"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 30 septembre 2016

Le prolétariat est-il à même de succéder à la bourgeoisie pour gérer la société communiste ?


Supermarché tu dois tout aux coopératives ouvrières !

NOTES SUR LE MOUVEMENT DES COOPERATIVES OUVRIERES
(aux origines de la société de consommation moderne)

Le Mouvement coopératif depuis ses balbutiements utopistes au début du XIXe siècle a posé les jalons d'une alternative à la société bourgeoise, d'abord de façon immédiate par des expériences locales visant à concrétiser une solidarité populaire sans interférer sur la politique d'Etat ni poser le problème du changement entier du fonctionnement de la société. Les expériences des phalanstères et sociétés de secours mutuel furent des tentatives qui jetèrent les bases de la pensée socialiste.
Plus que le babouvisme, les intellectuels de l'utopie ont permis l'accouchement de la classe ouvrière (développer sur l'eschatologie millénariste et L'union ouvrière de Flora Tristan (1842) et le Voyage en Icarie de Cabet (1844, écarté par Marx comme « communiste grossier »)), Agricol Perdiguier, etc.

Les théoriciens socialistes du début du XIXe siècle, les Buchez, Pecqueur, Louis Blanc, Prodhon préconisaient l'association coopérative de production. En 1831 Philippe Buchez pensait résoudre la question sociale par le développement de l'association de production, dont le capital social, s'accroissant chaque année du cinquième des bénéfices réalisés, serait inaliénable et appartiendrait à l'association qui serait déclarée indissoluble.
Louis Blanc, dans son « Organisation du travail », défendit aussi l'association ouvrière de production, comme moyen de résoudre le problème de la misère, mais il ne la croyait viable que si elle était subventionnée par l'Etat.

Marx et Engels, réagissant tardivement à ce mouvement, et encore eux-mêmes en phase de maturation politique, le considérèrent d'abord d'un œil positif avant de modifier radicalement leur point de vue. Déjà dans le Manifeste de 1848, ils prenaient pour cible « la réalisation expérimentale » des « utopies sociales » hors de l'organisation de la production de la société.
La révolution de 1848 avait éclaté comme conséquence d'une crise économique grave entraînant un chômage massif inattendu où apparaît la formule « droit au travail », formule ambiguë face à la suite du désespoir apparu lors de la fermeture des Ateliers nationaux. Cette formule est vivement critiquée par les utopistes, et Mars la prolonge : « Derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital l'appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c'est à dire la suppression du capital, du salariat et de leurs rapports réciproques ».

Sur l'héritage de Saint-Simon, développer : Il y eut au moins quatre familles, qui se sont développées après la mort de Saint-Simon : la branche mystique et mystico -érotique des disciples formant la communauté 14 de Ménilmontant, et qui évolua ensuite en branche entrepreneuriale, où prit naissance la plus grande partie des entrepreneurs de banque et de réseaux (navigation maritime, canal de Suez, chemins de fer) du Second Empire et des débuts de la IIIème République ; la postérité féministe, avec Flora Tristan, Jeanne Deroin, Pauline Roland, plus proche de l'utopie coopérative parce que ces militantes, dont le rôle important est une caractéristique jamais renouvelée des années 1840-1850, ont eu une influence décisive dans l'éclosion del'associationnisme ouvrier sous toutes ses formes ; la branche socialiste, illustrée en particulier par Pierre Leroux, le génial Leroux disait Marx à Feuerbach en 1843, et Philippe Buchez et ses élèves ; à la jointure de la 1ère et de la 3ème , un saint-simonisme échappant de justesse, après y avoir succombé, aux extravagances de Ménilmontant sans pour autant se convertir au capitalisme pur et dur...

Dans ses écrits du début des années 1850, au moment où les associsations de producteurs commencent à se multiplier, Marx présente ce mouvement comme l'une des conséquences de la défaite de l'insurrection de juin 1848 :
« Pour une part, il se jette dans des expériences doctrinaires, banques d'échange et associations ouvrières, c'est à dire dans un mouvement où il renonce à transformer le vieux monde, mais cherche tout au contraire, à réaliser son affranchissement, pour ainsi dire, dans le dos de la société, de façon privée, dans les milites de ses conditions d'existence, et, par conséquent, échoue nécessairement ».

