LE CENTRE DOUTEUX DES MAXIMALISTES
Les compilations de la revue CONTROVERSES
Il faut tirer un bilan de l’échec du mouvement maximaliste à la fin du XXe siècle, non pour renier le marxisme mais pour comprendre et mettre à jour les raisons de son catastrophique échec. Marc Lavoine (dit Mc L) est bien fondé de poser cette question, quoique un peu trop dans l’urgence. Le rédacteur en chef de « Controverses » titre d’ailleurs l’édito avec un sens de la dramatisation littéraire moins crédible que Victor Serge sous le triomphe du stalinisme : « il est minuit dans la gauche communiste ». C’est grave docteur Schweitzer ?
Le lecteur peu informé pourra se demander qui est cette entité « gauche communiste » s’il ne s’est pas simplement contenté de rigoler à l’évocation d’un dernier soubresaut du cadavre électoral des partis staliniens. Pour ne pas laisser ce lecteur agrarien dans l’ignorance, il me faut préciser que M.Lavoine fait allusion à tout le courant révolutionnaire du XXe siècle qui s’étend du maximalisme bolchevique jusqu’à ces micro-groupes bordiguisant et/ou conseillistes que toute la plèbe littéraire bourgeoise avait cru enterrer à la fin du siècle dernier sous le terme infamant d’ultra-gauche, terme qui recouvre pourtant désormais depuis l’an 2000 essentiellement un milieu anarchiste aux contours aussi imprécis et fumeux que la théorie anarchiste elle-même. Pour plus de précisions, j’engage à lire cette revue qui fournit une bonne approximation (résumée en comparaison avec ma propre histoire) de ce courant qu’il convient de qualifier de maximaliste révolutionnaire). Vouloir tirer le bilan de l’échec ou d’une série d’avanies d’un courant politique, qui plus est tenu à la marge d’une société totalitaire et propriétaire acharnée de sa version de l’histoire universelle, n’est pas tâche facile, ni ne signifie qu’on soit capable de le tirer ce bilan.
Avec quelle méthode d’abord peut-on tirer un bilan de l’échec révolutionnaire (renouvelé) ? En se fondant sur le seul imaginaire spéculatif de ses croyants ? En analysant la santé du capitalisme ou sa lente agonie ? En observant les rapports entre les classes et, en premier lieu, les raisons de la victoire renouvelée de la principale classe dominante ?
M. Lavoine répond à chacune de ces questions. Il a été, lui aussi longtemps membre d’une secte, le CCI, qui étouffe toute question, toute réflexion qui pourrait sortir des dogmes simplistes qu’il égrènera encore pendant des siècles sans que cela ne perturbe le sommeil du « géant prolétarien » ce Gullliver qui se laisse encore ficeler par des nains. La démarche de M. Lavoine et de ses camarades a consisté depuis de longs mois à « passer au crible » les dogmes simplistes récités dans le CCI où Lavoine a fait lui aussi l’objet d’un procès en sorcellerie. Pour autant que je connais M. Lavoine, depuis plus de trois décennies, camarade plutôt fraternel et convivial, ce qui est louable en comparant au fort quota de caractériels qu’on rencontre souvent parmi les marginaux politiques, il a toujours accordé une attention primordiale à la question de l’étude de l’économie capitaliste et encouragé à assimiler les débats sur cette merde d’économie entre sommités marxistes du passé. Comme il rédige la plupart des articles de cette revue, et qu’il se veut donc très productif, il procède à un retour à Marx, très précis et souvent pertinent dans les citations. Il reprend une idée, déjà défendue par certains marxologues, et que je partage, selon laquelle Marx ne fût pas déterministe. En tout cas Marx ne misait pas sur un effondrement automatique du capitalisme. Il estimait, en tout cas selon la citation fournie par M. Lavoine, que le capitalisme peut survivre à ses contradictions (« même si cette survie se fait avec les formes les plus barbares ») : « tant qu’il n’est pas renversé par une classe révolutionnaire ». Jusque là, on ne peut rien objecter de méchant, sauf que M. Lavoine reprend une version light du marxisme, celle des Attali et Minc, comme je vais vous le démontrer.
