"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 10 juillet 2019

La secte végane va-t-elle triompher sur le cadavre de la société de consommation?


« Pour saisir la liaison intime entre la faim qui torture les couches les plus travailleuses de la société et l'accumulation capitaliste, avec son corollaire, la surconsommation grossière ou raffinée des riches, il faut connaître les lois économiques ».
Marx, Le Capital.
« Article 5. Manger à la même table qu’un prêtre exclut ; on s’excommunie par là de la société honnête. Le prêtre est notre tchandala1 - il faut le mettre en quarantaine, l’affamer, le bannir dans les pires déserts ».
Nietzsche (L'Antéchrist)

« Toutes les cinq secondes un enfant meurt de faim dans le monde actuel assassiné par l'ordre cannibale capitaliste ».
Jean Ziegler

Le mode de domination idéologique des humains est quasi le même par delà les siècles : la culpabilisation par les dominants face à un dieu imaginaire au-dessus des hommes. Les végans ne sont qu'une variété de curés en charge de diffuser une nouvelle morale alimentaire « niveleuse » (pour ne pas dire égalitariste), avec ce degré de perversion que savent si bien manier les pervers : « Comment se fait-il que des personnes par ailleurs intelligentes, progressistes et sensibles aux injustices, se crispent lorsque l'on évoque la souffrance dissimulée dans les rillettes ou le foie gras », pérore un de ces sectateurs. Le même vient nous raconter, dans l'espoir de nous culpabiliser totalement, que notre régime alimentaire est responsable du réchauffement de la planète2, cette nouvelle grande excuse des partisans du capitalisme écologique.
Sans que l'on puisse en dater exactement les débuts, cette mode à bobos, le véganisme  (terme anglais a été inventé en 1944, à partir du mot vegetarian (VEG-etari-AN) prétend s'imposer non seulement comme un régime alimentaire, mais surtout plus largement que le végétalisme qui se limitait à un régime alimentaire, comme un nouveau paradigme faisant fi des classes sociales. Ce mouvement, qui a toutes les allures de “secte” fait des émules du genre pontifiant arrogant à la petit journaliste Aymeric Caron3, y compris chez les adolescents (dont certains sont bien maigres et pâles), sans qu’une réflexion soit menée sur ses soubassements et ses conséquences, ni sur l'indice de priorité politique de cette question. La polémique entre végans et anti-végans est très violente, presqu'autant qu'un mal d'estomac, presqu'autant que les anciennes bagarres entre gauche et droite bourgeoises ; les résidus des gauches gouvernementales et des sectes trotskiennes posent déjà au véganisme anti-capitaliste, de Mélenchon à Hamon ; être végan désormais une nouvelle façon d'être « de gauche » insoumise? La lutte véganiste est très procédurière sur le plan juridique et enrichit les avocats4. Elle secoue les politiciens professionnels. Un projet de loi contre les parents qui imposeront le régime végan à leurs enfants pourrait leur faire encourir jusqu'à deux ans de prison. Au cours des derniers mois, l'Italie a connu quatre cas d'enfants devant être hospitalisés pour malnutrition et ceux-ci suivaient un régime vegan5. Pour cette députée centre-droit qui propose cette loi, le régime vegan "entraîne des déficiences en zinc, fer, vitamine D, vitamine B12 et oméga-3". On trouve aussi un débat récurrent dans le milieu végane: une relation amoureuse entre un(e) omnivore et un(e) végane est-elle possible?

« Je suis une personne engagée et mon engagement est palpable dans tous les aspects de ma vie
quotidienne. Je ne demande pas à mon conjoint qu'il soit lui aussi proactif dans le véganisme, mais il doit faire preuve de tolérance envers mes convictions. Un mec qui râlerait parce que je demande au chef de rayon peinture chez Leroy Merlin si les poils du pinceau sont synthétiques ou proviennent d'animaux? Un mec qui ferait les gros yeux quand je questionne le serveur au resto sur la composition de la vinaigrette ou des pâtes? On ne pourrait pas faire longue route tous les deux.
D'un point de vue pratique, être végane et vivre avec un omnivore peut vite devenir problématique ».
Une recette conservatrice et réformiste pour un monde capitaliste meilleur, écolo-compatible ou une simple resucée de l'idéologie marginale hippie avec l'esprit d'entrepreneur en plus ? Et qui écarte le fond du problème, la marche à l'abîme du capitalisme : « La démographie sera assurément l’un des enjeux majeurs de notre siècle. Alors qu’un milliard d’êtres humains souffrent déjà de malnutrition, la population mondiale ne cesse de croître, pour atteindre sept milliards à la fin octobre, et plus de neuf milliards d’ici 2050. Dans le même temps, l’agriculture, qui ne parvient plus à nourrir toutes ces bouches, pollue toujours plus la planète, en dégradant les sols, les nappes phréatiques, la biodiversité et en rejetant 20 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales6.

Manger de la viande serait-il devenu un péché ?

Je dois avouer ne pas être insensible à cette propagande insidieuse, pas totalement dénuée de conscience (morale s'entend) ; je ne mange plus de poulet vu son traitement en batterie et je n'ai jamais été un fana de la viande. Comme les couches aisées je me suis rabattu sans état d'âme sur le poisson. Paradoxe: l'ennemi pour le végan moyen, c'est la prodigieuse diversité des aliments résultant de l'industrialisation de l'agriculture et des techniques de conservation au cours du siècle passé: depuis la stérilisation mise au point au XIXe siècle par un Français, Nicolas Appert – un procédé qui, pour la première fois dans l'histoire, assurait une sécurité alimentaire quasi totale – jusqu'à la pasteurisation, la congélation, le sous-vide, etc. Sans préjuger du type d'animal qui est congelé...
Avec l'industrialisation et la rapide expansion des importations, un nouveau rapport s'est établi entre les humains et la nourriture; laquelle leur est de plus en plus fréquemment offerte sous la forme d'un prêt à consommer tel que, dans la plupart des foyers, l'acte de dégeler et de réchauffer un mets dans une cage à ondes d'invention récente a remplacé l'art antique de cuisiner sur un poêle. Comme la machine à laver, le four à micro ondes a permis de privilégier le parcours en métro pour aller au travail au détriment du temps de préparation des repas. Le soja même réchauffé lui aussi ne conférera jamais autant de calories que la viande, et la productivité des travailleurs des pays développé s'effondrerait rapidos à mon sens s'ils devenaient végans intégraux.

