IL
SEME COMUNISTA
(La semence communiste)
BULLETIN INTERNE DE LA FRACTION
ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
N° 5
Février 1938
SOMMAIRE
1°) – Question syndicale :
a)
Les
syndicats et la guerre impérialiste (Michel)
b)
Contribution
à la discussion sur le rapport Vercesi – suite – (Luciano)
2°) – Questions générales :
a)
Une
critique des camarades belges concernant la position contenue dans le rapport
Vercesi sur les “revendications partielles”.
b)
Idéalisme
ou matérialisme (Gigi)
3°) – Fonds de solidarité pour les
victimes de la guerre impérialiste
a)
Résolution
du groupe de Marseille
b)
Procès-verbal
de la réunion du groupe de Chambéry
4°) – Vie de la Fraction :
a)
Procès-verbal
de la réunion du groupe de Marseille
b)
Résolution
du C.F. de Paris sur la constitution du Bureau International
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Les syndicats et la guerre impérialiste
1°) Classe –syndicats
Dans la Contribution, Marx écrivait :
« À un certain stade de leur développement, les forces productives de la
société entrent en contradiction avec les rapports de production
existants ». C’est sur ces derniers que repose une superstructure
juridique et politique à laquelle correspondent « des formes de conscience
sociales déterminées », mais la « réalité sociale » n’est
procurée que par les contradictions entre les forces et les rapports de
production : c’est là que se situe le mouvement de la
société !
Les antagonismes
sociaux découlent directement de l’évolution de cette contradiction
fondamentale et ils en accompagnent le cours en permanence. La lutte
entre les classes est le produit des antagonismes sociaux, ou un stade
d’élévation des luttes sociales dans lequel les hommes ont atteint la
conscience – de manière élémentaire ou accomplie – des objectifs de classe
qu’ils doivent réaliser pour conduire à son terme le conflit économique qui
mine la vieille société.
Les Thèses de Rome disent : « Le
prolétariat n’apparaît et n’agit comme classe dans l’histoire que lorsque se
dessine en lui la tendance à se donner un programme et une méthode commune
d’action, c'est-à-dire à s’organiser en parti ».
Le prolétariat
apparaît donc comme une classe quand les antagonismes sociaux ont trouvé leur
reflet dans la “tendance” à construire un programme et une méthode d’action,
même si cette méthode d’action et ce programme sont élaborés par des
intellectuels bourgeois, transfuges de leur classe.
À un stade
déterminé de l’évolution historique, le degré atteint par les antagonismes
sociaux rend permanente la “tendance”, laquelle se renouvelle, progresse, se
complète à tout instant. Mais la classe, de même que les antagonismes sociaux,
ne disparaît jamais. Pour la classe dominante, il est possible, dans des
situations données, d’empêcher les antagonismes sociaux de se raccorder à la
“tendance” qui n’est que leur reflet critique dans la conscience des hommes.
L’avant-garde de la classe exprimera les phases de celui-ci avec des formes
particulières d’organisation, mais, parallèlement à l’évolution des
contradictions sociales, elle poursuivra la maturation des solutions
prolétariennes aux contradictions du monde capitaliste. Antagonismes sociaux et
conscience communiste ne s’engendrent pas à la manière dont la cause produit
l’effet, mais de façon dialectique : les hommes agissent sur les
antagonismes qui s’opposent en catégories distinctes et ils y puisent leur
conscience sociale (conscience de classe) : c'est-à-dire la conscience à
agir en tant que classe, et donc en tant que parti politique. Les antagonismes
sociaux ne créent pas la conscience de manière spontanée et automatique :
« Les hommes font leur propre histoire » : et la réalité sociale
comprend : « l’activité concrète humaine » (Marx).
Le cours de
l’évolution des luttes de classe à un moment déterminé amène les exploités à se
regrouper autour de « foyers organisationnels de la classe ouvrière »
(Résolution de la I° Internationale
sur les syndicats), et c’est ainsi que naissent les syndicats.
Les syndicats, à
leurs débuts – et aussi par la suite –, n’auront pas seulement une fonction qui
consistera « à être un moyen permettant de mettre en œuvre (pour les
ouvriers) la loi capitaliste des salaires, c'est-à-dire la vente de la force de
travail au prix courant du marché » (Rosa Luxemburg), mais ils seront
l’expression spontanée de l’organisation primitive de la classe sous
l’impulsion des contradictions sociales et le seul stade que les ouvriers,
abandonnés à leur seule force, pourront atteindre sur la voie de leur
émancipation. L’on connaît à ce propos la polémique lancée par Lénine dans
son Que
faire ? contre les économistes. Les mouvements spontanés des ouvriers
représentent « la forme embryonnaire du conscient », mais la
conscience socialiste ne pouvait leur être apportée que de l’extérieur.
Abandonnés à leur seule force, la classe ouvrière ne pouvait atteindre que la
conscience “trade-unioniste”.
L’apparition des
syndicats indique donc « une forme embryonnaire de la conscience »
parmi les masses et l’histoire du mouvement ouvrier dans tous les pays prouve que
la conscience apportée de l’“extérieur”, c'est-à-dire la tendance qui pousse à
la formation d’un parti, évolue parallèlement au mouvement syndical ; à
l’expression directe de l’antagonisme correspond presque toujours la tendance à
lier les ouvriers à une conscience historique de leur fonction. Mais le
syndicat ne peut pas être davantage qu’un “foyer” d’organisation prolétarienne,
et c’est le cours que suivra l’évolution de la conscience de classe, à travers
le parti, qui résoudra le problème de son devenir.
