OU COMMENT UN LIBERTAIRE A OFFERT
LE VOYAGE EN CAR
A DE ROBUSTES AGENTS DE BASE DU SYNDICALISME
Le couple qui anime le blog
Vosstanie, couple structuré que je ne vois plus depuis quatre années à cause de
la propension de Paulo à tout critiquer et à tout rapporter à son nombril, est
un lecteur assidu et discret de ce blog, au point d’avoir ouvert l’œil hors de
leur problématique intello et gauchologue habituelle, sur ce qui avait pu se
passer à la réunion de Lille avec une pincée de grévistes de PSA. Par mon
truchement ils ont eu vent de l’existence du cercle « La Mouette
enragée », organisateur de cette rencontre, sans en connaître les tréfonds
ni leur rôle de courroie de transmission provinciale de l’OCL (organisation
communiste libertaire). Ils ont donc contacté tout ce beau monde pour les interroger
via skype et nous livrer des trésors d’information, je dis bien des trésors,
car rarement on peut avoir à disposition
une telle surprenante masse d’informations extrêmement éclairante. Le Paulo
m’avait prévenu par avance du déroulement de cette émission, malgré mes ironies
à son égard, qu’il en soit remercié, ainsi que les Xavier et Jean-Michel pour
leur intelligence analytique, malgré leur absence de cohérence maximaliste
révolutionnaire, et leur naïveté typiquement anarchiste.
(Si j’ai mal retranscrit certains
de leurs propos je me ferai un devoir de le corriger immédiatement)
L’émission annoncée comme la réception
des membres de la Mouette enragée, mais aussi comme un approfondissement du
déroulement de la lutte à Aulnay, avec l’interview d’un participant de premier
plan, Jean-Michel de l’OCL, + la retransmission du débat à Lille (où j’étais
présent et leur seul véritable critique des menées syndicalistes), dure plus de
cinq heures. Ouf ! votre serviteur, s’il vous conseille d’écouter les
retransmissions de Radio Vosstanie, va vous offrir ici un résumé indispensable,
parce que nos braves libertaires qui conchient Gutenberg en croyant que la
radio serait devenue le summum de la conscience de classe et de son expansion,
se mettent le doigt dans l’œil ; les prolétaires n’ont pas le temps
d’écouter une de ces multiples mini-radios libertaires qui pullulent sur le web.
Hélas, parce qu’il y a parfois de bien intéressants débats.
Notre couple vosstanien fait
preuve d’un professionnalisme honorable, malgré une entrée en matière façon
revue de presse façon Ardisson ou Ruquier, fort cultivée, redondante sur les
échanges œcuméniques dans les milieux libertaires et babacool, et à tonalité
toujours très antifasciste de salon, ne perdant pas une occasion pour se moquer
du suicide du « facho » Venner en l’église de Notre Dame de Paris où
ils ont entendu des bruits de bottes résonnant loin de la cathédrale. Le couple
débat joyeusement, on sent qu’ils s’aiment et aiment qu’on les entende palabrer
dans l’alcôve de leur radio. C’est moderne, une forme d’exhibitionnisme comme
une autre. C’est beau du moment qu’ils s’aiment, rient et pleurent ensemble.
COMMENT LA MOUETTE ENRAGEE NE SE
VANTE PAS D’AVOIR TREMPE SES PATTES DANS L’ACTIVISME LOCAL DES GROS BRAS CGT
Enfin on passe aux choses
sérieuses pour le public après un intermède musical. Quel va être le pitch des
mouettes enragées ? Le Paulo pose de bonnes questions, ce n’est plus un
anar tombé de la dernière pluie, et l’ami Xavier pédale dans la choucroute au
début.
Paulo : C’est quoi le
communisme libertaire à Boulogne sur mer ?
Xavier : euh…on n’accorde
pas une importance excessive à l’idéologie… On est un groupe vraiment sur
Boulogne, çà nous permet d’avoir un ancrage local. On fait de la
contre-information. Dans notre bulletin on fait un bilan des luttes où on s’est
investi… sur les restructurations, comment çà a été vu par la population.
Päulo : …vous n’accordez pas
une importance excessive à l’idéologie !?
Xavier : enfin on est au
niveau local et on élargit les problématiques à l’international… comment la
pêche vit sa fin par exemple…
Paulo : l’idéologie n’a pas
d’importance ? pourquoi ne serait-elle pas importante ?
