Highgate cemetery London 1985 |
ARISTOCRATIE
ET COUCHES MOYENNES : un peu d'histoire et des histoires
UNE
LUTTE « MOYENNE » SANS L'ARISTOCRATIE OUVRIERE...
Les
cols blancs ont fait couler beaucoup d'encre depuis plus d'un siècle
et sont responsables de milliards d'heures de repassage de millions
de femmes de ménage, ou de leurs épouses. Leur apparition dans le
monde du travail à la fin du XIX e siècle n'a pas supprimé la
blouse qui reste un vêtement de travail même pour les professions
sophistiquées, mais n'est pas séparable du costard-cravate, comme
ils ne sont pas séparables des deux principales classes modernes
bourgeoisie et prolétariat, dans une sorte de triolisme pervers. Ce
mot valise fût naguère un des qualificatifs préférés des
sociologues caractérisant la petite bourgeoisie au travail, dans le
travail de masse où les cols blancs ont depuis longtemps dépassé,
en maint endroits, les cols bleus. Ces « couches moyennes »,
difficilement définissables et délimitables, constituent plus qu'on
ne l'imagine un enjeu considérable pour les pouvoirs successifs de
la classe bourgeoise, et une sérieuse épine pour les théories
socialistes depuis au moins monsieur Karl Marx. Historiquement elles
sont un casse-tête pour ne pas dire trouble-fête.
Le
mouvement des gilets jaunes en France restera pour longtemps la
référence à une révolte sociale de type petit-bourgeois qui,
malgré la passivité des deux grandes classes, a sérieusement
ébranlé l'Etat, mais qui s'est déroulé significativement et avec
un culot indéniable en refusant toute immixtion des appareils
syndicaux de la vieille aristocratie ouvrière (dite du service
public). Division réussie du pouvoir bourgeois dirait le théoricien
bête de l'avatar « aristocratie ouvrière », Raoul
Victor (on se penchera sur cette incroyable négation historique plus
loin) ? Ou confirmation qu'on ne peut sérieusement ébranler
l'Etat que dans la rue hors des circuits négociés avec les
policiers, hors des encadrements corporatifs et syndicaux ?
L'Etat, lui,
presque six mois plus tard, malgré le cirque vaniteux d'une grande
exhibition nationale du patelin Macron, ne sait comment répondre,
tergiverse comme pour le Brexit, fait traîner en longueur... au
moins jusqu'aux vacances qui permettent de faire passer les lois les
plus sauvages pendant que les « couches moyennes » se
baignent et que les consommateurs consomment. Qu'importe, la grande
synthèse a accouché du principal souci qui serait celui des couches
moyennes : le pouvoir d'achat. Raide et simpliste. Vous nous
rajouterez bien un peu de sucre ?
Bis
repetita, on repart au point mort ; début décembre 2018, on
pouvait lire ceci : « Au
lendemain de
l’acte 2 de la mobilisation des Gilets jaunes, le gouvernement
maintient son cap. Mais Emmanuel Macron a assuré vouloir apporter
des
réponses aux "classes moyennes et laborieuses". Celles-ci
prendraient la forme d’un "pacte social" d’accompagnement
dont certaines mesures devaient être détaillées ce lundi en
Conseil des ministres. Le président en expliquera ensuite le contenu
mardi ». C'est la même promesse qui est faire aux « classes
moyennes et laborieuses » qui est faite six moins plus tard.
Disque rayé ou impuissance ? Il est certain que la crise a
dévoilé l'imprévoyance gouvernementale fondée sur le mépris de
cette bourgeoisie urbaine antiraciste et communautariste qui
prenaient pour portion congrue à la fois les couches moyennes
provinciales et les « classes laborieuses » (Macron a dû
se précipiter pour repêcher le terme chez Engels et éviter de se
resservir
de cet horrible terme « ouvrier »). La terreur
qui a saisi l'Etat, qui n'avait jamais autant été malmené a
justifié qu'ils utilisent cyniquement une arme destinée à crever
les yeux des manifestants comme pour mieux les empêcher de continuer
à voir l'envers du décor de la flagornerie démocratique du pouvoir
bourgeois. Mais surtout les terroriser en même temps que les
criminaliser en laissant faire à deux reprises des destructions
émeutières sur la présumée plus belle avenue du monde1.
Ce
trouble de l'Etat ne s'explique que si l'on a conscience que depuis
au moins un siècle, tous les Etats modernes ont besoin de s'appuyer
sur ces « couches moyennes » au risque de se retrouver
nus face au prolétariat et de sombrer dans la confrontation
violente : LA PETITE BOURGEOISIE N'EST PAS SEULEMENT
INTERMEDIAIRE MAIS BOUCLIER ! Sans s'en rendre compte le
gouvernement néophyte, certes poussé au cul par la crise, sciait la
principale branche sur laquelle il assoit son pouvoir de berner,
d'exploiter, de spolier, etc.
Cette
partie rurale des classes moyennes en révolte (mêlant souvent plus
d'ouvriers que d'artisans ou de chauffeurs routiers) n'a pas eu de
chance. Elle est apparue sur une scène politiquement vide. Tant bien
que mal Macron avait réussi à prospérer sur l'effondrement des
partis de la gauche et de la droite bourgeoise, montant de bric et de
broc un vague parti de résidus bonapartistes. Pas de séduction
fasciste à l'horizon ni de robuste parti communiste de masse. Plus
vide que le vide il y eût le vide des revendications. « Macron
dégage », pas mal mais remplacé par qui et par quoi ?
Justice fiscale... dans un capitalisme juste ? Et le chiméric
boudin suisse qui n'est qu'un remake fasciste même si les journaleux
de Libération ont tenté de contre-argumenter : le régime nazi
n'a pas commencé par là mais a bien fonctionné par ce type de
référendum2.
Les
figures de premier plan des gilets jaunes se sont tous pris la grosse
tête mais en se mettant au service soit de Dupont-Aignan soit, plus
banalement, au service des résidus syndicalistes, Priscillia
appelant avec eux à pétitionner pour un Front populaire à la noix,
et Drouet faisant équipée avec des amis du PS décati pour garder
« les richesses à la France » en venant au Sénat pour
implorer la non privatisation des aéroports de Paris. Triste
épilogue pour ces petits personnages qui tinrent la vedette durant
de nombreuses semaines avec la particularité de n'avoir été élus
par personne ; ce qui fît d'ailleurs leur popularité puisque
les « élus » classiques sont tous pourris et
incontrôlables ! Autre raison du succès des manifs si on
compare au mouvement bobo des « nuit debout », en général
les ouvriers n'aiment pas la parlote, n'osent pas prendre la parole
en public ni assister à de longues joutes oratoires entre beaux
parleurs – ce qui explique en général la popularité de la
manifestation dans les révoltes sociales. Qui peut prétendre
sérieusement qu'il faudrait se contenter des manifestations et
laisser de côté comme inutiles assemblées et commissions élues
(et révocables) pour donner une colonne vertébrale à un mouvement
social ? A ce point de vue le mouvement des gilets jaunes est
resté ruer dans les brancards et surtout sans projet social et
politique crédible. La protestation c'est bien mais la formulation
c'est mieux.
POURQUOI
LA « CLASSE LABORIEUSE » n'a pas réussi à prendre la
tête des gilets jaunes ?
Normalement
elle a disparu des radars si l'on en croit Terra Nova (cercle
maçonnique PS), Ottorino Perrone3
et Bitot. Certes,
la composition de la société, en
France,
a beaucoup changé depuis le début ou même le milieu du XXe siècle,
et avec elle la stratification des statuts : la paysannerie a
pratiquement disparu et le salariat industriel, victime de la
redistribution mondiale du travail, suit la même voie. Le
développement des services et la féminisation du travail ont
partiellement compensé la désindustrialisation de l’activité,
entraînant l’augmentation du nombre de « travailleurs
pauvres » et « précaires » dont le destin (gagner
moins qu’il n’est nécessaire pour vivre et élever dignement ses
enfants) est tout à fait comparable à celui du prolétariat
d’autrefois. Or le prolétariat moderne - incluant la classe
ouvrière selon moi (et terme moins restrictif même si on peut les
confondre sans gêne) – est constamment nié, matraqué au propre
comme au figuré ; ses luttes ne sont plus que catégorielles ou
« ethniques » (voir plus loin). Il n'y a même plus de
petit parti audible ou présentable pour confirmer la théorie de
l'intérieur ou de l'extérieur. Les Drouet et Fly rider n'ont lu que
des bandes dessinées ; Priscillia n'a fait que des études de
comptabilité.
