« La
musique seule peut parler de la mort ».
André
Malraux, La condition humaine.
Fin
de saga d'un rebelle milliardaire endetté
Je
ne voulais pas oublier initialement cet article après qu'on nous ait
goinfré tout azimut pendant quatre jours et demi1
avec les commémorations diverses de la mort de Johnny Hallyday, où
l'obscène rivalisa avec union des larmes nationales, gros cubes de
riches et petite croix autour du cou d'un homme pas vraiment vieux
mais au visage ravagé par l'alcool, mais la réaction provocatrice,
mais si fine, de Finkielkraut, qui choque tant l'unanimité nationale
pleureuse, a mis le doigt dans le mille, ou une partie du mille
feuilles idéologique...Ce qui m'interrogeait était le silence de la
gauche bourgeoise. Aucune effusion du côté des trotskiens ;
comme pour les attentats, chez les NPA il faut croire que le décès
de Johnny ne relevait même pas du fait divers2,
quant à la secte LO ils vivent toujours en vase clos dans leur
univers stalinien où il n'y a que des « travailleurs »
qui n'aiment que écouter que du Jean Ferrat et que applaudir au
discours de la bécasse à la ducasse et que aux choeurs de l'armée
rouge ? Johnny n'était-il que un simple amuseur « populaire »
enrichi par des fans consentants et électeurs du FN ? Ou que un
simple VRP de l'impérialisme US raciste, de ses bécanes lourdingues
et de ses films que pour garçons vachers ?3
Voici
ce que j'écrivis en premier lieu.
Hé Johnny ! Que le COMMERCE, lui, il est éternel !
Jeudi. Quelques heures avant
l'ouverture du supermarché Carrefour à la Cité de l'Europe à
Calais, ayant appris la mort du rocker dans la nuit, le directeur a
fait lever fissa une poignée d'employés pour pousser au milieu du
magasin le bloc de rayonnages, prêt depuis plusieurs jours, chargés
de CD, de livres et d'un portrait de Johnny adolescent. Le commerce
capitaliste vous prend aux tripes par les sentiments : jeunesse
éternelle, twist again and always, souvenirs souvenirs...
Bref, photo sentimentale du grand
blond à la guitare et cercueil de CD trônaient à l'ouverture
devant les rayons informatiques, ce qui nous occasionna quelques
réflexions humoristiques entre consommateurs éclairés et pas
nécessairement admirateurs du chanteur et de ses déhanchements
moins érotiques que ceux d'Elvis. Depuis au moins deux semaines,
contrairement aux fans neuneus à qui les médias faisaient croire
qu'on peut lutter contre le cancer, il faut dire que la plupart des
magazines « chauffaient la salle », et la future
mobilisation de masse, en préparant de façon obscène l'annonce de
la mort du double francisé d'Elvis.
Je découvris une autre façon de
mener l'enquête ou même de draguer dans les allées du centre
commercial puisque je posais la question suivante à un certain
nombre de femmes (fans?) de tout âge et en tout bien tout honneur :
« Etes-vous triste aujourd'hui ? ». Une fois sur
deux la personne restait interloquée, non pas de la teneur de ma
question, mais parce qu'elle était anglaise, et que, à Calais. Elle
ne pigeait que pouic, et, malgré le Brexit (ou à cause du) les
anglais continuent à venir remplir leurs chariots de vins bas de
gamme et de bières moins chères. La plupart des francophones
étaient tristes évidemment, le plus grand nombre de fans résidant
dans les Hauts de France, région pauvre qui aime la danse populaire
et la violence contenue dans le rock and roll.
Tous les politiciens hexagonaux y
ont été de leur selfie condoléant. Plus étonnant a été la
réaction coincée de la gauche bourgeoise (j'ai évoqué plus haut le
silence méprisant des trotskiens).
Le mutisme de la gauche bourgeoise
reposait-il sur le fait que le « parvenu » Johnny n'avait
jamais caché ses sympathies pour le libéralisme bourgeois, même le
plus provocateur à la Sarkozy, bien qu'il s'en soit mordu les doigts
et même finalement désolidarisé4.
