"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 1 février 2025

Le caractère inéluctable du communisme (suite 2): la révolution n'est pas une affaire de parti

 

Le caractère inéluctable

du communisme

 

Critique de l’interprétation de Marx par Sydney Hook

par Paul Mattick (1936)

traduction Jean-Pierre Laffitte

LA REVOLUTION N’EST PAS UNE AFFAIRE DE PART

 (Je ne peux pas dire que je suis d'accord avec Rühle et Mattick. Ils ont été, il faut le dire avec insistance, une réaction saine à la version dictatoriale du modèle bolchevique, et donc autrement utiles à la réflexion du maximalisme moderne contrairement au trotskisme resté "léniniste" puis devenu simple croupion de la gauche bourgeoise. Qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, de parti révolutionnaire pour l'heure il n'y en a point)



Nous avons déjà souligné le lien étroit qui existe entre l’attitude particulière de Hook à l’égard de la théorie marxiste de la valeur en particulier, et celle à l’égard des doctrines économiques de Marx en général, ainsi que sa déviation idéaliste par rapport à la dialectique marxiste. Tous ces facteurs continuent d’exercer leur influence pernicieuse sur la théorie de la révolution de Hook. Dans le chapitre intitulé La lutte de classe et la psychologie sociale, il dit (page 228) : « La répartition du surproduit social n’est jamais une affaire automatique, mais elle dépend des luttes politiques entre les différentes classes engagées dans la production ». La lutte pour le partage de la plus-value est cependant assez limitée : c'est un fait auquel il faut faire référence, car c'est précisément cette limitation qui montre ce qu'est la véritable conscience de classe. Marx a par exemple montré que le salaire ouvrier ne peut pas dépasser un certain niveau pendant une longue période, ni descendre en dessous d’un certain niveau à long terme. La loi de la valeur est finalement décisive. Et même indépendamment de ces variations, l'effondrement du capitalisme est manifeste si l’on se fonde sur la seule théorie de la valeur. De plus, la lutte des classes ne détermine pas en dernière instance la part de la plus-value qui revient aux couches moyennes, mais c'est cette part qui détermine leur lutte. Le processus de concentration est plus fort que la tactique défensive des classes moyennes. Si néanmoins ces classes existent, c'est dû au fait que le capital, tout en détruisant les éléments qui font exister la classe moyenne d'une part, continue à les recréer d'autre part. Certes, le partage de la plus-value n'est pas un processus automatique, et certes il est exact que la lutte des classes dans tout le processus dialectique contribue à déterminer ce partage, mais c’est de la lutte pour la répartition de la plus-value que naît, au cours du développement, une lutte pour l'abolition du système du profit, que nous le voulions ou non.

Depuis des années maintenant, les travailleurs du monde entier sont payés moins que leur valeur, et ce fait n'est qu'un autre indice de la permanence de la crise actuelle. Dans la crise mortelle du capitalisme, la population laborieuse ne peut que s'appauvrir davantage ; si elle lutte pour une plus grande part de la plus-value, elle lutte alors déjà pratiquement pour l'abolition de la production de plus-value, même sans avoir conscience de ce fait et de ses conséquences.

L'opposition de classes, qui est inhérente aux rapports de production, détermine la nature de la lutte des classes. Des partis politiques se forment, car une partie des travailleurs prend conscience de la nécessité de la lutte des classes plus rapidement que la grande masse. Si le parti peut, d’un côté, accélérer le développement général et raccourcir les souffrances dues à la naissance de la nouvelle société, il peut aussi, inversement, retarder ce développement et agir comme un obstacle à son développement. Par conséquent, quand quelqu’un parle, comme le fait Hook, de la nécessité du parti et qu’il s’engage en outre avec lui dans l’idée que sans parti une révolution réussie est hors de question, alors en premier lieu il parle d’une abstraction et, deuxièmement, il identifie le parti à la révolution ou à la conscience de classe ; à l’idéologie marxiste. En fait, la question de savoir si la conscience de classe révolutionnaire, qui, dans le parti, prend la forme d’une idéologie, est obligée de se manifester dans le parti, c’est une question qui ne peut pas être résolue dans l’abstrait mais seulement dans le sens pratique. Ce n'est pas seulement dans la forme spécifique du parti que la conscience de classe devenue idéologie doit s'exprimer. Cette conscience peut aussi prendre d'autres formes, par exemple celle des cellules d'usine, et celles-ci seraient encore le parti aujourd'hui. Il est indiscutable d’affirmer que, sans conscience de classe cristallisée en idéologie, une révolution est hors de question, ne serait-ce que parce que le marxisme, qui ne sépare pas l'être de la conscience, présuppose que dans une période révolutionnaire, les éléments conscients sont eux aussi présents comme une évidence. Plus ces éléments sont forts, mieux c'est ; mais aussi faibles soient-ils, la conscience de classe pour le marxisme n'est pas une idéologie, mais les besoins matériels vitaux des masses, quelle que soit leur position idéologique. L’idée de Hook selon laquelle la révolution est une affaire de parti appartient à une période déjà dépassée, la période du réformisme, pour laquelle le marxisme s’était figé en idéologie et dont Hook, malgré toutes ses critiques, approuve aujourd’hui la position.

L’on ne peut déterminer, comme on l’a déjà dit, que par la pratique actuelle si, dans la situation présente, le parti doit encore être considéré comme un centre de cristallisation de la conscience de classe. Et si Hook devait fournir ici la preuve de la nécessité du parti, il échouerait lamentablement. Aujourd'hui, le parti n'est plus qu'un obstacle à l'épanouissement de la véritable conscience de classe. Partout où la véritable conscience de classe s'est exprimée, au cours des trente dernières années, elle a pris la forme de comités d'action et de conseils ouvriers. Et tous les partis ont vu dans cette forme organisationnelle de la conscience de classe, s'exprimant dans l'action, une puissance hostile qu'ils ont combattue. L’on cherchera en vain dans l'histoire révolutionnaire européenne du XX° siècle un seul exemple où le parti, dans une situation révolutionnaire, ait eu la direction du mouvement ; à chaque fois, ce mouvement a été entre les mains de comités d'action spontanément constitués, les conseils. Partout où des partis se sont mis à la tête d'un mouvement ou se sont identifiés à lui, cela n’a été que pour en émousser le tranchant. Exemples : les révolutions russe et allemande.

Ni la social-démocratie, ni les bolcheviks, n'ont pu ou ne peuvent concevoir un mouvement qu'ils ne contrôlent pas. Les bolcheviks n'ont jamais été autre chose que des sociaux-démocrates radicaux. Dans la lutte acharnée que Lénine et Rosa Luxemburg se sont livrés en ce qui concerne l’organisation du mouvement ouvrier, l'histoire a finalement tranché en faveur de Luxemburg. La reconnaissance de ce fait historique sera sans aucun doute retardée par le “socialisme” russe à la Potemkine4, mais l’histoire elle-même prend la place de Rosa Luxemburg et, avec les défaites les plus honteuses jamais enregistrées, martèle dans la tête des ouvriers que la révolution n’est pas une affaire de parti mais une affaire de classe. La conception du parti de Lénine, à laquelle Hook est attaché, est une conception spécifiquement russe, complètement dénuée de sens pour l’Europe industrielle et l’Amérique.

Si la dictature du parti – qui conduit nécessairement à la bureaucratie – était une nécessité pour la Russie, où, en raison de l’arriération du pays, le système soviétique ne peut être admis que comme une formule et non comme une réalité, les véritables soviets constituent néanmoins la seule forme sous laquelle la dictature du prolétariat peut s’exprimer dans les pays développés. Ce n'est plus sur le parti, mais sur les masses elles-mêmes que doit reposer le poids de la décision révolutionnaire. Le parti réformiste a pris fin avec la trahison sociale de la Deuxième Internationale au cours de la Guerre mondiale. La “social-démocratie révolutionnaire”, le parti de Lénine, la Troisième Internationale, ont connu une fin ignominieuse dans la collision avec le fascisme. Les actes du capitalisme ont démasqué la pseudo-lutte menée par ces organisations. La fin de la Troisième Internationale a été visible dès 1920, lorsque les révolutionnaires ont été expulsés pour ne pas perdre le contact avec le bâtard USPD (socialistes indépendants) et les autres partis de masse à moitié réformistes. La lutte contre le crétinisme parlementaire, menée avec une telle démonstration d’âpreté par le “parlementarisme révolutionnaire”, a abouti au “crétinisme parlementaire révolutionnaire” qui, dans son empressement à repousser toute action, a inscrit sur son drapeau (1933) : « Pas Hitler – Thälmann vous donnera à manger et à travailler ! Répondez au fascisme le 5 mars ! Élisez des communistes ! ». De quel parti parle Hook lorsqu'il parle du parti comme d'une nécessité ? A-t-il en tête les bouffonneries des trotskistes, qui réclament en même temps la révolution permanente et des crédits à long terme pour la Russie, ou la plaisanterie politique des brandlériens, qui croyaient autrefois que la dictature du prolétariat était possible dans le cadre de la Constitution de Weimar ? Certes, Hook parle (dans son livre) du parti dans l'abstrait, mais néanmoins il entend toujours le parti de Lénine, qui contient et développe tout ce qui a conduit à la dissolution du mouvement ouvrier tel qu'il a existé jusqu'ici, sans pour autant conduire à un véritable mouvement ouvrier.