La
classe ouvrière a disparu aussi comme thème central des librairies,
sans parler des supermarchés qui n'écoulent que des livres de
jardinages ou de porno pipole. Les deux principales librairies
parisiennes où l'on pouvait trouver de la littérature prolétarienne
et marxiste vont disparaître. Sur les étals des librairies
gauchistes ou zadistes plus de politique mais la messe écolo et les
disputes sur la morale antifasciste et les frasques musulmanes. Mais
cette disparition « intellectuelle » programmée remonte
à loin, et au niveau du langage, ce qui fait qu'on ne peut pas trop
reprocher en soi leur ignorance à nos jeunes gilets jaunes. Un
auteur a fait œuvre de lexicologie sociale pour démontrer la
préparation du décor sociologique bluffant :
« Depuis
les années 1980, l’École de Chicago inspire des politiques
économiques qui ont discrédité la sociologie des classes sociales
et des luttes de classes au profit de la collaboration entre
catégories et groupes définis par le niveau de revenu. Le syntagme
« classe ouvrière » a été remplacé par « classes
moyennes » dans le discours des médias. Parallèlement,
l’assimilation de la classe ouvrière à ce qui n’est pas « les
classes moyennes blanches » ainsi que le rejet des immigrés et
des enfants d’immigrés ont déplacé les luttes sociales vers les
conflits ethniques (émeutes en banlieues, vocations djihadistes).
Cette étude critique de lexicologie sociale montre comment les
médias français, propriétés de grands groupes financiers,
présentent une vision erronée des réalités sociales et
contribuent à dépolitiser l’opinion publique sans égard pour
l’éthique qui devrait fonder la vie démocratique du pays »4.
Marc Arabyan
périodise cette aliénation historique organisée par les médias
bien avant internet :
« Le
phénomène date d’une quarantaine d’années. Il est contemporain
du renoncement à la lutte des classes par le XXIIIe congrès du
Parti communiste français (09-13 mai 1979), de l’arrivée au
pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni (04 mai 1979), suivie de
celles de Ronald Reagan aux États-Unis (20 janvier 1981) et de
François Mitterrand en France (21 mai 1981). Ces événements
marquent le triomphe de l’École de Chicago et le retour du
libéralisme comme principe politique, accompagné d’une sociologie
désormais dominante qui analyse les classes en termes de revenus et
non plus de positions sociales conflictuelles (Jacoby, 2014).(...)
Mon hypothèse est
qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence. Cette absorption a pour
effet de faire disparaître la classe ouvrière des sciences sociales
d’abord et du langage ensuite, troublant la compréhension des
rapports sociaux ».
Dès
1968, H. Lefebvre parlait des classes moyennes comme d’une
mystification terminologique et citait la presse en mettant valeurs,
culture
et supérieures
entre guillemets :
« Une
nouvelle mystification monte : les classes moyennes n’auront
qu’une ombre de pouvoir, que des miettes de richesse, mais c’est
autour d’elles que s’organise le scénario. Leurs valeurs,
leur culture
l’emportent ou semblent l’emporter parce que supérieures
à celles de la classe ouvrière »5.
Nous
allons voir maintenant comment la « classe ouvrière »
entre guillemets (c’est-à-dire la chose) est toujours là, et
comment classe
ouvrière
en italique (c’est-à-dire le mot) a disparu, l’absence du mot
permettant de ne plus parler de la chose par un effet de censure
invisible. Les
exemples qui suivent montrent que la confusion entre les classes
moyennes et la population en général pénètre le corps social et
l’« opinion publique » avec toute la puissance du fait
accompli ou des choses comme elles sont. Pour ce qu’il est
désormais convenu d’appeler une « sociologie de presse »
(Chauvel, 2014), il n’existe plus de lutte des classes puisqu’il
n’existe plus de classes, mais uniquement des situations sociales
individuelles ou catégorielles mal définies, déconstruites, et
finalement anomiques. Cette
situation pose au linguiste deux questions liées : 1) la
première est de comprendre comment s’est produite cette absorption
improbable, sachant que dans le système terminologique remis en
cause, les notions de « classe ouvrière » et de « classe
moyenne » se définissaient par leur incompatibilité ;
2) la seconde est de comprendre comment les mots peuvent à ce
point non pas valoir
pour les choses, mais tromper
à leur sujet ». Il cite J.Lojkine (2012) qui illustre déjà
le clash des gilets jaunes :
« La
classe moyenne, c’est l’anticlasse, la classe qui ne s’oppose à
aucune autre parce qu’elle est censée les absorber toutes. […]
En période de crise, la classe moyenne devient synonyme de société
des “inclus” opposés aux “exclus”, substitut du clivage de
classe : la classe moyenne devient alors le porte-drapeau des
salariés à statut enfermés dans leurs ghettos de “riches”,
entourés par la masse anonyme des “sans” : sans-papiers,
sans-travail, sans-domicile, sans-patrie. »
Et
plus loin :
« La
crise […] a fait éclater ce faux concept en révélant les formes
nouvelles des rapports de classes. La “classe moyenne” cache en
réalité un conflit majeur entre des fractions prolétarisées du
salariat intellectuel et une fraction ultraminoritaire des cadres
dirigeants […]. Chômage, précarisation, paupérisation […]
dessinent des formes nouvelles de prolétarisation [qui] pour autant
[ne s’identifient pas] au prolétariat ouvrier ».
« Désormais
chargée de désigner la quasi-totalité de la société française,
l’expression classes
moyennes
fonctionne comme un équivalent de population.
Pas plus que classe
ouvrière
(pour le singulier) ou classes
laborieuses, classes populaires
(pour le pluriel), la sociologie de presse n’emploie classes
pauvres
ou classes
riches.
Le mot moyen
lui-même, qui signifie en principe « entre deux choses »,
« intermédiaire » (Grand
Robert,
entrée
moyen)
n’a plus cette valeur dans ce contexte. Le morphème inférieur
étant évincé des discours « politiquement corrects »
(de même que la Charente inférieure, en 1941, la Seine inférieure,
en 1955, la Loire inférieure, en 1957, et les Basses Pyrénées, en
1969, sont devenues maritimes
et atlantiques)
un grand nombre de termes nouveaux comme SDF
(sans
domicile fixe),
RMI (revenu
minimum d’insertion),
RSA,
quart
monde,
temps
partiels,
demandeurs
d’emploi,
chômeurs
en fin de droits,
travailleurs
précaires,
travailleurs
intérimaires,
CDD
(contrats à durée déterminée) sont apparus pour les désigner'.
« Si
la notion de « prolétariat » (littéralement, « la
classe qui n’a pas d’autre richesse que les enfants »), qui
renvoie à la grande misère de la classe ouvrière du xixe siècle,
peut être considérée comme obsolète en France, la « misère
du monde », comme disait P. Bourdieu, est toujours là. Le fait
que la classe ouvrière et les catégories assimilées soient
désormais recouvertes par les classes moyennes et autres catégories
intermédiaires placées entre les « laissés pour compte »
et les « maîtres du monde » constitue une tromperie
délibérée, même si la division majeure semble aujourd’hui
davantage d’ordre culturel et social qu’économique, car tous
trois vont de pair et se surdéterminent mutuellement ».
Le
rapport de Terra Nova a fait plus de mal historiquement à la classe
ouvrière que toutes les grèves sabotées par les syndicats, en
s'appuyant sur le « rétrécissement démographique de la
classe ouvrière » (pourtant pas mal rétrécie en 1917 en
Russie!)