Le syndicat n'est
pas seulement la première forme originale créée par les ouvriers eux-mêmes,
mais il est la première tranchée de classe opposée à l’État capitaliste. Les Thèses de Rome disent à juste
titre : « L’organisation syndicale se presente historiquement comme
l’antithèse et la négation de la démocratie bourgeoise et du régime
parlementaire ».
L’opposition entre
les forces et les rapports de production surgissait au début comme l’opposition
entre l’État capitaliste omnipotent et la révolte du prolétariat, lequel se
regroupait afin de défendre et d’élever sa condition de vie, ce qui se
réalisait par l’obtention de droits politiques spécifiques. La lutte pour les
syndicats, c’était la lutte contre la démocratie bourgeoise, puisque cette
lutte provenait du terrain des antagonismes économiques irrépressibles et que
les revendications des masses faisaient naître des démarcations de classe,
alors que la poussée des exploités vers les droits politiques facilitait le
croisement de leur révolte avec les « apporteurs du socialisme ».
Avant la guerre,
au sein de la I° Internatioanle d’abord, de la II° Internationale ensuite, la
lutte entre révolutionnaires et opportunistes a gravité autour de ces problèmes-là :
« Marx s’opposa à Bakounine en prouvant que toute lutte est économique et
politique en même temps » ou bien que « son activité politique et son
activité économique sont étroitement liées ». Il ne suffit pas que les
ouvriers créent spontanément des syndicats et luttent pour leurs revendications,
mais il est nécessaire qu’ils s’organisent en parti politique parce que c’est
en lui que réside le sens réel de leur bataille revendicative dans cette phase
historique.
Dans la II°
Internationale, les marxistes et les révisionnistes luttent à propos de
problèmes qui concernent les rapports entre les syndicats et le parti : le
syndicat se suffit-il à lui-même ? Son développement permet-il aux
ouvriers de pénétrer l’État capitaliste et d’arriver, du fait de la conquête
parallèle de réformes sociales, pacifiquement au socialisme ? Les révisionnistes
faisaient de la lutte revendicative du syndicat la négation des deux
revendications politiques, tandis que les marxistes faisaient de la lutte
revendicative des syndicats des moments parallèles pour la construction de
l’organisme de la révolution.
Lors de ces deux périodes,
les syndicats, expressions prolétariennes des antagonismes sociaux, faisaient
donc partie du processus au cours duquel le prolétariat affirme son
indépendance de classe, affirme sa revendication de classe (laquelle, et
Vercesi l’a fait remarquer dans son rapport sur le Bureau international, n’est
que l’expression de la revendication économique centrale de l’époque contenue
dans l’opposition entre forces et rapports de production), crée son parti de
classe. À l’origine du mouvement ouvrier, les syndicats et les organisations
politiques se confondront souvent, et cela dépendra du fait que l’explosion des
antagonismes sociaux se confondra avec les premières tentatives pour introduire
parmi les ouvriers les ferments du socialisme. Dans la II° Internationale au
contraire, l’afflux des masses dans les syndicats, au moment de l’expansion
impérialiste du capitalisme, donnera naissance à des tendances voulant séparer
les syndicats d’avec les partis, les antagonismes sociaux d’avec leur
conscience finale, sous prétexte que ces bastions économiques des ouvriers leur
permettraient de conquérir l’État en raison de l’amélioration de leurs
conditions de vie et du développement d’une conscience syndicaliste. L’on sait
que le capitalisme parviendra à ses fins avec la corruption simultanée des
partis socialistes et des appareils syndicaux dans tous les pays. La guerre
impérialiste de 1918 a marqué le terme de cette évolution. Il s’agit maintenant
de retrouver les problèmes centraux, ce qui aidera à la compréhension des
problèmes actuels.
Le passage des
syndicats à la participation au massacre de la guerre était la conséquence du
travail de corruption du capitalisme en leur sein. Mais cela signifie-t-il que
la base des syndicats a été frappée dans sa nature ?
Il existe deux
méthodes d’analyse : ou bien l’on considère que ce sont les dirigeants qui
sont corrompus tandis que le syndicat demeure tel quel, ou bien l’on estime que
la nature de classe des syndicats subsiste (parce qu’elle repose pour toujours
sur les antagonismes sociaux), mais que leur fonction s’est modifiée
radicalement. Dans le premier cas, il suffira de mettre de dirigeants
communistes à la tête des syndicats et le problème sera résolu ; dans le
second cas, il s’agit de renverser toute une situation, de détruire une
fonction capitaliste et de la remplacer par une fonction prolétarienne ;
l’on peut même supposer le cas d’une insurrection communiste qui détruira
formellement les syndicats alors que l’on détruit seulement la fonction
capitaliste, mais que leur nature reste intacte. Certes, nature et fonction
doivent correspondre, du moins pour des raisons “logiques”, mais le problème
est encore une fois dialectique et, si l’on se souvient qu’antagonisme social
ne signifie pas automatiquement conscience sociale, l’on comprendra facilement
que nature prolétarienne ne signifie pas automatiquement fonction
prolétarienne.
Quand les
syndicats réformistes se sont engagés dans la guerre de 1914-1918, ils avaient
avec eux l’ensemble des ouvriers qui étaient emprisonnés dans un cours de
situation qui avait vu la corruption capitaliste modifier l’orientation
des contradictions de classe.
