AVERTISSEMENT
C’est sur la base de ce
texte qu’un groupe de camarades de la Gauche Communiste (FFGCI) s’est unifié
avec le groupe « Socialisme ou Barbarie ». Précédemment, il avait été
discuté au sein de la Gauche et repoussé par une partie des membres de l’organisation,
hostiles par ailleurs à une unification avec « S. ou B. ».
Au cours des discussions
entre ses signataires et les camarades de « S. ou B. », il a été
décidé d’y apporter certaines modifications. Très limitées, elles ne changent
en rien le contenu politique du texte. La dernière partie concernant la
tactique de lutte (Front unique, question coloniale, question paysanne) a été
considérablement abrégée – un accord complet existe entre les camarades sur ces
trois questions, mais ils ont estimé qu’elles étaient traitées de façon trop
hâtive dans le texte et qu’il était préférable de les aborder ultérieurement de
façon plus complète.
Le texte définitif sera
publié dans le prochain numéro de la revue « Socialisme ou Barbarie ».
LETTRE
DE VEGA : Perspectives et tâches
Paris
le 3 mars 1950
La Fraction Française au
P.C. Inter. D’Italie
Chers camarades,
La crise politique et
organisationnelle de la Fraction française est arrivée à son point d’éclatement.
Après le cycle de discussions avec le groupe « Socialisme ou Barbarie »,
les positions politiques au sein de la Fraction se sont précisées.
Un groupe de camarades
estime qu’il n’y a pas de divergence fondamentale entre les positions de
« S. ou B. », précisées au cours des discussions, et leurs propres conceptions.
En ce qui concerne les perspectives et les tâches de l’avant-garde, ces
dernières ont été exprimées pour l’essentiel dans le texte « Perspectives
et tâches » (ci-joint) et avec lequel le groupe « Socialisme ou
Barbarie » s’est déclaré d’accord.
Quant au rôle du parti
révolutionnaire dans la lutte des classes, ses rapports avec la classe ouvrière,
sa fonction dans la dictature du prolétariat ainsi que l’organisation même de
celle-ci, cette tendance manifeste son désaccord avec une certaine conception
existant, sur ce sujet, dans la Gauche ; bien que cette conception ne se
soit clairement exprimée par une analyse critique de la III ème Internationale
et de la révolution russe (qui seule aurait pu la justifier), elle n’en existe
pas moins et domine aujourd’hui la vie
politique de la Gauche elle-même. Elle se concrétise dans les formules « Gouvernement
du parti », « dictature du parti » et n’est en réalité que le
reprise pure et simple des positions prises par les bolcheviques en Russie sous
la pression d’une situation défavorable, positions qui ont été érigées en
dogmes par l’Internationale dans la période de la bolchévisation.
Ces camarades estiment qu’une
telle position n’est qu’un aspecte de l’attitude générale de la Gauche – et en
particulier du part italien – qui, au lieu de représenter un effort d’analyse
de la situation actuelle et, sur cette base, de dépassement des formulations et
analyses périmées, traduit, au contraire, une cristallisation sur ces dernières
qui se reflète dans toute son orientation. Ils affirment en conséquence qu’il
est impossible de poser la question de l’adhésion du groupe « S. ou B. »
à la GCI dans la mesure où celle-ci non seulement n’a pas pris position sur les
problèmes fondamentaux de l’époque actuelle, mais semble, au contraire, vouloir
nier leur existence même.
Ce groupe de camarades
pense que l’effort de discussion et de clarification et d’analyse ne doit pas
être subordonné à des questions, aujourd’hui formelles, d’organisation, et que,
sur le plan français comme sur le plan international, un travail commun avec le
groupe « s. ou b. » ne peut que faciliter ces tâches. Ils proposent
donc à la Fraction française de se joindre à « S. ou B. » sur la base
d’une déclaration politique commune et sous condition de l’ouverture d’une
large discussion internationale avec le parti italien sur tous ces problèmes.
