« Il n'y a pas de mission nègre ; il n'y a pas de fardeau blanc (…) Ma vie ne doit pas être consacrée à faire le bilan des valeurs nègres. Il n'y a pas de monde blanc, il n'y a pas d'éthique blanche, pas davantage d'intelligence blanche. Il ya de part et d'autre du monde des hommes qui se cherchent (…) Je ne suis pas esclave de l'Esclavage qui déshumanisa mes pères ».
Frantz Fanon (cité par P. Bruckner)
Le 2 juin 2020 Le Monde titrait :
« Le racisme tue, ici, là et partout » : des milliers de manifestants rassemblés à travers le monde
Les manifestations dénonçant les brutalités policières et le racisme se sont propagées dans au moins 140 villes américaines, mais aussi en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Irlande ou en France.
Des portraits de George Floyd et un panneau sur lesquels était écrit « Le racisme tue, ici, là et partout dans le monde » ont été accrochés sur la clôture devant l’ambassade des Etats-Unis à Mexico. Dimanche, à Rio de Janeiro, au Brésil, des manifestants scandant « Je ne peux pas respirer ! » s’étaient rassemblés à proximité du Palácio Laranjeiras, le palais du gouverneur de l’Etat, et ont été dispersés par la police en tenue antiémeute, alors qu’à Sao Paulo certains manifestants ont apporté des pancartes faisant référence à George Floyd lors d’un rassemblement contre le président Bolsonaro. »
Le 13 mai 2020, un an après on pouvait lire le même credo :
« Plusieurs milliers de personnes ont manifesté jeudi 13 mai au Brésil contre le racisme et les violences policières, une semaine après une sanglante opération de police dans une favela de Rio de Janeiro, qui a fait 28 morts.
«Ni balle, ni faim, ni Covid. Le peuple noir veut vivre!»: les manifestants, qui portaient des masques sanitaires contre le coronavirus, ont réclamé la fin de la discrimination envers les personnes noires et métisses - qui représentent 55% de la population - le jour où le Brésil commémore la fin de l'esclavage en 1888 ».
Dans le défilé à Rio de Janeiro, des pancartes proclamaient «Contre le génocide, la rébellion est juste» ou «Justice pour Jacarezinho», du nom de la favela où a été mené le raid meurtrier de la police, selon laquelle il s'agissait de démanteler un groupe qui recrutait des enfants et des adolescents pour des activités de trafic de drogue, vols, enlèvements et assassinats.
Selon des associations de défense des droits humains, cette opération antidrogue a été la plus meurtrière jamais réalisée dans les favelas de cette métropole brésilienne, où vivent les populations les plus défavorisées, noires majoritairement, habituées à ce type de descentes policières.
(...)
Ce que nous voyons, c'est que les noirs sont ceux qui meurent le plus, ceux qui meurent le plus par arme à feu, qui sont le plus au chômage et qui sont le moins vaccinés. C'est une politique de génocide, une politique mortifère», a déclaré à l'AFP une manifestante, Dara Santana de Carvalho. «Nous sommes ici pour exiger la fin du génocide noir, réclamer des vaccins, des emplois et l'égalité des droits», a renchéri un autre manifestant, Alexandro de Santos Visosa. Des manifestations similaires, organisées par la « Coalition noire pour les droits », ont également eu lieu à Brasilia, Salvador et dans la capitale économique du pays, Sao Paulo, où 500 personnes se sont rassemblées, dont certaines avec des pancartes «Dehors Bolsonaro», le président d'extrême droite
La police visait des trafiquants de drogue accusés de recruter des enfants et adolescents à Jacarezinho, considéré comme une base du «Comando Vermelho» (le «Commando rouge»), le plus important gang de trafic de drogue de Rio de Janeiro. Le raid a transformé à l'aube cette favela en zone de guerre. Certains habitants ont raconté avoir vu des cadavres gisant au milieu de mares de sang dans les ruelles. Une femme a dit à l'AFP qu'un jeune avait été abattu à l'intérieur de sa maison, où il s'était réfugié après avoir été blessé par balle. La police a assuré avoir suivi les procédures avant d'ouvrir le feu et avoir saisi d'importantes quantités de drogue et d'armes à feu.