Xavier : Bah… c’est un
groupe un peu comme tous les groupes, des gens qui décident de ceci, de cela,
qui ont un axe en commun : un positionnement de classe. Mais on est à
l’écoute de ce qui est commun du conseillisme à l’ultra-gauche classique.
Paul : C’est plus pour
rassurer que vous dites cela, communistes libertaires…
Xavier : on se rattache à
toute l’histoire du mouvement ouvrier, à la révolution. On peut se comprendre.
Paulo : vous vous rassurez
quoi, c’est plutôt rassurant… je plaisante… Dans votre canard… sympathique…
Parlez-nous de choses plus pratiques.
Xavier : On essaie un
maximum de coller à un mouvement de classe national… au moment des retraites…
des boites ont débrayé et on s’est retrouvé au sein d’un mouvement à bloquer un
quartier de marchandises avec des gens avec qui on n’était pas forcément
d’accord…
Paulo : vous pouvez
peut-être nous informer sur votre composition sociologique ?
Xavier : … pas très homogène
mais on travaille tous.
Paulo : on a parlé de
recomposition d’une classe qui n’a pas disparu, et il y a toujours cet écart
entre militants révolutionnaires et la classe.
Xavier : … il y a un
renouvellement …
Cécilia : Comment vous vous
organisez ? Comment vous trouvez une légitimité à entrer dans l’entreprise ?
Xavier : on fait des
réunions de travail dans le collectif, pas d’étendard. On appartient à la
cohorte des gens en lutte. On se retrouve en lutte, on a pas besoin de
justification, on s’en fout complètement.
Paulo : on est complètement
d’accord avec toi sur l’avant-gardisme. On peut défendre des positions de
classe où qu’on soit. Comment se fait l’édito du canard ?
Xavier : Il existe depuis
1992. On voit au niveau politique, et ce qui se passe au niveau économique. On
tire à 250 exemplaires et on en vend 150. On est connu localement.
Paulo : quel sont les
rapports avec les gens ?
Xavier : Il y a un noyau de
gens qui ont des choses à dire. Nous on a participé pendant cinq ans à la
campagne calaisienne pour la défense des migrants. On a produit une brochure
sur le phénomène migratoire.
Paulo : On a la vision d’une
extrême droite très implantée dans le Nord…
Xavier : … ici c’est le lieu
de circulation d’une main d’œuvre internationale qui vient souvent de très
loin. L’extrême droite n’a pas d’influence. Elle n’est pas structurée. C’est
purement électoraliste. Le milieu identitaire se résume à une poignée de petits
bourges…
Paulo : ouf on est content
de vous l’entendre dire. Bon on va passer un intermède musical.
Finaud le Paulo qui avait lu mon
compte-rendu sur ce blog[1] et
écouté les débats à Lille va orienter ses questions toujours aussi pertinentes
sur les rencontres avec les grévistes à Toulouse et Lille.
Xavier : A Toulouse, on a eu
affaire à des questions qui sortaient de la logique de l’usine : qu’est-ce
qu’un produit ? Vous défendez votre truc… Le débat s’est engagé avec des
incompréhensions, sur la question du salariat. C’était intéressant et ouvert[2].
Paulo : avec qui et
comment vous vous êtes investis?
(je résume je ne reproduis pas
dans le détail minutieux)
Xavier : par notre
organisation en réseau, les gens se contactent, et notre but était de faire
sortir les grévistes de l’usine, et on a eu comme résultat d’abord
l’enthousiasme inattendu des grévistes ![3] Le
second intérêt étaient, pour ces gens menacés dans leur job, de leur permettre
de parler de leur lutte, en faveur d’une convergence des luttes, pour les
amener en dehors de leur région et de la problématique automobile.[4]
Paulo avoue son enthousiasme pour
le compte-rendu (il ne précise pas que ce fût le mien). Il félicite pour
l’intervention (alors que les Mouettes n’ont pratiquement pas parlé, sauf pour
une ou deux remarques apolitiques) : c’est quoi les limites de çà, lance
tout de même le Paulo emballé ?
Xavier : Je pense que ces ouvriers ont repoussé les
limites !
