HISTOIRE DU SOCIALISME ET DU COMMUNISME EN France
DE 1871 A 1947
Par Alexandre Zévaès (ed France-Empire 1947)
INTRODUCTION
DE LA REVOLUTION FRANCAISE A LA COMMUNE
BABEUF – FOURIER, SAINT-SIMON – LE SOCIALISME DE 1848 : LOUIS BLANC, CABET, PROUDHON, BLANQUI – LE 2 DECEMBRE - LE REVEIL OUVRIER : MANIFESTE DES SOIXANTE – BLANQUISTES ET INTERNATIONAUX – LES CANDIDATURES REVOLUTIONNAIRES EN 1869 – LA COMMUNE : SON CARACTERE, SES CONSEQUENCES.
Le socialisme se présente sous différents aspects aux diverses périodes de son histoire. Mais dès son origine, dès son apparition dans le domaine des idées et des faits, il a été une forme, un élément actif de la civilisation humaine. Il est mêlé indirectement au vaste mouvement de la Révolution française, d’où sont sorties, au XIXe siècle, et la démocratie française et la démocratie européenne.
Ce n’est pas que l’œuvre de la révolution ait été en quoi que ce soit empreinte de socialisme. Non seulement elle n’avait pas eu le moindre caractère socialiste ; mais même, au grand jour, nettement, elle a légiféré contre la classe ouvrière et contre ceux qui auraient été suspects de tendances socialistes. La Constituante adopta la célèbre loi Le Chapelier qui mettait les travailleurs salariés hors le droit d’association et de coalition (14-17 juin 1791) ; et en pleine période culminante du drame révolutionnaire, par un vote unanime ralliant Montagnards et Girondins, la Convention édicta la peine de mort contre quiconque oserait réclamer la loi agraire : les démocrates les plus avancés, Barère et Danton, furent parmi les défenseurs les plus ardents de cette pénalité exceptionnelle (18 mars 1793).
Que la Révolution n’ait été nullement socialiste, il ne faut point s’en étonner. Le socialisme exige, en effet, un état de l’évolution économique, un développement des forces productives, un perfectionnement de l’outillage, qui n’existaient point en 1789-93, et c’est pourquoi ceux des révolutionnaires qui ébauchaient alors une conception sociale, Condorcet, Robespierre, Saint-Just, n’envisageaient guère la société qui devait sortir de leurs efforts que comme une société composée de petits producteurs libres et autonomes, de petits propriétaires cultivateurs, de petits commerçants, d’artisans, ayant conquis dans la démocratie leur part de souveraineté politique.
L’œuvre essentielle de la Révolution consiste, dans l’ordre économique et social, à briser les anciennes formes de production, à détruire les anciens moules qui s’opposaient au renouveau industriel – comme elle consiste, dans l’ordre politique, à abolir les privilèges de la noblesse et du clergé, à mettre fin à la monarchie de droit divin, à proclamer les droits de l’homme et du citoyen. Mais bientôt, quand, au sein même di Tiers Etat victorieux, surgit la séparation entre ce qui deviendra la bourgeoisie et ce que deviendra la classe ouvrière ou prolétariat ; quand la Révolution restreint sa portée en retirant, dans son système électoral, le droit de vote à des millions d’hommes qualifiés par elle de citoyens passifs, aussitôt des protestations s’élèvent contre ce privilège accordé à la propriété, des voix retentissent où l’on surprend comme un premier accent socialiste, et il y a, chez certains esprits, comme une aspiration socialiste latente qui suit le rythme du drame révolutionnaire.
C’est ainsi qu’au Club des Jacobins, Boissel fait entendre un langage nouveau. Déjà au printemps de 1789, quand l’air tiède de la Révolution faisait éclore les doctrines et les systèmes, il avait publié un ‘Catéchisme du genre humain’, où il attaquait la propriété, la famille et la religion et ne laissait rien subsister des anciennes idoles sociales. Plus tard, le lendemain même du jour où Robespierre avait donné lecture aux Jacobins de la nouvelle Déclaration des Droits Boissel lit et propose une déclaration des Droits des sans-culottes, où il conclut à une sorte de socialisme vaguement communiste (22 avril 1793).
