un coup d’Etat démocratique kaki
Quel spectacle technicolor
sur nos grands écrans plasma de nos nuits blanches ! Spectacle trop bien organisé
programmé, show trop bien fait (laser vert, fusées de carnaval, chorégraphie
avec hélicoptère, commande de la filmographie par les caïds militaires sans
imagination à un grand réalisateur, vol a basse altitude des hélicoptères !
Une deuxième « révolution égyptienne » psychédélique ! Rêve
hippie de galonné bourré. A la veille de ce spectacle sons et lumières
mondialisé, une nouvelle fois la bourgeoisie européenne et française ont été
prises de court et sont restées… hors des décors. Il suffisait de parcourir le
journal bourgeois le plus filandreux et servile, Le Monde, pour mesurer leur
aveuglement devant l’échec de la gestion islamique qu’ils croyaient pérenne :
« Echec économique et social ensuite, d'autant plus ressenti que
les Egyptiens imaginaient volontiers que le changement de régime améliorerait
radicalement leur situation. Pour la plupart d'entre eux, ils sont d'abord
occupés à survivre – lendemains qui pleurent. Accablant, l'état
économique du pays est le reflet d'une situation politique chaotique. Il
témoigne de l'absence totale de programme économique et de savoir-faire
gestionnaire de la part des Frères musulmans. Ils n'ont pas montré qu'ils
avaient le secret d'une voie qui allierait conservatisme religieux et modernité
économique. Ainsi,
s'est coalisé un vaste mouvement d'opposition, qui regroupe l'essentiel du camp
laïque – plus quelques revanchards de l'ancien régime – et qui peut capitaliser sur le désespoir d'une bonne partie des Egyptiens.
A coups de pétitions signées par des millions d'électeurs, ils réclament la
démission de M. Morsi et un scrutin présidentiel anticipé. Très hétéroclite, cette
coalition ne paraît guère, elle non plus, avoir de programme commun, qu'il s'agisse de l'avenir politique ou économique du pays. Ce qui la cimente,
c'est l'hostilité à M. Morsi et la crainte que celui-ci – ce qu'il n'a pas fait
jusqu'à présent – n'engage l'Egypte sur la voie de l'intégrisme islamique.
Estimant sa légitimité défiée par la rue, le président s'est crispé et, face à
l'opposition laïque, a eu le plus mauvais des réflexes : se reposer sur les éléments les plus radicaux
de sa mouvance. (…) Idéalement, les deux camps attachés au rejet de ce qu'a été l'ancien
régime devraient dialoguer. Et puiser dans le Nil séculaire un peu de la
sagesse requise pour qui prétend gouverner ce vieux pays »[1].
SCENARIO MILITAIRE POUR
EMPECHER UNE GUERRE INTERNE CHAOTIQUE
En début de soirée sur la
place Tahrir on pouvait penser que s’y déroulait une fête de la musique :
lasers verts placés aux quatre coins de la place, fusées ponctuelles de feux d’artifice.
Show son et lumière organisé par l’armée soi-même, applaudie par une
foule sans mémoire. « GAME OUVER » en lettres fluo
géantes. Passez muscade ! Même plan fixe lassant qu’il y a deux ans d’une
masse de grappes humaines, agitant le fanal chauvin. Quelques rares zooms
laissèrent apercevoir dans la soirée les gens qui dansaient, tapaient dans
leurs mains. D’assemblées ou de groupes de discussion point.
Le bon peuple avait sa boite
de nuit toute apprêtée par les services de l’armée dont les blindés entouraient
les rues avoisinantes pour éviter de nouveaux affrontements sanglants avec les
affidés de Morsi. Tout ce cinéma pour éviter la guerre civile et le chaos. Pour
tout dire pour éviter des affrontements de classes. Commentaire journaliste :
l’armée a « sécurisé les manifestants »[2].
L’annonce de la déchéance de Morsi à l’écran par le kaki de service, laissait
voir en tapisserie de fond des mannequins des deux principales religions,
musulmane et chrétienne, symbolisant l’union nationale rêvée. Le mot « pacifique »
revenait en boucle dans la bouche des journalistes, style « Allah
pacifiste ! », qu’il est grand le pacifisme et l’armée gentille !
