"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 8 janvier 2021

ASSAUT DU CAPITOLE : L'ETRANGE SILENCE DES GAUCHISTES



Qu'ils soient antiracistes à fleur de peau, syndicalistes dans l'âme ou empathiques avec l'islamisme des pauvres ex-colonisés, les divers clans gauchistes ont hérité de leurs passés staliniens, trotskistes et maoïstes le culte de la violence et de la manifestation de rue dérangeante, avec pour cible la police et encore la police. Sur ce plan les protestataires pro-Trump et divers clowns des sectes néo-fachos ne diffèrent en rien des actions « radicales » gauchistes, sauf que les gauchistes français se sont inclinés depuis longtemps devant le parlementarisme bourgeois le plus crasse et le plus veule ; quoiqu'ils n'aient plus de députés comme du temps des Krivine et Ben Saïd mais juste quelques petits conseillers municipaux. On sait que pour « faire barrage » au « fascisme » inexistant, ils appellent toujours à voter au deuxième tourniquet pour les caciques et les portiques les plus véreux de la gauche bourgeoise.

Le silence depuis deux jours des NPA, LO et diverses sectes du genre est à souligner, pour ceux qui s'attendaient à les voir hurler « Halte au fascisme ». Pour une part, ce silence relève du même mépris avec lequel ils avaient accueilli les débuts de la protestation en vestes jaunes, qualifiant pour faire simple avec leur morgue dirigiste habituelle, les hétéroclites marcheurs en jaune de ploucs et de ramassis de fachos. La différence avec les fans de Trump était qu'il n'y avait pas de leaders mais une myriade de petits arrivistes incultes qui ont fini par inanité politique, et avec la répression policière, par se dissoudre comme mouvement sans perspective cohérente ni crédible, avec en particulier la ridicule requête d'un bonus de démocratie plus blanche que la démocratie bourgeoise, le RIC disparu.

Le gauchisme a depuis ouvert ses bras aux miettes de cette révolte plus poujadiste que fasciste, comme il joue en général le rôle de voiture balai à toutes sortes de protestations ou modes. D'une façon tout à fait secondaire, marginale et anecdotique étant donné l'effondrement du camp classique de la gauche bourgeoise.

Nos gauchistes nationaux n'allaient pas se mettre à poil en criant « Halte à l'attaque des institutions démocratiques ! ». Ils savent très bien, en tout cas les plus expérimentés et retords d'entre eux, que les institutions parlementaires sont une tricherie officielle et historique. Les élections ce n'est pas « une voix, un vote » comme l'a clamé nuitamment le grand démocrate Macron, mais du pognon et de l'entregent. Du pognon, encore du pognon, et des élus déjà corrompus qui décident si toi ou un autre peut se présenter ou pas. Le zigoto qui est élu n'est plus contrôlable toute la durée de son mandat ; mieux s'il quitte le parti politique par lequel il s'est fait élire, il n'a de compte à rendre à personne et il garde son mandat pour continuer à ne représenter que ses propres intérêts carriéristes. Comme l'a constaté jadis un certain Marx, les électeurs sont des sacs de patates. On s'est offusqué que Trump ait négocié avec un sous-fifre régional plusieurs milliers de votes pour damer le pion aux canailles « démocrates » de l'autre camp, mais Trump fait tout haut ce que les autres font tout bas, et bassement, avec poignées de main électorale, distribution de bonbons et de bons mots. Enfin la représentation des classes antagonistes est interdite sur le plan électoral où vous n'avez le droit de défendre que le « peuple », cette baudruche inconsistante qui n'autorise que la représentation de la... bourgeoisie et ses lois.

Hélas Trump, même s'il n'a pas vraiment contrôlé le truc avec sa forfanterie habituelle, il ne s'est pas agi d'une insurrection que la visite inopinée des gilets jaunes à l'Elysée ; la logique sans tête des réseaux sociaux avait fait le boulot. Les manifestants pro-Trump n'imaginaient certainement pas qu'ils allaient pouvoir pénétrer come dans du beurre dans le dôme sacré de la patrie US. A preuve, une fois dedans ils n'ont été capables que de faire des selfies ou de poser assis sur les bureaux des tâcherons de l'appareil politique bourgeois. T'as pas vu mon selfie sous le dôme, wonderful ! Nous en 68, dès qu'on pénétrait dans un lieu officiel, c'était pour tenir une assemblée ! Même les fachos dans les années 30, ils tenaient conciliabules même si c'étaient toujours les chefs qui parlaient.

Nos présumés « fascistes » modernes, y causent pas, y crient et y font des selfies !

Hélas pour ses admirateurs endiablés ou éméchés, Trump s'est doublement ridiculisé, en se dégonflant post festum, penaud en appelant à une transition dans le calme (il n'est pas fou au point d'ignorer qu'au pays des cow-boys, une balle perdue est toujours retrouvée pour tout imbécile obstiné) ; on peut bien le taxer d'Hitler mais c'est un Hitler sans troupes. Deuxièmement Trump est un lâche. Il a envoyé, ou s'est arrogé la paternité d'envoyer les gens au casse-pipe, et n'a pas eu un mot de compassion pour quatre de ses fans abattus par la police (sa police), ni surtout pour la jeune femme de 35 ans, Aschli Babbitt, assassinée par un de ses propres flics et fonctionnaire du démocratique Capitole. Les féministes bourgeoises de la gauche démocratique américaine se sont également tues. On a pourtant tué froidement une petite femme qui avait la bravoure d'un soldat. Elle ne sera pas non plus une nouvelle Horst Wessel pour un mouvement sans cervelle et sans chef, Trump va incarner désormais la lâcheté populiste, mais le populisme lui survivra.

