Le jeune
député Olivier Ferrand mort après son jogging n’est pas une bien grande perte
pour la classe ouvrière qu’il méprisa. Animateur du think tank moderniste Terra
Nova, qui a imaginé les thèmes parcellaires et petits bourgeois qui ont
contribué à la victoire hollandaise de 2012, il en rajoutait une couche pour amenuiser
toujours plus le rôle historique du prolétariat et conforter le discours
confusionniste de l’oligarchie bourgeoise. Il priorisait l’action vers ceux qu’il
nommait avec son clan d’énarchiens les outsiders, les
précaires en tout genre. Il préconisait un travail de « pote à pote »
de militant bobo pour faire baisser l’abstention dans les quartiers défavorisés
(où il y a eu encore les plus forts taux d’abstention).
Son clan
Terra Nova continuera à insister sur les
valeurs creuses : valeurs culturelles
- solidarité, ouverture, tolérance
- concepts boboïsants sensés fédérer les outsiders, les diplômés et les classes intermédiaires. Pour les
labos idéologiques de l’oligarchie (comme pour feu Sarko) les valeurs socio-économiques doivent passer au
second plan.
Laissons au crédit de O. Ferrand (président fondateur
de Terra Nova) d’avoir dénoncé pendant la campagne électorale la vindicte
cynique du clan sarkozyste (évanoui dans la nature) avec cette conne de Ginette qui cibla les
Français précarisés « Sous les coups de boutoir du sarkozysme, le
virus anti-assistanat a métastasé au sein de la société française. Les chômeurs
sont devenus des « assistés », des «profiteurs », des « fraudeurs » […]
Dans cette logique néoconservatrice, les Français déclassés ne doivent pas être
aidés car ils sont responsables de leur sort. […] Laurent Wauquiez l’a à
nouveau martelé cette semaine : 466 euros de RSA-socle pour survivre, c’est
encore trop. […] Ces milieux populaires déclassés sont aussi attaqués dans leur
identité. Ce sont les «jeunes » fainéants, la « racaille » de banlieue… Et
naturellement les Français d’immigration récente. A ceux-là, on fait comprendre
qu’ils ne font pas partie de la communauté nationale. Que leur religion
allogène n’a pas sa place dans la République. » Mais là où Ferrand
avait tort c’était de vouloir replacer les « précarisés » dans la « communauté
nationale » bourgeoise alors qu’ils sont et restent formellement dans la
classe ouvrière, et que le problème n’est pas leur abstentionnisme mais le fait
qu’en grande partie ils votent Le Pen et Sarkozy, et méprisent le concept de
classe ouvrière. O.Ferrand en souhaitant rapprocher les assistés réacs et les
couches moyennes des bobos aisés et protégés ne jouait que dans la cour de la tricherie
électorale bourgeoise, et, en ce sens, il a aidé le PS à retourner au
commandement de l’exploitation, les « assistés » ont choisi un
nouveau maître.
Malgré son côté nunuche, typique des écrits
professoraux, il me paraît louable de republier l’article du zigoto F.Sawicki,
malgré ses défauts et son absence de vision dialectique de la utte des classes.
10 juin 2011
Par FRÉDÉRIC
SAWICKI Professeur de science politique à Paris-I
«Ah ! Prolo, mon ami, quand donc sortiras-tu de ta
stupeur ?» Voilà le genre d’invectives dont étaient truffés les libelles
anarchistes au tournant du XXe siècle. A cette question, les
avant-gardes d’alors répondaient : «Jamais !» Un siècle plus tard, Bruno
Jeanbart et Olivier Ferrand, au nom de Terra Nova, apportent la même réponse.
Comme l’a montré Marc Angenot, les syndicalistes
révolutionnaires et les anarchistes de la Belle Epoque, ainsi que certains
socialistes, n’étaient en rien populistes. Ils étaient persuadés de détenir la
Vérité. Ils n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer l’avilissement de
l’ouvrier embourgeoisé, conservateur ou réformiste, inconscient de sa classe et
de son intérêt : faire la révolution. Leur espoir résidait dans le
lumpenprolétariat : «Les sans-métier, les sans-travail, trimardeurs, filous,
prostituées, déclassés sont les révolutionnaires de demain», écrivait le
Libertaire le 7 avril 1907.