Le clan des Frères musulmans est tombé. Pas tout
seul. Le scénario était dans les mains d’une armée téléguidée par la
bourgeoisie américaine ; elle touche 20 milliards de dollars par an par ce
patron étoilé. Dans l’après-ultimatum à Morsi, l’armée avait pourtant dévoilé
son scénario : ne pas préparer de coup d’État, mais elle l’a fait assurée
que Washington ne la condamnerait ni ne la louerait. Elle promettait de se limiter
à une « feuille de route », de mettre aux commandes de l’État un
conseil présidentiel de trois personnes dirigé par le président de la Haute
cour constitutionnelle, Adly Mansour, et de suspendre la Constitution pour une
durée allant jusqu’à un an. Quant au futur gouvernement, composé de
technocrates apolitiques, il serait formé sous « la direction d’un
des chefs de l’armée ». Des conditions grâce auxquelles l’armée pourra
tirer profit de la crise. Une fois ces mesures établies, quiconque tentera de
s’y opposer risque d’être placé en résidence surveillée. Les manifestants
hostiles à Morsi ont bien accueilli l’ultimatum contenu dans le scénario.
Mais avant que le scénario ne
mette en scène une deuxième fois « la volonté du peuple », la désormais
fameuse place remplie d’une foule devenu en liesse en fin de soirée comme lors
des fins de matchs des footeux, il fallait instiller le thème de la pièce, ou
plutôt son sous-titre : « piqure de rappel de la démocratie »
sur les chaines anglophones et Al Jazeera – car les télés françaises sont
restées économes sur le déroulement du « coup d’Etat » annoncé,
engoncées dans leurs chiens écrasés nationaux[3].
Cette thématique théâtrale n’est bien sûr qu’un énorme mensonge. Le « peuple »,
ce figurant sans texte écrit, aurait donné matière à angoisse pour les
dominants. Or la vraie « matière » inquiétante pour le nouveau
scénario n’est évoquée par aucun média, ce n’est pas le peuple vague et
hétérogène mais le cœur de la marche de l’économie – ceux du fond de la salle
du théâtre - la classe ouvrière, sans représentation politique conséquente ni
comédiens de premier plan. On nous avait fait applaudir la colère de la « jeunesse »,
ou la grève des juges en robe en décembre 2012 face au gouvernement solo
islamiste de Morsi, mais pas la classe ouvrière. Or le scénario révélé ce soir,
qu’il ne faudrait pas nommer coup d’Etat (selon leadership US) mais « piqure
de rappel démocratique »[4],
est l’aboutissement de la grande inquiétude de la bourgeoisie égyptienne et
régionale face non à la colère de la jeunesse « indignée » en général,
mais à toute une série de luttes du prolétariat, grèves tout au long de l’année
2012 jusqu’aux événements ambigus et dits de désobéissance civile à Port Saïd,
et accessoirement les défis ponctuels des courageux « black Blocs »[5].
Comme en Turquie, comme au Brésil et au Chili, le prolétariat n’apparaît pas au
premier plan, mais s’il ne s’exprime pas encore clairement politiquement, c’est
lui qui a fait savoir le premier que Morsi et ses frères illusionnistes n’étaient
que des incapables. Un exemple. Plus de 23 000 salariés de la plus grande
entreprise de textiles d'Egypte
s’étaient mis en grève, dimanche 15 juillet 2012, en réclamant une revalorisation
de leurs salaires. L'usine de la société nationale Misr Spinning
and Weaving, à Mahalla dans le delta du Nil, a déjà connu en 2008 des
manifestations qui ont déclenché une vague de grèves à travers le pays,
considérée par beaucoup comme le catalyseur de la révolte qui a abouti à la
chute du président Hosni
Moubarak en février 2011. Sept mille
grévistes de Misr Spinning and Weaving avaient organisé un sit-in dans l'usine
en réclamant une hausse des salaires de base, le renvoi de responsables
corrompus et l'amélioration des conditions dans l'hôpital rattachés à
l'entreprise. "Je demande au
président Mohamed Morsi de prêter attention aux travailleurs qui l'ont
élu", avait déclaré un militant syndical de l'usine, Wedad El
Demerdach, en assurant que le sit-in se poursuivrait jusqu'à ce que les
revendications des grévistes aient été satisfaite. Les Frères Musulmans en
opposition et pendant leur longue clandestinité ont toujours eu très peu
d’influence dans les usines, et ni joué un rôle quelconque dans les
mobilisations successives des prolétaires égyptiens. Les cadors de cette
mouvance viennent des milieux d’affaires et des classes moyennes, hostiles à
toute action organisée de la classe ouvrière.
