"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 16 novembre 2021

AUX SOURCES DU CYNISME ISLAMO-GAUCHISTE

 


La gauche, en politique, a signifié pendant des décennies le ou les partis de la classe ouvrière et des opprimés en général. On ne reviendra pas ici sur ses origines au XIXème siècle et ses traditions enfuies démocrates et prolétariennes. Au début du XX ème siècle, rapidement on note la plongée dans l'Union nationale patriotique de tous les partis socialistes en 1914, puis, malgré cette trahison de l'internationalisme, une réputation populaire même après la scission en communiste et socialiste, qui perdurera de manière générale jusqu'en...1983 dans le cas français, avec le « tournant de la rigueur », révélation pour beaucoup que la gauche au pouvoir était équivalente à;la droite bourgeoise. Entre temps cependant, depuis la guerre, nombre d'ouvriers votant PCF ont considéré les PS comme des partis de la bourgeoisie, sans oublier nos minorités maximalistes inconnues du public, gauche italienne, germano-hollandaise, anti-syndicalistes, anti-parlementaristes et même les anarchistes. Passons, ce qu'il en reste c'est une idéologie mêlant ignorance, naïveté et complicité, mais surtout une promptitude à la trahison, même si on finit par ne plus trahir ceux qui se sont rendus compte qu'ils ne faisaient plus partie du même camp sans choisir le camp ennemi d'en face.

Avant d'analyser le complicité de la gauche et de l'extrême gauche bourgeoise (elle aussi même en situation de simple larbin) partons de ce que je considère comme un fait divers ahurissant au premier abord mais minable. Une certaine Raquel Garrido, avocate et femme du bras droit Mélenchon a fait scandale le 13 novembre chez BFM concernant le massacre au Bataclan, prêtant aux parents des victimes une étrange faculté de résilience, du genre convivial curé gauchiste « vous n'aurez pas ma haine » : « Les familles ont fait des efforts incommensurables pour participer au procès, pour trouver en eux la force de témoigner, de rendre hommage à leur mort, de trouver le chemin vers la réconciliation, y compris avec les terroristes eux-mêmes et les personnes qui sont poursuivies ».

Si on s'en tient au simple énoncé, il suffit de pardonner aux terroristes, qui sont aussi des victimes... n'est-ce pas ? Voire on aurait affaire à une simple déclaration typique de l'hypocrisie parlementaire. De plus l'indignation des politiques opposés au petit clan Mélenchon ainsi que les journalistes n'y voient que du culot ou du fascisme. Sans compter qu'elle en remet une couche sur sa page en y ajoutant le fanion national :

« Zemmour et ses amis, probablement courroucés par un procès des attentats du 13 novembre 2015 qui a donné lieu à des témoignages bouleversants et à une recherche permanente de justice, d’humanité de paix, perpétuent l’objectif des terroristes islamistes : la division des .

En fait le vrai terroriste n'est-ce pas bien plutôt la marionnette Zemmour ? Niveau : c'est toi qui l'a dit, c'est toi qui l'est ! En réalité, sous l'apparente naïveté, c'est la complicité électorale que vise la mère Garrido. Sachant que dans la plupart des lycées et réseaux, nombre d'ados imbéciles ont plutôt bien reçu la nouvelle de la décapitation du prof, que les musulmans dans leur masse se sont tus comme d'habitude, et que la gauche de banlieue compte en permanence sur les électeurs musulmans qui sont emmenés en cars s'inscrire sur les listes électorales. A travers cette main tendue aux terroristes (qui méritent la mansuétude... électorale) c'est l'électeur musulman de la gauche islamiste qui est concerné.

Cette déclaration est pourtant conforme à tant d'autres plus cyniques encore du même milieu intellocrate de la gabegie parisienne. Ainsi le trotsko-stalinien Edwy Plenel dès le 17 janvier, tweetant un texte publié par Mediapart et intitulé « L'enfance miséreuse des frères Kouachi » ( ahurissant papier trouvant moult circonstances atténuantes aux criminels du droit islamique) avec ce commentaire : « À lire impérativement pour se ressaisir ».

Ainsi la veule Virginie Despentes (sans cesse sur la pente) éructant la même année 2015, sans être poursuivie par la justice démocratique bourgeoise :

« J'ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s'acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J'ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. […] Je les ai aimés jusque dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant “on a vengé le prophète” et ne pas trouver le ton juste pour le dire. Du mauvais film d'action, du mauvais gangsta rap. Jusque dans leur acte héroïque, quelque chose ne réussissait pas. Il y a eu deux jours comme ça de choc tellement intense que j'ai plané dans un amour de tous – dans un rayon puissant. »1

En novembre 2017, l'ancien prêt à penser du Monde et de Libération Plenel avait aussi choisi le camp des assassins islamistes :

« La une de Charlie Hebdo fait partie d'une campagne plus générale que l'actuelle direction de Charlie Hebdo, Monsieur Valls (Manuel, l'ancien Premier ministre, ndlr) et d'autres, parmi lesquels ceux qui suivent Monsieur Valls, une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire une extrême droite identitaire, trouvent n'importe quel prétexte, n'importe quelle calomnie, pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l'islam et les musulmans ».

Pourtant ce sont bien les assassins islamistes qui se chargent de la sale besogne de tuer des civils innocents (certes trop blancs) et de ...diaboliser l'islam !

Après l'égorgement de Samuel Paty en 2020, une autre groupie de Mélenchon, Clémentine hautain, décrit une situation... pré-fasciste :(oui si l'on considère l'égorgeur comme un islamo-fasciste), mais il aurait fallu « fermer sa gueule » et se taire comme pour un deuil ordinaire, pas de haine, restons calmes et rationnels, voire relationnels :

« Malheureusement, ne respectant même pas ce temps de deuil, certains – Manuel Valls en tête – ont préféré les anathèmes et les insultes à la dignité et à la fraternité. C’est pourtant avec la raison et la réflexion que nous devons mener le débat sur la stratégie la mieux à même de combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam, et l’offensive de courants obscurantistes.

Nous avons besoin de confronter, honnêtement et sereinement, nos analyses et propositions. Face aux monstres, c’est dans la qualité et la rationalité de nos échanges que se situe notre force »2.

Le véritable obscurantisme est bien celui qui soutient une religion obscurantiste qui ne dérange pourtant pas les féministes accros puisqu'il y aurait liberté de choix. Cette obscurantisme de la gauche dite insoumise est une tradition de soumission à l'idéologie trotskienne décomposée et nationaliste qui avait bivouaqué pendant la guerre d'Algérie. L'idéologie anti-fasciste fût tout au long de cette sale guerre un moyen d'éviter de penser la réalité de ce qui se déroulait et révélait surtout la fin de l'impérialisme français arrogant. Cette idéologie est l'aliment de base, quoique de plus en plus limité, de la gauche dite « insoumise ». Des menaces de mort ponctuelles contre Mélenchon et Cie, par quelques rigolos nommés « vilains fachos » - se réclamant de Zemmour (encore un moyen de le couler après bien des tentatives diverses) – ne servent même pas à revaloriser nos pâles islamo-gauchistes, ni à faire équivaloir aux réelles menaces musulmaniaques contre la pauvre petite Mila et tant d'autres, destinés ouvertement sur les réseaux à subir le même sort que Samuel Paty3.

Il nous faut brièvement rappeler le contexte de la sale guerre où une partie de la gauche de la gauche s'est démarquée de la « gestion socialiste » d'époque dans l'espoir de maintenir la colonisation, attitude ambiguë et de soutien à un camp nationaliste de la part d'une extrême vgauche en développement au nom d'idéaux plus chrétiens que marxistes ; position qui permettra, contre l'éclairage de classe de mai 68, de reconstituer un simili parti socialiste qui s'imposera durant 20 ans comme meilleur rempart... contre le fascisme ! Mais aura fini par se décrédibiliser complètement aux yeux de la classe ouvrière.

