Tout en étant compatissant avec les deux principaux pôles du mouvement révolutionnaire prolétarien – CCI (Révolution Internationale) et la TCI (Battaglia Comunista) – je reste affligé par leur indigence théorique et politique. Le CCI se contente de radoter sa théorie de la décomposition comme explication (finale?) de tout drame ou de toute guerre. La TCI produit des analyses aussi plates et radoteuses que n'importe groupuscule gauchiste. Et de façon cyclique n'importe qui peut décréter le déclin de l'Empire américain.
Voilà la maigre leçon qu'ils tirent du retrait US d'Afghanistan, avec une grossière sous-estimation du nombre de victimes de cette guerre impérialiste ; C'est vingt ans de guerre et pas avec 2000 morts mais 165 000 morts plus tard, y inclus d'abord civils puis fils de la classe ouvrière américaine, enrôlés dans cette boucherie puisque les usines ont été exportées en Chine et qu'il faut bien « trouver du travail » à ces milliers de jeunes au chômage ; et l'on verra ici, contrairement à l'aveuglement de nos « minorités marxistes » coincées du cigare que ce retrait n'est pas dû principalement au « repli sur soi » du principal impérialisme.
« Après 20 ans de guerre, plus de 2 000 morts et 2 000 milliards de dollars de dépenses militaires sans obtenir le moindre avantage impérialiste, ils se sont retirés, laissant d'une part le champ libre aux talibans sur le front intérieur et laissant d'autre part, sur la scène internationale, le champ libre à la Chine, à la Russie et à la Turquie. Ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle le désengagement américain, avec un plan "stratégique de sortie" de l'Afghanistan, est la solution tactique contre la Chine, se trompent lourdement.
(…) Malheureusement sur le terrain de la réponse prolétarienne de classe, il n’y a rien, tout est absent. C'est pourquoi la tragédie afghane oscille entre le nationalisme taliban brutal et la barbarie de l’impérialisme américain »1.
Qu'un prétendu embryon du parti de classe ne voit, comme le CCI, que chaos et affaiblissement de l'impérialisme américain est déjà affligeant, mais qu'il ignore l'équation permanente bourgeoisie versus prolétariat, est proprement débilitant, typique de l'observateur superficiel aveuglé par la propagande universelle des menteurs d'Etat. Avant d'examiner comment la classe ouvrière reste un dangereux ennemis du système, non par de simples grèves mais par sa conscience et sa place dans la société, nous allons ici d'abord souligner ce qui est important, ce qui est grave, ce qui conditionne tout le reste.
Islam, immigration et gangs ou bidonvilles ?
Visionnant plusieurs reportages très édifiants et instructifs sur l'histoire et la situation actuelle en Afghanistan par la chaîne Arte, sortant des seuls soucis féministes ou des spéculations sur les prochaines complicités inter-impérialistes, j'ai été frappé par une chose : le nombre considérable d'enfants qui ont faim et qui mendient dans les rues détruites et au milieu d'une population errante. Une vie dans des bidonvilles à ciel ouvert... D'immenses camps de réfugiés, en Turquie comme en en Amérique latine. C’est en Éthiopie qu’on trouve la proportion la plus spectaculaire d’habitants de bidonvilles (99,4 % de la population urbaine), ainsi qu’au Tchad (également 99, 4 %), en Afghanistan donc aussi (98,5 %) et au Népal (92 %).
Ce n'est pas la guerre ni la menace de la guerre qui prédomine mais une misère sans fin. Les responsabilités on les connaît, comme l'écrit Mike Davis :
« Ce sont les villes d’Afrique et d’Amérique latine qui ont le plus souffert de la dépression artificielle provoquée par le FMI et la Maison Blanche. Dans de nombreux pays, pendant les années 1980, les effets récessifs des PAS, s’ajoutant à la sécheresse prolongée, à la hausse des prix du pétrole et des taux d’intérêt et à la baisse du prix des matières premières, ont été plus sévères et plus durables que ceux de la crise de 1929 ».
Plutôt que de rester focalisés sur telle guerre locale ou l'islam en général, on peut et on doit se pencher sur le retour du monde de Dickens :
« Les forces planétaires qui poussent les gens à quitter les campagnes – la mécanisation à Java et en Inde, les importations agroalimentaires au Mexique, à Haïti et au Kenya, la guerre civile et la sécheresse à travers l’Afrique et, partout, la concentration des terres et la concurrence du secteur agroindustriel – semblent alimenter l’urbanisation même quand le pouvoir d’attraction des villes est drastiquement affaibli par la dette et la dépression. Dans un contexte d’ajustement structurel, de dévaluation et de retrait de l’État, cette croissance trop rapide a inévitablement entraîné la production en série de bidonvilles et un retour massif à un univers urbain digne de Dickens »2.
