Une
grève qui s'éternise est une grève qui agonise
« La
lutte économique “fait penser” les ouvriers uniquement à
l'attitude du gouvernement envers la classe ouvrière; aussi quelques
efforts que nous fassions pour "donner à la lutte économique
elle-même un caractère politique", nous ne pourrons jamais,
dans le cadre de cet objectif, développer la conscience politique
des ouvriers (jusqu'au niveau de la conscience politique
social-démocrate), car ce cadre lui-même est trop étroit ».
Lénine (1903)
« Le
secrétaire général de la CFDT François Chérèque choque en
qualifiant le mouvement "d'inutile" tandis que le patron de
la CGT Bernard Thibault reconnaît une grève "trop longue pour
tout le monde, en particulier pour les grévistes" (1995)
Il
existe une multitude de formes de grève, la mythique grève
générale,la grève « sauvage », la grève spontanée,
la grève instantanée, la grève programmée, la grève préventive,
la grève indéfinie, la grève stéréotypée et la grève trahie.
Cette dernière est quasiment introuvable sur les sites de recherche
du web ni en tout cas ses causes et responsables à de rares exceptions (militantes)
près. Par contre la gauche bcbg, gouvernementale comme
oppositionnelle et avec tous ses suivistes gauchistes, n'étale que
des
histoires de grèves victorieuses de 1936 à 1995 par exemple
pour le seul cas de la France. Elle ment comme le web et de la
manière la plus totalitaire qu'il soit. L'histoire de la plupart des
grèves montre qu'elles ont coûté beaucoup de peine et d'argent aux
prolétaires des diverses catégories, qu'elles ont été affaiblies
pour ne pas dire trahies par les appareils syndicaux, anciens ou
modernes. Car il ne faut pas se leurrer la seule grève victorieuse
c'est la révolution. Toutes les grèves ont abouti la plupart du
temps à de savants et opaques marchandages. Telle petite grève a pu
être victorieuse pour imposer la réintégration d'un camarade
licencié sous la menace de devenir grande ou d'affoler tel patron ou
tel ministre. La plupart des grandes et longues grèves qui ont
confronté gouvernement et tel secteur, comme celle des mineurs en
Angleterre au début des années 1980, ont pour caractéristique
d'avoir été longues et... défaites1.
A l'époque grève dite « innovante » avec les fameux
flying piquets, et qui ont mené à la défaite. Il faut toujours se
méfier des grèves « innovantes » !
Les
grèves courtes sont souvent plus efficaces que les grèves longues.
Par exemple la généralisation en 1968 s'est produite en 3 à 4
jours. Dans toutes les grèves où j'ai eu l'occasion de participer
au cours de ma vie, j'ai toujours défendu l'idée que si notre
grève ne s'étend pas rapidement, c'est foutu ; et extension
évidemment non limitée aux barrières de la corporation ni
cloisonnée comme la farce (cloisonnée par les apparatchiks
syndicaux de tous secteurs) du « tous ensemble » de 1995. Le
trou d'air de 68 s'explique surtout d'ailleurs par le manque de
contrôle (d'encadrement!) de la classe ouvrière. Sous le bla-bla « soixantehuitard »
vantant la réforme des mœurs, nos éduqués commentateurs
nostalgiques oublient opportunément de signaler la principale
rouerie de accords « paritaires » de 68. Les
syndicats gagnent leur droit d’entrée au sein de l’entreprise
avec la loi
du 27 décembre 1968
qui officialise la surveillance et coopération syndicale dans toute
entreprise. En Angleterre, les délégués syndicaux existaient eux
depuis l’après Première Guerre mondiale.