En Allemagne, en
France, les syndicats prenaient place aux côtés de l’État capitaliste, ils
participaient à la production destinée à la guerre, ils fraternisaient avec les
exploiteurs dans l’Union sacrée, ils pouvaient également tenter de s’incorporer
à l’État ; le fait essentiel, qui a été confirmé par les mouvements revendicatifs
qui ont fait grève durant la guerre, était qu’ils continuaient à maintenir en
leur sein les antagonismes de classe qui pouvaient être –provisoirement – rejetés
dans le massacre impérialiste. C’est l’explosion des premiers mouvements
révolutionnaires, c’est la transformation substantielle des situations,
c'est-à-dire la révolution prolétarienne opposée à la guerre, qui devait
arrêter le cours des antagonismes sociaux orientés vers le massacre et faire
naître dans les syndicats des mouvements de classe qui ont obligé les
réformistes à faire, prudemment, machine arrière. C'est seulement là où
agissait un parti d’avant-garde capable de faire le geste de la révolution que
la fonction capitaliste des syndicats a pu être détruite et sa nature harmonisée
avec sa fonction.
L’afflux des
masses dans les syndicats après la guerre s’explique par le fait que la nature
de ces derniers demeurait malgré tout fondée sur les antagonismes sociaux et c’est
l’absence d’un parti qui a empêché les ouvriers de leur donner une fonction
révolutionnaire. Par conséquent, la tendance orientée vers l’organisme de classe
transitait encore par les syndicats étant donné que le stade atteint par la
contradiction sociale passait encore en eux. Certes, les luttes des ouvriers à
cette époque-là ne gravitaient pas autour du problème de la vie chère ou de
l’amélioration des salaires. Mais, sous la forme confuse des luttes partielles,
les prolétaires étaient poussés à s’orienter vers les problèmes provoqués par
la guerre et par la révolution russe. La fonction des syndicats réformistes et
de la social-démocratie à cette époque-là a été d’endiguer les batailles
revendicatives avec de larges concessions, quand il n’a pas été nécessaire
d’employer la force armée afin de briser les révoltes ouvrières.
Dans la résolution
que nous avons présentée au sein du bureau de Paris, l’on trouve à ce propos
des formulations inexactes, qui sont plutôt l’expression d’une recherche qu’une
explication politique. Il y est dit : cette orientation (c'est-à-dire l’appel
fait aux masses de se concentrer autour du mot d’ordre de la révolution après
la guerre) aurait fait comprendre que les syndicats organiquement liés à
l’État capitaliste devaient être combattus par les masses, et c’est l’évolution
qui s’est produite autour du parti qui aurait permis l’apparition de nouveaux
organismes de masse Poser ainsi le
problème signifiait le poser dans le vide parce que l’on aurait dû prouver que
les syndicats incorporés à l’État avaient modifié leur nature et que, étant
donné que l’expression des contradictions de classe n’était plus possible, il
fallait lutter au moyen d’autres organisations. Et l’on devait démontrer que le
parti, puisqu’il pouvait déclencher l’assaut révolutionnaire, était aussi à même
de briser la fonction contre-révolutionnaire des syndicats afin d’en libérer la
nature de classe. Tant que cela n’existait pas, les communistes étaient contre
la scission syndicale, ils s’opposaient aux tentatives de remplacer les
syndicats par d’autres organismes artificiels, mais, en revanche, ils prétendaient
promouvoir dans les syndicats une politique conforme aux problèmes de l’époque
et de nature à concentrer les ouvriers autour du problème de la révolution qui
était posé par l’apparition de la III° Internationale. Celle-ci, en exploitant
quelque peu La maladie infantile de
Lénine et surtout avec ses directives des III° et IV° Congrès, rendait obscur
le problème en remplaçant l’analyse réelle de l’évolution des syndicats en
fonction des nouvelles situations par le tournant vers les masses : d’où
le caractère tortueux ultérieur de la politique syndicale communiste. À propos
de la scission syndicale, le II° Congrès adopte la position suivante :
« S’il arrive
pourtant qu’une scission s’impose comme une nécessité absolue, on ne devra y
recourir que possédant la certitude que les communistes réussiront, par leurs
efforts ininterrompus contre les bonzes opportunistes et par leur participation
très active à la lutte économique, à convaincre les larges masses ouvrières que
la scission se justifie non par des considérations dictées par un but révolutionnaire
encore très éloigné et vague, mais par les intérêts concrets immédiats de la
classe ouvrière, correspondant aux nécessités de l’action économique. Dans le
cas où une scission deviendrait inévitable, la tactique des communistes devrait
se fonder sur une analyse scrupuleuse de la conjoncture politique et sur la
prévision des conséquences de la
scission en particulier à ce que cette scission ne les isole pas de la masse
ouvrière » (Le mouvement syndical,
les comités de fabrique et d’usine).