Dans la mythologie biblique, Noé est le premier homme que Dieu autorise à manger de la viande : « Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture : je vous donne tout cela comme l'herbe verte. » Mais à une condition : « Vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang » (Genèse, IX, 3-4)7. Je ne pensais pas que le très ancien discours protecteur des animaux d'une Brigitte Bardot, aurait une telle postérité, jusqu'à remettre en cause peu ou prou nos modes de consommation de la nourriture, et je pense aussi à nous robustes marxistes consommateurs sans état d'âme depuis plus d'un siècle de nourriture carnée et cramée lors de tant de congrès ou réunions merguez-poulet. Aucun congrès du mouvement ouvrier ne mentionne la cause animale tout en regrettant sans cesse que les travailleurs soient traités en effet comme des animaux. Dans La situation des classes laborieuses en Angleterre publié en 1845, Engels évoque la malbouffe du prolétariat et revient sur un phénomène bien connu à Londres concernant la qualité du pain où on allait jusqu’à mélanger la farine avec du plâtre pour réduire les coûts de production. Engels et Marx évoquent ce phénomène en le liant à la théorie de la valeur, colonne vertébrale de la pensée marxiste. Parce que le capital cherche à diminuer la valeur de la force de travail, il lui faut agir pour faire baisser la valeur des produits nécessaires à la vie, à la reproduction sociale8.

Nos processus digestifs actuels sont le fruit d'une adaptation sociétale aux produits de la nature s'étalant sur 50 000 ans! Nos ancêtres de la préhistoire étaient des chasseurs-cueilleurs et ils ont vraisemblablement eux aussi vécu avec modes de consommation diverse de la nourriture, selon les saisons et les climats, et ingurgités les aliments sous deux formes: crus ou cuits. Bien qu'on ne soit pas bien informé sur le déroulement de l'évolution de la consommation de viandes, il semble qu'à un moment de l'histoire lointaine les hommes aient mis fin par eux-mêmes à l'anthropophagie, et qu'au cannibalisme (gibier humain) ait succédé l'aire carnivore encore contemporaine qui choque tant nos bobos végans.

CONSOMMATION DIFFERENCIEE DES CLASSES SOCIALES

Sortons le lapin du terrier. Ce n'est pas tant le type de consommation et de cuisine qui importe, car le combat des végans n'est pas politique au fond, voire infra-politique9, mais, malgré l’essor de la consommation de masse et les ilots de consommateurs végans, que les différences sociales n’ont pas disparu en matière d’alimentation. Elles ont évolué, se sont déplacées et parfois inversées. La faim a toujours été d'abord le lot des classes dominées qui ne sont jamais demandé s'il fallait consommer ou pas de la viande animale. On note par après que la consommation de poisson reste plus fréquente dans les foyers plus aisés, quand celle de viande, jadis réservée aux catégories favorisées, est désormais plus importante dans le bas de l’échelle sociale. Dans l'Egypte antique comme au Moyen âge la viande était plus chère, et donc plus prestigieuse, réservée aux vizirs puis aux nobliaux en Europe ; le gibier ne se trouvait que sur les tables des seigneurs, le manant se contentait de féculents.

Avec leur reprise islamophile de la notion d'interdit alimentaire, nos bobos végans frappent en dessous de l'estomac comme si nous pouvions prendre chacun, individuellement, la décision de changer radicalement la façon de se nourrir, voire de déserter les supermarchés pour accorder le temps des weekend à aller acheter directement chez le producteur à la campagne (idéologie bobio « équitable » sur le mode partage mais toujours modèle de marchandisation capitaliste). La question de l’interdit alimentaire est bien plus complexe. Faudrait-il par exemple l’adapter immédiatement ? Qui peut vraiment en décider ?10 Manger des escargots, des serpents, des sauterelles, des rats, est-ce qu'on demande la permission en cas de disette et à qui? Personne ne le sait tant qu’une fatwa n’en a pas explicitement décourage ou encouragé la consommation. Peut-on boire l'eau de la cuve de réserve si, sur un bateau de pêche, un facétieux y a versé deux litres de vin, et que l’équipage est encore loin du port d'attache ? L'interdit alimentaire est de type totalitaire et du domaine de la superstition ésotérique, commun au nazisme et à l'islamisme, il ne relève pas du tout de la décision individuelle mais des frontières mises par les dominants pour aliéner notre liberté. A chaque époque, le mode d'alimentation a été orienté et contrôlé par les Etats, sans oublier l'organisation de la famine par les dictateurs (Hitler pour les juifs et la plupart des prisonniers, Staline pour les ukrainiens, etc .). Les rois de France avaient imposé des boulangeries dans tous les quartiers de Paris pour éviter les émeutes de la faim.

Un tournant important se situe à la fin de l'Antiquité, c'est le passage de l'alimentation gréco-romaine, à base de céréales, à une alimentation nordique11, à base de viande, qui s'est probablement déroulé sur une longue durée sans que les sociétés en aient la maîtrise. Nous sommes devenus de plus en plus carnivores12. Il se peut d'ailleurs que le christianisme ait favorisé ce changement d'attitude, en même temps qu'il unifiait les peuples : à son apogée on pouvait tous manger à la même table ! Le capitalisme moderne a fait le reste. En 1933 aux Etats-Unis. le ministère de la santé avait préparé une campagne qui s’adressait aux plus pauvres, et se résumait ainsi: ne mangez pas de fruits et de légumes, parce qu’ils ne contiennent que de l’eau et de la cellulose non digeste. Vous dépensez donc de l’argent pour rien. Achetez plutôt des bas morceaux en boucherie, parce qu’ils contiennent davantage de gras, et donc plus d’énergie ».
Les Grecs et les Romains considéraient la viande comme un aliment d'exception: il fallait tuer pour se la procurer, ce qui exigeait le pardon des dieux. L'histoire de l'alimentation est un révélateur impitoyable de l'histoire des sociétés de classes. On voit bien que certains aliments sont, par exemple, des facteurs d'inégalité sociale. La différence la plus marquante, c'est le pain: noir pour le peuple; blanc pour les élites. A Florence, dès le XV ème siècle, les citadins refusent le pain noir. C'est aussi le cas pour le vin: les aristocrates choisissent le vin blanc ou le vin clairet - vin rouge clair - alors que les paysans boivent du «noir», d'un rouge très foncé. Au Moyen Age, les paysans mangeaient des racines (carottes, navets, raves, etc.), les seigneurs, jamais. La viande, également, manifeste une différence sociale: les gens du peuple consommaient surtout du boeuf en ville et du porc à la campagne - viandes «grossières», selon les représentations de l'époque. Les seigneurs, eux, choisissaient des volailles et ne craignaient par de servir, au cours de leurs festins, cormorans, paons, cygnes, grues, hérons... 13