DES INCAPABLES LIMOGES PAR
TELEPHONE
La mouvance des Frères
musulmans, contrairement à ce que croyaient les affidés d’Obama et nos
rédacteurs serviles du Le Monde (américanisé), n’a jamais été un vrai parti.
Cette mouvance arriérée a bénéficié simplement des divisions de l’opposition
laïque plus qu’exprimé une véritable force politique alternative au régime
autoritaire de Moubarak ; elle semblait la dernière carte pour la
bourgeoisie US. Pas longtemps. Pauvre Morsi il aura été viré comme un malpropre
même s’il était monté sur ses ergots jusqu’à la première minute du festival
avec lasers verts.
C’est tout de même après des
dizaines de morts que le coup d’Etat a été mis en scène (quatre en plus ce
soir). Contrairement à ladite « « révolution » d’il y a deux
ans, cette fois-ci, tout a été soigneusement planifié. Alors que la classe ouvrière
et toute la population réclamaient des améliorations économiques et une fin des
lois islamistes idiotes (les Egyptiens ne se conçoivent pas historiquement
comme Arabes), tout le scénario répercuté par les médias anglo-saxons et
américains n’ont de cesse de raccorder la mobilisation de dizaines de millions
d’Egyptiens IMMEDIATEMENT au désir de … nouvelles élections. Or les élections antérieures
trop récentes, législatives et présidentielles, si elles avaient été truquées
comme ici en Europe (vote des morts et des illettrés), avaient vu surgir une
majorité en faveur des apprentis incapables Frères musulmans. Une très grande
partie de la population dans la rue ce soir avait voté pour Morsi et compagnie.
Pour ces autres déçus du régime islamiste expérimental on va leur proposer de
voter pour qui ?
Le clan des Frères musulmans
au pouvoir était tout aussi incapable dans
la crise mondiale que l’ex-terroriste à la tête du Brésil ou Erdogan en
Turquie. Dans ces trois pays, le peuple est convié à danser joyeusement pour « protéger
la démocratie », pour revenir au bercail électoral truqué. Le Coran n’offre
aucune solution économique et sociale. Les jeux olympiques au Brésil, les
prolétaires ont montré qu’ils s’en fichaient et qu’ils ne voulaient pas se
faire avoir comme les prolétaires grecs qui payent encore la facture des
grandiloquentes olympiades de leur bourgeoisie. La Capadoce ne fait pas plus
rêver que les tombeaux pyramidaux. Le clan Morsi croyait que l’aide de l’Arabie
Saoudite et du Qatar suffirait à remplir les caisses vidées depuis l’après
Moubarak. Le pouvoir népotique et le recasement de tueurs islamistes ont fini
par être le torrent qui a fait déborder le vase[6]. L’économie égyptienne ne s’est
pas relevée depuis le départ Moubarak, l’endettement est de 7 milliards. Avec
le chaos et les exactions permises par le pouvoir expérimental islamique, les
touristes ne viennent plus, la monnaie s’est effondrée, le chômage s’étiage de
20 à 40%, l’immense population est appauvrie, le gouvernement Morsi avait
enlevé la subvention pour le pétrole et le gaz, 1 égyptien sur 5 est sous le
seuil de pauvreté.
Les auteurs du scénario de
la réconciliation nationale ne devraient pas rester longtemps dans leur
fiction. Si le prolétariat a faim il se fiche d’aller au théâtre sans payer. Un
« gouvernement technocratique » ne remplira pas plus vite les caisses
ni ne réduira le chômage. Si les journaux algériens se félicitent que « l’illusion
islamiste » ait été détruite, en croyant pouvoir comparer avec les
terribles années 90 en Algérie, rien n’indique
que les djihadistes en Egypte ne se livreront pas à leur tour à de nouveaux
massacres. La bourgeoisie de Washington a tout intérêt à calmer le jeu, à tenir
la mise en scène, car si l’Egypte n’a pas de pétrole elle peut en contrôler le
flux et mettre à genoux certains petits roitelets de la région : le
pétrole transite pour l’essentiel par le Canal de Suez ; la bourgeoisie US
ne veut pas de blocage dans la région ni
une contagion sociale qui échapperait aux sirènes démocratiques, vu l’affaiblissement
des requins islamistes.