Mélenchon, qui n'aimait jamais tant que photographier les vedettes
lorsqu'il n'était que un second rôle au PS, ne savait pas que dire
(si je pleure mon électorat va penser que je suis vendu aux produits
impérialistes, si je ris je vais m'aliéner un électorat qui hésite
entre moi et Marine). Donc il n'a rien dit puisque le chanteur « de
droite » est trop « populaire ». Du côté de la
Bible à bobos, l'OBS, un Serge Raffy est encore plus obséquieux
face à que la récup nationale macronesque : « Son
œcuménisme de rocker mérite à coup sûr un immense hommage. Mais
que vient faire la République dans ce deuil ? C'était un
géant, certes. Il souhaitait qu'on voir en lui un simple
saltimbanque. Sans message, sans leçon de morale. Peut-on pleurer
une idole sans le transformer en statue ? La disparition du
« monument Johnny » marque la fin historique des baby
boomers. Est-ce cet événement que certains veulent glorifier par un
quasi « deuil national » ? ».
Et si Hollande avait été encore
au pouvoir, que le Raffy lui aurait-il reproché de surfer idem sur
une « union nationale en deuil »5 ?
Nulle dimension internationaliste chez le porte-plume de l'OBS, mais
la même gêne que Mélenchon face à un « saltimbanque de
droite », au pote des milliardaires. La plus ridicule
condoléance est venue du léger Hollande pour prendre un peu de
poussière de gloire du « dieu Johnny » : « on
aurait bien aimé le retenir » (allusion pataude à « Retiens
la nuit », qui nous berça adolescents avec des transistors
grésillants dans nos tentes de camping où les filles ne voulaient
pas se risquer). Remarque assez imbécile quand on sait l'état où
vous met le cancer à la fin. C'est Polnareff qui a montré plus de
dignité : « Il valait mieux qu'il parte, au moins il ne
souffre plus ».
Autant la gauche bourgeoise se
montra gênée, gênée de feindre l'indifférence, autant la droite
oécuménique et son pendant macronesque afficha son affliction et
une compassion biblique. Opportunité quand tu nous tiens ! Ne
fallait-il pas surfer sur une émotion populaire qui s'annonçait
comme massive, qui prenait des proportions gênantes où, deux
décennies après la disparition de Coluche, une vedette de
music-hall menaçait de ravir le vedettariat à la camarilla de
politiciens officiels. Tout le monde n'est pas d'accord avec moi,
l'instrumentalisation nationale aurait été acquise dès les
premiers râles de Johnny. Ce que je ne pense point. L'hommage
national aux Champs a été contraint et forcé, et la polémique
entre premiers rôles gouvernementaux a traîné quelques jours :
coût d'une telle opération, plan vigipirate, risques de flop ou
pagaille d'une venue massive de « beaufs ». Toutes les
oreilles policières et journalistes ont averti que la masse
trépignait et ne se laisserait pas voler son deuil, qu'elle
viendrait de toute façon en Harley ou en voiture neuve à 169 euros
par mois à vie.
Le rendez-vous fût massif en
effet. Certainement un million sur les Champs et quinze millions,
dont moi, devant la télé. Du jamais vu pour n'importe quelle queue
de pie présidentielle, et l'enterrement de Victor Hugo était réduit
à une pauvre manif de la CGT.
La prétention de Macron à
discourir avant la messe était une gageure6.
Sachant que les premiers rangs, venus de province étaient plutôt
électeurs du FN. Cela n'a pas raté, les sifflets ont commencé...
mais n'ont pas duré. Macron a réussi à les bluffer finalement avec
un discours bien tourné qui flattait à mort les fans et leur idole,
dans lequel il ne se mettait aucunement en avant, et puis continuer à
siffler se serait vite retourné comme une honte pour les siffleurs
« beaufs ».
Les deux écrivains attitrés Labro
et Rondeau firent un discours de fines plumes. Labro osant égrener,
parmi d'autres facettes du personnage, son aspect caméléon mais se
faisant étriller pour avoir oublié de nommer les filles adoptives
(certes caprice de vieux riche). Rondeau, journaliste au Monde qui
avait fait scandale en interviewant jadis en une de ce journal
intello, un vulgaire rocker, fit le beau en indiquant que Laeticia
lui avait décrit la mort « héroïque » et mystique de
l'homme Johnny : il est tombé par terre et ses yeux ouverts
étaient dirigés vers le ciel7.