Malgré l’essor de la consommation de masse, les différences sociales n’ont pas disparu en matière d’alimentation. Elles ont évolué, se sont déplacées et parfois inversées: ainsi, alors que la consommation de poisson reste plus fréquente dans les foyers plus aisés, celle de viande, jadis réservée aux catégories favorisées, est désormais plus importante dans le bas de l’échelle sociale. Les achats de produits porteurs de signes de qualité, comme les produits biologiques, équitables (sic!) ou AOC, sont assez nettement corrélés au niveau de revenu, de même que le recours au restaurant (les enseignes telles que le Mc Do ne peuvent décemment pas postuler au titre de restaurant) ; la malbouffe est si visible en banlieue, comme l'obésité aux Etats Unis (40% de la population). L'expansion idéologique du véganisme est d'ailleurs limitée par les contraintes économiques et l'absence de choix des catégories inférieures.

L'alimentation est l'élément constitutif d’une culture au même titre que la langue ou les croyances ; elle est un support de l’identité des groupes sociaux. Les pratiques alimentaires permettent en effet à un groupe d’affirmer sa différence par rapport aux autres, et ainsi de se souder et de se pérenniser. Au début du XXe siècle, le sociologue Maurice Halbwachs, dans ses travaux sur la classe ouvrière, mettait en évidence, en s’appuyant sur des enquêtes, les liens entre classes sociales et niveaux de consommation de produits alimentaires tels la viande, le pain, le beurre ou les légumes. Plusieurs facteurs sont à l’origine de la diversification de la consommation alimentaire et de la hausse de la qualité des produits, au premier rang desquels viennent l’amélioration du niveau de vie, sensible depuis le milieu du XIXe siècle, les progrès des techniques agricoles et la révolution des transports14.

L’essor de la consommation de masse, à l’œuvre depuis la Seconde Guerre mondiale, se serait traduit par une relative uniformisation des habitudes alimentaires. De façon finalement éphémère, l’essor de la grande distribution, l’industrialisation de la production et les moyens de transport modernes, qui ont permis d’acheminer les produits des pays les plus lointains à moindre frais, ont été autant de facteurs qui ont permis une «démocratisation» de la plupart des produits alimentaires auparavant réservés à une élite (café, épices, fruits exotiques, viande rouge, glaces, etc), mais le véganisme peut par contre servir à contre courant au retour du produit « national », « bien de chez nous » et au rejet des tomates espagnoles sans saveur et cueillies par des migrants affamés... Désormais c'est à une diversification des modes de consommation, religieuses, éthiques, végétarienne, etc. que l'on assiste. En gros, on ne peut plus manger à la même table. On ne sait même plus s'il est sain ou moral de manger, d'autant qu'il faut manger vite sous le règne de la pizza et du sandwich tout compris15. La gestion des cantines scolaires est devenue une horreur.

Contrairement aux petits bourgeois végans et hors réalité, l'Etat ne plaisante pas lui sur la question de l'alimentation. Il faut lire l'analyse du Centre d'études et de prospective d'octobre 2013 pour le vérifier :
  • les différences sociales n'ont pas disparu en matière d'alimentation ;
  • l'alimentation est un support de l'identité des groupes sociaux ;
  • la première différence sociale en matière d'alimentation est financière, plus les ménages sont pauvres, plus la part de leur budget consacrée à l'alimentation est élevée ;
  • certains produits sont de véritables marqueurs sociaux ;
  • vin et viande : inversion des marqueurs sociaux ;
  • les cadres, professions intermédiaires sont sur-représentés parmi les végétariens ;
  • les boissons sucrées (sirops, sodas) sont privilégiées par les personnes de faible revenu ;
  • les ouvriers consomment beaucoup plus de sandwichs, de pizzas/quiches et de viennoiseries ;
  • pour les catégories modestes, l'important est d'offrir une abondance d'aliments nourrissants pour conjurer « la peur de manquer » ;
  • le végétarisme reste l'apanage des catégories supérieures ;
  • les conduites alimentaires, malgré les tendances à l'uniformisation ou à la « moyennisation » de la consommation, restent, d'après les différentes enquêtes disponibles, conditionnées par l'appartenance à une catégorie sociale ou à un niveau de revenu.

Surconsommation mondiale et toujours la famine...

Ventre affamé n’a point d’oreilles“.
De tout temps, le prix du pain a été l’élément déclencheur des grands bouleversements. La faim
          dans les révolutions du passé c'est l'équivalent d'un pic de la crise économique.