Paulo : oui c’est
énorme ! Mais je vois dire que nous avons été dans l’expectative face à la
visite syndicale Mercier en tête au congrès du PS…
Xavier : c’est une lutte
complexe, une course d’enjeux au sein de la CGT, pour LO, municipale…
Jean-Michel en parlera.[5]
PAGE DE PUB
Paulo : … récupérer 20.000
euros c’est bien mais… on s’est interrogé là-dessus… d’autres radios font des
choses sympathiques, notre radio est l’outil d’un petit groupe structuré qui
prône la fraternité libertaire. Merci à vous, il y a toujours une chambre ou un
couloir pour vous recevoir si vous venez ici. Merci encore. Après l’intermède
musical on donnera la parole à Jean-Michel.
INTERMEDE MUSICAL
Paulo : on n’est pas de la
police mais pouvez-vous vous présenter, ce que vous êtes, ce que vous
faites ?
Jean-Michel : je suis un
militant politique, un prolétaire de l’OCL du 93. Je fais aussi de la radio à
Reims. J’ai été les voir début janvier, puis j’ai sauté le mur de l’usine et
j’ai tissé des liens. Quant on est dans la même tranche d’âge des 30 à 40 ans et
qu’on les encourage à sortir faire de la pub à leur grève, on ne peut pas être
tout à fait mauvais… Pour moi en tout cas, c’était le moment. L’industrie
automobile est un des moteurs du capitalisme au XXème siècle. Nous vivons une
crise de surproduction. L’importance de la suppression de près de 11.000 postes
montrait le décalage par rapport aux autres boites, Renault… On était dans une
situation typique où développer une solidarité réelle.
Paulo : comment t’as été
accueilli ?
Jean-Michel : J’ai articulé
ma première intervention ainsi : « on a organisé des collectes
financières pour vous, soutenir votre lutte » ; je suis intervenu en
AG en amenant le chèque, en leur disant que leur combat était le nôtre. Mon
action était articulée, à travers le soutien financier, à la vocation à
déborder, à créer des mouvements de solidarité à tout ce qui pourrait renforcer
leur autonomie[6]. Bien sûr j’ai été vite
sondé par les militants de LO, mais …une partie de LO est intéressante, LO
n’est pas homogène[7]. Il y a des militants dans
l’usine. Il y a des vieux militants d’usine depuis longtemps. Ils étaient
étonnés que des militants politiques rentrent dans l’usine… mais je dois dire
que j’étais le seul ! Régulièrement un ensemble de groupes gauchistes
tractent à l’entrée de l’usine comme dans le film « La classe ouvrière va
au paradis » ! Chacun des mecs qui rentre à l’usine est fliqué (rire
béat de Paulo). Moi je rentrais sans être contrôlé !
Paulo : c’est très
intéressant que tu sois venu voir les gars avec les sous, cela donne une vérité
à ton soutien, c’est pas du bla-bla en l’air…
Jean-Michel : c’est aussi
par le discours que j’ai présenté. J’ai dit que je n’étais ni membre de LO ni
de la CGT, que j’étais solidaire et que mon groupe OCL à Reims avait tracté
pour eux sur les marchés, qu’on avait organisé un concert dans un squat de la
cité, donc que je leur amenais de l’argent sale (rires). C’est une solidarité
primaire, de classe. Il n’y a plus personne qui parle de classe mais nous on en
parle. Pour une fois on a totalement identifié l’ennemi : Frédéric de
Beaujour du bloc familial de la vieille bourgeoisie industrielle[8]. Mon
discours était donc recevable. Il y a une identité commune quand on a 30-40
ans, qu’on comprend l’arabe, qu’on bouge ensemble… Ton discours s’articule avec
une pratique.
Paulo : oui çà résonne… Mais
dans la dynamique du déplacement à Lille et à Toulouse, compte-tenu de l’arrêt
de la grève… Comment çà s’est terminé ?
Jean-Michel : Assez
rapidement. J’ai proposé à des camarades parisiens, pour s’organiser, voir
comment on pouvait être dans l’action pour y apparaître comme une force de
proposition de classe. L’échec de notre réunion publique a été patent. Aucune
organisation n’a daigné trouver intérêt à venir.
Paulo : incroyable !
Jean-Michel : une
honte ! Pour se bouger le cul y a plus personne ! A Paris le squat de la rue des Pyrénées s’est
organisé pour trouver un lieu dans Paris 20ème et organiser un repas
de soutien. J’ai contacté l’exécutif de la Mouette [9]
pour qu’on ne soit pas la piétaille de l’extrême gauche. La Mouette a proposé
l’Insoumise à Lille, squat transformé en librairie. On a trouvé intéressant de
faire se rencontrer des gens qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer, d’un
même monde pas hostile à se rencontrer, idem à Toulouse[10].