Le parti n'a pas à faire autre chose que d’empêcher le développement de l'initiative des masses. Il ne s'est pas révélé être un instrument de la révolution, mais il a imposé sa volonté au mouvement. L'identification du parti avec la révolution a conduit à l'organisation des masses à tout prix, car le parti devait désormais prendre la place du mouvement des masses. Mais au mieux, le parti n'est rien d'autre qu'un instrument de la révolution, et non la révolution elle-même.

La conception mécaniciste du matérialisme dialectique défendue par Lénine, que Hook reprend dans les connexions les plus variées tout au long de son livre, conception qui ne voyait dans la conscience que le reflet du monde extérieur, conduisait nécessairement aussi à sous-estimer le rôle de la spontanéité dans l'histoire. Si Hook rejette le mécanicisme de Lénine, il rejette aussi les erreurs que ce mécanicisme engendre, comme par exemple le rejet de la spontanéité. Lénine partageait avec Kautsky l’idée que « ce n’est pas le prolétariat mais l’intelligentsia bourgeoise qui doit être considérée comme le représentant de la science ». Pour Kautsky, la conscience socialiste ne se confond pas avec le prolétariat, mais elle est apportée aux ouvriers de l'extérieur. Telle est la tâche du parti au sens kautskien. Pour Marx, au contraire, la lutte de classe se confond avec la conscience de classe. Ni Kautsky ni son élève Lénine ne pouvaient comprendre cela. Dans sa brochure Que faire? Lénine écrit :

 

« Il ne peut pas y avoir l’idée d’une idéologie distincte mûrie par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur développement…. L'histoire de tous les pays témoigne que la classe ouvrière, d'elle-même, n'est capable de développer qu'une conscience syndicaliste... c'est-à-dire la conviction de la nécessité de se regrouper dans des syndicats, de mener une lutte contre le patron, d'exiger du gouvernement telle ou telle mesure législative dans l'intérêt des travailleurs, etc. La doctrine socialiste, elle, procède des théories philosophiques, historiques et économiques, qui ont été élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, les intellectuels. ».

 

Jusqu’à présent, l’ensemble du mouvement ouvrier a adopté une conscience identique à l’idéologie socialiste. Par conséquent, si l’organisation, considérée comme l’idéologie organisée, se développait, cela signifiait que la conscience de classe augmentait. Le parti exprimait la force de la conscience de classe. Le rythme de la révolution était le rythme du succès du parti. Bien sûr, les relations étaient conditionnées par la volonté avec laquelle les masses acceptaient la propagande du parti, mais les masses elles-mêmes, sans propagande, étaient inaptes à mener un véritable mouvement. La révolution dépendait d’une propagande correcte. Et celle-ci dépendait à son tour de la direction du parti, et celle-ci du génie du leader. Ainsi, ne serait-ce que de manière détournée, l’histoire a été après tout, en dernière analyse, l’œuvre de “grands hommes”.

La mesure dans laquelle le mouvement ouvrier est encore dominé par cette conception bourgeoise de la “façon de faire l’histoire” est démontrée par l’impudence des stratèges de la défaite du parti communiste, dont la seule réponse à la critique révolutionnaire d’aujourd’hui est l’affirmation que la défaite du prolétariat allemand en 1933 n’est rien de moins qu’un coup magistral de la part des révolutionnaires professionnels. C’est ainsi que l'organe du Parti communiste Gegenangriff écrit, en date du 15 août (1933), depuis son exil à Prague : « Il y a des chiens inintelligents qui courent après le train et croient pouvoir le rattraper. Pendant ce temps, les concepteurs de la thèse sont assis à leurs tables et calculent la vitesse du train en fonction de son approvisionnement en charbon, afin de déterminer le moment précis où il peut le plus sûrement dérailler ». Aucune critique, s'il vous plaît, seulement de la patience ; le Comité central fera le travail. Aujourd’hui, il s’agit encore de calcul, mais demain – ah, demain ! Pendant ce temps, les grands stratèges s'assurent mutuellement de leur grandeur et le mouvement ouvrier est englouti dans la mer de la stupidité du Parti communiste, dont la plus grande sagesse a été bien exprimée dans les simples mots du camarade Kaganovitch : « Le leader du communisme mondial, le camarade Staline, le meilleur élève de Lénine, est le plus grand dialecticien matérialiste de notre époque. » ... Tel est le niveau du mouvement ouvrier actuel, qui voit dans le parti la révolution elle-même et, ce faisant, a dégénéré en le plus puissant rempart de la contre-révolution.

Nommer Marx et Lénine ensemble, comme le fait Hook lorsqu’il dit : « Marx et Lénine se rendaient compte que, laissée à elle-même, la classe ouvrière ne développerait jamais une philosophie socialiste », c’est peut-être juste pour Lénine, mais jamais pour Marx. Pour Marx, le prolétariat est la réalisation de la philosophie ; l’existence du prolétariat, ses besoins vitaux, sa lutte, sans égard pour les bagatelles idéologiques – c’est cela le marxisme vivant !

Si Hook insiste beaucoup sur le fait que « l’antagonisme de classe ne peut se transformer en conscience révolutionnaire que sous la direction d’un parti politique révolutionnaire », c’est qu’il pense qu’en faisant cela il a rendu justice au rôle de la conscience de classe dans l’histoire ; s’il pense avoir ainsi marqué la théorie de la spontanéité avec l’étiquette mécaniciste, alors il l’a fait avec le mécanicisme de Kautsky et de Lénine et il partage leur vision non dialectique du marxisme – une vision qui est mieux illustrée comme non dialectique précisément du fait de son rejet du facteur spontanéité.

C’est de la même manière non dialectique et absolue avec laquelle Hook aborde la question du parti qu’il aborde toutes les autres questions ayant trait à la conscience. Prenons simplement comme exemple le parlementarisme. Hook écrit (page 302) : « Partout, il faut lutter pour le suffrage universel… non pas parce que cela change la nature de la dictature du capital, mais parce que cela élimine les problèmes confus et permet à la question de la propriété de se poser clairement ». En réalité, le parlementarisme à une certaine époque historique élimine non seulement de nombreuses questions confuses, mais il crée aussi de nouvelles illusions qui, dans d’autres contextes historiques, se retournent complètement contre le prolétariat. Si le suffrage universel était autrefois un cri de ralliement politique du prolétariat, cette revendication peut aujourd’hui être devenue – et est devenue – complètement dénuée de sens. Si la lutte pour le droit de vote était autrefois une lutte politique, elle est aujourd’hui devenue une pseudo-lutte qui ne fait que détourner l’attention de la véritable lutte. Si l'ancien mouvement ouvrier s'est déjà enfoncé dans le crétinisme parlementaire, la revendication actuelle d'une activité parlementaire est un crime. Car le besoin d’aujourd’hui, c’est l’accélération de l’initiative des masses et le développement de l’action directe des travailleurs – un besoin qui est détourné vers des voies inoffensives par l’activité parlementaire. Le parlementarisme – y compris celui du “type révolutionnaire” – est une trahison de classe. Et il n’est pas nécessaire de nous référer à Marx : le marxisme ne serait pas le marxisme si la tâche propre du mouvement ouvrier à l’époque de Marx et d’Engels était encore aujourd’hui, dans le détail, sa tâche propre.

 

 

 

 

 

 

4 Potemkine était le ministre principal de Catherine II de Russie. Lorsque la tsarine a fait un voyage en province, Potemkine a fait construire des villages factices le long de son parcours pour lui faire croire que ses terres étaient un pays de cocagne. Le nom du ministre est ainsi devenu synonyme de “fallacieux”.

 


vendredi 31 janvier 2025

Le caractère inéluctable du communisme (suite): contre la surestimation des grands hommes

  

 


Critique de l’interprétation de Marx par Sydney Hook

(Il ne me sera pas possible de publier en entier ce livre passionnant, mais je peux faire suivre les fichiers à ceux qui sont intéressés)1

traduction: Jean-Pierre Laffitte



VI

CONTRE LA SURESTIMATION DES GRANDS HOMMES

 

Puisque Hook ne voit pas dans Das Kapital la découverte des lois du mouvement social, mais seulement la critique (conditionnée par la volonté du prolétariat) de l’économie bourgeoise, Das Kapital n’est pas pour lui la concrétisation théorique de la dialectique matérialiste, mais « l’application du matérialisme historique aux “mystères” de la valeur, du prix et du profit » (page 187). En d'autres termes, étant donné que, selon Hook, les rapports de production déterminent la pensée et les actions des êtres humains, Marx a développé à partir du point de vue du prolétariat sa critique de l'économie bourgeoise, qui n'est que de la critique et rien d'autre. Si le prolétariat l’emporte, le Capital de Marx ne restera qu’un document historique, rempli des pensées d’une classe qui a souffert sous la domination du capitalisme. Le matérialisme historique n’est pas ici une partie du développement dialectique, mais il en est séparé ; il n’est pas un élément productif, mais une vision de la vie (Weltanschauung).       « Pourtant », comme l’écrit Marx à propos de son critique russe dans la préface du premier volume du Capital, « que décrit-il d’autre que la méthode dialectique ? ». Mais pour Hook, Das Kapital n’est qu’une idéologie, et de ce point de vue il dit (page 181) :

« Ce qui justifie chez Marx et Engels la position selon laquelle le mode de production économique est le facteur décisif de la vie sociale, c’est la volonté révolutionnaire du prolétariat, qui est prêt à agir sur la base de cette hypothèse… C’est seulement parce que nous voulons changer la structure économique de la société que nous cherchons des preuves du fait que, dans le passé, le changement économique a eu une influence profonde sur toute la vie sociale et culturelle. Parce que nous voulons changer la structure économique de la société, nous affirmons que ces preuves du passé, jointes à notre acte révolutionnaire du présent, constituent une raison suffisante pour croire que la proposition générale : “en dernière instance, le mode de production économique détermine le caractère général de la vie sociale”, sera vraie dans un avenir proche. ».