Pourquoi opposer Marx et Rosa Luxemburg ? Pour faire passer cette dernière pour une idiote, comme le premier trotskien ignorant venu ? Rosa Luxemburg a vécu une époque de destruction et de barbarie du capitalisme que Marx n’a pas connu. Et puis, sans l’amoindrir, Marx reste un auteur du XIXe siècle. Il se trompe souvent. Il n’est pas bon prophète. Il reste le plus cohérent des auteurs intellectuels de son époque mais moins visionnaire que tous les utopistes réunis, limité à des trucs niveau coopérative anarchiste avec ses histoires primitives de bons du travail… Mais, tant d’autres intellectuels avant Lavoine ont prétendu donner si souvent la bonne interprétation de Marx qu’on finit par s’en ficher, et se ficher des quelques errements du bonhomme. Marx ne fût qu’un homme, grand savant et profond politique révolutionnaire certes, mais ni la Bible ni feu Madame Soleil. Libre à vous les Attali, les Ben Saïd, les Machin et Truc de façonner chacun votre Marx ! Libre à tout littérateur de composer une énième biographie de Marx, ce qui nous intéresse, nous les prolétaires vivants, c’est le marxisme comme méthode, pas de réciter, comme dans chacune de nos vieilles sectes respectives, telle ou telle « géniale » sentence de Marx. Avec sa loupe Marc Lavoine est allé chercher une petite phrase du grand homme : « des crises permanentes, çà, n’existe pas » et, tout fier et tout joyeux de cette trouvaille, il en fait désormais son credo pour épater les copains dans quelque cénacle bruxellois ou parisien. Marx a bien pu avoir raison évidemment pour son époque sous le règne du capitalisme flamboyant, mais s’il avait maintenu une telle idée en notre triste XXIe siècle, il eût fait rigoler la planète, déjà mal en point et qu’a pas envie de se bidonner.
LES DEGATS DE LA CASUISTIQUE DE MARC LAVOINE
L’intellectuel bourgeois possède des entités qui lui donnent bonne conscience. Il évoque avec des gestes conviviaux, le peuple, la démocratie, le bon sens républicain, la justice, etc. Il finit par se persuader même que ce sont de bons idéaux, quoiqu’il faille rester les pieds sur terre. L’intellectuel petit bourgeois possède lui aussi des entités qui l’aide à vivre dans un monde sans dieu. Il est aussi diversifié qu’un champ de patates, mais il peut recourir à toute une palette de croyances qui ne le mouillent pas trop et sans risques exagérés pour sa carrière professionnelle. Une majorité de petits profs votent « socialistes » et sont fiers de s’opposer ainsi à la honteuse droite au gouvernement. Dans les multiples professions d’éducation, de redressement ou de prêt-à-porter, nombre d’intellectuels anarchistes, en lisant Michel Onfray et Julien Coupat, sont certains d’avoir trouvé la béatitude avec l’entité « insurrection ». L’intellectuel prolétarien, lui, (de l’espèce végétarien ou bruxellien) invoque le « prolétariat », la « gauche communiste », avec un soupir qui en dit long sur son engagement, sur le martyre des ex-étudiants de 68 devenus cadres, enseignants ou chefs de projet (entrepreuneurial) sous le règne d’un capitalisme en bonne santé.
Marc Lavoine a toujours été un camarade dévoué du CCI, mais n’a pas pris plus de risques que la plupart des membres de ce genre d’organisation, en majorité cadres ou fonctionnaires, donc lorsqu’il évoque en frémissant la « gauche communiste » ou le « prolétariat », on aimerait quand même qu’il ne nous fasse pas le coup (classique des employés du CCI) de se couvrir des cendres des hardis révolutionnaires bolcheviques et des minorités pourchassées de l’avant-guerre. Non, camarade Lavoine, nous n’avons pas souffert ni été martyrisés comme les générations qui nous ont précédées ! Mais, attention, ce n’est pas parce que nous avons été assez privilégiés finalement en termes de situation sociale, et avec nous la plus grande partie de la classe ouvrière des pays développés, au moins des années 1960 aux années 1980, qu’il faudrait que cette situation déforme la perception de la réelle santé du capitalisme au XXe siècle. Excuse-moi mais tu tombes dans un raisonnement de privilégié en reprochant à la théorie marxiste « les dégâts du catastrophisme ». Indépendamment des « 30 glorieuses » ou des chiffres fournis par les économistes capitalistes, le capitalisme a été en crise permanente au XXe siècle, la Première Guerre mondiale n’est certes pas encore le produit encore de cette crise, laquelle éclate en 1929, mais c’est bien du fait de cette crise que la deuxième boucherie mondiale rebondit en pire. Si l’on rejette le concept de crise permanente, comment peut-on comprendre 50 ans de « guerre froide », l’effondrement du bloc de l’Est, etc. (M’en fous moi des taux de productivité du Capital).