Tandis qu’aux Jacobins Boissel esquisse un communisme sentimental, l’artisan Lange, qui habite Lyon en 1793 – c'est-à-dire au moment même où Fourier, alors âgé de vingt ans, vient s’y fixer – entrevoit une manière de socialisme coopératif basé sur l’association ; et Michelet, parlant de Lange, s’exprime ainsi : « Nulle part, plus que dans cette ville, il n’y eût de rêveurs utopistes. Nulle part, le cœur blessé, brisé, ne chercha plus inquiètement des solutions nouvelles au problème des destinées humaines. Là parurent les premiers socialistes, Lange et son disciple Fourier. Le premier, en 1793, esquissa le phalanstère et toute cette doctrine d’association dont celui-ci s’empara avec la vigueur du génie »[1].
Mais c’est surtout avec la Conjuration des Egaux, avec Babeuf et ses héroïques complices qui devaient porter leur tête sur l’échafaud, que le socialisme entre définitivement dans la réalité de l’histoire. Babeuf avait traversé toute la Révolution, du 14 juillet à la chute de Robespierre et à l’avènement de la réaction thermidorienne ; il en avait passionnément suivi le développement ; il en avait pressenti toute la grandeur et toutes les lacunes, et il comprenait que l’œuvre d’émancipation n’était point terminée, qu’il y avait encore nombre d’abus et d’injustices à extirper. Le partage des biens nationaux, qu’ils provinssent soit du clergé et des congrégations, soit de la noblesse émigrée, n’avait profité qu’à quelques éléments du Tiers Etat, qu’à la bourgeoisie urbaine ou rurale. ET Babeuf proclame qu’il s’agit de penser au peuple tout entier, d’affranchir non seulement la bourgeoisie, mais la masse des travailleurs, ceux qu’il appelle « l’armée infernale » des ateliers et des mines et il demande la garantie du bonheur commun à la communauté du travail et de la propriété. Babeuf est ainsi incontestablement le premier des socialistes, des communistes modernes[2].
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A l’aube du XIXe siècle l’idée socialiste resplendit avec le plus magnifique éclat : Charles Fourier et Henri de Saint-Simon sont les prophètes de la pensée nouvelle.
Fourier paraît au moment où Napoléon rêve de réaliser par le glaive l’unité humaine, où la domination anglaise, sa grande rivale, s’efforce de son côté de créer l’unité par la toute puissance mercantile, au moment où la force du canon et l’influence grandissante de la banque se disputent la possession du monde. Et Fourier imagine de réaliser l’harmonie humaine par la création et l’élargissement d’associations d’hommes libres qui donneront bientôt aux autres hommes l’exemple de la concorde et du bonheur, exemple qui, selon lui, rayonnera de l’Europe sur les autres continents et les initiera peu à peu aux civilisations supérieures. Sans doute sur Fourier les plaisanteries ont été nombreuses, et sur certaines parties fantaisistes de son système s’est répandue une manière de légende ; on a retenu de ses livres quelques vocables bizarres : la Cabaliste, la Papillonne, le Garantisme, la Composite, etc… Mais dans l’œuvre touffue de ce « sergent de boutique » (ainsi que volontiers il se dénommait), il y a sur le commerce, sur la concurrence, sur les avantages de la production en grand, sur le rôle des « armées industrielles », sur les rapports de l’industrie et de l’agriculture, sur les inconvénients de la multiplication des intermédiaires, sur les crises de surproduction qu’il appelle les « crises pléthoriques », des aperçus plein de verve caustique et des analyses d’une rare exactitude.
Sous la Restauration, quand la Terreur blanche, accompagnée de tous ses excès et de tous ses crimes, se déchaîne sur le pays de la Révolution ; quand, réinstallés sur leurs vastes domaines, les émigrés affichent avec insolence leur prétention de renouveler l’ancien régime et de ressusciter leurs anciens privilèges ; quand, à nouveau, les plus hautes fonctions du royaume et les grades les plus élevés de l’armée leur sont confiés, Saint-Simon proclame : « Le monde ne doit pas être gouverné par la féodalité ; il ne doit pas appartenir aux nobles, aux moines et aux oisifs ; il doit appartenir au travail, aux industriels ». Et sous la plume de Saint-Simon, le terme « industriel » n’a pas le sens limité que lui donne notre langue contemporaine ; « industriel » est, pour lui, quiconque collabore à la production, qu’il soit patron ou ouvrier. L’industrie comporte l’ensemble des travailleurs, auxquels Saint-Simon ajoute les commerçants, encore qu’ils ne créent point et se bornent à l’échange. Donc, c’est à l’ensemble de ceux qui oeuvrent que doit échoir le pouvoir, enlevé aux militaires, représentants de la féodalité. Saint-Simon a la noble vision d’une humanité laborieuse, et qui travaille, non seulement pour subsister, mais pour s’améliorer, accroître son patrimoine, refouler l’horizon, réaliser une plus large et plus haute vie.
