"Nous sommes confrontés à une guerre contre le djihadiste, le terrorisme et l’islamisme radical. Nous ne pouvons pas perdre cette guerre de civilisation". Manuels Valls (Premier ministre sur Europe 1)
«Les musulmans sont chez eux en France» (le même)
«Il faut toujours avoir en tête le mot d'ordre de l'État islamique diffusé il y a un an quand notre armée s'est engagée dans la coalition: tuer les Français par n'importe quel moyen: couteau, pierre, fusil, automobile…» Pascal Bruckner
«Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait». VOLTAIRE
«...la première leçon apprise sur le champ de bataille est que, plus on se rapproche de l’ennemi moins on le hait». Jesse Glenn Gray (The warriors, 1959, intro d’Hannah Arendt)
«Même aux plus stables, le futur n’est jamais assuré». Michel Verret
Immédiatement après «l’attentat terroriste» de la région lyonnaise à Saint-Quentin-Fallavier, dans une usine classée Seveso, le gouvernement appela à «resserrer les rangs de la nation», à ne pas se laisser aller aux «divisions», quand les rumeurs les plus folles batifolaient déjà: Daesch aurait mis un pied à terre in France! Vigipirate partout! Tous aux abris!
On apprenait qu’un type (un individu selon les uns, un jeune homme pour la presse bien pensante) avait foncé dans l’usine avec un véhicule pour faire exploser des bouteilles de gaz puis qu’on avait trouvé une tête tranchée accrochée aux grilles entourée de deux drapeaux «islamiques» ou quelque chose dans le genre. Un média titrait peu après: «Il a égorgé son patron»; pourquoi pas puisque tant de patrons poussent leurs employés au suicide, mais même un patron n’a-t-il pas le droit de vivre et de partir en vacances, d’être aimé par sa femme et ses enfants? Mais hélas même sur les plages on n’est plus tranquille, à preuve dans cette pauvre Tunisie démocratique commerciale, entourée de féroces dictatures mortifères, où un autre «individu» psychopathe aussi imprévisible a tiré dans le tas des bronzés de la plage, commettant une trentaine de morts innocents puis a été suicidé par la police.
En temps réel, Radio propaganda France autorisait un de ses porte-voix à déclarer que l’attentat à une encablure de Lyon était lui en fait une attaque contre les travailleurs, qui étaient 43 dans l’usine en question au moment où le premier psychopathe a tenté de tout faire sauter. Donc l’émotion était grande parmi «les travailleurs». Des spécialistes étaient convoqués sur toutes les chaînes de propagande pour discerner une attaque concertée de Daesch dans trois endroits: France, Tunisie et Koweit, pour fêter un autre anniversaire funeste des fous d’Allah. On soupesait, on dramatisait, on épiloguait sur le «complot» islamiste qui, on en est certain à chaque fois, régente la planète. La campagne antiterroriste allait réconcilier, comme à chaque fois, toutes les classes sociales, redorer le blason du pâle ministre de l’Intérieur, voire donner des chances de réélection à l’actuelle occupant de l’Elysée sans qu’il change quoi que ce soit à son quotidien d’inaugurateur de chrysanthèmes.
Et puis plouf, en tout cas pour l’attentat en France. Il n’aurait été qu’une variété, certes atroce, de fait divers. Le type en question devait se venger de son patron (qui l’avait rabroué pour avec laisser chuter une palette contenant du matériel électronique) et de sa femme (on ne connait pas encore la teneur des bisbilles familiales); mythomane lâche, il confiait aux flics avoir voulu se suicider. Pas brillant comme argumentation (dégonflée) d’un présumé envoyé de Daesch (qui aurait si bien su abuser tous nos espions informatiques policiers)! Maquiller un crime sordide en opération au nom d’Allah; il aurait crié ‘Allaou Akbar’ au moment ou les flics lui ont mis le pied dessus avec les pompiers, à moins que ce soit aïe ouille! Minable maquillage de taré: décorer la tête de son patron assassiné de deux drapeaux daechiens et poster un selfie pour inquiéter la communauté internationale, après avoir laissé traîner un coran dans le véhicule et un pistolet en plastique... Echéc hélas, la cabine du camion lui a évité d’exploser à son tour et les autres bonbonnes de gaz n’ont pas explosé non plus.
Mais ce qui devrait être un échec pour la propaganda gouvernementale ne le sera pas vraiment, celle-ci démultipliant communiqués et révélations à vous donner le tournis et à radoter «qu’on est en guerre», même si on ne sait pas exactement contre qui. Et le plus subliminal sous les analyses musulmaniaques ou géopoliticiennes des experts, n’est-ce pas le retour de «l’ennemi intérieur», la hache d’une «cinquième colonne arabe» qui plane au-dessus de vous, votre collègue musulman, si gentil apparemment, qui un jour, sans crier gare, peut vous couper le kiki? Et tous ces réfugiés affamés, sans femmes, qui débarquent de Lampedusa à Malte, ne vont-ils pas venir vous piquer femme et travail? La propaganda si antiraciste et si généreuse en paroles pour l’immigration du monde entier vous renvoie un message bien différent sous ses orgueilleux appels à la tolérance et à la convivialité dans l’atroce informationnel, informe et dégoulinant. Et le débat franco-français de rejaillir abstraitement entre les «padamalgame» Todd et le trotskien moustachu de Médiapart face aux effarés de la «capitulation des élites face à l’islam radical» les Finkielkraut et Laignel-Lavastine.