Le capitalisme mène à la catastrophe, peu importe de quelle nature, mais cette évidence a été soulignée dès 1900 par les Jaurès, Lénine, Luxemburg, etc. Au lieu d’examiner le fond de la question (pourquoi il ne pouvait pas y avoir de révolution de 1968 à aujourd’hui) Lavoine dérape du sujet et accuse la propagande révolutionnaire bolchevique, des KAPD, KPN, GCF et CCI, etc., d’avoir si ce n’est déliré, au moins exagéré. Il eût été plus avisé d’en rester à sa série de constats graphiques. S’il y eût moins de grèves depuis 30 ans c’est à la fois parce que les ouvriers n’avaient pas de raison d’en faire autant qu’avant, et parce que l’Etat bourgeois a eu recours à une profusion de mesures d’assistanat qui ont empêché l’explosion, mais qui n’ont ni solutionné les déficits abyssaux, ni le chômage, ni jeté les bases d’une réelle ré-industrialisation. Le raisonnement de Lavoine tombe dans l’immédiatisme[1]. On ne juge pas du cycle historique d’une société donnée à l’échelle de quelques décennies. Qui aurait pu se faire entendre raisonnablement au milieu du XVIIIème siècle en prédisant l’effondrement de la monarchie rétrograde ?
Avec ce raisonnement accidentellement marxologue (« il n’y a pas de crise permanente », dixit son guru Marx), les prolétaires russes et les bolcheviques sont tombés dans les « dégâts du catastrophisme » ! Quand la perspective est au triomphe de la contre-révolution dans les années 1920, au moment du 3ème congrès de l’I.C., le KAPD qui, comme divers autres partis révolutionnaires de l’époque, veut « foncer », est jugé « catastrophique » ! Alors que justement – si l’on voulait – ce parti insurrectionnaliste appliquait au pied de la lettre la vision pépère de Lavoine « il n’y a pas de crise permanente » mais de toute façon (crise permanente ou pas) « une classe révolutionnaire DOIT renverser le capitalisme » ? Comment et quand, l’intellectuel bruxellois dans ses charentaises professorales, ne nous le dit point. Et il peut donner tort à toutes les tentatives révolutionnaires du passé (qui n’altérèrent en rien ce superbe capitalisme capable de transgresser ses contradictions), la Commune de 1871 (prématurée !), Octobre 1917 (le capitalisme était encore juvénile), 1920 et suivantes : les révolutionnaires auraient dû se réunir en conclaves et analyser le capitalisme pendant que les ouvriers armés se faisaient tirer dessus par les polices fascistes et démocratiques. Et quel mépris de philistin cette sentence doctrinaire professorale : « les groupes oppositionnels font faillite en prédisant la fin du capitalisme ». Ah Ah ! Vous imaginez ces lutteurs révolutionnaires emprisonnés, battus à mort, empêchés de s’exprimer dans les années 1920 et 1930 dans un combat d’arrache-pied contre le stalinisme et ses complices, contre la démocratie et ses complices, les fascismes… ils ont été battus parce qu’ils « prédisaient la fin du capitalisme ». Une fleur de rhétorique bruxelloise, flamande ou wallonne ?