« Comment
la classe ouvrière a-t-elle pu disparaître depuis les années
Mitterrand ? » se demandait Terra Nova. La question
présuppose cette disparition, et l’explication qu’ils en donnent
est d’ordre culturel : la génération de 1968 a entraîné la
gauche vers les questions de société, la
liberté sexuelle, la
contraception, l’avortement, l’émancipation des femmes, la
tolérance, l’ouverture aux différences, une attitude favorable
aux immigrés, à l’islam, à l’homosexualité, la solidarité
avec les démunis. Les ouvriers ont fait le chemin inverse en
adhérant aux valeurs traditionnelles « petite-bourgeoises ».
La rupture aurait été accentuée par la « tertiarisation »
de l’économie qui a entraîné le déclin de la classe ouvrière
de pair avec la précarisation du travail, la perte de l’identité
collective, de la solidarité et de la fierté de classe, la
relégation dans les quartiers, créant des réactions contre les
immigrés, les assistés, la perte des valeurs morales et les
désordres de la société contemporaine : « Les
déterminants économiques perdent de leur prégnance et ce sont les
déterminants culturels, renforcés par la crise économique,
“hystérisés” par l’extrême droite, qui […] expliquent le
basculement vers le Front national et la droite ».
Le
rapport ne conclut pourtant pas à l’intérêt pour le Parti
socialiste de s’adresser aux « classes moyennes »,
jugées instables et peu fiables, ni de négliger les « classes
populaires », qui représentent encore « 23 %
d’ouvriers et 30 % d’employés – plus de la moitié
de l’électorat ». Mais il accorde la priorité à quatre
segments de la société qui, sans fonctionner en termes de
« classes », ont des « valeurs culturelles
progressistes » à défendre : 1) les diplômés ;
2) les jeunes ; 3) les minorités des quartiers
populaires ; 4) les femmes. Ces catégories « veulent
le changement, sont tolérantes, ouvertes, solidaires, optimistes,
offensives, en lutte pour l’emploi contre les catégories
installées, conservatrices et défensives » qui de leur côté
relèvent des classes moyennes et moyennes supérieures
« traditionnelles ».
Cependant
les auteurs ne retiennent pas l’hypothèse selon laquelle les
classes populaires ont été abandonnées à elles-mêmes par la
gauche pendant ces 30 dernières années, et que l’effet de
cet abandon ne peut pas sans abus en devenir la cause.
Ils
ne repèrent pas non plus qu’en France comme dans le reste des pays
les plus avancés,
les classes moyennes sont en train de s’appauvrir sous l’effet de
causes multiples
et combinées (Chauvel, 2014) : 1) causes
institutionnelles, en
raison du « moins d’État », avec l’affaiblissement
des syndicats,
le démantèlement du revenu minimum, la flexibilisation de l’emploi,
la réduction de la redistribution fiscale ; 2) causes
démographiques, avec le babyboom, l’immigration, le travail des
femmes, l’« homogamie des plus qualifiés » ;
3) causes économiques et technologiques enfin, avec le
ralentissement de la croissance, la délocalisation ou la
robotisation de la production industrielle, la hausse du contenu
abstrait du travail, la « winner-takes-all
society »,
les effets différentiels de la précarisation.
Ils
n’ont pas vu que de nouveaux conflits sociaux sont en train
d’émerger entre les salariés travailleurs intellectuels diplômés,
voire très diplômés (de bac + 2 à bac + 7, voire plus)
en situation de cadres et cependant surexploités,
et les managers dont les positions et les rémunérations très
supérieures (dans un rapport allant jusque de 1 à 20) sont
indexées sur la seule profitabilité financière, managers aux yeux
desquels « une société moyenne construite autour d’un État
social fort est généralement vue comme non pertinente »
(Chauvel, 2014).
J.
Mischi (2014), au lieu d’une disparition de la classe ouvrière,
note son évolution, les ouvriers des mines et de la métallurgie
réunis sur leur lieu de travail et à forte tradition prolétarienne
ayant été remplacés depuis la fin des Trente Glorieuses (à partir
de 1973-1981 donc) en nombre à peu près égal par des caristes et
des camionneurs isolés dans leur emploi, individualistes ou du moins
beaucoup moins pourvus de « conscience de classe ». Quant
à l’expression classes
populaires,
elle se maintient selon lui dans la mesure où elle permet de
continuer à rapprocher les ouvriers et les employés, tant en termes
de revenus qu’en ce qui concerne le statut social, le chômage,
l’insécurité et la précarité de l’emploi (CDD et contrats
d’intérim représentant désormais 90 % des nouveaux contrats
de travail, voir Le
Figaro
du 25/07/14). Il note aussi que la « classe ouvrière »
de référence était plutôt constituée de professionnels qualifiés
que d’ouvriers spécialisés immigrés.
Comment des
mots peuvent-ils tromper sur le réel ? Comme l’écrit H.
Weinrich (2014) poursuivant la réflexion de V. Klemperer,
« il
n’y a pas de doute que les mots avec lesquels on a beaucoup menti
sont devenus eux-mêmes peu fiables. Que l’on essaie seulement de
prononcer des mots comme […] Lebensraum
(espace vital) ou Endlösung
(solution finale), la bouche elle-même s’y refuse […]. Celui qui
malgré tout s’en sert est soit un menteur soit une victime du
mensonge. Les mensonges pervertissent le langage. Et il n’existe
aucune thérapie pour les mots corrompus ; on est obligé de les
expulser du langage. Plus c’est rapidement et radicalement fait,
mieux ça vaut ».(...) Dans les années qui ont suivi,
notamment à partir des années 2000, le thème de la classe
moyenne blanche,
a pris le relais, thème qui recycle la
racialisation des rapports de
classe amorcée par la substitution de travailleurs
par immigrés.
C’est pratiquement dans le même mouvement néologique qui voit
classes
moyennes
absorber classe
ouvrière
et où la classe ouvrière elle-même « disparaît » (les
guillemets sont importants) que les mouvements sociaux les plus durs
ont acquis en France des bases ethniques en substitution des bases de
classe.
(…)
on ne peut qu’être frappé par l’aspect unanime des glissements
sémantiques opérés par le discours des médias. Comme si les
journalistes s’étaient « donné le mot ». Ou comme si
la contrefaçon terminologique avait envahi le marché linguistique
au point de remplacer les mots justes par des copies, par des mots
faux.(...). Dans cette conjoncture, la réalité s’appuie
idéologiquement sur le langage pour, sans considération de
moralité, ni d’immoralité non plus, faire évoluer les choses
dans le sens des intérêts dominants. Comme l’a dit Warren
Buffett, « il y a une lutte des classes, c’est sûr, et c’est
ma classe, la classe des riches, qui fait cette guerre, et c’est
nous qui sommes en train de la gagner ».
CE
VIEIL AVEUGLEMENT RETIF A LA CONSIDERATION DES COUCHES MOYENNES...
Parmi
les fleurs de rhétorique de la bêtise classique relevons la
réaction primaire des bordiguistes :
« «
Les agitations des classes moyennes et les mouvements organisés ou
dirigés par des éléments de la petite bourgeoisie se manifestent
d’un bout à l’autre de la planète depuis quelques années. Dans
les médias l’attention se porte sur les problèmes, les
difficultés et les réactions des classes moyennes; elles sont
tantôt présentées comme le nouvel acteur menaçant de troubler
l’ordre politique et social à la place du prolétariat, tantôt
comme un précieux facteur de la stabilité de ce même ordre, et il
conviendrait donc de les choyer et de les soutenir ».
Et
le CCI, cette aristocratie de la pensée binaire et bipolaire, de
surenchérir : « La
révolte populaire des “gilets jaunes” n’appartient pas au
combat de la classe ouvrière. Au contraire, ce mouvement
interclassiste, n’a pu surgir et occuper tout le terrain social,
pendant plusieurs semaines, que sur le vide laissé par les
difficultés du prolétariat à engager massivement la lutte, sur son
propre terrain de classe, avec ses propres méthodes de lutte, face
aux attaques économiques du gouvernement et du patronat »6.