Les divisions de l’opposition libérale bourgeoise (les
journalistes disent laïques !) au pouvoir expérimental et solo de l’islamisme
rampant n’ont pas disparues, elle reste très mélangée. Elle a fait front unique
sous scénario américain, contre la chute économique et islamisation, mais une partie de la bourgeoisie pro-Moubarak
revient avec les dits révolutionnaires en carton de la rue, grimés avec le
drapeau chauvin.
El Sissi, qui a fait bien
rire les journalistes, qui assuraient, fiers de leur culture limitée en
histoire, qu’il n’était pas la princesse autrichienne incarnée par Romy
Schneider, a assuré que la politique ne serait pas celle de l’armée. C’est la
politique de qui alors ?
Avec ses lunettes rondes, El
Baradei a un côté Léon Blum pleurnichard, prêt à dire à tous les coups : « je
n’y peux rien ». Comme on aimerait, nous les maximalistes ringards, qu’il
soit le nouveau Kérensky d’une véritable révolution prolétarienne au Maghreb et
au Makrech. Oui
s’ouvre l’ouverture de phase d’incertitude. Pas encore favorable au
prolétariat.
[1]
EGYPTE LE
TRIPLE ECHEC DES FRERES MUSULMANS.
[2]
Les journalistes rivalisent en lauriers sur l’armée, passant vite sur ses
exactions passées : tabassages de femmes, viols, meurtres… Des manifestants
objectent qu’il ne faut « jamais faire confiance à l’armée » ;mais
on nous assure aussitôt que la foule est « reconnaissante » à l’armée.
[3]
Dans les prochains jours, pour dévier toute réflexion conséquente sur la crise
politique en Egypte, gageons que les journalistes vont passer leur temps à
deviser pour savoir s’il s’agit ou pas d’un coup d’Etat. Vous savez comme la
poule et l’œuf, Etat dans le coup ou coup de l’Etat ? Allez savoir.
[4] En un an, le Morsi chef d’Etat expérimental
musulmaniaque a multiplié les nominations des siens aux postes clés, se posant plus
en chef de clan qu’en président. Un comportement clanique doublé d’une dérive
autoritaire islamiste. En novembre dernier, il avait pris la bourgeoisie
égyptienne par surprise en publiant un décret le plaçant au-dessus de la
loi. Des dizaines de milliers de manifestants étaient aussitôt descendus dans la rue, juges en tête,
pour demander l’abrogation du décret – ce que Morsi, également accusé de vouloir
islamiser la société, avait fini par faire sous la pression, mais trop tard.
[5]
Dans un bricolage confus dont il a le secret, le CCI, ou ce qu’il en reste de
prostatiques peureux, nous expliquent que le mouvement de fond qui va du Brésil
à la Turquie et à l’Egypte « s’inspire du mouvement des indignés en Espagne ».
Dans le même genre révisionniste, en 1968 les maoïstes indiquaient que la
classe ouvrière suivait l’exemple des étudiants.
[6] A la mi-juin, la nomination d’un fondamentaliste salafiste comme gouverneur
de la région touristique « vallée des rois » avait provoqué la colère
au sein de la population. L’homme est issu de la branche politique du groupe
islamiste radical Gamaa al-Islamiya, auquel on a attribué le massacre et viol de
62 personnes, dont 36 touristes suisses et belges, dans la
Vallée des Rois en 1997.L’accession de ce fondamentaliste nommé Adel Mohamed
al-Kayat au gouvernorat de la région de Louxor rouvre les plaies du terrible massacre du 17
novembre 1997, cet attentat terroriste islamiste au cours duquel 62 personnes
avaient été tuées et mutilées, piégés
dans le temple de la reine Hatchepsout. L’attaque avait été attribuée à la
Gamaa al-Islamiya, que codirigeait alors le nouveau gouverneur. Selon l’agence Reuters, que relaie notamment Le Nouvel Observateur,
«de nombreux professionnels du tourisme de l’ancienne cité pharaonique de
Thèbes redoutent, en plus des conséquences négatives pour le tourisme des
soubresauts politiques de l’après-Moubarak, que cette nomination n’effraie un
peu plus les visiteurs étrangers».
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