Il me suffit d’ailleurs de citer Marc Lavoine dans ses œuvres, et vous jugerez vous-même comment sa casuistique se mord la queue et en quoi son raisonnement est vraiment « catastrophique » :
« La responsabilité première des révolutionnaires est de réexaminer constamment leurs analyses et prévisions pour bien orienter leurs activités et interventions dans la classe afin de ne pas retomber dans les mêmes ornières et visions catastrophistes du passé. C’est un des objectifs essentiels de Controverses, et nous pensons que ce devrait être l’objectif de bien des groupes et éléments au sein de la Gauche Communiste. A l’opposé de toutes ces visions catastrophistes, le réel effondrement du capitalisme sera politique et social sur un arrière fond de paupérisation brutale et d’incapacité de la bourgeoisie à offrir une issue crédible à son système. Si le prolétariat ne met pas fin au règne du capitalisme, celui-ci ne s’effondrera pas de lui-même. Il n’y a jamais de«situation sans issue » pour le capitalisme, disait Lénine, il trouvera toujours à survivre à ses propres contradictions, quitte à s’enfoncer dans des formes de régressions de plus en plus barbares. Catastrophisme et catastrophes sont deux notions très différentes. S’il faut se débarrasser des croyances en l’existence d’une « limite de l’impossibilité économique du capitalisme » et de « l’effondrement économique du capitalisme » comme le pensait R. Luxemburg, par contre, il est absolument certain que la survie d’un capitalisme obsolescent ne peut qu’engendrer des catastrophes économiques et sociales croissantes. Ce sont elles qui constituent le terreau potentiel pour un développement de la conscience au sein de la classe ouvrière de la nécessité d’une remise en question du capitalisme en tant que système. »
Autant les lutteurs révolutionnaires des années d’avant-guerre avaient raison de poser l’alternative d’une société vraiment communiste, autant leurs modestes héritiers (en idées mais surtout en résidences secondaires) de la fin des années 1960, face à un chahut étudiant doublé d’une grève générale pacifique, se sont emballés avec légèreté en voyant la révolution poindre chaque année suivant l’année merveilleuse, comme je vous l’ai dit à la réunion de PI à Paris l’an dernier. Peut-on reprocher à cette génération, et nous reprocher à nous-mêmes qui en faisions partie, cette illusion ? Franchement je ne regrette rien. Cela ne remet pas en cause, pour moi, l’analyse historique marxiste « catastrophique ». Le raisonnement de Lavoine est pervers par contre. En sous-entendant que l’analyse de base était fausse, il fait passer toute l’histoire des groupes maximalistes moderne pour une embellie de rigolos plein de plumes. Et passe à côté de l’essentiel : la classe ouvrière n’avait aucune raison sérieuse pour aller déjà à la révolution, ni guerre mondiale, ni crise du niveau de 1929. Par contre, et là est le véritable problème que Marc Lavoine esquive : on a assisté à un pullulement de petits bourgeois activistes, immédiatistes, prompts à prétendre parler « au nom du prolétariat » qu’aussi empressés à le renier et à le mépriser. Ce qui a été catastrophique, c’est cette invasion du milieu révolutionnaire maximaliste (pourtant étroit) par une petite bourgeoisie intellectuelle avide de sensations ou désoeuvrée face au freinage de l’ascenseur social, et là est la source de la fossilisation du CCI et tutti quanti[2].
LE CHEMINEMENT DES DECLASSES POLITIQUES
Le milieu maximaliste actuel est par contre en effet un milieu de rigolos. J’ai choisi le terme de déclassés politiques, bien que beaucoup d’entre eux, universitaires, cadres ou profs en retraite, aient fait partie de la petite bourgeoisie intellectuelle toute leur vie, même si ils considéraient faire partie des couches supérieures de la classe ouvrière. On saisit toute la faiblesse politique du raisonnement de l’intellectuel « déclassé politique» par ce constant atermoiement entre ce qui est possible, ce qui ne l’est pas et l’étude de laboratoire. Avec surtout cette propension à remettre en cause totalement ce pourquoi on avait combattu jadis, en prétendant ne rien renier et en accusant les autres pour sûr. Après avoir longuement disserté sur l’aspect statistique des grèves, comme si la réflexion sur la lutte de classes – à la manière