Aucune réponse ni analyse de ce fait par nos « minorités révolutionnaires » à la remorque du « tant pis » officiel :
« « La littérature actuellement disponible sur la pauvreté et les mouvements sociaux urbains n’offre guère de réponses à ces questions majeures. Certains chercheurs contestent l’idée même que les habitants des bidonvilles ou les travailleurs informels, souvent ethniquement et économiquement hétérogènes, puissent constituer une quelconque « classe en soi » – sans même parler d’une « classe pour soi » potentiellement militante. Certes, le prolétariat informel est porteur de « chaînes radicales » au sens marxiste où il n’a guère d’intérêt à la préservation du mode de production existant. Mais, dans la mesure où sa force de travail est largement inutilisable en dehors des emplois domestiques au service des riches, il n’a guère accès à la culture d’organisation collective du mouvement ouvrier ou à la lutte de classe à une grande échelle. Son horizon social se limite à la rue ou au marché du bidonville, il ne connaît ni l’usine, ni la chaîne de montage internationalisée »3.
Pas un continent n'échappe à cette dispersion et à cet émiettement de la prolétarisation, et il faut compter sur « l'inventivité désespérée des femmes » :
« En Chine et dans les villes industrielles d’Asie du Sud-Est, des millions de jeunes femmes sont devenues la proie de l’esclavage salarié et du despotisme d’usine. En Afrique et dans la majeure partie de l’Amérique latine (si l’on excepte les villes frontalières du nord du Mexique), cette option est inexistante. La désindustrialisation et la disparition des emplois masculins du secteur formel obligent les femmes à improviser de nouveaux moyens de subsistance en devenant travailleuses à la pièce, vendeuses d’alcool, camelots de rue, balayeuses, lavandières, chiffonnières, bonnes d’enfants ou prostituées. En Amérique latine, où la main d’œuvre féminine urbaine a toujours été moins importante qu’ailleurs, l’entrée des femmes dans le secteur tertiaire informel a été particulièrement massive. En Afrique, où les tenancières de gargote et les vendeuses de rue sont des figures coutumières, il ne faut pas oublier que la plupart des femmes du secteur informel ne sont pas des travailleuses indépendantes, mais s’insèrent dans des réseaux pervers et omniprésents de micro-exploitation des pauvres par les moins pauvres, phénomène souvent négligé dans la littérature sur le secteur informel »4.
Retour au passé ou similitude ?
« De Marx à Weber, les classiques de la sociologie étaient convaincus que les grandes villes du futur suivraient la voie industrialisante qu’avaient empruntée Manchester, Berlin et Chicago. De fait, Los Angeles, São Paulo, Pusan et, aujourd’hui, Ciudad Juárez, Bangalore et Guangzhou, ont plus ou moins reproduit cette trajectoire classique. Mais la plupart des villes du Sud ressemblent plus à la Dublin de l’ère victorienne, laquelle, comme le signale Emmet Larkin, était unique entre toutes « les cités de taudis engendrées par le monde occidental au XIXe siècle [car] ses taudis n’étaient pas le produit de la révolution industrielle. En réalité, entre 1800 et 1850, Dublin a plus souffert des problèmes de la désindustrialisation que de ceux de l’industrialisation »5.
Le capitalisme préfère laisser crever « l'humanité excédentaire » :
« Les bidonvilles restent donc pour l’instant la seule solution éprouvée au problème du « stockage » de l’humanité excédentaire du XXIe siècle. Mais les grands bidonvilles ne sont-ils pas aussi des volcans prêts à entrer en éruption ? Ou faut-il croire qu’une impitoyable concurrence darwinienne entre des pauvres de plus en plus nombreux instaurera l’hégémonie de la violence communautaire autophage comme forme suprême d’involution urbaine ? Un prolétariat informel a-t-il la moindre chance de se transformer en un « sujet historique », solution miracle des prophéties marxistes ? Une force de travail désagrégée peut-elle se réagréger en un projet d’émancipation global ? Les formes de protestation prédominantes des mégavilles déshéritées ressembleront-elles plutôt aux émeutes urbaines de l’ère préindustrielle : des explosions épisodiques pendant les crises de consommation alternant avec la routine de la gestion clientélaire, du spectacle populiste et de la démagogie ethnique ? »6.