NE PAS LUTTER POUR REMPLACER L'EVANGILE PAR LE CORAN

Ce soutien à l'islamophilie par les héritiers de la gauche caviar est une tradition qui n'a rien à voir avec le soutien internationaliste des communistes et anarchistes aux ouvriers des colonies des années 1920 aux années 1930. Deux guerres mondiales sont passées par là, et on omet de nous signaler que les dites libérations nationales, non seulement n'ont rien libéré du tout mais n'ont été que ses pions entre impérialisme rivaux, ou les activistes nationalistes dits tiers-mondistes n'ont pas été les acteurs principaux mais des figurants et des larbins pour maintenir les mêmes inégalités de classes4. Quelques épisodes d'une ambition nationale tardive et viciée à la base.

On ne peut oublier qu'au départ, même opportuniste, cette ambition s'appuie sur une vieille conception « progressiste » du mouvement ouvrier, mais du 19 ème siècle... L’Etoile Nord Africaine (ENA) est fondée en 1924 parmi les travailleurs immigrés algériens sous l’impulsion du PCF suite à une décision du 6ème comité exécutif de l’Internationale communiste ; elle est la première organisation à revendiquer l’indépendance pour l’Algérie. Messali Hadj rejoint l’organisation en 1926, dont il devient un des principaux dirigeants en développant la revendication centrale de l’indépendance totale. Cette revendication s’oppose à celle défendue par la gauche française, sociaux-démocrates et staliniens, d’une autonomie avec un parlement indigène, ce qui entraîne la rupture avec le PC « F ». Atteignant rapidement un grand nombre d’adhérents, l’ENA influence donc des dizaines de milliers de travailleurs algériens. Si elle est dissoute par l’Etat français en 1929, ses structures lui permettent de résister à la répression pour réapparaître en 1933. L’ENA reste aux côtés de la gauche parlementaire et participe activement au front anti-fasciste du 12 février 19345.

Le Parti du Peuple Algérien (PPA) est quant à lui fondé le 11 mars 1937 par Messali Hadj en France. Ce nouveau parti maintient la direction, les structures et les objectifs de l’ENA. Le PPA est interdit à son tour en 1939 et vingt-huit de ses responsables arrêtés le 4 octobre. Il reste cependant constitué dans la clandestinité et refait surface en 1945 à Sétif, lors des manifestations du 8 mai qui expriment à la fois une défense de la démocratie et l’aspiration à l’indépendance, et dont la répression française fait plusieurs dizaines de milliers de morts. En 1946, Messali Hadj est libéré et créé le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) dont la fonction est d’assurer une existence légale au PPA. Trois courants commencent à s’afficher au Congrès du MTLD de 1953: le courant centraliste, composé de la majorité des membres du comité central qui axe sur la bataille électorale, le courant préfigurateur du FLN, favorable à l’insurrection immédiate, et le courant messaliste qui, regroupant la plupart des cadres historiques du mouvement, constitue une organisation paramilitaire (l’Organisation Spéciale) et n’exclut plus la lutte armée.

Le Mouvement National Algérien (MNA) est ainsi créé fin novembre 1954, devenant le parti d’avant-garde de la révolution... nationale. Face à lui vont se dresser les autorités coloniales, le Front de Libération Nationale (FLN) ainsi que ses alliés en Algérie et en France, la Ligue arabe et le bloc communiste. De 1954 à 1956, les militants et dirigeants du MNA participent activement à la création de l’Armée de Libération Nationale (ALN), créent le premier syndicat algérien indépendant (L’Union Syndicale des Travailleurs Algériens), participent à l’internationalisation de la question algérienne (Conférence de Bandoeng, ONU, etc.) et se battent pour une Assemblée Constituante Souveraine élue au suffrage universel par tous les Algériens (Européens, Juifs et Musulmans) en recherchant toujours l’alliance supposée de la classe ouvrière française, c'est à dire des intermédiaires félons CGT et PCF.

La classe ouvrière reste la référence pour le mouvement de libération nationale. En effet, lors de la grève générale d’août 1953, Messali Hadj, en résidence surveillée à Niort, lance un appel au combat uni des travailleurs algériens et des travailleurs français contre la politique antisociale du gouvernement de l’époque (Laniel), diffusé parmi des milliers de travailleurs algériens en France, suivi d’une déclaration de la délégation permanente du MTLD qui, saluant la classe ouvrière française, exprime sa satisfaction de la part active prise par les travailleurs algériens dans les actions menées par les travailleurs français. Le MTLD demande par ailleurs à tous les Algériens émigrés en France de continuer à s’associer à toutes les actions engagées pour les revendications professionnelles pour l’unité la plus complète avec les ouvriers français6.

Malgré son destin tragique le mouvement de Messali Hadj est honnête et anticipe le pouvoir stalinien et cruel du FLN ; après l'assassinat de syndicalistes de son mouvement il déclare:

 « Mais il est une forme de paternalisme aussi pernicieuse que nous rejetons : c’est celle qui consiste à approuver tout ce que font les nationalistes, quels qu’ils soient, même si leurs actes visent à des fins et usent de méthodes anti-démocratiques. Nous ne pouvons pas ne pas crier notre indignation contre des crimes qui atteignent des hommes aussi valeureux que Filali Abdellah et ses camarades syndicalistes. Il y va de cette conception même de la dignité et de la fraternité humaines. Au surplus, de tels actes portent un tort immense à la cause algérienne et risquent d’élever un mur d’incompréhension entre les travailleurs français et algériens. Seuls les ultra-colonialistes pourront se réjouir de tels actes auxquels sont supprimés des hommes que la répression n’avait pas abattus. Quant à ceux, militants et organisations, qui ont toujours eu à cœur de lutter contre le colonialisme et de manifester leur sympathie au peuple algérien, il leur importe de crier leur indignation. Le silence deviendrait complicité »7.

La classe ouvrière en France et dans le département algérien est coincée politiquement et syndicalement dans ces années de braise entre l'enclume de l'Etat colonial et le marteau national algérien. Face au complot des généraux à Alger, le gauchisme de l'époque réactive l'idéologie antifasciste d'une part pour brouiller leur soutien au nationalisme algérien et sert de force d'appoint à la bourgeoisie pour pousser les travailleurs à risquer leur vie pour la démocratie bourgeoise, les appelant à se mobiliser sur leur lieu de travail : « La constitution d'un parti fasciste de masse est dans l'air ». Toujours cet imaginaire crétin qui radote les drames historiques !

Les chapelles gauchistes ne sont pas unanimes dans l'analyse des événements de la Toussaint 1954. La Fédération anarchiste a raison de se contenter d’une position de principe contre la répression, refusant de soutenir une organisation nationaliste, renvoyant dos à dos le FLN et l’État français et sommant les « prolétaires nord-africains » de ne pas lutter « pour remplacer l’Évangile par le Coran »8 , ce qui se passe réellement déjà en sous-main.