DES REACTIONS bourgeoises pas très outragées :

Les médias ont lourdement, un peu trop lourdement insisté sur l'imprévoyance de forces policières en nombre pour barrer le chemin aux « émeutiers ». Le conseiller es-fascisme du NPA, Richard Seymour y voit surtout un complot ficelé par le facho Trump. Selon un journaliste du New York Time, Macron a sauvé la démocratie américaine :

« La chorégraphie était inhabituelle : le président français Emmanuel Macron, debout devant les Stars and Stripes, déclarait en anglais que « Nous croyons en la force de nos démocraties. Nous croyons en la force de la démocratie américaine. » Et ainsi la présidence de Donald Trump s’achève avec un dirigeant français obligé de déclarer sa foi dans la résilience de la démocratie américaine, un développement remarquable. L'argument le plus important de Macron était assez clair : la foule de loyalistes à Trump à Washington qui tentait de perturber la transition pacifique du pouvoir américain représente également une menace pout toutes les démocraties. La réputation des États-Unis peut être ternie, mais leur identification à la défense mondiale de la démocratie demeure singulière. Ainsi, on a vu une horde en colère, incitée par le président Trump lui-même... ». Un de ses collègues en rajoute une couche : « Trump a toujours été un loup déguisé en loup. En le nommant président de toute façon, les élites républicaines ont contribué à rendre possible l’assaut du Capitole ». Tous les médias professionnels de l'anti-complotisme nous resservent la même théorie... complotiste :

« « Le film circulant sur les réseaux sociaux est celui d’un échec, l’échec de la protection d’un des bâtiments les plus symboliques de la démocratie américaine. On y voit un fin cordon de policiers batailler un peu vainement, acculé aux pieds des marches de marbre à l’ouest du Capitole, contre une foule excitée. La digue rompt brusquement sous la poussée. Un manifestant perce, jaillit en agitant la bannière étoilée dans le dos des forces de l’ordre. Quelques secondes plus tard, un deuxième protestataire le rejoint un drapeau pro-Trump à la main. Puis les émeutiers submergent le dispositif fissuré, noyant les policiers ».

L'Huma erratique du PCF, qui n'arrive pas à reconstruire le mur du stalinisme, et, en cessation de paiement attend le miracle pour ne pas déposer le (triste) bilan politique de la gauche contre-révolutionnaire, ne peut pas plus prendre position que les cliques trotskiennes ; on se rabat sur le commentaire journalistique indolore et laconique :

« Soutenez la police du Capitole et les forces de l'ordre. Ils sont du côté de notre pays. Restez pacifiques!", a tweeté Trump. Puis, dans un court message vidéo, Donald Trump a continué de remettre en cause le résultat de l'élection, disant que le résultat lui a été volé, tout en appelant ses partisans à rentrer chez eux. Mais des dizaines de manifestants pro-Trump étaient toujours présents dans les rues de Washington en début de soirée  au mépris de l'entrée en vigueur du couvre-feu à 18 heures locales. La police a procédé à 52 interpellations, dont 26 dans l'enceinte du Capitole ». Pas un mot sur les quatre personnes assassinées, peut-être parce qu'elles sont blanches, ni sur la lâcheté de Trump.

LE PRURIT DU PICASSO DE LA GAUCHE DECATIE

Mélenchon confirme par contre que lorsque l'on n'a rien à dire, il faut le dire. A défaut d'une pris de position on a une chanson à la Alain Souchon avec presque pas de verbes :

« Les USA organisateurs de putsch, truqueurs d'élections, en proie chez eux à leurs propres méthodes. Justice immanente. Ca s'appelle une tentative de putsch. D'extrême droite. Ni communistes, ni musulmans. Comme en France, le danger pour la démocratie n'est pas là où on le dit", a ensuite ajouté Jean-Luc Mélenchon, sur Twitter, estimant que Donald Trump a transformé les Etats-Unis en "République bananière. Soutien sans condition aux parlementaires des USA. L'extrême droite doit être repoussée et réprimée aux USA, et ses connexions dans le monde mises hors d'état de nuire ».

L'ex trotskien Mélenchon, qui a été formé si longtemps au soutien critique à la gauche bourgeoise, soutient ouvertement le système parlementaire de la bourgeoisie US, celui qui est rejeté majoritairement dans la classe ouvrière américaine, noirs et blancs inclus. La victoire de Biden est autant de la gonflette et une somme d'arrangements électoralistes où, comme pour l'élection de Trump, tout est trafiqué région par région avec généralement une énorme abstention. Derrière les pitreries auxquelles on a assisté, avec cornes, plumes et déguisements il y a un réel dégoût de la mystification démocratique bourgeoise, et pas seulement aux Etats Unis. Cette action à la fois pathétique et clownesque ne fera en tout cas pas baisser la dynamique de ce qui est appelé, avec mépris, populisme. Le populisme n'assassine pas les enseignants parce qu'ils n'enseignent pas les lois inventés du coran, ni n'autorisent le bastion pour les femmes qui veulent vivre à l'européenne.

QUAND LE LIBERTAIRE NPA LAISSE LA PAROLE AU CRETIN RICHARD SEYMOUR

Comme Trump n'est pas Hitler, qu'il n'en a en tout cas ni la garde rapprochée ni la faconde, on se gratte pour comparer quelques abrutis moustachus qui circulent en Harley Davidson et avec la bannière étoilée, avec le fascisme « compétent ».

Le titre de la revue A Contre Temps du sieur Seymour est ceci :

« Un fascisme incompétent est-il encore du fascisme ? Sur l’offensive de l’extrême droite au Capitole » 1

Où l'on voit que les gauchistes sont désormais un peu gênés aux entournures , et aux encablures, pour qualifier à tout va des protestations qui leur échappent dans leur petite tête de girafe trop éloignés du sol. C'est quoi le « fascisme incompétent », formule qui a séduit tout le comité de rédaction du PNA ? Un fascisme immature ? Un fascisme sans expérience ? Mais c'est quand même une « offensive de l'extrême droite », or, selon le mantra gauchiste moyen, extrême-droite = fascisme.

Avant d'en rire, voyons l'entrée en matière du conseiller es-fascisme du NPA :

« La tentative désespérée d’aujourd’hui [mercredi 6 janvier, NDT] de subvertir l’ordre constitutionnel libéral va probablement échouer, ce qui reflète en grande partie l’état d’inachèvement de cette phase du développement du fascisme. Ces dernières années, nous avons assisté à des tentatives spéculatives, à des incursions expérimentales, contribuant à créer les conditions culturelles et organisationnelles préalables à la légitimation d’une droite extra-parlementaire violente ».

L'incursion des « émeutiers », « provoquée » par Trump , n'aurait pas pu avoir lieu sans la connivence de la police. En tout cas c'est raté la connivence car la police trumpienne a tué.

Le petit Seymour doit être capitaine de pédalo pour imaginer un double jeu de Pentagone, poussé par Trump à laisser organiser un nouveau « putsch de la Brasserie » (comique comparaison avec le putsch d'Hitler qui lui n'était pas entouré de hippies, et dont les affidés se livraient à des exactions autrement plus graves, comportant des assassinats de communistes et de juifs. Il nous sort de sa pochette à cervelle gauchiste une « dialectique de la radicalisation mutuelle », pour faire joli et un tantinet intello.