En résumé, sans renversement de la bourgeoisie, les formes coopératives de production et de consommation sont vouées à l'échec, et pire, menacent de détourner le prolétariat de la perspective fondamentale de la prise du pouvoir. Marx s'attaque en fait déjà aux racines du réformisme.

Marx modulera cependant sa critique face à l'essor du mouvement coopératif dans les années 1850, car elles participent comme les premières trade unions à la constitution du prolétariat en classe ; certaines sociétés coopératives adhérant à l'AIT. Dans l'Adresse de 1864 il présente l'expérience coopérative comme une preuve indéniable de la capacité du prolétariat à supplanter la bourgeoisie :
« … il y avait en réserve une victoire plus grande encore de l'économie politique du travail sur l'économie politique du capital. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives, montées, avec bien des efforts et sans aide aucune, par quelques bras audacieux. La valeur de ces expériences sociales ne saurait être surfaite. Par des actions et non par des raisonnements, elles ont prouvé que la production sur une grande échelle, et en accord avec les exigences de la science moderne, peut marcher sans qu'une classe de maîtres emploie une classe de « bras » ; que les moyens de travail pour porter fruit n'ont pas besoin d'être monopolisés pour la domination et l'exploitation du travailleur ; et que le travail salarié, comme l'esclavage, comme le servage, n'est qu'une forme transitoire destinée à disparaître devant les travailleurs associés qui, eux, apporteront à leur tâche des bras bien disposés, un esprit alerte, un cœur réjoui. En Angleterre les graines du système coopératif ont été semées par Robert Owen. Les travailleurs du continent ont tenté des expériences qui donnaient une conclusion pratique à des théories qu'on n'a pas inventées en 1848 mais qu'on a alors préconisées bien haut ». Une résolution sur le travail coopératif va dans le même sens :
« Nous reconnaissons le mouvement coopératif comme une des forces transformatrices de la société présente, fondée sur l'antagonisme de classes. Son grand mérite est de montrer pratiquement que le système actuel de subordination du travail au capital, despotique et paupérisateur, peut être supplanté par le système républicain de l'association des producteurs libres et égaux ».

Le mouvement coopérateur a alors une valeur démonstrative et une portée anticipatrice des capacités de la classe ouvrière à régenter une autre société. Ce salut au mouvement coopératif est cependant assorti d'une mise en garde : « Il y a une autre chose que ces expériences faites entre 1848 et 1864 ont établi sans doute possible : pour excellente qu'elle soit dans ses principes, et si utile qu'elle apparaisse dans la pratique, la coopération des travailleurs, si elle reste circonscrite dans un cercle étroit, si quelques ouvriers seulement font des efforts au petit bonheur et en leur particulier, alors cette coopération ne sera jamais capable d'arrêter les monopoles qui croissent en progression géométrique ; elle ne sera pas capale de libérer les masses, ni même d'alléger de façon perceptible le fardeau de leur misère (…) Donc, la grande tâche des classes travailleuses, c'est de conquérir le pouvoir politique ». La socialisation coopérative généralisée est donc renvoyée après l'insurrection. Marx et Engels tirent à vue sur faux radicaux les Proudhon, Buchez (et son journal l'Atelier) et Lassalle. Il réplique à ce dernier en 1865 :
« l'aide aux sociétés coopératives de la part du gouvernement royal prussien – et quiconque est au courant des conditions de la Prusse en sait d'avance l'insignifiance – est égale à zéro en tant que mesure économique, cependant qu'elle aggrave le régime de tutelle, corrompt une fraction de la classe ouvrière et émascule le mouvement ouvrier ». C'est à cette occasion que Marx, dans sa lettre à Schweitzer de février 1865, lance sa fameuse formule : « l'honneur du parti ouvrier exige qu'il repousse de telles chimères, avant que l'expérience n'en ait démontré l'inanité. La classe ouvrière est révolutionnaire ou elle n'est rien ».

On n'est pourtant qu'au tout début des capacités de l'économie bourgeoise à absorber des échanges commerciaux artisanaux et dispersés avant de fondre cette cacophonie dans le grand marché moderne qui portera le nom de société de consommation et d'inventer cette catégorie massive de petits sous-offs d'industrie et du commerce, les cadres (cf. le système fouriériste « participationniste » qui opère la transition de l'artisan et du plouc en cadre cravaté).