Ces camarades se proposent donc de faire dans un document ultérieur une critique
des positions existant dans la Gauche et plus haut mentionnées.
Ces camarades tiennent à
se délimiter des conceptions exprimées par le camarade Lastérade et qui
traduisent un retour à une interprétations non marxiste des rapports des
classes, tout come celles que le camarade Chazé défend dans la mesure où il
proclame son accord avec le courant (…) (suite du texte disparue).
Paris
le 22 mars 1950
La
Fraction française au CC du P.C. int. d’Italie
Chers camarades,
La dernière réunion de groupe
a confirmé que huit camarades parmi lesquels les cam. Chazé, Vega, Camille,
Gaspard, que vous connaissez et quatre autres éléments jeunes recrutés par l’intermédiaire
des cercles d’études entendaient adhérer rapidement au groupe Chaulieu, ensuite
des propositions de travail commun fait par ce groupe. Une proposition de la
cam. Frédérique d’élaborer une plateforme de la FF qui serait présentée au
groupe Chaulieu comme bas d’adhésion a été repoussée par ces camarades. Le
résultat est que la Fraction se trouve divisée en deux, seuls les camarades
italiens et trois camarades français se refusant à quitter la Gauche. Les huit
entristes ont toutefois déclaré, dans la discussion de votre réponse à notre
proposition d’envoi d’un délégué, qu’ils « ne nous donneraient pas
satisfaction de brusquer la scission et attendraient la venue du délégué
italien ». Ils ont décidé en réunion « fractionnelle » au terme
d’une lettre insistant sur la nécessité d’envoyer un délégué.
A la réunion de groupe,
ils ont relevé dans la condition organisationnelle que vous mettiez à la venue
de celui-ci une conception « stalinienne » des rapports politiques.
Réunis également en « fraction », les camarades italiens et les trois camarades français qui se refusent à dissoudre la Fraction, adressent au Parti les conclusions et les propositions suivantes :
Réunis également en « fraction », les camarades italiens et les trois camarades français qui se refusent à dissoudre la Fraction, adressent au Parti les conclusions et les propositions suivantes :
1°) Ils tiennent à
protester pour la légèreté avec laquelle la lettre du Parti liquide la question
de la nature politique du groupe Socialisme ou Barbarie avec les termes
de « résidus du trotskysme ». Ni les documents, ni les thèses
présentées par ce groupe dans la discussion commune ne justifient une telle
appréciation. Celle-ci ne s’applique pas davantage aux positions exprimées dans
la lettre du camarade Lastérade, à laquelle, semble-t-il, il est fait également
allusion dans la lettre. Les camarades de la FF tiennent à insister auprès du
CC sur les difficultés que lui suscitent une attitude aussi peu scrupuleuse de
sa part.
2°) Ils relèvent une
contradiction dans le fait d’affirmer d’une part « qu’il faut reconnaître
qu’il n’existe pas d’unité de vue au sein du Parti sur une série de questions programmatiques
ou d’appréciation de l’actuelle période historique (rôle du parti dans la dictature-société
bureaucratique) et qu’il n’existe pas à
ce sujet une littérature politique suffisante et de conclure, d’autre part, que
le parti répondra aux camarades qui quitteraient la FF par « les idées et
les programmes qu’ils présentent à tous (les autres regroupements) ».
3°) Ils considèrent que
la seule base délimitative d’une organisation réside dans ses positions
politiques et que l’exigence d’unité concerne ces positions politiques
seules, sans qu’on puisse l’appliquer aux interprétations théoriques ni aux
perspectives programmatiques qui correspondent à chaque nouvelle phase de la
société capitaliste et de la lutte de classe et dont la discussion constitue le
contenu de l’activité de la Fraction.