Ils ont aussi mobilisé le squat « le Créa ». A Toulouse on a eu une
centaine de personnes qui soulignèrent la qualité et la lucidité des camarades
d’Aulnay qui avaient délaissé leur petit nombril de grévistes, enfin des gens
qui avaient besoin qu’on les rejoigne dans leur combat.
Paulo : L’automobile est un
vrai laboratoire du capitalisme. Le dialogue pouvait être impossible entre
populations qui ne se connaissent pas. Y avait-il des concessions
mutuelles ?
Jean-Michel : Le point
d’étonnement du milieu squat c’est la question du travail. Ils sont évidemment
choqués qu’on demande le droit à travailler. Or c’est une réalité, le travail
dans le 93 est dégradé, tu peux faire deux heures de ménage un jour puis plus
rien. La seule référence c’est le pognon, n’importe comment qui est seul gage
de ta liberté. L’autre problème c’est quand on ne peut pas s’organiser dans le
travail. Les gens qu’on a ramené n’ont pas la culture gauchiste ou ouvrière
traditionnelle. Ils ont accédé à un degré de conscience supplémentaire. Le
mouvement les a amenés à prendre conscience de plein de choses sur la
société : il faut arrêter de souffrir en silence ! Que des gens
viennent les voir et sautent par-dessus les syndicats… que des arabes et des
noirs se battent pour tous, c’est inédit !
Paulo : on a encore le choc
culturel entre le romantisme de l’anti-travail et les travailleurs forcés.
Est-ce que le discours sur les restructurations capitalistes est si inoxydable,
quand l’industrie automobile est à bout de souffle, avec tant d’éléments en
marge de la production ?
Jean-Michel : Problème
central de la grève à Aulnay. Quelques uns ont soulevé le problème de la crise
de surproduction. Dans des termes les dépassant… malheureusement dominait
encore les arguments du discours CGT et LO, discours productiviste : « on
peut produire des bagnoles ! on est compétitif ! Les
capitalistes sont des salauds ! ». C’est sûr les capitalistes sont
des salauds mais c’est délicat. Nous on le voit bien avec nos lunettes de
militants. Le piège à Aulnay a été vu trop tard. Les patrons voulaient fermer
Aulnay depuis longtemps, usine phare pour la C3, mais aussi « usine
indisciplinée, pour faire un exemple dans le groupe. Les patrons de Peugeot c’est
l’UIMM, ils sont pas dans la négociation comme Parisot qui est aussi présidente
de l’Ifop, c’est la bande à Beaujour, c’est pas la même fraction de la
bourgeoisie.
Pour beaucoup le moyen d’avoir un
espoir, c’était « on peut conserver l’outil de production ». Puis
Saïd, placé à un endroit où il voyait passer les prototypes, a très bien vu qu’il
y avait de vrais projets que la direction ne voulait pas dévoiler ni développer
à Aulnay.
Paulo : On boit tes paroles.
Les déplacements ont révélé pourtant une dynamique qui a échoué. Comment
ont-ils pu déborder, aller dans d’autres lieux initialement sans vraiment qu’on
les tire ?
Jean-Michel : D’abord cela a
été un ballon d’oxygène pour eux. Le fait de les sortir, de pouvoir parler de
leur combat hors des limites de l’AG[11].
On ne faisait pas que de la politique. Tard le soir on faisait la teuf. Super
sympa, çà créait des liens. Le reproche que je fais ? J’ai gardé une plus
grande liberté qu’eux. Mais je n’étais pas gréviste, au final la décision leur
appartenait. J’ai regretté qu’ils restent limités par leur expérience à l’intérieur.
Le mouvement est seulement « suspendu », y ont bien calculé leur truc
(rires)… Il fallait qu’ils puissent pénétrer à l’intérieur et s’émancipent de
cette tutelle syndicale et politique. Mais les militants de LO et de la CGT ont
fait un travail important…[12].
Beaucoup de ceux qui ont fait la critique du travail ils y sont plus dans l’usine
(rires). Notre militantisme n’est pas vécu comme une mission. Je ne suis pas du
tout ouvriériste. Ma volonté de changer le monde doit s’articuler avec des
luttes comme celle ‘Aulnay. On se voit. On se téléphone.
Paulo : Qui sont ces gens-là
encartés à LO, à la CGT ? Leur discours est très structuré… et il y a eu
des interventions de qualité à Lille. Qui sont-ils ?