Le pape, devant sa télé, devait
se frotter les mains pour la pub mondiale de la principale
multinationale. Cela dégoulinait de mysticisme. La croyance pipole
stupide en l'immortalité de leur « idole » - ce qui
était pourtant une hérésie dans l'Ancien Testament – venait se
jeter dans les bras des pires bigoteries qui entrecoupaient les
discours des amis du beau monde sans foi ni loi.
Le plus ridicule fût Bruel qui
commença par décrire une virée en Lamborghini et un arrêt picole
avec louche de caviar avec son ami qu'il croyait immortel ;
oubliant que seuls les académiciens bourgeois sont immortels, du
moins le croyait-on jusqu'à ce qu'un vulgaire mortel chantant vienne
leur faire concurrence. Le clou du spectacle d'affectation nationale
et d'affliction musicale était bien sûr la bénédiction du curé
gauchiste en santiags avec la pompe à encens, et sa tête de Léo
Ferré, qui figurait la facette bad boy du passé d'un Jojo rangé
des Harley en fin de carrière, bon père et presque papy de la
nation. Quoique rebelle milliardaire endetté.
Pour tout dire, le spectacle
religieux fût un concert réussi. Jésus Christ, ce hippie, ne nous
en
voudra pas d'autant que Johnny a chanté toute sa vie avec sa
croix autour du cou. Il lui manqua cependant la djellaba de Jésus et
ne se promena jamais pieds nus sur scène. Jésus ne connut point
l'électricité pour amplifier le son des guitares ni ne voyagea à
bord d'une Lamborghini. Exhiber le luxe était contre révolutionnaire
en ces temps là. Il y avait un côté obscène chez le Hallyday du
XX e siècle finissant post bigoterie universelle de chanter la
misère spirituelle du commun des mortels prolétaires tout en
roulant carrosse, mais comme l'art ne peut pas être prolétarien, on
aima quand même. Un riche peut connaître des déceptions d'amour
comme un prolétaire, peut connaître la dépression, quoiqu'ils
soient une infime minorité à mourir dans la rue. C'est pourquoi le
sort de Johnny jette le trouble en nous, qu'on l'ai aimé ou pas.
Johnny était né relativement dans
la rue, dans un milieu bohème artiste qui ne vivait pas si
pauvrement (le manteau dont il est vêtu, mes parents n'auraient pu
me l'offrir à l'époque). Mais cette histoire de Johnny nous touche
parce qu'elle nous renvoie à notre vie personnelle. Ce qui est
étranger aux groupes politiques, quels qu'ils soient, y compris ceux
qui se disent marxistes. L'individu n'existe pas en politique, et
« le parti » n'a aucun compte à lui rendre8.
C'est pourquoi nos pauvres bobos gauchistes ils restent coincés et
ne peuvent rien dire sauf à se ridiculiser. Pourtant L'Huma a publié
un article tout à fait digne et correct sur Hallyday, même si,
inévitablement, on ne peut douter qu'il s'agisse d'une opération de
séduction électoraliste car les vieux ouvriers, oui que ils aiment
beaucoup Johnny dont les chansons gueulées, à fond la caisse, leur
ont parfois donné du baume au cœur pour les humiliations subies au
boulot, nota « qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? » et
« je ne suis pas un héros »9.
Comparé aux enterrements
corbillards silencieux et emmerdants, l'hérésie pouvait entraîner
l'ire du catho de base, mais ce ne fût pas ridicule, et ce ne fût
pas, quoiqu'on en dise une invention européenne ou d'homme blanc
irrespectueux envers la religion. On chante le gospel dans les
églises américaines. L'église française a évolué, elle est
devenue païenne sans complexe, elle laisse depuis longtemps entrer
les musiciens dans l'église au moment des mariages ou des
enterrements, le rock remplacer ou cohabiter avec la musique sacrée.