Ce mouvement de coopération ne peut déboucher que sur des pratiques de secte, et Marx est impitoyable en 1871 : « Les ouvriers veulent instaurer les conditions de la production coopérative à l'échelle de la société et tout d'abord à l'échelle nationale. Ce fait ne signifie qu'une chose : les ouvriers travaillent au bouleversement des conditions de production actuelles, elles n'ont de valeur qu'autant qu'elles sont des créations autonomes des travailleurs et ne sont protégées ni par le gouvernement ni par les bourgeois ». Mais l'avenir n'est pas à la généralisation d'une mosaïque d'entreprises autogérées (dont se moqua Bordiga) mais à la mise en commun du travail et des richesses sans qu'ils ne puissent plus appartenir à une classe ; Marx et Engels utilisent le terme de nationalisation dans le sens de dépossession et non pas dans celui chauvin et étriqué de la gauche bourgeoise moderne :

« Transférer la terre à des travailleurs agricoles associés, ce serait livrer toute la société à une classe particulière de producteurs. La nationalisation de la terre (c'est à dire la propriété du sol et son affermage aux coopératives) opérera une transformation complète des rapports entre le travail et le capital, et elle éliminera enfin la production capitaliste dans l'industrie, aussi bien que dans l'agriculture. C'est alors que seulement que les différences entre les privilèges de classe disparaîtront, en même temps que la base économique sur laquelle ils reposent, et la société se transformera alors en une association de « producteurs ».C'est une des leçons les plus méconnues que Marx tire de la Commune de Paris :

« … ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l'impossibilité de perpétuer le système actuel, - et ils sont nombreux – sont devenus les apôtres importuns et bruyants de production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et un piège ; si elle doit évincer le système capitaliste ; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous sa propre direction et mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme du très « possible » communisme ? ».

Marx fait toujours confiance à la spontanéité créatrice de la classe ouvrière et récuse toute recette « pour les marmites de l'avenir ». L'expérience des coopératives ne pouvait être qu'une des formes de transition entre le mode de production capitaliste et le système d'association des industriels bourgeois. Ses colères successives visaient à récuser la précipitation à recommander la coopération comme remède miracle sans renversement de l'Etat : « le socialisme critico-utopique ne peut qu'émousser la lutte des classes ».

Dans les Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand, Marx fustige :
Après la « loi d'airain du salaire » de Lassalle, la panacée du prophète. D'une manière digne on « prépare les voies ». On remplace la lutte des classes existante par une formule creuse de journaliste : la « question sociale » , à la « solution » de laquelle on « prépare les voies ». Au lieu de découler du processus de transformation révolutionnaire de la société, « l'organisation socialiste de l'ensemble du travail résulte » de « l'aide de l'Etat », aide que l'Etat fournit aux coopératives de production que lui-même (et non le travailleur) a « suscitées » . Croire qu'on peut construire une société nouvelle au moyen de subventions de l'Etat aussi facilement qu'on construit un nouveau chemin de fer, voilà qui est bien digne de la présomption de Lassalle !
Par un reste de pudeur, on place « l'aide de l'Etat »... sous le contrôle démocratique du « peuple des travailleurs ».
Tout d'abord, le « peuple des travailleurs », en Allemagne, est composé en majorité de paysans et non de prolétaires.
Ensuite, demokratisch est mis pour l'allemand volksherrschaftlich. Mais alors que signifie le « contrôle populaire et souverain (volksherrschaftliche Kontrolle) du peuple des travailleurs » ? Et cela, plus précisément pour un peuple de travailleurs qui, en sollicitant l'Etat de la sorte, manifeste sa pleine conscience qu'il n'est ni au pouvoir, ni mûr pour le pouvoir !
Quant à faire la critique de la recette [1] que prescrivait Buchez [2] sous Louis-Philippe par opposition aux socialistes français et que reprirent les ouvriers réactionnaires de l'Atelier [3], il est superflu de s'y arrêter. Aussi bien, le pire scandale n'est-il pas que cette cure miraculeusement spécifique figure dans le programme, mais que, somme toute, on abandonne le point de vue de l'action de classe pour retourner à celui de l'action de secte.
Dire que les travailleurs veulent établir les conditions de la production collective à l'échelle de la société et, chez eux, pour commencer, à l'échelle nationale, cela signifie seulement qu'ils travaillent au renversement des conditions de production d'aujourd'hui; et cela n'a rien à voir avec la création de sociétés coopératives subventionnées par l'Etat. Et pour ce qui est des sociétés coopératives [4] actuelles, elles n'ont de valeur qu'autant qu'elles sont des créations indépendantes aux mains des travailleurs et qu'elles ne sont protégées ni par les gouvernements, ni par les bourgeois ».