L'impuissance des luttes des travailleurs informels !
« Les luttes des travailleurs informels tendent avant tout à être épisodiques et discontinues. Elles tendent aussi à se concentrer sur les questions de consommation immédiate : occupation de terres en quête de logements bon marché, émeutes contre la hausse des prix de la nourriture ou des services. Jusqu’ici, la négociation des problèmes urbains dans les sociétés en voie de développement est plus souvent passée par des relations clientélaires que par l’organisation collective. En Amérique latine, depuis la crise des années 1980, les leaders néopopulistes ont su exploiter avec un succès notable l’aspiration désespérée des pauvres urbains à un environnement quotidien plus stable et plus prévisible. En matière de rédempteurs populistes, la gamme de préférences idéologiques du secteur informel urbain est assez éclectique : Fujimori au Pérou, Chávez au Venezuela. En Afrique et en Asie du Sud, le clientélisme urbain coïncide trop souvent avec l’hégémonie de fanatiques ethno-religieux et de leurs aspirations cauchemardesques à la purification ethnique. On peut citer entre autres les milices anti-musulmanes du Oodua People’s Congress à Lagos et le mouvement semi-fasciste Shiv Sena à Bombay ».
Nos minorités néo-léninistes voire « conseillantes » ont la réponse : il suffit d'attendre que les travailleurs formels entrent en révolution pour entraîner ces « masses déshéritées », mais c'est pas garanti :
« « Le milieu du XXIe siècle connaîtra-t-il des révoltes plébéiennes semblables à celles du XVIIIe siècle ? Le passé n’est sans doute pas un guide très fiable des tendances à venir. Le nouveau monde urbain change à une telle vitesse qu’on ne peut guère anticiper dans quel sens il évoluera. Partout, l’accumulation continue de pauvreté mine la sécurité existentielle et pose des défis de plus en plus insurmontables à la créativité économique des pauvres. Peut-être en arrivera-t-on à un point de rupture où la pollution, la congestion et la cruauté de la vie quotidienne ne pourront plus être gérées par les réseaux de survie et de sociabilité des bidonvilles. Pour les vieilles civilisations rurales, l’ultime seuil de tolérance avant l’explosion sociale était souvent lié à la famine. Mais, pour l’instant, personne ne sait à quelle température la nouvelle pauvreté urbaine est censée entrer en ébullition ».
En tout cas, même la Chine a des pieds d'argile, présentée par les médias suivistes comme toute puissante avec son « PCC » (parti communiste capitaliste) et sérieuse rivale à l'Empire US, contient un prolétariat encore plutôt muet mais avec la possibilité de se réveiller avec la pression des mingong :
« A Shangezhuang, les «fourmis» de la révolution industrielle chinoise logent dans des taudis aux murs faits de brique nue, de tôles, de carcasses de réfrigérateurs et d’écrans de télévision empilés comme autant de parpaings. La zone est spécialisée dans la récupération et le tri des déchets. Les venelles de ces vastes villages d’infortune bâtis, avec les rebuts de Pékin, à deux pas du cinquième périphérique de la capitale, sont constellées de boue et de décharges. Quelques robinets publics pallient à l’absence d’eau courante. Depuis le début du boom économique chinois, près de 200 millions de travailleurs issus des campagnes se sont installés dans les villes et les zones industrielles. Ces mingong («paysans devenus ouvriers») n'ont pas la vie facile. Beaucoup s'estiment malgré tout heureux d'avoir déserté leurs terres ingrates, même à Shangezhuang. «Presque jamais, dans ma jeunesse au village, je n'ai pu manger de viande. Tandis que maintenant, je peux travailler, gagner de l'argent et me nourrir à ma faim», dit Zhou Weiguo, un ancien paysan du Henan qui gagne sa vie en tirant une charrette de détritus en plastique montée sur des roues de vélo. Il penche pour ce labeur étique plutôt que pour le travail en usine ou sur les éreintants chantiers de construction, où triment beaucoup des siens. Trouant les brumes de l'hiver, on aperçoit au loin les tours d'acier et de verre de Pékin, érigées par ce sous-prolétariat sans lequel le miracle économique chinois n'aurait pas eu lieu »7.
