"La révolution ne viendra pas de l'immigration". Marc Chirik
Lorsque que j'ai publié en 2012 mon 20ème ou 26ème livre - Immigration et religion - en pleine périodes d'attentas islamiques, j'avais préféré ce titre, plus neutre, que celui qui préside à ces bonnes feuilles. Je ne dispose pas de protections policières. Dans l'ensemble, par son contenu, ce livre est resté ignoré et s'est peu vendu. Je ne suis pas du genre à pleurnicher ni à me vanter mais, le relisant je suis estomaqué de sa profondeur et de son actualité. La gauche bourgeoise fait beaucoup de bruit contre un projet de loi qui ne changera rien au bordel migratoire, odieux surtout en ce qu'il ne régularise pas les honnêtes travailleurs ne les distinguant des aventuriers et parasites sociaux, et c'est du vent; les notions de gauche et de droite ne veulent plus rien dire de clair. Pour le peu qu'il me reste à vivre, j'aurai tenté de mon mieux à discréditer les mystifications qui veulent régir tous les troupeaux de moutons.Tant pis je n'aurai pas bossé pour la gloire mais pour l'histoire de la lutte des classes. Voici un extrait du chapitre 3.
Chapitre 3
PROLETARIAT
ET DIVISIONS ETHNICO-RELIGIEUSES
« On arrivera
peut-être à détruire méthodiquement l’arabe de l’Algérie par
des moyens analogues à ceux employés par les américains pour
exterminer les peaux-rouges ; mais, ce qui me semble absolument
certain, c’est que l’européen ne réussira
jamais à se
l’assimiler ».
|
Marc Chirik en 1947 |
Gustave Le Bon
« Le succès du
processus d’intégration est justement de cesser
de parler
d’intégration ».
Tariq Ramadan
« Le multiculturalisme
conduit au ghetto »
Elie Barnavi
L’immigration
et le vrai prolétariat
Excepté
dans les grandes aires géographiques comme la Chine ou l’Inde,
dans les pays dits développés à l’époque moderne, la classe
ouvrière ne provient plus pour l’essentiel de la paysannerie,
comme dans les pays à économie faible d’Afrique ou du Moyen
Orient. Elle provient de la scolarisation de la jeunesse en général.
C’est aussi une caractéristique récente de l’immigration de
laisser place de plus en plus à une main d’œuvre qui n’est plus
illettrée, dont une partie est constituée d’étudiants motivés
qui veulent acquérir une formation avant de partir ailleurs. Ce ne
sont pas ces immigrés, petits bourgeois vaillants et opiniâtres –
qui ont les moyens de payer très cher leurs études (dans le cadre
huppé de l’Université britannique au reste) - qui posent
problème mais les enfants de la génération immigrée précédente,
installée en France depuis au moins deux générations, qui estiment
que tout leur est dû car ils sont « français » mais,
largués du système scolaire, voient avec répugnance la « condition
ouvrière ». Ils considèrent leurs pères comme des has been,
vulgum pecus vaincus des trente glorieuses post coloniales. Jadis, la
représentation du père comme celui qui gagnait son pain à la sueur
de son front et rentrait front haut à la maison en période de grève
ou pour avoir tenu tête aux porions, procurait fierté et sentiment
d’appartenance à une classe, et volonté de reprendre le flambeau.
L’immigration s’est toujours
développée de manière heurtée, suivant les besoins en main
d’œuvre des cycles de développement ou de crise du capitalisme.
Les premières générations ne posaient aucun problème dans
l’industrie ni dans la vie civile. Le développement inégal de
l’industrialisation de la planète, favorisé par les pillages des
colonisations, qui avait laissé des zones entières sans équipements
modernes et totalement dépendantes de quelques pays de plus en plus
puissants, mécanisés et armés, intégrait cette zone de laissés
pour compte comme réservoir de main d’œuvre, qui pouvait encore
être qualifié d’armée industrielle de réserve. Le pillage des
colonies fût concomitant à la rafle des esclaves et aux
colonisations successives. On a vu que les limites de l’Empire
romain avaient été atteintes par la manière de se servir de
l’esclave antique. Bien longtemps après, l’esclave des premiers
pas de l’industrie avait donné naissance au prolétaire moderne.
L’esclavage avait été lié
directement au « décollage » qui a lancé la révolution
industrielle en Grande-Bretagne de 1780 à 1800, à travers
l’industrie cotonnière. Celle-ci supplantait alors la vieille et
florissante industrie lainière anglaise. Elle s’est développée à
l’origine comme un sous-produit du commerce d’outre-mer, à
l’arrière des grands ports coloniaux, Bristol, Glasgow, et surtout
Liverpool, dont Karl Marx a pu ainsi résumer le rôle : « ...
Ce fut la traite des nègres qui jeta les fondements de la grandeur
de Liverpool ; pour cette ville orthodoxe, le trafic de chair
humaine constitua toute la méthode d’accumulation primitive. Et,
jusqu’à nos jours, les notabilités de Liverpool ont chanté les
vertus spécifiques du commerce d’esclaves, « lequel
développe l’esprit d’entreprise jusqu’à la passion, forme des
marins sans pareils et rapporte énormément d’argent »
(...). Dans le même temps que l’industrie cotonnière introduisait
en Angleterre l’esclavage des enfants, aux États-Unis elle
transformait le traitement plus ou moins patriarcal des Noirs en un
système d’exploitation mercantile. En somme, il fallait pour
piédestal à l’esclavage dissimulé des salariés en Europe
l’esclavage sans phrase dans le Nouveau Monde ».
D’emblée, le système a mis
en concurrence entre elles les catégories naturelles dans la
population travailleuse : les hommes noirs et blancs, les
femmes, les enfants. Le jeune Engels, décrivant, en 1844-45, la
situation de la classe laborieuse en Angleterre, ne pouvait pas
observer un prolétariat idyllique face à cette concurrence effrénée
dans la classe ouvrière naissante, peinant à se constituer en tant
que classe indépendante ayant des intérêts communs face à la
bourgeoisie. Il notait sans fard que « les travailleurs se font
concurrence tout comme les bourgeois se font concurrence » et
que c’est là « l’arme la plus acérée de la bourgeoisie
dans sa lutte contre le prolétariat », que « la
domination de la bourgeoisie n’est fondée que sur la concurrence
des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur la division à l’infini
du prolétariat, sur la possibilité d’opposer entre elles les
diverses catégories d’ouvriers ». Il avait sous les yeux,
outre les exemples de violence des affrontements fratricides que le
« droit au travail" entraînait, celui de la pression
exercée sur les salaires ouvriers par la misère et le désespoir
auxquels les immigrants irlandais étaient réduits.