Jean-Michel : On est venu
avec cinq : un délégué de chaîne (un mandat particulier), trois de la CGT,
un de SUD et un autre pas syndiqué, qui parle pas, mais qui est super dévoué.
Avec l’histoire de la lutte à Aulnay… 2005…2009…2013, la lutte est le résultat
du travail des différents groupes de la CGT à Aulnay. Jusqu’en 1982[13],
la CGT devait rester clandestine à Aulnay face au syndicat maison. Les Saïd,
Samir, Mohamed et José n’ont pas connu le passé, mais ce sont des personnages.
Paulo : On est admiratif,
mais il faut donner les arcanes de ce qui se passe. On comprend que les gens
prennent l’oseille et se barrent. Cela dit… même si plein de boites ont été
contactées, je ne veux pas parler forcément de trahison des chefs… mais la CGT,
LO, Mercier, LO à la manœuvre pas pour poser le changement de société… tenants
et aboutissants de ce qui s’est joué en dernière instance ?
Jean-Michel : … des tas de
choses me dépassent ou nous dépassent. Premièrement la CGT Métallurgie est la
troisième fédération de la CGT, c'est-à-dire un bastion. Je rappelle Sochaux en
68 où trois ouvriers ont été tués, là-bas la CGT lève le petit doigt et tout le
monde suit. Mais mais mais… pourquoi, dans tout PSA… pas une seule journée de
grève pour tous les sites ? A Aulnay la CGT esquivait le problème…
résultat de l’accommodement de l’appareil depuis dix ans avec Le Paon
maintenant. Deuxièmement la couleur
politique de leurs animateurs, toujours anti-trotskystes puis anti-LO. Mais il
y a dû avoir concertation pour que la CGT-LO ne foute pas le bordel. Certains
avaient demandé à plutôt envahir le siège du syndicat, ce qui a été écarté par
les leaders de la grève. Et puis il faut dire que la sociologie de LO a changé.
Avec son groupe originel la Voix Ouvrière, c’était autre chose, la VO de Pierre
Bois ; j’ai d’ailleurs connu des gens de cette époque, comme Daniel Bénard
de Flins. Ils avaient une action vers les usines. Depuis quinze ans il y a de
plus en plus d’enseignants et de profs à LO. Nathalie Arthaud a du temps libre,
elle est prof à Aubervilliers. L’implication de LO dans la CGT est d’autant
plus forte que le PCF s’éteint.
Alors voilà mon hypothèse. Il y a
eu un deal entre la CGT et LO, un siège au comité confédéral « si vous ne Il faut savoir aussi qu’une association,
réceptacle de fonds pour la grève, a été montée par des municipalités PS qui
ont ainsi « acheté la paix sociale ». Donc il y a eu un deal avec les chefs grévistes, et c’est
important pour l’avenir (et la crédibilité de ces partis) dans un département
comme le 93 où la fermeture d’Aulnay va signifier encore plus de chômage.
Echange de bons procédés entre syndicalistes et partis !
faites pas chier » ! Ou des places au niveau des fédés nationales. Il
faut savoir que dans le 93, il y a des élus de LO dans les conseils municipaux
SUR DES LISTES PS, pas à partir du PCF ! Le PS a détrôné le PC dans tout
le 93 et il y a donc un enjeu de LO pour prendre la place.
Est-ce que les mecs de LO ont cru,
avec les infos qu’ils savaient, que le sauvetage de l’usine était possible ?
Paulo : On a vu que le temps
était du côté de la lenteur syndicale et qu’une radicalisation aurait reposé
sur une rapidité de la grève. Pourquoi on n’a pas tenté d’élargir au sein de
PSA jusqu’à l’intervention au congrès du PS ?
Jean-Michel : oui cela
apparaît étrange. Plutôt que d’aller chialer devant les politiques, pourquoi l’accent
n’a-t-il-pas été mis sur le blocage de la production, le sabotage ? Ils
ont répondu que les autres travailleurs ne bougeraient pas… Pourtant quand on a
envahi l’usine de saint Ouen on a vu que çà marchait bien ! LO a sorti une
grosse brochure ou, erreur technique gênante, ils annoncent que la grève s’arrête
avant le jour prévu. Il faudra en imprimer vite une autre…Dans l’usine, ils
défendaient l’action comme celle de « minorités révolutionnaires »,
donc ne considéraient pas la grève comme un fait de classe. Leur message :
il faut renforcer les « minorités » militantes. Ils ont vendu le
choix entre partir ou aller à Poissy. En réalité c’est un processus d’infantilisation
des grévistes : sans nous vous n’êtes rien ! Nous on n’est que des « sales
petits cons d’anarchistes autonomes » (rires). C’est une stratégie à la
petite semaine. Personne ne vient voir les militants, mais si on est pas
capable de le faire à leur place, on va se faire bouffer.