Parmi les morts figure un policier victime d'un tir en pleine tête et dont les funérailles vendredi après-midi ont donné lieu à un hommage ému de la part de ses collègues et des mouvements prônant un tour de vis sécuritaire dans un Brésil gangrené par la violence et la drogue
Les 27 autres morts sont des «suspects», a assuré la police, qui va devoir le prouver et expliquer pourquoi ces personnes n'ont pas été arrêtées. Durant la pandémie de coronavirus qui sévit toujours à Rio, les raids de la police ont été suspendus par la Cour suprême. Le juge Edson Fachin, de la même Cour suprême, a ordonné vendredi au parquet fédéral et à celui de Rio d'enquêter sur deux vidéos publiées sur les réseaux sociaux, dont l'une «montre une action qui, en théorie, pourrait représenter une exécution extrajudiciaire».
Nul doute que la police du populiste incompétent Bolsonaro ne se gêne pas pour tirer dans le tas, ce que le RN ferait probablement s'il parvenait au pouvoir en France, chose peu probable mais qui conviendrait à beaucoup de gens chez nous excédés par les violences de « territoires perdus de la république », mais qui, tout autant que le laxisme et l'impuissance de la justice bourgeoise, ne résoudrait en rien la question sociale et la décomposition sociale.
Revenons au Brésil, pays très influencé lui aussi par les médias américains notamment par cette trouvaille en exclusivité mondiale de la culpabilité des « blancs ». En France depuis 2016 on a vu défiler les manifs du comité « Vérité pour Adama » protestant contre une bavure policière ; nombre d'autres bavures jalonnent les années 2000 et ne donnaient pas lieu à des manifestations d'ampleur, voire disparaissaient pour perte et profit. La visibilité et la persistance d'une telle protestation, basée surtout sur une protestation raciale ne peut s'expliquer en restant hors du contexte de protestations de toutes sortes de communautés ou minorités dans le monde. Comme le féminisme et l'écologie, l'antiracisme s'intègre dans cette trilogie d'une dénonciation suprême du capitalisme, mais pourtant sans danger pour lui. D'Hollywood à toute la petite bourgeoisie européenne l'antiracisme est devenu source de succès. La sœur d'Adama a même fait la une du Times avec une chevelure qui fait croire qu'Angela Davis était coiffée en brosse.
Le slogan « justice » clamé par les manifestants antiracistes ou sincèrement compatissants avec la bavure en dit long sur l'absence de radicalité politique de cette protestation ; comme si dans le monde actuel l'Etat capitaliste et « sa » justice pouvait rendre justice aux victimes de sa répression, fussent-ils marginaux et dealers, ce que certains anarchistes n'ont compris que partiellement1.
Comité Adama comme Black Lives Matter ne sont aucunement une expression du prolétariat mais au contraire participent de sa négation qui n'est pas faite pour déplaire à la classe dominante très antiraciste donc très moraliste, qui laisse populariser et défiler des mouvances racialistes, des mouvements de jeunesse sans tête et sans réflexion historique, ni véritable appréhension de quelle révolution est nécessaire.
Il n'y a pas un « peuple noir » comme le répercute la presse recopiant le cri imbécile d'un activiste racialiste au Brésil ou en France, mais un peuple de pauvres et surtout au milieu ou autour la classe ouvrière.
AU BRESIL LA POLICE NE TIRE PAS SUR « LES NOIRS » MAIS SUR LES PAUVRES !
Embringué par journalistes et activistes gauchistes on est submergé par la nouvelle idéologie américaine – tout à fait antiraciste mais couplée avec cette ineptie de « privilège blanc » (que la bourgeoisie rigole bien!). Idéologie simpliste et totalement mensongère et anarchronique où la culpabilisation des blancs procède hors de toute réflexion sociale, économique et historique. Ce que démontre Pascal Bruckner dans son dernier livre, sans doute le meilleur2 :
« L'Amérique défie le racisme dans les termes même du racisme en renvoyant chacun à sa couleur de peau, au mépris de toute analyse sociale. Elle combat le mal en l'aggravant. Le résultat en est une fragmentation à l'infini » (p.23).