Tous les attentats ne sont pas à mettre sur le même plan ni le produit d’une coordination machiavélique, ils sont surtout tous re-traités, interprétés et utilisés par tous les clans intellectuels en lice des obligés du pouvoir bourgeois, qui se démènent pour occuper la scène ronde du cirque, et tournoyer ensemble pour opacifier les vraies questions que pose le capitalisme décadent.
Dans ce capharnaum, relevons les propos intelligents du juge Trévidic, qui explique, concernant le crime de la région lyonnaise, qu en somme il y a pas mal de psychopathes de nos jours (voire de plus en plus) qui n’ont même pas besoin du coran pour délirer et passe à l’acte: «Le nombre de personnes atteintes de délire djihadiste est exponentiel!» Deux jours après les attaques djihadistes en Isère et en Tunisie, le juge antiterroriste Marc Trévidic dans une interview au Télégramme, estime que: «La population concernée est plus jeune, plus diverse et aussi plus imprévisible, avec des personnes qui sont à la limite de la psychopathie... mais qui auraient été dangereuses dans tous les cas, avec ou sans djihad». « Ceux qui partent faire le djihad agissent ainsi à 90 % pour des motifs personnels: pour en découdre, pour l'aventure, pour se venger, parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans la société... Et à 10 % seulement pour des convictions religieuses: l'islam radical. La religion n'est pas le moteur de ce mouvement et c'est ce qui en fait sa force».
Ce fait divers est pourtant diablement révélateur de l’utilisation par de plus en plus d’individus paumés de la religion musulmane comme couverture à leurs délires suicidaires.
Certains appellent culture ce qui est bourrage de crâne des peuples depuis l’enfance au lieu de s’interroger sur la perte du sens de la vie humaine, sur pourquoi des hommes encore infantiles en viennent à tuer leurs semblables le sourire aux lèvres. Au lieu de se pencher sur la société actuelle capitaliste qui produit de tels suicidaires, on préfère radoter sur la théorie du complot et de la manipulation terroriste.
[Toute la presse finit par reproduire l’info suivante: «Motivations terroristes ou personnelles ?
D'abord mutique pendant les premières heures de sa garde à vue, Yassin Salhi a commencé « à s'expliquer sur le déroulé des faits » samedi soir, avant d'avouer l'assassinat de son patron, Hervé Cornara, 54 ans, selon des sources proches du dossier. D'après iTélé et Le Parisien, il aurait agi en raison de tensions avec son épouse et son patron et aurait voulu se suicider en réalisant un coup médiatique sous couvert de terrorisme. Les deux hommes se seraient disputés il y a quelques jours. Yassin Salhi avait fait tomber lors d'une manœuvre une palette de matériel informatique. Il s'en serait pris à son employeur sur un parking entre son entreprise et le site de l'usine d'Air Products. Le selfie, évoqué ensuite et qui prouve que l’individu est bien un enfant d’internet (de la gloriole virtuelle du web planétaire) - qui convient parfaitement au délit de confirmation de délit de terrorisme en copains organisés - est très vite identifié comme ayant «été envoyé à un numéro canadien via la messagerie WhatsApp, est finalement parvenu à Sébastien-Younès V., originaire de Vesoul (Haute-Saône) et parti en Syrie en 2014. Connu des services de renseignement et localisé à Raqqa, il combat dans les rangs de l'Etat islamique». ]
La palme de la cuistrerie revient à M.Valls avec l’expression "guerre de civilisation", redite de celle utilisée par Nicolas Sarkozy en janvier 2015, qui avait pourtant été critiquée par le Manuel Valls de l'époque, déclarant alors : « Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme. Nous ne sommes pas dans une guerre contre une religion, contre une civilisation», soucieux de ménager en permanence l’électorat musulman et de tordre le cou à «lamalgame».
LA DITE GUERRE DE CIVILISATION (démocratique bourgeoise) CONTRE UNE BARBARIE (islamiste et féodale) EST UN LEURRE
Leurre des divers rapaces impérialistes en lice quand on cantonne peuple et prolétariat au niveau du fait divers confondu avec un complotisme de pacotille et borné par l'hypocrite diversion anti-terroriste, qui évite de penser l'impérialisme, et de fustiger la responsabilité de notre propre impérialisme, vendeur d'armes triomphant doublement puisque l'acte «terroriste" du psychopathe vient à point justifier les affaires militaristes (et créatrices d'emploi pour un prolétariat soumis) de «notre» Etat VRP.
Le grand jeu du capital décadent est un jeu de cons. Les forces capitalistes sont inconscientes et comme le dit très justement cet auteur anonyme de blog, le pompier pyromane se brûle les doigts:
«A chaque fois, une conjonction d’intérêts américano-saoudienne qui favorise l’islamisme, le djihadisme et le chaos. Et ce qui devait arriver finit par arriver : le pompier-pyromane se brûle les doigts et ne peut plus éteindre le feu. La créature s’échappe et se retourne contre le docteur Frankenstein, l’exemple le plus fameux étant bien sûr Al Qaeda.