Je
suis personnellement profondément désolé de ne pas vous promettre
la conservation de vos « avantages » (et inconvénients)
ni de vous promettre une victoire certaine grâce aux sirènes d'une
extrème gauche extrêmement bête et caricaturale2. Cette grève scénarisée par la syndicartie restera une douloureuse expérience de dépossession totale de la lutte par les ouvriers eux-mêmes. Je pense même qu'il doit y avoir de sévères prises de bec entre
vous et que, contrairement aux sirènes des syndicaux anars
jusqu'auboutistes, « ça se passe mal » et met à mal le
fameux « tous ensemble ». On ne peut même pas faire de
la surenchère en criant « virez les syndicats et leurs amis
gauchistes » puisque, faute de revendications unitaires et
anti-corporatistes, vous n'avez acquis aucune popularisté face à
l'ensemble de la classe ouvrière ; ni vous dire « stop »
car, non seulement ce n'est pas vous qui déciderez de l'arrêt de
cette grève bidon mais le système totalitaire « novateur »
mis en place par les canailles syndicales, mais nombre parmi vous ont
déjà dit stop individuellement et sont obligés de se taire pour ne
pas être crucifié comme « jaunes ». Et pourtant, ne
vaut-il pas mieux écourter une défaite programmée pour mieux
garder ses forces pour l'avenir ? Ou on aura vraiment
l'occasion de lutter tous ensemble et « mêlés » mais
avec de vraies organisations prolétariennes, un parti et un
programme de classe ! Derrière le cirque syndicalo-gauchiste il
n'y a rien de crédible politiquement et socialement, ni relève
électorale de gauche caviar, ni programme de remplacement eu
capitalisme libéral ; juste quelques pauvres clowns au fond du
décor, les Mélenchon, Poutou et Ruffin. Tous ceux de ma génération
qui ont fait une grève d'au moins un mois n'ont jamais refait grève
de leur vie !
Nombre
d'entre vous qui ne font pas partie des idéologues agités du bonnet
des sudistes gauchistes qui promettent la lune et une insurrection
romantique pour après-demain, voire qui ont lâché cette grève
obscure ont certainement conscience que « c'est plié ».
Les « réformes » d'Etat pour toujours plus de
mondialisation déréglementée avancent partout à pas de
pachyderme, et ce n'est pas votre secteur (nationalisé) qui va les
bloquer. On va vous lâcher une concession quelconque, sur le statut
(qui serait responsable de la dette) ou (dans les négoces secrètes
paritaires) tel avantage cogestionnaire pour une partie des syndicats
qui trouveront soudain l'accord respectable, et briseront la fumeuse
« unité syndicale », vieux mensonge classique qui sert à
éviter de prendre eux-mêmes l'affaire de la grève dans leurs
propres mains. Mais le pire pour une grève, justifiée ou pas
n'est-ce pas l'indifférence et l'immobilité de la grande masses des
concernés, les exploités qu'ils soient des bureaux ou des usines
privées ?
Une
image comparée est frappante qui signifie la tranquillité de l'Etat
face à cette longuette grève
militarisée par les obscurs appareils
syndicaux : au début de mai 68 Pompidou est allé
tranquillement visiter la Roumanie alors qu'il aurait dû rester
veiller au lait sur le feu, il revient en vitesse, De Gaulle lui
s'affole à la fin du mois et court en Allemagne consulter son
Massu ; avril 2018 Macron Badinguet rend visite à son pote
Trump sans le moindre souci pour ses arrières sociales, et d'autres
balades sont prévues à Moscou et ailleurs.
Au
début cette grève cyclique et hyper programmée par les généraux
syndicaux gêna les prolétaires des grandes villes, mais il y a tant
d'autres moyens de transport que, de guerre lasse, chacun se démerde.
La grève à la SNCF, à raison de deux jours sur cinq depuis début
avril, est sans conséquence sur la vie personnelle des trois quarts
des Français, selon un sondage BVA pour Orange publié mercredi,
c'est à dire ce jour. Mais la
grève des cheminots est un sujet de conversation, puisque 84% des
Français disent en avoir discuté avec des collègues, amis ou
proches, dont 68% à plusieurs reprises. Sondage réalisé par
internet les 23 et 24 avril auprès d'un échantillon de 1.007
personnes majeures (méthode des quotas).
PETIT
RAPPEL DE LA FABRIQUE D'UNE GREVE ARTIFICIELLE
Les
syndicats se basent toujours sur les trous de mémoire (et l'absence
de mémoire sur leurs trahisons successives sur le web) pour inventer
de nouvelles formes d'action susceptibles de faire oublier leurs
mascarades antérieures, qui ont toutes menées aux échecs
successifs sur les retraites, la loi travail, etc. Rien que ce
souvenir devrait pourtant ôter à tout ouvrier l'envie de commencer
une grève AUX ORDRES DES SYNDICATS. Voici la chronique de la
fabrique dispendieuse et épuisante :
- Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT, Unsa, SUD Rail, CFDT) décideront "le 15 mars" d'une éventuelle grève, en fonction des premières réunions de concertation avec le gouvernement sur la réforme du rail, a annoncé mardi soir Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-cheminot (27 février).