4°) En conséquence, ils
entendent tenter un dernier effort pour éviter une scission, qui, réalisée dans
la confusion, ne peut que retarder la clarification des positions doctrinales
du groupe « Socialisme ou Barbarie » à laquelle le mouvement ne peut
avoir qu’intérêt et que ruiner toute possibilité de vie politique et d’expression
de la Fraction en la privant de ses éléments les plus actifs.
Sur la base des
considérations du point 3, la FF a donc décidé d’envoyer au groupe Chaulieu la
lettre que vous trouverez ici jointe et sur laquelle nous vous demandons une
réponse immédiate.
La Fraction insiste sur
la nécessité qu’un délégué du Parti vienne à Paris soutenir, en cas d’accord,
cette lettre au nom du BI de la GCI, auprès des camarades qui veulent entrer
dans le groupe Chaulieu, afin que puisse être prise une décision unanime des
camarades de la FF, sans laquelle la scission la scission a toutes les chances
de se produire. Nous rappelons à ce sujet qu’une normale réunion de groupe – c’est-à-dire
avec les huit camarades « entristes » a été prévue pour le
vendredi 31 mars. La FF demande au Parti
d’envoyer son délégué à Paris pour cette date, ou à défaut, de nous prévenir à
temps pour que nous puissions en convoquer une pour le dimanche 1 er avril.
5°) En ce qui concerne la
lettre même, la Fraction rappelle au Parti qu’elle se justifie par l’inexistence
des conditions d’une délimitation politique d’avec le groupe « Socialisme
ou Barbarie ». Par ailleurs, la crise de la Fraction et le manque de
littérature de la Gauche en général sur les problèmes d’interprétation de la
phase capitaliste d’Etat de l’économie, sur la contre révolution russe et même
sur le programme de la dictature du prolétariat en face à cette phase totalitaire
(y compris le rôle du partilui-même) ne nous permet nullement de poursuivre
isolément la clarification des thèses du groupe Chaulieu sur ces points.
La Fraction attire toute
l’attention du Parti sur le caractère nouveau du problème politique et d’organisation
posé par la proposition de travail commun du groupe « Socialisme ou
Barbarie » en raison du caractère politique de ce groupe et des thèses qu’il
présente sur les problèmes que nous sentons un malaise à avoir insuffisamment
abordés, thèses que la Gauche n’a pas encor eu à affronter de la part d’aucun
groupement (ci-joint un document de la
discussion entre les deux groupes, qui avec ceux qui vous ont déjà été envoyés,
constitue tout ce que nous pouvons vous faire savoir de ce groupe.
Les camarades de la FF se
réunissent à nouveau en réunion extraordinaire le dimanche 26 mars. Ils
vous prient de répondre par retour et par exprès pour leur
communiquer votre position sur le projet de lettre ci-joint et leur faire
savoir s’ils peuvent compter sur un délégué.
Salutations fraternelles,
pour la FF.
Dimanche
26 mars 1950
Chers amis,
Submergés que nous sommes
par les textes, les polémiques et surtout par la rapidité des prises de
position face à la crise de la FF, je n’ai guère eu le temps de répondre à la
lettre du 23 février ; D’autre part, je crois que tu as reçu l’essentiel,
sinon la totalité des textes, résolutions, lettres, etc. en présence puisque ta
dernière lettre au groupe nous a été lue ce matin par Mothé qui fait état de
ces documents. Dans ces conditions, tu es tenu au courant des mouvements d’opinion !
Je vais cependant essayer de te mettre sur ce papier quelques conclusions.
Tu auras vu qu’un groupe
de camarades parmi lesquels Alberto (Vega), Camille, Gaspard, partisans de l’entrée
dans le groupe Chaulieu, ceci sans demander auparavant à ce groupe un accord
sur les positions historiques de la Gauche, avaient parallèlement conclu à la
mort politique de la FF. En dehors de critiques parfaitement justifiées à l’adresse
du Parti italien (conservatisme des positions face à l’IC, trop souvent même
refus d’accorder une importance aux problèmes actuels du capitalisme d’Etat),
ces camarades, obnubilés par l’adresse de Chaulieu, son audace théorique, sa
facilité d’expression, sa nouveauté même, en sont venus à considérer comme nuls
les principes d’action de la GCI comme sa filiation historique de luttes de l’expériences.