Dans leur journal Le Libertaire, les militants de la Fédération communiste libertaire (Georges Fontenis) avait soutenu pourtant dès le début l’insurrection du FLN. En novembre 1954, leur journal avait été saisi pour atteinte à la sûreté de l’Etat, leurs militants condamnés à de lourdes amendes, à des peines de prison, l’un d’entre aux, Pierre Morain, à un an de prison ferme, qu’il fera. Daniel Guérin, proche des Communistes libertaires, avait dénoncé radicalement la colonisation dans un article des Temps Modernes (n°87, janvier-février 1953), sous le titre « Pitié pour le Maghreb ». Quant à la Fédération anarchiste (Maurice Joyeux), elle restait très méfiante vis-à-vis de tout nationalisme, algérien ou français. Elle les renvoyait dos à dos, mais en condamnant la répression française. On pouvait trouveer de semblables réticences chez d'anciens trotskistes, ceux de Socialisme ou Barbarie. Tout en soulignant l’importance de la lutte des Algériens pour l’indépendance, « une lutte armée compensatrice de l’absence de perspectives révolutionnaires en France », ils ne pouvent s’empêcher d’avoir un haut-le-cœur devant les méthodes de lutte du FLN : terrorisme, liquidation des oppositionnels, caporalisation des militants de base. On ne trouvait ni le nom de Claude Lefort, ni celui de Castoriadis au bas du Manifeste dit des 121, du 6 septembre 1960, sur le droit à l’insoumission. Par contre, Claude Lefort, faisant déjà partie plus de l'intelligentsia que du militantisme, signait un Appel à l’opinion pour une paix négociée en Algérie, publié par Combat (6 octobre 1960), avec Daniel Mayer.

Le FLN veut s’implanter en métropole, où le MNA est mieux inséré, et doit pour cela convaincre les nombreux ouvriers algériens qui y travaillent. La collaboration des trotskiens sera précieuse pour la diffusion de la propagande nationaliste. Ils s'occupent du tract et du premier journal du FLN, Résistances algériennes, dont ils assurent l’impression et la diffusion. Pour la diffusion, les militants trotskistes déposent les paquets de tracts ou les journaux chez des commerçants ou des bars « tenus » par le FLN. Les contacts se font notamment avec un responsable étudiant qui s’occupe de la presse, Mohammed Harbi, aujourd’hui historien reconnu, auteur entre autres d’un ouvrage sur le FLN qui fait référence (je le possède). Très vite les services rendus par les trotskistes ne se limitent plus aux « publications » du FLN mais s’y ajoutent la production de faux papiers ou le transport de documents d’une frontière à l’autre.

Le grand maître d'oeuvre de l'engagement nationaliste anti-colonial du trotskisme est le fameux
Pablo (le grec Michel Raptis) qui sera par la suite une cible polémique constante et acharnée de toutes les autres factions trotskistes. Tout est bon et justifié pour la « révolution coloniale . Pour lui, le centre


de la révolution mondiale est désormais la « révolution coloniale » et il va consacrer toute son énergie à cette question. En conformité avec les positions qu’il défend dans sa propre organisation, Pablo mènera personnellement plusieurs actions de complicité en marge du soutien « traditionnel » commun à tous les réseaux de « porteurs de valises ». Il organise ainsi la création d’une usine d’armes au Maroc et la fabrication de fausse monnaie pour le FLN, comme s'il avait été un résistant au nazisme. 

LES PREMIERS COLLABOS DES NATIONALISTES ISLAMISTES


Pablo peut ainsi contourner les réticences de Frank, Maïtan et dans une moindre mesure Mandel, qui craignent qu’une activité d’aide au FLN trop soutenue mette en danger ou discrédite le courant trotskiste, et fasse négliger d’autres priorités... de classe (sic). Michel Raptis entretient des rapports chaleureux avec les dirigeants du FLN, rapports qui sont d’ailleurs réciproques. Il en retire une représentation trop « progressiste » du FLN, et espère notamment contribuer à la politisation du mouvement, dans un sens marxiste-léniniste bien entendu, et éventuellement recruter quelques militants pour la IVe Internationale dans le cadre du processus soi-disant révolutionnaire en cours. Il n’est d’ailleurs pas le seul à partager ces illusions qui sont ceux de beaucoup de militants du réseau trotskiste. Ce n'est pourtant pas de révolution dont il s'agit mais plutôt d'un type de guerre locale et terroriste, ou civils français comme algériens seront victimes de bagarres sans pitié de clans nationalistes comme des militaires français.

De mystérieux attentats ont provoqué la mort de divers trafiquants qui vendaient des armes aux nationalistes algériens. La responsabilité des services spéciaux français ne fait guère de doute, ce qui amène à réfléchir ceux qui pourraient être tentés par un semblable commerce. Des arraisonnements de navires battant pavillon britannique ou yougoslave, qui transportaient des armes, ont eu lieu du fait de l’armée française, et l’approvisionnement ne se fait plus qu’avec difficulté, comme en témoigne Mohammed Harbi. Le FLN achète donc au Maroc une grande propriété près de Kenitra, avec des rangées d’orangers qui servent de couverture aux activités secrètes de l’usine : de l’extérieur tout pourrait laisser croire à une fabrique de confiture d’oranges. Pablo et un de ses camarades grecs se chargent d’acheminer des machines (tours, fraiseuses, raboteuses) par l’intermédiaire de filières depuis les pays de l’Est (le pays du socialisme...déconcertant). Des ingénieurs proches de la IVe Internationale sont mis à contribution. L'emplacement comprend une centaine d’ouvriers en comptant les gardes qui surveillent l’enceinte fermée de l’usine. Les ouvriers dorment dans des baraques en planches à quelques kilomètres de l’usine, et sont transportés sur leur lieu de travail la nuit dans des camions bâchés. Ils sont enfermés, à l’écart du monde extérieur, et ont droit à une sortie en camion tous les deux ou trois mois, pour aller sur une plage. Les non-Algériens disposent de plus de liberté, et Louis Fontaine rencontre ainsi régulièrement Pablo à Rabat. L’usine permet la mise au point de mortiers, de mitraillettes et de grenades. La qualité de ces armes n’est pas des plus performantes mais le FLN se flatte de fabriquer ses propres armes pour l’ALN. Pablo se rendra sur les lieux pour prononcer un discours à l’occasion de la 5 000 ème mitraillette construite. La faiblesse de cet armement n'est pas la principale cause de la perte de la guerre face à la France, car c'est sous pression américaine que De Gaulle a dû plier bagage en fin de compte.

La collaboration honteuse de la bâtarde IVe Internationale, et notamment de la section française, pour l’usine au Maroc du FLN, touche à un point sensible de la solidarité avec les Algériens. Les armes qui sont fabriquées dans cette usine sont vouées à être utilisées contre des soldats français, et les trotskistes ne s’embarrassent pas en ce domaine d’hésitations qui ont pu faire refuser à certains porteurs de valises de transporter des armes (mais dont la gauche bobo refuse de parler aujourd'hui, glorifiant plutôt le torve soutien aux présumés « libérateurs «  nationalistes). Le soutien n’est donc pas laconiquement « humanitaire » ou politique mais prosaïquement militaire ; il y a là un appui équivalent à celui des collabos français en 39-45, avec toutes les conséquences qui en découlent. La responsabilité politique n’est plus la même, et l’engagement est d’autant plus délicat dans une entreprise où l’action dite internationaliste est confondue avec celle, nationaliste et islamiste, du FLN. Si l’on regarde uniquement les faits, les trotskiens ne sont que des collabos de l'organisation terroriste du futur pouvoir bourgeois à Alger ! Tant que les nécessités de la lutte et de la solidarité avec le FLN seront mises en avant par le combat quotidien et occulteront la réalité de l’organisation nationaliste, il n’y aura pas de controverse par rapport au travail collabo effectué. C’est après l’indépendance que les interrogations se feront pressantes et que les illusions commenceront à se dissiper sauf chez les anciens activistes larbins du FLN.