- La plupart des syndicats de la SNCF a annoncé jeudi une grève sur le rythme de "deux jours sur cinq", à partir du mardi 3 avril et jusqu'au jeudi 28 juin, pour protester contre la réforme en cours de l'entreprise (16 mars).
- Sept syndicats de fonctionnaires avaient appelé à une "journée de mobilisation" le 22 mars, a-t-on appris mardi de sources concordantes à l'issue d'une réunion entre les neuf syndicats ... "Sept fédérations sur neuf appellent à la grève et à la mobilisation pour le 22 mars", a déclaré à l'AFP Christian Grolier (FO) (le 6 fév 2018).
On
a vu où ont conduit ces hétérogènes mobilisations, mêlées
souvent dans les commentaires aux exactions du lumpenprolétariat de
Notre dame des glands (comme s'il s'agissait d'un même monde aux
mêmes objectifs contre le « criminel Macron »), voire à
la mise en vedette du procès ridicule fait aux rigolos tarnaciens,
et évidemment à la fronde universitaire des bobos floués dans
leurs ambitions diplômées : une démobilisation et un
désintérêt croissant, non pas seulement de « l'opinion »,
mais de la plupart des prolétaires qui ne se sentent ni concernés
par un statut particulier (fabriqué après-guerre par les ministres
staliniens pour remettre les ouvriers à la tâche), ni intéressés
par les discours creux des agités du bonnet syndicalistes
gauchistes. J'ai trouvé un parfait résumé de la situation sur le
site du CCI concernant une époque passée : « On voit
depuis plusieurs mois une totale dispersion des luttes, ponctuée par
quelques journées d’action syndicales stéréotypées de moins en
moins mobilisatrices qui renvoient les ouvriers à un sentiment
d’impuissance ». Description impeccable et cruelle certes
pour ceux qui se sont laissés embarquer dans cette grève tout à
fait « stéréotypée » !
C'est
pourtant une leçon de l'histoire de la lutte des classes que vous
auriez dû retenir : les syndicat préparent et accompagnent les
défaites successives ! Sinon leurs officines ne recevraient
plus aucun subside de l'Etat et les milliers de « permanents »,
ennemis du travail salarié pour leur pomme, seraient obligés
d'aller pointer à pôle emploi pour incompétence.
Le gouvernement Macron reste droit dans ses bottes, comme Juppé en
95, mais ce n'est ni une faiblesse ni signe qu'il pourrait plier
par... manque de souplesse avec ses « partenaires sociaux ».
Le gouvernement Chirac de 1995 n'est pas tombé et une autre réforme
est passée haut la main sans crier gare.
UNE
TRAHISON PEUT EN CACHER UNE AUTRE, CAMARADES CHEMINOTS
Sortez
du panneau dans lequel vous êtes tombés ! Revisitons la
mythologie de la « victoire » de 95. D'abord la version
mensongère d'un caméléon de l'idéologie staliniste passé par la
CFDT pui retourné à la CGT ; voici ce qu'il confiait à l'Huma
(journal tenu à bout de bras par un grand banquier) il y a quelques
années ; le ponte Dalbero explique avec des demi-vérités pour
effacer le souvenir des débordements du syndicalisme étatique en
1986 et pour nous servir une « restauration de l'autorité
syndicale » face aux ouvriers désabusés :
« S’il
y a eu une organisation plutôt spontanée de la grève chez les
cheminots, cette mobilisation n’a été possible que parce que
nous, syndicats, l’avions construite pendant des années. Depuis le
conflit important de 1986 (qui portait sur des retraits de primes et
l’introduction d’une nouvelle grille salariale – NDLR), des
coordinations s’étaient créées, un peu en défiance vis-à-vis
des syndicats. Il a fallu reconstruire l’unité syndicale pour que
les cheminots reprennent confiance. Alors, on a fait tout un travail
d’information et de sensibilisation auprès des agents. On voyait
la SNCF arriver dans une impasse avec le nouveau contrat de plan,
qui prévoyait la fermeture de milliers de kilomètres de voies
ferrées et la casse des emplois liée au gros problème
d’endettement de la compagnie.