C’est à l’appui de
cette thèse que Vercesi et le soussigné
ont élaboré le rapport syndical présenté à la Ligue des Communistes de Belgique
(en août 1933), en posant l’alternative pour le cas d’une scission
éventuelle : la situation révolutionnaire dans laquelle elle ferait partie
intégrante de la lutte générale du prolétariat, ou bien la mainmise par le
fascisme sur les syndicats et leur transformation en corporations. À cette époque-là,
nous avions retenu une éventualité : « l’incorporation des syndicats
dans l’État démocratique bourgeois au cours d’une nouvelle guerre impérialiste
peut signifier, mais pas de manière absolue, la nécessité de créer de nouvelles
organisations syndicales ». Le fait est que, dans l’immédiat après-guerre,
les syndicats réformistes, qui avaient archi-trahi les intérêts du prolétariat,
ont vu tout de même affluer les masses ouvrières dans leurs rangs. En même
temps, le lien permanent qu’ils ont mis en œuvre avec l’État capitaliste,
jusqu’à parvenir à leur incorporation à celui-ci dans un état juridique (forme
“démocratique” de l’organisation professionnelle), ne semble pas avoir suffi
pour faire cesser la vie de classe. Il faut que le capitalisme parvienne à
transformer la nature même des syndicats, à les détacher totalement du terrain
économique sur lequel naît l’antagonisme social, et l’expérience vécue prouve
jusqu’à présent que seule la violence fasciste y est arrivée. En France et en
Belgique, la bourgeoisie a tenté des expériences ; il s’agit de voir
jusqu’à quel point l’incorporation des syndicats à l’État a pu altérer, sans
qu’il y ait usage de la violence, leur nature de classe et déterminer la
nécessité de nouvelles organisations. Encore une fois, le critère devra être de
classe et non pas volontariste, et l’on aurait tort de croire, comme nous-mêmes
avons pu le croire avec d’autres camarades, que la chose est déjà résolue,
qu’elle doit se conclure par la destruction des syndicats existants.
Tant que les
contradictions de classe peuvent se produire dans le syndicat et que, à travers
lui, la classe peut vivre, les communistes doivent militer dans les syndicats. Très
probablement, l’expérience française ou belge restera inachevée ; l’on
cherchera à favoriser le statut corporatif dans les syndicats existants sans en
détruire les bases par la violence. Ceci est démontré par l’analyse de la
situation de guerre impérialiste que nous vivons et, pour conclure, il serait
faux de devoir se limiter à la formulation contenue dans les Thèses de Rome sur le problème syndical,
et il serait tout aussi faux d’analyser la nouvelle situation en dehors des
critères de classe et d’arriver ainsi hâtivement à des positions
d’abstentionnisme syndical ou de scissionnisme qui nous placeraient aujourd'hui
en dehors de la réalité.
2°) Les syndicats face à l’économie de guerre et à la
guerre impérialiste
Nous voulons pour
l’instant laisser en dehors de notre analyse la situation dans les pays
fascistes où le problème des syndicats, hier, comme dans les phases actuelles
de guerre, est restée le même : étant donné que l’avant-garde est
violemment coupée de la masse, les syndicats sont détruits et les corporations
ont la même nature et la même base que les prisons ou que les autres moyens de
coercition capitaliste. Ici, nous luttons pour la destruction des
corporations dans toutes les situations et c’est seulement quand les
contradictions sociales se libèreront de nouveau que la classe ouvrière pourra
agir, qu’elle reconstruira ses organismes, et il n’est pas dit qu’ils devront
être les syndicats réformistes traditionnels, mais des syndicats où la
politique communiste pourra au moins faire prévaloir une fonction prolétarienne
liée aux intérêts de la révolution prolétarienne. L’on doit aussi avancer
l’hypothèse que les syndicats qui pourront naître demain en Italie renouent
immédiatement avec un État du type Front populaire et que c’est la raison
pour laquelle l’on doit, dans le cours des luttes insurrection-nelles, lutter
pour briser ces syndicats sociaux-centristes, bien qu’il s’agisse par
conséquent de détruire leur fonction contre-révolutionnaire et non pas leurs
bases.
Dans l’état actuel
des choses, une évaluation saine du problème syndical doit partir de l’examen
de la période dans laquelle nous vivons. Tout le cours historique de
l’après-guerre a tourné autour de la défaite mondiale du prolétariat, laquelle a
débouché sur la guerre impérialiste mondiale sous ses aspects actuels
(provisoires ou définitifs) de la guerre localisée à certains secteurs. Malgré
tout, les antagonismes et les contradictions spécifiques du système capitaliste
dans sa phase de déclin n’ont fait qu’augmenter dans tous les pays. L’évolution
économique de la lutte de classe des dernières années nous montre que la
victoire du capitalisme a provoqué une tension persistante des rapports sociaux
qui accompagne désormais la crise permanente du système.
Si, dans les pays
fascistes, la bourgeoisie a dû répondre à cette tension des rapports de classe
par la violence et passer par la destruction des syndicats, le fait est que,
sur le plan sur lequel bourgeoisie et prolétariat s’affrontent, un compromis
“démocratique” n'est plus possible en raison de la persistance d’une tendance
du prolétariat à agir comme classe sous l’impulsion directe du stade atteint
par les antagonismes sociaux. Le fascisme ne fait pas disparaître la classe,
mais il cherche à détruire la tendance, en coupant la classe de son
avant-garde et en empêchant le rassemblement de classe des ouvriers dans les
syndicats. La classe continue à vivre non seulement parce que elle est le résultat
– du point de vue mondial, comme du reste l’on doit considérer le problème – de
la permanence des antagonismes sociaux et économiques, mais surtout parce que
ceux-ci s’expriment dans la permanence d’une évolution historique qui féconde
des organismes dont la fonction sera de fournir à la classe la conscience du
chemin à suivre, dans des situations nouvelles, pour pouvoir agir au moment du
déclenchement des événements.