Même s'il poursuit en affirmant que ce que nous voulons et quand nous le voulons ne peuvent pas être déduits d'un désir d'action indépendant et absolu, mais sont conditionnés par l'histoire, malgré tout, dans son interprétation, la volonté reste séparée de la conscience. Il n'y a ici aucune interaction ni aucun tout dialectique. En dépit de toutes les concessions matérialistes et des incohérences idéalistes, le point de vue de Hook est toujours que nous considérons le mode de production économique comme un facteur déterminant uniquement parce que nous voulons changer les relations économiques. La volonté, aussi conditionnée soit-elle, reste au fond décisive pour Hook. Le sérieux avec lequel il accepte cette conception se voit dans sa description de la manière dont le changement social se produit. Il écrit      (page 84) :

« Des conditions objectives, sociales et naturelles, (thèse) naissent des besoins et des objectifs humains qui, en reconnaissant les possibilités objectives dans la situation donnée (antithèse), établissent un plan d’action (synthèse) destiné à concrétiser ces possibilités. »

Pour Hook, l'action, qui est identique à la volonté, constitue la synthèse. Pour Marx cependant, la synthèse est quelque chose de différent ; le prolétariat, en tant qu'antithèse de la société bourgeoise, contient déjà ce qui constitue le contenu de la synthèse de Hook. La synthèse marxiste suppose l'action réussie ; elle se situe derrière la volonté. Elle est le résultat de la négation de la négation, elle est la société communiste. La croissance du prolétariat elle-même n'est pas seulement la croissance de la misère prolétarienne, mais aussi de la conscience de classe et de l'action. Tout ce processus se transforme, à un certain degré de développement, en révolution. « Was der Mensch will, das muss er wollen ». La volonté est inséparable du prolétariat ; l’existence du prolétariat comme force matérielle de production est en même temps l’existence de la volonté. Il faut éviter toute mise de côté et toute survalorisation de la volonté. On pourrait plutôt dire avec Engels : « Une révolution est un pur phénomène de la nature, qui se déroule plus selon les lois physiques que selon les règles qui, en temps ordinaire, conditionnent le développement de la société. Ou plutôt, ces règles prennent au cours d’une révolution un caractère beaucoup plus physique, la force matérielle de la nécessité se manifeste avec plus de force ». La force matérielle est identique à la volonté et à la conscience. Dans les temps ordinaires (le réformisme), l’on attribue nécessairement à ces facultés plus de valeur qu'elles n'en ont, de sorte qu'elles redeviennent idéalistes et fausses. Dans les temps révolutionnaires, quelle que soit la force de la volonté et de la conscience, ces facteurs restent toujours très loin derrière la force matérielle réelle de la révolution.

Le processus révolutionnaire réel est beaucoup plus étroitement lié aux processus de la nature que nous ne sommes capables de le concevoir dans une période non révolutionnaire ; le facteur “humain” (idéologique) dans le développement devient plus insignifiant. Dix mille êtres humains affamés avec la conscience la plus claire et la volonté la plus forte ne signifient rien dans certaines circonstances ; dix millions d'êtres humains affamés dans les mêmes circonstances, sans conscience et sans volonté humaine spécifique, peuvent signifier – une révolution. Les hommes meurent de faim que ce soit avec ou sans conscience et volonté, mais dans les deux cas, ils ne meurent pas de faim s’ils voient de la nourriture. Et lorsque Hook, au cours de son exposé, fait référence aux millions d'êtres humains qui ont péri par manque de conscience de classe, il ne fait en fin de compte que souligner le fait que même la présence d'une conscience de classe n'aurait pas pu empêcher la famine. D’autre part, il ne cite aucun exemple où des millions d’êtres humains auraient eu faim en voyant de la nourriture. Car dans un tel cas, ils ne seraient pas morts de faim, mais ils auraient pris possession de la nourriture et seraient ainsi devenus – des individus ayant une conscience de classe.

Cette surestimation, ou plutôt cette estimation erronée, du rôle de la conscience conduit Hook à surestimer également le rôle du parti et, dans un sens plus étroit, celui de l'individu dans le processus historique ; rôle qu'il ne conçoit pas historiquement, mais de manière tout à fait absolue. Pour arriver rôle du génie, il demande par exemple (page 169) :

« La révolution russe aurait-elle eu lieu en octobre 1917 si Lénine était mort en exil en Suisse ? Et si la révolution russe n’avait pas eu lieu à ce moment-là, les événements ultérieurs en Russie auraient-ils suivi le même cours ? ».

Le même jeu se poursuit avec d'autres hommes d'État et d’autres scientifiques, et Hook se retourne alors vivement contre Engels, Plekhanov et d'autres, qui soutenaient que toute époque qui a besoin de grands hommes les crée elles aussi. Hook répond (pp. 171-172) :

« Avec tout le respect que je vous dois, cette position me semble être une absurdité totale… Prétendre que si Napoléon n’avait pas vécu, quelqu’un d’autre et non lui aurait été Napoléon (c’est-à-dire aurait accompli l’œuvre de Napoléon) et ensuite présenter comme preuve le fait que chaque fois qu’un grand homme a été nécessaire, il a toujours été trouvé, est logiquement infantile… Où se cachait le grand leader lorsque l’Italie était objectivement prête pour la révolution en 1921 et l’Allemagne en 1923 ? ... Il n’y a pas d’obligations dans l’histoire ; il n’y a que des probabilités. ».

Pour répondre sur le même plan, nous pouvons dire, d'abord, comme Hook l'a dit ailleurs, que seule la pratique montre si une vérité est vraie, donc aussi si un grand homme est réellement tel. Et cette pratique est une pratique sociale. Si, par exemple, la société n’avait pas présupposé (le mécanisme dans la fabrication), concrétisé (la division du travail) et appliqué les connaissances de Newton, le génie de Newton serait mort avec lui. Si le processus de capitalisation n'avait pas donné à la France une telle puissance offensive et défensive, le génie Napoléon serait peut-être mort comme lieutenant encore plus seul qu'à Sainte-Hélène. C’est la société qui détermine ce qu'est le génie. La Révolution russe est indépendante de Lénine, et même le moment où elle s'est produite n'a pas été le moins du monde conditionné par lui, mais par une série infinie de facteurs entrelacés dans lesquels le génie de Lénine est englouti, et sans lesquels il ne peut être compris. Le fait que les bolcheviks aient réussi à prendre le pouvoir politique dans une révolution sur laquelle ils n'avaient aucun contrôle est, bien sûr, en partie en relation directe avec les bolcheviks et aussi en partie avec la personnalité de Lénine. Mais l’idée que sans Lénine le cours de l’histoire russe aurait été résolument différent est en dessous du niveau de la recherche marxiste, qui ramène constamment l’histoire aux besoins de la vie sociale. Ce n’est pas la Révolution russe qui s'est adaptée à Lénine, mais c’est Lénine qui s'est adapté à la Révolution russe. C'est seulement parce qu'il a accepté le mouvement révolutionnaire qu'il a acquis une influence sur lui, qu'il en est devenu l'organe exécutif. La façon dont Lénine a réexaminé son œuvre après la révolution montre à quel point il a été influencé par le cours réel de la révolution et à quel point il n'a pas lui-même déterminé son développement. C'est ce qu'il a exprimé très clairement dans un discours qu'il a prononcé en octobre 1921, lorsqu'il a déclaré :

« La révolution démocratique-bourgeoise a été menée jusqu'au bout par nous comme par personne d'autre... Nous comptions – ou peut-être serait-il exact de dire : nous pensions, sans calcul suffisant – pouvoir, par les ordres exprès de l’État prolétarien, organiser à la manière communiste, dans un pays de petits paysans. La vie nous a montré nos erreurs. Une suite de degrés intermédiaires se sont révélés indispensables : le capitalisme d’État et le socialisme, en vue de préparer – par un travail de longues années – le passage au communisme. Ce n’est pas en vous appuyant directement sur l’enthousiasme, mais au moyen de l’enthousiasme engendré par la grande révolution, en faisant jouer l’intérêt personnel, l’avantage personnel, en appliquant le principe de gestion équilibrée, qu’il vous faut d’abord, dans un pays de petits paysans, construire de solides passerelles conduisant au socialisme, en passant par le capitalisme d’État. Voilà ce que nous a révélé la marche objective de la révolution… L’État prolétarien doit devenir un “patron” prudent, soigneux et habile, un négociant en gros consciencieux – sinon il ne pourra pas mettre debout, économiquement, ce pays de petits paysans… Un négociant en gros, cela paraît être un type économique éloigné du communisme comme le ciel l’est de la terre. Mais c’est précisément là une de ces contradictions qui, dans la réalité vivante, mène de la petite exploitation paysanne au socialisme, en passant par le capitalisme d’État. L’intérêt personnel a pour effet de relever la production ; il nous faut augmenter la production avant tout et coûte que coûte. Le commerce de gros unit économiquement des millions de petits paysans, en les intéressant, en les associant, en les amenant au degré suivant : aux diverses formes d’association et d’union dans la production elle-même. ». 