En résumé, ces camarades en sont arrivés à confondre les positions politiques issues
de l’expérience de la lutte des classes et de la tradition de lutte de la
Gauche italienne, même si celles-ci présentent aujourd’hui des insuffisances, des
lacunes et même des erreurs d’appréciation, avec des études théoriques, sorte
de contribution purement intellectuelle à l’étude des phénomènes d’évolution de
la société capitaliste, laquelle loin de pouvoir constituer une plateforme
politique pour un groupe peut parfaitement se concevoir à l’intérieur des
cadres d’une organisation existante, pourvu que celle-ci soit politiquement
révolutionnaire et dispose d’une plateforme politique précise. Les dits
camarades, out en se retranchant derrière les traits négatifs de la Gauche
italienne, s’avèrent incapables de dresser eux-mêmes une critique de ces
positions, aussi bien d’ailleurs que le groupe Chaulieu.
Alors quoi ? Où cela
mène—il de scissionner, si le minimum pour une scission n’est pas donné, c’est-à-dire
le désaccord politique sur une série de question principielles. Ce n’est pas le
cas. Pour notre part (Mothé, Suzanne et les Italiens) nous reconnaissons l’impossibilité
pratique de mener un quelconque travail d’avant-garde à Paris avec nos seules
forces. D’autre part, nous ne voyons, dans la confusion actuelle des idéologies
successives de Chaulieu, qu’une solution : admettre le groupe Chaulieu
dans la GCI, sous réserve de l’accord de celui-ci sur les bases de la
Plateforme politique du Parti italien, publiée en 19.
A l’intérieur d’une même
organisation, il sera possible de déterminer si le groupe « S. ou B. »
est constitué par des fumistes, des « académistes » ou des camarades
de bonne volonté, égarés sur des routes de la recherche scientifique (hypothèse
la moins redoutable). Il est bien entendu que notre position nous est dictée
par deux données de fait.
La situation extrêmement
confuse dans laquelle nous nous trouvons par la faute des « entristes »
dans le groupe Chaulieu et aussi par le fait que nous avons été incapables, les
uns et les autres, de clarifier les positions principales de la Gauche et de les
développer (…).
DOCUMENTS
POUR LA DISCUSSION (de S ou B)
Extraits de deux « textes
d’orientation » suivants, du ponte Chaulieu/Castoriadis qui sont reproduits
intégralement dans mon bouquin « La critique de « socialisme ou
barbarie » par Lucien Laugier (2002, édition du pavé, à 50 exemplaires). J’ai
été en remettre un exemplaire à Jacques Signorelli, ancien de S ou B, qui était
un de mes voisins à Fontenay aux Roses (il vivait sans se connaître dans la même cité que notre regretté Jacquy Mamane) ; il avait apprécié les analyses
critiques de Laugier, mais pas les miennes trop cciennes.*
LA
NOTION DE CLASSE ET DU PARTI
1.La discussion sur la notion de la classe et du parti, et
sur les rapports respectifs de ces deux facteurs n’a pratiquement jamais été
menée dans le mouvement marxiste d’une manière approfondie et correspondant au
niveau scientifique général du marxisme (hi hi). Il est décevant de voir que les
principales « positions » classiques présentées sur ce problème ont
été défendues uniquement par des affirmations gratuites – « la
classe d’elle-même ne peut arriver qu’au trade-unionisme, la conscience
socialiste est inculquée de l’extérieur au prolétariat par l’intelligentsia
petite bourgeoise » - ou bien la spontanéité de la classe la conduit à la
révolution -, sans aucune tentative d’analyse sérieuse de la formation de la
conscience de classe ; il est étonnant de constater que les « positions »
qui ont été défendues par les groupes de gauche depuis 1923 ne sont qu’une
resucée appauvrie de ces affirmations gratuites.