En ce qui concerne l’Etat Islamique, autre créature sortie du chapeau magique, l’Amérique n’est pas directement coupable en ce sens qu’elle ne l’a pas créé. Mais sa responsabilité indirecte est énorme. Ce sont les usual suspects saoudiens et qataris qui ont développé l’EI et Washington était parfaitement au courant, comme l’a reconnu le général Wesley Clark : « Ce sont nos amis et alliés qui ont financé l’EI » : https://www.youtube.com/watch?v=QHLqaSZPe98
Le but était, pour les pétromonarchies fondamentalistes sunnites, de casser l’arc chiite (Iran-Irak-Syrie-Liban) en créant un "sunnistan" à cheval sur la frontière syro-irakienne. Ca collait parfaitement avec les intérêts US - et israéliens ! - donc tout le monde a fermé les yeux. Le Qatar jouait aussi une carte plus personnelle, désirant ardemment faire passer son gazoduc par le territoire syrien pour relier le marché de consommation européen, ce qu'Assad refusait sur les "conseils" russes. Il fallait donc le faire partir du pouvoir et financer la ribambelle de rebelles. Washington savait également dès 2012 que la Syrie était en train de devenir une terre de Djihad où pullulaient les groupes fondamentalistes et que l’opposition "démocratique" si vantée par notre volaille médiatique n’existait à peu près que sur le papier. Pire ! un document récemment déclassifié, rédigé lui aussi en 2012 par le DIA (l’intelligence militaire), montre que le Pentagone connaissait pertinemment le danger de création d’une "principauté salafiste", mais poursuivit néanmoins sa stratégie anti-Assad en soutenant des mouvements flirtant dangereusement avec la ligne rouge : http://www.politis.fr/IMG/pdf/Pg--291-Pgs--287-293-JW-v-DOD-and-State-14-812-DOD-Release-2015-04-10-final-version11_1_.pdf
(cf. http://chroniquesdugrandjeu.over-blog.com/).
L’ALTERNATIVE RESTE BIEN: OU CAPITALISME CATASTROPHIQUE OU REVOLUTION COMMUNISTE UNIVERSELLE
Quand le prolétariat se réveillera...
Si le système dominant ne se souciait pas tant de nous enfumer par ses tonnes de mensonges ou ses simplismes politiques, on pourrait penser qu’il est serein dans la conservation des injustices séculaires et des inégalités tutélaires. En réalité, la bourgeoisie, les bourgeoisies sont inquiètes. Inquiètes non d’une conscience de classe aléatoire, qui retombe régulièrement dans une politique d’autruche, qui craint même d’invoquer le marxisme, mais des conséquences de ses compétitions économiques, militaires et terroristes - et de tous les camps terroristes car il n’y a pas que Daesch qui est terroriste mais toutes les armées et polices des grandes puissances, qui laissent Daesch parader dans le rôle du méchant.
Les conséquences de l’avanie capitaliste sont, principalement: des centaines de meurtres de civils tous les jours de Syrie en Ukraine, des milliers et des milliers de fuyards des guerres, des conditions financières inadmissibles pour de petits pays comme la Grèce (plus flouée par les requins de Goldman & Sachs que par l’impéritie locale, l’absence d’impôts et le règne du black travail), des millions de chômeurs maquillés en assistés, en réfugiés, en migrants, etc. ; il faut noter enfin ce paradoxe d’une Grèce endettée jusqu’au cou, mais obligée d’accueillir sous injonction des anonymes bureaucrates de Bruxelles les milliers et milliers de réfugiés des guerres du Capital.
Avec la domination de l’idéologie binaire spectaculaire et fallacieuse - démocratie contre islam radical - la bourgeoisie a la prétention d’avoir mis fin à tout internationalisme, à toute possibilité de réveil de la conscience de classe du prolétariat mondial. Le fer de lance de son attaque est la tolérance démagogique en même temps que la perpétuation de la «nationalisation» de la classe ouvrière. L’idéologie de la tolérance se décompose en antiracisme de la phrase officielle et en promesse d’accueillir tous les immigrants sauf réserves de dernière minute; du Nouvel Obs à Libération, l’élite à bobos prône la simple ouverture des frontières comme si le capitalisme était devenu communiste. L’idéologie bourgeoise mise en réalité toujours plus perversement sur la division du prolétariat. Comme le prolétariat n’est plus en soi les prolétaires du cru + l’immigration, car l’immigration n’est plus simplement une immigration de travail - au temps où les immigrés pouvaient s’apparenter aux ouvriers-paysans ou aux catégories récemment prolétarisées - mais de façon croissante fuite des guerres ou une volonté d’ascension sociale de couches petites bourgeoises (intelligentsia flouée des lib nationales), la bourgeoise peut encourager la confusion par un discours humaniste et une fallacieuse promesse de large accueil, franchement irréaliste dans la crise de la misère, mais empoisonnante.