Vous ne verrez jamais cela dans une mosquée ou une synagogue10.
La faculté de « récupération » de l'église catholique
n'est donc pas négligeable et elle est loin d'être moribonde en
Amérique du Sud et en Afrique11.
LA FIN D'UNE CERTAINE CULTURE IRENIQUE POST
1945 ?
J'en
viens à la déclaration provocatrice, comme toujours, de
Finkielkraut : « Pour
Finkielkraut, seuls les «petits blancs» ont rendu hommage à
Johnny, pas les «non-souchiens» qui « brillaient par leur
absence ». Moi je l'aime bien finalement Finki, pas pour son
soutien à l'Etat colon Israël, mais pour sa capacité à aller à
rebrousse-poil de l'idéologie libéral gauchiste antiraciste
dominante. Il faut toujours des extrêmes pour animer l'ennui
politique dominant, Finki est l'extrême de la raciste Houria
Boutelja et de tous les anonymes qui ont fait du tueur débile Merah
leur idole. L'humour sur la question sociétale et ses labyrinthes
idéologiques actuels provoque la déflagration. Je m'y attendais. Je
voyais bien moi aussi cette dominante de visages blancs, malgré
quelques noirs quand même, antillais sans doute. Hurlent tous ces
bien-pensants qui ont baratiné que supprimer le mot race de la
constitution supprimerait le racisme. Hurlent tous ceux qui sont
contre tout contrôle des migrants mais ne s'occuperont jamais de
leur trouver un foyer et un travail. Mais leurs amis antiracistes
professionnels relativisent aussitôt que c'est parce que le rock est
désormais ringard, que la dépouille de Johnny signifie la fin de
l'emprise des baby-boomers, des égotistes, ces consommateurs sans
âme, ces vieux jeunes !
Ces
furieux contre le provocateur Finki ont certainement raison sur un
plan : la société française est devenue multiculturelle. Il
faut laisser construire à gogo mosquées et clubs de foot animés
par des intégristes musulmans, laisser les élèves défavorisés
insulter leurs profs, applaudir au port généralisé du voile. Toute
la musique « que j'aime » serait désormais le rap. Le
rock c'est pour les vieux blancs racistes ; d'ailleurs (hum hum)
il paraît que Elvis l'était12.
Ce
constat très pertinent de Finki n'est pourtant qu'un vrai constat,
l'aboutissement des cloisonnements communautaristes. Les noirs et les
arabes on ne les vit point, ou en nombre, aux enterrements pour
Charlie13.
Les noirs et les arabes – pour parler de façon tristement
schématique – ils ne se montrent qu'en banlieue lors des manifs
pour protester contre des exactions policières, ou pour soutenir
n'importe quelle exaction de voyou si cela concerne « la
race ». On aimerait bien les voir pourtant plus nombreux dans
les manifestations « de classe » (ouvrière) ;
quoique chacun soit toujours libre de manifester pour ce qu'il veut.
Mais,
comme toujours, la provoc de Finki reste superficielle et décalée
par rapport à la réalité sociale, et que nombre de noirs et
d'arabes étaient aussi devant leur écran de télévision. Je ne
pense pas qu'on puisse reprocher non plus à d'innombrables
prolétaires blancs de ne pas être venus à l'enterrement pipole ;
Finki ne nous dit pas quelles classes ou couches composait cette
masse de gens, ni la proportion de voyeurs ou de joggers. Ensuite la
mort d'une vedette de variétés depuis le temps du général –
lequel déclara que Johnny serait plus utile à la construction des
autoroutes – ne peut pas enterrer les années 60. Il ne fût qu'un
personnage de ces années-là, et c'est réduire l'histoire à un
spectacle de Michou Drucker que d'imaginer que les préoccupations
des gens pendant 50 ans ont été les santiags et les vêtements
ridicules de scène du caméléon Johnny.
L'ENVIE
DE PROLONGER LA VIE... ou d'assister à un cancer
L'émotion
populaire renvoie à quelque chose de plus profond, et qui nous
touche tous, toutes races confondues, quelles que soient nos
« idoles ». J'ai pour cela deux explications dont vous
pouvez inverser l'ordre.