Dans les pays
démocratiques, l’expérience de ces dernières années est des plus instructives.
En France et en Belgique, jusqu’à la victoire du Front populaire et du Plan de
Man (réalisé par Van Zeeland à sa manière), le mouvement syndical sera substantiellement
lié au système capitaliste, lequel s’en servira contre les mouvementa des
exploités qui continueront à avoir les syndicats comme salle d’entraînement.
Mais, pour la bourgeoisie, le syndicat restera une arme à double tranchant,
bien qu’elle ait émoussé le tranchant prolétarien. La bureaucratie fera tous
les efforts pour rendre service à la démocratie bourgeoise, et le fait de faire
confluer l’opposition entre exploités et exploiteurs dans le syndicat
maintiendra en eux des aspects de la vie classiste qui inciteront la
bourgeoisie démocratique à chercher une forme de transformation professionnelle
qui fera pacifiquement des syndicats existants des organismes corporatifs dans
lesquels l’on ne pourra plus manifester aucune vie classiste. Tout le problème
est de savoir si, pacifiquement, l’on pourra y arriver, et l’expérience
actuelle en France et en Belgique n'est pas encore à son terme, même si les
événements qui ont eu lieu en France laissent supposer que la destruction des
syndicats existants – sans violence – sera quasi impossible.
Il ne fait aucun
doute que la défaite du prolétariat mondial (qui est contenue dans la victoire
d’Hitler) avait déjà créé la promesse d’opposer la guerre à la révolution,
dilemme qui domine notre époque. L’économie mondiale n’était pas encore sur le
pied de l’économie de guerre (bien que cette situation ait déjà existé en
Italie et qu’elle ait pris des formes de plus en plus nettes en Allemagne),
mais les tendances “classiques” des contradictions économiques entre les
impérialismes portaient clairement les modifications substantielles de l’après-guerre.
Les pays démocratiques interviennent économiquement pour aider l’économie
italienne à s’armer et cette aide devra permettre à la bourgeoisie de
représenter une menace pour ses fournisseurs ; en Allemagne, c’était le
même phénomène. Il se produisait ainsi une tendance à la solidarité
inter-impérialiste qui avait comme contrepartie une polarisation mondiale de la
bataille entre les exploités et les exploiteurs, et les guerres qui se déclencheront
ensuite démontreront que, au-delà des intérêts inter-impérialistes de chaque
État, surgissait la nécessité d’écraser, de massacrer, le prolétariat.
L’épanouissement d’une tendance à la solidarité mondiale du capitalisme qui
s’établissait après la défaite des ouvriers devait conduire à la phase de
l’économie de guerre dans tous les pays. Et c’est pourquoi la guerre d’Espagne
et celle de Chine étaient indispensables.
Il est bon de
noter avant tout qu’il n’existe pas de contradiction entre l’économie de guerre
“dans tous les pays” et la “solidarité” inter-impérialiste, mais un lien de
nécessité. L’économie de guerre signifie sur le terrain économique la
polarisation de la contradiction entre rapports de production et forces de
production ; le capitalisme décadent subordonne toutes les contradictions
relatives à la lutte des individualités bourgeoises à l’ensemble de la classe,
une lutte qui trouve un débouché économique dans la production de guerre.
Celle-ci s’accompagne d’une polarisation inévitable de la lutte de classe, qui
atteint le stade ultime dans lequel les forces de production doivent être
systématiquement détruites afin de ne pas briser les cadres de la production capitaliste.
Ce phénomène qui se produit dans tous les pays (sous une forme achevée en
Italie et en Allemagne) trouve aussi son expression dans le système capitaliste
mondial.
La guerre
d’Espagne n’a fait que mettre en lumière l’évolution du monde capitaliste face
à l’alternative de la guerre, qui est une réponse à la défaite du prolétariat.
C’est grâce à elle que les économies de guerre ont pu être instaurées dans tous
les pays démocratiques. En France, la victoire du Front populaire était la
condition politique de cette modification évidente de l’économie
française ; en Belgique, les bases se trouvaient déjà sur le plan de
travail du P.O.B.
C'est ainsi que de
vrais problèmes nous apparaissent : tout d’abord les syndicats dans la
guerre (Espagne), ensuite les syndicats dans l’économie de guerre (France,
Belgique, etc.), et, sous ce double aspect, l’ensemble du problème qui nous
intéresse parce que, si l’on tient compte de la nature de l’évolution
historique actuelle, c’est précisément ainsi que se présente à nous le problème
central des “syndicats devant la guerre impérialiste”.
L’on a dit à
propos de la guerre d’Espagne que l’heure de la scission syndicale avait sonné,
tant dans l’U.G.T que dans la C.N.T. : militarisées, intégrées dans la
production de guerre, incorporées par l’État capitaliste, fournisseuses de
viande de boucherie sur les champs de bataille, aucune expression classiste
n’est plus possible en elles. C’est ici qu’il faut répondre à la question posée
par Vercesi et par moi dans le rapport à la Ligue. Les critères doivent être
les suivants : la classe continuera-t-elle à vivre dans ces syndicats, en
dépit de leur fonction, de la guerre, de l’impossibilité de militer ouvertement
pour le défaitisme classiste et pour la défense des conditions de vie
ouvrière ? Si l’on prend pour exemple la position de la C.N.T. qui s’élève
contre les augmentations de salaire ou les persécutions des ouvriers
révolutionnaires, la réponse serait simple ; si au contraire l’on examine
la scission dans l’U.G.T., l’évolution de la C.N.T., la position de l’État
capitaliste à l’égard des syndicats (qu’il est obligé de réprimer), l’on
remarque qu’une effervescence ouvrière continue de s’y maintenir, même si elle
est étouffée par des méthodes brutales. Dans ces conditions et tant qu’il ne
sera pas démontré que la classe a cessé de s’exprimer dans ces syndicats, nous
devons y rester parce que c’est là où vit la classe qu’agit la fraction
qui tend à lui donner conscience de son chemin.