Bien
avant les Etats négriers des immigrés modernes d’Afrique, l’Etat
irlandais avait inventé le « commerce d’exportation » :
« Le génie irlandais inventa une méthode toute nouvelle pour
enlever un peuple malheureux à des milliers de lieues du théâtre
de sa misère. Tous les ans les émigrants transplantés en Amérique
envoient quelque argent au pays ; ce sont les frais de voyage
des parents et des amis. Chaque groupe qui part entraîne le départ
d’une autre troupe l’année suivante. Au lieu de coûter à
l’Irlande, l’émigration forme ainsi une des branches les plus
lucratives de son commerce d’exportation ».
Mais
l’émigration n’avait pas toujours été encouragée, comme nous
le révèle encore Marx, et le « pôle emploi » d’époque
sévissait : « La bourgeoisie tout entière surveillait
les ouvriers. Si on offrait à un ouvrier le pire des salaires de
famine, et s’il le refusait, le comité de bienfaisance le rayait
de la liste des personnes secourues. C’était l’âge d’or pour
messieurs les fabricants, en ce sens que les ouvriers étaient
obligés, soit de crever de faim, soit de travailler au prix le plus
profitable aux bourgeois, tandis que les comités de bienfaisance
faisaient pour eux office de chiens de garde. Simultanément, les
fabricants empêchaient, autant que faire se pouvait, l’émigration,
en accord secret avec le gouvernement, en partie pour avoir toujours
sous la main le capital que représentaient pour eux la chair et le
sang des ouvriers, en partie pour s’assurer le paiement des loyers
qu’ils avaient extorqué aux ouvriers ».
Contrairement
à un Gérard Noiriel, des auteurs anglo-saxons plus sérieux ne se
sont pas limités à imaginer que la compétition migrante pouvait
avoir été idyllique.
Eric Hobsbawm observait que « le milieu du XIXème siècle marque le
début des plus grandes migrations de l'histoire de l'humanité »,
avec pour commencer le flux énorme d'immigrants européens aux
Etats-Unis et, dans une mesure moindre, en Amérique du Sud,
Australie et Afrique du Sud. Le résultat le plus spectaculaire est
celui des USA, la proverbiale « nation d’immigrants » où la
classe ouvrière est formée de vagues successives d'immigration en
concurrence et en conflit. De nombreux autres cas de compétition
fratricide se produisent avec les travailleurs immigrés irlandais
dans l'Angleterre victorienne. L’utilisation massive de
travailleurs agricoles polonais par les propriétaires fonciers
prussiens de la fin du XIXème siècle entraine aussi des bagarres.
Près d’un siècle plus tard,
le recours au travail immigré s'est imposé comme un des traits
structurels du capitalisme de la deuxième moitié du XXème siècle
sans jamais faire disparaître les relents de xénophobie,
quoiqu’après deux ou trois générations les noms à consonance
étrangère finissent par se dissoudre dans l’état civil national.
Dès le début des années 1970 il y avait près de 11 millions
d’immigrés en Europe Occidentale, venus d'Europe du Sud ou des
anciennes colonies durant le boom des années 1950 et 1960. Pendant
ces années 1970 et 1980, marquées par la crise, la bourgeoisie
américaine a continué à attirer une vaste immigration nouvelle
d'Amérique Latine et d'Extrême-Orient, aidée par des cartels de
marchands de sommeil comme en Europe. Les patrons recruteurs se
faisaient un malin plaisir à mêler et opposer les différentes
nationalités entre elles, subordonnant celui de telle ethnie aux
ordres d’une autre qui ne parlait pas la même langue, etc. La
diversité de l’immigration du boom des trente glorieuses contribue
à la flexibilité de l'offre de travail, et à l’atomisation sans
défense des prolétaires recrutés sans base culturelle commune ni
langue commune, et maintenus dans leurs spécificités régionales ou
tribales.
Bien avant cette immigration
flexible, l'existence homogène d'une classe ouvrière nationale
composée d'autochtones et d’immigrés, avait toujours été, et
est toujours, amoindrie au quotidien par d’autres divisions que des
démarcations raciales ou « étrangères », la division
technique du travail et les multiples hiérarchies d’entreprises,
les clans régionaux, le privé et le public, les écoles diverses de
promotion d’ingénieurs. Le fractionnement du prolétariat a été
enfin théorisé avec succès par les héritiers du réformisme
contre-révolutionnaire avec leurs savants découpages en couches
moyennes, ouvriers de ceci, employé de cela ou secteur des services…
Marx anticipa la façon dont les
divisions raciales et ou religieuses entre travailleurs indigènes et
immigrés pourraient contribuer à affaiblir plus encore toute
homogénéité de classe exploitée. Dans une lettre aux nommés
Meyer et Vogt du 9 avril 1870, il pointe – ce qui est très
prémonitoire pour notre époque – d’abord les préjugés
religieux, puis il compare le comportement de « l’ouvrier
anglais ordinaire » face à l’irlandais, à celui du blanc
pauvre du sud des Etats Unis face aux « niggers » :
« Enfin, l'essentiel. Tous les
centres industriels et commerciaux d'Angleterre ont maintenant une
classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires
anglais et prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais ordinaire
déteste l'ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son
niveau de vie. Il se sent à son égard membre d'une nation
dominante, et devient, de ce fait, un instrument de ses aristocrates
et capitalistes contre l'Irlande, et consolide ainsi son pouvoir sur
lui-même. Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent
contre l'ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près
comme les blancs pauvres envers les niggers dans les anciens Etats
esclavagistes de l'Union américaine. L'Irlandais lui rend largement
la monnaie de sa pièce. Il voit en lui le complice et l'instrument
aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est
entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les
revues humoristiques, bref, par tous les moyens dont disposent les
classes au pouvoir. Cet antagonisme constitue le secret de
l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de sa bonne
organisation. C'est aussi le secret de la puissance persistante de la
classe capitaliste, qui s'en rend parfaitement compte ».