L’Égypte est quant à elle contrainte depuis des années à consacrer jusqu’à 7% de son PIB pour
adoucir le prix des produits de première nécessité allant même comme en 2008 jusqu'à faire distribuer du pain par l'armée. Du pain et la liberté réclamaient les émeutiers français de 1789. La faim rend les échines moins souples et contribue à rendre insupportables les injustices. La crise alimentaire s’ajoute aux crises économiques et environnementales. En 1788, les récoltes sont catastrophiques. La France ne produit plus assez pour nourrir tout le monde. Cette situation entraîne une hausse des prix – pas seulement du pain, base de l’alimentation des masses populaires, mais aussi de la viande et du vin. Les gens les plus démunis sont évidemment les premiers à faire les frais de cette terrible situation…Que les pauvres meurent de faim, c’est malheureusement une situation assez banale depuis des siècles, dans le Royaume de France comme ailleurs. Ça se solde en général par une révolte des gens d’en bas, qui se font massacrer par l’armée contrôlée par les gens d’en haut. Même la fameuse révolution prolétarienne du début du XX ème siècle est concernée d'emblée par la question de la nourriture. En pleine grève générale le 25 février 1917, avec des slogans très politiques : « A bas la guerre », « A bas l'autocratie », un authentique combattant bolchevique comme Alexandre Chliapnikov pense que cela n'ira pas plus loin qu'une simple émeute de la faim et qu'il ne s'agit pas d'une révolution en marche. Il se trompe, ce n'est pas en effet une simple émeute de la faim et c'est le refus de tout compromis de la part du tsar qui transforme le mouvement en révolution. Ce n'est pas une révolution de pauvres, comme l'a été d'une certaine façon la révolution française.
Ersatz de l'idéologie bourgeoise écologique qui se soucie plus de l'estomac bio du bobo parisien que de la famine dans le monde16, le véganisme n'est qu'une reprise du discours anti-Lumières et pour partie une reprise des lois de la défense de la nature selon le nazisme (cf. Luc Ferry a en partie raison sur cet aspect) : protection des animaux ; Hitler était végétarien. Ce n'est pas l'aspect le moins paradoxal du nazisme qui concevait tout naturel de gazer les humains juifs mais de ne pas toucher
aux biches. En 1934 Hitler fait imprimer des cartes postales où on le voit nourrir des biches dans la forêt, avec cette touchante légende : « Le Führer, ami des animaux ». Pourtant, ni la chasse, ni la pêche, ni les abattoirs, ni la consommation de chair animale n'ont été abolis ou combattus en Allemagne nazie. Au contraire, toutes ces pratiques, faisant des animaux de stricts objets, ont été encouragées et les « caïds » du nazisme s'adonnèrent à la chasse sportive ainsi qu'à la vivisection sur des animaux : en fait, tous les universitaires nazis travaillant dans le domaine de la recherche en pharmacie ou en biologie, et des médecins SS, s'adonnèrent sans complexe à ces pratiques, avant, pendant et après la période du IIIe Reich. Richard Darré (taré) un des principaux fabricants de l'idéologie du sang et du sol n’était pas un écologiste ni un végan, mais un agronome raciste pour qui « le sol n’est […] qu’un terme dans l’équation de l’économie rurale » . Le culte de retour à la campagne est commun aux nazis et aux végans. Pour Darré seule importait la lutte contre la désertification des campagnes, la préservation de l’identité paysanne de l’Allemagne et la production pour la race. On retrouve cette même exaltation du retour à la campagne (saine et non polluée) par nos intellos bobos parisiens, dont la ville doit redevenir la Brocéliande du bassin parisien si la princesse Hidalgo ne perd pas son trône.
On peut étudier la paysannerie comme idéologie et le rôle du mythe agraire dans la société actuelle pour comprendre les transformations et les contradictions dans l’idéologie dominante via l'écologie et le véganisme. La bipolarité du paysan — symbole à la fois de l’arriération individualiste et du bedeau gardien des valeurs morales, etc. La résurgence contemporaine du mythe de la nature (polluée, violée, dénaturée), telle qu’il apparaissait dans l’idéologie hippie, ou dans l’idéologie des « communautés », est révélatrice, elle aussi de la stagnation et du retour en arrière par défaut de l'ordre capitaliste qui ne peut même plus proposer de changer de société mais de restaurer l'état de nature avec une industrie écologique totalement hypocrite.

LES HIPPIES VEGANS A LA RECHERCHE DU PARADIS PERDU

De la misère en milieu hippie :
« Tout comme le retraité qui se consacre à des passe-temps parce qu’il s’ennuie, le hippie essaie de supprimer son malaise en s’occupant à quelque activité. Il rejette les formes de travail et de loisirs de ses parents, mais il les reproduit dans les faits. Il travaille dans des boulots “qui ont un sens” pour des “entreprises hip” où les travailleurs constituent une “famille”, ou bien il fait de l’agriculture de subsistance ou du travail temporaire. S’imaginant en artisan primitif, il cultive ce rôle et idéalise le métier artisanal. L’idéologie qu’il attache à son occupation pseudo-primitive ou pseudo-féodale dissimule son caractère petit-bourgeois. Ses centres d’intérêts, tels que la nourriture biologique, engendrent des entreprises florissantes. Mais les propriétaires hippies ne se voient pas comme des hommes d’affaires ordinaires, parce qu’ils “croient à leur produit”. Des bonnes vibrations tout le long du chemin de la banque »17.

«Il y a un genre particulier de contre-culture qui est californien. La France a clairement eu une contre-culture, avec Mai 68, mais il y a une différence fondamentale: J’ai toujours pensé à la contre-culture française comme étant politique, les gens marchaient dans la rue, comprenaient que la politique et les partis politiques étaient très importants…
En Californie la contre-culture s’est scindée en deux branches. L’une était politique, et ressemblait beaucoup à ce qui se passait à Paris, et c’est ce qu’on appelait la "new left" ["nouvelle gauche"], mais l’autre branche, celle qui a vraiment influencé le monde des ordinateurs, s’est éloignée de la politique, a refusé la politique, en disant que la politique est le problème et pas la solution. Et que nous devons au contraire nous tourner vers le marché, vers les technologies de petite taille, et construire ce qu’ils appelaient à l’époque des communautés de conscience, c’est à dire dans lesquelles il n’y avait pas de règles, pas de bureaucratie, pas de politique mais seulement un état d’esprit partagé...
avantage.»
L'entrepreneur a remplacé l'artiste comme modèle pour la jeunesse. Dans Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture, une somme critique trop peu lue et traduite en français en 2006 par les éditions Naïve, les essayistes canadiens Joseph Heath et Andrew Potter se sont attachés à faire tomber quelques-unes des colonnes de sable idéologiques sur lesquelles repose la société de consommation depuis un demi-siècle. A les lire, on comprend que la récupération par le capitalisme de mouvements anticonsommation apparus dans l'Occident hédoniste et marchand à la fin des années 60, loin d'entraver son inexorable conquête du monde, lui avait permis d'accomplir ses plus grands bonds en avant. Le vieux système industriel avait besoin d'habits neufs : ce fut le rebelle chic, une panoplie de plaisirs sans limites et de jouissances sans entraves éclos sous le soleil de Berkeley. Lorsqu'on a vu les baby-boomers, qui rêvaient de changer la vie, lorgner vers la Californie, on a pu bien savoir, avec certitude, que les idées libertaires nées dans des cerveaux embrumés par les drogues avaient servi de cheval de Troie au nouvel ordre libéral. De brillante manière et de façon précise et développée, Joseph Heath et Andrew Potter ont ainsi défendu et illustré certaines hypothèses proposées par l'excellent Christopher Lasch (1932-1994) dans la Culture du narcissisme, dès 1979. « L 'idéologie hippie et l'idéologie yuppie ne sont qu'une seule et même chose, ont-ils tranché avec fermeté. Il n'y a jamais eu contradiction entre les idées contre-culturelles qui ont nourri la rébellion des années 60 et les fondements du capitalisme. » Il suffit de penser aux chaussures Nike qu'arborent fièrement les « sauvageons » qui donnent des coups de pied dans les vitrines des boutiques de luxe des mégalopoles où une mondialisation heureuse s'invente en temps réel : ce sont souvent les mêmes que celles des patrons de la Silicon Valley érigés en symboles d'un bonheur enfin accompli par la connexion universelle...