L’analogie avec la philosophie qui inspire le rapport
«Gauche : quelle stratégie pour 2012 ?» est frappante. Les classes populaires
contemporaines (ouvriers et employés) ne sont pas conscientes de leur intérêt
(s’adapter à une société toujours plus ouverte et concurrentielle) :
abandonnons-les à leur propre sort (le protectionnisme xénophobe) et
tournons-nous vers d’autres groupes messianiques. Certes, il ne s’agit plus de
faire la révolution communiste. L’avenir radieux pour nos modernes avant-gardes
n’est plus la fin ou le dépassement du capitalisme. Quant aux outsiders de la
société d’aujourd’hui, ils regroupent «ceux qui cherchent à rentrer sur le
marché du travail, mais n’y parviennent que difficilement : les jeunes, les
femmes, les minorités, les chômeurs, les travailleurs précaires […] soutenus
par les plus intégrés (les diplômés), solidaires de ces "exclus" par
conviction culturelle».
Qu’est-ce qui unit ce nouveau groupe ? L’ouverture, la
solidarité, l’optimisme et la tolérance. En effet «contrairement à
l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socio-économiques,
cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs
culturelles, progressistes». En un mot, l’ennemi de classe n’est plus le
capitaliste, le bourgeois, le rentier, la finance internationale, mais les «insiders»
: entendez tous ceux qui sont attachés à leur statut, qui défendent «le
présent et le passé contre le changement».
Il serait ici trop long de corriger toutes les erreurs
d’analyse sociologique contenues dans ce rapport : confusion entre agrégats
statistiques et groupes sociaux réels («les diplômés», «les femmes», «les
jeunes»…), utilisation de catégories fourre-tout (insiders-outsiders,
«les quartiers», «les minorités»…), naturalisation des «électorats»
(comme en témoignent l’usage répété du terme «électorat naturel» et
l’idée que le 3e âge serait voué à voter à droite), opposition
artificielle entre valeurs culturelles et valeurs socio-économiques, qui fait
beau jeu par exemple de l’importance des enjeux de dignité, de reconnaissance
et de justice que portent bien des luttes ouvrières, vision idéalisée des
classes moyennes… Ce qui choque au premier chef est l’incompréhension et pour
tout dire le mépris des classes populaires qu’il trahit.
Que la classe ouvrière ne soit plus ce qu’elle n’a
jamais été (une classe unifiée consciente d’elle-même porteuse de progrès) ( !?
ho ho !), que les classes populaires soient plus divisées que jamais,
qu’une part importante d’entre elles (près de 15% si l’on prend en compte les
inscrits et non les votants) vote Front national, personne ne le nie. Mais, on
finirait par l’oublier, les ouvriers et les employés, quoique très défiants
vis-à-vis de la politique, continuent majoritairement de voter à gauche dans
les scrutins majeurs (56% des ouvriers et 51% des employés ont voté Ségolène
Royal au second tour en 2007). Ces chiffres globaux varient sans nul doute
selon le statut, la taille de l’entreprise, le lieu de résidence et la
qualification. Mais, faute d’échantillon assez vaste, il n’est guère possible
d’extrapoler, au-delà du fait que ce sont les policiers et les militaires qui
sont les plus marqués à droite et le reste des fonctionnaires les plus à
gauche. Ce que nous apprennent les enquêtes de terrain, c’est que le
durcissement des clivages entre générations, genres, statuts, territoires et
origines ethniques qui divisent aujourd’hui les classes populaires, ainsi
qu’une partie non négligeable de ceux qu’Olivier Schwartz nomme les «petits-moyens»,
a d’abord des causes socio-économiques et politiques et non pas
culturelles. La désindustrialisation, le chômage endémique, la précarité,
l’intensification du travail, les inégalités scolaires, les difficultés d’accès
à la propriété d’un logement, la baisse du pouvoir d’achat les touchent au
premier chef, elles et leurs enfants.
Au final, le sentiment d’insécurité sociale et le
mal-être que génèrent leurs conditions de vie exacerbent d’autant plus les
petites jalousies et haines sociales qu’ils sont habilement instrumentalisés
par la droite et l’extrême droite et que la gauche ne sait y répondre. Il est
significatif que, à aucun moment, le rapport de Terra Nova ne s’interroge sur
la responsabilité des partis de gauche, et singulièrement du PS, dans le
désenchantement politique des classes populaires. Mais est-ce si étonnant de la
part de hauts fonctionnaires sans expérience politique locale qui se
définissent comme progressistes et non pas socialistes et qui ne croient plus
aux partis de masse ? Le modèle de la primaire dont ils se sont fait les
chantres tourne en effet le dos au travail d’éducation politique de fond. Il
acte la transformation des partis en machine à fabriquer des programmes
électoraux ad hoc par l’intermédiaire d’experts et de spécialistes en
communication. Pour nécessaire que soit cette tâche, rien ne remplacera le
travail de politisation par la formation et par l’exemple (en respectant
personnellement quand on est élu ou militant les principes qu’on promeut pour
les autres, en promouvant des candidats dans lesquels le peuple, dans sa diversité,
puisse se reconnaître…) qui inscrit durablement les valeurs de gauche dans la
réalité et dans les esprits.