Mon hypothèse est évidemment que le Pentagone a temporisé sous la pression de Trump, afin d’offrir à ses petits amis une reconstitution plus complète du Putsch de la Brasserie. Heureusement nous dit Seymour que les résultats n'ont pas été serrés, et il se félicite de ce qu'une masse de votant ait en quelque sorte rendu incompétent le fascisme (supposé) : « le résultat électoral était suffisamment net pour être démoralisant pour la base de Trump ». Le « putsch desesperado » aura de beaux jours devant lui :

« Cependant, le courant de colère sous-jacent, le mythe de la trahison (« notre vote a été volé ») et la réalité alternative élaborée par Trump et largement partagée par les électeurs républicains, vont être alimentés dans les années à venir par une industrie de « désinfodivertissement » (disinfotainment) d’extrême droite élaborée et habile ».

Heureusement et cela donnera du grain (antifa) à moudre pour tous ses lecteurs gauchistes. L'extrême droite étant « si habile ». Passons maintenant du fascisme incompétent au « fascisme inachevé » :

« Les principaux secteurs en croissance, à partir de là, seront deux forces : les tireurs « loups solitaires » et les groupes conspirationnistes armés ». (…) Il s’agit de fascisme inachevé, du fascisme dans sa phase expérimentale et spéculative, dans laquelle se forme une coalition de forces populaires minoritaires avec des éléments de l’exécutif et de l’aile répressive de l’État. Il serait terriblement stupide, d’une complaisance incroyable, d’attendre de la démocratie états-unienne qu’elle reste suffisamment stable dans les années à venir pour refuser à ce fascisme naissant de nouvelles possibilités de se solidifier et de se développer ».

Le type se prend à l'évidence pour le Marceau Pivert de l'ère covidienne de la décadence capitaliste. Il met en garde les (maigres) troupes gauchistes : ne pas avoir d'illusions sur la capacité de la bourgeoisie de vraiment combattre le fascisme :

« Ne me dites pas que la bourgeoisie américaine ne soutiendra jamais le fascisme parce que la démocratie libérale fonctionnerait suffisamment bien. Ne me dites pas que le fascisme ne prendra pas pied dans une société où la gauche est faible depuis des décennies et où une grande partie du mouvement ouvrier est presque en état de mort clinique. Ces points sont hors sujet ».

Il parle au nom de quoi et de qui ce type ? Il est ignare en histoire et un vrai incompétent sur la nature, l'apparition et le développement du fascisme. Il s'appuie sur cette pauvre Clara Zetkin, qui fût loin d'être une lumière en marxisme et en théorie révolutionnaire, à part d'avoir peut-être tricoté un pull à Rosa Luxemburg. Selon Zetkin, dit-il, le fascisme s'attrape comme la covid en milieu paumé « les sans-abri politiques, les déracinés sociaux, les indigents et les désillusionnés ». Et d'ajouter le résumé du creux de la pensée gauchiste, faite d'affirmations illogiques et d'ignorance, et avec l'injonction de combatre des moulins à vent :

« ...(le fascisme) n’a pas besoin d’un communisme fort pour réagir : l’hypothèse d’Ernst Nolte était erronée. Il y a un besoin urgent d’un mouvement antifasciste aux États-Unis ».

C'est bête à pleurer. Le fascisme fût d'abord un produit de la guerre mondiale capitaliste comme revanche nationale désignant l'étranger (surtout juif) comme l'ennemi principal. Il est financé par la bourgeoisie démocratique américaine (Ford et Cie), en Allemagne ce ne sont pas des clochards qui s'agrègent autour de Hitler mais des généraux et des grands bourgeois. Après la trahison de la gauche bourgeoise de l'époque, il vient renforcer la contre-révolution en désignant le communisme comme le principal ennemi, et gagnant une partie des masses car le stalinisme était tout le contraire du communisme et, pour reprendre ses termes abscons, « dans une dialectique de la radicalisation mutuelle » le nazisme et le stalinisme (avec les trotskistes à ses côtés) ont piégé et muselé le prolétariat mondiale dans leurs mâchoires de terreur. De grands historiens comme Nolte l'ont souligné, peut-être moins bien que la gauce communiste maximaliste, mais ont reconnu ce fait que les négationnistes modernistes comme Seymour, Besancenot et autres Löwy, contestent ignoblement en priorisant le combat contre les ombres du passé et non pas la duplicité démocratique capitaliste.

Quant à la faiblesse présumée actuelle du prolétariat par ces pitres gauchistes, ils n'en voient que la queue. Le prolétariat mondial a été bien plus faible et désarmé politiquement dans les années 1930, sinon il n'aurait pas pu être endigué dans un nouveau massacre. C'est la gauche qui partout a mené le prolétariat à se soumettre au sacrifice de la guerre, en particulier depuis l'Espagne. Aujourd'hui, alors que partout éclatent régulièrement des émeutes, qu'il va s'en produire de plus en plus, et plus significatives que les grèves ordinaires corporatives, ou le mythe de la grève générale, que les gouvernements de droite ou de gauche tentent de repousser de graves échéances, les idéologies de minorités gauchistes marginales, non représentées dans les principales instances politiques bourgeoises, sont les valets de la démoralisation pour combattre des ombres, ou des gangs secondaires, mais pas pour contribuer à renforcer la lutte de classe avec un projet alternatif cohérent contre l'Etat et pour un avenir autre que les radotages antifas. Les énervés du Capitole comme les excités gauchistes ne sont qu'un sous-produit de l'implosion capitaliste. Le pire est à venir mais ce ne sera pas un nouveau fascisme.

1Richard Seymour, publié en une du site du NPA Source : Contretemps-web


JUSTE POUR RIGOLER LISEZ DONC LA VERSION GAUCHISTE TYPIQUE ET COMPLOTISTE MAIS ILLUSTRANT  PARFAITEMENT  la débilité des figurants gauchistes (et c'est publié sans commentaire par un ancien de LO déguisé en papy gilet jaune à Poitiers):

