“En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.” Nicolas de Chamfort (1794)
Le chaos qui se répand sur le territoire de la France n'est pas impossible à juguler pour les jours à venir simplement parce qu'il serait une indignation populaire spontanée face à un meurtre policier, ni comme simple confirmation de l'explosion sociale plus ou moins attendue. Il est impossible à gérer sereinement faute d'interlocuteurs. En premier lieu parce que la masse des dits émeutiers est constituée de nombreux adolescents voire d'enfants. Ces jeunes ne sont ni des terroristes ni des voyous. Ils sont définissables en majorité non pas comme des « paumés » des banlieues ; mais comme enfants de la classe ouvrière, déshérités, voués à une existence de merde. Et surtout invisibles jusque là, même si les commentateurs superficiels tentent de comprendre en comparant avec 20051.
Or, ce chaos, casse généralisée avec pour seul ordonnancement la compétition à la casse spectaculaire via tik tok (réseau chinois...), n'est qu'un retour de bâton pour la bourgeoisie : avec son idéologie de dissolution des classes sociales depuis des décennies – le qualificatif fumeux et généraliste de « couches moyennes » et la fable de la gauche caviar nommée « mixité sociale » - elle a perdu tout moyen de négocier quoi que ce soit. Alors qu'une classe reconnue, avec tous ses composants, peut être une entité tangible avec qui négocier, là rien à discuter. En quelque sort la bourgeoisie fait face à son propre chaos qu'elle a généré et continue à générer avec le révisionnisme wokiste. Elle est même désarmée avec l'inutilité idéologique des théories bobos fémino-écolo-sexolo-rigolos. La gauche « radicale » a pris peur également : le brave Mélenchon a appelé à ne pas brûler les écoles et les médiathèques. Or ce sont des cibles normales pour tant de déshérités en échec scolaire, tout comme la « culture » des médiathèques qui les intéresse pas du tout comparées leur portable. Mélenchon n'a rien dit contre les attaques de mairies et de commissariats. Or ces attaques sont encore plus compréhensibles que le saccage du système marchand (commerces, journalistes et banques : ce sont les symboles du système de domination, de terreur et de foutage de gueule. En gros, même impulsif, le grondement de la lutte est plus politique et grave que les émeutes de 2005 et celles qui ont suivies.
C'est sûr que trois jours d'émeutes ont plus fait trembler l'Etat que les quatorze pantalonnades syndicales, sans pour autant qu'il perde la main, ou soit acculé comme on va le souligner. Il n'y a que deux facteurs dans cette indignation légitime après le meurtre policier qui sont comparables à mai 68. A l'époque c'était parti de Nanterre, et le mouvement s'était généralisé après la vision des images de télévision où l'on voyait les flics tabasser les gens. Dans les deux cas, ce ne fût ni le retraite ni les augmentations de salaire qui furent la cause d'une confrontation directe et spontanée avec l'Etat. La manif pour les retraites au début de l'an 68, tout le monde s'en foutait, cela faisait partie du ronron syndical.
Or tout est différent aujourd'hui. L'Etat n'a plus la même rigidité qu'à l'ère gaulliste. Il est néanmoins incapable de solutionner un éclatement d'une société « sans classes » (sans pères et sans repères...) - devenue mixage harmonieux d'anciennes couches toujours hiérarchisées - qu'il a contribué à déstabiliser et à décomposer depuis des décennies. Certes il y a toujours des petits cons inconscients, et la majorité des "gamins" ne sont pas d'origine française, mais cela n'élimine pas le fait que ce sont des enfants d'une classe ouvrière qui a perdu homogénéité et identité, et où la question raciale peut tout autant que l'exploitation capitaliste être une des causes des émeutes.
Pourtant le feu était prévisible et anticipé, mais partiellement. Laurent Berger, utile berger de l'Etat en milieu ouvrier, avait déclaré au début de cette année, comme je l'ai rappelé dans un de mes articles précédents : « si nous ne prenons pas les devants, l'explosion sociale aura lieu sans nous». Sauf que, comme tous nos révolutionnaires professionnels (gauchistes et CCI), arc-boutés sur la retraite des « vieux » travailleurs (mais avec tout de même l'avantage d'avoir du travail) syndicats et partenaires sociaux ont oublié « les jeunes » beaucoup plus en difficulté voire transparents pour toute la gent politique et révolutionniste !