….On
a pu tenir pendant trois semaines grâce
à l’unité syndicale,
et au fait que les assemblées générales de cheminots étaient
souveraines pour prendre les décisions, donc à l’abri des
querelles de clocher. Au final, quand Juppé a retiré sa réforme,
on a eu un grand sentiment de victoire, mais en gardant toujours une
certaine vigilance. Avec le recul, je regrette que le conflit n’ait
pas pu se prolonger pour d’autres catégories de professions. Mais
nous, en tant que cheminots, on n’avait aucun mandat pour le faire.
Il y a eu de vifs débats et de grosses déchirures à l’intérieur
de la CFDT à l’occasion de ce mouvement ».
Le
ponte Dalbero explique fort bien ensuite comment la colère des
grévistes contre la trahison syndicale a été récupérée par les
professionnels gauchistes :
« Par
la suite, le débat a été saignant, une partie des cheminots CFDT a
quitté le syndicat pour créer SUD rail. Je suis parti en 2003,
quand Chérèque a trahi brutalement l’unité syndicale pour signer
la réforme des retraites. J’ai ensuite adhéré à la CGT, où
j’ai fait une véritable cure de rajeunissement, en retrouvant
l’esprit de transformation sociale et de syndicalisme de masse qui
animait la CFDT des années 1970. Pour moi, 1995 a été porteur
d’espoir pour le rail et pour d’autres secteurs. On sait que les
cheminots répondent présent dans la mobilisation quand il y a une
unité syndicale ».3
La
vérité sur la « victoire de 95 », on la trouve sur le
site d'un groupe qui n'était pas encore devenu une secte frileuse.
L'article est une superbe démonstration du bis repetita que vous
êtes en train de vivre avec cette grève cadenassée par
l'imaginaire bureaucratique et finalement pas du tout innovante en
matière de dévitalisation et de trahison à venir :
« Le
mouvement n'avait-il pas été victorieux ? Juppé n'avait-il pas
tremblé devant la masse des manifestants ? La classe ouvrière
n'avait-elle pas retrouvé "sa dignité" et renoué avec la
"solidarité" et "l'unité dans la lutte" ? A
cette époque, celui qui émettait le moindre doute là-dessus
passait au mieux pour un rabat-joie, au pire pour un "jaune".
Et pour mieux envelopper la classe ouvrière dans cette euphorie de
la victoire et dans ce sentiment trompeur de puissance retrouvée, la
bourgeoisie mettait les bouchées doubles. Des syndicats aux médias,
des gauchistes aux instances patronales et gouvernementales, tous
s'accordaient à voir dans l'événement un "nouveau mai 68",
le prototype de futures "explosions sociales" du même
acabit qu'il fallait s'attendre à voir surgir un peu partout »4.
Poursuivons
avec cet excellent article qui montre au passage qu'il y avait un
vrai risque de « généralisation » (ou selon le langage
de Macron, de « coagulation ») en 95, ce qui n'est pas du
tout le cas surtout avec les mascarades des divers gauchistes et leur
promesse d'un remake de 685,
et où le soutien financier organisé par l'intelligentsia bobo sert
à dissoudre la véritable solidarité qui ne peut être que la
généralisation c'est à dire « l'explosion » hors
syndicats de grèves sœurs et de cœur :
« Loin
d'avoir constitué une "gaffe", l'annonce, simultanément
au plan Juppé sur la sécurité sociale, d'attaques ciblant
spécifiquement les cheminots était une provocation parfaitement
calculée qui allait permettre de lancer le mouvement. Les syndicats
allaient se servir de la combativité existant chez les cheminots
pour pousser par tous les moyens le maximum d'ouvriers à se
mobiliser dans un mouvement parfaitement encadré, que ces derniers
n'étaient pas prêts à mener et qu'ils ne contrôlaient pas. A
cette fin, les syndicats ont systématiquement agi à l'inverse de
leurs pratiques habituelles de sabotage. Ils
ont arboré un langage hyper-radical et contestataire vis-à-vis du
gouvernement, contrairement à la période où la gauche était au
pouvoir.