La Monarchie de juillet représente l’événement au gouvernement de la bourgeoisie capitaliste. Les maximes du jour : chacun pour soi ! chacun chez soi ! enrichissez-vous ! déposent dans les esprits des semences d’égoïsme, d’orgueil et de domination. Les Gobseck et les Rastignac se donnent libre carrière. En matière électorale, le régime du cens accuse nettement la séparation de la bourgeoisie et du peuple et témoigne de l’existence d’un « Quatrième Etat ».
Cette croissance du capitalisme détermine une explosion formidable du socialisme. Il est alors représenté par Constantin Pecqueur, dont l’Académie des Sciences morales et politiques couronne, en 1838, le livre intitulé : Economie sociale des Intérêts du Commerce et de l’Industrie et de la Civilisation en général sous les applications de la vapeur. ; par Flora Tristan, femme au cœur vaillant, qui, dans un petit volume, L’Union ouvrière, préconise une organisation internationale des travailleurs, et qui, en 1844, effectue à travers la France une tournée de conférences de propagande ; par François Vidal, auteur du Traité de la Répartition des Richesses (1846) ; par Victor Considérant, dont le Manifeste de la Démocratie dénonce la féodalité capitaliste, la concentration des capitaux et l’absorption de la classe moyenne (1843) ; par Pierre Leroux, économiste et philosophe humanitaire, dont l’influence est considérable en 1848 et qui conçoit l’organisation socialiste de la démocratie comme une manière de religion nouvelle ; par Louis Blanc, Cabet, Proudhon et Blanqui.
Dans son livre paru en 1839, L’Organisation du Travail, Louis Blanc signale et condamne les effets meurtriers de la concurrence et demande que l’Etat commandite, à l’aide d’un emprunt, les associations ouvrières, industrielles ou agricoles, dont une loi déterminera les statuts. Les salaires seront égaux pour tous les associés de l’entreprise ; quant aux bénéfices, ils seront répartis comme suit : une part distribuée entre les membres de l’association, une part réservée à un fonds de secours, une troisième part destinée à accroître le capital de l’entreprise. Louis Blanc aboutit donc à un socialisme d’Etat, auquel le socialiste allemand Ferdinand Lassalle devait faire plus tard de notables emprunts. Son petit livre, écrit dans une langue claire et facile, a un retentissement énorme et conquiert à son auteur la célébrité. Le titre même « Organisation du Travail » deviendra l’une des expressions les plus usitées de la Révolution de 1848 ; et lorsque, le 25 février, le Gouvernement provisoire recevra une délégation du monde ouvrier, celle-ci lui déclarera « Nous voulons l’organisation du travail ».
Cabet, lui, est communiste. Son ouvrage capital, celui qui a le plus de succès et qui expose le plus complètement sa doctrine, est son Voyage en Icarie, qui paraît en 1840, et où, sous une forme romanesque, il décrit la société idéale de l’avenir. L’Icarie, est une région de l’Amérique où les Européens ont fondé une colonie basée sur le principe de la communauté absolue du sol et de toutes les forces productives. Lorsque le voyageur qui va nous le dépeindre arrive au pays icarien, l’application du communisme y a déjà produit tous ses fruits, et l’on va de merveille en merveille, d’étonnements en admirations. En ce cadre très simple, renouvelé du Voyage de Bougainville et depuis initié par tant d’autres, Cabet montre les avantages de l’organisation communiste et réfute toutes les objections de ses adversaires présentées par le voyageur.