"L'insurrection fasciste à Washington D.C. – la prise d'assaut du Congrès américain, la dispersion paniquée de sénateurs et de membres de la Chambre terrifiés, le retard de la validation officielle de la majorité de Joseph Biden au Collège électoral, et même l'occupation des bureaux de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi – marque un tournant dans l'histoire politique des États-Unis. (...)
Ce qui s'est passé hier est le résultat d'une conspiration soigneusement planifiée. Donald Trump l’a initiée, de mèche avec une bande de conspirateurs fascistes stratégiquement positionnés à la Maison Blanche et dans d'autres institutions, départements et agences puissants de l'État. (...)
Une majorité de représentants républicains et un nombre important de sénateurs républicains ont orchestré le débat politique de mercredi au cours duquel la légitimité du vote du Collège électoral a été contestée, afin de fournir le prétexte nécessaire au soulèvement droitier projeté. Le signal final de la prise d'assaut du Capitole a été donné par Trump lui-même. Il a livré une harangue insurrectionnelle à ses partisans, qui – on peut en être certain – étaient dirigés par des éléments ayant une formation policière, militaire ou paramilitaire. (...)
La réponse du Parti démocrate au coup d'État a été une lamentable démonstration de couardise politique. Les premières heures de l'insurrection se sont écoulées sans qu'un seul dirigeant démocrate de premier plan ne dénonce clairement la conspiration, ni n'appelle à la résistance populaire contre le coup d'État. L'ancien président Obama et les Clinton, qui sont suivis sur Twitter par des millions de personnes, sont restés silencieux toute la journée. (...)
Les appels à "l'unité" avec les conspirateurs préparent la prochaine tentative de coup d'État fasciste. (...)
La réponse des démocrates à la conspiration fasciste n'est pas dictée par la simple lâcheté ou la stupidité. En tant que représentants de l'oligarchie financière, ils craignent que la révélation de la conspiration criminelle et de ses objectifs politiques n'entraîne une réaction de masse au sein de la classe ouvrière, qui se transforme en mouvement contre l'État capitaliste et les intérêts qu'il sert. (...)
Les travailleurs ne peuvent accorder aucune confiance à une future administration Biden, à supposer que son investiture ne soit pas bloquée par un nouveau soulèvement, pour établir les responsabilités des conspirateurs et défendre la démocratie.
Il ne faut jamais oublier que Biden et les démocrates ne sont rien de plus qu'une autre faction politique de la même classe dirigeante. Comme l'a dit Obama après l'élection de Trump, le conflit entre les Démocrates et les Républicains n’est qu’une «mêlée amicale», c’est à dire une rixe entre membres de la même équipe. (...)
Le danger n'est pas passé.
Il est essentiel de construire un réseau de comités de base dans les usines et les lieux de travail, capables d'organiser une large résistance populaire par la mobilisation de toutes les sections de la classe ouvrière.
Avant tout, les travailleurs doivent comprendre que la désintégration de la démocratie américaine procède de la crise du capitalisme. Dans une société déchirée par des inégalités sociales stupéfiantes, il est impossible de préserver la démocratie.
Tirez les leçons du 6 janvier !"

dimanche 3 janvier 2021

Le mythe GREVE GENERALE branlette à GAUCHISTES



« J’ai bien le droit de dire qu’il y a là un artifice de révolution ».
 Il ne suffira pas de poser d’abord la grève générale pour en faire ensuite réussir la révolution. D’ailleurs, et c’est là surtout qu’est l’illusion d’un grand nombre de militants, il n’est pas démontré du tout que la grève générale, même si elle prend en effet un caractère révolutionnaire, fasse capituler le système capitaliste. La grève générale, impuissante comme méthode révolutionnaire, n’en est pas moins, par sa seule idée, un indice révolutionnaire de la plus haute importance.  Mais la classe ouvrière serait dupe d’une illusion funeste et d’une sorte d’obsession maladive, si elle prenait ce qui ne peut être qu’une tactique de désespoir pour une méthode de révolution ». 

Jaurès 1901

« Or, il faut bien en convenir, le mot révolution, évocateur des vieux modes de révolte, n'a plus le don d'émouvoir nos adversaires de classe. Contre une éventualité de ce genre, ils ont pris tant de précautions que leur sécurité paraît désormais assurée ».

Aristide Briand 1901

SUIVI de "L'exégèse révisionniste" de Sidney Hook"

Aucune grève générale n'a amené une révolution ni empêché les guerres mondiales, mais je veux bien qu'on me le démontre. Le slogan « Grève générale » tagué à tout bout de champ par n'importe quel anarchiste ou gauchiste révisionniste est creux et historiquement creux. Seuls des ignorants peuvent faire croire à un caractère révolutionnaire d'un tel slogan qui habite encore la conscience étroite de générations de gauchistes simplistes. Le concept de grève de masse, véhiculé par Rosa Luxemburg et imité par ce qu'on nomma longtemps l'ultra-gauche de classe, puis maximalisme, n'est pas différent non plus de la notion mystifiante de grève générale, c'est la même chanson d'un grand soir qui paralyserait tout et par magie ouvrirait la voie à la société sans classes.

Un peu d'histoire sur cette vieille et longue mystification qui a toujours conduit la plupart de ses tenants acharnés à se mettre au service de l'Etat bourgeois comme le fameux Aristide Briand caché derrière sa grosse moustache.

A la toute fin du 19e siècle, en France, le parti socialiste s'était doté d'un « Comité de la Grève Générale ». Le futur ministre du gouvernement de la Défense nationale en avait fait son cheval de bataille :

« Camarades,

Malgré une opposition acharnée, et pour ainsi dire systématique, la conception de la Grève générale avait fait, sous l'influence des décisions corporatives, de tels progrès dans le monde des travailleurs syndiqués, que le Congrès général du ¨Parti Socialiste a dû se décider à donner son adhésion quasi-unanime à ce mode d'action révolutionnaire.

Il a compris que le prolétariat, las des vagues formules déclamatoires, des vaines protestations révolutionnaires, exigeait maintenant autre chose que des mots.

Le Comité de la Grève générale, fondé de pouvoir des Congrès nationaux ouvriers, croit avoir le droit de se féliciter d'un tel résultat auquel sa propagande active, incessante, n'a certes pas été étrangère.

En prenant la résolution de publier le discours prononcé par le citoyen ARISTIDE BRIAND devant le congrès du Parti socialiste, le Comité est certain de répondre au désir que lui ont maintes fois manifesté les militants de posséder une brochure sur la Grève générale où pourrait s'alimenter leur propagande.

Tous les travailleurs savent le zèle infatigable avec lequel, sans se laisser rebuter un seul instant par les attaques passionnées de ses adversaires, le citoyen ARISTIDE BRIAND, qui s'était fait le champion de cette idée a, par la plume et la parole, mené campagne en faveur de la Grève générale. Son discours devant le Congrès du Parti socialiste était déjà un exposé clair, précis et éloquent, de tous les arguments qui militent en faveur de ce mode d'action révolutionnaire ».