Un trotskiste nommé Driss aura analysé la supercherie en interne, mais en vain, décrivant « l’apolitisation des cadres dans leur majorité » et « l’apolitisation des masses dans leur totalité ». Cet état de fait engageant directement la responsabilité du FLN « appareil bureaucratico-administratif, militaire et policier, se préoccupant du seul encadrement militaire des masses », dont la « phraséologie pseudo-marxiste, pseudo-révolutionnaire » s’explique par la « lutte dans un contexte mondial où la phraséologie “socialiste” s’était largement épanouie ». Or non seulement la direction FLN « n’a pas un seul instant mis en pratique son programme “révolutionnaire” », mais « elle a empêché directement et indirectement toute politisation des cadres », et ce « jusque dans les prisons ». Ben Bella est qualifié de « Bonaparte en formation » qu’un « concours de circonstances » qu’il sut « habilement exploiter » a porté au pouvoir grâce à un « prestige » « auquel la presse française est loin d’être étrangère » ; comme l'explique par ailleurs Mohammed Harbi. Driss déplore dans ces conditions l’attitude « attentiste » des masses. Il critique également l’ALN, à la « culture politique nulle » suite aux difficultés du combat mené et de la volonté de la direction du FLN. Cette armée se comporte selon lui, après la déclaration d’indépendance, « comme en territoire conquis », avec un cortège de vols, viols, mariages forcés, réquisitions diverses, ce qui produit une « coupure entre l’ALN et le peuple » et une « incapacité de jouer le rôle révolutionnaire d’encadrement des masses ». Pour lui cette armée et son commandant en chef, le colonel Boumediène, ne pourraient s’imposer « que d’une façon putschiste », ce qu’il juge néanmoins « peu probable et nullement souhaitable ». Les seules perspectives qu’il envisage se situent dans l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) malgré la « faiblesse de sa direction et dans l’opposition » laquelle, malgré ses erreurs, reste le « secteur le plus à gauche, vers lequel doivent converger tous [les] efforts d’aide à la Révolution algérienne ». Mais lui semble « absolument exclue, à court terme, l’issue socialiste de la Révolution ». Ce rapport aura manifestement peu d’effets sur la position de la IVe Internationale. Une résolution de janvier 1963 sur « la phase actuelle de la révolution algérienne » affirme que « ce processus pourrait se terminer par l’institution d’un État ouvrier algérien, fondé sur une alliance entre le prolétariat des villes et des campagnes et des paysans pauvres, et dirigé par une tendance marxiste-révolutionnaire ». En résumé le même système stalinien qui prévalait en Russie, c'est pourquoi je les nomme trotskiens.

Les porteurs de valises et la fraction de l’extrême gauche qui a soutenu le FLN ont mis de côté ces caractéristiques peu démocratiques, surtout anti-ouvrières du FLN pour privilégier la lutte de libération effective conduite par l’ancienne secte nationaliste. La voie du soutien critique a été choisie dans une période déstabilisante pour les schémas classiques comme la guerre d’Algérie la critique s’efface devant un soutien qui correspond aux nécessités écervelées du moment. Les illusions des trotskistes et particulièrement du fameux Pablo portaient évidemment sur une surévaluation des possibilités d’une véritable révolution sociale en Algérie, et sur la possibilité pour cette révolution de se propager en Europe comme ils ont déliré pareil par la suite pour Cuba, l'Iran, etc. Sur le plan pratique cette attitude permettait aussi d'illusionner les peuples coloniaux en vue d'une présumée libération sociale.

Il n'y a pas de véritable courant marxiste en Europe pour défendre les positions luxembourgistes (contre la fable éculée des libérations nationales) ; Marc Chirik se repose tranquillement au Vénézuela en attendant la troisième Guerre mondiale. Par contre, dans leur numéro de janvier-mars 1956, les rédacteurs de Socialisme ou Barbarie se demandaient si le FLN, « en l’absence de toute conscience prolétarienne, ne se constituera pas en embryon de bureaucratie militaire et politique à laquelle seront susceptibles de se rallier les éléments épars de la couche musulmane commerçante et intellectuelle ». Un constat qui entraînerait de nos jours la colère de la secte mélenchonienne !

Maurice Thorez lui, dans un discours pauvrement stalinien prononcé à Alger le 11 février 1939, parlait de « la nation en formation », quand un autre chefaillon du PC Léon Feix renvoyait dos à dos les « nationalistes » qui considèrent qu’il existe une nation algérienne fondée sur la race, la religion, et formée avant la conquête française, et les « colonialistes » qui nient l’existence d’une nation algérienne. Pour Thorez, « il y a une nation algérienne qui se constitue dans le mélange de 20 races ». Le PC, aux basques de De Gaulle, parla évidemment de « complot fasciste » à propos de la tentative d’insurrection dans le Constantinois, le 8 mai 1945 ; la revue Quatrième Internationale dénonça « la répression d’une sauvagerie indescriptible » qui fît en effet de 6 à 8.000 victimes parmi les Arabes, d’après la presse anglaise (sic), était-il précisé, à Sétif et à Guelma. En 1949, la presse trotskienne reprendra le chiffre de « 40.000 arabes massacrés pour venger la mort de 100 européens ». A la Libération, prenant leurs distances avec un PCF qui affirme que « l’intérêt des populations d’Afrique du Nord est dans leur union avec le peuple de France » (L’Humanité du 27 juin 1945), les trotskiens affirment leur soutien au mot d’ordre d’indépendance de l’Algérie. Plus tard, ils dénonceront le statut de 1947 et ses deux collèges, « un statut mijoté et recuit sous la haute compétence du ministre socialiste Depreux » (La Vérité n°182, 8 août 1947), de même que les fraudes électorales organisées par l’administration coloniale (La Vérité n°278, juillet 1951, sous le titre « Le truquage électoral en Algérie »)9.

Loin de la repentance oublieuse de Macron, la guerre civile algérienne n'est pourtant pas la seule faute à la France, en évitant de dire l'Etat français de l'époque. Le pire ne se passe pas en France. Les règlements de compte entre militants du MNA et du FLN feront plusieurs milliers de morts, dont environ 4.000 en France. Le massacre dit de Mélouza, où 300 villageois pro-MNA sont assassinés par le FLN, le 28 mai 1957, et l’assassinat en France des principaux responsables messalistes, Fillali et Bekhat notamment, en octobre-novembre 1957, illustrent cette lutte sans merci. Un certain nombre de personnes s’émeuvent. Robert Barrat condamne ces méthodes dans La Commune et Alexandre Hébert dans L’Ouest syndicaliste. Il parle « de méthodes qui dégradent ceux qui les emploient ». Les rédacteurs de Socialisme ou Barbarie, s’ils émettent des réserves sur le MNA, ne valident absolument pas le FLN, « dont il est impossible d’assumer les méthodes de guerre : le terrorisme aveugle en Algérie, la liquidation implacable des éléments oppositionnels, le contrôle absolu exercé par les chefs sur la base militante ».

Dans ses Mémoires, Maurice Rajsfus, ancien trotskyste, alors permanent à la Fédération nationale des Auberges de Jeunesse – que j'ai rencontré - raconte comment il a été amené à organiser la solidarité avec les rappelés en révolte, en octobre 1955. Contacté par deux anciens élèves d’Yvan Craipeau, qui était instituteur à Taverny, il rassembla un certain nombre de jeunes militants de la mouvance libertaire, trotskyste ou chrétienne et organisa – malgré la tentative d’obstruction de deux staliniens de choc (sic) – un rassemblement de plusieurs milliers de personnes, se vante-t-il, Boulevard Saint-Michel, le 13 octobre 1955. L’Humanité du 17 octobre 1955 dénonça cette manifestation organisée par « des éléments policiers, trotskystes et libertaires » (sic). Et pourtant, ici ou là, des militants cégétistes et communistes s’étaient solidarisés avec les rappelés en révolte. Maurice Rajsfus en tira la conclusion qu’il n’y avait plus désormais place pour une lutte publique, « l’heure était venue des réseaux de soutien clandestins », cet autre façon, « libertaire », de soutenir les terroristes du FLN.