L’immigration a toujours été traitée comme un phénomène ambigu, et de nos jours plus encore avec l’inflation médiatique de l’islam parasitaire de la pauvreté. L’immigration ne constitue pas en soi la classe ouvrière qui a été créée dans les cadres nationaux par migrations internes dans les plus anciens pays capitalistes. Il n’empêche que l’industrie allemande s’est développée surtout avec des immigrés polonais et le Luxembourg avec des italiens; mais cela c’était avant, au temps du jeune capitalisme florissant, alors qu’à présent il s’agit de tuer les concurrents, de détruire des emplois industriels... et où la guerre économique se fiche de la nationalité tout comme elle dépend de la guerre tout court. Aux Etats Unis, où la classe ouvrière a été exclusivement créée à partir de l’immigration, c’est dans ce pays que la politique discriminatoire a été le plus précocement appliquée pour les nouveaux arrivants (contre les «jaunes», etc.), comme par hasard en période de crise mondiale ou de guerre. L’imigration a toujours été plus un problème pour la classe ouvrière que pour la capricieuse classe exploiteuse...
C’est la guerre de 1914 qui a arrêté le processus naturel d’immigration, généralisant la suspicion de l’étranger comme un ennemi. Pour la CGT chauvine qui fait corps avec le gouvernement, réglementer l’immigration sert l’intérêt national. C’est à partir d’avril 1917 - inquiétante époque des débuts de la révolution russe - que sont exigés en France des papiers d’identité pour les étrangers, bien avant que ne soit créée la carte d’identité nationale. Dans la guerre l’immigré doit rester un étranger, mais travailler pour l’industrie de guerre sans relever la tête; le ministre socialiste de l’armement Albert Thomas fait venir (sans papiers) 180 000 «travailleurs coloniaux». Après l’armistice de 1918, le gouvernement français donne comme instruction «de licencier les étrangers en premier et de les réembaucher en dernier», mais vu l’immense destruction d’hommes le patronat crée en 1924 une Société générale d’immigration à sa main. Seule la CGTU combat paternalisme colonial et xénophobie. Mais à la suite de la crise de 1929, la CGT (pas encore réunifiée avec la CGTU) ,fixe à 10% la proportion des étrangers dans les travaux publics. En 1936, la CGT réunifiée se fiche de la main d’oeuvre étrangère. En 1946 la fédération CGT du bâtiment demande le refoulement des immigrants. Pour toutes les courroies du parti stalinien «l’internationalisme prolétarien se confond avec les intérêts supérieurs de la nation». Les historiens gauchistes ne cessent de rappeler le massacre à Paris du 17 octobre 1961 où la provoc du FLN est minorée, mais ils oublient le 14 juillet 1953 où les flics chargent une manif CGT composée d’ouvriers algériens (7 morts et une centaine de blessés à Paris); trop «classiste»!
La conscience d’être membre d’une même classe mondiale, internationaliste, n’a jamais été aussi dominante ou répandue que le laisse croire nombre de rêveurs marxistes, ou qui se croient tels. C’est dans les luttes plus souvent ponctuellement que la fraternité entre prolétaires autochtones, d’origine étrangère ou étrangers (mais pas dans le carcan statutaire du secteur public chauvin) s’est révélée ou affirmée. Ce que l’on taxe de xénophobie de petit blanc de nos jours, était qualifié de rigidité hier, rigidité assumée d’ailleurs prioritairement par les bureaucraties syndicales officielles (qualifiées de «mouvement ouvrier» par les auteurs de l’intéressant ouvrage «Ces migrants qui font le prolétariat» édité en 1993):
«La rigidité des attitudes du mouvement ouvrier face à l’immigration, vient déjà du retard à tenir compte des transformations du monde du travail, mais plus encore d’un effet de réaction, de déstabilisation voire de déperdition (crise du syndicalisme) par décentrement même de la classe ouvrière; celle-ci éclate en segments salariés différenciés, se trouve débordée par la généralisation du salariat et par l’amplification du travail précaire» (p.72).
Or ces sociologues sous la direction de René Gallissot n’ont pas une vraie connaissance des «transformations du monde du travail» - qui ne se transforment pas beaucoup d’ailleurs - oubliant de comparer ce qui est comparable et ce qui est incomparable ou prometteur d’avenir de classe. La fragmentation en salariés différenciés ne date ni des années 1990 ni des années 2000. A ma connaissance, aucun syndicaliste ni aucun gauchiste n’a réclamé l’embauche de travailleur immigré à EDF, à la Poste ou dans la Fonction publique en général depuis la guerre de 45! Un Etat sans classe ouvrière divisée en CDI et CDD, chômeurs et immigrés, femmes et transgenres, en retraités privilégiés et retraités pauvres ne vivrait pas deux semaines. La précarité, même si elle a été atténuée voire presque éradiquée pour les secteurs qui font fonctionner l’Etat néo-bismarckien, reste un état général et invariant de la condition ouvrière en général. Il n’est donc pas question de rigidité mais de concurrence pour le sinistre droit au travail, et, tant que le Capital existe, il n’est pas de solution satisfaisante ni comptable ni réformiste radicale, encore moins dans les situations de guerres incessantes dans notre monde actuel.
