(extrait du tome II des Aventures
de Richard Hotburnes, autopsie de liaisons tardives au début de l’an deux mille)
UNE COUGAR GAUCHISTE PERVERSE
Sur la « toile » les
aventures de Richard se suivaient sans se ressembler. Une rencontre peut-elle s’avérer
dangereuse, une fois enjambée la camerounaise pompeuse à distance de CB, la
cubaine et ses castagnettes, la russe et sa vieille collection complète des œuvres
de Lénine ? Non, aucune en soi si ce n’est pour le pognon, pensait Richard.
Il aurait dû se méfier plus, le pognon n’est pas le seul et unique moteur de l’emprise
des femmes sur les hommes. La nouvelle visiteuse possédait la même voix charmeuse
que B.B. jeune.
Un jour, ou bien était-ce une
nuit, il s’était connecté sur le site bien connu « net club »
(gratuit pour les femmes) pour visualiser d’éventuels messages de
quinquagénaires ou de sexagénaires, catégorie à laquelle il était affilié
désormais depuis sa mise à la retraite d’office. Il vit immédiatement qu’une
quadra (49 printemps) avait laissé son numéro de téléphone alors qu’il ne
payait plus son abonnement. Une chance une jeunette, pas forcément cougar dégénérée, crut-il. Une
chance qu’une candidate à la vie en couple franchisse allègrement les lamentables
et assommant dialogues minitelistes préliminaires coutumiers.
La femme, Marjorie 49, résidait à
Boulogne-Billancourt, un ex-banlieue prolétarienne, site d’une île fleuron d’un
bastion ouvrier démoli par les bulldozers où Richard avait connu son premier
emploi de salarié du Capital dans une agence d’une ancienne boite nationalisée.
Son annonce concise
« cherche rencontre pour vibrer en commun », gimmick pied de nez à la
solitude capitaliste, avait fait une autre touche. Il la retrouva à la terrasse
du café « Eden » (à l’Ouest de Billancourt), place Marcel Sembat, du
nom du ministre collabo va-t-en guerre socialo. Marjorie, le cheveu court était
grande et élégante. Elle sourit en l’apercevant en pantacourt et lunettes de
soleil Tati, encore bronzé. Tout de suite elle le trouva beau et séducteur, ce
qu’il nia. Elle ouvrait grand les yeux. Richard ne savait pas encore qu’elle
était myope. Il avait déjà remarqué au téléphone qu’elle s’écoutait parler.
Lorsqu’elle parlait elle fixait la rue et pas son vis-à-vis. Il prît cela pour
de la timidité. La conversation s’engagea un peu sur n’importe quoi. Richard
laissait aller, sans souci militant, sans envie de convaincre. Il laissait
faire. L’important lors d’une première rencontre n’est pas d’étaler son CV ni
d’établir une fiche policière. Il faut comprendre les motivations de l’autre.
Ou plutôt écouter l’autre plus que parler de soi-même. Il faut observer la
tenue, les gestes, être attentif à la communication non verbale. Richard
excellait à laisser intercéder des moments de silence. Il ne quittait pas des
yeux la femme qui semblait gênée alors qu’elle lui paraissait déjà bizarre.
Elle enchaînait un sujet puis un autre aussitôt pour meubler le silence qu’il
lui imposait. Il la coupait pour la rassurer sur ses silences. Une bavarde,
pensait-il. Secrétaire financière, elle semblait cultivée, bien qu’un peu trop
« raisonneuse ». Il ne cacha rien, ni son âge (rajeuni sur la fiche
du net) ni sa situation honteuse (retraité depuis peu). Elle fît
l’offusquée :
-
vous avez menti !