COMMENT LES GAUCHISTES TIERS-MONDISTES SONT DEVENUS LES RELAIS D'UN PCF discrédité

Le 6 septembre 1960 était publié le Manifeste des 121, une pétition signée par des écrivains, des artistes, des universitaires, soutenant le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, que les intellectuels du PCF avaient été priés par la direction stalinienne de ne pas signer. Ce fut « une nouvelle étape du décrochage de l’audience du PCF en milieu étudiant », écrit Jean-François Sirinelli, et il ajoute : « L’épisode revivifie, en effet, une extrême gauche au flanc gauche de ce parti ». Cette « réserve » du PC dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie contribuera à creuser le fossé entre lui et une fraction de ses militants et surtout de la jeunesse même ouvrière, prélude à sa marginalisation en mai 1968. Laurent Schwartz confirme ce constat dans ses Mémoires. Il y voit lui aussi une conséquence de longue portée : « Le combat contre la guerre d’Algérie donna naissance à une indépendance toute nouvelle de l’intelligentsia française vis-à-vis des communistes, qui aboutit, en 1968, à un divorce ». Relativisons le vocabulaire de Schwartz, l'intelligentsia française est toujours restée à la remorque des deux partis embourgeoisés depuis belle lurette, PS et PCF, mais leurs futures troupes écolos-bobos, qu'ils auront enfanté, ne parviendront jamais à occuper une place équivalente ni dans les sondages ni au pouvoir.

Tous ces auteurs que nous avons consulté s'ils nous permettent de découvrir plein d'éléments qui confortent notre connaissance de la supercherie des libérations nationales, n'ont pas une distance critique sur la collaboration honteuse des trotskiens, porteurs de valise de base comme conseillers des futurs dictateurs ; en 1980, dans la Casba à Alger, un ancien du FLN, poseur de bombe m'a dit : « tu sais Jean-Louis, une bourgeoisie a été remplacée par une autre ».

L'extrême-gauche en prétendant défendre les peuples opprimés n'a servi que de sergent recruteur aux nouvelles bourgeoisies

Dans mon histoire du maximalisme, je décrivais :

« Les années 1960 en Europe ont vu se développer le gauchisme tiers-mondiste. Etudiants trotskistes et maoïstes se passionnent pour le Che en Bolivie comme ils prendront partie systématiquement aux côtés du bloc russe pour toutes les prétendues libérations nationales au cours des années post 68. Le seul groupe proche du maximalisme qui aurait pu contrer cette vogue gauchiste tiersmondiste a disparu depuis 1963-64, et si S ou B avait encore été présent, il n’eût pas été capable de dénoncer clairement l’embrigadement militariste des « peuples de couleur » car, sur le sujet il avait conservé le socle stalino-trotskiste ; plusieurs anciens militants se firent d’ailleurs les porteurs de valise du mouvement national algérien. Le minuscule parti bordiguiste ne se différenciait pas de cette vogue tiers-mondiste depuis qu’il avait laissé de côté, dès les années 1950, la position « luxembourgiste » de Bilan. Le vide théorique de la position maximaliste contre toute illusion sur les libérations nationales ne sera pas comblé, comme je l’ai déjà écrit, avant le début des années 1970, c'est-à-dire avec le regroupement qui allait jeter les bases du CCI. R.Victor est bien présent à Toulouse depuis 1966 pour continuer ses études, et M.Chirik vient le rejoindre pour une tournée des popotes maximalistes en Italie, mais aucun groupe politique consistant n’est présent dans l’hexagone pour contrer les billevesées gauchistes et bordiguistes sur « l’émancipation des peuples de couleur », gigantesque farce de la dite décolonisation. Tout ce beau monde est resté ignorant de la présence de l'islamisme dans les partis de libération nationale ».

L’islam exerce depuis longtemps une véritable fascination au sein des mouvements faussement marxistes, d’extrême gauche ou anticolonialistes. Pendant la guerre d’Algérie, l’avocat de la militante Djamila Bouhired, Jacques Vergès, déjà vieux routier des combats anticolonialistes, se convertit à l’islam lorsqu'il se rapproche du Front de libération nationale. Un peu plus tard, et à notre époque, aux confins de l’extrême gauche, le terroriste vénézuelien Illitch Ramirez Sanchez –Carlos– embrassa lui aussi l’islam. Comment ne pas se rappeler de Roger Garaudy, longtemps intellectuel catho du PCF, qui se convertit au début des années 1980 à l’islam, sans renoncer à ses convictions staliniennes. Plus tard, il deviendra l’un des personnages sulfureux du milieu «révisionniste» dénonçant un complot sioniste qui aurait inventé la Shoah.

À partir de la Révolution iranienne de 1979, de surcroît après 1989 et la Chute du Mur, une partie de l’extrême gauche internationale engagea un travail d’analyse de l’islamisme aux fins d’une adaptation stratégique devenue vitale. Les réflexions stratégiques foisonnèrent sans toutefois rendre crédible une capacité à critiquer leurs erreurs et surtout leur soutien politique, yeux fermés, aux camarillas bureaucratiques parvenues au pouvoir.

A notre époque, feu le chefaillon trotskien Chris Harman aura été l’artisan principal d'une stratégie d’alliance au grand jour avec l’islamisme, les autres sectateurs trotskiens restant dans le flou. Si le Socialist Workers Party ne comptait que 700 membres, l’entreprise de promotion d’un front commun avec l’islamisme ira bien au-delà de ses rangs et de ses relais à l’étranger. Harman faisait le pari pour le moins osé d’une plasticité de l’islamisme. Il prédisait ainsi des formes possibles d’évolution progressiste et soulignait le caractère anti-impérialiste de ces mouvements, affirmant leur compatibilité avec les mouvements progressistes. Ces efforts culminent avec l’édition d’un texte intitulé Islamisme et Révolution par le SWP et ses correspondants français peu nombreux de « Socialisme par en bas ».

Harman a été une vedette du mouvement altermondialiste et participa à l’organisation du Forum social européen dans la capitale britannique en 2004. De Porto Alegre à Saint-Denis, la question de l’islam politique va acquérir une place de plus en plus centrale et l'est restée pour la plupart des sectes trotskiennes et la clique à Mélenchon, et la plupart des porte-paroles de cette gauche islamophile, de la gauche caviar aux bobos écolos. Après une visite à Paris de Tariq Ramadan : L’Humanité d’alors rapporte les curieux propos de José Bové à propos de l’islam: «José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne, invite à avancer en identifiant “dans le monde arabe, dans le monde musulman, des religieux qui, à partir de leur culture, à partir de leur religion, seraient capables d'élaborer une véritable théologie de la libération dans l'islam”.»

De surcroît, la banalisation croissante des insultes telles que « raciste » ou « fasciste » provient du même vocabulaire du temps de la guerre d'Algérie, encore sous le coup des affres de 39-45. Ce sont les deux arguments principaux et simplistes de la nouvelle messe bourgeoise woke, sachant que e portrait-robot du militant petit-bourgeois woke prend forme dans les grandes lignes : une femme entre 18 et 35 ans, diplômée (ou bientôt diplômée), issue d’une famille aisée, qui a voté pour Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017 et qui déclare aujourd’hui une proximité politique avec LFI ou EELV. Ce n'est qu'un dérivé, miteux, de l'antifascisme décalé pendant la guerre d'Algérie.