Pas brillante la situation de
l’immigration en 1870 en Angleterre ! Deux camps ennemis se
font face : prolétaires anglais contre prolétaires irlandais !
Il faut préciser que Marx ne s’attend plus autant qu’en 1848 à
une « union grandissante de la classe ouvrière »
puisqu’il milite pour le droit à l’autodétermination nationale
du peuple irlandais.
Marx ébauche une démonstration
matérialiste de la continuité de la xénophobie (non pas du
racisme) dans le capitalisme moderne, où le « rejet de l’autre »
- en tant que concurrent sur le marché du travail - est « le
secret de la puissance persistante de la classe capitaliste ».
Première cause : la
concurrence économique entre les prolétaires, toujours en premier
lieu : «l’ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier
irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie ». Un
schéma particulier de l'accumulation du capital implique une
distribution spécifique du travail, représentée sur le marché du
travail par des taux de salaires différents. Dans les périodes de
restructuration du capital, alors que le travail se trouve
déqualifié, les capitalistes remplacent les travailleurs qualifiés
en place par une main d’œuvre meilleur marché et moins qualifiée.
Si les deux groupes de travailleurs ont des origines
nationales/religieuses différentes, et par voie de conséquence sans
doute des langues et des modes de vie différents, s’impose alors
un potentiel de rejet irrationnel dans les deux entités de
prolétaires. C’est une situation qui s’est souvent répétée
dans l'histoire de la classe ouvrière américaine sous forme de
divisions raciales médiatisées, alors qu’au fond elles étaient
des tentatives bornées des travailleurs qualifiés pour défendre
leurs positions dans les ornières nationales.
Deuxième cause : l'attrait
de l'idéologie du rejet de l’autre (pas un racisme en soi) pour
les travailleurs autochtones, pas spécialement blancs de peau, qui
est conditionné par la croyance en l’appartenance à la nation
indifférenciée : « le travailleur anglais ordinaire... se
sent un membre de la nation dominante ». Partant, le simple fait de
la concurrence économique entre différents groupes de travailleurs
n'est pas suffisant pour expliquer le développement de la
xénophobie. Pourquoi la xénophobie op2re-elle une telle séduction
sur nombre de travailleurs autochtones ? De nos jours, les idéologues
gauchistes hurlent contre l’assimilation de la délinquance à
l’immigration mais en même temps confortent ainsi la xénophobie,
en premier lieu, en niant une part de la même insécurité sociale
et civile vécue et subie par les prolétaires maghrébins, français
de souche eux aussi. C’est un fait que les derniers arrivés (les
italiens avant guerre, les maghrébins de nos jours) étant les plus
pauvres et les plus ostracisés dans le marché du travail,
comportent souvent quelques chenapans et criminels qui vont servir à
faire du tort à l’immense majorité qui ne souhaite qu’aimer,
travailler et vivre normalement. Ces rebelles voyous sont de fait la
rançon, logique dans le système – face au gangstérisme de
l’élite bourgeoise et de ses banquiers fraudeurs - d’une
exploitation cynique de cette vaste majorité de la main d’œuvre
soumise au besoin de la survie.
Jerry
Grevin, journaliste américain militant du CCI, voulant trouver une
faiblesse de conception de l’immigration chez l’alter ego de
Marx, Engels, s’aligne sur les agités gauchistes qui dénoncent
comme réactionnaire toute notion d’intégration.
La société d’avenir ne peut être en régression par rapport au
progrès
|
Jerry Grevin et sa femme |
représenté par la nation sur le tribalisme. Grevin
reproduit d’abord la citation d’Engels qui,
déplorait-il, pour critiquer les immigrés socialistes allemands de
ne pas apprendre l’anglais, écrivait : « Ils
devront retirer tous les vestiges de leur costume d’étranger. Ils
doivent devenir complètement des Américains. Ils ne peuvent
attendre que les Américains viennent vers eux ; ce sont eux, la
minorité et les immigrés, qui doivent aller vers les Américains
qui constituent la vaste majorité de la population et sont nés là.
Pour faire cela, ils doivent commencer par apprendre l’anglais ».
Engels
reste pourtant « marxiste » sur la question de
l’intégration puisqu’on peut mettre en parallèle sa réflexion
avec les diverses remarques de Marx dans le Capital qui considère
comme progressiste la dissolution des communautés dans des ensembles
plus vastes.(ci-contre, Jerry Bornstein, dit J.Grevin de la section de New York du CCI, venu me rendre visite à Fontenay aux Roses en 1989, mais sans Willy Brandt. Il me confia un jour qu'il était fier de porter le même nom que Trotski. Ce charmant camarade, journaliste, bibliothécaire et écrivain, auteur d'un livre sur la chute du mur de Berlin, avec Willy Brandt, est hélas décédé il y a quelques années à peine âgé de 62 ans).
J.Grevin nuance qu’il est vrai
que le mouvement révolutionnaire mené par les immigrants devait
s’ouvrir aux ouvriers
américains parlant anglais, mais :
« …l’insistance sur l’américanisation du mouvement qui
était implicite dans les remarques d’Engels s’avéra désastreuse
pour le mouvement ouvrier car elle eut pour conséquence de laisser
les ouvriers les plus formés et expérimentés dans des rôles
secondaires et d'en remettre la direction entre les mains de
militants peu formés, dont la qualité première était d’être
nés dans le pays et de parler anglais ». Grevin fait là une
confusion entre d’une part, la nécessité naturelle pour les
nouveaux immigrants d’apprendre la langue du pays où ils
aterrissent, d’envoyer leurs enfants à l’école – que tout
socialiste comme Engels encourageait – et l’ouvriérisme chauvin
qui servit de tremplin, bien plus tard et indépendamment des écrits
d’Engels, depuis Moscou à la promotion de ses hommes de main. La
position marxiste traditionnelle n’a jamais été ni d’encourager
l’ignorance ni le maintien de traditions caduques ou tristement
arriérées, ni du grégarisme tribal. De même pour les langues
diverses, l’évolution vers une langue commune est facteur d’unité
et de mutuelle compréhension. La révolution française a
heureusement fait disparaître la plupart des patois ; la
révolution maximaliste mondiale militera elle aussi en faveur d’une
seule langue pour l’humanité. Basta ! il y aura toujours des
universités pour archiver cultures et langues diverses, pour les
maintenir vivantes ou mortes.
