Malgré une dramatisation intentionnelle de la presse
bourgeoise occidentale, les carottes ne sont pas cuites en Tunisie pour les
salafistes. Cette mouvance est équivalente au FN en France, mais constituée de
jeunes sectaires et non de grabataires
comme dans la maison Le Pen. Le président tunisien est bien considéré de la
population et a pris ses leçons politiques en Occident. Il a compris l’intérêt
de l’agitation au niveau « extrémiste » hors du gouvernement. Les
exactions des salafistes servent à conforter le gouvernement, et la menace d’alourdir
la pression par des lois coraniques (qui ne verront pas le jour, fait le reste.
Contrairement aux commentaires affolés, le tourisme a fait le
plein encore une fois cet été en Tunisie. Et les femmes vont conserver leurs droits
parce que c’est le pays d’Afrique du
nord où existe et combat une véritable classe ouvrière. Bien que faible,
l’article suivant du Point frôle la réalité.
JLR
Le Point.fr - Publié le 24/08/2012 à 19:45
Les "modérés" d'Ennahda restent
étrangement silencieux face aux violences commises par les islamistes radicaux.
Décryptage.
Si l'année 2011 a été marquée en Tunisie par la victoire
électorale du parti islamiste Ennahda, 2012 semble placé sous le signe des
violences salafistes. Débarrassés du joug de la dictature du président déchu Zine
el-Abidine Ben Ali, ces islamistes radicaux sèment depuis près d'un
an la terreur dans la Tunisie nouvelle. Sit-in dans les universités,
commissariats caillassés, chaînes de télévision assiégées, expositions annulées...,
ils dictent leur propre loi au nom de l'atteinte au sacré. Des incidents
étonnants dans un pays que l'on disait à la pointe de la modernité arabe.
"Les salafistes existaient sous Ben Ali",
rappelle Vincent Geisser (1), chercheur spécialiste de la Tunisie à l'Institut
français du Proche-Orient de Beyrouth. "Alors qu'il a fermement combattu
les djihadistes, au nom de la lutte contre le terrorisme, Ben Ali n'a pas
inquiété les salafistes, qui se voulaient apolitiques, au contraire des
islamistes (aujourd'hui réunis sous la bannière d'Ennahda, NDLR). Des villes
comme Bizerte ou Menzel Bourguiba voient se développer un réseau souterrain de
prédication littérale de l'islam, à l'aide de DVD fournis "sous le
manteau" grâce à la présence de commerçants ultra-radicaux. Les chaînes
satellitaires saoudiennes se chargent du reste. Frappés par la crise
économique, de nombreux jeunes sont séduits.
Refuge face à la dictature
"Même si elle reste massivement laïque, une
partie de la jeunesse tunisienne s'est réfugiée dans le salafisme sous Ben
Ali", explique Vincent Geisser. "Dans un contexte de musèlement de la
liberté d'expression, cette doctrine constituait un véritable abri",
ajoute-t-il. La révolution du Jasmin va bouleverser la mouvance. La chute de
Ben Ali va s'accompagner d'une amnistie générale des opposants politiques,
permettant aux cadres salafistes, exilés jusqu'ici en Europe, de revenir
s'installer en Tunisie. Suivant l'exemple des salafistes d'Égypte, le mouvement
décide de rentrer en politique. "Les salafistes ont vu là une opportunité
historique d'accéder à leur but ultime : la création d'un État islamique",
explique au Point.fr le sociologue Samir Amghar (2), spécialiste du salafisme.
Ils se démarquent ainsi des islamistes modérés
d'Ennahda, qui défendent, d'après eux, une vision trop progressiste de l'islam,
et - sacrilège - s'allient à des partis laïcs pour accéder au pouvoir (les deux
partis de centre gauche du Congrès pour la République et d'Ettakatol, NDLR).