INTERMEDE MUSICAL
Paulo : Tu as tout dit quand
tu as dit qu’on est en face de chapelles du capitalisme qui veulent sauvegarder
leur place dans le capitalisme. Mais peut-on être étonné du caractère non
révolutionnaire de LO. C’est une tambouille qui limite tout au syndicat et
élimine toute révolution de base. On s’est étonné de la façon dont la CGT
tenait à privilégier les négociations tripartites avec le chiffon rouge de l’éventuelle
Marine Le Pen…
Jean-Michel : D’accord ces
groupes ont une fonction. Ce qu’on peut déplorer c’est qu’ils agissent en
fonction de leurs intérêts (x) et pas de ma chapelle, moi ma chapelle c’est le prolétariat.
Face à ces gens-là y a plus de militants pour les contrer. Pourtant y a un
vieux barbu qui a dit « le mouvement réel abolit l’ordre existant ».
Si on a pas les moyens, on les prendra. Les hommes ne sont pas faits pour
rester esclaves, ils vont se révolter. On va pas se faire bouffer, se réfugier
dans no squats. Pour nous il faut détruire le capital.
Paulo : tes émissions ?
Jean-Michel : L’eggregore,
groupe anarchiste-communiste mouvementiste ; ce groupe se met à la
disposition du mouvement social. Chaque lundi, radio primitive a vocation à
tendre le micro à des gens qui sont en lutte. Mettre des gens dans des
convergences et les mettre en contact, c’est notre action au quotidien.
(x) On notera une incapacité de Jean-Michel à considérer les gens de LO comme des larbins de la bourgeoisie, qui ont leurs propres flics; je fus suivi à ladite fête, et ce blog ainsi que les compte-rendus de leurs "envoyés spéciaux" beaux parleurs comme Samir ont fait un compte-rendu très détaillé à l'appareil de mes critiques. &&&&&&&&&&&&&&&&&
UNE INTERVIEW très intéressante
au final, et qui fera j’espère réfléchir notre milieu maximaliste marxiste
composé lui aussi de plus en plus de vieux, et de vieux profs…
Tout en saluant le dynamisme et
le dévouement des Xavier, Jean-Michel et surtout des grévistes, je maintiens
mes critiques de fond sur la nature de la grève et son « utilisation »
par les appareils politiques de gauche de la bourgeoisie.
1°) une grève ultra-minoritaire
qui veut s’inscrire dans la durée sans poser l’extension au sein même de la
boite, c’est quoi ? C’est du jusqu’auboutisme non seulement suicidaire
mais déplorable et démobilisateur pour l’ensemble, grévistes et non grévistes
(c’est pas la première fois que la bourgeoisie use de cette flatterie genre « grève
radicale » (cf. lire mon article précédent sur ce blog où Angelo Tasca
rappelle des exemples où la bourgeoisie italienne a poussé à des grèves « rouges »
pour nuire à l’ensemble de la classe) ;
2°) Les balades extérieures
tolérées par les manipulateurs trotskiens et staliniens sont restées au niveau « spectaculaire »
réduisant la masse au rang de spectatrice, faussant délibérément la question de
l’extension réelle par la lutte et pas par ce genre de figuration pour appâter
les médias :
3°) les deux visites « externes »
à Toulouse et Lille, les appareils CGT et CGT-LO les ont laissé faire, ne
craignant plus aucune perte de contrôle, et les 5 délégués vedette à Lille ont
bien joué leur petit rôle de télégraphistes de la mafia syndicale d’Aulnay sans
nous dire ce qui se tramait au carrefour des ambitions de la secte LO et des
arrangements électoraux ; en réalité l’extension politicienne battait son
plein avec cette histoire classique et hypocrite de soutien financier, qui
permet une extension de la démagogie de l’extérieur de la « conscience
électorale » bourgeoise vers l’intérieur du bagne à futurs chômeurs sans
aucune autonomie de pensée (les AG étaient mornes comme toutes les AG syndicales
ainsi qu’en a témoigné Jean-Michel).