Une
autre remarque d’Engels jette ensuite le trouble dans l’esprit de
J.Grevin: « Il
me semble que le grand obstacle aux Etats-Unis réside dans la
position exceptionnelle des ouvriers du pays… (La classe ouvrière
du pays) a développé et s’est aussi, dans une grande mesure,
organisée elle-même en syndicats. Mais elle garde toujours une
attitude aristocratique et quand c’est possible, laisse les emplois
ordinaires et mal payés aux immigrants dont seulement une petite
partie adhère aux syndicats aristocratiques ».
Grevin
en déduit :
« Même si elle décrivait de façon tout à fait juste la
façon dont les ouvriers du pays et les immigrés étaient
effectivement divisés entre eux, elle (la remarque d’Engels)
sous-entendait de façon erronée que c’étaient les ouvriers
américains et pas la bourgeoisie qui étaient responsables du
gouffre entre les différentes parties de la classe ouvrière ».
C’est bien Grevin qui est dans les nuages pourtant, car, déjà les
syndicats (et pas simplement une bourgeoisie abstraite) divisaient
les ouvriers en catégories qualifiées et non qualifiées, et
nationaux ou étrangers, sur la base du corporatisme et et de la
traditionnelle mentalité autarcique chauvine. Aujourd’hui, un des
nouveaux et meilleurs moyens de diviser les ouvriers est d’afficher
les certitudes arrogantes de l’antiracisme officiel, certifié
d’Etat, à l’instigation de la diversité syndicaliste et
anarchiste,
comme on l’analysera ultérieurement dans ce livre.
L’internationalisme multiracial de Grevin est idéaliste.
J.Grevin
persiste à donner tort à Engels : « De toute façon,
l’histoire même de la lutte de classe aux Etats-Unis a réfuté la
vision d’Engels selon laquelle l’américanisation des immigrés
constituait une pré-condition à la constitution d’un mouvement
socialiste fort aux Etats-Unis. La solidarité et l’unité de
classe au delà des aspects ethniques et linguistiques furent une
caractéristique centrale du mouvement ouvrier au tournant du 20e
siècle. Les partis socialistes américains avaient une presse de
langue étrangère et publiaient des dizaines de journaux, quotidiens
et hebdomadaires, en plusieurs langues. (…) La majorité des
membres du Communist
Party
et du Communist
Labor Party,
fondés en 1919, étaient des immigrés. De même le développement
des Industrial
Workers of the World
(IWW) dans la période qui a précédé la Première Guerre mondiale
provenait essentiellement de l’adhésion des immigrés, et même
les IWW à l’Ouest qui comptaient beaucoup d’Américains "de
naissance", comportaient des milliers de Slaves, de Chicanos et
de Scandinaves dans leurs rangs ».
Mais c’est J.Grevin qui a
encore tout faux. D’une part l’américanisation eût lieu, mais
sous la forme dite multiculturelle, si exaltée de nos jours par les
gauchistes antiracistes et qui maintient férocement les clivages
raciaux et les sentiments d’infériorité sociale. De mouvement
socialiste fort et unifié il n’y eût point aux Etats Unis, où à
la veille de la guerre tous les drapeaux syndicaux et socialistes
furent repliés pour obtempérer à l’union nationale. Le nombre de
journaux et l’aspect multiracial ne sont pas une garantie de force
politique si les principes politiques internationalistes sont bafoués
à la première occasion.
La concurrence n'est pas un
phénomène passager ou secondaire. Elle est la base même des
rapports de production capitalistes, qui opposent la masse des
travailleurs individuels, «libres» vendeurs de leur force de
travail, au capital propriétaire des moyens de production, de plus
en plus concentrés et elle divise aussi les travailleurs entre eux.
Elle est la base du salariat comme mode d'exploitation de la force de
travail, et ne pourra disparaître qu'avec lui.
Les
transformations structurelles de l’immigration
Revenons à l’histoire de
l’immigration, du point de vue marxiste, à une époque où cette
religion à la mode satanique, l’intégrisme musulman, n’était
pas l’étalon de mesure ou le nuage de fumée pour favoriser la
confusion. Lénine, qui reste un génie politique indépendamment de
sa chute politique dans le pouvoir, avait examiné avec pertinence la
base économique de l’immigration. Elle est constituée par le
développement inégal du capitalisme, ce qui est fondamental. En
citant les statistiques de l’immigration aux USA et en Allemagne,
Lénine considérait que la progression de l’immigration des
travailleurs ne cessait de s’accentuer, mais que sa structure avait
changé à partir de 1880-1890. Alors que dans la période
précédente l’émigration européenne provenait essentiellement
des « vieux pays civilisés » (Angleterre et Allemagne),
où le capitalisme se développait le plus vite, désormais, les pays
« arriérés » (en commençant par l’Europe orientale)
fournissaient à l’Amérique et aux autres pays capitalistes
« avancés » des travailleurs de moins en moins
qualifiés. Dans ces conditions, d’une part « les pays les
plus arriérés du vieux monde, ceux qui ont conservé le plus de
vestiges du servage dans tout leur système de vie, passent pour
ainsi dire par l’école forcée de la civilisation » (c’est
à dire du capitalisme) mais aussi ce processus accentue
l’« arriération » des pays déjà les plus
retardataires, transformés en fournisseurs massifs de main d’oeuvre.
