"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

lundi 24 avril 2023

LA THEORIE DU CHAOS APPLIQUEE AUX RANDOS SYNDICALISTES

 

« Marx ne manquait pas de commenter, du mieux qu'il pouvait, les événements du moment et les positions des dirigeants du mouvement ouvrier français. Il était « gêné » par leur « phraséologie ultra-révolutionnaire », qu'il avait toujours considérée comme du « vent », et qu'ils « feraient mieux de laisser aux anarchistes, qui sont en fait des piliers de l'ordre existant et ne désorganisent rien ».Marcello Musto : Les dernières années de Karl Marx, p. 232, ed Puf 2023

.« Le peuple n’a pris part à la lutte que comme instrument des classes moyennes; c’est-à-dire que les prolétaires sont des gladiateurs qui tuent et se font tuer pour l’amusement et le profit des privilégiés, lesquels applaudissent des fenêtres bien entendu la bataille finie ». Blanqui (décembre 1859)

« Individuellement, les insectes sont bêtes. Collectivement, ils sont intelligents». Jean-Louis Deneubourg

Que se passe-t-il entre les longs intermèdes des randonnées syndicales, chaque quinzaine ? Rien de rien ! L'actualité suit son cours avec accidents, guerre en Ukraine, sports, dernière débilité de Sandrine Rousseau, un Macron qui se pavane dans quelque bled isolé où les gendarmes ont pour mission de se saisir des casseroles car l'humour présidentiel et ministériel est limité sur le sujet...au képi du gendarme. Les casseroles vont pourtant servir de concert désormais aux pitreries syndicales inoffensives. Donc comme me l'a suggéré un jeune ami algérien fin observateur : les manifs syndicales successives lui ont fait penser au centre aéré de son enfance où les longues marches à pied servaient à distraire les enfants.

On va analyser ici comment la théorie du chaos est applicable à la syndicratie. J'ai déjà fait référence à cette théorie lors de plusieurs articles précédents sans vraiment l'expliciter mais dans le même esprit général de l'auteur qui vient de ressortir son ouvrage plusieurs fois réédité : « Gouverner par le chaos »1. Le chaos dans le capitalisme actuel n'est ni le bordel ni la décomposition, théorie simpliste et hors-sol radotée depuis trente ans par la secte CCI, inculte et suiviste de la « colère syndicale ». Comme son origine mathématique, cette théorie définit que sous un apparent désordre l'ordre le plus strict et le plus envahissant règne en maître. Au cœur de cette théorie désormais hors des mathématiques mais sur le champ politique, l'homme est non seulement manipulé comme jamais, mais il ne pourra plus rester issu de la sélection naturelle ni biologique et est est destiné à devenir homme machine, comme l'avaient prévu les meilleurs auteurs de science-fiction mais ni Marx ni Lénine2. On peut certes estimer qu'il s'agit d'une déliquescence de la société bourgeoise mais c'est en tout cas une affirmation d'un pouvoir totalitaire du capitalisme via la floraison de ses réseaux informatiques issus de la cybernétique des fifties.

OU LE PRINCIPAL ACQUIS DE LA SERENADE SUR LES RETRAITES SERA LA THEORIE DE LA JEUNE FILLE

Pour le pouvoir la nécessité première est de désorganiser la principale classe exploitée, l'individualiser, la dépolitiser, lui faire perdre le sens du collectif, rompre solidarité et cohésion tout en lui faisant croire que, de son point de vue « ça va péter ». Ce que j'ai nommé féminisation de la société, Lucien Cerise le nomme lui féminitude et nous apprend que des marginaux ont été depuis longtemps lucides sur le féminisme stalinien : « Pour le collectif Tiqqun (ancêtre du comité invisible) la figure de la bimbo, la jeune fille sexy et désirable, est la nouvelle figure d'autorité du capitalisme3, incarnation par excellence de cette dépolitisation consumériste. Figure de l'individu désorganisé, du pur individu, pourrait-on dire, la jeune fille est l'entropie personnifiée, l'image même de la pulsion de mort (…) En réalité la jeune fille n'est que le citoyen modèle tel que la société marchande le redéfinit à partir de la Première Guerre mondiale, en réponse explicite à la menace révolutionnaire (…) Ses meilleurs soutiens, la société marchande ira désormais les chercher parmi les éléments marginalisés de la société traditionnelle – femmes et jeunes d'abord, homosexuels et immigrés ensuite »4. (…) La police politique vient ainsi se loger dans des endroits où on ne l'attendait pas, notamment dans la presse féminine de tous âges »5.