Comme
on va le voir cette carence à saisir ce qui était en train de se
passer, plus important que mai 68 parce que remettant en cause les
billevesées de 68 sur la révolution de la vie quotidienne, cela
manifeste une carence théorique et historique de ces sectes. Depuis
un siècle c'était une lapalissade du marxisme orthodoxe (même s'il
y en a plusieurs en concurrence) que la petite bourgeoisie des
« nouvelles couches moyennes » (cols blancs dans
l'industrie au début du XX ème), et au départ de la polémique
Kautsky/Bernstein, il était commun de refuser de les compter dans
les rangs du prolétariat ; puis Kautsky pensa que le
développement de la culture et de la technique finirait par
« prolétariser » ces nouvelles couches. Pannekoek
pensait de même, avec cette précision, ces couches se feraient
plutôt les porte-paroles d'un socialisme réformiste, modéré et
civilisé (c'est à dire de bons électeurs des partis socialistes
bourgeois...). Hilferding lieu-même pensait qu'après un long
processus ces « prolétaires en faux-col »
s'intégreraient dans le prolétariat, et que la masse des employés
mal payés viendrait renforcer la lutte contre l'exploitation. Le
dictionnaire de Compère-Morel résume assez bien la pensée générale
à l'époque du mouvement socialiste à l'égard de ces
« faux-cols » : « Classe composée de citoyens
qui ne sont pas encore tombés dans le prolétariat, possédant
encore quelques moyens d'existence et appartenant très souvent dans
les villes, au monde du commerce, des artisans ou exercent dans les
professions libérales et, dans les campagnes, à la catégorie des
paysans aisés. Ils sentent moins directement que le prolétariat la
puissance du capital ».
Dans
le mouvement socialiste du début du siècle dernier puis avec
staliniens et gauchistes, l'interprétation dominante du fascisme fût
qu'il était un produit de la petite bourgeoisie, ce qui est faux.
Comment la petite bourgeoisie aurait-elle pu accorder un appui à un
mouvement (étatique et totalitaire) qui ne représentait pas ses
intérêts ? Selon certains auteurs pensaient même que en
révolte toujours contre « l'injustice fiscale », les
couches petites bourgeoises se seraient consolées en rejoignant le
fascisme ; ce qui est une impossibilité pour expliquer les
grandes masses mobilisées qui contenaient certainement plus
d'employés, d'ouvriers que de petits commerçants. Nous pensons
encore comme Marc Chirik que le fascisme a été une arme
contre-révolutionnaire de la haute bourgeoisie et qui (ajoutait-il),
en elle-même, n'aurait pas été suffisante pour éteindre la vague
révolutionnaire en Europe sans l'aide du stalinisme, puis des
théories antifascistes et gauchistes de « défense de l'Etat
ouvrier dégénéré ». Si le courant de Bordiga n'a porté
aucune attention particulière aux couches moyennes à l'époque du
fascisme, Gramsci vitupérait ce « peuple des singes »
révélant définitivement sa nature de valet du capitalisme ;
il produisit ensuite une curieuse analyse de la capacité du fascisme
à encadrer pour le première fois de l'histoire cette classe
fluctuante, induisant une fausse problématique reprise par le
fourrier stalinien Togliatti qui déplora que le mouvement communiste
n'ait pas fait d'effort pour protéger la petite bourgeoisie du
fascisme ; ce qui était toujours ne pas comprendre qu'il
s'agissait d'une contre révolution bourgeoise contre le prolétariat
et que, celui-ci vaincu (avec ou sans la participation de la petite
bourgeoisie) la bourgeoisie avec sa représentation fasciste pouvait
redémarrer la guerre mondiale. L'analyse de Tasca était plus
intéressante et proche de la vérité. Il expliquait que c'était
surtout les classes moyennes urbaines qui avaient adhéré au
fascisme, alors que dans les campagnes, dans la vallée du Pô, les
fascistes n'avaient pas réussi à convaincre les propriétaires
terriens. Pour Tasca, face à l'ampleur de la crise économique et le
degré de misère les « nouvelles couches moyennes »
n'avaient même pas pu se prolétariser, ou avoir le choix de le
faire : « … ni ascension dans la bourgeoisie, ni chute
dans le prolétariat ». C'est cette situation sans issue qui
les avait poussé vers le fascisme : « Cette classe
moyenne incluait également différentes sortes de déclassés
(déclassés d'un jour ou de toute la vie, du demi-solde au
lumpenproletarier, du briseur de grève à l'intellectuel désoeuvré),
ainsi que « des ouvriers qui se sentaient plus 'anciens
combattants' ou plus chômeurs qu'ouvriers, et qui se séparent
psychologiquement de leur classe pour passer dans les rangs de ses
ennemis ».
On
ne peut pas oublier d'ajouter que les erreurs et faillites du
mouvement révolutionnaire prolétarien n'ait pas favorisé aussi
cette illusion que le fascisme serait le nouveau sauveur pour ces
couches désespérées. La logorrhée « dictature du
prolétariat » n'apportant rien de concret et de plus le parti
socialiste italien par exemple avait méprisé le mouvement des
terres en 1919-1920, ne réagissant et encore avec suspicion que
tardivement comme nos maximalistes français bordiguisant et
maximisant RI que pour cracher sur l'ensemble du mouvement des gilets
jaunes.
Contre
cet indifférentisme, je suis en accord avec l'idée qu'il ne faut
pas rester insouciant face aux mouvements de protestations des
couches moyennes : « En réalité, les partis socialistes,
à quelques exceptions près, furent incapables d'élaborer une
politique cohérente vis à vis de la petite bourgeoisie, tant
indépendante que salariée. Leur culture politique les poussait à
considérer avec une certaine méfiance , sinon avec une hostilité
ouverte, ces couches sociales intermédiaires et leurs aspirations
spécifiques ». C'est dans l'Allemagne de Weimar pourtant qu7e
le syndicalisme commence à prendre au sérieux la question
d'organiser ensemble ouvriers et employés, quand bien même (jusqu'à
nous jours...) les employés sont toujours effrayés à l'idée de
devenir prolétaires, alors qu'ils le sont déjà.
UN
REJET MECANIQUE ET IDEALISTE DU CONSTAT DE
L'ARISTOCRATIE 'OUVRIERE'
La
croyance que la classe ouvrière n'existe plus possède son côté
pile, celui du CCI qui peut varier, mais a commis un contre-sens
ridicule concernant cette notion. Dans mon livre, rédigé en 2010 -
« L'aristocratie syndicale » - je faisais les remarques
suivantes :
«« La
notion d’aristocratie fait désordre pour tous ceux qui ignorent
l’histoire du mouvement ouvrier et les débats dans la IIème
Internationale socialiste. La notion relèverait du domaine d’un
passé qu’on se flatte d’ignorer, mais qui persiste encore dans
des comportements. L’imagerie est redondante et ridicule mais va si
bien à tous ceux qui refusent de « se salir les mains »
sauf pour signer avec un porte-plume d’Etat. Le terme a pour
synonyme élite, et vice versa. Chacun peut s’en servir dans les
polémiques diverses. On a oublié qu’à l’origine
l’anoblissement était obtenu comme récompense de services
éminents rendus à l’Etat. Les premiers nobles étaient des
soldats au service de leur duc ou roi, ou de leur pays. Cette
noblesse n’hésitait jamais à comploter de temps en temps. Alexis
de Tocqueville va nous éclairer sur la relation entre maîtres et
valets.
La
légion d’honneur créée en 1802 par Napoléon a pour but de
récompenser une manière de servir l’Etat. Jusqu’ici les bonzes
syndicalistes ont refusé cette distinction trop aristocratique et
ridicule, comme Edmond Maire, retraité CFDT, qui a bénéficié à
l’égal de ses pairs de récompenses moins voyantes. Pourtant,
historiquement, le syndicalisme a bien des traits communs avec le
corps des anciens vassaux des rois ». (…) « Derrière
le concept d’« aristocratie ouvrière » c’est bien
les syndicats que visaient les Bernstein, Kautsky, Lénine, Rosa
Luxemburg et Pannekoek, sauf qu’au XXème siècle les « unions
pour le marché du travail » ont perdu l’adjectif « ouvrier »
même si beaucoup d’ouvriers en sont encore adhérents, comme ils
sont cotisants à la sécurité sociale et à la retraite aux
flambeaux. La société capitaliste, avait souligné Rosa, n'allait
pas « vers une époque caractérisée par le développement
victorieux des syndicats, mais plutôt vers des temps plus durs pour
eux. » Ainsi, peu importait les gains temporaires qu'ils
réussiraient à obtenir, les syndicats étaient condamnés au «
travail de Sisyphe» tant que leur travail resterait enraciné dans
les limites définies par le système capitaliste. Les dirigeants
syndicaux n'ont jamais pardonné à Luxembourg l'usage de cette
métaphore éclairée, qui ne mettait pourtant pas encore en évidence
leur collaboration totale à l’Etat bourgeois ».