Le cours de la Révolution a rejeté, d’abord, toutes les vieilles idées bolcheviques qui étaient encore étroitement liées au capitalisme d’État de Hilferding, et il a imposé l’adoption du communisme de guerre comme nouvelle doctrine ; puis le cours réel des développements a rejeté également cette nouvelle “construction” et il a pris un tournant plus pur vers le capitalisme d’État. La Révolution russe est donc un exemple classique du fait que le cours du développement est déterminé non par les idées des grands hommes, mais par la pratique socialement nécessaire. Il n’est peut-être pas utile de discuter du fait de savoir si la Révolution russe sans Lénine aurait suivi une autre voie que celle du capitalisme d’État, car Lénine lui-même considérait que le capitalisme, non seulement en Europe occidentale mais aussi en Russie, était suffisamment avancé pour que la phase suivante ne puisse être que le socialisme. Lénine considérait l’impérialisme comme « le capitalisme sous sa forme transitoire, le capitalisme parasitaire ou stagnant ». L’impérialisme a conduit, selon Lénine, simplement à la socialisation universelle de la production : « Il entraîne le capitaliste, contre sa volonté, dans un ordre social qui offre une transition de la liberté totale de concurrence à la socialisation complète ». La guerre, selon Lénine, a transformé le capitalisme monopoliste en une forme    « monopoliste d’État » ; le « capitalisme monopoliste et militaire d’État » est cependant une   « préparation matérielle complète au socialisme, sa porte d’entrée ». Avec la conquête du pouvoir d’État et la prise de contrôle des banques, il pensait que le capitalisme d’État pouvait se transformer très rapidement en socialisme. La mise en place d’une économie capitaliste d’État en Russie n’était donc, selon Lénine, que l’anticipation du mouvement réel du capital. Ce qui s’est produit a été la conséquence capitaliste nécessaire de la progression de la monopolisation. Le Parti a accéléré ce qui devait nécessairement se produire, finalement, même sans cette accélération.

Que cette orientation capitaliste ait été modifiée par l'influence des bolcheviks, c'est incontestable, mais elle est restée capitaliste et, de plus, cette modification s'est limitée à masquer la nature réelle du retour au capitalisme ou de la formation d'une nouvelle fausse conscience. C'est ainsi que nous trouvons Boukharine s'exprimer de la manière suivante, lors d'une conférence gouvernementale vers la fin de 1925 :

« Si nous reconnaissons que les entreprises reprises par l’État sont des entreprises capitalistes d’État, si nous le disons ouvertement, comment pouvons-nous alors mener une campagne pour une plus grande production ? Dans les usines qui ne sont pas purement socialistes, les ouvriers n’augmenteront pas la productivité de leur travail. ». 

La pratique russe n'est pas régie par les principes communistes, mais par les lois de l'accumulation capitaliste. Quelles autres lois aurait-elle suivies si Lénine et les bolcheviks n'avaient pas gagné ? En Russie aussi, même sous une forme modifiée, nous avons une production de plus-value sous le camouflage idéologique de la “construction socialiste”. Le rapport salarial est identique à celui de la production capitaliste et constitue en Russie aussi la base de l’existence d’une bureaucratie grandissante, dotée de privilèges croissants, une bureaucratie qui, à côté des éléments capitalistes privés encore présents, doit être considérée strictement comme une nouvelle classe s’appropriant le surtravail et la plus-value. Le fait même de l’existence du rapport salarial signifie que les moyens de production ne sont pas contrôlés par les producteurs mais leur font face sous la forme de capital, et cette circonstance impose en outre un processus de reproduction sous la forme d’accumulation de capital. Cette dernière, sur la base de la loi marxiste de la valeur, avec laquelle il faut aussi éclairer la situation russe, conduit nécessairement à la crise et à l'effondrement final. La loi de l'accumulation est en même temps l'accumulation de l'appauvrissement, et par conséquent les ouvriers russes s'appauvrissent en réalité au même rythme que le capital s'accumule. La productivité des ouvriers russes augmente plus vite que leur salaire ; ils reçoivent une part de plus en plus petite du produit social croissant. Pour Marx, cette paupérisation relative de la population ouvrière au cours de l'accumulation est seulement une phase de la paupérisation absolue ; elle n'est qu'une autre expression de l'exploitation croissante des ouvriers, et il ne peut y avoir guère de doute que même sans Lénine et la Révolution russe, rien d'autre qu'une exploitation croissante n'aurait pu se produire en Russie. Il n’y a que celui qui, comme Hook, se trompe sur le contenu de la Révolution russe qui puisse se demander si l’histoire russe sans Lénine aurait suivi un autre cours que celui qu’elle a suivi en réalité. Elle aurait certes procédé avec d’autres idéologies, d’autres drapeaux, d’autres chefs et à un autre rythme, mais pour le prolétariat vivant ces différences sont tout à fait insignifiantes. Et puisque la révolution dont nous parlons est prolétarienne de nom, on ne peut que se demander : qu’est-ce qui a changé, par suite de la Révolution et de l’existence du génie Lénine, dans la situation des ouvriers russes ? Rien d’essentiel ! Pour le prolétariat, Lénine n’était rien de plus que Kerenski, rien de plus que n’importe quel révolutionnaire bourgeois qui n’abolit pas l’exploitation mais en change seulement les formes.

Il n’y a pas deux sortes de travail salarié, l’un capitaliste et l’autre bolchevik : le travail salarié est la forme sous laquelle, dans la production capitaliste, la plus-value est appropriée par la classe ou l’élément dominant. Certes, les moyens de production sont passés des mains des entrepreneurs privés à celles de l'État ; en revanche, rien n'a changé pour les producteurs. Comme auparavant, leur seul moyen de subsistance est la vente de leur force de travail. La seule différence est qu'ils n'ont plus affaire au capitaliste individuel mais au capitaliste général, l'État, en tant qu'acheteur de la force de travail. Le rapport économique entre le producteur et le produit correspond ici encore au rapport capitaliste. Les moyens de production ne font que se centraliser davantage, ce qui n'est pas le but de l'économie communiste, mais seulement un moyen pour y parvenir. L'influence de Lénine, la politique des bolcheviks, se révèlent être d’une grande capacité d'adaptation au cours nécessaire du développement, afin, en tant que parti bolchevik ou en tant que génie, de se maintenir au pouvoir, ce qui ne peut être que la force de la nécessité. Si Lénine avait tenté de mener à bien une politique communiste, sa grandeur aurait été réduite – ou élevée, comme on veut – à celle d’un utopiste ivre. Où étaient les grands dirigeants de l’Italie en 1921 et de l’Allemagne en 1923 (et de nouveau en 1933) ? Si une réponse doit absolument être apportée, l’on peut sans aucun doute citer Mussolini et la direction de la Troisième Internationale, c'est-à-dire Zinoviev à l’époque. Mussolini, qui a accéléré le processus objectivement nécessaire de concentration du capital en Italie ; la direction de la Troisième Internationale, qui a maintenu le “statu quo” en Europe dans l’intérêt du régime bolchevik russe en empêchant la révolution allemande. C’est ainsi que Radek a déclaré (sur ordre de Zinoviev) devant la XIII° Conférence du Parti communiste russe le 16 février 1924 : « Le Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, ainsi que le Comité exécutif du Komintern, reconnaissent sans équivoque que le Parti communiste d’Allemagne a agi correctement lorsque, compte tenu de la force armée supérieure de l’ennemi et de la division dans les rangs de la classe ouvrière, il a évité un conflit armé. » (Ceci a été répété en 1933-34). Mais cette question peut aussi être abordée de manière dialectique, et nous reconnaîtrons alors que le problème des grands hommes est lui-même un problème tout à fait historique. Dans la société capitaliste en particulier, où le symbole est plus “réel” que la réalité, le problème du leadership prend une telle importance qu’il devient idéologiquement le problème de l’histoire. Le problème des prix du marché est l'envers du problème du leader. Hegel s'arrêtant à l'État prussien, la forme argent de la marchandise et le problème du leader face à la masse sont une seule et même expression du niveau des forces sociales de production dans leur enveloppe capitaliste. Le véritable mouvement ouvrier ne connaît pas de “problème” de chef. Les décisions y sont prises par les soviets, qui dirigent l’action et aussi plus tard la vie économique.

Mais ce changement dans le rôle de la personnalité ne se limite pas au domaine politique ; il s’applique également à la science.

La spécialisation de la science va de pair avec son développement. La division sociale du travail ne se restreint pas, mais s'étend. Chaque invention, chaque découverte, revêt nécessairement un caractère de plus en plus collectif. Cette socialisation conduit à une socialisation toujours plus grande. Aux débuts de la société capitaliste, il y avait des inventeurs, aujourd'hui il y a des ateliers d'inventions. Les inventions sont produites presque de la même manière que les pneus d'automobile. Dans le capitalisme moderne, l'individu compte moins, toutes les innovations proviennent des laboratoires du travail en commun.