La société a toujours tendance à s'enfoncer dans le conservatisme. Ce bon vieux Liebknecht a encore eu raison « la jeunesse est révolutionnaire ». Ce n'est pas pour rien que 68 a été qualifié initialement de s »soulèvement de la jeunesse », sauf qu'à l'époque la référence à la classe ouvrière n'était pas étouffée par sa négation sociologique inaugurée par les mafias think tank de la gauche bourgeoises des années 80. Se considérer comme prolétaire aujourd'hui est pratiquement une injure. L'individualisme est roi sur la planète de tik tok et du portable. L'exemple d'avenir est le foutbolleur milliardaire ! Ce qui donne à cette révolte massive subite un aspect nihiliste; mais je doute de la supposition nihiliste ou irrationnelle, des adultes manipulateurs sont présents, en particulier des salafistes, naturellement intéressés à foutre le bordel dans ce pays de mécréants!
Je me fiche des louvoiements de l'Etat (gouvernement + oppositions de parade) dont se repaissent les larbins journalistes. Il m'intéresse plus de regarder en arrière, non pas les promesses gentilles du plan Borlo ni le crétinisme du Macron appelant à la responsabilité des familles (lesquelles sont dissoutes ou monoparentales), et de rappeler le désengagement politique d'une grande partie de la classe ouvrière et d'origine immigrée, vérifié par les émeutes du passé qui furent aussi des « avertisseurs d'incendie » que les sectes d'un marxisme bègue comme le CCI refusent de voir ou d'analyser pour sanctifier la seule lutte économique des « vrais ouvriers »2. Dans un article de ce blog à l'époque, je reproduisais un article du journal Le Monde ainsi titré :
L'abstention en banlieue, plus grave que les émeutes ?
(article du journaliste Luc Bronner)
« Médiatiquement et politiquement, l'abstention des cités sensibles ne vaut pas une émeute avec son cortège de voitures incendiées et d'images spectaculaires pour illustrer la gravité de la crise des banlieues. Les résultats des élections régionales, qui prolongent les constats des précédents scrutins, devraient pourtant interpeller la société française, plus encore que des véhicules brûlés. Avec des taux d'abstention qui dépassent les 70 % des inscrits, les habitants des quartiers difficiles ont exprimé leur sentiment d'être en dehors de la vie électorale, en dehors du système politique, en dehors de la République. Là où les émeutes de 2005 avaient été provoquées par quelques milliers de jeunes, souvent adolescents, le refus de voter est un signal de défiance vis-à-vis du politique envoyé par plusieurs centaines de milliers d'habitants, Français, adultes, qui ont symboliquement brûlé les urnes, jugées inutiles. Avec, comme pour les émeutes de l'automne 2005, une ville symbole : Clichy-sous-Bois figure en tête du palmarès des communes les plus abstentionnistes avec 31,3 % de votants au second tour. Plus de 6 000 des 9 000 électeurs de cette ville de Seine-Saint-Denis ont refusé de se déplacer - un chiffre à comparer aux quelque 200 à 300 émeutiers recensés, en octobre 2005, ou aux 400 habitants qui avaient participé à une marche silencieuse après le décès de deux adolescents à l'origine des émeutes. Une défiance exprimée dans des proportions comparables à Grigny, à Stains, aux Mureaux, à Sarcelles, à Bobigny ou à Villiers-le-Bel, autant de villes qui incarnent la "crise des banlieues". Comment comprendre cette attitude de retrait de la vie démocratique? ».
Bonne question, mais le journaliste bcbg opérait un glissement à la Zemmour, il pointait du doigt les français de « récente immigration » et la politique ultra-répressive du gouvernement :
Pourquoi le souffle créé par les émeutes de 2005, qui s'était traduit par une diminution de l'abstention lors de la présidentielle de 2007, est-il retombé aussi vite ? Comment des citoyens tolèrent-ils de telles conditions de vie sans exprimer leur colère autrement que par le non-vote ? Comment se fait-il qu'aucune force politique, associative ou syndicale ne parvienne à représenter ces populations ? ». *
Ce journaliste de la gauche bcbg soulignait que ce dédain des urnes n'était pas pour autant un signe politique de regain de la conscience de classe :
« Ces résultats prolongent également, dans le champ électoral, les phénomènes de ségrégation. Puisque la République trahit ses promesses, la majorité des habitants, pas simplement une poignée d'émeutiers, ne se sentent plus liés par leurs devoirs électoraux. Car la ghettoïsation des quartiers n'a cessé de progresser au point que certaines cités abritent presque exclusivement ce qu'on appelle sur le reste du territoire des "minorités visibles" - pour ne pas dire "Noirs" et "Arabes" - et qui sont devenues des "majorités visibles" dans certains territoires ».