bourgeoise – dépendait du nombre de grèves, Marc Lavoine prend pour cible de CCI des années 1980 et ses « années de vérité » révolutionnaire, en lui collant à lui, principal groupe maximaliste à l’époque un tant soit peu cohérent et pas hystérique, le qualificatif de débilité « catastrophique » (et il ment car le CCI avait calmé les ardeurs de ses immédiatistes « révolutionnaristes » d’époque, la plupart de ceux qui sont en dehors aujourd’hui). Il lui reproche non pas tant d’appeler à toutes les manifestations et grèves – ce qui reste à son honneur – mais de s’être trompé sur la « gauche en opposition ». La bourgeoisie n’avait pas besoin de « gauche en opposition » mais d’une droite dure au gouvernement dans ces années-là, nous précise Lavoine, qui en profite pour faire un clin d’œil à Sabatier et à tous les désenchantés qui gravitaient autour du CCI et ricanèrent lors de l’élection de Mitterrand. Or le bât blesse notre probe bruxellois à cet endroit. Une des manifestations de la crise permanente du capitalisme s’est bien traduite par l’échec de la droite en France et de toute la bourgeoisie à ordonnancer la vie politique aussi bien que la bourgeoisie anglaise avec Mme Thatcher. C’est bien la preuve que l’étude statistique (et les sondages) peuvent se planter royalement. Toute la construction intellectuelle de Lavoine sur la baisse des grèves après Mitterrand et Cie, s’effondre. Une comparaison simple avait souvent été faite dans l’organisation dont il était membre et qu’il n’a visiblement pas entendue. Dans les années 1930, en particulier en France, on a vu une augmentation grandissante des grèves jusqu’à la veille… de la guerre, et cela n’avait que relativement inquiété la bourgeoisie. Lavoine constate avec tristesse la baisse de ces grèves bien corporatistes, bien régionales, bien huilées qui remplissaient les statistiques officielles du siècle dernier et en vient presque à adhérer à la théorie gauchiste que la hausse de l’abstention est une arme du FN… Il ne lui vient pas à l’esprit que la désyndicalisation et l’abstention sont des phénomènes qui se sont étalés et s’étalent irrésistiblement sur plusieurs décennies. Immédiatisme quand tu me tiens ! Comme tous les braves intellectuels rangés des voitures qu’il convie à écrire dans sa revue, Lavoine roule pour son nombril et, comme ses collègues hautains, fait semblant d’ignorer mes contributions de graisseux ; or, j’ai démontré dans mon histoire du courant que le CCI avait eu l’analyse la plus lucide du rôle de la gauche en opposition, mais car ce n’est pas la place ici, je ne développerai pas les exemples multiples de la confirmation totale des avaries et avanies de la gouvernance capitaliste d’aujourd’hui déjà pronostiqués à l’époque. Que le CCI ait périclité ensuite n’infirme pas le dynamisme de son analyse politique de l’époque.
Mais Marc Lavoine cache autre chose. Sur ce point je ne peux le criminaliser ni lui en vouloir. Il cache un réel dégoût du militantisme politique, une perte de croyance en la « vie de l’organisation ». Quand vous subissez une secte pendant des années, censure, humiliations intellectuelles répétées, condescendance, méfiance, mises à l’index, mensonges, etc., vous risquez de perdre définitivement tout espoir de changer le monde en groupe. Parce que pour la secte vous n’avez pas compris qu’il fallait vous changer vous-même, théorie hippie classique, sorte de retour du refoulé dans le CCI ; Parce que vous avez perdu de vue que vous étiez embringué dans un machin bizarre qui n’était plus l’organisme vivant, de débat, de confrontation, mais surtout de communion dans l’action, etc.
L’injonction œcuménique à rassembler la « gauche communiste », cette perle nacrée qui additionne des has been incapables d’aucune production théorique tangible depuis plus de dix ans (le réseau amical et familial raoulien) et des saluts baveux au même « cercle (familial) de Paris » qui ont tous fumé et enfumé avec les communisateurs évanouis, Marc Lavoine n’y croit pas lui-même… cela fait autant de temps que François, l’autre belge, a cru possible de réussir le coup. Ils ont récidivé ensemble par leur appel frangipane au « milieu révolutionnaire » » avec des accents villepinistes au « rassemblement » et un tract internetisé sur la révolution imminente en Grèce archétypale.