QUAND LA CORRUPTION EST ASSISE SUR LA MISERE
Retour à Kaboul. Sous la guerre la misère et la corruption :
« De l’aveu de l’État-major de l’armée américaine, la résistance afghane (comprenant les talibans) contrôle le pays depuis des années. Les troupes fédérées des puissances occidentales (OTAN) ne contrôlaient que leurs bases militaires et le palais présidentiel à Kaboul. Via ces bases militaires d’occupation, les puissances occidentales soutenaient les mercenaires afghans des différentes factions (taliban, Alliance du Nord, EI, Al-Qaïda, DAESH, les forces gouvernementales afghanes, etc.). La résistance afghane s’accommodait de cette entente tacite ou les yankees jouaient les gros bras et menaçaient la Chine et la Russie en contrepartie de la gabegie des dépenses mirobolantes pour maintenir les bases militaires, l’État fantoche à Kaboul et les 400 000 soldats de l’armée gouvernementale afghane constituée en grande partie de Partisans afghans (ce qui explique l’effondrement rapide de cette armée fantoche). Au cours des dernières années d’occupation, les dépenses américaines constituaient – avec l’héroïne – les seules revenues de ce pays « libéré » par les « conquêtes citoyennes démocratiques et féministes » (sic). Ce pays exsangue dirigé par les seigneurs de guerre...les mêmes qui portent allégeance aux taliban entrés dans Kaboul (4 millions d’habitants) »8.
Mais la débandade unilatérale est-elle due au simple fait que les Américains avaient compris que les talibans menaient des pourparlers secrets avec les Russes et les Chinois et que l’Amérique était le dindon de la farce ?
LE SYNDROME DU VIETNAM
Le même jour que le communiqué foireux de la TCI, le 15 août dernier, dans mon article « Défaite ou lâcheté ? », je posais l'équation du prolétariat comme base première du retrait impérialiste :
« L'évolution de la situation sur le terrain afghan et la réaction de l'opinion publique vont être passées au crible. Chaque impérialisme va bétonner son argumentaire et donner de l'épaisseur à ses réponses. Mais le danger d'un réveil volcanique de la classe ouvrière, non pas pour les salaires ou la préservation des retraites, face à l'ignominie et à la lâcheté des gestionnaires bourgeois, relèverait de l'utopie, quand cela relève du sensible à la mesure de la gravité du danger et de la barbarie du système en plein délire ».
Nous n'avons été que quelques-uns à évoquer une décision qui hantait tous les présidents américains depuis Obama (premier initiateur de la nécessité du retrait) non pour des raisons stratégiques extérieures mais avant tout intérieures. Pourquoi ? Parce que cela commençait à suffire pour la classe ouvrière, qui, bien que démantelée industriellement, n'a pas oublié le syndrome du Vietnam, et surtout vu débarquer à nouveau aujourd'hui même des milliers de sacs de plastique et autant d'estropiés d'une guerre injustifiable. Nos divers sociologues, plutôt marginaux et inconséquents, les Guilluy, Lasch, et le Zemmour égocentrique, croient nous révéler que les élites bourgeoises méprisent le peuple (ce foutoir), en réalité, hors champ, sans tolérer officiellement la moindre supposition, l'insurrection de prolétariat (autrement plus dangereuse que celle des gilets jaunes) reste leur souci premier ; c'est d'ailleurs pourquoi ils dissertent lourdement sur « l'humanitarisme de leurs guerres », « le combat pour la civilisation », pour justifier de l'envoi au casse-pipe des « boys » de la patrie.
Cet argument de premier ordre, comme je le disais n'était pas une invention de ma part comme incurable naïf et utopiste militant ringard, mais l'avis d'un journaliste du Figaro spécialiste de la géopolitique, peu ébruité. J'ajoutais :
« Il avait fallu mettre fin à la guerre du Vietnam vu les milliers de cadavres de soldats américains ramenés au pays surtout vu les conséquences sur la paix sociale ; ce n'est plus le cas avec cette guerre en Afghanistan, pas autant de morts... vu la sophistication des moyens de tuer à distance... mais mais... il y a autant d'estropiés et de mutilés, qui ont rendu insupportable toute prolongation de cette boucherie par la population et surtout la classe ouvrière américaine9. C'est pour cela principalement que Biden a été élu, et son silence montre qu'il se fiche des commentaires désapprouvant la « fuite ».