Il mesura au fil des échanges
suivant que la femme s’en fichait qu’il ait menti. Les secrétaires mentent si
bien à leur patron lorsqu’elles arrivent à la bourre et à leurs collègues quand
elles sont bourrées par le patron pendant les 35 heures d’aliénation. Elle
ouvrait toujours de grands yeux. Elle se penchait parfois près de lui au-dessus
de la table du bistrot. Elle ne se formalisait pas qu’il l’interrompe en lui
touchant le bras. Elle avait des lèvres charnues et se mit à fumer de longues
cigarettes. Cigarette sur cigarette. Il prît cela démocratiquement pour de la
nervosité. Son menton tremblait lorsqu’elle le relevait. Il se plaisait à
concevoir ce tremblement pour de l’émotion. Elle parlait d’elle-même et Richard
voulut rouler des mécaniques.
Oui il devait l’avouer il était
auteur… un petit auteur… il avait réalisé un ouvrage sur le nazisme, avec une
idée maîtresse, en tant que barrage de la bourgeoisie contre la révolution
russe. Nullement impressionnée elle rétorquait :
-
non, j’ai beaucoup lu sur le sujet, le nazisme c’est la
Shoah, la destruction des Juifs ; six millions de Juifs ont été exterminés
et des milliers de tziganes et d’homosexuels. Vous avez une idéologie
communiste du XIXème siècle.
-
Non, vous n’avez pas tout lu, si vous cherchez mon nom
sur google vous le trouvez en premier juste avant l’important historien Ian
Kershaw. Avez-vous lu Kershaw qui dérange l’américanisation de l’histoire. La
théorie du complot contre les juifs dispense de réfléchir sur les vraies causes
de WW II.
Non elle ne l’avait pas lu mais
ce n’était pas grave, heureusement que les Alliés avaient gagné pour mettre fin
au massacre des Juifs.
Richard n’estima pas nécessaire
d’engager la polémique sur un sujet d’une ampleur peu propice au bonheur des
couples tardifs. Ce n’était pas le lieu ni la circonstance. Est-ce qu’elle
aimait les balades en forêt, la rando au moins ?
Non elle aimait la natation et
pas la rando qui est le parcours des vieux papys boys scouts, c’est chiant.
Elle parla de son chat, de son appartement tout près. Richard pensa qu’elle
voulait coucher tout de suite et n’y vit aucun inconvénient. Avec son culot
habituel, il dit :
-
j’aimerais connaître votre chat et prendre un thé dans
vos meubles, ainsi on en apprend sur les gens plus que bien des discours.
-
Elle opina du bonnet. L’affaire
était dans le sac pour notre Richard guilleret à l’idée du fast food. Bonne
pioche elle avait proposé de partager la tournée. Ravissant et confondant. Ils
remontèrent l’avenue Jean Jaurès, du nom de l’idéologue socialiste du XIXème
siècle jusqu’à l’appartement de fonction de la dame.
L’appart puait et la poubelle
débordait. Il était situé dans un carré d’immeubles, ancienne possession des
russes blancs (tiens tiens…)– une église orthodoxe pointait encore son nez et
son bulbe dans la cour. Etrange… autant elle se la pétait « class »
au bistrot, autant son intérieur détonait clodo avec des meubles en carton et
caisses à légumes en guise d’armoire de rangement. C’était celui d’une
marginale lectrice du Monde Diplo. Peu de livres pour une aussi connaisseuse de
l’histoire, des plantes disparates ou crevées, et un plafond jauni par la fumée
de cigarette. Richard, sans doute déjà désireux de s’enfuir, refusa thé et
café, puis proposa de se rendre chez lui pour dîner. Dans la voiture il ne
s’offusqua point qu’elle le traita de vieux con pour une réflexion légère, mais trouva la chose bizarre pour un
début qu’on imagine toujours poli et convivial.
Richard ne réussit pas comme à
l’ordinaire son omelette aux champignons. Elle était horriblement gonflée et
les haricots en boîte étaient mal cuits. Marjorie fumait compulsivement une
cigarette entre chaque plat. Richard se laissait aller à lui en piquer une de
temps à autre. Pourtant fumer tue mais la conversation, parfois, aussi. Richard
venait d’essuyer deux échecs sentimentaux au cours de l’été et se voyait ravi
de cette intrusion subite d’une envoyée
de l’Internet. La pression oculaire avait disparue. Le calcul torturant du
séjour en Lozère était oublié. Il la trouvait soudain belle cette bizarre myope
bavarde, oubliant qu’elle était crade à l’intérieur. Elle lui montrait ses
lunettes modernes sans double foyer, sans l’épaisseur double vitrage des
anciennes montures gogolito.