La plaidoirie généraliste du futur ministre de la Guerre :

«… Je fais, dès à présent, cette déclaration que je ne suis pas, sur ce point à l'ordre du jour, en


communion d'idées avec tous mes camarades de l'organisation à laquelle j'appartiens... Je ne suis pas partisan de la grève, j'entends de la grève partielle. Je la juge néfaste, et même quand elle donne des résultats, je considère qu'ils ne compensent jamais les sacrifices consentis. La grève partielle est presque toujours vouée à l'impuissance, parce que les ouvriers engagés dans un conflit ne se trouvent jamais, en réalité, aux prises avec des patrons isolés. Les travailleurs en grève sont bien réellement isolés, eux, même quand ils ont l'aide morale et matérielle du prolétariat. Qu'est cet appui à côté de celui que trouvent les patrons auprès des pouvoirs publics ? Le patron n'est jamais seul ; il a toujours avec lui, pour lui, tous les moyens de pression dont dispose sa classe, l'ensemble des forces sociales organisées : magistrature, fonctionnaires, soldats, gendarmes, policiers (Vifs applaudissements.)

(…) J'attends que les adversaires de la grève générale viennent exposer les raisons qui leur ont, dès l'origine, fait considérer cette idée comme une utopie. Je considère, moi, qu'elle est au contraire, essentiellement pratique. (…) C'est du reste, dans cet esprit que, pour la première fois, au Congrès corporatif de Marseille, fut votée, en 1892, l'organisation de la grève générale ».

Briand regrette ensuite que Jules Guesde et Paul Lafargue (et aussi Jaurès) aient combattu l'idée de grève générale comme utopique et décevante.

« … Je prévois qu'on me fera cette objection : « Mais si la Grève générale, c'est la Révolution, pourquoi ne pas aller droit au but, en préconisant directement la Révolution ? ». D'autres diront : « La Révolution ne s'organise ni ne se décrète, elle ne dépend pas de la volonté des individus ; elle est le résultat de circonstances, le point culminant de l'évolution : elle s'impose aux hommes... ». Vous voyez que je n'essaie pas d'esquiver les difficultés de la discussion.

Je conviens, citoyens, que la Grève générale, la Révolution, ne peuvent être décrétées d'avance pour une date ferme ; je conviens que la Révolution, malheureusement, ne dépend pas de quelques bonnes volontés, sans cela, il y a longtemps que vous l'auriez faite. Je ne nie pas le rôle prépondérant de l'évolution et des circonstances » (Vifs applaudissements).

(…) Les travailleurs comprennent que la révolution de demain, celle qui émancipera le prolétariat, ne peut être efficacement tentée par les vieux procédés révolutionnaires. Non pas, camarades, que je les réprouve. Je suis de ceux qui se feront toujours scrupule de décourager les bonnes volontés sous quelques formes elles se manifestent1. Allez à la bataille avec le bulletin de vote si vous le jugez bon, je n'y vois rien à redire. J'y suis allé, moi, comme électeur, j'y suis allé comme candidat, et j'y retournerai sans doute demain. Allez-y avec des piques, des sabres, des pistolets, des fusils : loin de vous désapprouver, je me ferai un devoir, le cas échéant, de prendre une place dans vos rangs (…) La réussite d'une révolution, à quoi tient-elle ? (…) Eh ! Oui, citoyens, si la Commune a été vaincue, c'est surtout parce qu'elle a été isolée dans Paris (Applaudissements). Avec la Grève générale, un pareil inconvénient n'est pas à craindre. C'est presque simultanément, sur tous les points du territoire, que la bataille s'engagerait. La mobilisation des travailleurs serait aussi rapide que celle des soldats (sic ! JLR), et c'est partout à la fois que la bourgeoisie aurait à faire face au danger ».


JAURES CONTRE L'AUTOMATISME GREVEGENERALISTE


Si le ponte socialiste Briand considérait déjà les travailleurs comme des soldats, ce ne fût jamais le cas de Jaurès. Sur un apport de la conscience de l'extérieur, Jaurès écrit par contre en 1901 : « S’imaginer qu’une révolution sociale peut être le résultat d’un malentendu, et que le prolétariat peut être entraîné au delà de lui-même, c’est, qu’on me passe le mot, un enfantillage. La transformation de tous les rapports sociaux ne peut être l’effet d’une manoeuvre »2.

Jaurès ridiculise ainsi par avance, et involontairement, la formule contestable (quoi qu'un peu trop contestée par nos ennemis) du Lénine de 1903 - « la conscience de classe apportée de l'extérieur du prolétariat par des intellectuels bourgeois ». Notons au passage que la plupart des historiens, pour ne pas dire tous, et en tant qu'histrions ignorants, ainsi que les pamphlétaires anti-communistes primaires, ont toujours ciblé Lénine sur cette formule sans rappeler qu'il l'a remise en cause peu après, disant qu'il s'était mal exprimé3, et visait une période dépassée de la lutte des classes. Je pense être le seul à avoir opéré cette rectification mais hélas seulement dans les débats internes dans le CCI au cours des années 1980. La classe exploitée n'a pas eu besoin au niveau mondial qu'on lui explique comment elle était exploitée, mais à travers sa rectification (face à Martynov je crois), Lénine maintenait le fond de la question : sans organisation pas de révolution. Les radotages formels et superficiels des historiens de pacotille sur les hypothétiques relations prolétariat/intelligentsia relevaient de l'enculage de mouche et d'esquiver une autre question, plus troublante pour le persistant trade-unionisme conseilliste, la prééminence théorique du parti sur l'économisme syndical. Comme vous l'expliquera très bien, par après, Sidney Hook montre que le syndicalisme fût à l'origine un embryon d'organisation de classe, mais qui, comme le déplora Lénine, resta sur le terrain économique et vira à l'anti-politique ; chose qui est encore plus criante de nos jours dans une situation d'implosion de la société où tous les défauts antérieurs et historiques du syndicalisme se répètent en tournant en rond, avec confirmation de leur fonction officielle de sabotage professionnel de la lutte de classe, en agitant bien sûr le mythe de la « grève générale » qui ne vient jamais et ne viendra jamais4.

Jaurès avait aussi en tête comme Lénine le souci de la prééminence théorique et politique du parti.

Il écrit à la même époque, quelques mois après de discours de Briand  :

« Mais, ici, il ne faut pas d’équivoque. Il ne faut pas s’imaginer que le mot de grève générale a une vertu magique et que la grève générale elle-même a une efficacité absolue et inconditionnée. La grève générale est pratique ou chimérique, utile ou funeste, suivant les conditions où elle se produit, la méthode qu’elle emploie et le but qu’elle se propose.