Par la libéralisation capitaliste, les populations des pays en développement ont tendance à occidentaliser leur alimentation, avec à la clé des taux d’obésité et de diabète dont l’augmentation n’a d’égale que la croissance de leur PIB. Le Mexique et l’Inde sont deux cas probants. Les économies de consommation s’emballent, les gouvernements balaient sous le tapis les enjeux de santé publique. Aujourd’hui, le discours dominant, c’est celui sur l’obésité. L’obésité est devenue le signe que quelque chose ne tourne plus rond dans la société de consommation. Le miracle s'est engraissé !
En 1980, 7 % des Mexicains étaient obèses. L’année dernière, ils étaient 20,3 % à l’être, ce qui n’est plus très loin du taux de prévalence canadien (26,7 %). Le diabète est devenu la principale cause de mortalité au Mexique, coûtant la vie à 80 000 personnes par année, selon l’Organisation mondiale de la santé. Entendu que ces problèmes de santé ne peuvent être réduits à une seule cause. Il n’empêche que la transformation du marché de consommation induite par le libre-échange a joué un rôle important.
Walmart, Coke, Pepsi, Domino’s, Burger King, McDonald’s… Ils sont les armées américaines de la malbouffe et du commerce alimentaire de détail, partis à la conquête du monde en développement, avec un intérêt particulièrement ciblé pour la Chine et l’Inde, vu l’expansion de leurs classes moyennes qui font saliver.
En Inde, les taux d’obésité et de diabète de type 2 en ce pays de 1,3 milliard d’habitants ont également bondi de façon inquiétante depuis l’ouverture économique amorcée en 1990. Le problème a pris de l’ampleur avec la croissance fulgurante des années 2000, donnant lieu à un boom de l’économie de consommation à l’occidentale et des ventes de produits préemballés, de pizzas et de boissons sucrées. Avec ceci de particulier — facteur aggravant — que les Indiens, pour des raisons génétiques mal élucidées, sont plus susceptibles de souffrir du diabète qu’ailleurs dans le monde.
En Afrique comme ailleurs, les pratiques culinaires et alimentaires ont une histoire. Loin d'être figés par la "coutume" ou les habitudes du foyer, le choix des produits, les recettes, les tours de main, les savoirs et les savoir-faire de la cuisinière connaissent des évolutions lentes ou accélérées. Ce sont parfois les produits qui se substituent les uns aux autres, les noms qui gardent trace de pratiques abandonnées, des métissages culinaires qui s'opèrent, des techniques ou des recettes qui circulent d'une région à l'autre, des préparations dont la signification sociale se transforme, des patrimoines qui s'élaborent en fonction d'enjeux nouveaux. Bref, la "cuisine", quoique souvent confinée aux cuisines domestiques, n'est pas hors du temps. Elle reflète au contraire le dynamisme des sociétés18.
Jean-Pierre Poulain, héritier d’un certain courant Spécialiste de l’alimentation, à laquelle il a consacré une vie de pratique et de recherche entre Toulon et Kuala Lumpur, a publié un Dictionnaire des cultures alimentaires . Selon lui les cultures alimentaires sont en mutation permanente :
«Il y a 50 ans, on conçoit encore l’alimentation comme allant de soi. Un repas, c’est une entrée, un plat et un dessert; tout l’hiver, on mange de la soupe; c’est comme ça, ça ne se discute pas, et ça se transmet de génération en génération. Récemment, différents facteurs ont contribué à extraire l’alimentation de cet état d’allant de soi: l’argument santé, le bien-être animal, les enjeux culturels, le respect de la différence, etc. Sur l’alimentation convergent des éléments qui traduisent les mutations des sociétés contemporaines. On peut l’étudier comme lieu de ces mutations. On ferait alors une sociologie par l’alimentation. Mais l’alimentation est aussi un élément qui fonde la société. Et qui la transforme.»19

Totalement individualisés, les comportements alimentaires sont tels qu’ils posent d’importantes problématiques de santé publique. Obésité, diabète, cholestérol, maladies cardio-vasculaires … Les chaînes de restauration rapide tournent à plein régime, les produits à réchauffer au micro-onde, bourrés de sucre et souvent de sel, connaissent un succès populaire indéniable et les comportements addictifs et à risque explosent. Et ce n'est pas l'abandon de la viande qui pourrait corriger les dérives de la malbouffe capitaliste.

DE LA GRANDE BOUFFE CAPITALISTE A L'ASCETISME BOBO VEGAN

Marco Ferreri a souvent été comparé au cinéaste espagnol Luis Buñuel pour son goût à explorer les vices et le peu de vertu de la bourgeoisie de l'époque en y insufflant une grande part d'ironie.
Son film La Grande Bouffe est un film de moraliste, tragico-burlesque, farce grandiose et funèbre, qui fit scandale à l'époque de sa sortie. Dans un article intitulé « La Grande Bouffe - le ventre, la merde, la mort », un Vincent Teixera commentait:
« La satire de Ferreri, qui se plaît à heurter la morale bourgeoise en dépeignant ses vices, est une charge féroce contre la société de consommation, le gaspillage, l’égoïsme, la chair humaine en perdition, le pouvoir, le commerce. Dénonciation d’une société où une classe sociale, qui ne mange pas pour vivre, mais vit pour manger, une société préoccupée de sa seule jouissance (le sexe et la gueule), égoïste et indifférente au monde extérieur. Charge métaphorique contre la mort et pourriture de cette société, qui se double aussi d’une dimension à la fois physique et métaphysique, sur les thèmes de la bouffe, la mort, la merde, mais aussi l’enfermement, la perte des idéaux, l’ennui, l’angoisse, la solitude. »

Le critique Pascal Bonitzer considérait que le film est une charge contre la bourgeoisie capitaliste : « la petite-bourgeoisie intellectuelle se rassure ainsi — en désignant métaphoriquement la mort et la pourriture de la bourgeoisie à partir d'un point d'excès impossible — sur sa propre pérennité transhistorique ».  Transhistorique, en effet c'est à dire hors de l'histoire – nos véganos ignorent l'histoire de l'alimentation - « transistorique » ce terme va comme un gant à ces bobos mégalos. Ils se sont déjà dissous dans la société de consommation finissante qui n'attendait qu'eux pour pourrir un peu plus. Il leur manque deux choses, une case dans la cervelle et la vitamine B12.