Les marginaux « invisibles » et l'universitaire Lucien Cerise ne mesurent pas l'ampleur d'une

la belle et la grosse

féminisation scandaleuse que passent sous silence les bourgeoises féministes : la promotion systématique de femmes journalistes belles et minces, celles de la météo (désormais visibles en pied et de profils avantageux) et les cheffes de plateaux-débats niveau bistrot ; sont bannies les pots à tabac et Garrido est traitée avec mépris, et fait figure de boudin pour décrédibiliser LFI. La CGT a relevé le défit de la féminitude chic et sexy avec Sophie Binet, effaçant l'horrible petit moustachu macho. La nouvelle « patronne » n'est pourtant pas plus virile (socialement) que Martinez, elle est mise à l'honneur par les médias pour les mêmes déclarations creuses, « clivantes » pourtant en vue de la toute prochaine division syndicale : «
 La secrétaire générale de la CGT a déclaré que son organisation ne reprenait pas à son compte l'expression de «délai de décence» employée par Laurent Berger, avant de rappeler sa détermination intacte à voir la réforme des retraites retirée. Sophie Binet s'est malgré tout exprimée sur les sujets qu'Emmanuel Macron veut soumettre aux syndicats, les qualifiant de «clivants». À l'instar de la proposition gouvernementale d'un RSA sous conditions qui lui apparaît comme une «stigmatisation des chômeurs et des précaires». La belle quadra fait en outre l'apologie d'une nouvelle forfaiture sémantique, de dispersion et atomisation de la lutte de classe : la grévilla »6

DES NAIVETES ORIGINELLES AU CONSTAT TERRIFIANT DU « GOUVERNEMENT INVISIBLE » DES DEMOCRATIES7 (et des syndicats)

En l'an 2000 on pouvait encore être très naïf sur le « progrès capitaliste : « Derrière une apparence de désordre croissant et d'hypercomplexité, la dynamique du réseau Internet recèle de troublantes similarités avec les théories du chaos issues de la physique et des mathématiques. L'utilisation de certains de ces concepts dans une approche de type métaphorique permettra de montrer que les éléments constitutifs de la masse bouillonnante du réseau sont intrinsèquement porteurs d'ordre. Les théories du chaos ont été appliquées avec profit à des domaines variés comme l'économie, les finances, la sociologie ou la neurobiologie. Les sciences de l'information et de la communication (SIC) s'affichent comme une interdiscipline plurielle dans ses approches et ses méthodes. Aujourd'hui, elles se trouvent confrontées à un champ d'étude de plus en plus complexe, notamment en raison des évolutions technologiques »8.

Or les « porteurs d'ordre » ne furent ni une autogestion généralisée comme l'espéraient ces auteurs ni


plus de liberté. La machinerie informatique, contrôlée toujours principalement par le capital américain a généré un phénomène de soumission et de ...décomposition, en vue de la surveillance informatique des populations : « Le concept d'inculcation de l'impuissance...aura du succès auprès de la CIA pour travailler sur les mécanismes de la résignation et comment la provoquer chez autrui – en complément des expériences sur cobayes humains de reprogrammation mentale, mieux connues sous le terme anglais de mind control (…) Durant la même période, la Stasi en Allemagne de l'Est pratiquait la « décomposition », ou Zersetzung qui consistait à plonger un individu dans une incertitude permanente sur tous les sujets, notamment sur les relations de confiance avec ses proches, afin de pousser au délire d'interprétation et de persécution, et si possible à la dépression et au suicide »9.

UN CHAOS dirigé (p. 26) VERS UNE DESTRUCTION TOTALE...

L e contrôle de la colère de la classe ouvrière n'aura pas été bien difficile pendant les trois derniers mois. Les manifestations de masse ont cette qualité première d'empêcher de réfléchir et d'attendre Godot : « Pour prendre le contrôle d'un groupe, il faut qu'il n'ait jamais le temps de réfléchir. Le nouveau Big Brother cherche comme l'ancien à homogénéiser nos comportements et à ramener leur diversité à l'unité (sic) ; mais le nouveau a compris que pour y parvenir ; il était plus efficace de compter sur le désordre et l'anarchie que sur un ordre social lucide dont la stabilité peut se retourner contre le Pouvoir lui-même ».

Les manifestations pacifiques et ficelées contre l'attaque de Macron sur les retraites sont dérisoires face au monde de demain que les exploiteurs nous préparent. Le sémillant patron des patrons, aux cheveux teints, Roux de Baisieux le bien nommé a appelé dimanche les européens à créer leur propre intelligence artificielle face aux amerloques ! Un objectif de soumission de l'espèce humaine et de destruction du prolétariat assez délirant, dont la conception remonte à la création d'Al-Quaïda supervisée par Zbigniew Brzezinski en Afghanistan dans les années 1980, le Tittytainnment, qui désigne en argot américain non pour leur pouvoir érotique mais pour leur lait, c'est à dire trouver un moyen de divertissement pour une population mondiale privée de travail à cause de l'intelligence artificielle : « Les partisans de la grande Réinitialisation en arrivent aux mêmes conclusions : avec l'intelligence artificielle, l'automatisation et la robotisation du travail, 80% de la population mondiale deviendra inutile ». Ce constat dramatique qui pourrait laisser entrevoir aux plus naïfs d'entre nous une mise en place de la société communiste débarrassée majoritairement du travail aliéné et même du travail tout court, ne sert que de justificatif génocidaire pour l'espèce humaine, comme l'envisage sérieusement le complexe militaro-industriel10, ou diminution planifiée de la population sous prétextes …écologiques. Donc une perspective qui mise pleinement sur l'utilité ignoble et horrifiante d'une véritable troisième « der des der » ! En attendant personne ne doute du fait que les moyens électroniques planétaires surveillent notre trou du cul, et savent exactement le jour où vous vous êtes masturbé, mais la lutte des classes n'en a rien à foutre !