Le combat des prolétaires immigrés, dans les années suivant mai 68 en France en particulier, n’a pas été un combat d’immigrés, qui aurait été un prélude au combat antiraciste sponsorisé par l’élite rose et gauchiste bourgeoise par après, mais un combat du même type que les fameux IWW américains du début du siècle dernier; ces derniers étaient méprisés par les syndicats officiels car ils organisaient un même type de prolétariat que les immigrés, sorte de prolétariat urbain précaire, sans qualifications ni diplômes, sans feu ni lieu, à la limite de l’exclusion sociale (les auteurs font référence à ces catégories tenues à distance par la syndicratie d’Etat p.225 et p.227 à leur remise en question de toutes les hiérarchies, tabou qui horrifie les marxistes coincés).
C’est toujours des fractions les moins qualifiées, les moins boboïsées de la classe ouvrière, que naissent les luttes les plus radicales: exigence de la représentativité directe, souveraineté des AG, rejet des syndicats officiels, création de comités élus et contrôlés par les grévistes. Les ouvriers du privé, et avec parmi eux, les jeunes paysans des colonies récemment prolétarisés, ont un autre avantage dans ces années là, une conscience supérieure à la défense de l’entreprise, borne syndicale qui limite la conscience des employés du secteur public, ils refusent de trouver au travail leur seule source identitaire. Et contrairement aux interprétations sociologiques (y inclus dans le recueil «Ces migrants qui font le prolétariat») ce n’est pas en référence à l’islam dont on leur a bourré le crâne enfant que ces prolétaires s’engagent mais pour une autre société, pas la présente à laquelle ils ne sont même pas conviés électoralement. Dans les années 1970, étrangers ou français, nombre de prolétaires croient encore à une alternative au capitalisme, même s’ils oscillent entre stalinisme et véritable communisme. Les luttes à dominante immigrés de ces années-là sont donc plus communes/communistes au sens noble du terme; elles sont longues et appellent clairement à la solidarité; elles tendent au dépassement du cadre de l’entreprise, certes du fait que la plupart des immigrés célibataires sont dans des logements de merde mais aussi victimes de stigmatisation sociale pour ne pas dire raciste. Mais la jonction ne se fera pas entre ceux qui restent enfermés dans le carcan du sacro-saint «service public», lieu de villégiature des familles syndicales et les travailleurs sans patrie et sans entreprise de la noria de petites boites ou usines dispersées.
L’allégeance à l’islam, au cours des années 80 ne vient pas d’une soit disant quête identitaire du milieu ouvrier immigré, c’est une fabrication de l’élite bourgeoise du PS avec les sous-marins gouvernementaux des pays arabes. Les directions des grandes usines y voient un facteur d’apaisement social; c’est pourquoi Jospin aura le feu vert pour vanter l’installation de salle de prière sur les lieux de travail.
La popularisation de l’antiracisme, qui succède aux grèves des 70 plus ou plus chapeautées politiquement par les faux espoirs de «luniondelagauche», n’est pas une faiblesse - parce qu’il serait un humanisme «pris au piège de l’identité nationale» (p. 122), mais une nouvelle arme de la bourgeoisie pour dissoudre la question des classes et la nécessité de renverser l’Etat bourgeois, quand les migrations en soi font sauter, dans le pays d’origine comme en métropole, les frontières territoriales et identitaires. L’immigré type d’où qu’il vienne ne vient pas pour prier à genoux mais pour trouver femme et travail, et vivre convenablement. On va donc lui refiler l’antiracisme et l’islam dans la salle d’attente.
LA CLASSE OUVRIERE (nationale) A EU LE MOINS D’INTERET A L’IMMIGRATION...
Ce n’est pas moi qui oserai l’affirmer, mais dans la compil de Gallissot et ses amis il est clairement établi que ce fût le discours pervers de la CGT:
«... un fondement de la prise en charge par les syndicats «d’une partie des intérêts socio-professionnels des migrants» est l’objecif implicite de leur imposer une valeur marchande équivalente à celle des nationaux, pour susciter des réticences patronales à recruter à l’extérieur des frontières une main d’oeuvre concurrente. Cette optique de la «valorisation de la force de travail immigrée», est celle de la CGT, qui montre de cette façon une attitude compréhensive vis à vis du racisme populaire, dans la mesure où les ouvriers sont la classe sociale qui a eu le moins d’intérêt à l’immigration».
Deux objections, les rédacteurs doivent avoir mal digérés de vieux résidus du gauchisme apolitique, l’hostilité ou la jalousie face à l’arrivée d’immigrés n’est pas forcément un «racisme» populaire ou fasciste; d’autre part, la classe ouvrière n’ayant pas de patrie, ne se situe pas pour ou contre l’immigration; cette question n’est pas de son ressort mais des Etats et des patrons qui pratiquent sans vergogne le stop and go. La classe ouvrière dans ses diverses composantes se divise dans la concurrence qui lui est imposée, de plus la remarque est absurde comme si on voulait séparer à tout prix l’oxygène de l’hydrogène pour arrêter la circulation de l’air.