L'UTOPIE COOPERATIVE BROUILLONNE ET SES VIES ULTERIEURES

Elle est à l'ordre du jour de la plupart des congrès socialistes tant en France qu'en Allemagne
(1876,1878, 1879... et aussi en 1910 à Magdebourg sur lequel je développerai). En France Jules Guesde est très féroce sur cette idéologie de la coopération : « la voie mensongère de la coopération » opposé à Charles Gide et à Jaurès dans son article La Dépêche de Toulouse (24 juillet 1900) où il développe sa position centriste qui imagine possible la fusion de la coopération et du socialisme (texte en annexe, Jaurès à le verrerie ouvrière d'Albi, soutenu par l'ex-communard réformiste Allemane). Les congrès du POF de Guesde condamnent la coopération à partir de leur 3ème congrès (1879) ; en 1880 les coopérateurs dont scission.
Le congrès CGT d'Amiens, c'est le syndicat qui doit être le cadre de production et de répartition « base de la réorganisation sociale ». Le syndicat révolutionnaire rejette l'utopie coopérative (mais dans son inféodation ultérieure à l'Etat bourgeois, le syndicalisme en gardera les « séquelles » : comités d'entreprise, camps de vacances, cogestion de la SS, etc.).

Comme l'a écrit un auteur, la Iie république « a commencé par institutionnaliser la subversion ». Les hauts fonctionnaires ont tout fait pour apporter une aide bienveillante aux coopératives, comme moyen de détourner la classe ouvrière des « dangereuses séductions du socialisme »... mais aussi comme instrument d'intégration ou resocialisation en donnant parallèlement accès à une instruction publique et la possibilité de grimper socialement, de promotion individuelle, pour ce qui allait être nommé une dizaine d'années plus tard les collaborateurs, puis après 1940, les cadres. L'idéologie bourgeoise rattrapait ainsi les coopératives sur le terrain de la gestion de l'entreprise.

(développer sur l'entreprise rationnelle et l'utopie cléricale, jusqu'à l'idéologie de l'entreprise participative)
Aboutissement de l'idéologie consommationniste interclassiste dans les années 1920 avec Charles Gide et Bernard Lavergne.

Fin de la créativité ouvrière ?

L'Almanach de la coopération socialiste (1911) citer le nombre faramineux de coopératives et l'argumentation clairement réformistes de leurs tenants (rapport de Hans Muller au congrès iternational coopératif de Zürich, extraits :