« Puisque le conflit des identités a remplacé la lutte des classes, toutes lee catégories opprimées ont en commun de ployer sous le joug d'un même ennemi, l'homme blanc hétérosexuel, le couple intersectionnel par excellence ». (p.43)
« Les nouveaux lobbies (CRAN, CCIF, Brigade enti-négrophobie, etc.) se constituent selon des lignes ethniques ou religieuses. Ils recrutent directement dans les quartiers, épinglent la moindre dérive pour obtenir une reconnaissance médiatique et progresser sur un marché en pleine expansion ». (p.169)
« ...S'ils sont pris sur fait lors d'un vol ou d'une agression, on soupçonnera immédiatement la police d'avoir agi par racisme. Et cela s'étend jusqu'au terrorisme dont les coupables devraient être exonérés pour la même raison (on invoquera alors le grief d' « islamophobie »). (ibid)
Les Houria Bouteldja, Taha Bouafs comme la sœur Traoré considèrent leurs opposants, qu'ils se nomment Zemmour ou Tartempion comme des « sous-chiens »...
Il y a des années que le milieu révolutionnaire (étroit et méconnu que je nomme maximaliste) a dénoncé le virage négationniste du prolétariat par les bourgeois « socialistes »3, Bruckner rappelle très bien la manœuvre qui aboutit à cette navrante idéologie anti-blanc et qui voit des colonisateurs partout, fils et petits fils :
« ...en 2010, la Fondation Terra Nova (proposa) d'abandonner le peuple d'hier au profit de l'alliance des bourgeois urbains cosmopolites et des banlieues. La prédominance du racial sur le social, de l'éthique sur le politique, du minoritaire sur la norme, de la mémoire sur l'histoire, explique l'effondrement des gauches classiques et la résurgence des estrêmes gauches reconverties dans la défense des loyautés ethniques. Au lieu d'engager un combat collectif en faveur du progrès et de défendre l'égalité devant la loi, les social-démocraties s'enlisent dans un flirt douteux avec les mouvances indigénistes et décoloniales, mercenaires idéologiques d'une certaine Amérique ».
Si le mot révolutionnaire n'était pas si galvaudé on pourrait dire ici que Brukner est révolutionnaire.
« Il n'y a pas de communauté « noire » en France, car il n'y a pas d'histoire commune entre tous ces individus, entre un Antillais, un Sénégalais ou un Congolais, ou un afro-descendant ou un sub-Saharien qui ne parlent pas la même langue et ne peuvent même pas « revendiquer le monopole funeste de la victime ». (p.208)
Brukner oublie de noter que la coupure culturelle est effectuée, avec l'accord de l'Etat, au sein de la classe ouvrière avec les mosquées autorisées dans les usines et de sprofs en banlieue qui se plient aux codes islamiques :
« Outre la Shoah, Madame Bovary (est) remise en question car d'était l'histoire d'une femme adultère, le plan des basiliques également, Voltaire aussi qui avait insulté le prophète. Tous « haram », péché... ». (p.233)
« Qu'est-ce qu'un migrant ? Le nouveau héros de la martyrologie contemporaine qui a remplacé le prolétaire et le guérillero. Il est à la fois l'étranger qui va nous régénérer et le damné de la terre ». (p.271)
« Ce que deviennent les naufragés ensuite retient moins l'attention, qu'ils finissent rackettés par des gangs, exploités par des marchands de sommeil, employés à des salaires de misère par des patrons indélicats ou jetés dans des camps de fortune, dans des conditions indignes comme à Lesbos en Grèce, Calais ou Grande-Synthe dans le nord de la France ». (p.285)
« Au lieu d'intégrer les différentes minorités, la société debrait s'adapter à elles et embrasser leur vocation messianique ». (p.323)
LE VIRUS IDEOLOGIQUE DU RACIALISME A LA MODE
Plus brillant encore est le livre de Mathieu Bock-Côté – La Révolution racialiste (ed La Cité). Qu'on n'en finira pas de citer :
« La racialisation des rapports sociaux devient l'horizon indépassable du progrès démocratique dans la civilisation occidentale ». (p19)
« Qu'une telle mouvance se déploie n'est pas surprenant : le messianisme hante l'histoire de la civilisation occidentale et l'énergie religieuse inemployée dans une société sécularisée qui ne croit plus aux vielles idéologies qui ont marqué le XX ème siècle finira toujours par se canaliser quelque part ». (p.23)