Tous les principaux syndicats se sont immédiatement portés à la
tête du mouvement, poussant systématiquement les ouvriers à
s'engager dans la lutte, à la SNCF, puis à la RATP et dans
l'ensemble du secteur public. Unis, ils ont lancé des appels aux
manifestations, poussant ainsi de plus en plus de travailleurs à
entrer en grève. Ils se sont imposés en mettant d'emblée en avant
les besoins vitaux de la lutte, ressentis comme tels par les ouvriers
depuis des années et ceci afin de les dénaturer, et notamment le
besoin primordial de l'extension du mouvement. Ainsi, les
intersyndicales se sont démenées pour l'extension de la grève
au-delà du secteur, en particulier en organisant des délégations
massives de cheminots dans les centres de tri et les Télécoms, en
éludant l'essentiel : pour être réellement au service de la lutte,
le besoin vital de prise en charge de l'extension ne pouvait que
venir des assemblées ouvrières et être assumé par elles-mêmes.
C'est derrière les intersyndicales et les "unions syndicales"
qu'ils ont appelé à "lutter tous ensemble". Ils
ont
mis
en avant la "souveraineté des AG" et laissé les ouvriers
"décider" au sein de celles-ci, mais dans un cadre et
selon des modalités d'actions déjà décidés et contrôlés par
leurs appareils. Un tel simulacre était destiné dans le fond à
éluder l'antagonisme irréconciliable entre d'un côté le
souveraineté des AG, la lutte autonome du prolétariat et, de
l'autre, la présence des syndicats dans la lutte. Dans
de nombreux secteurs, comme dans la plupart des centres de tri
postaux, dans les Télécoms, à l'EDF-GDF, les syndicats ont
manipulé un minimum de grévistes pour entraîner un maximum
d'ouvriers dans la grève et dans les manifestations. Il a suffi que,
3 semaines plus tard, Juppé retire les attaques concernant la SNCF
pour que toute cette mobilisation, sous-contrôle, retombe aussitôt
comme un soufflé ».
VOUS
ALLEZ REMONTER AU MEME ROCHER DE SISYPHE6
« La
bourgeoisie a pu ainsi mener les opérations à sa guise : elle a
fait partir le mouvement comme elle le voulait et elle a pu le faire
cesser, quasiment du jour au lendemain, quand elle l'a voulu, juste à
la veille de la trêve des confiseurs. Tout était donc bien réglé
comme du papier à musique Comment s'y est-elle prise ?
- à travers une focalisation médiatique sur la lassitude manifestée par une partie des ouvriers qui voulaient reprendre le travail et surtout sur les AG où était votée la reprise;
- alors que les syndicats n'avaient cessé de pousser systématiquement un maximum de nouveaux secteurs à rentrer dans la grève, il a suffi qu'ils cessent cette pression pour faciliter la reprise. Cela démontre d'ailleurs que la "combativité syndicale" n'était pas liée à une quelconque "pression de la base", contrairement à la propagande alimentée par les médias et entretenue par les groupes gauchistes. Le travail s'est alors partagé entre la CFDT et les syndicats modérés qui ont appelé directement à la reprise du travail tandis que la CGT et FO ont dit qu'ils suivraient les décisions des AG ; - - les syndicats ont joué sur l'absence de centralisation du mouvement qu'ils avaient provoquée et entretenue : le fait que chaque AG décide dans son coin de la poursuite ou non de la grève a permis une propagation "spontanée" de la vague de reprise. De fait, la CGT et FO ne sont jamais apparus comme divisés, ni surtout comme des diviseurs. Les deux principaux syndicats "combatifs" n'ont, au contraire, pas cessé de proclamer la nécessité pour les ouvriers de rester unis et ont même largement mis en garde contre le développement d'une division entre "jusqu'au boutistes" et ouvriers.
Aux
cris de triomphe des syndicalistes d'hier clamant que, grâce à eux,
le mouvement avait fait reculer Juppé et la classe ouvrière s'était
renforcée, s'oppose le constat d'évidence : le plan Juppé sur la
sécurité sociale est passé. Quant à l'illusion que cette
"expérience" aurait permis à la classe ouvrière de se
renforcer en réapprenant à se défendre, qu'elle y aurait retrouvé
ses réflexes de lutte, de solidarité de classe et d'unité, elle
aussi s'est révélée une chimère.