La
première est que le dégoût de la politique en général (« noir
c'est noir... il nous reste l'espoir »), renferme les gens
(j'évite de dire toujours les prolétaires ce qui finit par paraître
...communautaire!) dans des soucis d'ordre privé et sentimental.
Assister à un concert (et aussi cancer) d'une bête de scène les
touche bien plus que les lamentables meetings électoraux. Le plaisir
est immédiat par le chant, le rythme, l'ambiance. Les lendemains
chantants tu peux toujours attendre et te morfondre politiquement.
La
deuxième est ce refus de vieillir et d'accepter la mort qui est
typique justement de la génération des baby-boomers. Jusqu'à nos jours le cancer a été une maladie cachée, masquée; on trouve encore nombre de nécrologies qui indiquent "victime d'une maladie incurable"; car elle était honteuse cette maladie; honteuse parce qu'imbattable, qu'elle ridiculise la médecine, et qu'elle signifie qu'il y a un gêne pourri dans votre hérédité familiale. Avec l'exhibition du cancer de Hallyday, on aura certainement décomplexé l'information sur le sujet mais pas fait avancer le schmilblic. Obscène et
fallacieuse fût cette prétention, étalée par les médias, à
combattre la maladie à coups de gueule ou de doigts d'honneur, ou
avec les prières des fans. Johnny put allumer le feu souvent mais
conjurer le sort en vain. Certainement au courant depuis l'an passé
du mal qui le rongeait, et auquel l'abus de tabac, d'alcool et de
drogues illicites n'est pas étranger, il faisait le fanfaron. Il
mena une série de concerts au titre de « Rester vivant »
avec une grosse tête de mort qui pendait au-dessus de la scène de
chaque représentation. Le chanteur à tête de loup et au sourire
désarmant soliloquait avec sa maladie à travers les paroles
poignantes qu'on lui avait composé sur mesure : « l'envie
de prolonger la vie ». Les meilleures incantations même
musicales ne peuvent rien contre ce putain de cancer, surtout du
poumon ; j'en sais quelque chose pour avoir été aux premières
loges lors de l'agonie d'Anouke et d'autres. Tout le corps part en
couille, se vide littéralement en un liquide infâme. Le malade
meurt littéralement de faim car il ne peut plus manger. Je plains
les proches de Hallyday qui lui ont tenu compagnie jusqu'aux derniers
jours, et, désolé, mais toutes classes et races confondues, le
chagrin des autres allume toujours une immense peine en nous. Pauvres
êtres humains nous sommes périssables comme les fleurs, mais pas
tous en même temps. Notre espoir et notre joie réside dans le fait
que l'humanité ne s'arrête pas à la mort de celui-là ou de
celle-ci. Que nos successeurs vont connaître à nouveau la vie et
peut-être un monde meilleur.
Johnny
a probablement dit à ses médecins : « stop
débranchez-moi, je veux pas finir complètement décomposé ».
Peut-être est-ce une de ses dernières blagues d'avoir attendu que
l'écrivain bourgeois oecuménique d'Ormesson le précède. Johnny
était croyant depuis toujours, sinon il n'aurait pas porté la croix
catholique pendue à son cou même pour les concerts les plus
hérétiques. Il a dû penser que monter au ciel avec d'Ormesson
serait moins emmerdant qu'avec Mireille Mathieu. C'est sans doute le
seul vrai combat qu'il a pu imaginer. M'ont fait rigoler les
inventions de ses amis ou des toubibs clientélistes qui ont clamé
qu'il avait mené un combat acharné contre le cancer. On ne peut pas
lutter contre le cancer soi-même comme on ne peut pas réparer tout
seul sa jambe cassée. Les soignants vous bourrent de cachets, pas de
music-hall, et dosent d'une manière plus alchimique que scientifique
avec la chimio. Le crabe, lui, avance inexorablement même si vous
avez « encore envie de vivre ».
L'agitation
des tout petits scandales sur le déroulement des cérémonies ou de
la dernière provoc de Finki, servent à laisser au second plan
l'essentiel : la recherche sur le cancer n'a pas progressé
depuis des décennies. La « science capitaliste » est
plus apte à tuer des milliers d'hommes à des distances lointaines
qu'à guérir les milliers qui souffrent et périssent de cette
maladie glorifiée comme « incurable »14.