Insensiblement la discussion
était revenue sur le nazisme. Un sujet régulièrement à la mode.
-
mon copain précédent était riche mais superficiel. Il
était allé en Suisse et disait « les suisses sont des cons ».
-
oui, fît Richard, en général les suisses sont des cons
friqués qui méprisent leurs travailleurs immigrés mais cela ne veut pas dire
que tous les suisses sont cons.
Elle déporta la
conversation :
-
j’admire le peuple allemand. Les allemands ont reconnu
leur responsabilité dans le génocide. Peu de peuples auraient été capables d’en
faire autant.
-
C’est quoi le peuple allemand, fit Richard, une poignée
d’intellectuels qui prétendent parler en son nom ?
-
Le peuple allemand a tiré les leçons de la Shoah avec
une grande dignité.
-
Non, répliqua Richard, on a tiré des leçons pour lui.
La guerre mondiale ne se résume pas à la Shoah, c’était la prolongation de la
guerre capitaliste de 39-45 !
Elle concentra sur Hitler :
-
Pas du tout, dit Marjorie, c’était la faute à Hitler
qui voulait exterminer les Juifs. Tu ne te rends pas compte il y avait une
spécificité juive. Les enfants… ils ont exterminés les enfants. Ils voulaient
exterminer une race…
-
Eh bien ils ont échoué !
-
Comment ils ont échoué ?
-
Pour exterminer les Juifs du monde, il aurait fallu
exterminer les juifs américains et d’Argentine, etc.
-
Mais c’était le but d’Hitler.
-
Fanfaronnade. Le but d’Hitler dans Mein Kampf c’est
d’exterminer à jamais le communisme avec le tour de passe-passe de confondre
juifs et communistes ! Hitler a un double langage, face à ses juges lors
de son putsch il avoue que son but est l’extermination du communisme, face à
ses électeurs il dénonce les juifs. Il y a substitution d’une communauté
inoffensive au prolétariat dangereux.
Elle extermina le communisme
généraliste :
-
Mais tu défends le point de vue communiste ringard du
XIXème siècle, c’est du Le Pen, c’est bien pourquoi communisme et nazisme
étaient si proches. Les extrêmes se ressemblent…
-
T’es bien une secrétaire nunuche qui récite le discours
télévisé quotidien !
-
Non je pense par moi-même, toi tu es enfermé dans des
ornières. Tu vois des complots partout. Tu es complètement déjanté.
Ma poufiasse de Billancourt
gentrifié avait bien descendu le rosé et fumait cigarette sur cigarette. Richard se
redressa.
-
Non tu penses comme monsieur tout le monde ! tu
n’y comprends rien parce que tu ne vois pas les classes sociales !
-
La classe ouvrière a disparu. T’es un connard qui
raisonne encore comme au XIXème siècle. Les communistes n’ont pas compris qu’il
fallait s’allier ensemble contre le nazisme pour l’empêcher de vaincre. Le
nazisme c’était l’extermination des enfants juifs.
-
Tu insultes parce que tu es à court d’arguments. Non le
nazisme a été mis en place par la bourgeoisie internationale en Allemagne, avec
leurs capitaux, avec le but de renforcer une police allemande impuissante face
aux cohortes d’ouvriers armés ! Le nazisme n’est pas un phénomène
allemand.
-
Si, et les enfants ?
-
Et les enfants d’Hiroshima et de Dresde, ils n’étaient
pas des enfants qui avaient le droit de vivre ? Et les enfants de Bosnie,
du Rwanda ?
-
Ce n’est pas pareil les guerres ethniques, il n’y avait
pas de projet de solution finale.
-
Çà veut dire quoi ? çà veut rien dire. Les guerres
ethniques sont provoquées et entretenues par les services secrets des grandes
puissances. L’extermination est liée à la guerre capitaliste, elle n’est pas le
propre d’Hitler. Quand Mac Arthur veut exterminer les japonais…
-
Tu nies le projet d’Hitler d’exterminer la race juive
avec les enfants.