Lénine était plus dans la ligne du souci d’intégration d’Engels
que de Grevin et ses billevesées multiculturalistes typiquement
américanophiles. La question de l’intégration de populations
étrangères n’est pas, à l’origine et au fond, une question
philosophique ou raciale, c’est de constitution de la classe
ouvrière qu’il s’agit dans le procès d’industrialisation
nationale. La nation pour industrialiser ne pouvait conserver les
critères ethniques ou religieux ni les barrières de langues, ni
l’illettrisme.
Le capitalisme au XXIe siècle
ne peut plus jouer ce rôle d’intégration et récuse toute dignité
d’ouvrier (personne d’ailleurs ne veut plus être ouvrier). La
nation étouffe, et la menace réside plus dans la tentation de
retourner en arrière que d’avancer. La bourgeoisie n’intègre
plus depuis longtemps des classes sociales reconnues comme telles.
Elle parque des masses de travailleurs soumis à des rites religieux
arriérés et à des clans syndicaux. Lénine avait du génie de
voir, déjà, en partie, la vérité : d’ex-colonies
transformées de plus en plus en réservoirs de main d’œuvre pour
maintenir sous perfusion le capitalisme dans les anciennes nations.
Lénine rêvait tout haut néanmoins en pensant que si les
travailleurs russes étaient les plus attardés, ils étaient un
ferment d’internationalisme : « Les ouvriers de Russie,
comparés au restant de la population, sont l’élément qui cherche
le plus à échapper à ce retard et à cette sauvagerie (...) et qui
s’unit le plus étroitement aux ouvriers de tous les pays pour
former une seule force mondiale de libération». Dans le concret,
tranché par l’histoire, pas d’union grandissante de la classe
ouvrière, mais une expansion de divisions nationales. Dans la crise
économique, comme dans la guerre, une bonne partie des ouvriers a
tendance à plonger dans la xénophobie et l’autodéfense nationale
obtuse. La triste « union » fût sacrée en 1914 mais au
profit des bourgeoisies en lice.
Historiquement,
la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes n’est pas un
phénomène passager ou secondaire, elle est la base même des
rapports de production capitalistes, qui opposent la masse des
travailleurs individuels, « libres » vendeurs de leur
force de travail, au capital propriétaire des moyens de production,
de plus en plus concentrés. Mais avec l’immigration moderne ce
n’est plus un simple problème de compétition économique qui est
posé, au quotidien et à l’année, mais religieux et culturel.
Tout est plus compliqué.
Dans
l’introduction à ce livre, j’ai parlé d’un premier aspect de
la « religion de l’immigration », la théorie de
l’immigré comme révolutionnaire naturel, authentique, presque
génétique. Lénine s’est moqué en 1915, bien avant nous du culte
de l’immigrationnisme, cet opportunisme d’intellectuel qui
n’imagine la classe ouvrière que comme classe immigrée ou
l’immigré comme le suc de ladite classe prolétarienne, pour ne
pas dire son thermomètre internationaliste : « Confronté
au développement des luttes que mènent les travailleurs immigrés,
à leurs formes originales, à leurs difficultés, l'opportunisme «de
gauche» veut voir dans l'immigration le «vrai» prolétariat, la
réalisation d'une idée mythique du prolétariat, il exalte les
divisions, et les renforce, pour le plus grand profit du capital. De
son côté l'opportunisme «de droite» nie la réalité de ces
divisions, des contradictions développées par l'impérialisme dans
la classe ouvrière elle-même, soit pour laisser les immigrés à
leur sort, soit pour considérer qu'ils posent un simple problème
d'inégalité économique, juridique et sociale, n'appelant qu'une
amélioration du sort des plus «défavorisés». Quant à nous,
communistes, nous regardons d'autant mieux ces contradictions en
face, pour en reconnaître les causes objectives et les limites, que
toute notre action vise davantage à les surmonter. Nous savons que
la classe ouvrière tout entière peut ainsi espérer une formidable
libération d'énergie révolutionnaire, un grand pas en avant vers
son émancipation. Dans notre lutte pour le véritable
internationalisme et contre le «jingo-socialisme», notre presse
dénonce constamment les chefs opportunistes du S.P. d'Amérique, qui
sont partisans de limiter l'immigration des ouvriers chinois et
japonais (surtout depuis le congrès de Stuttgart de 1907, et à
l'encontre
de ses décisions). Nous pensons qu'on ne peut pas, à la fois, être
internationaliste et se prononcer en faveur de telles restrictions.
Nous affirmons que si les socialistes américains, et surtout les
socialistes anglais, qui appartiennent à des nations dirigeantes et
oppressives,
ne sont pas contre toute espèce d'entrave à l'immigration et contre
toute possession de colonies (les îles Hawaii), s'ils ne sont pas
pour l'indépendance totale des colonies, ce ne sont en réalité que
des «jingo»-socialistes »..
Or, les restrictions théoriques
vont venir. Les restrictions à l’immigration sans fin aussi !
En
1913, Lénine décrit ce phénomène qui vient s’ajouter aux
anciennes classes ouvrières nationales, une immigration qui ne
vient plus de l’intérieur dans les pays anciens, un capitalisme
qui génère des réservoirs de main d’œuvre à distance. Il
constate que le capitalisme : « a créé une sorte
particulière de transmigration des peuples. Les pays dont
l’industrie se développe rapidement utilisent davantage de
machines et évincent les pays arriérés du marché mondial,
relèvent chez eux les salaires au-dessus de la moyenne et attirent
les ouvriers salariés des pays arriérés. Des centaines de milliers
d’ouvriers sont ainsi transplantés à des centaines et des
milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait entrer de force
dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées retardataires,
les fait participer à un mouvement historique mondial et les met
face à face avec la classe internationale puissante et unie des
industriels. »
Mais Lénine raisonne comme on
pouvait encore raisonner au début du XXe siècle, sans pouvoir
encore tenir compte des conditions que va poser la Première Guerre
mondiale – une exigence massive de la main d’œuvre immigrée –
tout comme du freinage inverse de la crise de 1929. Il raisonne
encore comme ses pères spirituels Marx et Engels, en pensant que le
capitalisme va naturellement intégrer « progressivement »
et positivement ces travailleurs « arrachés à leurs contrées
retardataires » ; sans savoir encore que le capitalisme
décadent n’a plus ni ce projet ni ce pouvoir de « faire
évoluer » cette main d’œuvre dans le sens où Engels
utilisait le terme d’américanisation/intégration des nouveaux
arrivants.