« A l'origine, l'épicerie coopérative est incomplète, mais elle devient peu à peu un magasin confortable muni de provisions de marchandises considérables et variées. Puis elle se ramifie. La société ouvre des succursales dans les différents quartiers de la localité, le nombre des magasins qui viennent se grouper autour de son administration centrale et de son entrepôt principal augmente continuellement. Le petit commerce coopératif est devenu un grand établissement de distribution des denrées alimentaires.
Mais là ne se borne pas son extension. Aux denrées alimentaires viennent s'ajouter peu à peu d'autres objets de première nécessité, pour lesquels il faut créer bientôt des services spéciaux ayant leur administration et leurs établissements propres. Ce sont les services des combustibles, des chaussures, des eaux minérales, etc ., auxquels viennent s'ajouter les boulangeries, les laiteries, les boucheries. Des magasins spécaiux fournissent aux sociétaires les ustensiles de ménage et de cuisine, et les vêtements. Cette extension grandissante conduit parfois à la création de grands magasins coopératifs, où le sociétaire peut aller s'approvisionner de toutes les marchandises dont il a besoin, y compris les meubles, les instruments de tous les genres et les articles de maroquinerie.
(…)
Plusieurs sociétés de consommation (sic) ont même déjà dépassé le cercle d'activité que nous venons de retracer, en s'intéressant à la question du logement, afin de satisfaire dans ce domaine les besoins de leurs membres. Ou bien elles construisent des habitations qu'elles gèrent elles-mêmes, ou bien elles accordent des prêts à leurs membres pour leur faciliter la construction d'habitations propres. Ainsi quelques sociétés de consommation ont même entreprise la fondation de nouvelles villes par la construction systématique d'habitations sur un terrain plus vaste, en régie et avec la collaboration d'un bureau d'architecture et de construction leur appartenant en propre.
(…)
Nous osons donc affirmer que tous les efforts qui tendent à améliorer le régime alimentaire et l'habitation des populations, à relever leurs conditions matérielles, à cultiver leurs besoins intellectuels, à ennoblir les moeurs et les habitudes, ont trouvé des champions dévoués dans les Sociétés de consommation.
L'expérience a démontré que leur activité est capable d'embrasser tout le domaine de la civilisation, et qu'il n'existe pour ainsi dire plus aucun domaine d'intérêt général auquel la Société de consommation ne soit capable de collaborer. Il est donc complètement faux de dire que les Sociétés de consommation ne sont que des associations coopératives qui ont pour but de satisfaire l'estomac de leurs sociétaires à des conditions un peu meilleur marché.
Il est vrai toutefois, que beaucoup de Sociétés de consommation en sont encore toujours à leur premier degré de développement, qu'elles se bornent à exploiter les magasins d'épiceries ; et d'ailleurs, il n'est pas permis non plus de méconnaitre que le mouvement coopératif de consommation, pris dans son ensemble, n'est pas encore sorti de l'enfance.
Bien que son histoire soit vieille de 60 ans et même plus, la Coopération en est sans contredit encore aux débuts de son développement. Elle n'a pas encore atteint le point culminant de sa force et de son expansion, pas même en Angleterre, ni en Ecosse, ni partout où elle est la plus avancée.
(…)
Les adversaires de la Coopération cherchent à amener sur le terrain de la politique, la lutte qui s'est engagée autour des Sociétés de consommation. Aussi sommes-nous obligés de les suivre.
Il ne peut donc y avoir d'abstinence politique complète pour nous. Mais il ne s'ensuit pas non plus que la Coopération de consommation doive prendre le caractère d'une espèce de parti politique, se donner un programme politique à elle. Il suffit pour qu'elle puisse prospérer qu'on la laisse en paix et qu'on ne porte pas préjudice aux droits civiques des consommateurs. (..) C'est dans ce sens que nous pouvons dire de notre mouvement qu'il est au plus haut point un élément de conservation de l'Etat.1


à suivre...

Où vous découvrirez ce qu'était un « magasin de gros », des « syndicalistes coopérateurs », les analyses du député belge Louis Bertrand sur les ambiguïtés de la coopération, le 7e congrès des coopératives allemandes et le travail des prisons, l'attachement des chefs réformistes à la Coopération et la parfaite indifférence de Rosa à ce genre de sujet.








1On est en 1911 et avant cette débâcle, l'esprit ouvrier animait encore par exemple la coopérative nommée « L'avenir du prolétariat » en 1903 à Trélazé, rue de l'Union : « Le magasin d'épicerie a été transformé et de nouveaux rayons ont été établis, car nous tenons essentiellement à ce que tous les camarades s'écartent complètement du commerçant. La buvette a été également installée et les bénéfices qui en découlent servent à alimenter les caisses de chômage et de maladie ». (cf. Almanach de la Coopération socialiste, illustré, 1911, imprimé par L'EMANCIPATRICE (imprimerie communiste).

mercredi 28 septembre 2016

L'OBSTRUCTION SOCIALISTE A LA GREVE GENERALE



ROSA LUXEMBURG SYSTEMATIQUEMENT MISE EN MINORITE AU CONGRES DE MAGDEBOURG (1910)