Le fait que cela ne devienne pas politiquement visible est dû à la nécessité pour la bourgeoisie de devenir idéologiquement de plus en plus réactionnaire dans la mesure même où elle fait avancer les relations réelles. Si la bourgeoisie avait besoin autrefois d'un Napoléon, aujourd'hui la stupidité d'Hitler sert de ciment symbolique à ses tendances centrifuges. Et pourtant, pour la bourgeoisie allemande, Hitler apparaît comme une personnalité dominante ; car si Napoléon a contribué au développement de la société capitaliste, Hitler contribue à en empêcher l'effondrement. Mais même sans Napoléon, le capitalisme aurait repris sa marche victorieuse et il s'effondrera malgré Hitler. Tous deux peuvent contribuer, dans une petite mesure, à déterminer le rythme avec lequel la tendance à la modernisation ou à l'effondrement s'opère, mais la tendance générale dépasse leur pouvoir de changement. C’est à travers toutes les modifications temporaires que la marche de l'histoire, le développement des forces productives humaines, se fraye un chemin. Mais même à l'intérieur de ces modifications, la véritable importance des “grands hommes” ne leur est pas propre, mais elle est seulement en rapport avec toutes les autres circonstances sociales. C'est seulement parce que l'histoire sous le capitalisme fonctionne avec une fausse conscience que le mouvement réel se dissimule derrière le fétichisme du leader. Quand ce mouvement se déroule avec une conscience correcte, il remet même le génie à sa juste place.

Dans sa réflexion sur le rôle du chef et sur celui du hasard au sens large, Hook a oublié son propre point de départ, à savoir celui qui exige que tout problème soit considéré comme un problème historique. L’alternative présentée par le Manifeste communiste – communisme ou barbarie – ne met pas en évidence le rôle déterminant de la volonté humaine, mais ses limites. Étant donné qu’il n'y a pas d'équilibre, une race humaine qui tarde à se développer périra nécessairement si les nécessités objectives ne sont pas satisfaites. Mais ce retard lui-même est temporaire. La barbarie n'est pas la fin de chaque développement, mais seulement une interruption qui se paie cher. La barbarie n’est pas le retour à la charrette à bœufs et aux temps primitifs, mais la condition barbare de l’auto-déchirure dans la crise mortelle et les guerres d’un capitalisme pourrissant. Il n’y a qu’une seule issue – la voie qui mène vers l’avant, le salut par le communisme.

Le point de départ du mode de production communiste est l’élévation déjà atteinte par les forces productives du capitalisme. Si le jeune capitalisme avait besoin de Napoléon et le capitalisme expirant nécessitait Hitler, si le capitalisme a eu toujours besoin de fantaisies – puisque la réalité, qui n'avait pas d'intérêts communs, ne permettait pas non plus de lutte commune – la révolution communiste n'a besoin que d'elle-même, c'est-à-dire de l'action des masses. Elle n'a pas besoin de fétichisme, d'imagination, pour avancer dans la réalité, car elle ne connaît que des intérêts communs et permet une véritable lutte commune.

On ne peut pas attribuer au personnage éminent, de même qu’au rôle du hasard dans l’histoire en général, davantage que ce que Marx lui attribue dans une lettre à Kugelmann citée par Hook. Mais le contenu de cette lettre ne soutient pas, mais s’oppose à la conception absolue, idéaliste et non historique, de Hook en ce qui concerne le problème du leader[1].

 

« « Ces “accidents” eux-mêmes », dit Marx, « s’inscrivent naturellement dans la voie générale du développement et sont compensés par d’autres “accidents”. Mais l’accélération et le retard sont fortement influencés par de tels “accidents”, parmi lesquels il faut également compter le caractère “accidentel” des personnes qui se sont d’abord tenues à la tête du mouvement ». L’importance de ces “accidents” doit être comprise historiquement. La question de savoir dans quelle mesure ils ont encore de l’importance aujourd’hui n’est pas résolue par la théorie mais par la pratique. Ici aussi,    « l’investigation de la situation réelle », telle que la concevait Lénine, « constitue la véritable essence et l’âme vivante du marxisme ». ».

 

VII



[1] Les guillemets que Marx met à ses « accidents » montrent le sens restreint dans lequel il souhaite les prendre. Le mot d’abord (zuerst) vers la fin du passage le souligne encore davantage. (Le mot est omis dans le texte de Hook). Les italiques sont de moi.


1Concernant les grands hommes, du genre bourgeois retord et avec du sang sur les mains, lire le tome I de l'histoire intime de la 5ème République par Franz Olivier Fogiel. Magnifique, le grand Charles en prend pour son grade et surtout très importantes révélations sur la guerre d'Algérie et mai 68.

jeudi 30 janvier 2025

Le caractère inéluctable du communisme

 


Critique de l’interprétation de Marx par Sydney Hook

par Paul Mattick 1936

traduction: Jean-Pierre Laffitte

Dans les années 1970 j'avais découvert les écrits passionnants et innovants de Hook (époque des années 1930), avant qu'il n'abandonne le marxisme. Des ignorants du milieu maximaliste, qui ne l'avaient jamais lu, l'avaient déclassifié comme "marxiste stalinien". Mattick lui rend justice.

 

Le point de vue de la totalité dans la dialectique matérialiste est quelque chose de différent, chez la bourgeoisie préoccupée par l’économie, du désir d’harmonie, d’un système autonome, de vérités éternelles et d’une philosophie universelle du Tout débouchant sur l’Absolu. Pour le marxisme, il n’y a rien de clos. Tous les concepts, toutes les connaissances sont la reconnaissance que, dans l’interaction matérielle entre l’homme et la nature, l’homme social est un facteur actif, que le développement historique est conditionné non seulement par les relations objectives provenant de la nature, mais tout autant par les éléments subjectifs et sociaux. C’est précisément en raison du fait que la dialectique matérialiste considère les rapports économiques comme le fondement du développement historique qu’il devient impossible d’accepter une philosophie bourgeoise et nécessairement métaphysique de l’éternité. La société, qui aide à déterminer l’être et la conscience de l’homme, change perpétuellement et, par conséquent, n’admet pas de solutions absolues. Le processus dialectique de développement ne reconnaît pas de facteurs constants, qu’ils soient biologiques ou sociaux ; en lui, ces facteurs eux-mêmes varient de manière continue, de sorte que l’on n’est jamais réellement en position de les séparer et que l’on doit leur dénier toute sorte de constance. La vision dialectique globale, la considération du Tout, doit être en conséquence comprise dans le sens qu’ici toute séparation entre les facteurs historiques objectifs et subjectifs est rejetée, étant donné qu’ils s’influencent toujours les uns les autres et que de ce fait ils changent sans cesse. L’un ne peut pas être compris sans l’autre. Pour la science, cela signifie que ses concepts ne sont pas seulement fournis de manière objective, mais qu’ils sont aussi dépendants de facteurs subjectifs, et que ces derniers à leur tour aident à déterminer les méthodes scientifiques et leurs buts.

Hook consacre la très grande partie de son livre à l’interprétation de la dialectique marxiste[1]. Il accorde la plus grande attention au facteur totalité et à l’interaction dialectique de manière à ce que le rôle actif de l’homme, la conscience révolutionnaire, dans le processus historique puisse ressortir avec un plus grand relief. Nous consacrerons peu d'attention dans les pages qui suivent à ses formulations souvent heureuses et aussi souvent malheureuses, dans la mesure où elles traitent du facteur totalité, parce que son travail est presque exclusivement destiné à réfuter théoriquement les nombreuses émasculations mécanistes et idéalistes de la pensée marxiste aux mains des épigones, et que nous sommes dans l'ensemble d'accord avec ce qu'il a à dire. Si, dans ce qui suit, nous adoptons un point de vue qui est contraire à celui de Hook, nous souhaitons souligner en même temps que nous acceptons pleinement et en détail bon nombre de ses idées. Si nous négligeons de mettre en évidence ces points communs, c’est en raison du manque de place. Nous tenons à préciser en outre que ce passage en revue ne saurait être exhaustif ; il vise simplement à attirer l'attention sur les facteurs qui, à notre avis, doivent être placés au centre de la discussion pour la rendre réellement fructueuse.

 

I

 

   Dans les remarques d’introduction à son livre (page 6), Hook affirme que la “science” ne peut pas être identifiée au “marxisme” étant donné que les deux traitent de choses différentes. La première de la nature, et le second de la société. Marx distinguait entre l’évolution dans la nature et celle de la société humaine, et il voyait dans la conscience humaine le facteur de différenciation (page  85). Le marxisme présuppose des objectifs de classe ; en conséquence, il est une science subjective, une science de classe ; or la science se situe au-dessus des classes, elle est objective. Hook voit dans la philosophie du marxisme une synthèse des éléments objectifs et subjectifs de la vérité. En tant qu’instrument de la lutte de classe, la théorie marxiste ne peut fonctionner que dans la mesure elle est objectivement correcte. Cependant, en tant que vérité objective, elle ne peut fonctionner efficacement que dans le cadre des objectifs de classe subjectifs du prolétariat. Si ces objectifs de classe sont également conditionnés socialement et historiquement, cela n'est malgré tout pas vrai pour la volonté et l'acte spécifique par lesquels ils sont réalisés. Il faut donc accorder autant de valeur aux éléments historiques subjectifs qu’à ceux objectifs. L’élément actif humain n’est cependant subjectif que par rapport à la situation socio-économique ; il est parfaitement objectif pour les participants à la lutte des classes. Compte tenu de cette distinction, il serait impossible de parler du marxisme comme d’une “science objective” sans lui ôter en même temps son caractère révolutionnaire (pages 7-8).