« Cette idéologie pénètre désormais le milieu de l'entreprise privée qui, loin d'y résister, s'en fait le vecteur, en assure la publicité, comme s'il s'agissait d'une image de marque. Cette nouvelle idéologie américaine s'acharne particulièrement sur la France, à laquelle on reproche de s'entêter à ne pas voir le monde sous le prisme racial ». (p.29)
« … la prospérité de la civilisation occidentale serait fondamentalement illégitime, elle ne devrait rien à sa propre dynamique religieuse, philosophique, politique, culturelle, technique et économique. Elle serait exclusivement le fruit de l'exploitation coloniale et du pillage ». (p.54)
« Attribuant une fonction messianique aux minorités, elle (Nathalie Batraville) ajoutait même que, « depuis des siècles, les Autochtones et les Noirs se tiennent prêts à guider nos communautés vers un point où nous pourrons contempler ce qui existe au-delà de la suprématie blanche ». (p.64)
« Il n'est donc plus rare, au-delà des frontières américaines, de voir des inspecteurs mandatés par le régime diversitaire tenir une comptabilité raciale stricte des organisations publiques et privées, pour en arriver à la conclusion attendue que les Blancs y sont encore trop présents et que la diversité peine à s'y faire une place. « Diversité » étant le terme codé pour dire que les Blancs sont trop nombreux dans des sociétés historiquement « blanches », même si elles ne se représentaient pas dans ces termes. Dans le monde occidental du début des années 2000, on peut donc, très ouvertement, reprocher à quelqu'un sa couleur de peau au nom de l'antiracisme ». (p.98)
« Car l'Université n'habite pas seulement un monde parallèle : elle en fabrique un où elle force la société à basculer et parvient ç interdire par la maîtrise et la surveillance du langage public qu'on en sorte. Elle fabrique un réel de substitutions, fondé sur une épistémologie radicalement constructiviste, qui artificialise intégralement l'existence humaine, comme si elle était purement plastique, et ne permet qu'on l'aborde qu'après l'avoir idéologiquement reconstruite de part en part. C'est dans les sciences sociales que s'élabore l'idéologie dominante de notre temps. En d'autres termes, elles ne se contentent pas de légitimer l'idéologie dominante, mais elles la produisent en fabriquant ses concepts et les représentations du monde ; elles produisent un savoir nouveau sur le monde, censé transformer fondamentalement notre rapport à l'existence, dans une perspective émancipatrice. Le réel ici n'est qu'un fantasme réactionnaire et la nature, une fiction idéologique au service de patriarcat. Les sexes n'existent plus qu'à la manière de résidus biologiques. On décrète aussi l'inexistence des peuples, des nations, des civilisations, des religions, comme si le fantasme de la table rase se redéployait dans le langage de la sociologie ». (p.180)
En tout cas, merci beaucoup à des deux auteurs, à leur défrichage et déshabillage de la principale mystification issue de la décomposition de la gauche bourgeoise.
NOTES
1« Effrayée pa l'incendie social et la colère, la bourgeoisie libérale, depuis Kim Kardashian jusqu'à Jeff Bezos, ont alors promis la prise en compte des Noirs. Ils ont promis la fin du racisme et ils mentaient » (cf. « Soulèvement, premiers bilans d'une vague mondiale par Mirasol (?) ed Acratie). Sous un langage anti-parti et anti-syndicat cet obscur collectif tient un bla-bla inconsistant à la gloire des gilets jaunes, Live Blaks Matter et Black blocs ; les appels sont de types anarchistes, tout en se réclamant de Marx et de Lénine : « Pillons et distribuons. Attaquons la police. Dans la composition du prolétariat américain, Black Lives Matter est donc un cri de révolte et de refus des conditions sociales d'existence ». (p165). Ils (il?) proposent de « porter la révolution au sein de l'armée ». De nouveaux maos spontex ? Avec le même fond d'idéologie gauchiste multiculturelle et antiraciste.
2 Un coupable presque parfait, la construction du bouc émissaire blanc, ed Grasset
3Lire : Contribution : l’« anti-capitalisme » gauchiste contre le prolétariat - Révolution ou Guerre (igcl.org), et la plupart des articles du CCI sur l'idéologie gauchiste « ressourcée » antiraciste mais plus du tout anticapitaliste.