Peut-on
négliger ce vieux constat du Manifeste de 1848 selon lequel la
classe ouvrière se développe d’abord nationalement sans être
pour autant une classe nationale. La capacité des ouvriers
autochtones à absorber les autres prolétaires d’origine étrangère
(par la lutte commune) semblait s’être confirmée pendant la
seconde moitié du dix-neuvième siècle, malgré des violences
ponctuelles, rares, contre les « envahisseurs », quoique
déplorables. Le problème de l’absorption - on ne parlait pas
alors d’intégration - de ces nouveaux bras nus devait déjà
connaître ses limites, ou a fortiori créer d’autres divisions,
sans que syndicats et partis socialistes ne puissent en limiter les
excès au nom de l’œcuménique « union grandissante du
prolétariat internationaliste ». Des couacs déjà au 19e
siècle…
XENOPHOBIE EN MILIEU
OUVRIER ?
L’histoire revisitée par
certains sociologues, plus psychologues de pacotille qu’historiens,
aboutit à de grotesques révisions et interprétations décalées.
Le
17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes où la
récolte du sel rassemblait des centaines de travailleurs français
et italiens, s’est déroulé une émeute opposant «trimards »
français et ouvriers immigrés italiens. Au moins huit italiens ont
été tués et des dizaines d’autres blessés. En dépit des
preuves accablantes réunies contre les saisonniers autochtones, les
assassins furent tous acquittés. Directeur d’études à l’EHESS
(école des hautes études sociales) et membre de la commission
gouvernementale antiraciste, Noiriel a étudié de près, en
bibliothèque, le déroulement du drame, l’expliquant comme
conséquence des mutations politiques et économiques de la fin du
XIXe siècle. Selon lui, les discours officiels sur la fierté d’être
français ont incité les laissés-pour-compte de la République à
s’acharner contre ces étrangers ; le patronat, les militaires, les
journalistes, les juges et les politiciens sont parvenus à échapper
à leurs propres responsabilités. L’analyse est assez réductrice
et conforte les ignorances sur les causes réelles et la théorie
gauchiste bobo d’un racisme éternel intrinsèque à la classe des
« beaufs ». Noiriel en rajoute une couche, en refaisant
l’histoire de la fin du XIXe siècle mais à la lumière de ce
qu’il voit en ce début du XXIe siècle. A propos des Italiens tués
lors des affrontements sanglants de ce 17 aout 1893, Noiriel parle
explicitement de « victimes de l'identité nationale», avec une
allusion plus qu'évidente à un vulgaire débat « identitaire »
avorté d’un parti gouvernemental. En faisant un parallèle avec la
situation actuelle, il conteste bien la thèse du livre du bourgeois
souverainiste Max Gallo auteur du brouet « Fiers d'être
Français ! ».
Noiriel lui oppose un article du site gauchiste Bellaciao qui
s'intitule «Mohammed s'appelait alors Giovanni », comme exemple de
tentative de « susciter un réflexe de solidarité avec [les
immigrés] d'aujourd'hui » en rappelant les souffrances de ceux
d'hier. Un autre ouvrage de Noiriel - « Le creuset français »,
paru en 1988 - passait pour la première histoire sérieuse de
l'immigration en France (il n’en existe aucune de sérieuse !).
Il s’autorisait à décrire la construction juridique et
administrative de l'immigré, avec l'apparition des termes «
immigration » et « immigré », comme coïncidant avec les débuts
de la Troisième République. Pure fantaisie de sociologue chauvin,
ces termes existent avec leurs équivalents depuis l’Antiquité
Noiriel succombe lui aussi au
fond à l’idéologie de l’ouvrier « beauf »: « En
effet, cette affaire (d’Aigues-Mortes) figure aujourd’hui dans
toutes les histoires de l’immigration comme l’exemple le plus
sanglant de la xénophobie ouvrière ». Noiriel place la xénophobie
sur le même plan que le concept large et confus de racisme, qui
permet aux bourgeois moralistes exploiteurs et à leur intelligentsia
de diaboliser en général les classes inférieures. En réalité,
loin d’être des rixes racistes, les quelques 80 rixes qui ont lieu
en France de 1870 à 1890 (y inclus les « Vêpres marseillaises »
du 17 juin 1881) ne concernent pas une lutte pour « l’identité
nationale » mais, très prosaïquement pour « défendre son boulot
». Ces rixes se confondent souvent même avec la lutte contre les «
jaunes » ce que n’examine pas monsieur le sociologue autorisé à
publier ce genre de pensum étroit. Le « massacre des Italiens » du
17 août 1893 est fort mieux résumé, au plus près de la vérité
dans l’annexe 1 du rapport du procureur général de Nîmes Léon
Nadal. Personne n’est blanc. Les ouvriers piémontais plus costauds
que les « trimards français » cassent les cadences ; ce sont eux
les premiers provocateurs quand l’un d’eux jette son pantalon
sale dans la cuve à eau potable des ouvriers autochtones,
déclenchant la bagarre meurtrière. En vérité, la chasse à
l’italien dans les rues d’Aigues-Mortes est encouragée par les
petits patrons et ces fameux « trimards » qui ne sont pas des
ouvriers évolués. Peut-on même les qualifier de prolétaires ? Ils
sont pour la plupart vagabonds, SDF apaches, saisonniers sans foi ni
loi. Ils sont bagarreurs et violents. La classe ouvrière est encore
en train de se «constituer » dans les années 1880 mais compte une
majorité d’anciens ruraux, illettrés, instables et impulsifs.