Pour les salafistes, le concept de démocratie est insoluble dans une société
islamique. Pour se faire entendre, ils multiplient les opérations coup de
poing. Un Français vient d'ailleurs d'en être victime. Jamel Gharbi,
conseiller régional socialiste des Pays de la Loire, a indiqué mercredi avoir
été roué de coups par des militants islamistes radicaux. Tandis qu'il se
promenait jeudi soir, en compagnie de sa femme et de sa fille de 12 ans, dans
le quartier du port de Bizerte, ville dont il est originaire, il a été
violemment pris à partie.
Un Français attaqué
"Nous avons croisé un groupe d'une cinquantaine
de salafistes qui les ont agressées verbalement en raison de leurs vêtements
d'été, qui n'avaient pourtant rien de choquant", raconte-t-il à l'AFP. Après avoir crié à ses proches de
s'enfuir, il affirme avoir vu les agresseurs se ruer sur lui et le
"frapper à coups de matraques et de gourdins". "Personne ne m'a
secouru", insiste-t-il. "Je n'ai dû mon salut qu'au fait que j'ai
réussi à m'enfuir. Si j'étais tombé à terre, ils m'auraient lynché."
L'incident s'est produit en marge du festival de Bizerte, qui a lui aussi été
pris pour cible par des militants radicaux.
Armés de bâtons et de sabres, 200 d'entre eux ont
attaqué, le 16 août dernier, un évènement organisé dans le cadre de la
"Journée al-Aqsa", faisant cinq blessés. Étonnamment, les critiques
des organisateurs ont visé la police qui, selon eux, aurait attendu une heure
avant d'agir. En tout cas, les quatre salafistes qui ont été arrêtés au moment
des heurts ont tous été relâchés une semaine plus tard. Autre élément
troublant, les forces de l'ordre ne sont pas intervenues non plus dans la nuit
de mercredi à jeudi dernier, lorsque des centaines de salafistes ont pris
d'assaut une quinzaine de maisons de Sidi Bouzid, ville symbole du Printemps
arabe où s'est immolé Mohamed
Bouazizi le 17 décembre 2010.
Double jeu
Fin juillet, le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi,
avait expliqué chercher le dialogue avec les salafistes, afin de ne pas
retomber dans "l'oppression, la torture, l'emprisonnement" qui
caractérisaient le régime de Ben Ali. "Les chasser et les pourchasser ne
fera qu'augmenter leur exclusion et radicaliser leur engagement", avait-il
ajouté, selon l'AFP. Tolérance ou complicité ? Pour sa part, Vincent Geisser
préfère parler de "stratégie populiste identitaire". "La
position du gouvernement, aux mains d'Ennahda, est loin d'être homogène",
souligne le chercheur.
Ainsi, "si le ministère de
l'Intérieur aimerait de son côté répondre fermement aux violences,
d'autres comme le député Sadok Chourou plaident pour une intégration des
salafistes au parti. Là-dessus, Rachid Ghannouchi adopte
une position médiane, dans le but de récupérer l'électorat salafiste dont une
partie a voté pour Ennahda lors des dernières élections", analyse le
spécialiste de la Tunisie. Pour le sociologue Samir Amghar, il existerait en
réalité une vraie collusion entre les deux partis islamistes.
"Les dirigeants d'Ennahda, étant au pouvoir, sont
forcés de tenir un discours modéré en public", rappelle-t-il. "Mais
en interne, une bonne partie d'entre eux sont d'accord avec les thèses
salafistes." Dans cette stratégie, les salafistes seraient chargés de
réaliser en sous-main la "sale besogne". "Les salafistes font
pression sur la sensibilité musulmane de l'opinion publique tunisienne, afin de
créer un rapport de force en faveur d'une islamisation de la société",
estime le spécialiste de la mouvance. Cela pourrait expliquer pourquoi, le 1er
août dernier, Ennahda a déposé à l'Assemblée nationale
constituante un projet de loi... punissant l'atteinte au sacré.
(1) Vincent
Geisser, auteur de Dictateurs en
sursis et coauteur avec Michaël Béchir Ayari de Renaissances arabes (Éditions de l'Atelier)
(2) Samir Amghar, auteur de Les islamistes au défi du pouvoir (Éditions Michalon)