Incurable comme le capitalisme ?
NOTES
1Alors
que des informations autrement plus graves sur ce qui se passe dans
le monde méritaient de rester en une, la grave provocation de Trump
contre les Palestiniens, l'armement accéléré de la Corée du Sud,
l'invraisemblable déclaration de victoire de la camarilla
gouvernementale irakienne assurant avoir fini la guerre contre
daesh, les vagues de destruction d'emploi dans les grandes surfaces
et les banques, etc.
2Par
contre, ils passent du temps à défendre un vieux bureaucrate du
PS, qui fût un de leurs pères trotskistes en sa jeunesse, accusé
d'antisémitisme pour avoir publié un montage bête de Soral
montrant Macron comme otages des juifs et des banques, ce qui n'est
pourtant pas totalement faux ni antisémite, quand chacun sait que
Goldman&Sachs, banque de banksters est couramment nommé banque
juive. Et qu'il y a quand même des magnats juifs aussi pourris que
nos magnats chrétiens ou musulmans. Naguère, des groupes, pas
aussi étroits, qui faisaient eux partie de mouvement
révolutionnaire (S ou B et Pouvoir ouvrier) n'hésitaient pas à
parler des concerts de rock comme événements ; même si
ultérieurement a été théorisé cette truie « le
soulèvement de la jeunesse ».
3Pour
ce qui me concerne, cela ne me fit ni chaud ni froid, il n'est pas
un proche et je le savais condamné malgré les sottises sur sa
robustesse et un (impossible) combat contre une telle maladie. Comme
je l'ai dit au début de mon livre jadis (« Les cartons
d'Albi ») on ne peut nier qu'il fait partie de l'histoire de
France au même titre que De Gaulle et Bardot, que, même à partir
de l'exemple américain il a envoyé valser la musique de papa.
Quant à sa trajectoire personnelle et ses fortunes diverses elles
sont secondaires. Comme interprète il fût un soleil. Je l'ai
croisé souvent involontairement, enfant d'abord, à Albi,où il fît
un de ses premiers concerts vers 1961 ; il était venu se
balader dans mes belles rues autour de la cathédrale. J'ai
assisté avec indifférence à son concert au palais des sports vers
1967 à Paris, plus intéressé par la mise en scène (danseuses aux
seins nues avec paillettes) . Puis je le vis parfois dans les rues
de Paris où il passait dans les 70 avec ses hordes parasites de
Harley Davidson. Enfin, à l'enterrement de Coluche à Montrouge, je
marchais derrière lui avec Michel Leeb, dans le maigre cortège qui
accompagna le comique jusqu'au cimetière. Chacun est accompagné
d'une chanson lors de son premier amour, moi, avec Anouke, c'était
en 1969 : « Que je t'aime » et le Polnareff du « je
te donnerai tous les bateaux ».
4Tant
de bardes à la Doc Gynéco, qui firent la lèche à Sarko, ont fini
aux oubliettes médiatiques.
5Pas
vraiment, comme on le verra grâce ) Finki...
6A
l'origine Macron devait discourir à l'intérieur de l'Eglise, où
il ne risquait pas de sifflets de la part de la haute caste réunie
sous toit catholique. Cela eût été une transgression à la veille
(le 9) de l'anniversaire de la séparation de l'Eglise et de
l'Etat ! Chacun tint son rang, les curés dedans et la
République dehors, mais Johnny attend désormais d'être béatifié.
On le fit passer pour un saint, oubliant ses frasques de riche
parvenu ou ses abus sur les sans grades, même si on nous rappela
lourdement qu'il avait donné son cachet de concert aux
sidérurgistes de Longwy en lutte en 1979.
7Pitoyable
imagerie mystique, en général on ne tombe pas par terre lors d'un
malaise pour se retourner et regarder le bon dieu. La réalité est
simple : on débranche dès que le malade fait signe. Ce qu'un
hebdo pipole a fort bien résumé : « madame, c'est
maintenant ». C'est cela qui est terrible pour les proches,
pas vraiment pour celui qui est débranché, en vérité euthanasié,
et qui voit la fin de ses souffrances.