La guerre du Vietnam a marqué en profondeur une génération d'étudiants et de jeunes prolétaires soldats, parvenue aux plus hautes responsabilités dans les années 2000, et reste un sujet sensible dans « l'opinion ». Avec des ressemblances dans la manière de tuer les civils, et l'absence de légitimité politiques des gouvernements fantoches à Kaboul comme à Hanoï ; dans les deux cas persistance d'un grande pauvreté (bidonvilles) et trafic de drogue, et aussi incapacité d'opposer une idéologie cohérente à celle de l'adversaire. Sans oublier le massacre de My Laï, l'usage « démocratique » de la torture au Vietnam aussi bien qu'à Guantanamo. Ce ne sont pas les élites qui s'en souviennent mais ce prolétariat mondial si méprisé et si ignoré dans les vitrines des mensonges déconcertants.
A l'attente de l'échec inévitable, s'était ajouté le constat d'une guerre injuste et immorale. L'emploi des bombardiers lourds B-52 et des drones aveugles ne pouvait que faire honte au monde entier et cristalliser le sentiment anti-américain des populations victimes.
La protestation contre la guerre du Vietnam, des années dites radicales de la petite bourgeoisie, une des causes masquées ou oubliées de son terme, n'a pas été un simple « concours de circonstances » dont les étudiants auraient été les héros. Les étudiants ne sont pas et n'ont pas vocation à être ouvriers, et leur mouvement n'avait pas réussi à pénétrer la classe ouvrière. Quelle que soit leur origine ils étaient tous concernés par l'envoi au front vietnamien, et désertaient et protestataient en conséquence. D'une certaine manière ils évitaient à la classe ouvrière de se réapproprier sa lutte historique, surtout contre la guerre au moment des révolutions et pas contre la cherté de la vie. Mais la réémergence de la classe ouvrière resta un souci (non avoué) des dirigeants capitalistes. La classe ouvrière américaine jusqu'à ses jeunes générations (même constituées d'une masse de prolétaires informels) n'a jamais oublié dans sa conscience le massacre qu' constitué la guerre du Vetnam.
UNE CLASSE COMPOSEE UNIQUEMENT DE MIGRANTS NE PEUT ETRE REVOLUTIONNAIRE ?
Dans notre petit milieu révolutionnaire nous restions dépité de voir cette classe ouvrière si arriérée et soumise à la politique de personnalisation à outrance des débats politiques10. Mais il y avait une autre raison pour expliquer cette incapacité de la classe ouvrière américaine : elle était déjà multiethnique et dominée par une constitution sociale sur la base migratoire, qui n'est d'emblée pas du tout révolutionnaire. En poussant le bouchon de façon exagérée je pourrais dire que les ouvriers informels des sixties aux USA étaient comparables aux paysans afghans sauf que ces derniers ont peu de chance d'approcher en 2021d'un centimètre d'ersatz d'American way of life !
Depuis ces années post-Vietnam, une déconstruction permanente de la classe ouvrière a été le souci de la classe dominante, notamment la fabrique de cette « fausse conscience » de la gauche bourgeoise. C'est un fait que toute l’histoire américaine a été caractérisée souvent par des oppositions selon des clivages identitaires de religion et d’appartenance ethnique ou raciale (comme les protestants contre les catholiques, les nativistes contre les immigrés ou les blancs contre les noirs) et non du point de classe.
On ne peut oublier les analyses de Sombart (que j'ai rappelé dans l'article antérieur).Si, dans le sillage de Sombart, des sociologues et historiens ont eu tendance à répondre à la question, « Pourquoi le socialisme n’existe-t-il pas aux États-Unis ? », en cherchant une explication pour le non-avènement de la conscience politique d’une classe ouvrière trop hétérogène et individualiste pour être marxiste, on n’a jamais eu le moindre doute sur la conscience de classe des exploiteurs présumés de cette même classe. Et pour cause. L’essence de l’ « Américanisme », après tout, c’est que l’on aspire tous à vouloir être comme les riches, jusqu’au point à de croire à la nécessité de les secourir. Ainsi, si un candidat ou un commentateur ose critiquer les comportements et les pratiques systématiques des entreprises dans le petit écran télévisuel, au-dessus l’affichage des cotes en Bourse, en général (à part certaines exceptions comme le désastre pétrolier récent dans la Golfe du Mexique) les journalistes l’accusent inévitablement de flirter avec la « class warfare » [« la guerre des classes »] – ce que son interlocuteur niera toujours aussi énergiquement11
Sombart avait conclu que bien que la société américaine soit sans doute la société dans le monde où le capitalisme apparaissait de la façon la plus crue, elle était, à la différence des sociétés européennes capitalistes, allergique au socialisme pour plusieurs raisons, liées largement au phénomène de l’embourgeoisement de la classe ouvrière. Selon Sombart, les travailleurs américains, dans leur grande majorité, étaient favorables au capitalisme, comme ils étaient favorables aussi à leur gouvernement. Ils ne voyaient point de problème avec un système politique majoritaire à un tour, favorisant le monopole de deux partis. Ils étaient plus riches que leurs homologues européens et ils avaient plus de chance aussi de quitter leur statut social et de gagner plus d’argent au fur et à mesure qu’ils travaillaient.