Ile serait aujourd’hui
complètement inutile et insipide de reprendre cette discussion sur les bases
traditionnelles, pour affirmer ou pour nier, sans preuves et en se servant
uniquement « d’exemples » historiques convenablement choisis et
préparés pour les besoins de la cause, la « limitation » ou la « spontanéité »
de la classe. Ce qui est actuellement nécessaire, c’est d’appliquer pour la
première fois la méthode marxiste – l’histoire du mouvement ouvrier
lui-même et à la question de la formation de la conscience de classe du
prolétariat. Cet exemple est aujourd’hui rendu possible par l’existence d’une
expérience historique du mouvement ouvrier couvrant un siècle et demi, il est d’autre
part indispensable, parce qu’il donne seul les moyens de répondre aux
idéologues réactionnaires (bourgeois et bureaucrates) qui contestent la
capacité révolutionnaire du prolétariat, de résoudre le problème posé par la
dégénérescence successive de toutes les organisations se réclamant de la classe
ouvrière et de poser sur une base correcte la question des rapports entre la
classe et le parti.
L’importance de ces
questions est telle, qu’il faut purement et simplement refuser le droit à l’existence
politique aux courants et aux groupes qui, sur ces problèmes, restent muets, ou
se bornent à perpétuer un empirisme depuis longtemps périmé…
2. Depuis la fondation
de la III ème Internationale, la stratégie révolutionnaire d’ensemble a été
posée sur une base fausse, qui continue à prévaloir parmi tous les courants
issus du léninisme jusqu’aujourd’hui et fût (et reste) une des raisons de la
carence de ces courants (qu’il s’agisse du bordighisme ou du trotskysme). Le
développement du capitalisme et de la classe ouvrière et partant des conditions
subjectives et objectives de la révolution) était considéré comme étant parvenu
à son terme, au-delà duquel la décadence et le pourrissement tendent à s’emparer
de toute la société (y compris le prolétariat) : la tâche considérable qui
se posait était de construire les partis dans ces conditions qui ne pourraient
jamais plus devenir favorables.
Cette conception déjà
discutable en 1919 est aujourd’hui insoutenable théoriquement et défaitiste
politiquement. Insoutenable car aucune base objective n’est offerte pour
garantir cette construction indispensable du parti. Défaitiste, parce que si
toutes les conditions de la révolution sont données, à l’exception du parti, et
puisque ce parti n’a pas pu se construire pendant 30 années, on ne voit pas
pourquoi il pourra le faire à l’avenir.
A cette conception en fin
de compte superficielle il faut opposer une stratégie basée sur l’idée du développement
des conditions objectives et subjectives de la révolution. Nous partons quant à
nous de l’idée que les forces productives de l’humanité continuent à se
développer, c’est-à-dire qu’à la fois la production des biens continue à croître
et que les potentialités productives (technique) croissent encore plus ;
(voir l’article sur « la consolidation temporaire du capitalisme mondial »,
n°3 de S ou B; où cette affirmation est prouvée statistiquement). Nous partons
ensuite de l’idée que le prolétariat continue à croître en nombre et en
importance (son nombre absolu, son poids relatif et son poids spécifique
continuent à augmenter). Nous partons enfin et surtout de l’idée que les
capacités subjectives se développent toujours. C’est de cette dernière idée,
qui est le fond de la discussion actuelle et qui touche le plus directement l’élaboration
d’une nouvelle stratégie prolétarienne. Lorsqu’on parle du développement de la
capacité historique du prolétariat, il ne faut pas entendre ce développement
comme une progression constante, uniforme et sans opposition, mais comme
comportant des ruptures, des reculs apparents et surtout des contradictions
très profondes. Ces contradictions se résument en celle-ci, qu’en même temps qu’il
développe la conscience du prolétariat, le capitalisme développe à un degré
inouï l’exploitation et partant l’aliénation de cette classe au sens le
plus large du terme. Mais nous laisserons de côté dans ce texte les aspects
négatifs du processus sur lequel il ne pourrait pas y avoir en gros de
divergences.