… Bebel fait une critique très âpre du parti national libéral, qui est le pire ennemi du parti socialiste. « C'est le parti capitaliste, c'est le parti qui a voté toutes les lois contre les socialistes, et c'est avec ce parti que les socialistes badois recommandent de faire alliance ».
« Le bloc badois, dit Bebel, n'a rien fait pour la classe ouvrière. La situation des ouvriers est restée toujours la même, toujours misérable. Il n'est pas admissible qu'une minorité foule aux pieds les décisions des trois congrès. Il se demande quelles mesures on doit prendre contre une telle minorité, quand on pense que des socialistes de l'Allemagne du Nord ont été exclus parce qu'ils n'ont pas participé aux élections ? La révolte de ceux qui ont demandé l'exclusion de ceux qui ont voté contre le budget badois, est donc très compréhensible. Mais lui, Bebel, ne veut pas aller si loin, il se contente de dire que, si le cas se répète, les coupables seront expulsés du parti, sans aucune considération, il prie donc ceux qui demandent l'exclusion de retirer leur réclamation. Mais une question surgit : quelles sont les attributions du parti ? Et pour dissiper toute équivoque, Bebel dit qu'il est décidé de présenter comme résolution, la déclaration suivante : « Le Congrès général du parti est la cour suprême du parti. Comme tel il a le droit incontestable de décider, dès qu'il est convoqué, de toutes les questions du parti, soit de principe, soit de tactique. Il n'y a pas d'organisation ou de personne, qui puisse échapper à la décision suprême du parti. Cette attitude autoritaire du Congrès résulte de ce que la social-démocratie allemande est un parti-unitaire, avec une organisation unitaire, avec un programme commun et avec des fins communes.
Après avoir critiqué les visites des socialistes à la Cour, il conseille à tous de marcher unis, de ne regarder jamais en arrière, mais toujours en avant, en avant !

La Discussion

On décide qu'un orateur de chaque tendance parlera pour ou contre les badois, et non pas pour ou contre la résolution du Comité directeur du parti.
Le président donne lecture d'une déclaration de la fraction socialiste parlementaire du Wurtemberg, admise par 16 membres de la fraction contre 1 :
« La fraction socialiste de la Chambre des députés du Wurtemberg est d'avis, qu'il est dans l'intérêt de l'influence efficace sur les questions de politique de pays, qu'on laisse une liberté d'action dans la question du refus ou du vote du budget, et prie instamment le Congrès de modifier la résolution de Nuremberg dans le sens, que les fractions socialistes aient la facilité de voter le budget, lorsque cela s'impose pour des raisons supérieures ».
Les orateurs pour et contre se succèdent à la tribune jusqu'au soir. Parmi les orateurs contre, il faut mentionner Zubeil, qui critiqua la résolution du comité directeur, disant qu'elle est insuffisante ; il demanda l'exclusion des socialistes badois qui ont voté le budget.
Après avoir occupé la seconde journée, la question du budget prend encore la troisième. Panzer s'élève contre le vote du budget par les badois.
Maurer reconnaît le ton conciliant de Bebel ; mais Bebel lui-même s'est souvent trompé dans ses prophéties, comme tant d'autres. La tactique ne peut pas rester immuable, les masses veulent des résultats positifs pratiques. Tout progrès dans l'Allemagne du sud fortifie la lutte des socialistes en Prusse.

Rosa Luxemburg prétend que les socialistes du sud n'ont apporté aucun argument en faveur du vote du budget. Elle raille avec ironie l'indigence, l'insignifiance des prétendues réformes en Bade de la condescendance des bourgeois et invoque, à ce sujet, l'opinion des députés badois eux-mêmes. Elle provoque des exclamations indignées quand elle rappelle que les Badois ont dû dénoncer les atteintes à la liberté syndicale et politiques commises par les nationaux libéraux, leurs alliés.
Et en supposant même que les réformes eussent été réalisées, elles ne justifient pas le vote du budget, que des bourgeois approuvent du reste parfaitement. Si les ouvriers badois avaient pu se prono,cer en toute liberté, dans cette question, ils auraient répudié leurs élus.
En ce moment, éclate un incident violent. Le président dit que l'oratrice a épuisé son temps de parole, et Rosa Luxemburg le conteste et reste à la tribune.
Les révisionnsites crient : Assez !; les radicaux disent : continuez ! Puis, c'est une avalanche de motions d'ordre. Mais Rosa Luxemburg renonce à la parole.
Heilmann dit que ni les badois ni Rosa Luxemburg n'ont apportés des arguments nouveaux. Il s'agit d'une question de tactique et non de principe ; car, si c'était une question de principe, c'est l'Internationale qui devrait décider.

(…)

Dr Karl Liebknecht reconnaît la différence qu'il y a entre les conditions de L'Allemagne du Nord et l'Allemagne du Sud ; il reconnaît aussi la valeur de l'action pratique des badois ; mais toutes les victoires, tous les petits succès doivent être jugés selon la grandeur de l'idéal socialiste. Les soi-disants radicaux sont les vrais réformistes. L'essentiel est de ne pas oublier que toute la force du parti est dans les masses. La source de notre force, dit Liebknecht, n'est pas dans le parlement. La question essentielle n'est pas, pour Liebknecht, la question du vote du budget, mais la violation de la discipline du parti.