REJOUER LA GUERRE D'ALGERIE ?

Tous ces zozos martiens continuent comme leurs pères des libérations nationales et de Terra Nova de nier, comme le dit si bien LO, la capacité de la classe ouvrière à mettre fin à toutes les oppressions, sexistes comme racistes :

«  Ils ne cherchent d’ailleurs pas à s’adresser aux larges masses des travailleuses et travailleurs, pourtant la seule force sociale capable de renverser le système capitaliste qui engendre et alimente ces oppressions ». C'est ce très bon article de Lutte ouvrière qui répond aux affabulations intersectionnelles pour ne pas dire interclassistes, quoique j'ai supprimé le mot militant dans leur texte, qui signifie plus militaire dans cette secte ouvriériste et en fin de compte populiste10.

« C’est le cas également en France chez les militantes et militants qui se réclament d’une approche intersectionnelle. Par exemple Françoise Vergès, proche du Parti communiste réunionnais, défend un « féminisme décolonial » ayant selon elle pour objectif « la destruction du racisme, du capitalisme et de l’impérialisme ». Mais elle ne s’adresse jamais à la classe ouvrière et, lorsqu’elle parle de l’exploitation des femmes noires dans le secteur du ménage en France, c’est pour l’opposer au confort des femmes blanches des classes moyennes. Rokhaya Diallo, journaliste et universitaire, se dit « féministe intersectionnelle et décoloniale » et affirme que « l’antiracisme ne peut être qu’anticapitaliste », mais elle ne fait aucun lien entre anticapitalisme et lutte des classes et ne situe pas son combat du point de vue du mouvement ouvrier

L’idée qu’il faudrait une « convergence des luttes » entre sexe, classe et race apparaît dans une partie de l’extrême gauche, parfois sous la forme de la dénonciation du lien entre patriarcat et capitalisme, mais ce que cela signifie concrètement en termes de perspectives politiques reste au mieux très flou. Ainsi, dans un article récemment publié sur le site du NPA, l’autrice, soucieuse de ne pas apparaître opposée à une idée à la mode dans la petite bourgeoisie, appelle à concilier marxisme et intersectionnalité, mais sans aller jusqu’à dire comment ».

« Ainsi, le fait de voir les femmes d’origine immigrée d’abord comme des « femmes racisées », et non comme des travailleuses, conduit certaines excitées, qui s'affirment comme lesbiennes, à défendre le port du voile islamique. Parce que celui-ci serait plus souvent porté par des femmes qu’elles qualifient de « non blanches », il serait raciste de considérer le voile comme un symbole d’infériorisation des femmes. Les féministes qui s’y opposent sont ainsi rangées du côté d’un féminisme blanc néocolonial. Cela revient à jeter aux oubliettes les combats des femmes de famille musulmane pour ne pas porter le voile, en France et ailleurs dans le monde, de l’Iran à l’Arabie saoudite ».

« Le refus de raisonner en termes de classes sociales conduit à des aberrations, comme la thèse d’un privilège masculin ou d’un patriarcat indépendant des classes sociales, qui amène à dénoncer les hommes dans leur ensemble, et non les responsables et bénéficiaires de l’exploitation. Sur le terrain de la lutte antiraciste, l’équivalent est le privilège blanc, qui met sur le même plan les préjugés racistes répandus dans la population et le racisme systémique de la société capitaliste. La conséquence sectaire ne peut être que de traiter un ouvrier supposé arcbouté sur des préjugés machistes ou racistes comme un adversaire, et non d'agir pour qu’il devienne un frère de combat ».

« Ces exemples de prises de position montrent qu’il ne suffit pas de dénoncer les oppressions pour se donner les moyens de les combattre, ni de se proclamer radical ou antisystème pour l’être. Quand l’approche intersectionnelle consiste à dire que tous les combats se valent et que le droit de porter le voile à l’école est un objectif féministe au même titre que les luttes pour l’égalité salariale ou le droit à l’avortement, elle conduit en réalité à des prises de positions communautaristes et réactionnaires, qui contribuent à diviser les femmes des classes populaires – et les hommes avec elles. Car c’est la division en classes qui est fondamentale dans la structuration de la société, et parce que c’est en s’organisant comme classe que le prolétariat peut renverser le capitalisme. Reprendre et figer les divisions qui contribuent à aggraver l’exploitation de tous est un piège ».

Bien dit !

Le mouvement ouvrier révolutionnaire a su éviter ce piège durant son histoire, en effet. Louise Michel écrivait déjà : « Le sexe fort est tout aussi esclave que le sexe faible, et il ne peut donner ce qu’il n’a pas lui-même ; toutes les inégalités tomberont du même coup quand hommes et femmes donneront pour la lutte décisive.  Sur la question de la conquête du droit de vote pour les femmes, Rosa Luxemburg écrivait ainsi en 1912 : « Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple […]. Le suffrage féminin est une horreur et une abomination pour l’État capitaliste actuel, parce que derrière lui se tiennent des millions de femmes qui renforceraient l’ennemi de l’intérieur, c’est-à-dire la social-démocratie révolutionnaire. S’il n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’État capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les « prérogatives masculines » marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote. En fait, elles seraient certainement bien plus réactionnaires que la fraction masculine de leur classe […]. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir […]. En luttant pour le suffrage féminin, nous rapprocherons aussi l’heure où la société actuelle tombera en ruines sous les coups de marteau du prolétariat révolutionnaire. »

Le groupe le plus suiviste, girouette des modernismes bourgeois reste encore et toujours la filière trotskienne NPA, et au cul du patronat11. Ils osent écrire :

« Il faut conserver de l’intersectionnalité l’idée qu’il est nécessaire de croiser les dominations, qu’on ne peut penser la classe sans le genre et la race ». Ni orthodoxie ni dissolution devrait être notre mot d’ordre théorique. Politiquement, dans un contexte d’attaques sans précédents du gouvernement contre le prétendu « islamogauchisme » incarné par l’intersectionnalité, il faut revendiquer à notre compte le terme d’intersectionnalité, mais en défendant notre propre lecture de l’intersectionnalité, c’est-à-dire une lecture structurelle et matérielle, conjuguée à notre stratégie révolutionnaire »12.

C'est la secte anglaise de Harman, dont j'ai parlé plus haut qui a présidé à la débilité de la branche LCR-NPA, comme s'en moque un auteur :

« Harman a voulu voir dans l’Islam un potentiel révolutionnaire susceptible de revivifier en les rajeunissant des organisations d’extrême-gauche vieillissantes : il avait critiqué la LCR comme étant une organisation en perte de vitesse composée uniquement de « vieux Blancs » et ses thèses ont joué un certain rôle dans la mutation de la LCR en NPA.Pour Harman, l’Islam étant anti-impérialiste, il possède un potentiel révolutionnaire intrinsèque et le message de Mahomet peut, selon lui, fournir la base d’une nouvelle Théologie de la Libération. Il évoque à ce propos ce qu’il appelle l’Islam des Pauvres, tout en reconnaissant la nature profondément réactionnaire de l’islamisme. Sur cette base très oecuménique, le SWP a également soutenu l’émergence du FIS en Algérie… au nom du juste combat révolutionnaire contre la dictature du FLN. Bref, il y aurait de quoi rire, si ce n’était à pleurer. (cf. Michel Delarue, islamo-gauchisme une maladie sénile du trotskisme, mai 2021)13.