Il y a, à mon sens, trois conditions indispensables pour qu’une grève générale puisse être utile : — 1° il faut que l’objet en vue duquel elle est déclarée passionne réellement, profondément, la classe ouvrière. — 2° il faut qu’une grande partie de l’opinion soit préparée à reconnaître la légitimité de cet objet. — 3° il faut que la grève générale n’apparaisse point comme un déguisement de la violence, et qu’elle soit simplement l’exercice du droit légal de grève, mais plus systématique et plus vaste, et avec un caractère de classe plus marqué ».

«(...) Enfin, je dis que si la grève générale est présentée et conçue non comme l’exercice plus vaste et plus cohérent du droit légal de grève, mais comme le prodrome et la mise en train d’une action de violence révolutionnaire, elle provoquera d’emblée un mouvement de terreur et de réaction auquel la fraction militante du prolétariat ne suffira point à résister.

C’est pourtant à cette conception que se sont arrêtés quelques-uns des théoriciens de la grève générale. Ils croient que la grève générale des corporations les plus importantes suffira à déterminer la révolution sociale, c’est-à-dire la chute de tout le système capitaliste et l’avènement du communisme démocratique et prolétarien.

Mais y a-t-il ainsi des chances de succès ? Je ne le crois pas. D’abord, la classe ouvrière ne se soulèvera pas pour une formule générale, comme serait l’avènement du communisme. L’idée de révolution sociale ne suffira pas à l’entraîner. L’idée socialiste, l’idée communiste est assez puissante pour guider et ordonner les efforts successifs du prolétariat. C’est pour s’en rapprocher tous les jours, c’est pour la réaliser graduellement qu’il s’organise et qu’il lutte. Mais il faut que l’idée de révolution sociale prenne corps dans des revendications précises pour susciter un grand mouvement.

Pour décider la classe ouvrière à quitter en masse les grandes usines et à entreprendre contre toutes les forces du système social une lutte à fond, pleine d’inconnu et de péril, il ne suffit pas de dire : communisme ! Car immédiatement les prolétaires demandent : « lequel ? Et quelle forme aura-t-il demain si nous sommes vainqueurs ? » et ce n’est pas pour un objet trop général et d’un contour trop incertain que se produisent les grands mouvements. Il leur faut un point d’appui solide, un point d’attache précis ».


L'EXEGESE REVISIONNISTE5

par Sidney Hook

traduit de l'allemand par Mario Rietti

Les premières réactions critiques à l'orthodoxie marxiste officielle se manifestèrent en France. Ici fleurissaient encore les traditions de Blanqui, de Proudhon et Bakounine. Elles étaient renforcées vers la fin du siècle par l'existence d'un parti socialiste dont l'aile gauche était partagée, comme le parti allemand, entre une phraséologie révolutionnaire et une action réformiste, et dont l'aile droite fournissait régulièrement des ministres et des gouvernements bourgeois de coalition. La forme républicaine du gouvernement, l'existence dans la bourgeoisie d'une couche radicale conduisant la lutte contre le cléricalisme, les derniers vestiges de l'idéologie de la révolution française et du socialisme petit-bourgeois de 1848 obscurcissaient dans l'esprit de nombreux socialistes la différence pratique fondamentale entre un parti du prolétariat et les autres partis.

Les syndicats, cependant, bataillant sur le front économique, étaient forcément obligés de ne pas perdre de vue l'issue principale de la lutte de classe. Ils cherchaient de se libérer des éléments des classes non ouvrières et à arriver à un mouvement socialiste prolétarien pur (le socialisme ouvrier). Le syndicalisme représentait la théorie et la pratique de ce mouvement. Il craignait tellement les dangers du parlementarisme qu'il se borna à organiser l'action économique directe qui prenait naissance dans la lutte spontanée des syndicats possédant une conscience de classe. Toutes les activités politiques étaient laissées de côté. Le pouvoir devait être conquis par la seule arme de la grève générale. Anti-intellectualistes de principe, en signe de protestation aussi bien contre la direction arriviste du parti socialiste que contre l'entière conception de conduite politique et théorique du dehors, ils ne développèrent aucune théorie systématique. Ils recherchaient l'unité dans la pratique empirique de la grève offensive et défensive. Bientôt, cependant, ils acceptèrent officieusement une formule de leur position établie par un groupe d'intellectuels « anti-intellectualistes », parmi lesquels Sorel, Lagardelle et Pelloutier (qui était aussi un fonctionnaire important) étaient les plus éminents. Ce fut Sorel un « vieux » marxiste, qui tenta d'établir les bases théoriques du mouvement.

Si Bernstein fut conduit à une révision du marxisme par l'acceptation de l'action politique actuelle des partis socialistes, Sorel entreprit de réviser Marx en partant d'un rejet complet de cette action politique. Même avant que les critiques eussent été connues à l'étranger, Sorel avait décidé de (cf. Matériaux d'une théorie du prolétariat), tâche qui dut être temporairement interrompue pendant l'affaire Dreyfus, mais à laquelle Sorel se consacra de nouveau ardemment lorsque, vers la fin du siècle, l'opportunisme politique ressuscita en France.