Elle n’est pas encore cette classe de masse qu’elle va devenir
progressivement jusqu’au début du XXe siècle, délaissant les
vieux fantasmes jacobins et sanguinaires. Les éléments massacreurs
d’Aigues-Mortes sont plus proches du lumpen que de la classe
ouvrière industrielle qui n’aura plus le culte de l’émeute, et
ne se rangera plus derrière ces petits boutiquiers terroristes,
ancêtres de nos fanatiques islamistes, pour qui l’appel au meurtre
de l’étranger était le pic de la révolte. Noiriel ne nous dit
quasiment rien des réactions de la IIe Internationale qui pourtant,
face à ce drame, en appelait à la nécessité de la fraternité
fondamentale entre ouvriers. Le seul élément moderne que nous
retiendrons du drame d’Aigues-Mortes est qu’il a lieu en phase de
crise économique, d’une grave crise du « bassin d’emploi » des
salins du Midi. Et cela nous apparaît comme une explication bien
plus moderne, et utile à la compréhension de nos problèmes…
modernes, apparemment insolubles pour certains comme le sel
d’Aigues-Mortes. S’il n’y a plus assez à bouffer pour tous,
tous les arguments ne sont-ils pas bons, quoique impulsivement…
Pour dépoussiérer la question
de l’immigration d’un idyllisme qui efface tant de pans d’une
histoire douloureuse, j’ai négligé volontairement les grands
moments de fraternité des peuples, voire de fusion au moment des
révolutions ou des plus belles grèves. Suffisamment de livres ont
été consacrés à des éloges dithyrambiques mérités, quoique
parfois assez redondant, pour que je m’étende sur cet aspect. La
xénophobie resta prégnante au cours des frayeurs nationales de la
révolution jacobine, et ne disparut jamais complètement au cours de
la révolution russe et alentours.
EMIGRATION, IMMIGRATION ET
REVOLUTION
Ces trois termes sont
équivalents, selon le point de vue auquel on l’on se place, en
interne ou en externe. L’immigration n’est pas le propre de la
classe ouvrière. L’utopie consolatrice gauchiste immigrationniste
survit dans l’imagerie du doux rêve bolchevique disparu.
L’immigrationnisme gauchiste, anarchiste et ultra-gauche (version
maximaliste) se veut fidèle aux grandes heures plus ou moins
exagérées de la fraternité des peuples des années héroïques de
la vague mondiale révolutionnaire des années 1920. A la suite de la
boucherie de la Première Guerre mondiale, les prolétariats, ces
millions étrangers les uns aux autres dans la guerre impérialiste,
avaient fait montre d’une belle leçon d’humanité avec toute une
série de fraternisations inquiétantes pour la bourgeoisie
sanguinaire. On ne comptait plus les grèves de solidarité
indépendamment des nationalités et les généreux messages de
soutien des partis ouvriers et communistes.
Les
flux migratoires du début du 20ème
siècle, qui convenaient parfaitement au besoin en main d’œuvre
d’un capitalisme en crise puis en reconstruction après ses
désastres de la guerre, portaient en eux le dynamisme de ce
prolétariat universel possible fossoyeur d’une société inique,
cruelle et bardée de frontières. Il était clair que le prolétariat
pouvait être à la fois un instrument de profit mirifique pour les
capitalistes mais en même temps son exécuteur testamentaire.
Curieuse classe, à la fois dans le capitalisme et dehors,
caractéristique qui sera attribuée peu après la vague
révolutionnaire des années 1920 aux seuls juifs, d’être ou
communistes ou capitalistes. Très vite la bourgeoisie mondiale, bien
avant la montée du nazisme fustigea les juifs d’être responsables
de cette dangereuse internationalisation de la lutte des classes,
s’appuyant en particulier sur le fait que la plupart des dirigeants
du parti bolchevique étaient juifs, ainsi que de nombreux membres de
la IIIème Internationale. Cette prégnance d’éléments d’origine
juive à cette époque de grandes migrations nécessaires à la
survie et au développement continu du capitalisme ne devait rien à
une prétendue élite juive, mais au fait que, dans les pays de
l’Est, une bonne partie de la population comptait de vieilles
familles juives et que, parmi eux, nombre d’étudiants cultivés
bafoués pour leur avenir par l’autocratie capitaliste, choisirent
de s’identifier à la lutte historique du prolétariat.
Dans l’urgence de reconstruire
après les dégâts de la guerre, les flux migratoires des juifs
étaient pourtant secondaires au milieu d’une foule d’autres
nationalités paupérisées et rendues « mobiles » pour
aller se vendre aux industriels de l’Occident.
L’immigration, malgré des
politiques toujours restrictives n’était pas un problème comme de
nos jours, mais dans son versant émigratoire elle pouvait être
restreinte comme nous le rappelle Marx dans Le Capital, quand
landlords britanniques et industriels étaient opposés à laisser
fuir la main d’œuvre nationale. Les gauchistes en général et les
trotskiens en particulier, en bons néo-staliniens, peuvent
s’imaginer de manière idyllique d’une gestion compréhensive de
l’immigration dans le pays où la révolution avait triomphé. Or,
la Russie, puissance industrielle de second ordre n’avait pas de
problème d’immigration de main d’œuvre comme à l’époque de
Poutine, quand même elle croulait sous les déclarations
internationalistes. Sa main d’œuvre elle la puisait encore parmi
ses paysans et les peuples périphériques. La Russie stalinienne fut
longtemps présentée mensongèrement comme un havre de travail
garanti quand le chômage explosait à l’Ouest dans les années
1930, veille de la deuxième boucherie mondiale, et dite première
période de la contre révolution.
La dite contre-révolution
stalinienne vint à temps pour montrer que toute révolution
prolétarienne victorieuse dans un seul pays ne peut que refermer ses
frontières et surtout pas promettre d’accueillir à bras ouvert
les chômeurs du monde entier. L’autarcie du capitalisme d’Etat
inaugure l’exploitation absolue sans salariat au fond des goulags.
On touche là un problème de fond sur lequel je reviendrai : la
révolution mondiale suppose une réorganisation primordiale de la
société qui permette à tous les peuples de vivre décemment là où
ils vivent et pas de se précipiter en foule là où il existe du
travail à profusion et aléatoire…à caractère non spécialisé.
Paradoxalement les révolutions
provoquent en général une émigration forcée. Cette immigration
politique est plus politique qu’économique. Elle est émigration
pour sauver sa peau et son statut social.