4°) La réussite de « l’intrusion »
de J.Mi peut épater les naïfs, mais outre qu’elle n’est pas si glorieuse – je ne
vois pas en quoi ce n’était pas une autre façon de flatter des ouvriers ficelés
et finalement se mettre au service du syndicalisme le plus retors – elle a
abouti à quoi ? A faire payer les déplacements en car des soit disant délégués
autonomes qui n’ont pas eu d’autre politique que d’être les mégaphones des
pires billevesées de leurs chefs syndicaux, et de maugréer contre toute
allusion aux diverses trahisons syndicales ; lesquelles en vérité n’ont
pas trahi mais maintenu la barque de la grève dans la vase du volontarisme
borné et du jusqu’auboutisme bien utile finalement aux patrons de Peugeot.
5°) l’intérêt cependant de cette
grève, contre ses interprétations triomphalistes, est justement dans l’organisation
étrangère à la lutte et bêtifiante du personnel politicien de LO, cette sorte
de populisme néo-stalinien qui prétend que si on ne prend pas les ouvriers par
la main comme des gosses ils ne font rien. Face à ce genre de pratique de
destruction de la lutte et de manipulation des assemblées et de la volonté de
se battre, les ouvriers ne peuvent avoir qu’une envie, déserter ce champ pourri
des rivalités militantes, et c’est ce que la majorité de l’usine avait d’une
certaine façon compris sans se sentir étrangère à la hargne des grévistes.
6°) Les milieux anarchistes comme
l’OCL et La Mouette Enragée peuvent émettre de jolies critiques, faire des
remarques intelligentes, mais dans la pratique, à Boulogne comme à Aulnay ils « agissent »
(et se vantent d’agir) mais au cul des manipulateurs professionnels du
prolétariat. La Mouette, contrairement à ce que dit Xavier, ne tire jamais de bilans argumentés des échecs
(cf. leur chanson sur la victoire des retraites…) ; on fait des brochures
sur les Roms, les autoroutes de la mer, fort bien rédigées, mais derrière il n’y
a aucune consistance politique. On attend les « actions » qui
viennent rarement, pour le plaisir de faire cramer quelques pneus et de boire
un coup avec « les potes » ou « les gens ». On fait de la
réunionite régionale et nationale. On psalmodie avec les occupants contre le
projet d’aéroport de Notre Dame des landes, et on n’est même pas au courant de
ce qui se passe quotidiennement dans ce bled, Boulogne sur mer ; nom
glorieux puisque c’est le nom qu’on jugea utile de donner en banlieue
parisienne à Billancourt et où la classe ouvrière a disparu de l’île. Mais pas
du monde.
[1] En
réalité je n’avais pas dit toute la vérité ni toutes les impressions que
m’avait laissé la réunion à Lille, voici ce que j’en disais à un camarade de
Bretagne début mai : « Sur la rencontre avec ceux d'Aulnay je n'ai
pas tout dit, ne voulant pas jouer les démoralisateurs (ou le plutôt démineur
hypocondriaque obsédé) mais les anars ont les mêmes procédés que les
"léninistes", sous couvert de laisser librement s'exprimer l'AG, ils
étaient 4 à 5 à tirer les ficelles: deux jeunes ouvriers arabes et un français
(affidés CGT de base mais CGT quand même) essentiellement ouvriéristes et
usinistes (au sens PSA peut vendre) et un gars de l'OCL qui se permettait
d'octroyer les tours de parole (émaillé d'anti-lepénisme primaire, de
déclarations d'antiracisme et de commentaires bon enfant).... rares. La plupart
des très jeunes assistèrent surtout à la joute entre moi et eux (j'ai
retranscris comme si c'était plusieurs intervenants, en fait c'était plus une
opposition entre le maximaliste de service et eux). Les très jeunes restent
encore paumés et surtout anti-Le Pen, ce qui les dispense de faire de la
"haute politique", ou comme le disait une jeune ouvrier arabe "de
discuter comme les politiciens". Dans les discussions préliminaires dans
le couloir de la librairie L'insoumise, une autre jeune ouvrier arabe d'Aulnay
se faisait fermer systématiquement la bouche par un des "caïds" beau
parleur (Samir ou Saïd) avec des airs de préséance, ray-ban et portable
ostensiblement tenu, ce qui me déplaisait souverainement et laissait poindre
une hiérarchie secrète... Je n'avais
pourtant pas l'impression d'être un OVNI ni un vieux con, mais leur conscience
à tous m'apparaissait comme un condensé d'attente, de peur, d'irrésolution et
d'absence de conviction qu'il est possible de faire quelque chose pour foutre
en l'air ce monde mercantile. La plupart semblaient très pauvres et habillés ou
décorés avec les signes du marginalisme (tatoutages, kefiehs, et accoutrements
avec dominante noire...). Et pourtant ils font partie de la classe! Je pense
que les djeuns auront besoin surtout de la pratique dans les événements à venir
et que notre discours maximaliste n'y sera pour rien ».