Quant à toi, mon camarade lecteur, tu accepteras quand même au soir de l'insurrection, de partager une pizza au chorizo avec moi ?




NOTES


1Ou Chândâla, Nietzsche aimait à en référer à la culture indoue ; un Tchandala en Inde est littéralement un « mangeur de chien » ; dans le langage courant, le terme peut désigner un bandit, un violeur, un criminel, un boucher, un mangeur de chair animale (spécialement bovine, faut-il rappeler que les vaches y sont sacrées ?), tout individu dangereux, « démoniaque » selon les brahmanes . Que mangeait donc Nietzsche lui-même? Il dénonçait «l'alimentation de l'homme moderne ... [qui] s'entend à digérer bien des choses, et même presque tout – c'est là qu'il place toute son ambition.» Il dénonçait surtout l'alimentation de son propre peuple: «les viandes trop bouillies, les légumes rendus gras et farineux; les entremets qui dégénèrent en pesants presse-papiers!» Il était aussi violemment contre la bière à quoi il attribuait toutes les «lourdeurs de civilisation». Mais il est également sévère pour le végétarien qu'il considère comme «un être qui aurait besoin d'un régime fortifiant. [...] La règle que fournit l'expérience en ce domaine est la suivante: les natures intellectuellement productives et animées d'une vie affective intense ont besoin de viande. [...] Lorsque l'on est mûr pour le régime végétarien, on l'est également pour la macédoine socialiste». « Macédoine socialiste »... Nietzsche était évidemment anti-socialiste. La correspondance de Nietzsche prouve qu'il adorait la nourriture carnée, saucisses et charcuteries. C'est à lui qu'il faut appliquer sa pensée sur le besoin qu'ont de viandes les êtres créateurs et passionnés !
2Pour donner plus de poids à ses délires, voici sa définition : « Le véganisme n'est pas un régime alimentaire. C'est un mouvement social qui mérite d'être mieux connu. C'est un mouvement de résistance à l'oppression dont sont victimes les animaux que nous exploitons pour leur viande, leur lait ou leur fourrure. »
3Lancé dans l'arène médiatique par Ruquier, Caron se prend pour le Fouquier Tinville de la bourgeoisie végan : il a soutenu la proposition de loi du député UDI Yves Jégo en faveur de la mise en place d'une alternative végétarienne obligatoire dans les cantines scolaires. En 2016, il publie Antispéciste : réconcilier l'humain, l'animal, la nature. En juillet 2018, alors que plusieurs boucheries et boutiques liées à la consommation de produits animaux sont vandalisées par des militants anti-spécistes en France, il estime « ne pas s'étonner », et attribue le recours à cette violence à la nécessité pour les militants de faire entendre leur cause : « Si ces militants se retrouvent obligés d’avoir recours à ces moyens, c’est tout simplement car les voies démocratiques ne servent pas en France. » Un ton très radical gauchiste avec un déguisement de sa tête de macaque en agitateur néo-stalinien chevelu et barbu (voir ses premières photos au début de sa carrière de journaliste, l'image vraie du bouffon végan : cheveu court de cadre moyen, cravate et complet veston, l'habit bourgeois est resté mais caché sous les poils, comme les bourgeois espagnols qui au plus fort de la guerre civile en 1936 avaient revêtu le bleu de chauffe).


4 Dans la judiciarisation de l’alimentation, il y a deux dimensions. La première, c’est le recours plus fréquent aux tribunaux en cas de litige. Les Etats-Unis sont très en avance pour cela, avec l’ouverture des premiers procès collectifs contre l’industrie agroalimentaire. Le second volet, c’est la montée de tout un arsenal juridique, des certifications, qui ont une fonction préventive dans les litiges. Ils ont remplacé les codes d’honneur et les interactions sociales.»
5On voit là encore les affinités avec les comportements marginalistes hippies. Je me souviens d'un ancien militant de RI, venu de LO, qui avait décidé de ne pas apprendre à lire à sa fille, pour qu'elle soit protégée du capitalisme. Les mêmes marginaux d'aujourd'hui, qui nous traitent de beaufs parce qu'on les renvoie à leur arriération, ne veulent plus faire d'enfants, ni prendre l'avion... pour préserver la terre !
7https://www.lhistoire.fr/les-chrétiens-et-la-viande . Différence entre les codes juifs et musulmans : les produits de la mer, huîtres, coquillages, langoustes, poulpes, poissons divers, y compris les plus exotiques. Ils sont interdits dans le judaïsme, autorisés par le Coran, qui les baptise du nom de « gibier de la mer » : les fidèles peuvent les manger autant qu’ils veulent, sans même les faire passer par le processus de mise en conformité prôné par la mosquée. Ils peuvent les préparer comme ils le souhaitent, et même les manger crus.En revanche, comme pour les juifs, le sang est impropre à la consommation : « Dans ce qui m’a été révélé, je ne trouve rien d’illicite pour qui se nourrit d’une nourriture, à moins que ce soit une bête morte, ou un sang répandu, ou de la viande de porc, car elle est souillure, ou ce qui a été consacré à un autre qu’à Allah » (Coran, VI, 146). Enfin, une bête qui n’est pas immolée selon les règles prescrites par la tradition est considérée comme non halal, donc non consommable.

