pas longtemps au pouvoir.
[6] Hitler et ses conseillers
bourgeois n’oublient pas les leçons anti-prolétariennes de Bismarck : à l’époque
du capitalisme flamboyant, cet homme d’Etat admiré d’une certaine façon par
Marx, avait compris que la société bourgeoise ne pouvait régner sans faire des
concessions sociales pour endiguer toute révolution en militant la misère.
Bismarck a donné au monde entier des leçons de « sécurité sociale » :
assurance contre les accidents du travail assurance-maladie, et retraite.
Toutes choses copiées par Badinguet. Sauf que Hitler n’a pas étendu ces
garanties aux « immigrés forcés » !
[7] L’Etat hitlérien, p.223.
[8] L’Etat hitlérien, p.255. Hitler
dut s’incliner devant le ministre de l’économie Schmitt qui soutint la chaîne
de magasins du groupe juif Hermann Tietz, qui employait 14000 personnes !
[9] Ibid p.443-444.
[10] S’il fabule en exagérant un « écrasement
implacable du mouvement ouvrier » (p.278) – sachant que nombre de
syndicalistes et d’anars ont rejoint les fascistes - Kershaw n’est pas non plus
aveugle : « Jusque vers le milieu de la guerre, le statut de la
classe ouvrière demeura fondamentalement inchangé – si ce n’est que désormais
les travailleurs étrangers subissaient les formes les plus extrêmes d’exploitation »
(cf. Qu’est-ce que le nazisme). Il est gentil là Kershaw ! Il fait aussi
état de la « marginalisation de la classe ouvrière » sous le régime
nazi… comme dans notre monde si libéral et si machiavélique aujourd’hui !
[11] Cf. Loïc Wacquant : « L’énigme
du couple « race et classe » dans la société et les sciences sociales
étasuniennes », 1989 ; article très académiste confus et pas très
courageux d’un mandarin français en poste aux USA.
[12] Ecrit en 1985, l’auteur ne
pouvait mieux dire, cf. ex-Yougoslavie, Rwanda, Darfour, Syrie…