Un peu à l’écart de ces divers théoriciens, se séparant d’eux sur nombre de points, polémiquant avec eux autant qu’avec les économistes orthodoxes et apportant dans ses polémiques, avec un style éclatant, une dialectique parfois vigoureuse et parfois aussi la plus subtile des sophistiques, se tient Pierre-Joseph Proudhon. Parmi les essais de doctrine socialiste, il n’en est pas qui appelle de plus expresses réserves que les siens. Sa théorie d’une Banque populaire, peu scientifiquement élaborée, a reçu des événements le plus formel démenti. Il l’avait vainement défendue à la tribune de l’Assemblée Constituante ; il voulut la réaliser. Il fonda la Banque du peuple, qui avait pour but de procurer à tous, aux plus bas prix et aux meilleures conditions possibles, l’usage de la terre, des maisons, des machines, instruments de travail, capitaux, produits et services de toute nature et de leur faciliter l’écoulement de leurs produits et le placement de leur travail au taux le plus avantageux. Hélas ! Ce n’était ni une banque d’actionnaires ni une banque d’Etat : il eût fallu, pour la réussite de l’opération, des capitaux considérables ; ils manquèrent ; la liquidation s’ensuivit rapidement. Si les vues de Proudhon en matière bancaire se sont heurtées aux faits, il a, par contre, prévu le rôle, dans la société moderne, de l’expansion, de la coopération et de la mutualité : et c’est là peut-être, la partie la plus originale de ses conceptions.
A la gauche de tous ces réformateurs se place Banqui – Louis-Auguste Blanqui, que l’on connaît surtout comme un homme d’action, comme l’organisateur de la Société des Saisons et l’insurgé du 12 mai 1839, comme un émeutier, mais qui est en même temps un théoricien et un communiste complet. Blanqui critique l’économie politique, ce « code de l’usure » ; il dénonce l’insuffisance des prétendus remèdes tels que l’épargne, la participation aux bénéfices, le « coopératif » ; il s’élève contre le dogmatisme du fouriérisme et du saint-simonisme, même contre celui de Cabet, qui est communiste comme lui, mais qui a le tort de croire que le communisme se peut réaliser d’emblée sur une terre vierge, alors qu’il ne saurait être que l’aboutissement d’une longue évolution des hommes et des choses. Par sa conception très nette du communisme, par son action révolutionnaire, par ses efforts pour grouper les travailleurs militants, Blanqui apparaît, dans la période de 1848, comme le plus authentique interprète du socialisme révolutionnaire. Et Bernstein, le socialiste allemand, a justement apprécié le blanquisme dans les lignes suivantes :
« Le produit le plus radical de la grande Révolution avait été le mouvement de Babeuf et des Egaux. Ses traditions furent reprises en France par les sociétés révolutionnaires secrètes, qui surgirent sous Louis-Philippe et dont sortit plus tard le parti blanquiste.
En Allemagne, on considère le blanquisme comme n’étant que la théorie des sociétés secrètes et des échauffourées politiques… Mais ceci est une appréciation qui s’arrête aux simples apparences extérieures et qui touche tout au plus certains chefs de file du blanquisme. Le blanquisme est plus que la théorie d’une méthode ; sa méthode est plutôt la simple conséquence, le produit de sa théorie politique plus profonde. Celle-ci n’est autre chose que la théorie de la force créatrice illimitée de l’action révolutionnaire politique et de sa forme concrète : l’expropriation révolutionnaire. La méthode dépend en partie des circonstances. Là où la discussion et la presse ne sont pas libres, la société secrète s’impose tout naturellement, et où un centre politique réel domine dans les soulèvements révolutionnaires comme jusqu’à 1848 en France, l’échauffourée, à condition de tenir compte de certaines expériences du passé, n’est pas si irrationnelle que ne le croient les Allemands »[3].
Seul, Auguste Blanqui, qui préconise la dictature du prolétariat, et les divers groupements communistes, qui se réclament de la tradition babouviste et dont l’action est réelle sous la Monarchie de Juillet [4], se proclament révolutionnaires, partisans de la lutte des classes et de l’expropriation de la bourgeoisie capitaliste. De même, alors que Saint-Simon, Louis Blanc, Pierre Leroux, Cabet, sont déistes et ont le souci de concilier Jésus Christ et la Révolution française, l’Evangile et la Déclaration des Droits de l’Homme, seuls Blanqui et ses disciples se proclament, philosophiquement, matérialistes et athées : « Ni Dieu, ni Maître » est leur devise.
Tels sont les divers aspects de ce socialisme français de la première moitié du XIXe siècle, qui s’affirme avec un éclat prodigieux et incomparable. Il pénètre la littérature de l’époque avec Lamennais, Félix Pyat, Eugène Süe, George Sand, Frédéric Soulié, Pierre Dupont, Lachambaudie.
Au lendemain du 24 février, il fait son entrée dans les Chambres : soit à la Constituante, avec Louis Blanc, Albert, Caussidière, Gambon, Ch. Lagrange, Félix Pyat, Buchez, Considérant, Pierre Leroux, Proudhon, Greppo et Pelletier [5], soit à la Législative avec Baudin, de Flotte, Vidal et Eugène Süe.