Les communistes
doivent agir ici sur un terrain de luttes qui est dangereux, de manière souvent
illégale, quelque fois légale, avec des programmes destinés à inciter – dans la
production de guerre – les ouvriers à agir pour la transformation de la guerre
impérialiste en guerre civile ; la scission ne peut naître qu’en raison
d’autres causes et, jusque là, il est nécessaire de continuer à y militer.
En France, nous
trouvons aujourd'hui un mouvement syndical qui est lié à l’État capitaliste du
fait de l’arbitrage obligatoire et d’un système de lois qui se perfectionne de
plus en plus. La fonction de la C.G.T. consistera à faire des syndicats des
guildes pour la production de guerre ou bien un appendice de l’État du front
populaire.
En tout cas, la
période de l’économie de guerre n’a pas empêché les syndicats, incorporés à
l’État et évoluant toujours dans cette direction, de renfermer en leur sein
l’effervescence des antagonismes économiques et sociaux. Certes, le contenu de
la lutte revendicative a évolué, mais malgré cela, jusqu’à aujourd'hui, la vie
de la classe ouvrière française passe par ses syndicats, ainsi que le sérieux
de ses grèves le prouve. En Belgique, l’orientation vers un statut légal des
syndicats (l’on se dirige aussi vers lui en France avec le code de la paix
sociale) et l’organisation professionnelle qui a pris un aspect plus achevé
qu’en France, mais qui n’a pas l’accompagnement de la lutte par la grève, verra
se restreindre de plus en plus le champ d’activité du militant communiste, mais
l’on n’arrivera pas à empêcher, grâce à cette évolution graduelle, la
manifestation d’expressions classistes. La France et la Belgique nous montrent
que si, avec l’économie de guerre, les syndicats sont entrés dans une situation
de guerre, pas autrement qu’en Espagne où prospère le massacre, le capitalisme
n'est pas encore arrivé, sans détruire les syndicats, à y faire cesser les
possibilités d’expression de classe. Les syndicats restent fondés sur
l’opposition entre exploités et exploiteurs malgré leur fonction capitaliste.
Harmoniser de manière organique les syndicats avec l’État est tout aussi
impossible que d’harmoniser les exploités avec les exploiteurs, les forces de
production avec les rapports capitalistes de production. C’est seulement en
détruisant cette nature du syndicat (comme l’a fait le fascisme) que l’on
détruit la vie de la classe sous cet aspect et qu’il faut alors passer à la
construction de nouveaux syndicats. Ou bien, quand les masses, en brisant les
cadres des syndicats existants, donnent à la contradiction entre les exploités
et le capitalisme sa forme de lutte pour la révolution.
Il semble donc que
ce qu’écrivait Vercesi dans son rapport sur la situation internationale – et
qu’il a depuis lui-même revu – est à mettre de côté. Il écrivait :
« Les fractions de gauche se lient au processus réel de la lutte de classe
à la condition cependant de ne pas conditionner l’appartenance de leurs
adhérents aux organisations syndicales à la discipline que ces derniers, qui
sont engrenés dans l’appareil de l’État capitaliste, pourraient leur
imposer ». En réalité, les fractions de gauche continuent, dans la phase
actuelle, à conditionner l’appartenance de leurs membres aux syndicats pour
rester liés à la classe ouvrière qui persiste à s’y exprimer.
C'est une autre
chose que de refuser leur discipline capitaliste (glorification de la guerre
d’Espagne sous toutes ses formes) et d’agir, sans rechercher pour cela à
provoquer à tout prix la répulsion, autour de positions de classe qui peuvent
actuellement, avec leurs affirmations franches, mettre les communistes en
danger d’être exclus. Dans les périodes de guerre, nous pouvons encore agir
dans les syndicats en dépit de leur évolution, de leur transformation, de leur
lien avec la production de guerre, et notre militantisme fait partie de
l’action générale que mènent les fractions en vue de la transformation de la
guerre impérialiste en guerre civile.
3°) Les luttes revendicatives dans la période actuelle
Nous pouvons être
très brefs sur ce point-là parce que la discussion a clarifié beaucoup de
choses. Quand nous disons que la revendication partielle n'est qu’un moment de
la revendication finale, nous n’opposons pas deux choses entre elles, mais nous
entrevoyons un chemin d’unification dans lequel la revendication partielle caractérise
– avec tous les problèmes particuliers de l’époque – le chemin parcouru par la classe
vers la revendication finale. Déjà les termes du problème (pour lequel on aura
l’habitude de faire correspondre les deux expressions également non opposées
des syndicats et du parti) montrent qu’une revendication partielle n’est jamais
purement économique et qu’une revendication finale n’est jamais l’élimination
de l’économique dans le politique. La revendication partielle a un contenu
distinct dans chaque période : avant la guerre, elle consistait en
l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et elle allait de pair avec
l’obtention de leurs droits politiques ; c’était en somme le processus de
formation des syndicats et du parti. Aujourd'hui, elle est commandée par la
phase de guerre impérialiste et d’économie de guerre. La lutte revendicative
acquiert le caractère historique de la lutte pour les problèmes de la
révolution prolétarienne, elle devient ce qui était par le passé “la lutte
finale”, pendant que celle-ci embrasse le programme plus vaste du parti par
rapport à la classe. Pour nous, le problème n’est donc pas dans la discussion
relative à la revendication partielle ou finale, mais celui de la signification
que la lutte revendicative prend actuellement.