-
Il faut être lucide, l’Etat américain a laissé faire
Hitler pendant cinq ans et il n’y a pas eu que les juifs d’exterminés,
probablement aussi six millions d’allemands, près de soixante millions de morts
au total, y inclus américains pour les profits capitalistes. Bombardements et
gazages ne font pas la différence entre enfants, femmes, civils et déserteurs.
-
Mais les juifs ont été la principale cible !
-
Ce n’est pas vrai, le pouvoir nazi était lui-même
divisé en cinq branches. Une branche voulait utiliser les juifs comme « travailleurs
forcés », et d’autres, avec Himmler, stupidement éliminer les personnes
bouc-émissaires comme exutoire au ‘danger intérieur’ en mobilisant une partie
de la troupe mais en dégarnissant le front de l’Est. La guerre mondiale est un
bordel qui prend un tour irrationnel parce que le Capital est sans perspective
d’avenir, et il ne faut surtout pas que le prolétariat renaisse de ses cendres.
Le bombardement de Dresde est le bombardement d’une ville de civils, de
prisonniers et de déserteurs. Chaque bombardement de la population par les
escadrilles de Churchill renforce Hitler. La bourgeoisie américaine s’enrichit
avec la guerre.
-
C’est faux. Les américains approvisionnent les anglais
en armes durant toute la guerre contre Hitler.
-
S’ils approvisionnent ce n’est pas sans contrepartie,
même quand ils n’ont pas encore déclaré la guerre à l’Allemagne, donc ce n’est
pas une vertu anti-fasciste imaginaire. Tu sais autant que moi que des
industriels français alimentaient l’armée allemande en 1914. La guerre ne supprime
pas les échanges industriels.
-
Tu vois des complots partout et tu es borné comme c’est
pas possible, arrêtes !
-
Je ne suis pas borné mais nous sommes minoritaires à
penser comme moi, parce que l’oubli est maître du monde. Mais je te propose
d’arrêter là et de passer dans la chambre. Ce n’est pas propice à une union
nuptiale.
Dans la chambre, sur le matelas à
même le sol, Richard se fait tendre.
-
on ne devrait jamais parler politique ou histoire au
début d’une rencontre. Tu me plais bien.
-
Oui toi aussi tu es gentil au fond, on n’aurait pas dû
parler de ça.
Elle se tourne, allume encore une
longue cigarette. Richard dégrafe la soutien-gorge. Les seins sont fermes et en
relief. C’est une nageuse. Elle les entretient. Elle se laisse caresser. Mais
ne vibre pas. Elle demande s’il a plusieurs capotes :
-
plusieurs ? tu me prends pour un superman ?
-
je plaisantais, rit-elle. Exhibant ses dents jaunies.
Elle va à la salle de bains.
Richard s’étend les bras en croix quasi rassuré. N’est-ce pas dans le contact
des épidermes qu’ont lieu tous concordats du monde ? Elle revient en slip
réclamer une serviette. Les seins sont magnifiques, galbés et pointus.
-
tu as des seins d’une femme de vingt cinq ans, concède
Richard, plus près du zénith antifasciste que de l’enfer nazi.
-
Tu exagères.
Elle trifouille mes livres dans
le rayonnage près du lit. Elle se moque de certains. Prenant celui de Max
Gallo, La cinquième colonne, elle le jette sur le sol et pouffe avec cette même
sonorité de voix nunuche que B.B. :
-
tu vois des complots partout
-
non , celui là c’est le tien, le complot universel,
antique et hitlérien contre les Juifs
-
que tu es négatif en tout
-
que tu es destructrice en tout
-
c’est pas possible d’être comme çà
Richard peste que les frigides
ont toujours de beaux seins et que çà sert à rien, et que ce devrait être
réservé aux normales. Que ces connes radotent avec les mêmes termes pour faire
débander même un pendu. Le venin est craché au au coup par coup, à l’aveuglette.