3. Le développement de la
capacité historique du prolétariat se traduit par le développement de sa
culture, de son expérience, et de sa conscience.
Malgré et contre l’approfondissement
de l’exploitation et de l’aliénation, le prolétariat participe au développement
général de la culture au moins dans une proportion plus considérable que les
autres classes de la société. L’abîme qui existait dans les formes précédentes
de la société entre la culture de la classe exploiteuse et la non-culture des
exploités a été supprimé ; d’autre part, et surtout, le développement de
la technique et de l’économie du capitalisme moderne a comme condition
indispensable le développement de la culture industrielle des producteurs. A la
base du développement de la culture du prolétariat, aussi bien de la culture
générale que de la culture industrielle, se trouve la nécessité pour la classe
dominante de développer la production, qui implique fatalement le développement
des aptitudes productives du prolétariat.
Tout aussi important que
la culture industrielle est la culture sociale générale que s’approprie avidement
le prolétariat. Il ne s’agit pas ici non plus d’une progression culturelle
graduée et insensible, mais du fait que les grandes masses sont jetées
brutalement dans la vie moderne, qui leur impose des conditions impliquant l’appropriation
latente de toutes les formes de culture héritées ou en train de se créer et le
rejet des autres qui sont en train d’être dépassées.
Si nous parlons de cultures
du prolétariat, entendant par là la participation du prolétariat au
développement de la conscience humaine en général, nous devons entendre par
expérience du prolétariat la formation qui lui est propre en tant que classe
exploitée de la société moderne, c’est-à-dire les éléments concernant sa
situation de classe, sa lutte, ses buts et les moyens de celle-ci.
Cette expérience a comme
origine précisément l’action propre du prolétariat dans deux sens : d’abord
ce n’est que dans la mesure où le prolétariat envisage la société et sa propre
situation comme une réalité à transformer qu’une expérience de classe peut être
formée. Ensuite l’expérience du prolétariat se forme en tant qu’expérience non pas
d’un individu ou d’un groupe, mais surtout (quoique non exclusivement), en tant
qu’expérience objective ; c’est-à-dire à chaque étape importante la
classe réalise, incarne le but et les moyens de sa lutte dans une forme donnée,
qui prend par la même une réalité sociale… ».
o
O o
Il y a ainsi des pages et
des pages de ce jargon sociologique que Monsieur Castoriadis a jugé bon de reproduire
dans ses œuvres complètes de fumiste psychanalyste, oui vrai fumiste comme l’ont
compris à l’époque Mothé et les autres. On se demande comment la poignée de
militants bordiguistes français a pu se laisser séduire par un langage aussi
ampoulé et étranger au langage marxiste. L'arrogance de Castoriadis/Chaulieu justifie l'appel au secours au PC Int. du 22 mars (envoyez-nous un délégué!). Le radicalisme verbal de Chaulieu, qui
étale son arrogance de « découvreur » (je vous ai souligné en gras sa
prétention au début du texte) est pourtant puéril alors qu’il ne fait que recopier en seconde main
le meilleur de Lénine et de Rosa, et qu’il a piqué le « conseillisme »
à un Pannekoek encore vivant, sans respect pour lui.
LES
PERSPECTIVES ET LES TACHES
(second
texte de SB soumis à la discussion)
« Avoir une
perspective pour un marxiste c’est avoir une orientation d’action (fortiche !).