L’expérience
française nous montre que si, dans la première phase, celle que l’on pourrait
appeler en l’absence d’un autre terme, la phase ascensionnelle de “l’économie
de guerre”, les luttes revendicatives ne sont pas partielles, elles sont
cependant vidées de leur substance au fur et à mesure de leur
développement ; la seconde phase, celle de la “crise”, voit les luttes
revendicatives devenir insupportables pour le capitalisme qui passe alors à des
méthodes plus brutales afin d’empêcher leur apparition. En quoi consiste
aujourd'hui le caractère partiel de la lutte revendicative ? Non pas tant
dans l’obtention une augmentation de salaire (ce qui devrait élever progressivement
la conscience de classe des ouvriers), mais dans les mouvements ouvriers qui,
en vitupérant contre l’économie de guerre, posent des problèmes qui se
rattachent au défaitisme révolutionnaire dans la lutte contre la guerre
et contre l’État capitaliste.
Tel est le
caractère des revendications partielles : il embrasse aujourd'hui en même
temps les questions économiques et politiques relatives à la phase actuelle du
capitalisme décadent.
Il ne serait donc pas
faux de dire qu’en incitant les luttes économiques à progresser l’on arrive à
la revendication finale. Chaque grève contient tous les problèmes centraux de
notre époque. En 1936, la bourgeoisie française pouvait étouffer cet aspect du
conflit grâce aux “accords de Matignon”. Aujourd'hui l’évolution en France
démontre qu’elle rencontre des difficultés beaucoup plus grandes. Les fractions
doivent par conséquent rendre conscients les ouvriers du contenu réel de leurs
luttes qui ne doivent pas seulement avoir été poussées à fond (afin de mettre à
nu toutes les contradictions de l’économie de guerre), mais qui doivent être
“révélées” dans leur contenu effectif de lutte contre la guerre, l’économie de
guerre, le Front populaire, l’État. En conséquence, certains problèmes de non
participation ou de refus des luttes partielles des ouvriers ne se posent pas à
nous, étant donné qu’en réalité, considérés sous leur aspect historique, dans la
contradiction entre les classes, ils apparaissent sous la forme élevée de la
lutte pour la révolution communiste.
Michel
*********
Contribution à la discussion sur le
rapport Vercesi (suite)
Dans mon article
précédent, je parlais de manière très succincte, en indiquant par points
principaux, ma pensée sur le problème syndical. Il faut donc que je m’efforce
aujourd'hui de m’expliquer un peu mieux, et je vais le faire autant que
cela me sera possible.
Dans les
discussions qui ont eu lieu au sein de la Fédération parisienne, j’ai déjà eu
l’occasion d’aborder certains aspects du problème sur lesquels, pour avoir été
en d’autres moments, aujourd'hui un peu éloignés, l’objet de discussion et
avoir eu une réponse de la Fraction, certains camarades ont cru pouvoir me prendre
en défaut en pensant peut-être que la réponse susdite pouvait être d’une certaine
façon définitive.
Évidemment, le
problème est ardu et difficile, et sa solution ne pourra être fournie que par
l’évolution ultérieure des situations et par l’approfondissement des
contradictions sociales, mais, pour que la solution révolutionnaire de ce
problème soit possible, il est très important aujourd'hui non seulement de
comprendre toute la particularité de la phase historique que nous traversons,
mais surtout de savoir en tirer toutes les conséquences qui déterminent
les positions à prendre.
Ce n’est pas un
hasard, et, au contraire, je dirais presque qu’est très significatif le fait
que deux camarades qui défendent avec le plus grand acharnement les thèses
classiques sur la tâche des communistes dans les syndicats soient ceux qui (y
compris la Fraction belge, sous un autre aspect qui est lui aussi très
significatif), sur l’évaluation de la situation actuelle dans son ensemble,
adoptent d’anciens critères de jugement.
Ces brèves
observations étant faites, venons-en au fond de la question.
La question de
principe de l’unité syndicale, aspect très important de la thèse classique
susmentionnée, a été rompue il y a environ un an quand, sous la poussée des
situations, les dissensions pour et contre la scission, ont fait leur entrée
bruyante. Depuis lors, ce problème est devenu de plus en plus obsédant et il
semble qu’il se soit recomposé aujourd'hui sur une base de compromis. Un tel
état de choses me semble être le résultat de raisons variées. Pour ce qui
concerne Vercesi et la C.E., l’attitude de la Fraction belge ne doit pas être
indifférente. Pour ce qui concerne certains camarades de la Fédération,
laquelle est elle aussi d’accord avec le rapport Vercesi, ils ont pu,
s’agissant avec force des revendications immédiates, être amenés à ne pas voir
que cette question est intimement liée au rôle des syndicats sociaux-centristes
étatiques. Et puis le camarade Bianco n’est-il pas le défenseur le plus
déterminé des anciennes thèses ? Malgré tout ceci, le problème demeure et
une solution de compromis ne peut être que dommageable ; je vais
maintenant de toute façon me répéter, mais c’est indispensable.