La position de Sorel et de ses disciples par rapport à Marx a été malheureusement mal comprise. L'impression courante (mise en circulation par les « orthodoxes ») que le syndicalisme était ouvertement anti-marxiste dans son origine, dans ses intentions et dans son action pratique, n'a aucun fondement. Il ne s'opposait pas tellement à Marx qu'à l'usage que l'on faisait de son nom. Sorel partagea longuement avec Labriola la réputation d'être l'esprit philosophique dominant parmi les marxistes. Cependant, épouvanté par les excès du ministérialisme parlementaire et par la vague du réformisme syndical en Allemagne, Sorel répudia les illusions pacifistes de Jaurès, et les formules endormantes et ambiguës de Kautsky comme également étrangères à la signification du Marxisme. Il combattit spécialement le fétichisme de la non-violence auquel étaient liés tous les leaders de la social-démocratie européenne à l'exception des Russes. Le marxisme, disait Sorel, c'est la théorie et la pratique de la lutte des classes. Puisque le principe de la lutte de classe a été pratiquement abandonné, sauf dans le mouvement syndical, seul le syndicalisme révolutionnaire peut être considéré comme le vrai héritier du marxisme. En vérité on trouve des critiques sans grande importance de la théorie marxiste éparpillée dans tous les écrits de Sorel ; mais partout où il parle de la décomposition du marxisme, il se réfère explicitement à la pratique réformiste et à la littérature apologétique du marxisme officiel. De Marx lui-même Sorel écrivit dans son œuvre la plus importante : « On ne peut fournir une meilleure preuve du génie de Marx que l'accord remarquable existant entre ses vues et les doctrines que le syndicalisme révolutionnaire est en train de construire aujourd'hui, lentement et laborieusement, en se tenant toujours strictement à des tactiques de grève » (cf. Réflexions sur la violence).Dans ses attaques contre les socialistes parlementaires et d'Etat à droite, et contre les groupes anarchistes et leur désir de l'autorité à gauche, Sorel pouvait justement se prétendre continuateur de Marx ; mais son oubli des critiques continuelles de Marx au sujet du cri : « pas de politique » des Proudhoniens et des Bakouninistes était si ouvert qu'il touchait presque à l'affectation. Puisque ces derniers étaient des anarchistes, prétendait Sorel, ce qui était vrai contre eux, ne pouvait pas aussi être vrai contre ceux qui, comme lui, les condamnait. Plus intéressante encore à cet égard est la note d'iconoclasme culturel qu'il fait retentir dans son insistance au sujet de la lutte de classe, note qui fut reprise par le mouvement international des travailleurs seulement après la Révolution russe. Les conflits économiques et politiques entre la bourgeoisie et le prolétariat sont en même temps des conflits culturels. Deux civilisations, dont les valeurs fondamentales ne peuvent être arbitrées par un appel à un devoir social objectif, s'affrontent dans un combat mortel. Il n'y a même pas un intérêt commun significatif à la lumière duquel ces revendications, qui se heurtent, puissent de façon désintéressée servir comme intérêts partiaux. Sorel rappelle à ceux qui veulent planer au-dessus de la mêlée pour avoir une vision plus large, que le devoir a une signification seulement « dans une société dans laquelle toutes les parties sont intimement liées et responsables les unes envers les autres ».

Sorel ne se contenta pas de souligner l'efficacité du sentiment révolutionnaire en tant qu'instrument. Il développa aussi une « logique » du sentiment sur le modèle bergsonien. C'était ce courant anti-intellectualiste de Sorel qui non seulement fît éclat dans les salons catholiques de la IIIe République, mais lui coûta bientôt le soutien des masses syndicalistes dans les intérêts desquelles il avait été élaboré. L'expression classique de l'irrationalisme doit être retrouvé dans sa théorie du « mythe ». Selon Sorel, un mythe est toute notion générale, croyance ou imagination qui conduit les hommes à une grande action sociale.

« Les hommes qui participent à un grand mouvement social se figurent toujours leur action future comme une bataille dans laquelle leur cause doit triompher...

« Je propose d'appeler « mythes » ces constructions dont la connaissance est si importante pour l'historien...

« La « grève générale » syndicaliste et la « Révolution catastrophique de Marx sont de tels mythes ».

Mais comment peut-on comprendre des « mythes » semblables ? Par une analyse attentive ? En distinguant entre ce qui est description et ce qui est prophétie ? En séparant les conséquences probables de l'action des conséquences désirées ? L'intuition le défend !

Un « mythe » n'est pas quelque chose qui puisse survivre à une analyse. C'est un manque d'intelligence que d'essayer de l'analyser. « Il doit être pris comme un tout, comme une forec historique ». N'est-il pas équivalent de caractériser le mythe de la grève générale comme une utopie ? Non pas ; la construction utopiste est le troisième membre de cette trinité d'abstractions viciées dont les deux autres membres sont le compromis socialiste et l'intransigeance anarchiste. Des utopies agissent avec des idées qui peuvent être discutées et réfutées ; un mythe, au contraire, est une émotion qu'on peut seulement traduire par l'action.


C'était sur cette fantaisie sur un thème de Bergson que l'on invitait le mouvement socialiste à mettre sa vie en jeu.

Par une pure violence intellectuelles, on transforme Marx de théoricien en poète de l'action sociale ; ses analyses rationnelles sont traduites en intuitions romantiques ; ses tentatives d'expliquer le processus de la production en une confirmation indirecte des mystères de la création.

« Aucun effort de la pensée, aucun progrès de la connaissance : aucune induction naturelle ne pourra jamais dissiper le mystère qui enveloppe le socialisme, et c'est parce que la philosophie de Marx a reconnu pleinement cet aspect du socialisme qu'elle a acquis le droit de servir comme point de départ de la recherche socialiste ».

Cette glorification de la violence incarnée dans la grève générale avait une influence éclaicissante dans l'atmosphère brumeuse du bavardage parlementaire. Elle ramena les « partisans de la légalité à tout prix » à la conscience d'eux-mêmes et les força à confesser ouvertement ce qu'ils s'étaient déjà confessés en secret, c'est à dire qu'ils désiraient constituer une nouvelle administration et non point créer une nouvelle forme d'Etat. Mais le syndicalisme ne pouvait apporter par lui-même une méthode spécifique qui aurait permis de détruire le vieil Etat, à part celle qui consistait à prétendre l'ignorer. La grève générale, qui était proposée comme panacée tactique, n'était qu'une conception hautement abstraite. La grève générale était considérée comme une arme technique qu'on pouvait employer à volonté au lieu d'une réaction politoco-économique contrôlée, provenant d'une situation historique concrète. On la prenait pour un simple acte économique isolé au lieu d'une phase d'un processus politique révolutionnaire. Les syndicalistes ne comprenaient pas qu'une grève générale ne pouvait à elle seule produire une situation révolutionnaire ; son efficacité dépendait au contraire de ce qu'elle se produisait ou non pendant une situation révolutionnaire. Le manque de pensée dialectique se vengeait de nouveau d'eux en les conduisant dans une position qui, en pratique, n'était pas différente de celle de leurs adversaires, les marxistes « orthodoxes ». Leur but n'était pas lié avec leurs moyens.

Jusqu'en 1914 le résultat positif du mouvement syndicaliste fut de garder les syndicats français libres de l'influence du réformisme parlementaire. Mais comme les IWW américains, au lieu de bâtir un parti révolutionnaire, ils proclamèrent qu'ils voulaient rester « éloignés de tous les partis ». Mais, au lieu d'avoir confiance dans leur sincérité révolutionnaire enflammée pour se libérer de l'infection de la « sale politique », ils s'en protégeaient avec la seule formule de « pas de politique ». Et, au lieu de distinguer entre la légitime indépendance d'organisation des syndicats de tout parti politique et de leur inévitable acceptation d'une philosophie politique, ils confondirent les deux dans la Charte d'Amiens de 1907, de façon qu'indépendance d'organisation finit par signifier dans leur esprit : indépendance politique. En réalité, elle ne signifiait rien de ce genre. La lutte économique est toujours une lutte politique. Même avant la guerre il était bien clair que l'Etat ne pouvait être éliminé simplement parce que la théorie et le programme syndicaliste refusaient de reconnaître la nécessité de le combattre sur le front politique. Et pendant la guerre, lorsque l'Etat écrasa le mouvement syndical en Amérique, et le corrompit en France, on eut la meilleure preuve que la maxime être , signifie être aperçu n'est pas plus valable en politique qu'en philosophie.