A
tout cela les ouvriers ont été incapables d'opposer la moindre
résistance sérieuse, et pour cause. Pris dans la nasse de syndicats
renforcés par leur nouvelle image, les ouvriers en butte aux
attaques se sont retrouvé baladés, atomisés, dispersés dans des
actions syndicales impuissantes et isolées, sans trouver la force de
contester et encore moins de déborder cet encadrement syndical
omniprésent. Bref, les syndicats ont eu les mains plus libres que
jamais, dans les années suivantes, pour faire leur sale boulot
habituel de saucissonnage, de division et de sabotage ouvert »7.
CONVERGENCE
VERS LA DISSOLUTION DE LA PROTESTATION
Depuis
la défaite des syndicats lors de la réforme des retraites de 2003,
qui était pourtant l’un des conflits les plus massifs de la
fonction publique, la technique des gouvernements successifs, avertis
de la décrépitude généralisée de la confiance envers les
machines syndicales, est davantage de laisser pourrir un conflit que
de négocier.
Le
gouvernement de Nicolas Sarkozy avait négocié en sous-main deux
« victoires » sur les syndicats dès son arrivée au
pouvoir, qui servirent surtout à « victimiser » ces
appareils financés par l'Etat : l’instauration du service minimum,
et une des premières réformes des régimes spéciaux de retraite
(en feuilleton sans fin). L'invention de la « grève perlée »
est dérisoire et ne peut masquer l'affaiblissement généralisé du
syndicalisme de collaboration à la gestion de l'Etat. Elle aura
révélé encore une fois la détérioration du système de
régulation conflictuelle – négociation paritaire et ouvriers aux
ordres – cette vieille manipulation ne fonctionne plus ou est de
courte durée8.
Sans
insulter la partie des cheminots encore en grève, le gouvernement et
ses affidés les assimile quand même à des hors-la-loi non
démocrates. C'est le patron Pepys qui leur explique depuis un
plateau TV que la loi réformant la gestion SNCF étant votée par
« le parlement », «en continuant la grève vous vous
opposez au peuple » ! Le peuple n'existe pas, mais le
prolétariat oui et il reste l'ennemi de la société hypocrite dite
démocratique. Une telle déclaration est faite pour me convaincre de
rester en grève ! Et jusqu'au bout ! Mais le même genre
de provocation a permis les victoires bourgeoises précédentes. Par
exemple lors de la
discussion à l'Assemblée nationale de la réforme ferroviaire qui
visait à regrouper sous une même holding publique la SNCF et Réseau
ferré de France (RFF, organisme qui gère le réseau ferré) qui
avait suscité 14 jours de grève un mois de juin. La mobilisation
s'était effritée peu à peu et le texte était définitivement
adopté par les députés un 21 juillet. On s'ingénie à vous
envoyer à chaque fois, camarades cheminots, et sans faiblir, dans la
voie de garage parlementaire !9
Je
suis d'accord avec Robert Paris du site Matière ou Révolution :
« Pour
conclure, la quasi-totalité des organisations syndicales ou de
gauche, sans parler de l’extrême gauche présentent comme une
« solution » : la reprise de la dette SNCF par
l’Etat !! Les gros malins !! Comme si cela solutionnait
quoique ce soit !! Oui, là où Macron a raison, c’est qu’il
faudra bien, de toutes les manières, que quelqu’un la paie cette
dette. Et ce sera ou les cheminots et usagers ou les capitalistes !
C’est là que se place le choix et pas dans l’Etat !! ».
LA
GREVE EN SOI N'EST PAS UNE FORME DE LUTTE EXCLUSIVE NI UNIFICATRICE
Surtout
pour cet avenir proche où la classe ouvrière sera de plus en plus
dispersée en petite unité et où la condition de sa force, de son
unité se trouvera hors de la myriade d'entreprises, la
manifestation, en se protégeant des casseurs idiots ou policiers,
permettra d'occuper la rue pour y tenir des AG réellement
collectives de tous les travailleurs d'où qu'ils viennent, un peu
comme Nui debout en a été une esquisse limitée.