Elles cherchent à humilier constamment l’homme, lequel essaie de se faire
entendre… pas normal… mais si tout est de sa faute… dialogue pathologique où la
folle ne cherche pas la vérité mais à déstabiliser l’autre. Elle ne répond pas
aux questions précises et fuit par l’invective. Elle hurle de plus en plus
« arrête » ! comme une mère qui veut calmer son polisson de
fiston en bas âge.
Richard, philosophe à ses heures
même les plus déplorables, déplore qu’ils aient eu cette discussion sur la
guerre mondiale. Il n’y a pas que la guerre mondiale dans la vie. Marjorie la
hyène garde sa chemise ouverte sans le soutien-gorge. Elle lui tourne le dos,
se tient du côté de la lumière de l’halogène et surtout du cendrier.
-
tu en fumes une autre ? s’inquiète-t-il.
Croyant avoir brisé la glace des
opinions historico-politiques à tiroir, Richard se croit malin de lancer une
saillie qui confine à la beaufitude moderrne au quartier Saint Séverin quand
elle n’est qu’une banalité conviviale lors des repas familiaux de baptême. Réflexion
qui congèle à jamais toute copulation spontanée, en lui caressant les
seins :
-
on est pas des pédés !
-
ah non c’est honteux ce que tu dis. Il faut respecter
les homosexuels. Tu es abominable.
Après la gauchiste antifasciste communautariste,
fallait qu’il tombe sur une bobo écolo monacale ! L’autre se roule en
boule, aspirant profond une bouffée et se reboutonnant avec cet air outré des
électrices du 5ème arrondissement.
-
t’es vraiment une bobo, les juifs étaient le centre du
monde, maintenant c’est les homosexuels. J’ai rien contre, faut laisser vivre
les gens, mais c’est pas normal que çà te donne des boutons ou que tu les
refermes…
-
comment c’est pas normal ? mais Hitler les a fait
exterminer, t’es vraiment comme Le Pen, on étouffe chez toi, ouvre les
fenêtres !
-
alors arrête de fumer ! Et laisse tomber ta
défense des homosexuels ; on a le droit de rire de tout, tu crois que les
homos ne se moquent pas des hétéros ? Tu es frigide et castratrice.
-
Comment peux-tu dire cela ?
-
La myope gauchiste tendance
frigide se lève et va s’asseoir sur mon divan vert (mais pas de rage lui) en
aspirant sa longue cigarette. Richard est allongé nu en face de la femme
habillée. Ce qui n’est pas en son honneur, bite en berne. Las, très las, il
chuchote :
-
il faut que je me rhabille et que je te raccompagne
chez toi ?
-
il est minuit, on peut aller faire un tour au quartier
latin, qu’elle fait la bobo homophile.
-
Non je te raccompagne
chez toi, cela n’a pas de sens de marcher main dans la main dans la rue si on
n’a pas fait l’amour et si on a fait la guerre des mots. T’es une frigide c’est
tout.
-
M’enfin, ça vous arrive à vous les hommes de ne pas
pouvoir, tu es dur avec moi. Tu es excessif. Tu es toujours comme ça ?
-
Je te raccompagne.
-
Re-Viens prendre le thé chez moi.
Chez Marjorie, Richard s’assied
sur le clic-clac branlant avec la couverture pour le chat. Il accepte un verre d’eau. Elle
vient près de lui. Elle lui tape violemment sur la main soudain quand sa pauvre
main de jeune retraité tentait de se faufiler vers le sein visible de la
chemise entrouverte à dessein (c’est involontaire de la part du pigiste). Si
soudainement que Richard s’étonne de demeurer bouche bée et de l’écouter, mains
sagement croisées après punition, seriner sa saga familiale. Les yeux de Richard
se ferment par moment, de tolérance compassée ou d’abrutissement consenti, on
ne le saura jamais. Marjorie était vendéenne. Généralement on associait, dans
le mouvement ouvrier ancien la Vendée à la réaction catholique et royaliste et
les vendéens et alentour jusqu’à Bordeaux à des gros cons profiteurs et esclavagistes. Tout cela était
du passé des connards dix-neuviémistes. Dès la mort de la mère, alors qu’elle
avait quatorze ans, le père avait commencé à les battre, elle, et ses neuf
frères et sœurs. Un père laïque, instituteur et mendésiste tendance socialo, si
vous avalez sa saga familial. Tout pour en produire une lectrice du Monde Diplo
tendance frigidaire mondialisé.