A
la suite d'Engels, Lénine donne une définition, voire des
définitions qui peuvent prêter à caution ou pas : «
L'impérialisme moderne(du XXe siècle)a créé pour quelques pays
avancés une situation monopoliste
privilégiée et c'est sur ce terrain qu'on a vu partout dans la IIe
Internationale apparaître un type de chefs-traîtres, opportunistes,
social-chauvins, défendant les intérêts de leur corporation, de
leur mince couche sociale: l'aristocratie ouvrière. Les partis
opportunistes se sont coupés des« masses», c'est-à-dire des plus
larges couches de travailleurs, de la majorité d'entre eux, des
ouvriers les plus mal payés ».Il est question on le voit
d'abord de chefs traîtres, puis représentants d'une « mince
couche sociale » et « d'intérêts étroitement
corporatifs »8.
Le mot
chefs utilisé par Lénine vise les appareils syndicaux, et personne
ne peut nier au vu de l'histoire passée leurs multiples trahisons
dans la guerre d'abord par une corruption permanente ensuite, qui
permet de les caractériser comme de véritables valets du capital,
qui ont « mobilisé pour la patrie » aussi bien en milieu
ouvrier que par l'implantation qui va être la leur progressivement
déjà dans les années 1920 parmi les couches moyennes en France et
en Allemagne, mais surtout après 1945 avec la cogestion de ma mafia
PCGT. Que cela soit qualifié d'aristocratie ouvrière n'a rien de
choquant, de même qu'on peut avoir un ouvrier bourgeois ou
embourgeoisé. Le terme aristocratie est bien choisi par Lénine et
les socialistes de son époque pour caractériser le parasitisme des
fonctionnaires syndicaux mais aussi par extension les cadres de
l'époque, le personnel de commandement qui gouverne les ouvriers. On
aurait pu aussi bien dire une aristocratie des ouvriers ou une
aristocratie en milieu ouvrier, mais la polémique ne s'embarrasse
pas de subtilités grammaticales. Il est assez simple de comprendre
que la bourgeoisie ait besoin de corrompre une partie des ouvriers et
qu'elle ne compte jamais sur un bénévolat de la trahison.
Tout
le monde semblait l'avoir compris sauf notre ancien groupe
maximaliste parisien : c'est une division de la classe ouvrière
cette notion ! Une fois ils republient un texte de Mitchell de
la revue Bilan des années 1930, lequel savait l'importance de la
corruption et division entre secteurs avantagés ou pas. Mitchell
fait référence à la notion d'aristocratie ouvrière caractérisée
par des : « opérations
de brigandage colonial des réserves de plus-values où elle peut
puiser à pleines mains et corrompre les couches privilégiées de la
classe ouvrière ». Nos cespédistes de RI protestent dans une
note que ce n'est pas leur conception, qu'il n'y a pas d'aristocrates
ouvriers mais des chefs syndicaux pourris.
Mitchell
– qui mourra en déportation - donne un autre nom aux couches
moyennes, « couches privilégiées » et reprend l'idée
de Lénine que ces couches sont payées par le brigandage colonial
(je ne pense pas que ce fût le cas pour EDF ou les PTT). Le
principal manitou de la secte reproduit ses mêmes textes depuis 30
ou 40 ans en les actualisant et en augmentant leur volume. Il reprend
en 2006 sa copie de juillet 1984 :
« De
plus au travers du chômage, les couches moyennes sont
déchirées, et rejoignent les rangs de la classe ouvrière dans ce
que sa condition a de plus misérable. Ce n'est pas là une
simple projection que nous faisons, mais la description d'un
processus qui se déroule concrètement, sous nos yeux, processus qui
non seulement met face à face les classes sociales, mais
distingue nettement leurs intérêts irréductibles. Cette réalité
balaie radicalement l'écran de fumée constitué par la formation de
couches moyennes particulièrement gonflée dans l'époque
"keynésienne" ainsi que toutes les théories sur
l'aristocratie ouvrière ».
Il
faut le faire et le dire. C'est décrété l'auteur a constaté dès
1984, ce qui ne s'était pratiquement jamais vérifié depuis les
années 1930, que ces fieffées « couches moyennes »
tombaient enfin dans le prolétariat », ce qui leur est
pourtant reproché d'éviter, de plonger, lorsqu'elles se vêtent du
gilet jaune.
Pourtant
le 10 mars 2019, revirement, on semble prendre en compte la notion
d'aristocratie ouvrière : « Il y a, inévitablement,
au sein de ces mouvements “populaires”, des fractions du
prolétariat, qui ne sont pas toutes liées à l’aristocratie
ouvrière, poussées par les événements à participer à
ces manifestations. La question des taxes sur les carburants, du coût
des déplacements, sont des questions sociales qui se posent de
manière transversale. Le poids politique du prolétariat dans ces
mouvements est cependant dérisoire. (...)La défense du programme
communiste se manifeste également dans le fait de refuser tout
localisme, tout protectionnisme archaïque, de céder aux
requêtes des classes moyennes et de l’aristocratie ouvrière
qui, au nom de la défense des droits des travailleurs, face à la
menace de la misère représentée par les travailleurs immigrés,
demandent de manière plus ou moins voilée de nouvelles
barrières »9.
L'HOMME
QUI PORTE UN CHAPEAU DANS LA RUE EST UN ENNEMI DES CHAPEAUX
Si
les vieux machins du CCI se sont réappropriés la notion
d'aristocratie ouvrière tant mieux, mais ce qui a dominé depuis au
moins quarante années c'est une conception idéaliste qui se voulait
antiléniniste, pour mieux faire conseilliste avec parti soft ?
La contribution de Raoul republiée en 2005 (alors qu'il avait
été éjecté de l'organisation) depuis belle blanchette :
« L'aristocratie
ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe
ouvrière » servit longtemps de référence dans le groupe au
point que toutes les autres sections étrangères le citaient ou le
traduisaient. Moi, depuis, je l'aurais ôté du site internet. Je
vais tenter un résumé mais vous pouvez lire l'intégral sur le site
du CCI.
« Il
y aurait un antagonisme de classe au sein de la classe ouvrière
elle-même, un antagonisme entre les couches "les plus
exploitées" et les couches "privilégiées". Il
y aurait une "aristocratie ouvrière jouissant des plus hauts
salaires, des meilleures conditions de travail, une fraction ouvrière
qui partagerait avec "son impérialisme" les miettes des
sur profits tirés de l'exploitation coloniale. Il y aurait
donc une frange de la classe ouvrière qui en fait n'appartiendrait
pas à la classe ouvrière, mais à la bourgeoisie, une couche
d"'ouvriers-bourgeois".Voila les grandes lignes communes à
toutes les théorisations sur l'existence d'une "aristocratie
ouvrière". C'est un instrument théorique dont la
principale utilité est de permettre d'estomper dans un flou plus ou
moins étendu, suivant les besoins, les frontières qui opposent la
classe ouvrière au capital mondial. Cette théorisation "permet"
de taxer des parties entières de la classe ouvrière (les ouvriers
des pays les plus industrialisés par exemple) de "bourgeois",
et de qualifier des organes bourgeois (les partis de "gauche",
les syndicats, par exemple) d"'ouvriers".Cette
théorie trouve son origine dans les formulations de Lénine pendant
la 1ère Guerre Mondiale, formulations reprises par la 3ème
Internationale. Certains courants politiques prolétariens,
ceux qui tiennent à se désigner par l'étrange qualificatif de
"léninistes", traînent encore aujourd'hui avec eux cet
avatar théorique dont ils ne savent pas toujours que faire, si ce
n'est de maintenir un flou sur des questions de première importance
dans la lutte de classe. La contre-révolution stalinienne,
elle, s'est depuis des décennies servi de cette théorie à tout
propos pour tenter de recouvrir ses politiques du prestige de
Lénine »10.