(…)

La Congrès aborde ensuite la discussion du rapport présenté par Noske, sur l'activité parlementaire de la fraction socialiste.
Noske reconnaît que cette activité est presque nulle et qu'il n'a pas grand'chose à rapporter.

(…)

PROTESTATION CONTRE LA PRESENCE DU TSAR

Karl Liebknecht propose au congrès de voter une motion contre la présence du tzar en Allemagne.
Liebknecht dit que c'est un mensonge de prétendre que le tsar n'est pas responsable des atrocités qui se commettent en Russie. C'est lui notamment, qui fut le bailleur de fonds de l'organisation des cent noirs. C'est agalement lui qui fut parjure en déchirant la Constitution de la Finlande à laquelle il avait prêté serment de fidélité.
Le Parti socialiste ne doit pas permettre que le peuple allemand soit souillé par la présence de ce criminel couronné. Il faut qu'une résolution énergique de notre part povoque un tel mouvement de répulsion, que le tsar rouge soit obligé de quitter l'Allemagne, chassé par l'indignation publique.
Le congrès adopte la résolution suivante, par acclamation :

« Le congrès proteste contre l'infâme violation faite au peuple finlandais par le tsarisme, et lui exprime sa fraternelle sympathie dans sa lutte pour la liberté. Il lui garantit les secours et l'assistance du prolétariat conscient d'Allemagne.
Le congrès proteste avec énergie contre la présence en Allemagne du tsar, complice de toutes les atrocités et de toutes les infâmies de la contre-révolution russe, protecteur de Azeff et de la bande d'agents provocateurs, auteur responsable de la persécution des israélites, qui ne cesse de conspirer contre la liberté et l'indépendance du peuple finlandais.
Il est scandaleux qu'un pareil criminel couronné soit reçu par la nation allemande, protégé par les employés et les soldats allemands, entretnus par les contribuables allamands.
Le congrès déclare que la présence du tsar en Allemagne atteint le peuple dans son honneur et que celui-ci exprime au tsar rouge ses sentiments de répulsion.

LE SUFFRAGE UNIVERSEL EN PRUSSE

La congrès aborde la question du suffrage universel en Prusse. Rosa Luxemburg dépose une motion en faveur de la grève générale, signée par 60 délégués. Cette motion dit :

« Le congrès déclare être d'accord avec la décision du récent congrès prussien, disant que la conquête du suffrage universel ne peut se faire que par l'action énergique des masses populaires, qui doivent recourir à tous les moyens et, s'il le faut, à la grève générale. Le congrès déclare nécessaire de répandre par la presse et les assemblées publiques l'idée de la grève générale, comme pouvant être le moyen suprême de conquérir l'égalité politique ».

Une autre résolution, d'ailleurs vite retirée, est présentée par Locle et d'autres délégués qui réclament okus de liberté d'opinion (sic!) à la Neue Zeit pour la propagande de la grève générale.
Borgmann, le rapporteur de la question du suffrage universel, insiste sur les luttes du prolétariat pour la conquête du droit de vote et sur les avantages que ce droit offre au prolétariat ; il demande au congrès de repousser ma deuxième partie de la résolution Luxemburg, c'est à dire la partie où l'on recommande au parti de faire une propagande inlassable pour la grève générale, car sur la grève générale on en a assez parlé au congrès d'Iéna.