Son homélie familiale terminée,
elle lui propose de le raccompagner dans la rue jusqu’à la voiture. Il frotte
un peu sa barbe sur les joues de la folle, ravie et rassurée par sa nouvelle
proie, et se surprend à penser « casse-toi au plus vite Richard ! ».
Richard ne s’appartenait plus déjà en effet. Et le pire était qu’il en était
conscient. Il était une simple chose, presqu’un
chien.
Richard gamberge alors à la
vitesse d’une mobylette au galop. La synthèse intra-muros est sans fard :
totale avalanche de dénigrements, même de mes chaussures, mes opinions… du Le
Pen mal digéré. Perturbé à fond le Richard. Humilié probable. Le jeu de
l’attente sexuelle en masquait encore au cervelet de Richard les effets délétères
qui ne se réveilleraient que le lendemain. Avec cette classique machine à
souffrir interne au cerveau reptilien : la torture en boucle des sarcasmes
de la petite bourge marginale et sale, comme des dards aléatoires, les uns
après ou avec les autres, sans pouvoir en contrôler l’invasion, avec cette impression
forcenée que vous n’avez pas su répondre à toutes les railleries et que l’autre
a eu raison de vous, vous a « objectivé », ou plus prosaïquement mis
à poil. Oilà ! elle t’a aussi communiqué sa folie circulaire ! pauvre
naze de Richard. C’est aussi contagieux que le sida mais personne n’en parlera.
Pouvait-il revoir son bourreau d’un
soir ? çà va pas ! Non Richard avait senti le danger, mais les mots
et les réflexions de la tarée lui collaient aux basques. Le silence ne
serait-il pas la meilleure attitude de dédain ? Non pour se protéger mais
pour ne pas engueuler en pure perte vocale au téléphone. Pas du tout mon pauvre !
Que faire, non pour renouer mais dissiper le mal être que cette conne avait
généré ?
Le lendemain c’est elle qui
appelle plusieurs fois. En vain. Richard ne voulait ni se justifier ni
l’agonir. Un dernier coup de fil vers les dix heures du soir, elle dit :
-
tu ne veux pas me rappeler c’est pour te protéger, ce
n’est pas grave.
C’est la goutte d’acide qui remet
en ébullition Richard. Roooo…. On va voir !
Trois jours après Richard se rend
à l’évidence, il lui faut la baiser par téléphone, non pas virtuellement en
fantasme charnel, imbécile de lecteur, mais la niquer pschyco quoi, enfin
tourner la page avec le mot fin. Mais il est encore trop déstabilisé par la
conduite de la folle. Il se répète ses arguments en boucle, puis s’aperçoit que
tout se brouille. Il recommence à voix haute. Idem. Alors il écrit sur un
papier pour ne pas être déstabilisé par ses interruptions dominatrices : …tu
te permets de… tu ne me connais pas encore… de quel droit… tu fumes comme une
malade… t’es vraiment pas claire… sale bobo bornée… ta conduite inqualifiable …
tes insultes : vieux, connard, ringard du 19e, ta violence dans
ton gourbi sale… tu ne connais du communisme que Marchais et ta référence
politique – l’affiche du réseau bourgeois mondain Attac à côté du magazine TV sur
le carton qui te sers de table - montre que tu n’est qu’une grue du système et
imbitable comme lui. Adios pétasse !
Richard avait tout débité d’un
bloc, plus ou moins lisant son post-il de sauvetage. Il avait raccroché sans
laisser démocratiquement la pétasse répondre. Et il s’était demandé si cela ne
serait pas possible de prévenir les mecs sur Internet d’éviter Marjorie la
folle.
Au moins celle-là ne lui
pomperait plus l’oxygène, vital sur cette terre.