L’idéalisme gauchiste (réformiste radical) pointe le bout de son nez une nouvelle fois quand, pour le coup, les syndicats n’ont pas tout à fait tort du point de vue de la responsabilité des Etats qui se débarrassent de la main d’oeuvre en excédent; dans leur formulation pour dénoncer l’absence d’internationalisme (certes) des syndicats, les auteurs se ridiculisent en squizzant le problème posé qui est fondamental, et qui est de type socialiste (quelle répartition du travail dans le monde? Comment mieux organiser la marche de la société?):
«Sous couvert «d’internationalisme», ces organisations justifient leur politique protectionniste en tendant à renvoyer la question de la solidarité avec les populations du tiers monde vers celle des responsabilités en matière de développement économique des pays exportateurs de main d’oeuvre» (p.145). Est-ce faux?
Ils écrivent (en 1993): «Ce qui se joue, au travers des restructurations actuelles, c’est bien le devenir de la classe ouvrière dans son ensemble et non celui de l’immigration: recomposition de son unité ou bien atomisation dans la concurrence pour le poste de travail (plus ou moins stable ou «garanti»), et dans les divisions raciales, comme d’autres divisions de toutes sortes.
Ces remises en question vont plus loin que la simple revendication d’une «prise en compte» (le plus souvent hétéroclite et désarticulée) des problèmes spécifiques à l’immigration. En ce sens l’intégration telle qu’on l’entend généralement est sans doute un faux problème. Le problème n’est pas pour les immigrés de s’intégrer au mouvement ouvrier tel qu’il est (ouf!) (ou à la société française telle qu’elle est), sans y rien changer, mais de contribuer à, sa transformation, voire à la construction d’un nouveau mouvement ouvrier, véritablement internationaliste» (p.146).
Non l’immigré ne remplaça pas l’ouvrier révolutionnaire disparu ou imaginaire; un intertitre de l’ouvrage n’est pas développé, contenant autant de faux que de vrai. «Phase V: La mort progressive du mouvement ouvrier comme mouvement social et la territorialisation des rapports interethniques». Sauf si on assimile le mouvement ouvrier au syndicalisme, mais que le syndicalisme chauvin soit mort n’est pas une grosse perte ni ne signifie que les ouvriers sont incapables de s’organiser eux-mêmes. Par contre les divisions ethniques ont été savamment amplifiées, sans reparler de la principale religion qui fait problème pas seulement dans les cantines mais en milieu ouvrier. Il faut maintenant comprendre pourquoi et comment on en est venu là, et subséquemment aux «loups solitaires» et autres brebis manipulées...
LES RESPONSABILITES DU STALINISME
Au chapitre 4 curieusement titré «La municipalisation des rapports entre mouvement ouvrier et immigrations», on nous rappelle le sale boulot municipal du PCF (que nous n’avons jamais ignoré). On trouve nombre de concepts bizarres dans ce texte sur lequel on ne va pas s’appesantir ici. Une certaine tendance à s’enferrer dans la fadaise de la légitimité «culturelle» originelle - ou même à manier un concept nunuche de «culture ouvrière» (propre à la pensée stalinienne) comme cette histoire de «nationalisation des classes ouvrières» - n’éclaire pas d’abord le futur triomphe de l’idéologie cosmopolite de diversité/ethnicité (complètement anti-internationaliste):
«L’émancipation des immigrés résidait dans leur accès à la culture ouvrière laïque et révolutionnaire. L’islam a été, quant à lui, du fait de la prégnance des rapports coloniaux, des positions du léninisme spécifié (?) et ainsi toléré quoique véhiculant des attitudes et une conscience gênantes pour le combat de classe» (p. 184).
Depuis que 20 ans se sont écoulés - 20 ans de décadence avérée du capitalisme, de croupissement dans des guerres ininterrompues, de crises financières qui ne le font pas s’effondrer, d’échecs successifs de mouvements larges ou étroits du prolétariat - la bourgeoisie a permis le remplacement du chauvinisme stalinien par l’islam oecuménique et ses variations soft ou hard, qui viennent renforcer méfiance et désunion entre travailleurs de multiples origines (on se fiche ici de la population en général et de l’opinion en particulier).
Il est incontestable que la politique de la gauche au pouvoir au début des années 1980, s’est inscrite dans le droit fil idéologique d’un monde débarrassé du stalinisme et soumis à l’ethnicisation à l’américaine, où le dernier dinosaure stalinien en France a perdu la plupart de ses plumes avec l’affaire de Vitry et avec son obstination à maintenir des discours chauvins imbitables, relayés de nos jours pauvrement dans l’univers politicien bobo par le bouffon Mélenchon.
Gallissot et ses collaborateurs ont raison par après de signaler la segmentation de l’habitat comme une des passerelles de l’ethnicisation (= ré-islamisation, faurait-il préciser), mais ils ont tort de parler d’abandon par l’Etat de toute gestion de la demande d’islam, car, comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises l’élite rose s’est rapidement couchée devant l’exigence de salles de prière des syndicalistes sous-marins des Etats arabes post-coloniaux et avait accepté le port du voile intégral, avant que cela ne fasse scandale in France et ne favorise la réémergence de la droite bourgeoise.