La philosophie syndicaliste se motivait de deux façons. Politiquement elle tâcha de convertir une guerre d'usure pour de petites réformes en une campagne d'action directe pour la révolution sociale. C'était une protestation contre la composition hétérogène des partis socialistes dont de si nombreux leaders n'étaient que des arrivistes, des indigents par profession, des boutiquiers éloquents et des personnalités frisant une bohème d'opérette. Indiquez que la « grève générale » sera une chose sérieuse, peut-être sanglante, et, d'un seul coup, vous écartez tous ces intellectuels qui « ont embrassé la profession de penser pour le compte du prolétariat ». Théoriquement, en niant qu'on puisse prédire le futur quelle que soit la quantité de données scientifiques qu'ont ait sous la main, elle amenait l'attention sur la nécessité de risquer quelque chose dans l'action, les motifs bergsoniens usuels servaient à affirmer que l'analyse ne peut au grand jamais rendre l'existence, surtout dans son aspect dynamique. C'est seulement à travers la sensation que l'on arriverait à saisir le changement, et la sensation pourrait être exprimée seulement par l'action. La pensée suivrait l'action et déduirait ses critères de validité des succès enregistrés. Toute façon de penser qui vous amène où vous voulez aller est valable. Mais puisque ce « où vous voulez aller » est une sensation qui défie toute description, la question de savoir « si vous êtes arrivés où vous vouliez aller » peut être résolue seulement après l'action, et seulement par une autre sensation. La position entière finit par se jeter dans une variété erronée de pragmatisme jamesien.

Le mouvement syndicaliste était un parti révolutionnaire embryonnaire. Ne se reconnaissant pas pour ce qu'il était réellement, il finit par se désagréger, et son énergie et son zèle révolutionnaires furent dissipés. Le maximum que les syndicalistes purent obtenir fut d'épouvanter l'Etat, et non de le conquérir. Un critique les caractérisa avec beaucoup d'à propos : « Les cavaliers sans tête de la Révolution galopant furieusement dans toutes les directions à la fois ».


NOTES


1Comme ministre du gouvernement bourgeois Briand a pourtant sans scrupules brisé par la suite les grèves des années 1906 et suivantes.

3Je persiste à penser que la formule pour l'époque en Russie n'était pas fausse vu le niveau moyen du prolétaire-moujik, qui fait même plutôt penser au niveau moyen du gilet jaune français ignorant tout du mouvement ouvrier et arcbouté sur un supplément d'âme démocratique bourgeoise.

4Ce hochet à gauchistes est indélébile même dans la cervelle étroite de Ratinaud/Aucordier, une pauvre hère qui vient m'insulter sur ce blog depuis au moins quatre ans et me couvrir de tous les péchés de la terre. Je ne jetais plus un œil sur la partie commentaires du blog où se déposaient les merdes à Eric Ratinaud ou des requêtes soit d'un millénariste soit d'une mamma africaine souhaitant un prêt de 10.000 euros, mais je viens de m'apercevoir que des gens intelligents politiquement ont fini par venir donner leur avis ; je répondrai en temps utile à tous. Par contre je ne débats pas avec les malades mentaux. Ratinaud de Ballancourt (Essonne) s'est permis un bla-bla inconsistant sur la grève générale (surtout qu'il n'a jamais fait grève et a peur de descendre dans la rue) ; sans moyen de démonstration de sa lamentable gréviculture, et dans une ignorance crasse des débats du mouvement ouvrier (à cheval sur les 19e et 20e siècle) ; il est venu poser ses chiures de mouche dans les commentaires que j'ignore en général et je me fiche du caca nerveux de cet indigent et de sa groupie pensionnaire d'hôp psy, Gwendodue. Ces deux crétins passent leur temps sur la poubelle à réseaux sociaux à humilier leurs éventuels contradicteurs, sur le mode réchauffé "secte spectacist" et esprit stalinien "es-tu là"?. Lui n'est qu'un poltron qui sait qu'il n'a pas intérêt à croiser ma route. Mais je réserve plutôt une bonne branlée à Cousin si je le croise, le facho ultra-gauche à face de mongolien – qui m'insulte régulièrement lui aussi dans les commentaires sous de faux pseudos. Autant le PN de Ballancourt est un raté bon à rien et fait donc pitié, autant Cousin est un exploiteur installé au mode de vie bourgeois. Un mien ami, devenu sympathisant du CCI, avait demandé un RV pour discussion politique, Cousin suite à l'entretien, posant en qualité de psy, lui a présenté la facture : 90 euros ! Ce genre de personnage est en effet plus dangereux, non pas idéologiquement (son discours est un galimatias imbuvable, copiant vieilleries situs et radotages ultra-gauches et il est vraiment con) mais pour votre porte-monnaie !

5Il s'agit du chapitre 5 de « Pour comprendre Marx », édité en France par Gallimard en 1936.

TABLE DE MATIERES 


PREMIERE PARTIE : A LA RECHERCHE DE MARX

CHAPITRE PREMIER. INTRODUCTION

II. DE LA COMPREHENSION HISTORIQUEME

III. « DER KAMPF UN MARX »

IV. LA CANONISATION ORTHODOXE

V. L'EXEGESE REVISIONNISTE

VI. L'HERESIE SYNDICALISTE

VII. LENINE : RETOUR A MARX

VIII. LE MARXISME EN TANT QUE METHODE


DEUXIEME PARTIE : LA PHILOSOPHIE DE MARX

IX. LA DIALECTIQUE MARXISTE

X. DIALECTIQUE ET VERITE

XI. LA CONCEPTION MATERIALISTE DE L'HISTOIRE

XII. CE QUE LE MATERIALISME HISTORIQUE N'EST PAS

XIII. PROBLEMES DE MATERIALISME HISTORIQUE

XIV. L'ECONOMIE SOCIOLOGIQUE DE MARX

XV. LA PHILOSOPHIE DE L'ECONOMIE POLITIQUE

XVI. LA LUTTE DES CLASSES ET LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

XVII. LA THEORIE DE L'ETAT

XVIII. LA THEORIE DE LA REVOLUTION

XIX. DICTATURE ET DEMOCRATIE ;