Dans cette mesure on peut dire qu’il existe un rapport étroit entre le programme
révolutionnaire et la perspective révolutionnaire (quel oxymore !). Or ce
qui caractérise essentiellement la situation de l’avant-garde à notre époque c’est
qu’est remise en cause pour elle à la fois le programme et la perspective.
En effet le véritable
point de départ d’une nouvelle prise de conscience par l’avant-garde de ses
tâches réside dans la reconnaissance du caractère historiquement dépassé du
programme socialiste défini comme suppression des rapports de propriété prévalant
dans la société capitaliste classique et comme la nationalisation des moyens de
production… ».
Tout est ainsi survolé
superficiellement. Le capital s’est élevé au-dessus du simple monopole. Les bolcheviques
avaient sous-estimé la tendance à la concentration du capital. Le capitalisme d’Etat
russe n’aura été qu’une manifestation de cette tendance à la concentration
accrue. Une troisième guerre mondiale vers l’extension de la domination « bureaucratique »
russe. Il espère enfin qu’une avant-garde, de type léniniste pourtant, pourra
apparaître avant cette troisième guerre mondiale.
On sait comment a fini Castoriadis,
en particulier comme fervent défenseur du bloc US. L’intérêt de ce survol
rapide, et de cette découverte de nouvelles correspondances entre minorités
révolutionnaires tourne sur la fascination pour l’ancien et l’attirance pour le
nouveau. La tradition de la Gauche italienne reste une référence indomptable
dans la durée. Il existe encore dans le monde des militants qui défendent
mordicus la théorie bordiguiste de prise du pouvoir par le parti, et qui font
partie des générations renouvelées qui font toujours confiance à la capacité
historique de la classe ouvrière. Du courant S ou B, il ne reste plus rien,
sinon une référence pour la sociologie distinguée, quand Casto a compilé ses
textes pour les accoler à son œuvre philosophique. Pourtant issu du trotskisme
ce courant a produit des hommes de valeur, les Lyotard, Souyri, et même Henri
Simon, mais, exceptée la courte existence de Pouvoir ouvrier et la Gauche
Marxiste, rien de rien depuis le début des années 1970. Ce bâtard de l’opportunisme
d’avant-guerre, devenu frère du stalinisme rangé des goulags, le trotskisme lui
a survécu avec les mêmes tares politiques que S ou B avait bien su dénoncer,
tantôt sous forme populiste syndicaliste, tantôt sous l’anarchisme de toutes
les couleurs du NPA.
Il faut reconnaître que S
ou B avait constitué un effort politique louable dans l’immédiat après-guerre
et le profond désarroi que la guerre n’ait pas facilité une nouvelle
révolution. La « nouveauté », ou la prétention à tout revoir en plus
fort que la génération précédente, s’accompagne souvent d’un « élu de la
providence », d’un chefaillon qui se gonfle les chevilles, dans à peu près
tous les groupes. Castoriadis n’aura été que le Dr Raoult de l’époque de
pandémie stalinienne, avec discours scientiste et mépris pour l’ancien « mouvement ».
Je souscris au propos de
Mothé lorsqu’il dit que c’est S ou B qui aurait dû, dans l’absolu (et en se débarrassant
de son guru) se fondre dans le PC Int. Les huit « déserteurs » du
bordiguisme n’avaient accompli qu’une moitié du chemin (dépasser la conception
du parti-Etat) et se sont fourvoyés dans l’impasse d’un groupe bâtard d’un
courant de l’extrême gauche néo-stalinienne sans principes.
L’ancien mouvement partidaire
portait pourtant l’avenir. Même le PC int. avec ses conceptions voisines du stalinisme
sur le parti, gardait des principes marxistes qui lui ont permis de durer jusqu’à
nos jours. Et puis, on n’avait pas attendu un nouveau guru issu du trotskisme
dégénéré, il suffisait de connaître Pannekoek et de lire Rosa Luxemburg… On ne prêtait
aucune importance à la GCF (Gauche Communiste de France avec son journal à prétention éphémère "L'étincelle" pâle copie franchouillarde de… L'iskra) qui avait été plus
loin, bien avant les approches de Chaulieu/Castoriadis. Les huit « entristes »
qui se sont égarés dans S ou B, se sont perdus ensuite dans la nature (sauf
Chazé), et surtout n’ont rien apporté théoriquement ni de nouveau ni d’ancien.