Les
commentaires qui suivent sont encore plus consternants, et confirment
une pensée mécanique, binaire, inapte à réellement analyser les
rapports entre les classes, un œcuménisme en noir et blanc, tout
bon tout mauvais. Il faudra que Raoul m'explique un jour comment « un
genre de conception » peut diviser la classe ouvrière, ou
comment la conduite automobile peut diviser la classe ouvrière.
L'aristocratie ouvrière est un fait pas un plan machiavélique
nouveau ni en soi une opération de division de la classe ouvrière,
voire une volonté « d'isoler les travailleurs les plus
exploités ». Raoul n'a pas compris que Lénine parlait des
appareils syndicaux, du personnel syndical et plus tard du personnel
par exemple des entreprises nationalisées. Depuis presque soixante
ans j'ai toujours vu de ouvriers ou pas du privé éclater de rire
quand on disait par exemple qu'à EDF on n'était pas privilégié,
idem à la SNCF ; valait-il mieux travail à Citroën ou à
Renault, nombreux connaissent la réponse mieux que Raoul. La
formulation suppose comme je l'ai dit « aristocratie parmi les
ouvriers » et pas ce concept trotskien de syndicat tout de même
« ouvrier ».
Raoul a de
ces formulations plus ambiguës que celles de Lénine : « Marx,
Engels, Lénine sic) (…) n'ont jamais soutenu une théorie de la
nécessité de DIVISER LES OUVRIERS ». Mais avec le concept
d'aristocratie ouvrière ce n'est pas la question qui est posée,
c'est de corruption qu'il est fait état et de corruption
financière ! Corruption pour permettre de faire le sale
boulot : freiner et diviser les prolétaires !
Même
mieux, là où Lénine ne voyait encore qu'une mince couche, c'est
une couche pléthorique qui s'est étendue aux milliers de
fonctionnaires syndicaux autant du prolétariat en général qu'en
plus des nombreux syndicats et assocs des couches moyennes !
C'est pourquoi j'imagine mal Marc Chirik avoir conseillé Raoul sur
le sujet ; je n'ai d'ailleurs jamais entendu pareille dérive de
sa part ni trouvé dans ses nombreux écrits ou exposés que j'ai
compilé11.
Je pourrais déshabiller un à un les arguments invraisemblables du
Raoul mais à chaque fois il surprend parce qu'il raisonne en
étudiant hors de la réalité, en vieil étudiant pardon. Il croit
que l'ensemble des masses sont parties naïvement d'elles-mêmes la
fleur au fusil, que la défense nationale a coulé dans leur veine
sans qu'on les baratine, sans que les guides de la lutte quotidienne
ne conseillent dans le sens du gouvernement, donc que le gouvernement
Viviani a compté sur la spontanéité généreuse et écervelée des
masses pour aller au casse-pipe. Même si Raoul avoue ne pas
comprendre ce qu'est l'opportunisme laissons-le commenter :
« "L'opportunisme
(c'est le nom que donne Lénine aux tendances réformistes qui
dominaient les organisations ouvrières et qui ont participé à la
1ère guerre mondiale) a été engendré, tout au long de décennies
par les particularités d'un certain développement du capitalisme,
dans lequel une couche d'ouvriers privilégiés, qui avaient une
existence relativement tranquille et civile, avait été
"embourgeoisée", recevait quelques miettes du profit de
leur propre capital national et parvenait ainsi à être dégagée de
la misère, de la souffrance et de l'état d'esprit révolutionnaire
de masses misérables et ruinées." (... ) "La base
économique du chauvinisme et de l'opportunisme dans le mouvement
ouvrier est le même ; l'alliance des couches supérieures, peu
nombreuses, du prolétariat et de la petite bourgeoisie, qui
reçoivent les miettes des privilèges de "leur" capital
national contre les masses ouvrières et contre les masses
travailleuses opprimées en général »12.
Le
CCI des années 1980, supposées années de la révolution (grillée
par la chute de la maison stalinienne), ne fait pas dans la finesse
et ses militants, même dits fondateurs auraient mieux fait d'aller
étudier d'un peu plus près la théorie et le passé du mouvement
ouvrier. Il n'y a jamais cette simple opposition
bourgeoisie/prolétariat. Pendant la Première Guerre mondiale, il y
a un brassage du prolétariat où souvent les contours sont voilés ;
les discussions sur les couches moyennes sont interminables et
confuses. Pendant la guerre il y a eu un grand brassage des classes.
L'aristocratie ouvrière en uniforme, mais à l'arrière, crée un
Comité d'action de la CGT avec le parti socialiste et les
coopératives de consommation qui est chargé par l'Etat de réfléchir
à un programme de réorganisation économique. , « la CGT
préconisant le retour à la nation des richesses nationales »,
une « socialisation des services publics ». Au congrès
de la fédération de l'éclairage, le bonze chef réclame la
nationalisation du gaz et de l'électricité, déclare, bien éloigné
de la théorie des producteurs « eux-mêmes » :
« Nous ne sommes pas de ceux qui prétendent que la classe
ouvrière peut tout faire à elle seule, qu'elle a chez elle tous les
éléments de direction nécessaires... nous nous rendons fort bien
compte que pour mettre debout, pour gérer une affaire, qu'il
s'agisse d'une compagnie de chemin de fer, de forces
hydro-électriques, de l'installation d'une station thermique ,
etc... il faut des compétences ». Le secrétaire de la
fédération des sous-sols va dans le même sens : « Si le
mineur, même lorsqu'il est élevé aux plus hautes fonctions de sa
fédération reste toujours un travailleur infatigable, il n'a pas
pour cela la prétention d'être un puits de science... C'est
pourquoi les membres des la fédération du sous-sol ont recherché
la collaboration d'hommes possédant les qualités qui leur
manquaient. Cette collaboration, ils l'ont trouvée chez des
techniciens, des ingénieurs de toutes les branches se rapportant à
l'industrie minière (…) Pour réaliser la nationalisation ,
« le contrôle des producteurs oblige à comprendre des manuels
et des intellectuels (techniciens ». Cette arrangement avec la
hiérarchie capitaliste existante est aussi la base commune de
l'aristocratie ouvrière qui aboutira par exemple après 1945 à ce
que l'on dise d'EDF « une boite gouvernée par les ingénieurs
et la CGT » !
Au
début des années 1930, la CGT syndiquait un assez grand nombre
d'agents de maîtrise, commis principaux, rédacteurs, agents
techniques, conducteurs de travaux, sous-ingénieurs. L'encadrement
moyen. En 1936, les agents des services publics restèrent très
calmes face à une majorité gouvernementale qu'ils avaient largement
contribué à faire élire et les mouvements de grève dans le public
furent peu nombreux. Des garanties statutaires de plus en plus
précises étaient accordées aux gaziers et électriciens (en
particulier dans la région parisienne) et les compagnies de chemin
de fer étaient nationalisées dans une société d'économie mixte.
Toutes ces garanties n'ont pas été un obstacle au retour de la
guerre mondiale.
L'ouvrier
de l'industrie privée, modèle du prolétaire exploité, était loin
d'être dominant. La culture du service public coupait totalement les
nouvelles classes moyennes et du prolétariat du privé et des
classes moyennes traditionnelles. La crise économique n'a pas
affecté directement les agents publics ; les mesures de
déflation ont toujours été prises en retard par rapport au coût
de la vie et les rémunérations des fonctionnaires et agents publics
n'ont jamais été aussi élevées que dans les années 193013.
Quand
on revisite donc la manière de gouverner de la bourgeoisie à une
époque qu'on aurait cru moins sophistiquée que la nôtre, peut-on
penser comme les gauchistes excités et le CCI entubé que la
bourgeoisie va continuer à scier la branche couches moyennes
n'importe comment, en lui faisant payer par exemple des impôts
supplémentaires pour la « classe laborieuse » ?
Précariser à tout va. Pour ouvrir la voie à dix, quinze nouvelles
insurrections en gilets jaunes ?