À première vue, il n’y a rien à objecter à ces formulations de Hook. En dehors du fait qu’avec l’acceptation de la synthèse marxiste, des concepts tels que, par exemple, aussi bien “science objective”, “nature biologiquement constante” (thèse) et “nature sociale variable de l’homme”, que “volonté de classe subjective” (antithèse), ainsi que Hook le dit plus tard, ne peuvent avoir de validité qu’en tant qu’abstractions méthodologiques et ne correspondent plus à la réalité ; outre le fait qu’avec l’acceptation de la dialectique marxiste, accorder unilatéralement trop d’importance aux facteurs historiques, objectifs ou subjectifs, sans étudier de la manière la plus précise la situation réelle, est une  erreur, puisqu’il est tout à fait possible que, dans certaines situations, le facteur subjectif joue un rôle plus petit et dans d’autres un rôle plus grand ; et mis à part les nombreux défauts de la formulation  de Hook, l’on peut accepter pleinement le marxisme de but en blanc comme une synthèse de la science objective et de la science subjective de classe. Mais si Hook place la science objective, factuelle, la “science proprement dite”, au-dessus des classes, il n’a pas montré le noyau rationnel dissimulé derrière le concept. Si l’on n’est pas capable de matérialiser la science, si elle reste une simple question de concepts, alors le concept de “science objective” ne peut que semer la confusion et devenir inutilisable pour l’explication réelle du contenu dialectique du marxisme, puisque toutes les méthodes scientifiques, quel que soit le matériau qu’elles traitent, sont en partie conditionnées subjectivement.

Quand Hook dit avec Marx que nous ne devons pas nous intéresser à l’explication mais au changement, il implique que seul le prolétariat peut réaliser le marxisme. Mais du fait de cette réalisation, le marxisme deviendrait alors la “science objective”. Si nous prenons comme point de départ la synthèse marxiste, cette synthèse est alors la seule qui soit capable de passer pour de la “science objective”. Mais cette synthèse théorique n'est en premier lieu que la méthode théorique destinée à saisir le lien avec la réalité historique. La réalité historique n’est rien d’autre que – la réalité historique ; ce n'est pas une science. C’est uniquement lorsque des êtres humains comprennent et emploient de manière conceptuelle cette réalité en ayant pour but de déterminer en elle leurs propres actions que se produit le contenu de la science, dont l'objectivité doit être démontrée dans la pratique à tout moment.

La dialectique marxiste est aujourd'hui la seule méthode qui se confirme dans la pratique. Elle est applicable et elle est démontrée expérimentalement. Et donc cette dialectique est la “science objective” ; elle aussi se situe au-dessus des classes, comme le montre plus loin l’aveu de Hook selon lequel elle continuerait à fonctionner dans une société communiste. Il en est autrement cependant des trois principes directeurs de la doctrine marxiste : ils ne s'appliquent qu'au prolétariat, tant qu'il est un prolétariat ; ils sont historiquement conditionnés. Le matérialisme historique, la théorie de la lutte des classes et la théorie de la plus-value, ne sont concevables et applicables pratiquement que dans la société bourgeoise (pages 97-98). Ce sont des armes théoriques de la force de production la plus puissante – le prolétariat. Elles contribuent au plein développement et à la pleine réalisation de cette plus grande force de production et ne sont donc, dans un sens matérialiste, rien de plus que des éléments productifs. Cependant, même ce que Hook désigne par le concept de “science objective” n’est, rationnellement considéré, rien d’autre qu’une expression des forces croissantes de la production. Derrière la science se cachent les forces sociales de production ; si ces dernières se développent, la science aussi, et de même, dans l'interaction dialectique, le processus inverse s'accomplit. Hook nous accordera sans doute que la science doit être comptée parmi les forces humaines de production, mais sa définition confuse de la science et d'autres facteurs que nous aborderons plus tard prouvent que son esprit n'est pas clair quant au lien étroit entre la science et les forces de production. Mais si l’on a reconnu la science comme force de production, l’on voit aussi que même la  “science en tant que telle” est à peine au-dessus des classes et est exactement aussi historiquement conditionnée que les facteurs historiques du marxisme, qui ne sont valables que pour la société de lutte de classes. Ou, inversement, que les éléments historiques du marxisme, en tant que forces sociales de production, ne font qu'ajouter de nouvelles forces productives aux forces productives disponibles, ou à la “science objective”, et font ainsi partie de la science. Si le fétichisme de la marchandise était une forme dans laquelle des forces sociales de production se sont développées, alors le marxisme est une forme supérieure de développement des forces productives.

Si l’on veut illustrer le développement de la dialectique marxiste, l’on peut sans doute prendre la voie suivie par Hook et faire une distinction entre science objective et science subjective. Mais sur la base de la dialectique qui rejette catégoriquement une telle distinction, on ne peut plus invoquer cette distinction sauf au risque d'introduire la confusion dans les rangs du marxisme. Le divorce entre la “science” et le marxisme est en soi historique et n’est qu’une autre expression de la séparation entre les travailleurs et les moyens de production.

 

II

 

   Dans son essai Le rôle du travail dans l'évolution du singe vers l'homme (1876), Friedrich Engels écrit brièvement ce qui suit :

 

« D‘abord le travail et puis, en même temps que lui, le langage, tels sont les deux stimulants essentiels sous l’influence desquels le cerveau d’un singe s’est peu à peu transformé en cerveau d’homme… Mais marchant de pair avec le développement du cerveau, il y eut celui des ses outils immédiats, les organes des sens… Le développement du cerveau et des sens qui lui sont subordonnés, la clarté croissante de la conscience, le développement de la faculté d’abstraction et de raisonnement, ont réagi sur le travail et le langage et n’ont cessé de leur donner, à l’un et à l’autre, des impulsions nouvelles pour continuer à se perfectionner. Ce perfectionnement ne se termina pas au moment où l’homme fut définitivement séparé du singe… Il s’est poursuivi d’un pas vigoureux, recevant d’une part une puissante impulsion, d’autre part une direction plus définie d’un élément nouveau qui a surgi de surcroît avec l’apparition de l’homme achevé, à savoir la société. ».

 

Ainsi, selon cette opinion, la conscience et la science ont leur base dans le développement du travail, ou la croissance des forces de production humaines et sociales. C'est d'abord le travail de l'homme appliqué au monde existant indépendamment de l'homme qui façonne la contradiction entre l'être et la conscience, contradiction d'ailleurs qui ne peut être supprimée que par l'élimination du travail.



À suivre


[1] Sidney Hook : Towards the Understanding of Karl Marx [Pour la compréhension de Karl Marx]. (John Day Company, New York, 1933).


mardi 28 janvier 2025

UN JOURNAL BETE ET PAS MECHANT

 


« Oui oui, moi aussi, j'aimerais bien un journal d'une autre qualité, mais faut faire avec ». Marc Chiric


Tout lecteur lambda en recherche d'analyses et de positions révolutionnaires, disons anti-capitalistes, voire surtout marxistes, peut remercier microsoft et le capitalisme informatique de permettre d'abord de permettre à des minorités ou sectes qui se disent communistes, voire étrangement « gauche communiste » comme le PCF, de s'afficher au monde entier, ensuite de les ruiner en les obligeant à publier gratos des articles qui, seulement publiés dans leur invendables feuilles de choux, ne seraient lus par personne.

Pour éviter à ce lecteur de s'ennuyer à la lecture de leurs longs pensums, nous pouvons résumer rapidement le contenu, le jugement et la conclusion invariante des dits articles. Le contenu ? Tout simplement la reproduction de la description du marasme politique généralisé et de la crise économique et militaire mondiale, spectacle pathologique et regrettable d'un monde en destruction. Le jugement est simple, plat et invariant depuis au moins le décès de son inventeur Marc Chirik, il y a trois ou quatre décennies : tout est de la faute à la décomposition. La conclusion de tous les articles est évidente et indiscutable : seule la lutte de classe va sauver le monde.

A la lecture des intertitres vous disposez grâce à votre serviteur d'un excellent résumé du contenu qui vous rappelle TF1, le mot capitalisme en plus :

Le capitalisme s’enfonce dans le chaos à grande vitesse

La décomposition aggrave la crise économique

Une terrible illustration des guerres engendrées par la période de décomposition du capitalisme

Le capitalisme fait payer la crise à la classe ouvrière

Guerre et militarisme, expressions du capitalisme décadent

Vers plus de massacres et de destructions

Cyclone Chido à Mayotte: Le capitalisme nous mène à la catastrophe

Des inondations en Allemagne aux flots destructeurs en Espagne: Catastrophes “naturelles” ou impasse d’un système capitaliste agonisant?