Si
l’on remonte à la révolution française, l’immigration
« inversée » a mauvaise presse. Les « émigrés »
sont fustigés. Ce sont les nobles fuyards, les ennemis du peuple qui
emportent la patrie à la semelle de leurs souliers. L’émigration
forcée des protestants n’est plus qu’un vieux souvenir. Et
pourtant, l’immigration de bras nus existe déjà, paysans
déserteurs des armées jacobines puis napoléoniennes. L’immigrant
est donc un traître à la patrie. Mais au milieu du siècle d’une
autre révolution, la révolution industrielle, le capitalisme est
attirant dans les zones où il développe son industrie florissante.
De
1845 à 1854, quelques 2.900.000 immigrants sont arrivés aux
États-Unis, plus que lors des sept décennies précédentes. La
plupart de ces immigrants provenaient d'Irlande et d’Allemagne.
Pour les irlandais, l’immigration a été causée par la famine des
pommes de terre et pour les Allemands elle aurait été le produit de
l'échec des révolutions de 1848. En réalité ce n’était pas
tant l’échec de la révolution de 1848 que la misère. Au cours de
l'année de pointe de l'immigration, en 1854, l'émigration
allemande aux États-Unis a dépassé celle de l'Irlande du double.
La surpopulation a joué le rôle le plus important dans la
motivation des Allemands à émigrer. Comme la terre était devenue
plus rare et coûteuse, de nombreux agriculteurs choisissaient de
s’expatrier pour trouver les terres abondantes du Nouveau Monde.
Comme en Irlande, l'industrialisation et la concurrence d'Angleterre
rendaient de plus en plus difficile pour les artisans et paysans
allemands de gagner décemment leur vie. L'unification croissante de
l'économie allemande aggravait encore la situation, avec la
suppression des péages internes et les obligations pour les artisans
des sections les moins industriellement avancées de l'Allemagne,
dans leurs efforts pour soutenir la concurrence avec ceux des Etats
voisins ; en Wurtemberg, par exemple, un tisserand sur six
avait fait faillite entre 1840 et 1847. (...)
TABLE
DES MATIERES
Avant-propos
Introduction
13
Chapitre
1 : L’histoire révisée comme accessoire de la théologie
policière 35
Des
traficants d’esclaves aux traficants d’histoire 35
Des
minoens aux achéens (crétois et grecs) 48
L’histoire
antique islamisée 51
Le
passé commercial de la théologie islamique 66
Décadence
des civilisations ? 69
Ou
effondrement du système financier ? 73
Le
voyage faiseur de mythe 80
Chapitre 2 : Science et
religion 89
Le
religieusement correct 89
Quand
les nazis annexaient l’Antiquité 96
Le
savoir grec inexploitable par la religion mahométane 97
Premier
ennemi de la religion : les mathématiques 101
…Et
les faussaires de la propagande islamiste 103
Deuxième
ennemi de la religion : la médecine scientifique 108
Les
bases de l’arabisme dans la médecine latine (ou le pseudo
scientisme musulman) 114
Le
bazar de l’islam originel (Dieu n’est pas mort en Orient pour le
« commerce de commission ») 117
Le
mythe de la tolérance musulmane en Andalousie 123
L’islam
machine à ignorance 126
Le
déclin moyenâgeux de l’islam 134
L’apologie
du cosmopolitisme arabo-musulman 137
L’affaire
Gougenheim 143
Fuite
des cerveaux aliénés 147
Chapitre 3 : PROLETARIAT ET
DIVISIONS ETHNICO-RELIGIEUSES 149
L’immigration
et le vrai prolétariat 149
Les
transformations structurelles de l’immigration 159
Xénophobie
en milieu ouvrier ? 164
Emigration,
Immigration et révolution 167
L’islam
compatible avec le bolchevisme ? 172
L’immigré
un arriviste opportuniste ? 176
Une
nouvelle division du travail ethnico-religieuse 184
La
bourgeoisie américaine empêche la reformation du prolétariat 188
Chapitre 4 : MONDE DU
TRAVAIL ET IMMIGRATION 203
Petit
historique de la rétention immigrée 204
L’explosion
de l’immigration clandestine 208
La
sainte alliance du pétrole et de la foi 211
Comment
la gauche bourgeoise a remplacé le prolétaire par l’immigré
212
La
tolérance de l’islam « francisé » 213
L’usine
stade suprême de l’intégration islamique 215
Chapitre 5 : NATION ET
IMMIGRATION 223
Pousser
le capitalisme dans ses contradictions ou l’accompagner dans sa
décadence ?
La
préférence immigrée des bordiguistes 228
Encadrement
national multiethnique 235
Le
déguisement religieux : fanatisme et fatalisme musulman 239
La
question de la femme décrédibilise l’islam 252
Une
islamisation galopante du Sud au Nord ? 254
Chapitre 6 : ANTIRACISME ET
ISLAMOPHOBIE 261
Les
raisons de la victoire (étriquée) d’Ennhada 269
L’institution
de l’antiracisme germanopratin 276
Régularisation
de tous les sans-papiers ? 285
Un
décor moral ou une mode provocatrice ?
288
Chapitre 7 : QUELLE
INTEGRATION DANS LE CAPITALISME ? 297
Le
capitalisme qui ne peut plus intégrer 297
Fin
du nomadisme prolétarien 299
Couches
moyennes et fascisme 302
Pour conclure : Washington
akbar ! 309
Annexe 316
Le
reflet religieux (Marx, extraits du Capital) 316
L’excès
constant de population (ibid) 319
Le
commerce de commission (ibid) 320
Marx
rend hommage aux Grecs anciens (in Contribution à la critique de
l’économie politique, 1859) 322
Bruno
Bauer et le christianisme primitif (F.Engels) 324
Le
protestantisme du point de vue matérialiste (F.Engels) 334
Contribution
à l’histoire du christianisme primitif (F.Engels) 337
Note
d’Engels sur l’islam 362
La
rencontre de la sainte féministe C.Fourest et du batteleur de foire
islamique T.Ramadan 363
Les
contes des mille et une bigoteries du capitalisme allemand (extrait
de mon blog) 374
Bibliographie
379
NOTES