La
manifestation, si elle n'est pas laissé sous contrôle des complices
oppositionnels de l'Etat, a en plus tendance à devenir un mode de
pression plus important, puisque faire la grève reste compliqué
dans le privé et coûte cher dans tous les cas, alors qu’on peut
manifester sans faire grève (en prenant un jour de congé par
exemple).
Votre
échec « programmé » ne doit pas vous démoraliser,
camarades cheminots. Cessez de vous en référer aux vieilles lunes
de la gauche bourgeoise et de ses suivistes gauchistes. Le monde est
en train de changer, certes pas dans le sens où nous le voudrions.
Mais pourquoi ne pas se poser la question d'un nouveau programme de
société ? Le capitalisme est-il éternel ? Impossible à
remplacer ?
Tiens,
relisons sélectivement ce confus de Sorel mais avec ses pépites. La
même année que Réflexions
sur la violence
(1908), il publie La
Décomposition du marxisme,
où il analyse « l’ascension » des ouvriers vers la
petite-bourgeoisie, due au trade-unionisme, aux réformes sociales et
au socialisme parlementaire qui n’échappe pas au destin des
autres partis politiques, « coalitions formées pour conquérir
les avantages que peut donner la possession de l’Etat »
(chap. II). Et cette réflexion à faire pâlir de jalousie Lénine :
« la IIe Internationale pratique la « conservation d’un
langage marxiste par des gens devenus complètement étrangers à la
pensée de Marx ».
L'affaissement
et la trahison du socialisme parlementaire et des syndicats, Sorel
l’explique par la perte de la notion de classe,
réduite à un regroupement des mécontents contre « les
riches » : « Le
terme prolétaire
finit
par devenir synonyme d’opprimé ; et il y a des opprimés dans
toutes les classes
». çà vous dit rien ?
A
charge de revanche Sorel déshabille Lénine qui voyait derrière
toute grève l'hydre de la révolution : « Les
syndicats révolutionnaires raisonnent sur l’action socialiste
exactement de la même manière que les écrivains militaires
raisonnent sur la guerre ils enferment tout le socialisme dans la
grève générale ils regardent toute combinaison comme devant
aboutir à ce fait ; ils voient dans chaque grève une imitation
réduite, un essai, une préparation du grand bouleversement final ».
Voilà
c'est tout ce que je voulais vous dire camarades cheminots, un peu de
lecture ne vous fera pas de mal. Bon courage quand même.
NOTES
1Au
début des années 1980, un projet de restructuration des mines est
avancé. Trop chères, pas assez rentables, et produisant un charbon
dont le coût est excessif : le parallèle avec 2018 est facile à
établir. Commence alors la grève la plus longue que le Royaume-Uni
ait connue depuis 1926. Margaret Thatcher ne lâche rien, consciente
qu’il s’agit là d’une occasion unique de défaire le
« socialisme
non démocratique »,
c’est-à-dire le syndicalisme, après avoir vaincu le « socialisme
démocratique »
dans
les urnes. À l’époque, on a comptabilisé près de 33 000
piquets de grève. Les affrontements sont nombreux et résultent de
la stratégie d’Arthur Scargill, un militant syndical, basée sur
les « flying
pickets ».
C’est un système ingénieux : les grévistes qui en faisaient
partie étaient choisis parmi ceux qui avaient une réelle
connaissance des luttes, sur le terrain, et étaient payés par le
syndicat même. Qu’importe : l’opinion publique assiste au
spectacle d’affrontements d’une rare violence, et dans le même
temps, ne ressent pas dans sa chair l’arrêt du travail des
mineurs. En effet, le pays continue de fonctionner, malgré la
grève. Les dégâts sont alors irréversibles. Dix mille défections
chez les grévistes en 1985. Cela s’amplifie, et finalement, la
grève cesse brutalement en mars. Les mineurs n’ont rien obtenu,
et tout perdu : la culture de la grève a disparu dans le
Royaume-Uni et les mineurs perdent tout simplement toute visibilité
politique. Le journaliste Owen Jones parlera ainsi du « chant
du cygne du mouvement ouvrier britannique ».
Est-il
utile d’insister sur l’enjeu symbolique que revêt alors la
lutte menée aujourd’hui par les cheminots français ?
2Je
n'ai pas cessé de m'inquiéter de votre mouvement, alternant colère
et incompréhension, stupeur et indignation face au bashing SNCF.