C'est répété à chaque fois ce mot capitalisme, ignoble coupable caché aux masses, pour le cas où vous n'auriez pas compris. En espérant que ce pauvre lecteur va nous remercier de lui avoir évité de perdre du temps, passons à quelques commentaires sur un contenu non seulement fade, souvent hors de la réalité mais qui d'une part ne pose pas les vraies questions imposées par la situation, mais, plus grave, ne répond à rien qu'avec le mantra sacré, digne des témoins de Gévéor : le prolétariat va sauver le monde. Pourtant ce dernier n'est-il pas en réalité comme le bon dieu fictif un mauvais dieu fantasque puisqu'il n'empêche aucunement les tremblements de terre, les millions de morts dans les guerres (dont il remplit pourtant majoritairement les cercueils), puisqu'il n'a joué aucun rôle dans libération des otages en Palestine ni protesté à l'ONU pour mettre à bas les cartels de la drogue ? Dieu a promis la lune pendant des siècles, le prolétariat va-t-il promettre la planète mars avec Elon Musk ? J'ai de sérieux doute comme Marx en son temps.

LE PROLETARIAT UN IDIOT INTERNATIONAL 

On vante régulièrement ses nombreuses grèves corporatives en effet partout dans le monde, avec certes un nouveau poncif, créé il y a une paire d'années : sa possible politisation. Terme vague souvent utilisé par les gauchistes au cours des trente heureuses post 68. Je n'ai jamais apprécié ce terme que je trouve politicard et méprisant. En gros le prolétariat est pris pour un con par Tartempion du CCI (ne pas confondre avec la banque) ou Juan du GIGC ( ne pas confondre avec le PSG), il n'est supposé réfléchir qu'à partir de sa feuille de salaire et ne devenir un gêneur du capital que par l'accumulation (primitive?) de ses grèves corporatives débordant dans la rue ou dans les grandes messes syndicales.

Nulle part ces « éveilleurs » (= wokistes)1 ne se soucient de ce que pensent les prolétaires, car individuellement sondés ou rassemblés ce sont des cons soumis aux organisations professionnelles de l'Etat. C'est un fait léniniste patent : le prolétariat ne pense que lorsqu'il est en ébullition et derrière son « parti de classe » qui pense d'ailleurs surtout pour lui, ou à sa place. Nulle part n'est analysé le populisme et le pourquoi de son succès parmi de larges couches de la classe ,ouvrière, celui-ci est dénoncé comme le nouveau mal absolu avec un même niveau de dénonciation superficielle que les gauchistes et leur fixation sur le fascisme disparu

Nulle part on ne mesure les conséquences pourtant pas si irrationnelles de la gouvernance idéologique chaotique de la bourgeoisie partout dans le monde

Le prolétariat cet idiot international pense pourtant politiquement même s'il apparaît noyé dans les sondages ou autres consultations électorales. Pas besoin de journalistes laquais ou d'interviews de grévistes sur le niveau de leur gagne-pain. Les forces bourgeoises, au contraire dos révolutionnaires en chambre, savent ce qu'il pense, et en grande partie par des sondages qui ne sont pas tous publics, ou qui, publics sont ciblés dans des quartiers où les classes ne sont pas toutes mélangées. L e hautain membre du crédit commercial ou du PSG me répondra : m'enfin les masses sont soumises à l'idéologie et aliénées par le capital avec ses immenses moyens de manipulation ! Jean-louis tu n'as jamais rien compris au marxisme !

Et quoi ? Il apparaît bien que la masse « des gens salariés ou chômeurs » sont catastrophés par l'ampleur des massacres dans les guerres ininterrompues, pas besoin d'en lire un compte rendu chez nos révolutionnaires observateurs et lecteurs du Monde et de Libé. Lorsqu'ils sont endettés ils osent penser que ce n'est pas uniquement de leur faute... La conscience de classe est aussi dans les files à la caisse du supermarché. Ils se posent les mêmes questions que vous : comment en sortir ? Faut-il tout foutre en l'air ? Pourquoi y a-t-il une majorité d'élèves noirs dans la classe où ma fille est la seule blanche ? Parce que je suis raciste ? Pourquoi face à la justice bourgeoise vaut-il mieux être criminel que victime et qu'un adolescent tueur est immédiatement excusé  ? Est-ce que les sectes gauchistes qui appellent à laisser entrer toute la misère du monde, s'occupent de ces centaines de migrants à la rue et mendiant dans la plupart des grandes villes ? L'insécurité gagne partout, en réclamant plus de sécurité ne suis-je qu'un vulgaire partisan du « fâchiste Bardella » ? Nos éveilleurs d'un prolétariat considéré surtout comme corporatif sont aussi ignorants et bêtes que leurs concurrents bordiguistes qui décrètent éternellement que le parti pense à tout, ce qui n'est en rien la méthode du jeune Lénine qui se faisait toujours une opinion après avoir été en discuter avec des ouvriers dans les lieux où il se trouvait2 . Car il sentait et savait que la plupart des ouvriers, exceptés quelques imbéciles, ont de fait une conscience de classe et réfléchissent plus concrètement et historiquement que les bobos intellectuels, quoique sans toujours oser le projet révolutionnaire.

UNE BOURGEOISIE MONDIALE INCAPABLE DE CONTRER LE CHAOS ? Ou une incapacité à comprendre le populisme ?

Avec cette vision floue et tronquée de la conscience de classe, il nous faut encore déplorer l'absence des vraies questions3, puis signaler la même absence de connaissance ou de reconnaissance des moyens encore « extra-ordinaires » et pas irrationnels de contrôle de la marche des événements par l'ordre dominant.

« Donald Trump a officiellement pris ses fonctions présidentielles. Cette victoire représente un échec retentissant pour les factions les plus responsables de la bourgeoisie américaine qui avaient tenté d’empêcher le retour au pouvoir de ce triste sire durant tout le mandat de Joe Bide ».

Depuis quand devrions-nous déplorer la gravité de la victoire d'une faction de la bourgeoisie contre une autre présumée plus responsable ? Plus responsable Biden en Afghanistan, en Ukraine ? La clique à Bilden a été l'héritière de ses ancêtres qui ont toujours menés aux guerres mondiales précédentes ! Pas la fraction républicaine. Même gêné aux entournures quant à sa prétention à faire cesser rapidement la guerre en Ukraine, Trump est un bon signe et pour deux raisons :

  • la guerre coûte cher à toutes les économies capitalistes (et à Poutine surtout), en vies humaines bien entendu,

  • le retour de la fraction US plus isolationniste, très dérangeante pour la fraction va-t-en guerre, fait apparaître Trump comme un Bonaparte plus social nécessaire face à un prolétariat mondial non embrigadable à l'heure actuelle, si tant est qu'il ne soit pas l'étincelle de l'insurrection du prolétariat européen s'il force l'élite de Bruxelles à aller compenser en Ukraine (hé hé Napoléon III n'a-t-il pas déclenché la révolution de 1871?).

L'élection de Trump n'est donc pas un malheur en soi comme le clame le CCI à la suite des médias européens. Le suivisme du Cci, ou plutôt la débilité de son analyse fait pitié :

« La mainmise de Trump sur l’ensemble des institutions est plus solide et étendue qu’elle ne l’était en 2017, ce qui traduit une perte de contrôle plus importante sur l’appareil politique de la part des fractions les plus lucides de la bourgeoisie américaine et l’exacerbation des tensions en son sein pour défendre au mieux les intérêts du capital national. Le programme de Trump, plus brutal et outrancier qu’entre 2017 et 2021, traduit bien l’enkystement et l’expansion du populisme qui sévit sur le monde » 

Comment se fesse-t-il qu'une secte dite marxiste puisse déterminer avec une telle faconde qu'une des factions de la bourgeoisie américaine est « des plus lucides »  en « perte de contrôle de l'appareil politique »?4 Lucides les fournitures massives d'armement à l'Ukraine ? Quant à la mainmise trumpienne sur les institutions, c'est de la foutaise d'amateurs en politique . J'ai rappelé la dernière fois qu'un président US n'a pas autant de pouvoir national qu'un homologue européen. Ce que confirment les dernières contrariétés pour Trump, oppositions à ses mesures, contre les migrants, sur les questions sociétales (avortement, transgenres, etc.) sans oublier la montée de boucliers sur le Groeland et le canal de Panama. Ignorance incroyable comme je ne cesse de le rappeler : Trump est encore plus que Biden (et comme milliardaire) le représentant des cartels pétroliers !

Ensuite vient l'horreur quasi inexplicable et inexpliquée : l'expansion du populisme qui sévit sur le monde ! Ici encore nul ne nous explique à quoi correspond LOGIQUEMENT le populisme, et comment la classe ouvrière le perçoit-elle (si elle réfléchit un petit peu) ? Et de sauter le questionnement :

« Utilisant sournoisement les miasmes de la décomposition de son système moribond, la bourgeoisie sait parfaitement les retourner contre la conscience de la classe ouvrière, tant pour pousser les prolétaires au désespoir que pour semer l’illusion d’un futur plus « juste » et plus « démocratique ».

Argument beau comme un camion, c'est encore la faute à la décomposition ! Mais rassurez-vous, le CCI n'est pas un manipulateur comme Mélenchon qui n'attaque que les individus : « Trump n'est pas à l'origine du désordre planétaire ». L'exposition de Trump vise à « dissimuler l'impasse historique du système », bof... cette politique de voilement est celle de toutes les factions bourgeoises. Cette interprétation ne répond pas à l'essentiel : comment la classe ouvrière perçoit Trump et pourquoi il est populaire ? Et pourquoi la plupart des ouvriers ne s'embarquent pas dans l'anti-fascisme ? Et plus encore, nouveau dada du CCI, la bourgeoisie mystifierait plus désormais les ouvriers en les convainquant de défendre la démocratie. Trump et même le petit Bardella viennent tenter de répondre à la disparition du couple maudit gauche/droite. Leurs électeurs ne croient plus aux vertus des urnes, et pas eux seulement, en France nombre d'élections locales culminent à 30% de participation ! Le CCI balance des décennies d'analyse correcte de l'effondrement historique de la crédibilité de la gauche bourgeoise certifiée par après par la débilité de Mélenchon (déjà Mélendéchu).