Par contre, ceux qui sont
restés fidèles à la continuité organisationnelle, les Marc Chirik et Lucien
Laugier, ils nous ont transmis les principes et les leçons de cette époque.
Chirik par un travail théorique au long terme via Ri et le CCI. Laugier, dans
la solitude du mémorialiste, est arrivé aux mêmes conclusions, plus brillamment
sur le plan littéraire mais avec moins d’impact que Chirik. Ces deux hommes ont
montré que l’ancien peut ne pas être un frein au moderne s’il sait voir dans le
moderne ce qui vérifie l’ancien et dans le moderne ce qui ne peut se séparer de l'ancien.
Le clinquant de l’historicisme
universitaire qui fait croire à la brillance de S ou B face au « vieux
monde bordiguiste » vous cachera pour l’éternité l’influence inévitable d’une
petite fraction. La terreur de la fraction bordiguiste, Suzanne (Bordiga lui
dit un jour d’aller se faire soigner et préférait correspondre avec Laugier)
mais robuste combattante du prolétariat, inverse les clichés dans un courrier :
« …il n’était pas
dit du tout que nous n’ayons été pour rien dans l’évolution du groupe Chaulieu ;
je trouve au contraire des choses qui me semblent venir directement de nous et
qui en tout cas diffèrent sensiblement des déclarations révisionnistes orales,
dans l’affirmation : « qu’il faut reposer les problèmes à partir du
point où Marx et ses successeurs l’ont fait et se placer dans une tradition, ne
pas toucher aux positions marxistes avant que les événements sociaux ne les aient
rendus clairement caduques » (*)
(*) p. 86 de mon livre,
grâce soit rendu à François Langlais d’avoir sauvegardé et compilé ces textes, parce que
les sectes n’ont pas d’archives ou les détruisent ; je ne comprends toujours
pas qui a donné l’ordre de détruire les archives de RI il y a trente ans à Montrouge, et
pourquoi ? même si j’ai réussi à en sauvegarder une grande partie ! On disposait d'archives rares sur tout le mouvement révolutionnaire prolétarien de l'avant-guerre, classées et annotées par Max.
Ces lettres retrouvées
auraient pu être insérées dans mon édition de 2002 dédiée à Laugier, publié faute de moyens à 50
exemplaires, et il mériterait de trouver un éditeur vu la qualité des textes de
Laugier et son décryptage du révisionnisme de S ou B.
Sur Laugier et les grands noms du mouvement révolutionnaire moderne occultés par la bien-pensance historique dominée par l'extrême gauche bourgeoise et leurs pères staliniens, lire "Notices biographiques 1915-2015", l'extraordinaire travail d'exhumation et de transmission de la mémoire de ces flambeaux marxistes de la perspective révolutionnaire plus loin que nos vies, par Philippe Bourrinet (je peux faire suivre sur demande le fichier, qui demande sans cesse à être renouvelé ou corrigé, un travail de Titan.
Sur Laugier et les grands noms du mouvement révolutionnaire moderne occultés par la bien-pensance historique dominée par l'extrême gauche bourgeoise et leurs pères staliniens, lire "Notices biographiques 1915-2015", l'extraordinaire travail d'exhumation et de transmission de la mémoire de ces flambeaux marxistes de la perspective révolutionnaire plus loin que nos vies, par Philippe Bourrinet (je peux faire suivre sur demande le fichier, qui demande sans cesse à être renouvelé ou corrigé, un travail de Titan.