Dans la partie «crise du mouvement ouvrier», il est question de la «faiblesse de l’antiracisme», c’est à dire de son côté humaniste bourgeois, et après avoir constaté les multiples manipulations dont ont été l’objet les mouvements des fils de prolétaires immigrés dits de la «seconde génération» sous le règne de Mitterrand, et avoir souligné le rejet dont ils furent l’objet par syndicalistes et ouvriéristes («c’est hors des lieux de production»), Gallissot et Cie rectifient justement le tir: «Or, non seulement les jeunes d’origine immigrée, sont en majorité ouvriers, comme l’étaient leurs parents, ou bien prolétaires des nouveaux services, mais encore ils le sont dans des conditions de précarité témoignant de politiques d’exclusion mises en oeuvre au niveau de la grande industrie, problème qui devrait au contraire interpeller les organisations du «mouvement ouvrier» traditionnel». Cédant à la conséquence de la manipulation socialo-gaucho des djeuns beurs, les auteurs en concluent que ces jeunes issus de l’immigration «ne sont pas porteurs d’une finalité anticapitaliste mais davantage d’enjeux culturels» (p.206). Lesquels? Le Rap?
Gallissot s’ company s’efforce pourtant de démontrer ensuite que, hors de tous les clichés sur la culture d’origine ou l’ethnie, ce sont bien les mêmes intérêts sociaux et politiques qui motivent les jeunes issus des immigrations antérieures et leurs copains de souche ou de classe.
Ce n’est pas de crise du «mouvement ouvrier» que nous parle, par devers eux les gallissotiens ensuite, mais du mouvement des saloperies de la gauche bourgeoise au pouvoir, en particulier lors de la honteuse campagne des municipales de 1983: «Cette campagne tendait en effet à catalyser au sein même des populations ouvrières ou des couches moyennes, l’expression des courants les plus xénophobes (...) Le gouvernement de gauche a aussi eu des responsabilités directes dans le développement des campagnes xénophobes: sur les thèmes sécuritaires (Gaston Defferre à Marseille), ou en accusant les grévistes immigrés de saboter l’économie française (Pierre Mauroy, Jean Auroux), un certain nombre de ministres ont cédé à la pression de la droite» (p.208). On amalgamait la lutte contre le racisme à la lutte contre le fascisme: «... le remède proposé étant l’explication et la sensibilisation sur les thèmes démocratiques et humanitaires, plutôt qu’une action de lutte concernant l’ensemble de la classe ouvrière».
Des réflexions par après ne sont que du bonheur pour tout militant maximaliste racorni par les années: «...l’antiracisme est actuellement pris au piège de «l’identité nationale» car il se fonde sur une défense des valeurs nationales, similaire à l’antifascisme des années 30, qui mena par exemple le PCF en pleine période de Font populair, à reprendre le mot d’ordre «La France aux français». L’analyse dominante du racisme est enfermée dans une problématique manichéenne (...) le racisme n’est pas le fait de quelques excités, mais un produit du fonctionnement des institutions, pensent les jeunes issus de l’imigration» (p.209)
«La stratégie des classes détentrices des capitaux (est) la perpétuation des divisions raciales».
La proposition de droit de vote aux immigrés fait pitié: «Dans un contexte de crise de la représentation, la polarisation des revendications sur le droit de vote n’est guère de nature à résoudre le problème de la marginalisation de populations vis à vis de la vie politique» (TB!).
Les mouvements migratoires étaient appréhendés en 1993 comme facteur d’angoisse et de bouleversements futurs: «Constitutive de la transformation de l’environnement socio-économique, la cosmopolitisation des populations est ainsi une des données majeures du futur qui tend à déplacer le champ des affrontements sociaux» (p.215)
Déjà était mise en place une «discrimination spaciospaciale» de populations «ségréguées» dans un nouveau mode d’encadrement. La mise en concurrence au sein du prolétariat est bien mis en évidence par Colette Petonnet (1929-2012) si intelligente observatrice de la «condition urbaine»: «L’infériorisation dont tous sont l’objet, atteint non pas un groupe qui pourrait alors s’unir et se défendre mais chaque individu, personnellement par dévalorisation de l’image de soi...». Elle assigne l’étranger à un statut inférieur en le faisant cotoyer les prolétaires français dans une situation de concurrence qui ne laisse que «la nationalité comme supériorité» dans les conflits interpersonnels et les tensions urbaines qui ne sont pas des affrontements ethniques. le second aspect constitué par «l’expression violente du langage», «expression ordinaire des prolétaires français», est prdoducteur de «blessures d’amour-propre» des étrangers en même temps que la défense et d’agressivité chez les étrangers. Réfutant le discours «médiatique» sur l’existence d’un réel racisme, elle appelle à une mobilisation sur «les aspects positifs des relations interethniques». (p.218)
Il n’y a pas crise du mouvement ouvrier, qui continue d’exister dans ses diverses composantes, mais crise du politique puisque l’on assiste aux «déplacements d’un militantisme classique vers un militantisme de type associatif»; c’est à dire à un abandon de la politique pour des activités au ras des pâquerettes, champ d’éclosion et de ramification de la bobologie. La domination bourgeoise de l’extrême gauche à l’extrême droite a tout intérêt à pérenniser les différences raciales ou culturelles, à exalter les spécificités afin de toujours continuer à diviser le prolétariat.