Conclusion invariable d'une analyse fausse, incapable de comprendre comment il se fait que la bourgeoisie puisse continuer à organiser le bal par le chaos, voici la rédemption :

« Aujourd’hui, le seul moyen de lutte pour la classe ouvrière reste le combat sur le terrain de ses intérêts de classe et la défense de ses conditions de vie face aux attaques de tous les États, même les plus « démocratiques », et de tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche.  Un tel combat contient en germe la perspective d’une politisation, il contient la perspective, pour le futur, du renversement du capitalisme et de l’édification d’une autre société, sans exploitation, sans barbarie guerrière ».

Oh Seigneur priez pour nous !


Le populisme est-il un racisme ?

Le populisme semble non seulement tombé du ciel mais de plus on lui accole l'explication psychologique du gauchisme, le racisme. Là, y a pas de réponse, on se contente de poser des questions bêtement alors que la terre entière est dégoûtée la politique. Les populismes sont divers, plus ou moins racistes, plus ou moins nationalistes, de Mélenchon à Le Pen ils sont tous navrants mais la question n'est pas là : mais à quoi tentent-ils de répondre ou d'embrumer. Réponse du CCI, niveau sociologie bourgeoise :

« Au contraire, le rejet du parti démocrate par les ouvriers induit-il une prise de conscience de la réelle nature de ce parti bourgeois ? L’apparence de dictateur de Trump peut-elle favoriser la colère et la réaction de la classe ouvrière ? A Et tout comme pour la première partie de la discussion, ce qui manque c’est une boussole, celle de considérer chaque question non pas en soi, séparément les unes des autres, mais dans un ensemble et dans un contexte international et historique ».

Et avec ça t'as un billet de train gratis. Heureusement la boussole reste la décompo5.


UNE BIENHEUREUSE REUNION DE L'AVANT-GARDE DU MONDE ENTIER(ou comment le policier Juan a ridiculisé le CCI)



Voici enfin la synthèse du contenu et du contenant d'une réunion avec la TCI ; la TCI est une tendance vers le communisme, le CCI un courant derrière le communisme. Ce n'est pas Libération mais cet imposant organe de presse simulant l'orgasme révolutionnaire qui rend compte du bonheur d'un tel conclave. Le même organe néo-stalien qui se propose d'enchanter ses lecteurs en leur demandant d'envoyer leurs commentaires qu'il triera suivant leur degré de douceur critique. Comme Libération il n'y a aucun commentaire autorisé à la suite des articles sur leur blog, car dangereusement direct et horriblement démocratique.

Adonc « un climat très chaleureux et ouvert » mais avec un loup dans la bergerie, le flic Juan . J'avoue n'avoir jamais lue une telle flagornerie introductive, masquant une haine pathologique,avant crucifixion garantie.

«  Les lecteurs attentifs auront remarqué que nous avons signalé en introduction la participation à cette réunion d’un représentant du GIGC, l’individu Juan, sans jamais rien dire de son rôle dans les débats. Certainement qu’en apparence, aux yeux des participants, Juan a eu une attitude fraternelle vis-à-vis de l’assemblée, qu’il a participé au débat de manière claire et dynamique, qu’il a fait de très bonnes interventions permettant à la réflexion collective d’avancer (sic!).

Il est tout à fait vrai que Juan a été éloquent, que ses interventions étaient même brillantes,( resic!) qu’il a toujours affiché sourire et bonne humeur. Il a ainsi défendu dans la première partie du débat les mêmes positions que le CCI sur le piège des luttes de libérations nationales en période de décadence et donc contre l’invariance du PCI. Dans la deuxième partie, il a repris les positions de la TCI pour dire que la Troisième Guerre mondiale approche. Surtout, il a souligné avec insistance son accord avec le combat que mène le CCI afin que les groupes de la Gauche communiste produisent un appel commun pour défendre l’internationalisme, affirmant qu’il était prêt à le signer. »

Que du bonheur. Certes Juan a été longtemps le meilleur orateur du CCI en milieu ouvrier, excepté moi. Brillant en récitant le même blabla que le CCI (ou pour leur faire plaisir en radotant les mêmes concepts éculés), j'en doute. Juan a surtout de l'humour et du courage, ce n'est pas le cas des zigotos du CCI ou en tout cas de la rédactrice coincée du déroulement du cénacle pincé. Le crachat sur le flic doublé du mouchard ne va pas tarder (« les apparences sont souvent trompeuses »). Si Juan était un flic, j'en voudrait plein d'aussi brillants (quoique seulement dans les syndicats policiers). Juan n'est pas un flic mais un prolétaire qui se prend pour Lénine à la tête de trois bolcheviques canadiens . C'est un type froid, du genre apparatchik qui préfère politicailler que baiser. Il est parfaitement ridicule de le persécuter depuis des années comme un simple pandore (je vais de ce pas en rendre compte à Retailleau). Le ridicule tue par contre le CCI pendant cette réunion où la salle meurt de rire face à sa protestation shizo. On dénonce un type violent, qui se moque d'un zigoto du CCI qui venait d'échapper à une crise cardiaque ((on en pâlit dans les chaumières), sans parler d'un Acolyte avec toujours un canif dans sa poche. Une accusation pourtant fragile basée sur du sable comme le conclut la concierge : « Voilà pour la réalité de la fraternité quand les témoins manquent ! » C'est tout de même cette concierge qui s'y connaît professionnellement en la matière qui ajoute : « ses bulletins sont parsemés de ragots contre le CCI ». Du tout, j'ai été témoin et l'affreux délateur Juan n'invente pas ce qui était contenu dans les délires des BI (pardon de révéler les sigles : bulletins internes).

S'enfonçant dans le ridicule la rédactrice est contrainte reconnaître que Juan (avec raison) a réussi à faire rire le public malgré sa condamnation à mort :

« Lors de la réunion de la TCI, nous avons rappelé très brièvement qui est réellement Juan en disant : « Nous ne débattons pas avec les mouchards ». La réaction de Juan a alors été de tourner en dérision notre accusation, en en rajoutant : « Oui, c’est moi le mouchard, le flic ! », ce qui a fait rire l’assistance. L’arme de la dérision est efficace et maligne, elle détourne et distrait, mais elle est aussi l’aveu que Juan ne peut contredire notre accusation, car il sait que toutes les preuves sont accessibles, tous ses actes de mouchardages sont sur Internet ».

Ce mouchard comique n'était qu'un habile prestidigitateur, aussi post festum ce public naïf est mis en garde : « ne pas se laisser berner par le sens de la dérision de Juan, ni par ses flagorneries adressées au CCI lors de cette réunion ». Certes parce que dans son univers mental le CCI ignore la dérision même vis à vis du populisme.


Le masque de Juan est-il tombé ?

Conclusion, au souvenir du regard rieur de Juan la rédactrice remercie ce Juan avec tous les autres : en «  saluant la TCI et tous les participants pour la tenue de ce débat ».


NOTES

1On ne peut quand même pas les ranger parmi cette vague réactionnaire du révisionnisme hystérico-fémino-décolono-gogol, décrié aussi par Trump et l'extrême droite quoique au nom de la pire conservation cléricale bourgeoise, mais enfin cela contribue à la confusion généralisée, en tout cas le CCI n'a critiqué qu'une fois ce révisionnisme débile des bobos...par peur d'être assimilé à Trump ?

2Marc fonctionnait comme cela pour tester ou mûrir sa réflexion. Retraité il n'avait plus le loisir de « sonder » ses compagnon de travail, alors il « sondait » les militants non universitaires : Bernadette, moi et d'autres...

3Certaines sont posées dans l'article sur leur réunion publique version vidéoconférence planérarium, et mzalgré les manquantes de pois, elles sont intéressantes, s'ils sont capables d' répondre comme ils le promettent : Le triomphe de Trump est-il le fruit d’une politique voulue et consciente de la bourgeoisie américaine ? Trump est-il la meilleure carte pour la défense des intérêts de la bourgeoisie américaine ? Ses choix impérialistes vis-à-vis de l’Iran, de l’Ukraine ou de la Chine sont-ils un pas en avant vers la Troisième Guerre mondiale ? Sa politique protectionniste, à coups de hausses des taxes douanières, est-elle une pièce de ce puzzle vers la guerre ? Ses velléités d’attaquer férocement la classe ouvrière, en particulier les fonctionnaires, sont-elles liées aux sacrifices nécessaires pour préparer l’économie nationale à cette guerre ?. En tout cas elles contredisent toute leur analyse minable du phénomène Trump que nous venons de lire.

4L'Etat bourgeois aurait-il perdu le pouvoir en faveur d'un nouvel Hitler ? Oui répond le milieu artistique parisien et ses bobos acteurs.

5Plus drôle la suite : « Nous ne pouvons ici développer plus notre réponse, nous y reviendrons, dans notre presse et dans nos prochaines réunion ». Je vous laisse deviner la révélation de la boussole explicative.