8Les marxistes se sont toujours plaints que les ouvriers soient mal nourris. Cf. Le Capital de Marx : « Parmi les travailleurs agricoles, l'alimentation la plus mauvaise était celle des travailleurs de l'Angleterre, la partie la plus riche du Royaume Uni. Chez les ouvriers de la campagne, l'insuffisance de nourriture, en général, frappait principalement les femmes et les enfants, car « il faut que l'homme mange pour faire sa besogne ». Une pénurie bien plus grande encore exerçait ses ravages au milieu de certaines catégories de travailleurs des villes soumises à l'enquête. « Ils sont si misérablement nourris que les cas de privations cruelles et ruineuses pour la santé doivent être nécessairement nombreux . » Abstinence du capitaliste que tout cela ! Il s'abstient, en effet, de fournir à ses esclaves simplement de quoi végéter ». (livre premier 7e section).
9Le retour des interdits religieux en matière alimentaire est lui réellement politique. Il a pour but de dissoudre la référence aux classes sociales et à une communauté d'intérêts et de mode de vie de la classe dangereuse, la classe ouvrière.
10«Ce qui caractérise ces cinquante dernières années, c’est l’accroissement de la part de l’individu dans la décision alimentaire, au détriment du collectif. Il y a 50 ans, un gamin qui est au lycée, à midi, s’assoit à une table et mange ce que quelqu’un d’autre a décidé à sa place. Le même gamin, aujourd’hui, se retrouve avec son plateau devant un self-service, et se gratte la tête en se demandant s’il va manger les carottes râpées ou le taboulé, le couscous ou le steak-frites, le gâteau de semoule ou la salade de fruits. Le soir, il rentre chez lui, sa mère est au régime, elle a prévu de manger séparément. Elle lui demande: «Tu veux manger quoi?» Encore une fois, il doit décider, mais avec des contraintes, on lui dira qu’il ne peut quand même pas manger uniquement ceci, ou trop de cela.
11C'est probablement immémorial et fondé, l'importance de la viande est vitale pour les régions polaires. Le mot Eskimo signifie « qui mange la viande crue ». La mode carnée est probablement descendue au sud via les Vikings...
12Les petits rigolos vegans sont incapables d'une démarche scientifique, ils sont moralistes ! Par contre on peut agréer à l'explication d'une scientifique (pro Darwin) : « L'hypothèse d'une acquisition collective de l'aliment carné peut être défendue par cette inadaptation même du primate bipède à la chasse : il ne peut ni courir (vite), ni bondir, ni saisir et égorger, puisqu'il a perdu les crocs très développés que présentaient encore les grands anthropoïdes mâles. Et si le galet aménagé, voire le biface plus élaboré qui lui succède dans le temps, peuvent lui permettre, comme arme de jet, d'attaquer quelques bêtes peu farouches, ce n'est certainement pas eux qui remplaceront vélocité, flair, crocs et griffes. Il faut, à la présence d'ossements animaux dans les sites archéologiques anciens, trouver une autre explication que la qualité des armes naturelles ou artificielles. La coordination des efforts des chasseurs en est une bien plus satisfaisante (relais pour courser le gibier, déploiement des chasseurs pour forcer les proies vers des pièges naturels ou artificiels, etc.). Or cette collectivisation du processus alimentaire est un fait nouveau ». Lire les développements passionnants de Catherine Perlés Université de Paris-X. Les origines de la cuisine 1979 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1465

14Jean-Louis FLANDRIN et Massimo MONTANARI (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996.Jean-Robert PITTE, Gastronomie française.Histoire et géographie d’une passion, Paris, Fayard, 1991.
15cf. l'interview d'Attali : L'un des points forts de votre livre est cette thèse pour le moins subversive que vous y défendez, selon laquelle le pire ennemi du repas, c'est le capitalisme. Expliquez-nous.
Manger est, en effet, un acte subversif pour le capitalisme. Car lorsque vous mangez, c'est du temps que vous passez à ne pas faire autre chose, vous ne produisez pas. Donc il faut à tout prix réduire le temps et l'argent consacré au repas. Ce sera la révolution américaine du milieu du XIXe siècle, qui donnera le coup d'envoi à l'industrialisation de l'alimentation. Celle-ci va se propager et déterminer encore aujourd'hui le rapport des hommes à la nourriture.Elle est d'autant plus étonnante que les nombreux migrants venus d'Europe ont choisi les Etats-Unis pour l'abondance qu'ils espèrent y trouver. Or on leur fait vite comprendre qu'ils doivent y renoncer ».
16https://www.contrepoints.org/2018/07/22/320799-notre-monde-moderne-egoiste-laisse-les-gens-mourir-de-faim-vraiment 795 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, alors qu’on gaspille la moitié de la production alimentaire mondiale.

19«  A l’heure actuelle, si vous avez des facteurs de risque, et moi pas, et que nous sommes à table ensemble, nous devons individualiser les menus. Le jour où l’on saura désinscrire les facteurs de risque, chacun prendra les pilules qui lui correspondent, et l’on pourra à nouveau manger tous ensemble la même chose à table.» Dictionnaire des cultures alimentaires, sous la dir. de Jean-Pierre Poulain, Presses universitaires de France, 2012, 1536 p.

annexe



Malbouffe et capitalisme (interview de Jacques Attali, parce qu'elle est bonne)20

Jacques Attali : Toutes nos constructions sociales sont nées de la nourriture. A mesure que l'homme progresse dans son évolution, son alimentation change et s'améliore. On passe de la cueillette à la chasse, puis de la chasse à la culture. Les outils comme les armes se complexifient. L'alimentation devient carnivore. De ce fait, la population humaine s'accroît.
Cette démographie galopante implique que les hommes ne peuvent plus se contenter de ce que la nature leur offre pour se nourrir. Ils doivent s'organiser. On passe du nomadisme à la sédentarisation. Il y a 7.000 ans, les hommes commencent à s'installer autour des plaines fertiles. C'est alors qu'apparaît la nécessité de structurer nos sociétés.