La lutte «immigrée» s’est, elle, au même moment, laissée enfermer dans le spécifique: «De par la ségrégation et la concentration sur les lieux de travail et d’habitat, les mouvements sociaux sur le terrain de l’immigration ont tendu à revêtir un caractère spécifique, et à être présentés comme tels aux yeux de l’opinion, alors que leurs enjeux intéressaient souvent par de nombreux aspects l’ensemble de la classe ouvrière». Ils ont été l’objet de soutiens pourris à caractère démocratique et humanitaire: «Ces formes de soutien entraînaient plus facilement l’adhésion de couches intellectuelles et petites bourgeoises» (p.222). «Ce faisant, se constituait un encadrement social de l’immigration, qui jouait en faveur d’un certain type de «passage au politique»... voire au repli communautaire».
ON NE PEUT JAMAIS DESESPERER DU PROLETARIAT
Dans cette remise en cause des encadrements politiques, les jeunes de l’immigration de ces années 80 ne sont pas marginaux mais bien en phase avec ce qui était apparu le plus clairement dans la conscience de classe en 68, l’insensibilité au discours des organisations: «Les mouvements de la «seconde génération» ont ainsi présenté des caractéristiques très proches de celles des mouvements de la jeunesse prolétaire de l’après-68 de façon générale» (p.224)
L’ouvrage livre tant de perles lumineuses qu’on ne peut tout citer: «... il n’y a pas de modèle unique d’un «nouveau sujet révolutionnaire» à trouver du côté du prolétariat précaire ou de l’immigration (...) La menace d’instabilisation reste inhérente à la condition du salariat quelle que soit l’importance des privilèges obtenus» (p. 227)
L’immigration a toujours été un sujet complexe, qui ne se solutionne pas par des simplismes oecuméniques ni de tonitruantes déclarations d’intention. Elle est l’objet de tant d’attentions philanthropiques - qui débouchent si souvent sur des organisations interclassistes qui favorisent toutes les manipulations, les flicages et les malversations - qu’elle ne peut pas être en tant que telle la figure de proue ni du réveil de la classe ouvrière ni seule à même de garantir l’homogénéité de classe. Le mouvement social immigré a abouti à un échec, comme bien avant le mouvement noir aux Etats Unis. L’unité immigrés-français est restée une imagerie pour militant excité. C’est dans la lutte commune contre les avanies du capitalisme que le prolétariat sera conduit à retrouver son unité et à dépasser les divisions raciales et d’entreprises.
Enfin cet ouvrage a le mérite de déceler avant tout le monde un changement sociologique dans l’immigration, la part grandissante d’une intelligentsia qui - on le mesure aujourd’hui - n’est pas simplement venue avec ses diplômes mais comme marchands d’ethnicité et de coranisme «... dans la dépendance des Etats d’origine qui jouent aux propriétaires de l’émigration en soutenant un associationnisme national ou religieux, dans la mouvance ou la rivalité des forces religieuses ou politiques indigènes» (p.242).
L’insistance de l’ouvrage de Gallissot mérite d’être saluée en ce qu’elle indique que la conscience de classe et la mémoire ouvrière, qui se forment sur plusieurs générations, ne disparaissent jamais, mais qu’elles ne se restreignent jamais à l’entreprise, concernent l’habita, le mode de vie, qu’en fait malgré la disparition des «forteresses ouvrières», la condition prolétarienne existe toujours, toujours plus ambitieuse politiquement, dans la cité que la bourgeoisie croit dominer éternellement. Le mouvement migratoire figure en plus accentué l’instabilité, la peur du lendemain qui fonde la conscience de classe dans la maturation politique pour la quête de lendemains plus harmonieux pour l’humanité où la règle ne sera plus le meurtre du voisin, la jouissance capitaliste de tuer. Mais l’immigration reste cantonnée «aux franges ouvrières «à la limite» du sous-prolétariat, ou bien les plus exposées à y tomber» (cf. p.225). Or ce sous-prolétariat n’est-ce pas le terrorisme islamiste désespéré de nos jours?
La perpétuation de la «nationalisation» syndicalisée de la classe ouvrière autochtone refuse les conditions élémentaires d’existence et de respect aux laissés pour compte immigrés, même avec allocs et soins gratuits:
«Rien d’étonnant donc à ce que ces catégories tendent à produire des contre-normes, refusant non le travail en tant que tel, mais plutôt le climat de concurrence et de servilité conditionnant l’accès aux postes de travail, ou la mobilité forcée qui détruit les liens sociaux. Il est commode de renvoyer ces catégories aux images d’assistance ou de délinquance.
Il est plus difficile d’examiner les conséquences de leur renvoi à la marge du système social, - ainsi que de la répression à leur égard - susceptible d’étouffer les éléments les plus conscients. Car si certains continuent de refuser de «jouer le jeu», la misère a néanmoins pour but de leur faire à nouveau intérioriser - à un niveau sans précédent - des normes de compétition pour la survie» (p.226)
- Ces migrants qui font le prolétariat de René Gallissot, Nadir Boumaza, Ghislaine Clément (Meridiens klincksieck, déc 1993).
- L’emploi des immigrés, intégration et différenciation sociale, institut de sociologie de l’université de Bruxelles, 1993.