Le SWP se revendique toujours de l'imaginaire lutte contre l’islamophobie, mais son flirt poussé avec des islamistes radicaux généreusement étiquetés « altermondialistes » comme Tarik Ramadan, a été de longue date dénoncé à gauche et aussi par d’autres groupes trotskistes comme LO). Et il semble effectivement que la manière dont certains des chefs du SWP traitaient les femmes indociles se rapproche assez de celle de Tarik Ramadan... (Comme tous les groupuscules trotskistes, le SWP a connu son lot de querelles internes et divers épisodes de scission, en particulier une importante hémorragie militante en 2013 suite à une vilaine histoire de viol d’une militante, comme c'est courant dans les partis bourgeois) par un cadre du parti, affaire que la direction avait cherché à étouffer14.

Enfin avant d'en terminer, je vais en référer ici au rapport de Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules du mercredi 30 janvier 2019, fort intéressante. Gauchistes comme anarchistes et maximalistes ont toujours tendance à considérer les députés comme bons à rien ; or il n'en est... rien, comme je l'ai déjà montré dans mon livre sur le lycée Buffon en 1968. Ils analysent souvent avec pertinence, même avec un champ historique large, le jeu politique et l'état et le rôle des minorités contestataires hors du voyeurisme superficiel des journalistes15

« (… ) René Binet, personnage du trotskisme passé à la Waffen SS et qui sera le premier théoricien du « grand remplacement », a toujours essayé d’entraîner des communistes et des trotskistes dans ses formations. Mais, comme l’observait François Duprat, ceux d’entre eux qui étaient attirés par le discours social de René Binet repartaient, effrayés par son racisme démentiel. C’est un problème pour l’extrême droite française radicale, qui a toujours cherché à aller s’entendre avec l’extrême gauche ; cela correspond, comme le dit Pascal Ory, au fantasme de l’acclimatation du léninisme à droite. L’extrême droite radicale veut toujours apprendre de l’extrême gauche : ainsi, le White Power est la réponse au Black Power, et c’est toujours ainsi que cela fonctionne en France – et cela fonctionne très mal. Des groupes disent s’être fondés avec de nombreux militants venant de la gauche mais l’analyse des fichiers des militants montre que c’est faux, qu’il s’agit, à la base, de militants d’extrême droite et que ces affirmations sont des opérations de communication. Les personnages tels que Doriot sont des cas particuliers.

Ce que l’extrême droite radicale retient de la guerre d’Algérie, c’est que lorsque l’on s’entend avec les modérés, on finit en prison parce qu’ils ne font que des bêtises – par exemple, ils gardent la liste de toutes les actions menées par l’OAS, assortie du nom de leurs auteurs afin qu’ils aient une médaille le jour de la victoire – tout cela à la grande satisfaction des policiers… Á cela s’ajoute la montée de la pensée ethno-différentialiste, qui renvoie aux anciens SS : que chacun reste dans sa zone ethnique, les Arabes chez eux et les Français chez eux. Pour ces raisons, les radicaux rejettent les références à la guerre d’Algérie. Les consignes de vocabulaire données par le mouvement Troisième Voie dans les années 1980 sont de ne parler ni de l’avortement ni de la guerre d’Algérie ni du négationnisme, toutes références qui ringardisent et diabolisent l’extrême droite – car c’est chez les radicaux que s’amorce la fameuse « dédiabolisation ».

La mémoire de la guerre d’Algérie est donc repliée, assez longtemps, dans les organisations modérées ou les partis modérés, comme le Front national. Mais, après les attentats de 2015, un des moments de radicalisation des membres du groupe OAS, à Marseille, consiste à assister aux cérémonies de l’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française (ADIMAD), une organisation mémorielle modérée de pieds-noirs, pour leur faire comprendre que la France serait dans une troisième mi-temps de la guerre d’Algérie. Et quand on demande à M. Nisin, en garde à vue, pourquoi avoir choisi « OAS » pour dénommer son groupe, il répond : « Quel meilleur nom possible quand il s’agit de provoquer la remigration des Arabes par la terreur ? Si l’on fait un certain nombre de massacres, ils penseront “la valise ou le cercueilˮ »… On reprend donc tout le vocabulaire de la guerre d’Algérie, mais il faut dissocier la manière dont la mémoire de cette guerre a été portée avant et après le basculement de 2015.

La localisation de l’extrême droite sur le territoire est un sujet complexe. Je pourrais vous dire qu’elle recouvre la carte de l’immigration algérienne depuis le début des années 1970, ou celle de la désindustrialisation. Je pourrais vous dire aussi que dans le Nord et le Sud-Est de la France, le coefficient de Gini, mesure du degré d’inégalité au sein d’une population, est très important – et notre ami Joël Gombin vous a sans doute expliqué le lien qu’il établit entre la répartition de la richesse sur le territoire et le vote extrémiste. Tous ces facteurs sont justes. En Bretagne et dans le territoire nantais, existe une radicalité endogène classique. Pour le couloir rhodanien, les choses s’expliquent plus difficilement. J’ai étudié la territorialisation de ces groupes sur la base de fichiers de militants et de documents des services de police des années 1930 à nos jours, et je n’ai pas encore trouvé l’élément d’explication déterminant. J’observe que la carte publiée par Le Monde des radicalisés d’autres segments politiques que ceux que j’étudie n’est pas très éloignée de la mienne. Il y aurait donc un travail à faire à ce sujet, que j’aimerais bien faire, mais cela supposerait que j’aie des camarades avec moi.

La dimension antisémite à quoi aboutit l'islamo-gauchisme...

Pour ce qui est de la relation entre AFO et l’OAS, j’ai étudié longtemps une librairie en ligne aux thématiques intéressantes. On y trouvait des livres sur l’OAS ; ils étaient plutôt destinés à un lectorat âgé qui a connu la guerre d’Algérie. Chez les jeunes, ces idées sont plutôt du passé, parce qu’une bonne partie de la jeunesse militante radicale se place sur le créneau ethno-différentialiste – chacun chez soi, Dieu pour tous et surtout pas de métissage. Ce site nationaliste révolutionnaire proposait peu de livres sur la geste de l’OAS mais beaucoup d’ouvrages sur la libération nationale. Des livres de militants anticolonialistes ou décolonialistes sont cités et vendus, car la logique de ces éléments radicaux, c’est qu’il faut se débarrasser du « système », entendez l’axe américano-sioniste, avec une Europe indépendante des deux blocs, et surtout des États-Unis et d’Israël. En résumé, le rapport à l’OAS est toujours très bizarre et dépend des milieux et des tranches d’âge.

Dans le GUD de deuxième génération, celui des années 1980, qui scandait « À Paris comme à Gaza, intifada ! », le discours était certes fasciste pour certains mais pour d’autres il était ouvertement néo-nazi. C’était l’expression de la vieille alliance nationaliste révolutionnaire et même nazie avec le monde arabe contre Israël et ses alliés. Le discours était donc à la fois nationaliste révolutionnaire et néonazi. Le Bastion social est issu de cette matrice fasciste et néofasciste, influencée par la République de Salo, sociale, très violente et antisémite. Pour le Bastion social, c’est le côté contre-culturel qui est très important et doit être pris en compte : ils ont copié les Italiens de CasaPound avec des groupes de rock, ils ont un côté sympathique et la volonté d’attirer des jeunes. L’aspect social de leur action est sincère, mais pour « les nôtres », pas pour « les autres », selon le slogan identitaire.

A cette question du Figaro posée à un de ses journalistes catalogué à droite : « Benjamin Stora s’est vu confier par Emmanuel Macron une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie», ce choix vous semble-t-il judicieux? Jean Sévilla répond assez judicieusement selon moi :

« Ce n’est pas, me semble-t-il, le meilleur choix, même s’il n’est pas surprenant si l’on se souvient des différentes prises de position du chef de l’État à ce sujet: Emmanuel Macron avait en effet qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité» lorsqu’il était candidat ; puis, comme président, il a ouvert la voie à une démarche pratiquement expiatoire. Il partage donc la même vision que Benjamin Stora de la présence française en Algérie: cet historien est en effet une figure officielle dans les cercles bien-pensants.