C'est aussi à cette époque que le repas devient central dans nos modes de vie.
Oui, le repas sédentaire, pris en commun, devient très vite le lieu essentiel de l'organisation sociale. Dans les traces écrites que nous avons retrouvées en provenance des différentes civilisations humaines aux alentours de - 7.000, les festins ou banquets prennent forme : il y a le repas des dieux, les repas entre les divinités et les hommes, les repas entre les monarques. Ces derniers, les repas politiques, prennent naissance environ 3.000 ans avant notre ère. La nourriture n'y est plus qu'un support de l'essentiel qui est ailleurs : il s'agit là de former un consensus entre les élites, d'organiser les pouvoirs. Et l'on observe que l'obsession permanente, c'est de donner à manger au peuple.
Et quand on n'y parvient plus, comme ce sera le cas en France en 1789, arrive la révolution.
En permanence, partout, le manque de nourriture est la cause principale des soulèvements. L'empire chinois s'est effondré à plusieurs reprises sur l'impossibilité de donner à manger au peuple, l'empire égyptien aussi et la Révolution française, en effet, est provoquée et exacerbée par des erreurs de gestion publique en matière d'approvisionnement et des situations climatiques terribles qui se succèdent pour aboutir, en juin 1789, à une envolée des prix du blé, lesquels atteignent à cette date leur plus haut au cours du siècle. C'est alors que les paysans français s'allient aux bourgeois contre les dignitaires du régime, ce qui provoquera à terme la chute de la monarchie dans notre pays.
L'un des points forts de votre livre est cette thèse pour le moins subversive que vous y défendez, selon laquelle le pire ennemi du repas, c'est le capitalisme. Expliquez-nous.
Manger est, en effet, un acte subversif pour le capitalisme. Car lorsque vous mangez, c'est du temps que vous passez à ne pas faire autre chose, vous ne produisez pas. Donc il faut à tout prix réduire le temps et l'argent consacré au repas. Ce sera la révolution américaine du milieu du XIXe siècle, qui donnera le coup d'envoi à l'industrialisation de l'alimentation. Celle-ci va se propager et déterminer encore aujourd'hui le rapport des hommes à la nourriture.
Elle est d'autant plus étonnante que les nombreux migrants venus d'Europe ont choisi les Etats-Unis pour l'abondance qu'ils espèrent y trouver. Or on leur fait vite comprendre qu'ils doivent y renoncer.
C'est l'alliance entre Will Keith Kellogg et Henry John Heinz qui va déterminer ce qui est devenu l'alimentation contemporaine. M. Kellog, qui est proche des évangélistes, dit : « C'est péché de trouver du plaisir à manger. » M. Heinz lui répond : « Mettez une petite sauce sur la nourriture pour en masquer le mauvais goût. »
Or tout découle de cette alliance. On va consacrer de moins en moins d'argent à se nourrir, ce qui va ouvrir la voie à d'autres consommations. La conséquence, c'est la destruction du temps passé au repas. Presque partout dans le monde sa durée a été considérablement réduite. Elle est de moins d'une heure désormais en moyenne dans le monde. Le capitalisme américain va se développer sur le dénigrement de toutes les dimensions du repas. On mange vite, souvent au travail, de moins en moins en famille et cet état de fait structure des sociétés où l'on devient de plus en plus solitaire.
Vous affirmez que le XXe siècle a été le pire de tous sur le plan de l'alimentation. Pourquoi ?
La catastrophe est double. Il y a d'abord, on vient de le voir, la quasi-disparition du repas. Il y a ensuite la nature de ce que l'on mange. Pour les classes les plus pauvres, le problème reste hélas quasi inchangé, il réside dans la difficulté même à trouver de quoi se nourrir. Pour les classes moyennes ou supérieures, c'est la nature des produits consommés qui change.
Cela commence comme une douce symphonie. Au milieu du XIXe siècle, sous l'impulsion des armées, notamment celles de Napoléon, on généralise la nourriture portable. Le café, le chocolat le lait et plus tard le corned-beef. Au XXe siècle, c'est l'invention du fast-food qui explose aux Etats-Unis. Le modèle américain devient planétaire. Le sucre de maïs, désastreux pour la santé, se généralise dans les aliments, dans les sodas. L'artificialisation chimique s'installe pour atteindre aujourd'hui son paroxysme. Notez que ce sont toujours des chimistes qui inventent les sodas. Et que étymologiquement, le mot « soda » vient de « soude ». Si l'on s'en souvenait, on en boirait peut-être moins.
Mais n'est-ce pas cette industrialisation qui met désormais à l'abri des famines une grande partie de l'humanité ?
C'est tout à fait vrai, on le constate dans le monde indien ou en Chine, mais à quel prix ? Avec quels chèques tirés sur l'avenir ? On a, certes, créé les conditions provisoires d'une absence de famine mais à l'aide d'un modèle qui n'est pas généralisable ni durable à terme à cause de la consommation d'eau ou de l'utilisation massive d'engrais qu'il impose.
Dans ce contexte, comment nourrir les 10 milliards d'êtres humains qui devraient peupler la planète en 2050 ?
Il existe deux voies possibles. Une voie vraisemblable et une autre souhaitable. Le vraisemblable est que l'on va trouver progressivement des substituts, sous forme de viande artificielle, d'algues, d'insectes - 2 milliards d'êtres humains en mangent déjà régulièrement -, ce qui va globalement nous conduire à devenir de plus en plus végétariens. Ce serait du reste un retour aux sources. Je rappelle que, dans la Bible, Adam et Eve sont végétariens. On ne commence à manger de la viande qu'à partir de Noé.
On peut aussi imaginer un scénario plus souhaitable, celui de la désindustrialisation de l'alimentation. C'est notamment ce que préconise la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation, NDLR). Celle-ci imagine un modèle idéal qui permettrait de nourrir 10 milliards de personnes exclusivement en bio. Mais cela suppose des transformations gigantesques de l'agriculture, du régime de la propriété des sols, de la formation des paysans. Cela implique aussi des réglementations très strictes imposées aux géants de l'agroalimentaire. En matière de composition des produits, d'emballage. Pour les consommateurs, cela suppose de se fournir à proximité de chez soi avec des ingrédients de saison.
Tout ceci est évidemment possible en théorie, beaucoup plus difficile à réaliser dans la pratique. Ce sont des mutations structurantes de l'organisation sociale. S'il y a un jour une vraie révolution politique majeure, c'est dans l'agriculture et l'alimentation qui en seront à l'origine.
Nous parlions au début de cet entretien du rôle de la nourriture dans la constitution des empires. Peut-elle, à l'inverse, précipiter leur disparition ou à tout le moins leur affaiblissement ?
J'en suis persuadé. Et quand je dis cela, je pense évidemment aux Etats-Unis. Regardez ce qui s'y passe, notamment dans le domaine de l'obésité qui détruit littéralement leur population sans que les pouvoirs publics, prisonniers de lobbys puissants soient en mesure d'enrayer ce fléau. Aujourd'hui, rappelons-le, l'espérance de vie recule dans ce pays , en partie à cause de la façon dont ses habitants se nourrissent. Rappelons que l'empire romain a été détruit en partie par des erreurs de gestion en matière d'alimentation.
Si l'on veut construire à terme une gastronomie durable, respectueuse de l'environnement, il faut en passer par un capitalisme maîtrisé. Et de ce point de vue, la technologie peut nous aider. Bientôt  les frigos seront connectés . Et le maître du frigo sera la compagnie d'assurances, qui aura eu accès à vos données. Vous saurez alors vers quel sort vous attend selon la façon dont vous vous nourrissez. Or rien de tel que la peur de la mort pour nous faire accepter l'inacceptable, en l'espèce, un changement profond de nos comportements alimentaires.
Propos recueillis par Nicolas Barré et Daniel Fortin