Comme en témoigne ma série d'articles sur ce blog :
- Attaque gouvernementale réussie à la SNCF
- Le new big bang syndical : trouvailles
incongrues pour mieux saboter toute sérieuse riposte des cheminots
- Les choristes des syndicats gouvernementaux
- la grève proclamée larmoyante à la SNCF
- SNCF bashing épisode 3 : A qui sert la
grève « intermittente » ?
- Bashing SNCF épisode 4 : négociation
piège à cons
- Bashing SNC épisode 5 : vers la
défaite des syndicats « tous ensemble ».
4Il
faut que vous lisiez intégralement ce lumineux article (et il y en
a tant d'autres) :
http://fr.internationalism.org/ri336/dec95.html
5Cette
grève fabriquée, intermittente et incontrôlable par un système
d'AG centralisées, est très en deçà de ce qu'on a vécu en 95,
il n'y a pas d'envois de délégations massives aux autres secteurs
hors SNCF mais des visites de touristes aux AG étroitement ficelées
par les appareils syndicaux et leurs complices et concurrents
sudistes. Les visites sont vécues comme « instructives »
sur la corpo et confinent aux témoignages passifs, sans aucun
esprit critique :
http://www.europe1.fr/societe/en-marge-de-la-greve-trois-cheminots-se-mettent-en-marche-pour-aller-rencontrer-macron-3621734
Où
l'on trouve un niveau de discussion lamentable avec pour centre
cette notion creuse d' « usager » :
https://comptoir.org/2018/04/09/greve-des-cheminots-on-a-ete-voir-une-ag-de-linterieur/
« La
dernière intervention est celle d’un usager. Il propose de créer
un collectif d’usagers, qui pourrait aider à la distribution de
tracts ou à d’autres tâches ingrates mais d’une impérieuse
nécessité. Les cheminots opinent du chef, une fois de plus. Le
micro, enfin, est lâché. Les délégués syndicaux appellent à
voter pour la suite du mouvement, et tout le monde se dirige vers
les boîtes en carton prévues à cet effet. Je note d’ailleurs
que lors de ce vote, chacun vote dans une boîte séparée, selon
son affiliation professionnelle : TER, EIC… Ce qu’une personne
ne manque pas de souligner : « Il
s’agit de créer des moyens d’assembler un mouvement hétérogène
et le chemin emprunté lors des votes semble ne pas s’y engager.
Il faut qu’on en parle entre nous, le système du vote doit
impérativement être repensé. Les syndicats sont nécessaires,
puisqu’ils disposent d’outils pensés en vue de ce type de
bataille, mais il faut que le mouvement dispose d’une réelle
autonomie et surtout, qu’il dépasse le cadre strict desdits
syndicats. »
6Empruntée
à la mythologie grecque, l’expression ""le
rocher de Sisyphe"" est une métaphore qui symbolise
une tâche interminable. En effet, Sisyphe, l’un des personnages
de la mythologie grecque, avait déclenché la colère des dieux de
l’Olympe. En guise de châtiment, ces derniers le condamnèrent à
grimper au
sommet
d’une
montagne en faisant rouler un immense rocher. Cependant, une fois au
sommet, Sisyphe n’avait pas assez de place pour y bloquer son
rocher qui redescendait aussitôt, obligeant Sisyphe à le remonter
encore…".
7Merci
encore à l'auteur de cet article qui signe VP, et que je connais
certainement.
8En
Allemagne, où la pratique syndicale est beaucoup plus regroupée
(avec la Confédération des syndicats allemands comme principal
interlocuteur) et mieux combinée avec le gouvernement, les
conventions collectives signées entre le syndicat et l’employeur
garantissent la paix sociale pendant leur durée.En
France, il peut très bien y avoir une convention collective signée
par deux syndicats minoritaires, sur une augmentation salariale de
2%. Mais il peut y avoir grève deux semaines plus tard lancée par
deux autres syndicats sur le même accord, pour avoir une
augmentation salariale de 4%.
9http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-principales-greves-de-la-sncf-depuis-30-ans-1396790.html et voir enfin à travers la lucarne que cela se passe mal depuis un moment: https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/greve-a-la-sncf/sncf-la-greve-par-intermittence-etait-elle-une-fausse-bonne-idee_2720887.html
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