Rosa Luxemburg prend la parole pour soutenir sa résolution.
Elle dit que la résolution du comité directeur du parti ne fait que justifier les revendications du suffrage universel, tandis que la résolution présentée par elle complète l'autre, en tirant les conséquences politiques actuelles.
Depuis le dernier congrès prussien, le parti a fait un grand pas en avant. Déjà au congrès prussien, on a parlé d'être prêt à employer tous les moyens, dont la grève générale, pour faire aboutir le droit de vote. Toute la presse de province a discuté vivement la question de la grève. Et cela devait arriver, car les masses se rendent bien compte que seules les démonstrations ne suffisent pas à renverser la réaction. Il faut dire à ces masses qu'il reste encore un moyen, le plus efficae : la grève générale.
Et puis, la lutte ne dépend pas seulement des socialistes. Il ne faut pas oublier les réponses de la police aux démonstrations ouvrières. Le jour des grandes démonstrations, la caserne d'un régiment d'artillerie a été transformée en champ de bataille. Il faut rassurer aux masses qu'elles ne sont pas désarmées en face des provocations honteuses, qu'elles ont une arme précieuse : la grève générale.
Les cercles dirigeants du parti et des syndicats ont une répulsion pour la discussion publique de la question de la grève générale ; ils ont peur qu'à la suite de ces discussions, la grève générale n'éclate du jour au lendemain. On considère la discussion de la grève générale comme une sorte de jeu dangereux ; mais cette conception est tout à fait fausse. On ne peut provoquer artificiellement une grève générale, en en parlant souvent ; elle ne peut éclater que lorsque les conditions, la situation politique, la réclament. La meilleure preuve que les discours ne suffisent pas pour déclarer une grève générale, c'est l'histoire même de la grève générale. Domela Nieuwenhuis et les syndicalistes français ont toujours la grève générale sur leurs lèvres ; ils la propagent comme le moyen suprême contre tous les maux, et pensent pouvoir faire ainsi en 24 heures la révolution sociale.
Aucun homme sensé ne se soucie de la propagande, quand les conditions ne sont pas mûres. C'est maintenant, lorsque nous avons des syndicats patronaux, la tactique du lock-out, les oppositions violentes des classes, que nous voyons çà et là des grèves générales éclater, non pas parce que les socialistes les propagent mais par suite des conditions historiques. La grève générale est un moyen excellent pour léveil de la conscience de classe et pour l'éducation du prolétariat.

(…)

Eugène Ernst dit qu'il n'y a aucun doute sur l'emploi de la grève générale, quand les conditions le demandent. Le comité l'a reconnu comme un moyen de lutte. Mais la grève générale a une trop grande importance pour qu'on puisse la déchaîner sans aucune préparation. Il faut s'entendre avec les syndicats avant de prendre une pareille résolution, car cela serait un acte peu courtois à leur égard. « Précisément parce que nous avons toujours en vue l'éventualité d'une grève générale, nous vous prions de repousser la résolution de Rosa Luxemburg ».
Le président Klüss donne lecture d'une déclaration signée par quelques délégués, qui demandent le rejet de la résolution de Rosa Luxemburg, car le congrès ne peut prendre aucune décision avant de s'entendre avec les syndicats, de qui dépend la réalisation de la grève générale ; l'adoption immédiate de cette résolution ne pourra que nuire aux deux organisations, politique et syndicale.

Dissmann soutient la résolution de Luxemburg, en disant que la protestation des chefs des syndicats est tout à fait inutile, car Luxemburg, elle aussi, dans un journal du pari, a reconnu la nécessité de la collaboration des syndicats pour l'exécution de la grève générale.
Leinert combat la résolution pour la grève générale, car au congrès de Mannheim, on a décidé que les mesures pour la grève générale doivent être prises après un commun accord entre le parti et la commission syndicale. Cette discussion lui semble tout à fait inutile, devant la situation splendide qui s'annonce pour les élections prochaines.
Heine n'est pas contre la discussion de la grève générale, sans être d'accord avec la résolution de Luxemburg.
Clara Zetkin parle en faveur de la grève générale.
Severing : La grève générale doit être discutée entre le parti et la Commission générale des syndicats, et toutes les résolutions présentées avant cette entente doivent être repoussées.
Liebknecht, un des signataires de la résolution présentée par Luxemburg, parle en faveur de la propagande de la grève générale.
Bergmann prend le dernier la parole, pour dire que la deuxième partie de la résolution lui paraît inacceptable.
Avant de procéder au vote, Clara Zetkin déclare que la deuxième partie de la résolution Luxemburg est retirée.
On adopte la résolution du Comité directeur, ainsi que la première partie de la motion de Rosa Luxemburg.

La Coopération

Le rapporteur de la question coopérative, Fleissner (…) La discussion est ouverte. Deux tendances sont en présence, l'une avec Peus, Kalzenslein, Stol défend la thèse que la coopération est unmoyen puissant d'émancipation de la classe ouvrière ; l'autre, avec Wurm, déclare qu'il ne faut pas exagérer l'influence de la coopération.