[2] En
réalité, comme à Lille, on a affaire à une confrontation un peu surréaliste
entre des ouvriers, certes intelligents et fort bons discoureurs, mais face à
une marge du squat qui les regarde comme des martiens et n’y pige que pouic. Et
soit pose des questions idiotes soit se tait.
[3]
Xavier noie le poisson. La Mouette n’est qu’une courroie de transmission
provinciale de l’OCL, avec un seul membre de celle-ci qui cornaque les
autres ; ils se vantaient d’avoir « un mec dans la boite »,
exceptionnalité noble refusée aux chapelles gauchistes figurantes ;
on verra grâce au témoignage par après de Jean-Michel que ce n’est pas tout à
fait cela mais plus simple et plus intrigant.
[4] La
Mouette, comme on va le voir, aura surtout piaillé pour le barnum CGT et
« l’action symbolique », les dits débats restant ferrés sur le
terrain syndical face à une bande de jeunes marginaux des squats muets plus par
incompréhension que par hostilité.
[5]
Oui Jean-Michel en parlera et de façon bien plus éclairante que Xavier qui
semble buter sur un sujet très délicat, si révélateur pourtant comme va
l’illustrer avec magnificence Jean-Michel.
[6]
Jean-Michel trafique hélas. A Lille je
l’ai vu surtout jouer le monsieur bons offices, présider oecuméniquement
sans jamais contrarier ses complices
syndicalistes aéroportés gratos. D’abord venir acheter la bienveillance des
ouvriers en grève avec un chèque, PCF, CGT et gauchistes n’ont pas attendu
qu’’il l’invente ! Ensuite parler d’extension à des grévistes
jusqu’auboutistes archi-minoritaires, de plus en faisant croire à une autonomie
fictive alors qu’ils étaient déjà ultra-ficelés par CGT et CGT-LO, cela porte
un nom : une manœuvre syndicale de plus et … pour souffler dans le même
mégaphone des cuistres syndicaux et de leur appareil obscur !
[7]
Mon cul !
[8]
Heureusement Jean-Michel est plus explicite plus loin, le véritable ennemi, on
va le voir, était dedans la grève !
[9]
Hips ! Ils sont trois et ont un « Exécutif », ce sont donc des
léninisto-anarchistes !
[10]
Là je dois saluer cette partie de l’explication de Jean-Michel. En effet il y
avait du génie, d’abord à se retrouver à discuter dans des locaux gratis, mais
surtout à montrer à une jeunesse jetée à
la rue (en bandeaux noirs, bracelets et dégaine marginale, … en deuil du travail)
leurs aînés (de peu) qui montrent l’exemple de la lutte, qui expliquent
pourquoi… il est nécessaire de faire encore des boulots de merde. Sur ce plan,
je le répète, même les sous-marins de la CGT ont eu des arguments admirables et
sans mépris pour les « largués » de la production ! Malheureusement
il n’y a pas vraiment eu de dialogue, chacun restant dans le doute et le
désarroi.
[11]
Intéressante la remarque contre tous les cultivateurs de l’assembléisme d’usine,
répétitif ou redondant, souvent obstrué par
Mercier et autres discoureurs syndicrates, aussi tristes et creux que le
blog CGT de la grève, et celui navrant de LO ! A vous donner envie d’aller
vous éclater dans un squat !
[12] ?????
[13]
J’étais moi-même intervenu, comme militant du CCI, debout sur le monticule face
à l’usine pour haranguer les ouvriers
afin qu’ils sortent de l’usine. Cela n’avait éveillé l’attention de personne,
mais on me vit, dos tourné au journal
télévisé de FR3. Samir et Saïd m’ont rendu un naïf hommage à la fin ;
ne pouvant se résoudre à me tutoyer : « alors… vous êtes depuis
longtemps dans le mouvement du combat ». Même si on n’était pas sur la
même longueur d’onde, c’était quelque chose.