DEPUIS
1968 UN MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE resté petit bourgeois
Si
depuis le prolétariat n'est pas son tombé sur la tête ni sur un
nouveau parti crédible c'est bien parce que la bourgeoisie a encore
une grande maîtrise du monde qu'elle gouverne tout en nous accusant
d'en être les principaux pollueurs. Le fait que le prolétariat ne
soit pas réapparu de façon importante sur la scène de l'histoire
est bien sûr la principale explication de groupes politiques
disparus ou du maintien à l'état de sectes ou d'individu isolé
pour d'autres. Dans l'isolement et sans plus ni participation
politique à la vie sociale que monsieur toulemonde derrière son
clavier, sans grèves héroïques à se mettre sous la dent, ils
ronronnent ou s'autodétruisent.
Marc
Chirik ne s'énervait jamais. Je l'ai vu deux fois s'énerver par
écrit et verbalement et cela concernant la petite bourgeoisie. Il
savait de toute façon que nous n'étions encore qu'une organisation
petite bourgeoise, majoritairement composée d'ailleurs des enfants
des « couches moyennes », cadres eux-mêmes...
Une
fois à l'époque des attentats de Baader, qui n'avait rien à voir
avec le monstre Daesh, un article avait été publié, rédigé par
Chardin, assez lâche et renvoyant dos à dos l'Etat allemand et
Baader. La colère froide avait d'abord été celle de notre
fondateur le plus orthodoxe, Camoin. Puis avait suivie celle de Marc,
plus percutante encore :
« Dans
cet amalgame social bigarré que constitue la petite bourgeoisie, la
plus hétérogène des classes sociales, la couche intellectuelle,
l'intelligentsia se trouve être la plus sensible à sa misère.
C'est la couche dont l'existence économique se trouve être à bien
des égards la plus proche du prolétariat ne serait-ce que du fait
qu'elle ne possède pas de moyens de production comme c'est le cas
des artisans ou des paysans, son existence elle la doit au fait de
vendre au Capital ses services, sa force intellectuelle ; sa
profession est de vendre sa capacité, son aptitude à « penser »,
en ce sens socio-économique elle est similaire à la classe ouvrière
avec qui elle partage l'insécurité et l'état de dépendance
économique totale au Capital. Mais sur le plan de sa formation
idéologico-économique pour sa fonction de « penser » et
de répandre la pensée, il est exigé d'elle une adhésion aux idées
et idéaux du Capital. Pour pouvoir servir son maître, le Capital,
elle doit non seulement donner sa force physique, mais son âme,
montrer son aptitude à la servilité, à la «fidélité »,
c'est un long et dur apprentissage ; avant d'être admis et
intégrés, à leur fonction, ses membres sont soumis à de sévères
examens de « souplesse d'échine » de « bien-pensants ?
Peu réussissent à passer les épreuves et sont sélectionnés, les
autres sont rejetés comme inutilisables. C'est a couche probablement
la plus crucifiée, la plus frustrée dans ses aspirations, la moins
satisfaite, la plus sujette à l'amertume et au désespoir. Rien
d'étonnant à ce qu'elle ait donné naissance au nihilisme (…)
… ne
pas opérer avec un schéma simpliste à deux dimensions. Ce schéma
ne reconnaît dans la société que deux classes, le Capital et le
Prolétariat. Tout ce qui n'est pas prolétarien est d'office mis
dans le Capital. Un tel schéma ignore même ce qui est secondaire,
de la petite bourgeoisie et de ses expressions et réactions. C'est
pourquoi les signataires de la lettre préfèrent à l'analyse basée
sur leurs classifications, de A B C, où la classe petite bourgeoise
a complètement disparu et où la photographie de la société –
photographie statique par excellence – ne connaît que deux
couleurs : le blanc et le noir.
Avec
une telle optique, non seulement s'évanouissent les notions de
manipulation, de récupération mais aussi celle de « victimes
du capital », l'assassinat des prisonniers14
devient un simple règlement de comptes entre deux gangs et la vaste
campagne orchestrée par les Etats est encore rendue complètement
incompréhensible et est estompée sa profonde signification de
renforcement de l'appareil répressif face à toute velléité de
lutte contre l'ordre et l'Etat capitaliste.
Une
autre fois, il n'est qu'à quelques semaines de sa mort, il s'énerve
encore par écrit pour secouer un CCI qui « ronronnent » :
« Une vieille et malheureuse habitude du CCI consiste à se
focaliser longtemps dans des discussions interminables sur des
positions depuis longtemps résolues et déjà adoptées... C'est en
ceci que nous pouvons constater l'énorme retard que le CCI prend par
rapport aux événements, et cela à tous les niveaux, depuis les
réunions de sections locales, territoriales, les organes centraux
comme avec leurs Comités de rédaction, jusqu'au secrétariat
international lui-même ». Voulait-il par bravade faire sentir
le grand vide qu'il allait bientôt laisser ? Montrer en
définitive son importance au seuil du tombeau ? Ou avait-il
senti que cela allait bientôt dégénérer, comme tout le laisse
accroire avec le dernier paragraphe, ses derniers mots couchés sur
le papier sur cette terre ingrate.
« Nous
avons (lui) toujours insisté sur le fait que l'organisation secrétée
péniblement par la classe
ne
porte aucune garantie assurant et justifiant son existence, et cela
non seulement par un processus de dégénérescence politique, mais
sa perte peut aussi se produire par des incompréhensions et le fait
de ne pas être à la hauteur de l'évolution des événements et des
situations. Dans ce cas, la classe se trouvera obligée de secréter
et de constituer une nouvelle organisation, ce qui demande beaucoup
de temps et d'efforts. L'objectif de mon article est de pousser le
CCI tant qu'il est encore temps à prendre conscience de ce risque et
à réagir fermement ».
Paris
le 9 novembre 1990
NOTES
1J'ai
encore eu des reproches d'un ex-militante du CCI qui m'a reproché
de m'être aligné sur les positions du CCI. Non. Voici la
différence entre le CCI et moi : le CCI a considéré dès le
départ avec mépris la révolte provinciale car la vie serait comme
lorsque vous allez au cinéma. Il n'est pas sûr que vous allez voir
un bon film mais il est sûr qu'il y aura une fin. Avec son langage
bipolaire, le CCI a décrété que la fin du film serait mauvaise
donc que le début l'était aussi. Ce faisant il n'a rien compris à
la révolte, qui était en même temps, mais secondairement, une
lutte des ouvriers du privé (généralement oublié par les
aristocraties du secteur public depuis des décennies...). Pour ce
qui me concerne, j'ai soutenu et même participé à la mesure de
mes moyens, malgré une très rapide désillusion, mon souci était
que la fin du film soit meilleure. Ce n'est pas vraiment le cas mais
le scénario pose encore des problèmes que le gouvernement sait
insolubles pour l'heure et sur lesquels nos sectes isolées
devraient plutôt réfléchir.
2Après
le décès du président Hindenburg le 2 août 1934, Hitler
demande en effet au peuple de plébisciter la
loi relative au chef de l’Etat du Reich allemand,
qui lui permet de réunir les rôles de président et de chancelier.
Selon la base de données du Centre
de recherches sur la démocratie directe d’Aarau,
Hitler obtient 89,93% de oui. Hitler bénéficiait alors du soutien
d’une partie du patronat, du parti national du peuple allemand
(DNVP) et de l’ancien chancelier du Zentrum catholique Franz von
Papen, qui espérait faire de lui une marionnette. Son parti, le
NSDAP était par ailleurs ressorti en tête des législatives de
novembre. Hitler a ensuite bien fait appel à plusieurs reprises au
peuple, mais ajoute le journaleux «il
faut bien distinguer le référendum, comme on l’entend, du
plébiscite»,
précise Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme : «Les
plébiscites de 1934 comme ceux de 1935 ou 1938 organisés par
Hitler le sont dans le seul but de consolider le pouvoir. Ils sont
totalement truqués ». Avec
les limites de la comparaison Macron a eu encore plus de soutiens de
la part du patronat et de la finance que Hitler, et sous son égide
vous croyez que référendum ou plébiscite ne seraient pas
truqués ?