Si l’on admet la
situation de guerre dans le monde entier, si l’on admet l’Union sacrée, si l’on
admet que les syndicats sont les appendices de l’État capitaliste et si l’on
admet que le cours de la révolution devra briser le cours de la guerre
impérialiste en un endroit donné du monde, le fait ensuite d’affirmer que la
“classe” peut encore s’exprimer dans les syndicats, c'est-à-dire dans l’État
capitaliste, est une chose qui dépasse mes facultés de compréhension et qui les
dépasse dans la mesure où je pense que la classe s’exprime dans le parti ou
dans la fraction, qu’elle est exprimée par lui ou par elle (ce qui est la même
chose), ce qui équivaut à dire, selon Vercesi, que, dans l’État capitaliste, le
prolétariat révolutionnaire peut avoir la liberté de s’exprimer. Ceci est une
chose que je n’arrive pas à comprendre, et c’est la première.
L’on a beaucoup
parlé de la valeur des luttes revendicatives du prolétariat dans la phase
actuelle, et, comme cela arrive souvent, dans la ferveur de la polémique, on
oublie certains problèmes qui sont étroitement liés à la thèse que l’on veut
défendre. La thèse très avancée, mais on ne peut plus juste, de l’inactualité
des luttes revendicatives du prolétariat comporte totalement le devoir de
préciser de quelle façon le prolétariat peut lutter pour la destruction de
l’État capitaliste et de tout l’appareil qui étouffe cette lutte de sa part
dans cette direction.
Les indications de
Vercesi, qui consistent à rattacher les luttes revendicatives à cette direction
pour être justes, devraient affirmer l’abandon des syndicats par les masses
ouvrières, étant donné que, si
aujourd'hui les luttes revendicatives sont vidées de leur contenu de
classe, si dans la phase actuelle le capitalisme ne peut pas contenir
l’agressivité des ouvriers au moyen de concessions d’amélioration, si nous
sommes dans un moment où toute lutte économique ne devient pas immédiatement
une lutte politique, on le doit au Front populaire. Après tous les événements
de ces deux dernières années, après l’épisode de Clichy, il ne devrait pas être
permis de croire que, malgré l’aggravation des contradictions sociales, il soit
possible aux ouvriers de se libérer de l’emprise des traîtres sans qu’on leur
ait indiqué la voie à suivre, et nous le répétons encore une fois, elle ne peut
pas être celle de Vercesi.
Même s’il était
été permis aux marxistes d’exercer une activité révolutionnaire dans les
syndicats et même si la totalité des travailleurs avait compris et avait
exprimé la volonté de suivre leurs mots d’ordre, la bureaucratie syndicale
aurait mille moyens à sa disposition pour avoir raison des uns et des autres.
Il ne s’agit pas
aujourd'hui de voir s’il serait ou non possible pour des marxistes d’exercer
une activité saine au sein des syndicats ; mais il s’agit de comprendre
que ces organes sont désormais passés de façon définitive dans le camp ennemi,
qu’il est impossible de les transformer.
Maintenant, après
que l’on s’est rendu compte de cet état de choses, il faut voir de quelle
manière l’on doit agir pour aider les couches les plus avancées du prolétariat
à se libérer des traîtres, à revenir par conséquent sur les voies de classe, et
le problème, à mon avis, réduit à sa forme la plus simple, consiste en
cela : au lieu de déployer une activité (du reste impossible) à l’intérieur
des syndicats afin d’éclairer quelques groupes d’ouvriers, avec l’intention de
transformer le syndicat en liquidant la bureaucratie syndicale, il s’agit en
effet d’éclairer les ouvriers, mais essentiellement de l’extérieur, en
insistant, en faisant remarquer que toute possibilité de lutte du prolétariat
contre le capitalisme réside dans le fait de rompre d’une manière sans retour
avec toutes les formes d’oppression capitaliste, y compris les syndicats
existants. Tel est à mon avis le devoir impérieux de la Fraction en ce moment.
Et alors, l’on me demandera ce qu’il faut faire. Il ne s’agit pas de donner des
recettes toutes faites sur le comment et le par quoi l’on remplace les
syndicats existants : ce sont des problèmes qui se poseront avec
l’évolution des événements et que nous pourrons résoudre dans la mesure
où, déjà à partir d’aujourd'hui, nous faisons la promesse de leur apparition.
De nouveaux syndicats ? Une forme d’organisation sur la base des
conseils ? Je ne le sais pas ; je fais seulement remarquer en passant
que, malgré le rôle impropre que les ordinovistes assignaient aux conseils en
Italie, ceux-ci, et pas seulement en Italie, ont représenté dans l’après-guerre
une puissante réaction contre les bonzes sociaux-démocrates.
L’histoire de ces
dernières vingt années a appris beaucoup de choses aux prolétaires marxistes, y
compris celle que les conseils d’usine, en dépit de toutes les erreurs que les
courants antimarxistes leur ont fait commettre, ont représenté et peuvent
encore représenter la seule réaction du prolétariat pour se libérer des
traîtres de toutes espèces. C’est dans cette direction que les efforts de la Fraction
doivent être concentrés, et ce sera peut-être la seule voie grâce à laquelle la
Fraction de gauche pourra naître en France.
Luciano
********* à suivre...
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