8Pour
exemple, j'ai envoyé de vieux films de vacances à des responsables
du CCI, récemment, qui contenaient des moments de vacances avec de
charmant(es) camarades disparus. Ni merci, ni merde. Et je doute
même qu'ils les aient transmis aux concernés. Je ne peux résister
à ajouter cette anecdote qu a choqué les personnes que j'avais
fait venir à leur dernière réunion publique à Paris. Une
sympathisante de Rennes (j'espère non militante) a déclaré :
« je ne veux surtout pas que mon fils devienne prolétaire ».
Réunion de bobos ?
9Le
rock n'a jamais été subversif, un défouloir tout au plus. C'est
le rock qui a fait tomber le mur de Berlin, plus encore que la
course aux armement qui a épuisé l'URSS. Avec le rock on peut
s'amuser entre fils de bourgeois ou d'ouvriers. Le rock a cassé les
frontières et les clichés politique bien plus que nos vieux
refrains révolutionnaires. S'il contient plus d'amusement
immédiat, de communication sociale joyeuse dans le présent, que
nos lointains déhanchements communistes, inatteignables lendemains,
il reste une mode aléatoire, et c'est bien la CIA qui a sponsorisé
les grands concerts qui ont servi à culbuter les choeurs ringards
de l'armée rouge !
10Lors
d'un mariage familial, mon fils, guitariste, avait composé une
chanson pour sa grand-mère et la chanta au beau milieu de l'Eglise
avec l'accord du curé.
11Le
chant au moment des enterrements est immémorial en Afrique. Au
Burkina Faso des veillées de chants sont organisées lors des
funérailles mossi pour tous les défunts ou défuntes décédés
des suites d’une mort jugée socialement acceptable et alors que
leur statut permet la tenue de rites funéraires. Aux îles
Tonga, les femmes chantaient des complaintes autour
du cadavre et les continuaient encore au dessus de la tombe.Les
Maori de la
Nouvelle Zélande ont laissé
des chants funéraires d’une beauté rare. Ils s’appelaient
Waiata tangi et étaient chantés en choeur. En Amérique,
nous trouverons la même coutume et les mêmes productions
orales. Chez les Indiens
du Paraguay, dès que le
guerrier défunt était paré de ses armes, les femmes de sa
famille éclataient en pleurs effroyables. Puis elles se
levaient deux par deux, entonnaient un chant monotone et
faisait en dansant le tour de la cabane. Ces chansons et ces danses
étaient continuées par les femmes pendant trois jours. Les
hommes se tenaient à l’écart et vaquaient à leurs
occupations habituelles.
12Etrange
étrange, le rock qui vient du blues et du jazz, donc d'une musique
inventée par les noirs révoltés, reste quand même immortel pour
autant de noirs que de blancs. Il faut constater tout de même une
communautarisation musicale. Les boites en banlieue parisienne sont
dominées par la musique antillaise. Pratiquant depuis peu le Linky
Hop, j'ai pu vérifier que cette danse de 1930, inventée par les
noirs américains, était pratiquée surtout par une jeunesse à
majorité blanche. Pourtant elle reste ouverte à tous, et nos plus
brillants danseurs ou profs de cette danse qui fait fureur depuis
deux ans sont noirs.
13Je
l'avais signalé sur mon blog à l'époque, mettant cette absence
plus sur une conscience de classe, même faible, rétive à ces
grandes communions nationalistes d'un hypocrite « tous
ensemble contre le terrorisme » planifiées et encadrées par
l'Etat bourgeois ; malheureusement il semble que le prolétariat
est en grande partie divisé, et que chacun pense « nos morts
ne sont pas les vôtres ».
14Plusieurs
amis et camarades sont actuellement frappés par le cancer, et c'est
à eux que je pense. Je leur dis qu'il n'est pas aussi rapide pour
tous, que certains connaissent de longues rémissions et je les
embrasse. Tous, de toute façon, malade ou pas, on atteint tôt ou
tard, le point « fatal », le moment « final ».