Au nom de la fumisterie de la « mixité sociale et du « pas de vague », « pas d'appel à la haine' et « non à l'islamophobie », cette même gauche toujours bourgeoise avec Le Monde, Libération, L'OBS, Médiapart (qui exige une bonne police bourgeoise) et France Inter, prétend rendre invisibles ces « minorités ethniques » et dénient à tout contradicteur d'en évoquer la problématique sauf à se faire traiter de facho, comme tout critique du stalinisme naguère.
REDUIRE LES EMEUTES A UN BORDEL DE VOYOUS IMMIGRES
En mars 2017, j'écrivais ici : « La haine de la police « de classe » faisait partie intégrante du rejet prolétarien de la société bourgeoise. Mais, comme je l'ai constaté pour la récupération de l'internationalisme envers les immigrés, la bourgeoisie réussit à déconnecter cette haine de classe et à la présenter comme une haine communautariste pour la partie immigrée ou néo-colonisée de la classe ouvrière, et à parvenir à faire croire à la partie autochtone que la police serait prête à la défendre... contre le terrorisme (sous-entendu « immigré » = venant de l'étranger) ».
L'union nationale du mensonge déconcertant fonctionne à plein régime et transpire par tous les canaux télévisés ; presse papier, réseaux (car l'Etat est aussi sur les réseaux tout en se disant victime de ceux-ci!). On dramatise à fond, on repasse les mêmes images de destruction, on insiste lourdement sur les dégâts pour les « habitants » ou les « usagers », bien que ce soit un appel à l'indignation de cette classe ouvrière si refoulée dans la sociologie journaliste barbante et creuse : comment ces jeunes, très jeunes, peuvent-ils sans vergogne brûler les voitures de leurs parents, les autobus ou tramway qui les mène au turbin ? Ne comprennent-ils pas que le travail est une libération et pas une aliénation comme l'a justement déclaré le camarade Laurent Berger ?
Certes on ne fait pas de révolution sans casser d'oeufs, ni d'émeute sans péter une vitrine même des magasins pour pauvres comme LIDL ou Action. Mais en quoi auraient-ils besoin de se justifier ou de rendre des comptes à un système qui les méprise, leur tape dessus, les contrôle au faciès, ou tue ponctuellement et cyniquement un jeune comme Nahel ?
Quel organisme politique peut représenter un espoir sérieux de virer cette société pourrie ? Aucun. Existe-t-il un programme solide de transformation de cette société ? Si l'on en croit les médias, il n'y en a pas, ou celui de Le Pen ou de Mélenchon, des pitres à blabla !
L'Etat se sert de l'indignation des « citoyens » face aux violences, en exhibant les signaux les plus
Pour une justice voilée des frères? |
« arabisants », racistes et communautaristes dans les manifestations successives ; on peut lire « une majorité de femmes noires sont violées, pas les blanches », « dissolution de la police » (pour mettre a place?), etc ? La mère de Nahel est venue, sans aucune pudeur ni décence, s'exhiber sur la plate-forme d'une camionnette saluant la foule comme une chanteuse de variétés ; Assa Traoré avec sa tignasse ridicule était venue aussi parader et s'exhiber. La femme de ménage de l'impérialisme US, l'ONU, en a profité pour demander à l"Etat français de se pencher "sur le problème du racisme dans la police française", au lieu de s'occuper de son cul.
Ainsi, mise en images par les médias, la contestation anti-flic, mais pas anti-capitaliste, sert aussi parallèlement à éviter de laisser voir la vérité : un drame qui relève de l'opposition des classes, et qui suppose de lutter contre les crimes d'Etat, non pas contre le seul flic criminel (dixit la mère de Nahel) mais contre cet Etat bourgeois, qui, avec toutes ses mièvreries et compassions navrantes n'est ni amendable ni représentant de la masse du prolétariat, appelé à se soumettre à nouveau à une « protection policière » qui tue au besoin, par zèle.
Enfin il faut reconnaître la situation comme inédite. On a fait oublier que en 2005 Sarkozy avait pu négocier avec les chefs dealers pour contribuer au retour au calme, après avoir appelé à "nettoyer au kärcher" . Mais les racailles de la drogue se sont avérés débordés ce coup-ci ; la preuve à Marseille qui était restée calme les trois premiers jours. L'émeute dérange pourtant trop le deal et la bourgeoisie ! Les syndicats dealers resteront-ils aussi impuissants que la CGT?
A continuer...