Ce qui fait de lui un historien, non pas des mémoires, mais de la mémoire algérienne de la guerre d’Algérie ; et non un historien impartial ayant une égale connaissance des deux camps ou même des querelles internes à ces deux camps. C’est en cela que Benjamin Stora ne me paraît pas l’homme idoine car son approche est trop ignorante de la mémoire européenne, de celle des Harkis… Il n’a pas suffisamment une vision d’ensemble: sa vision est partielle, donc partiale.

Concrètement, il apparaît par exemple étrangement compréhensif à l’égard du FLN, justifiant le choix de la «lutte armée» (que je qualifierais pour ma part de «terroriste»). Ce faisant, il légitime des faits dont l’on connaît pourtant la gravité: le FLN a posé des bombes au milieu des civils à Alger, commis des meurtres, des attentats et des enlèvements… Benjamin Stora est très silencieux sur tous ces agissements. Entre mars et l’été 1962, le FLN a enlevé de nombreux Européens afin de semer la terreur et les faire fuit, là encore, comme sur le massacre des Harkis, Benjamin Stora est d’une grande discrétion.

Il y a eu des exactions commises dans les deux camps, mais l’on ne peut pas se contenter d’une lecture hémiplégique de cette histoire. D’autant qu’implicitement, la mission confiée à Benjamin Stora paraît laisser entendre que la France est de toute façon coupable, et qu’il y aurait aujourd’hui encore des tabous: les actes de torture commis par certains soldats français sont aujourd’hui assez bien connus, mais les vrais tabous ne sont pas forcément là où l’on croit ».

Pierre-André Taguieff, catalogué hors système, revient longuement sur la formule « islamo-gauchisme » qu'il a lancée au début des années 2000.

« Il dresse un parallèle entre ce militantisme et l'islamo-nazisme des années 1930 et 1940, s'interroge sur la transformation, disons, pour simplifier, qu'il y a, d'un côté, des islamo-révolutionnaires de droite et, de l'autre, des islamo-révolutionnaires de gauche. Dans la terminologie que je propose, les premiers sont des islamo-nazis ou des islamo-fascistes stricto sensu, les seconds des islamo-gauchistes, catégorie générale comprenant plusieurs variantes historiques (islamo-communisme, islamo-tiers-mondisme, islamo-altermondialisme, islamo-décolonialisme).  

On connaît les motivations "anti-impérialistes" des islamistes qui, dans les années trente et au cours de la Seconde Guerre mondiale, se sont alliés avec les nazis ou les fascistes italiens. Il s'agissait pour eux de lutter le plus efficacement possible contre l'Empire britannique, l'Empire français, le sionisme et le communisme. Mais l'antisémitisme a joué le rôle d'un combat fédérateur, en particulier dans l'alliance, nouée dès le printemps 1933, entre les nazis et les islamo-nationalistes palestiniens, sous la haute direction du "Grand Mufti" de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, antijuif forcené. Le 7 octobre 1944, en Bosnie, devant une soixantaine d'imams de la 13e division de la Waffen-SS, dite "Handschar" ("Poignard"), al-Husseini déclare : "L'islam et le national-socialisme sont très proches l'un de l'autre dans leur combat contre la juiverie. Presque un tiers du Coran traite des Juifs.

Dans les discours de propagande islamo-gauchistes contemporains, on retrouve les thématiques anti-impérialiste et antisioniste, mais l'ennemi principal est l'Occident capitaliste, colonialiste et "raciste", le racisme étant un attribut des seuls "Blancs" et le "racisme systémique" le propre des "sociétés blanches". Tel est le dogme fondamental des idéologues décoloniaux et identitaires qui se réclament de l'"antiracisme politique", antiracisme hémiplégique masquant un racisme anti-Blancs non assumé. Au cours des années 2005-2010, la figure de la victime va être progressivement occupée par le Musulman ».


En première conclusion, l'engagement politique des « islamophobes » et des « islamophiles » comme les petits personnages qui ont choisi de collaborer pendant la Seconde Guerre mondiale, le font par arrivisme ; ce fut aussi le cas, et cela l'est toujours concernant la collaboration syndicale.

En deuxième conclusion : les groupes politiques contestataires et minoritaires sont sans illusion sur leur capacité à parvenir au pouvoir. Gauchistes et Mélenchon, participent surtout de la marginalisation de la classe ouvrière en particulier avec l'utilisation et la soi-disant persécution de l'islam. En vérité ils se complaisent dans le confort de l’opposition sociale ou politique et refusent d’entrer dans le jeu des coalitions électorales ou parlementaires – c’était le cas, à certains moments de leur histoire, du socialisme, du soi-disant communisme ou du gaullisme ; c’est le cas aujourd’hui, toujours en France, des groupes gauchistes et « insoumis », en particulier avec le charivari de l’élection présidentielle. Ces formations peuvent ainsi, comme par effet pervers, contribuer à renforcer le système, assurer, par leur seule présence dans la compétition électorale et parlementaire, une fonction tribunitienne d’intégration des groupes apparemment exclus ou diabolisés.



NOTES

1Virginie Despentes, dans Les Inrocks du 17 janvier 2015.

3https://www.sudouest.fr/justice/extreme-droite-la-justice-saisie-de-menaces-de-mort-par-des-personnalites-dont-jean-luc-melenchon-6955529.php

4https://www.cairn.info/revue-historique-2001-3-page-695.htm. A lire absolument.

Le « camarade » Pablo, la IVe Internationale, et la guerre d'Algérie Sylvain Pattieu Dans Revue historique 2001/3 (n° 619).

6En pleine période de reconstruction contraignante, des grèves inattendues détonent en restaurant

l'autonomie de classe, ce qui bouscule le petit milieu trotskien. Outre la cause de la révolution algérienne, les grèves de 1955 en Loire Atlantique rapprochent deux groupes trotskiens rivaux. Toutefois, malgré leur rôle respectif minoritaire ces deux cliques ne sauraient être tenues pour responsables du débordement des organisations syndicales, qui se matérialise par la durée (huit mois, de l’émergence des premiers comités d’action des soudeurs nazairiens en février à la conclusion d’un accord entre patronat et syndicats à Nantes en octobre) et la dureté (notamment par l’utilisation d’engins explosifs contre les forces de l’ordre le 18 août) du conflit.

8Maurice Fayolle, article extrait de Défense de l’homme,…. La Fédération communiste libertaire, autre groupe anarchiste issu d’une scission de la FA, ainsi que le PCI « lambertiste » soutiennent le MNA de Messali Hadj, de manière presque inconditionnelle pour les trotskistes.

10https://mensuel.lutte-ouvriere.org/2021/06/30/feminisme-intersectionnalite-et-lutte-de-classe_163726.html. Révolution internationale, pourtant autrement clair politiquement n'a pas été capable de produire un texte de cette qualité, depuis son rabougrissement en secte coupée de la réalité et paranoïaque.

11Pour l'intersectionnalité en entreprise : https://www.gloriaforbusiness.com/

14https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/mar/22/swp-cover-up-rape-complaint The SWP, Sherry admits, handled a complaint of rape against a leading member. But this is only a fraction of the story. The first complaint against this leading member was made to the party in 2010. It was handled informally by the central committee. Members would have been told nothing were it not for a leak, which forced the leadership to address the issue at the 2011 party conference.