3Perrone
dit Vercesi était l'animateur de la revue Bilan et l'alter ego de
Bordiga dans le courant communiste italien avant guerre. En 1945,
déçu que la révolution n'ait pas une nouvelle fois lieu, il
théorise la disparition du prolétariat, et c'est Marc Chirik qui
répond et détruit non seulement cette insanité (voir mon tome I
des écrits de « Marc Laverne ») mais aussi est le
premier à démonter la caducité du bordiguisme après guerre dont
la plupart des hérauts finissent par conclure eux aussi que la
classe ouvrière n'existe plus, normal selon leur conception car il
n'y a que le parti qui compte. Le parti est tout, la classe ouvrière
n'est rien. C'est aussi la conclusion depuis un moment de Claude
Bitot dont je me suis moqué dans mon récent article sur son projet
ne nouveau Manifeste communiste.
4Marc
Arabyan : From “Working
Class” to “Middle Classes”, a Lexical Turn in the Social Field
in France. Il nous rappelle la fameuse sentence de l'abruti PDG de
TF1, Patrick Le Lay: « il
y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une
perspective “business”, soyons réaliste : à la base, le
métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre
son produit […]. Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il
faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos
émissions ont pour vocation de le rendre disponible :
c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer
entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du
temps de cerveau humain disponible […]. Rien n’est plus
difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se
trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les
programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances,
dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et
se banalise » (« Le Lay (TF1) vend “du temps de
cerveau humain disponible” »
5Michel
Verret était plus sarcastique : « Classes moyennes.
Français moyen. Rien de commun que le mot. Si les français de
classe moyenne existent, le français moyen n'existe pas ».
(Les classes moyennes, l'Etat, le socialisme. Quelques réflexions
théoriques).
6
cf. mon article du 3 janvier 19, Quand les gauches communistes
se précipitent pour enterrer les gilets jaunes.
7Toutes
les informations contenues dans cette partie de mon article je les
dois à l'excellente étude de l'historien Bruno Groppo, que j'ai eu
l'occasion de rencontrer lors d'un colloque il y a une quinzaine
d'années à la maison de l'Italie dans le part de la cité U (un
compte rendu avait été fait dans les premiers numéros papier de
PU) : « Le problème des rapports entre fascisme et
classes moyennes dans la réflexion socialiste de
l'entre-deux-guerres
8Sur
la question Lénine n'est pas toujours clair, et c'est à l'époque
où il est désormais chef d'Etat et opportuniste qu'il écrit :
« « Mais
nous luttons contre l'« aristocratie ouvrière » au nom de la
masse ouvrière et pour la gagner à nous ; nous combattons les
chefs opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe
ouvrière. Oublier cette vérité des plus élémentaires et des
plus évidentes serait stupide. Or, c'est précisément la stupidité
que commettent les communistes allemands « de gauche » qui, en
raison de l'esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des
milieux dirigeants syndicaux, concluent... qu'il faut sortir des
syndicats !! qu'il faut refuser d'y travailler !! qu'il faut créer
de nouvelles formes, inventées, d'organisation ouvrière !!
Stupidité impardonnable qui équivaut pour les communistes à
rendre un immense service à la bourgeoisie ». OU il
s'exprime mal ou il y a maldonne : l'aristocratie ouvrière
n'est pas que les chefs syndicaux et elle n'est pas non plus la
totalité de la classe ouvrière mais une «mince couche comme il
nous l'avait dit plus haut » ?
9C'est
plus confus chez les anciens militants. Ainsi lors du débat sur
face book, confus et imprécis, je pose la question à Juliette elle
me répond sur le plan des « producteurs » à l'aide
d'une exhibition de schémas de Marx, pour faire marxiste cultivée :
« Maintenant
j'ai bien pris note de ton questionnement. Expliciter 1) le concept
d'aristocratie ouvrière, 2) celui de classe moyenne salariée
consommatrice de plus value. Je dirais d'abord que ce sont deux
classes ou sous- classes bien distinctes, dans leur position dans
les rapports de production et ensuite que , en effet, l'une comme
l'autre ont en commun d'avoir le moins possible de raison de vouloir
en finir avec le capitalisme, tant que celui ci les nourrit bien. Si
bien que ce sont des populations qui, même lorsqu'elle se mettent
en mouvement, le font derrière les syndicats réformistes, car
elles ne désirent rien d'autre que de conserver leur position
avantageuse. Pour les classes moyennes salariées certaines sont
très précaires et spontanément se sentent prolétaires (c'est le
cas des caissières et caissiers de supermarché, qui passent leur
journée de travail à se faire des tendinites en faisant passer du
M sur le tapis roulant et des angoisses de se faire retenir sur le
salaire si la client n'a pas échangé ce M contre le bon A. Mais
eux, n'ont aucune illusion que c'est grâce à leur travail que
magiquement A devient A', contrairement aux cadres commerciaux ou
employé du marketing ou de la banque. Pour les caissier(e)s, le
fait qu'ils ne produisent pas de plus value est confirmé par le
fait que les hypermarchés préfèrent les remplacer par des robots
en self service, et que si ceux ci ne les ont pas encore généralisés
c'est que la technique n'est pas complètement au point. Quant à
nous, les prolétaires communistes, nous les remplaceront par rien
du tout, vu que notre projet et d'abolir tant l'argent que la
marchandise. Et, pour revenir à l'aristocratie ouvrière, une idée
importante la concernant, est qu'il s'agit à la fois du prolétariat
le mieux payé et en même temps le plus exploité, car si son
salaire est élevé et si il dispose de nombreux privilèges
sécurisant, son niveau de productivité (donc de productivité de
plus value) l'est bien plus encore, si bien que le rapport
d'exploitation pl/V est le plus élevé. Ils sont donc aussi les
plus exploités , ceux qui fournissent le plus du surtravail dans
leur journée de travail. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont
privilégiés et que les institutions syndicales les encadrent de
près et veillent à la conservation de leurs privilèges tant que
c'est possible... ». Ce
découpage entre producteurs de plus-value dans le prolétariat est
arbitraire et faux, à tout prendre je préfère l'analyse de Raoul
d'une plus-value générée par l'ensemble de l'activité de classe
ouvrière, mais encore plus faux en nous faisant passer
l'aristocratie ouvrière (les ouvriers du public pas les parasites
syndicaux) pour les plus exploités et alourdi de « surtravail ».
J'ai rigolé, vous avez déjà vu les agents EDF en surtravail et
les employés du secteur nationalisé avec d'horribles tendinites ?
Je me méfie particulièrement des gens qui jonglent avec les
histoires de travailleurs productifs et improductifs, au risque
d'enculer les mouches. Je rappelle que la CGT réformiste en 1918
reprit la problématique du « producteur »qui permettait
d'élargir la syndicalisation bien au delà du salariat d'exécution.
« Producteurs sauvons-nous nous-mêmes » qui vous
rappelle un chansonnier que je respecte mais qui vivait à l'époque
d'une classe ouvrière assezlibertaire.
11Que
je relis parfois avec sidération pour leur profondeur. Quand
Juliette me lance qu'il ne reste aucun texte intéressant du CCI, je
suis sur le cul, je balbutie : comment... mais si, de Marc, de
Ward, de Raoul... Il est désolant qu'un homme comme Marc Chirik,
peu enclin à s'exhiber, sans doute pas une plume comme Castoriadis
ou Morin n'ait pas eu sa place dans une édition officielle. C'est
un de nos plus grands penseurs prolétariens de la fin du XX e
siècle, et je pèse mes mots. Le CCI n'en parle jamais. En 1995,
quelques mois après ma démission je suis allé à l'une de leur
réunions publiques à Paris pour leur porter un carton des premiers
tomes, ils l'ont mis à la poubelle. C'était une époque, comme
m'en ont témoigné d'autres has been, où le couple dément
sélectionnait les lectures obligatoires ou interdites pour les
membres. On va voir qu'en effet il vaut mieux que les moutons ne
relisent pas Chirik.
12"La
faillite de la II" Internationale.
13Source :
Jeanne Siwek-Pouydesseau : « L'alliance des classes
populaires et moyennes dans le secteur public en France entre les
deux guerres.
14L'assassinat
de Baader et de ses compagnons en prison par la police d'Etat.
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