L'auteur, qui nous a pourtant communiqué infos et réflexions très intéressantes, est un ignorant en politique, voire comme on me verra un âne néo-stalinien. Outre une limite d'analyse qui fleure le complotisme – théorie qui au fond suppose toute révolution impossible du fait d'un big Brother tout puissant – il est incapable d'intégrer les fractions de la gauche bourgeoise et de la syndicratie dans ce faux chaos. L'organisation et le déroulement du « chaos syndical » correspond pourtant finalement à cette dépossession des masses de tout contrôle sur leurs luttes avec la complicité du méchant gouvernement, des mielleux journalistes et des professionnels de la syndicratie ; quoiqu'il soit obligé de remarquer la nécessité de ce « chaos organisé » face à cette « opposition paradigmatique entre la droite et la gauche devenant obsolète »11.

Quelle solution opposer à cette marche de l'humanité vers sa destruction ? Là l'auteur devient franchement minable. On est dans la situation de Marx adoubant certaines critiques de Proudhon contre le capitalisme mais constatant que sa méthode était de la merde. Très intéressante description du chaos organisé, dont il n'est pas le découvreur (Poincaré et nombre de mathématiciens l'avaient déjà analysés au plan scientifique) mais il avoue ses limites chauvines : « l'abolition des frontières c'est le règne de la mort, tant au plan biologique que psychique (…) si les frontières n'existent plus, ce sont les principes même d'identité, de distinctions et d'élaboration sémantique (Ha Ha Ha!) qui vacillent ». C'est un vieux rat mort qui nous chantent l'utilité des frontières nationales et syndicales parce qu'il est incapable de comprendre que le mondialisme n'a rien à voir avec l'internationalisme prolétarien !


Le pire de cette glissade finale lamentable est enfin, comme perspective, l'application du programme national bourgeois de la période de reconstruction de 1945 qui a signifié la misère pour les ouvriers et le sabotage de leurs grèves par le parti de gouvernement PCGT ; suit un appel d'un quarteron de vieux croûtons de la résistance et de la collaboration à l'Etat bourgeois tous décédés, les Aubrac, Hessel et Séguy. Comme proposition "insurrectionnelle" finale l'auteur ne craint pas le ridicule et la bêtise la plus crasse. Nouveau colonel Fabien gogol, il invite "les gens" à une "infiltration lente des structures du pouvoir" avec une "organisation de type militaire". Blanqui n'était pas aussi con.

Quant au premier mai sous naphtaline, il est programmé "baroud d'honneur", avec casseroles comme lot de consolation pour se promener dans la « décence » avec pour perspective la « grévilla ».



remake du nain Roussel



NOTES


1 Lucien Cerise, ingéniérie sociale et mondialisation (ed Max Milo)

2J'ai eu une discussion à ce sujet avec un vieil ami grec, grand mathématicien.

3Comme l'écologie depuis au moins quarante années !

4cf. page 99 qu'il vaut de lire intégralement.

5cf. p 100 et 101. Et ceci aussi qui est devenu une idéologie de base du gauchisme cucul : « La jeune fille soit l'hystérie au pouvoir, culmine aujourd'hui dans le LBGT et la figure du transexuel et de la drag queen, « nouvelle » nouvelle figure autoritaire du libéralisme libertaire, déchaîné et tout puissant ».

6 Sans compter que le ridicule n'est pas fait pour impressionner le gouvernement Macron : « La CGT Énergie a appelé dans le week-end à mener une «grévilla» contre la réforme des retraites dans les prochaines semaines. «L'heure est loin d'être à la résignation», précisait un communiqué, qui menaçait par ailleurs des grands événements à venir comme Roland-Garros ou le Festival de Cannes. La fédération Énergie de la CGT est accusée d'avoir coupé le courant à une clinique de l'Hérault proche du lycée où Emmanuel Macron était en visite jeudi dernier. «La coupure d'électricité de la clinique, ce n'est pas du tout la CGT», s'est défendue Sophie Binet, qui a expliqué par ailleurs que «les coupures d'électricité démontrent l'ampleur de la colère dans notre pays». Sans préciser que ces coupures sont diligentées par les mêmes apparatchiks de cette mafia, que je connais très bien pour les avoir confrontés pendant des années.

Sondage: Macron atteint son plus


7cf. p 23

9p.20. Cette stratégie était connue des militants de ma génération qui dénonçaient la psychiatrisation en Allemagn ede l'Est face aux sourdingues trotskiens.

10Lire p.71

11p.108