Ainsi, de génération en génération, de régime à régime, le socialisme se développe en France. De 1840 à 1848, notamment, avec l’essor de la grande industrie, avec la création des chemins de fer, avec l’élan donné à la spéculation financière, il se précise davantage. Du 24 février aux journées de Juin, il est bien, il est déjà la pensée propre, la doctrine, le but du prolétariat.
A suivre…
[1] Boissel et lange sont plutôt des théoriciens. Jacques Roux lui, l’ancien abbé de la paroisse Saint-Nicolas, l’orateur de la section des Gravilliers, est plutôt un agitateur de la rue, agitateur à tendances sociales et socialistes. Etrange figure que celle de ce prêtre qui fut membre de la Commune insurrectionnelle du 10 août, qui fut chargé d’accompagner Louis XVI à l’échafaud et de dresser le procès-verbal de son exécution, qui clamait l’anathème des privilégiés de la fortune et qui, dans ses appels à l’insurrection, s’adressait particulièrement aux femmes parce qu’il savait le rôle qu’elles peuvent jouer en un jour d’effervescence révolutionnaire. Ce sont les agioteurs, les affameurs du peuple, ceux qu’il appelle « les accapareurs », que Jacques Roux dénonce dans ses prédications passionnées. Il y a, le 25 février 1793, une journée d’émeute, contre la vie chère, où furent mis à mal quelques magasins de savon, quelques épiceries, quelques boulangeries : ce n’est point, comme l’ont cru quelques uns, la journée de Marat, mais celle de Jacques Roux. Ce rôle a valu à Jacques Roux d’être violemment critiqué et calomnié par ceux qui l’ont mentionné. Mais Jaurès, qui est à peu près le seul à l’avoir étudié de près et qui lui consacre une cinquantaine de pages dans son ‘Histoire de la Convention’, reconnaît en lui une âme noble et tourmentée.
[2] Les socialistes contemporains ne s’y sont point trompés et ils ont rendu à Babeuf l’hommage dû à un précurseur héroïque et glorieux. Le 15 juin 1886, à la tribune de la Chambre des députés, Jules Guesde déclare : »M. de Mun a placé le berceau de l’ordre collectiviste ou communiste, avec notre consentement et au milieu des applaudissements, au mouvement des Egaux, à la Conjuration de Babeuf… »
Le 24 juin, il ajoute : « Nous ne renions pas, nous ne renierons jamais les communistes d’autrefois. Que passant par-dessus les babouvistes, vous nous rattachiez à la République de Platon, à l’Utopie de Thomas Morus, à la cité du soleil de Campanella, tout ce grand passé, nous nous glorifions de le faire nôtre ; nous réclamons comme notre tradition préhistorique le grand rêve communiste de tous ceux qui, du cerveau ou de la main, ont lutté pour le bien-être ou le bonheur commun. Ceux-là nous les saluons ; nous les saluons deux fois, quand, pour cette tentative glorieuse (c’est l’expression de M. Ranc), ils ont, comme Babeuf et ses héroïques complices, porté leur tête sur l’échafaud ». Gabriel Deville proclame : « Il n’est pas douteux, historiquement, que le premier socialiste conscient ait été le grand Babeuf ». (Quatrième Congrès général du Parti socialiste français, Tours, 2-4 mars 1902). Enfin Vaillant et les blanquistes ne cessent de se rattacher à Babeuf et Buonarroti.
[3] Ed Bernstein, Socialisme théorique et social-démocratie pratique.
[4] Les principaux représentants du communisme babouviste sont alors : Charassin, le libraire Gabriel Charavay, Théodore Dézamy, auteur du Code de la Communauté, l’ancien prêtre Pillot, les publicistes Lapommeraye, Richard Lahautière, Jean-Joseph May, le coiffeur Rosier, Vellicus, ouvrier tailleur, Savary, ouvrier cordonnier, etc… Leurs organes sont : « L’Homme libre (1838), L’Intelligence (1837-40), La Fraternité (1841), L’Humanitaire (1841).
[5] Raspail avait été élu par 66.963 suffrages lors des élections législatives complémentaires du 17 septembre 1848, alors qu’il était détenu au Donjon de Vincennes, à la suite de la journée du 15 mai, en attendant sa comparution devant la Haute-cour ; l’Assemblée refusa de le valider.