UTILES REFLEXIONS POLITIQUES ET SOCIALES hors de la propagande anti-raciste de la bobocratie
Pour les auteurs de violences, il y a une caractérisation de leurs propres infrastructures. Lorsqu’on regarde les cibles, ce ne sont pas n’importe lesquelles. Il y a bien sûr une dimension un peu erratique dans les choix, mais les institutions publiques sont particulièrement ciblées : les voitures de police, les commissariats, les mairies, les écoles. Ce sont des éléments avec lesquels les populations entretiennent des rapports difficiles. Le cas de Nahel met en évidence le sujet de la police, mais il y a un profond sentiment d’injustice et un rapport conflictuel avec l’ensemble des services publics et culturels, et notamment l’école.
Il ne faut pas sous-estimer la conscience politique de ces quartiers, avec une mémoire des évènements passés et de nombreuses évocations aux précédents cas de violences policières ou d’injustice sociale.
En ciblant leur quartier, les émeutiers amènent la police sur leur propre terrain, ce qui est un avantage non négligeable lors des nombreux affrontements. Ils connaissent la topographie des lieux, les planques, les fuites éventuelles, les endroits à éviter... A contrario, on a très bien vu avec les « gilets jaunes », ou le mouvement contre les retraites, à quel point vouloir affronter le pouvoir sur son terrain à lui - les boulevards parisiens et les grandes villes - était un désavantage contre la police. Il suffit de comparer le nombre de blessés.
Il faut donc sortir de cette image d’émeutes totalement chaotiques. Les auteurs de violences ne ciblent pas leur quartier par hasard, et les cibles choisies ne sont pas totalement irrationnelles. Il y a des débordements, bien sûr, et des attaques qui n’ont pas vraiment d’explication. Mais dans la majorité des cas, les cibles sont des structures contre lesquelles il y a un fort ressenti.
On trouve aussi beaucoup de supermarchés pillés...
Ce n’est pas totalement nouveau, mais on peut mettre cette cible en parallèle avec l’inflation en cours et les difficultés de pouvoir d’achat, d’autant plus dans les quartiers populaires. Dans un certain nombre de ces lieux, les commerces et les établissements particulièrement pris pour cible sont le symbole d’une certaine gentrification : boulangerie haut de gamme, magasin bio, boutiques de luxe… Ces établissements représentent une transformation sociologique de ces quartiers, avec l’arrivée de nouveaux habitants plus aisés financièrement - et donc le sentiment pour les anciens d’être encore plus déclassés et exclus.
Julien Talpin, interview sur 20 minutes
NOTES
1A la fin du siècle dernier, la mort d'un gars de la cité des Minguettes à Vénissieux, lors d'affrontements avec la police avait été à l'origine de la «marche des Beurs», qui servit de merveilleuse base de recrutement pour le PS, avec le petit arriviste Julien Dray. Le 27 octobre 2005, trois adolescents poursuivis par la police croient pouvoir se réfugier dans l'enceinte d'un transformateur EDF (où c'est indiqué : interdit risque de mort. Un arc électrique de 20.000 volts tue sur le coup Bouna Traoré, âgé de 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans. Muhittin, le troisième, âgé lui aussi de 17 ans, est gravement brûlé mais parvient à s'enfuir. Le soir même, des émeutes se déclenchent à Clichy Sous-Bois. Pendant trois semaines, des jeunes brûlent des voitures et agressent pompiers et policiers. L'insurrection gagne les cités alentour, puis les grandes villes de France début novembre, après qu'une grenade lacrymogène policière a ricoché et atterri dans une mosquée, provoquant la colère de la communauté musulmane, qui permit ainsi de réduire la répression et l'accident à un problème de banlieue « islamisée ». Idem en ce moment.
2 En mars 2017, ils n'avaient pas peur de se ridiculiser en écrivant : « Tous ces mouvements sociaux, aux causes et aux objectifs disparates, ont reçu une large publicité et souvent fait la Une des journaux du monde entier. Il est grand temps que les marxistes révolutionnaires dénoncent ces chimères de révolution et y opposent l’authentique mouvement de transformation sociale qui, lui, ne reçoit pas la même attention des médias : la lutte de classe du prolétariat international.On ne peut donc pas s’étonner du fait que la bourgeoisie retire une certaine satisfaction de l’impuissance des révoltes sociales, même si celles-ci révèlent l’incapacité du système à offrir le moindre espoir de panser les plaies béantes qui affligent la population mondiale. Les révoltes sociales ne représentent pas une menace pour le système, elles n’ont ni revendication ni perspective capable de mettre sérieusement en cause le statu quo. Elles ne dépassent jamais le cadre national et sont en général isolées ou dispersées ».