De ce point de vue, reconnaissons-le, Ferrand et
Jeanbart sont des cibles faciles. Ils sont les symptômes d’une dérive d’une
partie de la gauche qui a cru en l’avènement d’une société d’individus, qui
s’est complu à penser que l’action politique pouvait se borner à résoudre les
problèmes un à un, en déconnexion de tout projet global, sans référence à une
sociodicée ( ? hi hi). Une action dépourvue d’un grand récit social
nommant les inégalités et les injustices, les dominants et les dominés et
traçant une perspective, fût-elle lointaine, d’émancipation et de société
meilleure pour les plus faibles.
Pas de nostalgie d’un bel hier dans ces propos. Le
socialisme est à réinventer, mais à partir des acquis du passé, pas en lui
tournant le dos. Si les socialistes savent pour qui et pour quoi ils se battent
en priorité, s’ils le font savoir et s’ils le prouvent par leurs actes et leurs
comportements, s’ils donnent aux classes populaires le sentiment qu’ils les
écoutent et qu’ils les respectent, ils parviendront à leur faire accepter
certains sacrifices, et à leur faire abandonner le sentiment, actuellement
justifié, qu’elles paient plus que les autres les coûts de l’adaptation à la
globalisation économique et culturelle.
Auteur (avec Rémi Lefebvre) de : «la Société des
socialistes. Le PS aujourd’hui», Ed. du Croquant, 2006.
COMMENTAIRE :
Extrait de Ferrand : "Qu’est-ce qui unit
ce nouveau groupe ? L’ouverture, la solidarité, l’optimisme et la tolérance. En
effet «contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les
enjeux socio-économiques, cette France de demain est avant tout unifiée par ses
valeurs culturelles, progressistes». MONSIEUR FERRAND MET-IL LE NEZ DEHORS
PARFOIS? on rit jaune à la lecture de cet extrait. En quoi les chômeurs, les
précaires, les femmes à temps partiels, les jeunes des cités sont-ils plus
solidaires que l'ouvrier de 50 ans qui bosse à l'usine depuis trente ans?? Ne
serait-ce plutôt pas le contraire compte tenu de l'atomisation du travail, d'un
apolitisme souvent revendiqué, de l'absence de culture syndicale chez
"cette nouvelle classes populaire " comme la nomme Ferrand. L'on rit
jaune également lorsque le président de Terra Nova explique que [ils sont ]
" soutenus par les plus intégrés (les diplômés), solidaires de ces
"exclus" par conviction culturelle». Elle est où la conviction
culturelle des dits diplômés les amenant à soutenir d'emblée les exclus? Si les
mouvements en faveur des sans papiers trouve écho chez une minorité de
"diplômés" , (en fait des citoyens engagés politiquement , ce qui ne
se limite pas aux diplômés comme le démontre RESF) , on ne voit guère les
classes supérieures mouiller leur chemise pour les chômeurs non qualifiés , les
femmes à temps partiel, etc. En revanche, ce qui est certain et malheureux,
c'est que la plupart du temps, ces quelques diplômés militants dans l'âme ou
simplement citoyens, s'émeuvent très peu des licenciements massifs dans les
usines. Les prolos 'ouvriers ou employés) ne doivent compter que sur eux et
lorsque soutien il y a, il provient, notamment en province des commerçants,
profs, parents d'élèves, qui voient bien que 200 ou 300 chômeurs de 40/50 ans,
c'est une tragédie humaine , individuelle et collective, ce sont aussi des
écoles, des commerces qui ferment et donc la mort annoncée de toute une ville. Sawicki
ajoute : "Ce que nous apprennent les enquêtes de terrain, c’est que le
durcissement des clivages entre générations, genres, statuts, territoires et
origines ethniques qui divisent aujourd’hui les classes populaires, ainsi
qu’une partie non négligeable de ceux qu’Olivier Schwartz nomme les
«petits-moyens», a d’abord des causes socio-économiques et politiques et non
pas culturelles. La désindustrialisation, le chômage endémique, la précarité,
l’intensification du travail, les inégalités scolaires, les difficultés d’accès
à la propriété d’un logement, la baisse du pouvoir d’achat les touchent au
premier chef, elles et leurs enfants. Au final, le sentiment d’insécurité
sociale et le mal-être que génèrent leurs conditions de vie exacerbent d’autant
plus les petites jalousies et haines sociales qu’ils sont habilement
instrumentalisés par la droite et l’extrême droite et que la gauche ne sait y
répondre."