Après Sombart, d'autre sociologues ont remarqué l’effet de l’immigration sur la non-constitution d’une classe ouvrière américaine politiquement militante. Non seulement les ouvriers étrangers arrivant aux Etats-Unis, au début du xxe siècle, considéraient leur situation comme temporaire et leur objectif était de s’enrichir le plus rapidement possible pour ensuite revenir dans leurs pays d’origine. L’immigration constante a rendu également plus difficile toute alliance entre les ouvriers qualifiés de l’artisanat – la plupart nés aux États-Unis – qui avaient tendance à se syndicaliser, et les ouvriers non-qualifiés – majoritairement immigrés – plus prompts à accepter des types et conditions de travail déplorables. Enfin l’expérience communautaire des immigrés, dans les grandes villes, renforçait leur identité ethnique plutôt que de classe, séparant ainsi leur identité économique de leur culture .
Mais de nos jours, une conscience de classe s'est depuis installée au pays des cow-boys et des indiens, elle reste encore confuse mais la vérité de la crise économique, politique et écologique du capitalisme, lui donnera bientôt les armes adéquates. En tout cas je le jure.
De nos jours l'idéologie bourgeoise négationniste et totalitaire, dite woke et antiraciste (avec autodafés minables de BD), martelée par la petite bourgeoisie intellectuelle, constitue une nouvelle tentative d'atomiser le prolétariat, aux USA comme ailleurs, pour que l'américain surtout reste « backward » et émietté en catégories et races. L'immigration massive encouragée par le grand patronat, les assocs financées par les Etats bourgeois pour soutenir ce qui apparaît comme un foutage de gueule à la fois concernant les migrants eux-mêmes en même temps que ridicule pas les millions de prolétaires floués par la globalisation, est le principal ferment de cette division. Cependant même éparpillés pour l'heure entre travailleurs formels et informels, comme au temps de Dickens, un défaut dans la cuirasse militariste de l'ordre bourgeois favorisera toujours l'éruption massive du prolétariat avec son magnifique projet de société révolutionnée.
NOTES
1Battaglia Comunista , 15 août 2021, http://www.leftcom.org/fr/articles/2021-08-30/afghanistan-la-trag%C3%A9die-afghane-entre-nationalisme-taliban-brutal-et-barbarie-de
2La planète bidonville : involution urbaine et prolétariat informel. Mike Davis
Dans Mouvements 2005/3 (no 39-40), pages 9 à 24 https://www.cairn.info/revue-mouvements-2005-3-page-9.htm
3ibid
4Ibid
5ibid
6ibid
10Nos sociologues et journalistes qui se croient critiques du système oublient ou ne savent pas que cette personnalisation ridicule (qui a gagné désormais le contient européen) est ancienne. Pour mesurer jusqu’à quel point tout repère historique avait été évacué par l’excessive personnalisation du système présidentiel, personnalisation incontestablement exacerbée par l’importance de plus en plus grande des médias dans la manière dont on discute la politique en termes de personnalités « vedettes », il suffit d’évoquer l’hystérie, la haine et le mépris qu’ont inspirés, depuis l’élection présidentielle controversée de 2000, les candidatures successives de Ralph Nader (candidat dont les plateformes étaient les plus critiques, depuis la période antérieure à la Deuxième Guerre mondiale, quant à l’influence néfaste exercée par les grandes entreprises sur la société américaine.
11https://www.cairn.info/revue-cites-2010-3-page-109.htm Peut-on être socialiste aux États-Unis ? Hier et aujourd'hui Edward Castelton Dans Cités 2010/3 (n° 43), pages 109 à 126