Tant d’agitation immédiate préfigure malheureusement l’abandon de toute activité politique révolutionnaire. On lit des pages et des pages, bien écrites, pertinentes, on retrouve des banalités sur la guerre et la crise dignes des radotages du CCI, mais, au final, « Controverses » repousse simplement les échéances de la confrontation des classes, avec les mêmes croquis que le CCI du passé, qu’ils prétendaient dépasser… Au lieu d’approfondissement, c’est le doute qui transparaît, le désarroi qui se querelle avec les regrets. La principale manifestation de l’abandon de l’esprit critique militant se répand dans ce milieu qui veut tisonner les cendres d’une passion commune érodée par le temps, aura été la précipitation à encenser des ouvrages universitaires. Le militant en général a le défaut de ne pas lire autre chose que les documents de son organisation, mais il est libre de rester semi-ignorant ou de faire un effort supplémentaire de recherche. Par contre, l’organisation n’est pas une librairie comme Smolny&Tumulto. Principal plénipotentiaire de Controverses, Marc Lavoine a congratulé Darmangeat avec sa thèse redondante « Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était » (hommage à Bitot ?), et maintenant Alain Testart fait les honneurs de pages entières de « Controverses ». C’est sûr, je l’ai déjà dit, ce ne sont jamais les groupes politiques qui ont approfondi l’analyse de l’histoire, ni peaufiné les grandes questions. Organisés ou plutôt pas, des individus de la taille des Babeuf, Buonarroti, Fourier, Marx, Engels, Lénine, Trotsky, etc. ont contribué de façon inoubliable, mais il y a eu aussi un travail d’approfondissement de minorités comme Il Soviet, Bilan, le KPN de Gorter, etc. . Même si, là encore, les avancées théoriques ont été le fait de grand personnages de la taille des Bordiga et Pannekoek, mais comme aboutissement d’une recherche collective DANS le mouvement ouvrier, à travers et par ses organisations diverses. Or, les Darmangeat et Testart sont en dehors de toute problématique réellement révolutionnaire. Et il est inquiétant pour ne pas dire révélateur que Controverses, après le CCI qui a invité Testart à son dernier congrès, aille nous faire croire que ces universitaires peuvent contribuer à approfondir… l’action politique.
J’ai dit l’essentiel de ce que je pense du projet politique et des faiblesses de Controverses, je reviendrai accessoirement sur les agnelets théoriques qui ont été invité à venir bêler dans la bergerie bruxelloise si accueillante avec ses excellentes bières. Marc Lavoine, celui-là vrai chanteur français, et non pas pseudo, avait rassemblé 20 ans de duos célèbres pour un Olympia en 2007. Je préfère garder des références littéraires. Le lecteur découvrira donc les nouvelles aventures du chevalier à la triste figure et de son fidèle serviteur, j’ai nommé le chevalier Olivier et son écuyer Guy.
A suivre…
[1] C’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’il prenne pour référence le semi-anarchiste Munis (qui n’a pratiquement jamais travaillé) et qui n’imaginait ni ce qu’était le chômage, ni la réflexion qu’il impulse, ni surtout la capacité « provisoire » de la bourgeoisie à l’endiguer ou à l’étaler dans le temps, et enfin à déployer des mesures d’assistance misérabiliste paralysante et humiliante. On lisait en substance ponctuellement dans « Alarme » que les ouvriers étaient cons, et oui ils ne faisaient pas la révolution tout de suite comme 3 à 4 « révolutionnaires » le leur demandaient !
[2] Ce poids de la petite bourgeoisie, y inclus en 1917, dans les dites « révolutions » du tiers-monde, et dans les différents cénacles gauchistes n’a jamais véritablement été analysée par le courant maximaliste, excepté un excellent article de Nodens des 70 dans World Revolution (que j’ai signalé dans mon histoire du Maximalisme) ; les textes des communistes de gauche russe contiennent pourtant des remarques intéressantes sur cette engeance qui pique régulièrement le pouvoir aux travailleurs, que n’ont ni vues ni notées leurs éditeurs Michel et Guy. Par ex. : « A l’époque nous ne partagions pas du tout l’idée actuelle du camarade Lénine que « même sous Kerenski le capitalisme d’Etat aurait été un grand pas en avant ». Nous comprîmes que le capital financier qui avait bien « utilisé » les meneurs de la petite bourgeoisie, se serait trouvé un point d’appui supplémentaire juste au moment où il fallait lui arracher tout appui ».(cf. Boukharine Certaines notions principales de l’économie moderne)